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PLAIDOYER
P O U R
J
M a g d e l a i n e l’a î n é e , M a r i e ,
M a g d e l a i n e la je u n e , e t E l i s a b e t h G A R N I E R
L O M B A R D , cu ltivateu rs j
e a n
,
M
ic h e l
,
C O N T R E
J e a n D O S R O U X , M i c h e l G A R N IE R , propriétaires
cultivateurs , demeurant au lieu des Garnier , commune
de Thiers.
De la cause le citoyen V ID A L D E R O N AT, homme de loi,
,
la citoyenne A n n e D E L O T S , son épouse.
Le citoyen C H A S S A G N E - D U B O S T , propriétaire; et
la citoyenne V ID A L D E RONAT, son epouse, aussi demeurant à Thiers.
Q u e lq u ' ACCOUTUMÉ que l’on soit à regarder d'un œil indifférent
les scenes bizarres et iniques que la cupidité renouvelle sans cesse sur
le théâtre du monde , je doute que l’on puisse se défendre du senti
ment de la plus vive indignation, au récit des manœuvres, des moyens
bas et honteux que l’on n’a pas rougi de faire servir à la ruine totale,
à l’entière spoliation d’une famille de cultivateurs.
D ' un cô té, l’on voit un créancier inexorable , armé de tout l’ascen
dant que donnent le crédit et l’opulence, s’en prendre à de pauvres
orphelins, se venger sur des enfans, des prétendus torts qu’il impute à
la mémoire et aux cendres du père : de l’autre, c’est un juge sans pu
deur, qui par la plus lâche condescendance com prom et la sainteté de
son ministère, abdique la plus honorable de ses fonctions, qui est de
�.
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'
protéger le foible et le malheureux, appelle sur six têtes innocentes,
l’avilissement, l’opprobre, le désespoir, l’assemblage enfin de toutes
les calamités inséparables de la mendicité et de la misère.
Il est certaines turpitudes qu’il conviendroit de couvrir du voile
le plus é p a is , de dérober entièrement aux regards de la multitude,
parce que le scandale qui les accompagne, offense l’honnêteté publique,
sans tourner à l'instruction de la société ; il eu est d’autres que l’on
ne sauroit trop répandre , que l’on ne sauroit peindre sous des cou
leurs trop prononcées , trop marquantes, pour que l’horreur qu’elles
inspirent devienne un frein salutaire , et serve de leçon dans la suite
pour quiconque seroit tenté de les faire revivre. C’est d’après cette
dernière c o n s id é r a tio n , qüe je me syjs déterminé à publier la défense
des mineurs G a r n i e r - Lombard. Elle intéressera à coup sûr les âmes
sensibles et honnêtes non pas par les charmes, le coloris et la har
diesse du pinceau qui 1 a tracée } il y auroit présomption de ma
part à le penser 5 mais parce que 1 innocence aux prises avçc le
malheur est le spectacle le plus touchant et le plus -instructif que
la Divinité puisse offrir aux hommes.
Démosthènes, le prem ier'de tous les orateurs, ne se présentait pres
que jamais à la tribune sans demander l’assistance des D ieu x : met
tant à profit l’exemple duri si grand m aître, mieux fondé que lui
^ rpe défier de mes propres forces ,• je commence par demander l’in
dulgence du tribunal. Il y a près de vingt ans, que j’ai perdu l’ha■Bitude de discuter publiquement ; ma m ém oire, mes autres facultés
intellectuelles, tout en moi doit se ressentir de la rouille, suite iné
vitable d’une si longue inaction ; tout en moi annonce un champ
trop long-temps négligé , pour donner à cette première récolte des
fruits parfaits, des fruits propres à satisfaire les goûts fins et délicats.
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F A I T S .
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’•
•
Michel G arnier-Lom bard, père des mineurs qui implorent au
jourd’hui la justice du tribunal, vivoit en société avec Jean Dosroux,
son beau-frere, leurs biens fonds étoipnt indivis , et s’exploitoient en
commun; c’est un usage assez général aux environs de Thiers, où
j] n’est pas rare de voir plusicuis fanulles même nombreuses réunies
de temps immémorial. L e 22 janvier 1738 , il avoit été passé entre
M ichel Garnier-Lombard, Jean Dosrpux, et Gabriel Cottier, bourgeois
à T h iers, un traité, et le Ier. octobre 1762, un arrêté de compte, d’a
près lesquels ces deux cultivateurs s étoient assujettis à payer h Cottier,
et à ses ayant - cause, une rente annuelle de cen t-vin gt francs, au
�principal de quatre mille. L e prêt, dit-on, provenoit de billets de la
banque établie sous la régence, et c’étoit d’après cette considération,
que l’intérêt se trouvoit à un taux inférieur à celui déterminé par la
loi ; au reste l'origine de la créance est assez indifférente au procès,
il ne s’agit que de savoir si les héritages des mineurs, ont été décrétés,
saisis , et adjugés valablement, et d’après les solennités prescrites par
les lois.
Michel Garnier-Lom bard n’amendoit dans les fonds communs
qu’un tiers, et le quart de l’autre tiers , quelque chose de plus des deux
cinquièmes; par conséquent, sa quote-part dans la dette, et la renie
constituée, n’étoit que de cinquante francs par année, et celle de Jean
Dosroux de soixante - dix. En 1764, deux années après l’arrêté de
compte dont je viens de p a rler, les deux parens et consorts se sé
parèrent , et divisèrent leurs fonds. Peu d années après cette sépa
ration, Michel Garnier - Lombard tomba dans la cécité, accident
d’autant plus funeste, qu’il se trouva chargé de six enfans presque tous
en bas-âge, et dont aucun ne pouvoit concourir fructueusement à
1exploitation de ses fonds. Ce père infortuné, privé de la faculté de
veiller à ses intérêts, laissa accumuler les arrérages de la rente qu’il
devoit; et ce qui servit à aggraver l’amertume de sa situation, c’est
qn’étant solidaire avec son beau-frère, il fut toujours poursuivi pour
la totalité , quoiqu’il n’en dût que les deux cinquièmes. Il s’éleva
entre lui et Antoine Cottier - D u bo st, seigneur de Montrianeix ,
chevalier de l’ordre de Saint-Louis, maréchal-des-logis des gendarmes
de la garde du r o i, une contestation qui a amené la ruine des mineurs
ses enfans. Le seigneur de Montrianeix avoit pris du bois, du fourrage,
provenant des héritages de Michel Garnier-Lombard, sans fournir de
reçu; on plaida à Thiers, àRiom , à Paris, pour que les fournitures faites
par Michel Garnier fussent en compensation des arrérages de la rente.
Ce malheureux paysan, qui , vu sa cécité , n’agissoit que d’après
impulsion étrangère, succomba par tout: cela devoit être ainsi; il
n’avoit point de titre contre C o llier, et Cottier en avoit contre lui.
L ’argent en outre lui manquoit pour acheter un défenseur; et pour
comble de malheur, il n y en avoit point alors d’officieux comme
aujourd’hui : il ne fut défendu nulle part.
L ’arrêt rendu au parlement de Pai’is, contre Michel Garnier , est
du 22 juin 1774. Dès cette fatale époque, sa perte et celle de sa pos
térité lut résolue ; il avoit osé, ou<plutôt l’on avoit osé pour lui, plaider
Contre Cottier, homme alors marquant dans la s o c i é t é ; céloit une
témérité qü’ott ne put lui pardonner ni aux siens. S i ce n est pas toi
qu i a médit de trioi, disoit le^ loup au débonnaire agneau, c est do7tù
�,
ton -père ; tu périras ; c'est-là ma lo i je suis aujourd'hui le plus
fo r t. Michel Garnie! ne fut pas long-temps 1 objet des persécutions
d’Antoine Cottier. Il étoit dans les convulsions de la m o rt, lorsqu’il
reçut la signification du jugement rendu contre l u i , et décéda le trois
décembre de la même année, laissant six enfans dont deux majeurs,
et quatre mineurs. I/aîné des garçons, sortant à peine des liens de la
minorité , fut nommé tuteur de ses frères et sœurs , pour la forme
seulement ; car ayant appris qu’on vouloit se servir de son nom pour
le dépouiller lui et ses cohéritiers, il s’évada du pays, et ne revint que
plusieurs années après la catastrophe qui rangea toute cette famille
dans la classe des mendians.Quoique tous les actes des huissiers déposent
que les significations lui furent faites aux Garniers à personne et domi
cile, dans le cours de l’instance, le contraire seroit justifié, si la loi
autorisait la preuve en pareille circonstance. Le 16 mars 1776 , il in
tervint en la châtellenie de Thiers, sentence par défaut, qui,entr’autres
dispositions , autorise Antoine Cottier-Dubost à faire saisir et vendre
sur simple placard tous les biens fonds appartenant tant au tuteur dé
faillant qu'à ses pupilles.
A la suite de ce décret, l’on procéda à la saisie, au placard et à l’ad
judication qui eut lieu à la fin du mois d’août même année , en faveur
de Georges Gognord, procureur au siège, qui subrogea les Dosroux et
G arn ier, parens des mineurs, ci-devant consorts et communs en biens
et codébiteurs avec Michel leur père.
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C eu x-ci, à ce que rapporte la renommée , avant de se mettre en
possession des batimens, fonds et héritages, qui avoient fait l’objet
de 1 adjudication, crurent devoir faire dresser procès verbal de la
situation des lieux, mais toujours sans contradicteur: car telle a été
la destinee de ces mineurs , que personne n’a comparu pour eux
dans les différens actes et jugemons qui les ont entièrement dépouillés *
que le juge même , leur légal protecteur les a abandonnés à W
malheureux s o rt, et qu il semble n’avoir été armé à leur é"ar<$
du glaive de la l o i , que pour les égorger avec plus d’impunité. <
P R O C É D U R E S .
Les mineurs Garnier - L om bard, parvenus à leur majorité soit
que l’âge le u r inspirât plus de courage , leur fournît plus de moyens
plus de ressources; soit que le nouvel ordre de choses qui venoit
d’éclore , fît naître en eux quelques sentimens d’énergie dont ils
n’ ét)ieiit pas auparavant capables , songèrent à réclamer, et récla
mèrent en effet leurs héritages. Malheureusement pour e u x , comme
�pour bien d’autres familles , la plupart des tribunaux nouvellement
installés, se trouvèrent tout h coup peuplés d’essaims de légistes et
de défenseurs sans expérience, sans mission> sans caractère, et à
qui la révolution donnoit des opinions, sans leur assurer les lumièrcB
et les principes propres à les diriger : à Dieu ne plaise que je songe
ici à appliquer ces réflexions aux tribunaux de cette v ille , où les
talens ont toujours germé , comme sur un sol qui leur étoit spécia
lement consacré ; où les génies heureux faits pour honorer leür siècle,
se sont succédés sans interruption ; où l’on se rappelle encore avec
un certain sentiment de fierté , avoir vu des orateurs du premier
ordre , planer comme l’aigle dans les airs, sans savoir comment ils
quittoient la terre : je n’entends parler que de ces tribunaux élevés
dans des lieux obscurs jusqu’alors , où nulles semences d’instruction
navoient été auparavant jetées ; où nul concours , nulle réunion de
lumières ne pouvôit avoir lieu. Les Garnier-Lombard ont fait une
expérience bien amère des suites qu’ont communément les premiers
erremens d’une procédure : il ne fut jamais de marche plus irréguliere que celle qu’on leur a fait prendre } heureusement que leurs
adversaires n’ont rien à leur reprocher à cet égard.
Je n’entrerai point ici dans rénumération fastidieuse des procé
dures qui ont fait successivement passer la cause du tribunal du
district de Thiers au tribunal civil de Montbrison , du tribunal
civil de Montbrison à celui de Moulins , de ce dernier au tribunal
d’appel de Riorn , où elle a été portée , et est sur le point d’être
jugée d’après les erremens de la dernière organisation des tribunaux r
je me borne, sauf à m’étendre davantage h l’audience, à observer
que les Garnier-Lombard se sont pourvus d’abord , par demande en
désistement de fonds dès le vingt-quatre décembre 1791 , et par
appel le 6 messidor l’an trois*, réitéré par exploits des v in g t-u n
pluviôse, vingt-quatre ventôse an quatre y et 6 germinal an six. Que
le tribunal de Montbrison , après avoir retenu la cause pendant
Quatre ans a fini par un jugement qui renvoie les parties à pro
céder aux exclusions que le citoyen deRonat et la citoyenne Delots
son épouse, en procédant aux exclusions devant le citoyen Verny r
président, ont fait déclarer par un fondé de pouvoir , qu’ils protes
taient contre la qualité d’ héritiers qu’on leur a donnée dans le cours
du procès ; protestation d’autant plus étrange , que depuis la mort
^A ni:o'ne.
leur oncle , ils occupent ses maisons, possèdent ses
délicieux jardins, jouissent d’une grande partie des riches héritages
qu il a laissés , que tout récemment même , ils ont re çu I®rembour
sement du capital ¿le la lente que les Dosroux de voient conjointement
�avec Michel Garnier père des mineurs; qu’ils n’ont été contins par
les adjudicataires eux-mêmes, que sous la qualité d’héritiers d’Antoine
Cottier-Dubost : toute la procédure en dépose.
;
Mais tel est Tégoïsme de la plupart des hommes / ils savourent à
longs traits le plaisir de recueillir les opulentes successions , et à la
vue des embarras , à la vue des charges qui les accompagnent , ils
reculent d’effroi ; il leur faut absolument des roses sans épines.
Depuis près de dix ans ( on le croira difficilement ) , la famille
de Michel Garnier-Lom bard, ballotée en sens divers, victime tour*
à-tour de l’incurie de ses défenseurs, des oscillations perpétuelles de
l’ordre judiciaire, et p eu t-être plus encore, de la>résistance et du
crédit de ses adversaires , se traîne infructueusement de tribunal en
tribunal: heui'euse encore si la chicane si fertile en expédiens ne la
mène pas plus loin.
L e b o n , le sensible Thomas , dans un de ses élans qui caractéri*
s o i e n t si bien la beauté de son âm e, la teinte et la trempe de son.
esprit, s’écrioit : O peuples ! par quels monstres êtes - vous souvent
g o u v e r n é s ? Ne pourroit-on pas dire ici avec autant de raison, avec
autant de vérité! O vo u s, qu’une cruelle destinée jette sur le volcan
des contestations judiciaires, en quelles mains placez-vous souvent
vos plus chers intérêts ? Ne vaudroit-il pas autant faire le sacrifice
de vos champs à la voracité des brigands qui vous les ont ravis,
que d’avoir à les disputer une si longue suite d’années.
'
,
»
G R I E F S
E T
M O Y E N S .
L a sentence du 16 mars 1 7 7 5 , qui autorise le créancier à faire
saisir et vendre sur placard leshéritages des mineurs Garnier-Lombard,
renferme quatre dispositions principales ; par la prem ière, elle déclare
exécutoires contre Jean Garnier, tant en son nom personnel comme
héritier en partie , que comme tuteur de ses frères et sœurs ; les
jugernens rendus contre M ichel, pere commun , le condamne en
conséquence a payer en deniers ou quittances les arrérages de la rente
de cent-vingt francs, stipulée dans la transaction du 22 janvier
1738 , et dans.1 arrêté de compter du premier octobre 1752; par la
seconde, elle condamne le tuteur à'consentir à Antoine Cottier titre
nouveau et ratification des anciens; par la troisième , elle autorise
ledit Cottier, à faire saisir et vendre sur placard, tous les biens fonds
appartenais tant au tuteur défaillant qu’à ses pupilles; par la quatrième
enfin, e l l e ordonne que le tuteur indiquera des biens de ses pupilles,
justifiera de l’inventaire et vente des meubles, et cela sous trois jours
�pour tout délai, et faute de ce fa ire, le tuteur demeure condamné
en son propre et prive nom.
Il seroit bien difficile de concilier les deux dernières dispositions
avec les premières et môme entr’elles ; elles choquent ouvertement
la raison et le bon sens. La marche du juge est tout à la lois irrégu
lière et absurde ; il devoit d’abord ordonner que le tuteur fèroit
faire inventaire , le présenteroit dans un délai déterm iné, avec la
vente du mobilier : ce délai une fois expiré , le tuteur , faute d’avoir
rendu; ce compte, devoit être condamné; ce n’est qu’après ces formalités
remplies : que les immeubles des mineurs pouvoient être décrétés :
le contraire est arrivé; l’on a commencé par ordonner la-saisie, et la
vente des fonds, et puis la reddition du compte , la présentation de
l’inventaire et la vente des meubles. C’est, dira-t-on , une sentence par
défaut; j.'en copviqns, -mais-elle nTen est pas moins l’ouvrage d u n
juge , £bj l'ouvrage d’un juge ne doit pas être l’ouvrage d’ün hommç
en délire ; tout ce qui sort du sanctuaire de la justice doit- porter
l'empreinte de la sagesse et de là maturité; ce^-jugement dailleurs,
quoique par défaut, n’en a pas moins été funeste aux intérêts des
mineursr, n’en a pas moins entraîné leur ruine , n’en a pas moins fané
et flétri les fleurs ;qui auroient j*u embellir leur printemps et leur
assurer des fruits pour les autres saisons de la vie. Je ne parlerai poinÇ
du procès-verbal de saisie ; jeté au même m oule, il doit présenter
les mêmes vices; il ne m’a pas été possible de le déchiffrer et d’en
prendre leeture. La copie qui se trouve parmi les pièces du procès
est pleine de lacunes où lalangue et le bon sens sont également outragés*
L e ministère public n’est point intervenu au décret du 16 m ars,
ni à l’adjudication du 31 août 17 7 6 , non plus qu'à la sentence' de
subrogation du 2 septembre suivant. Cependant son assistance1 étoit
nécessaire et indispensable; c’est le vçeu de l’ordonnance de- 1667.
L o î-sque le tuteur comparoît pour ses pupilles, lorsqu’il fournit
ou fait fournir des défenses propres à éclairer la religion du ju ger
sur la situation des affaires des mineurs1; sur la masse et la nature
de leurs dettes, sur la consistance, l’étendue la valeur de leurs pro
priétés, sur.l?emploi que l’on peut faire de leurs ressources, sur les
moyens qui leur restent de désintéresser leurs créanciers, sans en
Venir à l’extrémité fâcheuse de faire vendre leurs immeubles y ou
sur la nécessité absolue de cette aliénation pour parer à de plus
grands mau^;, pour parer i\ de plus g r a n d s désastres, l’assistance
du ministère public tient alors plus à la forme qu’au fo n d ; maisr
lorsque les mineurs, comme dans l’espèce présente , so n t a b a n d o n n é s i\
eux* m êm es, lorsque leurs intérêts ne sont ni présentés j ni défendus'
�^ u ) • ------ ---------III
lorsque nulle voix ne sc lait entendre en-leur faveur; la pitié, la
commisération, la bienséance, la justice divine, la justice humaine, la loi
naturelle, la loi positive , tout veut que le juge vienne au secours
de leur foiblesse et de leur enfance ; qu’il leur ménage un conseil
sage et éclairé, un défenseur courageux ; tout veut qu’il s’envi
ronne lui-m cm e, des renseignemens qui peuvent le mettre .à l’abri
de la surprise, et écarter l’arbitraire. L e ju ge, dit Chabrol, ne
doit jamais perdre de vue, qu’il est le tuteur légal de toutes les per
sonnes opprimées et misérables: vous me pardonnerez,citoyens, ces '
fréquentes citations. Je ne suis point de l’avis de cet orateur célèbre, ,
q u i. d it , que tout ce qui est grand, accable ce qui est petit ; je me
plais, au contraire, à penser que les hommes qui ont honoré et
illustré notre patrie-, et par leurs vertus, par l’étendue de leurs lu
mières, et par l’utilité de leurs travaux ,• n’ont: pu parvenir ù une
gloire isolide -, sans qû il en rejaillisse quelque portioncule sur nous.
Ce n’est pàs tout' à fait là être fier de vertus étrangères.
Pour en revenir,à mon sujet-, ici aucune précaution n’a été prise;
toute mesure:i bienfaisante <a, été écartée ; c’est au m épris'de tout
principe, de toute humanité, de toute bienséance, que l’on a arbi
trairement disposé ¡de *la fortune et du isort, de quatre mineurs. L e
jugeia méconnu le plus saint des devoirsid’un ju g e , qui est de ne
condamner-personne sans l’entendre; il a violé toutes les règles de
la justice,"'en sacrifiant au'ressentiment d’un créancier puissant et
riche, les intérêts de l’indigence; son jugement-, et la spoliation qui
en a ; été la suite funeste , sont à mes yeux un vol plus alarmant
pour l’ordre social, que ceux qui se commettent sur les grandes
routes. L e vol de grand chemin ne se commet’ point au nom dé la
loi ; le vol de grand chemin a .pour objet communément l’enlèver
ment de quelque somme: d’argent, de quelque effet mobilier, dont
la privation ruine rarement les voyageurs qui éprouvent ces infor
tunées rencontres ; <mais l’enlèvement •d’héritages, sur une famille
cultivateurs , étouffe en eux toute espèce, d’émulation , les plonge
dans 1 avilissement“, 1 opprobi.e ét.le désespoir. Il est bien rare qu’a
près une pareil le catastrophe, ces malheureux flétris, et dégradés à
leurs propres yeux , ne; soient ■
pas perdus pour la société, dont ils
auroient.fait 1 appui et supporté les^ charges, en conservant leurs
propriétés.
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1
!
-, *
Les nullités les plus marquantes dé l’adjudication du 31 août 1776,
résultent delà minorité des parties saisies , de l’importance des hé
ritages précipitamment vendus et adjugés, de la vilité du.prix de
lu vente , du défaut d’estimation préalable, de discussion m obiliaiie,
de
�_
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r— T J —J -----------------
de ce qu’au mépris du texte formel et littéral de la coutum e, les
publications et remises ont été de huitaine en huitaine*, je ne m ar
rêterai point sur la minorité des parties saisies ou du plus grand
nombre d’elles; c’est un point de fait constant, dont déposent les
pièces du procès , et avoué par les parties.
Les bâtimens , fonds et héritages qui ont fait l’objet de l’adjudica
tion , sont très-importans , soit qu’on les considère du côté de leur
étendue, de leur consistance , de leur qualité , soit qu’on les envisage
sous le rapport de leur localité ou de leur position ; ils forment un
corps de domaine , composé de maison, gvange , établerie , cuvage,
jardin, p ré s , vignes , terres , vergers, pâquiers, chenevièrës. Ces
fonds peuvent sans difficulté être rangés dans la classe des fonds de
la première qualité du pays, sur-tout les prés que l’on fauche jusqu a
trois fois l’année, et dont les herbes sont extrêmement nourrissantes^
et savoureuses ; ce que j’avance ici est de notoriété publique , je né
crains pas d’être démenti. Ce domaine est à la distance d’un mille j
c’est-à-dire , d’une petite detni-lieue de Thiers , ville peuplee et ou
le débit des fruits, des légumes, du laitage, du vin et de toutes les
productions territoriales, est avantageusement assuré. Ces fonds sont
doublement précieux pour des., cultivateurs, q u i, pour faire valoir
•leurs cham ps, n’ont pas besoin d’avoir recours à des bras étrangers :
aussi l’on ne pourra jamais bien calculer les torts qu’ont éprouvés les
Garnier-Lombard, des suites de cette injuste et tortionnaire spoliation.
L ’importance des fonds , une fois établie et démontrée, c’est une
conséquence nécessaire, qu’ils ne pouvoient etre vendus par la for
mule du simple placard, qu’il falloit sous peine de nullité absolue
«t radicale embrasser la voie de la'saisie réelle. L e citoyen Bergier,
consulté dans cette affaire, sans l’envisager sous toutes les faces qu’ello
présente , rapporte qu’un jugement du tribunal de cassation, rendu
au mois de floréal l’an deux ,‘ contre le citoyen Demay , notaire à
C lerm ont, en faveur de particuliers d’Aigueperse, a cassé un arrêt,
du parlement de Paris de l’année 1790 , par lequel une saisie et
vente sur placard des biens des mineurs Hybanil, poursuivie au bail
liage de Montpensier avoit été confirmée. Le moyen de cassation a
été tiré de ce que les mineurs ne peuvent être dépouillés de leurs
-propriétés par la vente forcée, autrement qu’en observant toutes les
formalités e lle s lenteurs salutaires du décret , établies par la loi
municipale qui .nous régît; que les ventes sur placard peuvent bien
être autorisées contre les majeurs, mais non contre les mineurs, sur
tout lorsque les. biens sont de quelque importance. Ladjudication
dans 1espèce de ce jugem ent, ( c’est toujours -Bergier ,^lu* P^i'le ,
�■et qui parlera jusqu’au premier alinéa ) avoit été faite A quelque cliose
de plus de deux mille francs, comme dans l’adjudication des biens
des mineurs Garnier qui ne sont pas dans des circonstances moins
favorables que les mineursHybanil. Le jugement du tribunal de cas
sation rend tranchant et décisif le moyen de nullité , résultant de
ce que l’on a pris la simple; voie du placard pour parvenir à une
vente précipitée , d’un objet démontré en valeur de plus de deux mille
livres, puisqu’il l’a été à deux mille soixante-dix, quoique vendu
ù vil prix. Ce taux de deux mille francs est celui que le règlement
de i 658 avoit fixé pour les ventes faites à la barre sur trois publi
cations et affiches;.que l’usage ait pu l’élever au delà , à l'égard des
majeurs, à la bonne lieure; mais faut-il s’y tenir strictement à l’égard
des, mineurs dont les intérêts sont presque toujours mal défendus par
leurs administrateurs ; leur, sort ne peut être livré à l’arbitraire, il
ne dépend que de la lo i, et toutes les fois qu’on s’en est écarté, le devoir
des tribunaux supérieurs est d’en ramener l’exécution.
, J/estiination judiciairement ordonnée , devoit précédez* l’adjudica
tion; c’est encore un de'ces principes universellement adoptés. D e
tout temps en France, ou du moins depuis que nous sommes gouver
nés par des lois stables, la voie pour dépouiller les propriétaires d’im«meubles par l’effet des hypothèques, fut la saisie réelle : ce n’est que
peu avant la rédaction de la coutume, que s’est introduite , non pas par
quelque loi, par quelqu’ordonnance, mais par le simple usage, la for
mule fies, ventes sur placard ; les* tribunaux jugèrent convenable de
simplifier les formes-, lorsqu’il ne s’agissoit que d’immeubles de peu de
videur ; mais pnqore le placard né laissa pas que de conserver quel
ques formalités essentielles, telle que l’estimation préalable Tlorsqu’il
fut question de biens de mineurs. Elle est, dit Chabrol, le seul moyen
de faire eonnoîlre la juste valeur des immeubles , qu’il s’agit de faire
vendre; d’empêcher que les mineurs ne soient trOmpés et lésés; car
lorsqu’il est-question de la vente d’immeubles appartenans à des mi
neurs,-l’on y regarde de près; peu de personnes veulent courir les
.chances qu’elle présenté; ces fonds sont presque toujours vendus à
vil prix : l’espèce présente en offre un exemple frappant. La formalité
de l’estimation judiciaire est si essentielle , que quand même le juge et
la famille sentiroieut la nécessite absolue de vendre, ils n y pourroientconsentir , avant que les immeubles n’eussent été judiciairement éva
lués. Un jugement du premier floréal an 3 , rendu au tribunal du
P u y , sur un appel de sentences d’adjudication de la ci-devant justice
de Roses, ancien ressort de R iom , des 24 août 1775 et r 5 septembre
1778, a annuité les adjudications, uniquement parce qu'elles n’avoient
�point été précédées d’estimation d’experts. L ’on ne fit valoir que ce seul
moyen, et il fut jugé ainsi d’après un acte de n o t o r ié t é du barreau ac
tuel de cette ville , qui est visé dans les motifs du jugement......Il n’y
a pas encore trois ans que l’on déféra au corps législatif un jugètnent
du tribunal de cassation qui venoit de casser un arrêt du parlement de
'Nancy , lequel a voit confirmé une adjudication de biens de mineurs sans
estimation judiciairement ordonnée. Les pétitionnaires se plaignoient
du mal juge du tribunal de cassation , en disant que la coutume de la
ci-devant Lorraine, norddnnant point cette formalité, le pax-lement
de Nancy ne s’étoit point écarté de la loi municipale ; le conseil pa&a
à l’ordre du jo u r, motivé sur ce que le tribunal de cassation s étoit ren
fermé dans les termes d’une jurisprudence constante et uniforme dans
toute la F rance, en cassant un arrêt qui avoit confirmé une adjudication
de biens fonds de mineurs, sans queljé eût été précédée d une eŸalna;
tion d’experts.
•
•
'
f :
J" \t ,LesDosroux diront, sans doute , que’lès fonds l o r s de l’adjudtceftioii
étoient en mauvais état, que tel est le résultat du procès verbal dressé
lors de leur prise de possession, et qu’à Tépoque d e s partages en 1754,
la masse des biens composant la communauté , e t ’ d a n s laquelle Michel
G arnier, père des mineurs, n’àmendoit g u è r e a u - d e l à des deux cin
quièmes, ne fut évalué par les copartagèans que trois'mille francs, et
qu'après ces données, l’on pouvoit se dispènser de l'estimation.
'
Je conviendrai volontiers, parce qu’un des premiers devoirs de
l’homme est d’être vrai; je conviendrai que les vignes purent être
négligées depuis la cécité de M ichel Garnier, et pendant l’enfance
, de ses: fils; mais ses autres fonds ne souffrirent point, ni ne'purent
souffrir de cet accident. Les terres labourables, p o u r‘rester en friche,
ne perdent pas pour cela de leur valeur; l’intervallè d’inaction leur
donne au contraire un nouveau degré de fécondité pour l’avenir.
Ce sont de ces vérités universellement connues des hommes tant soit
peu versés dans les matières d’économie rurale. Les prés étoient af
fermés; o r , le fermier n’étoit pas homme à négliger l’entretien,
l’arrosement ; l’on connoît combien le mobile de l’intérêt personnel
a de force et d’ascendant sur nos petites âmes. D ’ailleurs','le procès
verbal de prise de possession, postérieur à l’adjudication , n est qu’un
chilïon méprisable; il est fait sans contradicteur; il est nul comme
suite de jugemens nuls, et d’une expropriation nulle. C ’étoit avant,
et non après la ven te, qu’il falloit faire constater, non seulement
1 état des biens , mais encore leur valeur ; la précaution des adjudica
taires fut trop tardive ; elle ne fait que mieux r e s s o r t i r 1 insouciance
d u u juge, q u i, dans l’abandon où il voyoit les mineurs, devoit par
�humanité , par principe seul de conscience, prendre leur défense..
Quant à l’évaluation amicale et volontaire faite lors des partages
,en 17 5 4 , cest le comble de l’absurdité, de s’en faire un m oyen: il
est de notoriété publique, que dans ces sortes d’actes, les parties
contractantes ne se piquent point d’exactitude , ni sur l’étendue ,
ni sur la valeur de leurs biens; pour plusieurs raisons: d’abord ,
parce quelles n’y sont point obligées ; en second lieu, parce qu’elles crai
gnent les droits d’enregistrement, et qu’elles regardent comme un dé
faut de prudence, de donner trop de.lumières.sur leur fortune. Ces
précautions sont c o m m u n e s aux citadins et aux habitans des campa
gnes. A u dem eurant, les mineurs Garnier - Lombard avancent
comme un fait constant, comme un fait de notoriété publique, que
leurs héritages* à l’époque de, l’adjudication, valoient quatre fois plus
qu’ils n’ont été vendus, et que depuis,-ils ont augmenté d’un tiers.
Si l'on mettoit en 'fait, dit Chabrol, tome 3 , page 373., sur l’appel
d’un placard; >.ciue les biens valoient une somme très-supérieure à la
fixation du règlement de i 6 58 , il seroit-indispensable d’ordonner
après coup u n e estimation d’experts; et cependant, ce célèbre juris
consulte ne qonsidéroit en cet endroit la formule des ventes sur
p la c a r d ., que çonuue faite sur'des majeurs.,. ’
‘
La confection de l’inventaire, , sa,présentation., îa discussion, la-'
vente du mobilier-, un.compte quelconque, ou.du moins un procèsverbal de carence : tout cela devoit. précéder la saisie, et l’adjudication.
L ’omission de ces formalités impérieusement prescrites, est encore uneautry nullité radicale et irritante: l’on dira sans doute, que le tuteur
a été sommé de payer; mais que sa réponse, a été négative,, que
Michel Garnier., en mourant., ne laissa point de mobilier, que conséquemment toute discussion devenoit inutile ; mais le fait seroit-il
v r a i, il faJloit du moins l’établir d’une manière légale; il falloit
faire rapporter un compte quelconque, ou un procès verbal.de
carence; chose bien diilicile, le prétendu tuteur ayant disparu du
p a y s - au commencement de 1 instance ,
pour n’ayoir pas à se repro
cher d'avoir concouru a la ruine , a la spoliation de ses frères et
pccurs.........Mais encore, a qui fera-t-on croire qu’un propriétaire d’urt
domaine, d’un vignoble assez conséquent, etquivivoit chez lui avec sa
femme et ses enians r n’avoit aucune espèce de mobilier, pas même un
l i t , pas même une chaise, pas même un tonneau: qui prouve trop ,
n e éprouve ordinairement rien.; 1 W ajoutera , parce que les plaideurs
de mauvaise fo i, et sur lesquels pèsp upe-grande responsabilité, res
semblent assez aux personnes qui , lancées et précipitées dans un
g mlIYe , ou entraînées par un t o r r e n t s ’accrochent à toutes les »a-
�cines, à toutes les branches qui tombent sous leurs mains ; Ion ajou
tera que du décès cle Michel G arnier, arrivé en décembre 1774?
aux premiers jours de janvier 1 7 7 5 , époque des premières pour
suites dirigées contre ses enfans, il ne s’écoula qu’un mois; que dans
un si court intervalle il ne put y avoir ni recette, ni dépense, par
conséquent point de reddition subséquente de compte.
E h ! c’est précisément cette précipitation inouie , cet acharnement
sans exemple qui décèlent et ca ra c té ris en t l’ouvrage de la passion hai
neuse du créancier poursuivant la saisie; célibataire opulent, envi
ronné de tous les genres d’importance, nageant au milieu de toutes
les délices de là vie , n’ayant absolument d’autre besoin que celui de
se défendre de l’ennui, ee poison assassin , ce v e r rongeur des désœu
vrés. Tantilest vrai que les germes delà sensibilité se dessèchent au sein
de la prospérité et de l’abondance, et que ce n’est que par le ressou
venir de nos propres infortunes que nous apprenons a partager le3
peines d’autrui; c’étoit le langage d’une reine fondatrice d un empire,
et qui pensoit que rien de ce qui intéresse l’humanité ne lui était étran
ger. Non ignara jnali miser is suecurrere disco.
_
L ’adjudication du 31 août 17 7 5 , est une contravention formelle
aux articles i 5 , 16, 17 et 18 , du titre 24 de la coutume. L article
porte que les criées ou publications se feront à jours certains et dé
terminés, sans que l’on puisse les prolonger, ni abréger , parcequ en
fait de saisie , tout est de rigueur. Article 16 , du jo u r de la sa isie , à
Ici première enchère , il y aura quinze jours ÿ art. rff, du p rem ia ’
péremptoire au second, du s e c o n d au tie r s, du tiers au q u a r t, a
chacun d'iceux quinze jours. D ’H éricourt, sur la vente forcée des
immeubles , page 131. En Auvergne les criées se font de quinzaine
en quinzaine. Ce jurisconsulte si souvent cité d it, tom. 3 , page 365 ?
« Prohet avance que l’ordonnance est générale, et qu’elle exige le
« délai de quinzaine : il s’est trompé , l’ordonnance ne fixe point de'
«délai, cela dépend des usages; e n Auvergne on exige le délai de
« quinzaine, il se pratiqueponctuellemént, parce que les ordonnances
« n’ayant point dérogé à la coutume en cette partie, il iaut n e cessai-
« rement s y conformer » ; la loi est encore plus impérieuse, s il s agit
de la vente des biens de mineurs. O r , le procès verbal de ladjudi«*cation dont il s’agit, atteste que toutes les remises et publications fu-
rent de huitaine en huitaine. Cette nullité seule a été décisive dans
une instance en 1779. L e citoyen Grimardias, négociant à Marrngues, avoit fait saisir et vendre sur placard, une petite m a is o n ap
partenant aux mineurs M arogot, de la même ville; les remises connue
dans l’espèce présente, avoieut été de huitaine en huitaine, ladjudw
�cüUüii
Fut déclinee nulle , plaidant le citoyen Grenier pour les mi
neurs. Grimardias se pourvut sans succès au parlement de Paris"
Tels sont les griefs et les moyens sur lesquels les Garnier-Lombard fon
dent leur appel ; il ne reste plus maintenant qu’à examiner s’il ne s’é
lève point contr’eux quelque fin de non recevoir; Tonne doit jamais
perdre de vue le proverbe du barreau, qui ne prouve que trop souvent
que la forme emporte le fond.
“
Les décrets, saisie et adjudication dont il s’agit sont de 1775 ■il faut
donc les considérer d’après les formes établies dans l’ancien ordre
judiciaire, et aux termes de la jurisprudence qui était alors en
vigueur. Les juges ne .peuvent et ne doivent juger que d’après la
loi existante, et la loi ne sauroit avoir un effet rétroactif • ce prin
cipe consacré de tous les temps chez les peuples policés l’a été
dernièrement dans la déclaration des droits de l’homme • cette maxime
posée , le raisonnement suivant se présente naturellement à l’esprit
Les ventes des biens sont, ou volontaires ou forcées; les ventes
volontaires sont du droit naturel ; elles se règlent d’après les principes
de ce droit; la chose, le prix et le consentement des parties'en cons
titu en t l’essence \ elles ne connoissent pas d’autres caractères essentiels •
les ventes forcees ou ventes judiciaires tiennent du droit positif ou*
purement c.vi . Les formalités que la loi a prescrites pour leur vali
d ité , sont de 1 essence de ces sortes de ventes. Les nullités dans les
ventes son t, ou relatives, ou absolues et radicales ; un mineur par
exem ple, vend ses immeubles sans décret du juge , sans assistance
de curateur ; une pareille vente est nulle sans doute. La nullité est
prononcee par la loi municipale ; mais cette nullité n’est point absolue,
elie nest que relative; elle résulte de la foibfcsse de son âge, ou
plutôt de sa raison. Il y a bien , de la part du mineur, une espèce de
consentement; mais ce consentement est imparfait ; il ne se trouve
point accompagne de cette présence d'esprit, de cette maturité de
jugement si nécessa.res à la validité d’un engagement quelconque
Sl1« ™
laî?fe Passer dl.x
sa majorité,sans réd a
mer contre lacté qu il a cousent!, étant encore dans les liens de la
m inorité, 1 ordonnance de i 5 39
postérieure à la rédaction d , la
coutume , le déclare non recevable , parce que la loi suppose avec
raison , que dans 1 intervalle de dix ans il a pu m û r e m e n t réfléchir
sur ce qu il a précédemment fait, et sur les suites de son inexpérience son silence annonce un consentement bien prononcé , b ie i caracté
risé, une vraie quoique tacite approbation de la vente qu’ il a con
sentie ; et c’est en ce sens que l’on dit que les mineurs après trentecinq ans, ne sont plus recevables à se pourvoir contre les ventes de
�leurs immeubles : mais il n’en est pas ainsi des ventes forcées, des
ventes judiciaires. Un juge autorise la saisie et l'adjudication d’un
immeuble de vingt: mille francs, et ce par la formule du placard ,
même sur des majeurs ; cette vente sera certainement nulle de nullité
absolue. Pour dépouiller les propriétaires de leurs immeubles, quand
ils sont très - considérables, la loi a établi un mode , une manière de
procéder à ces sortes d’expropriations ; ce mode consiste en formalités
multipliées ; ces formalités sont de l’essence des jugemens qui inter
viennent ; leur inobservation est une vraie contravention à l’ordre
judiciaire établi en pareille circonstance. Pour ne point nous écürter
de l’espèce présente , le châtelain de Thiers a décrété et adjugé le
domaine appartenant aux Garnier-Lombard , pour la modique somme
de deux mille soixante-dix francs : or, il est de notoriété publique , que
ce domaine , à l’époque de l’adjudication, valoit quatre fois plus : la
formule du placard ne ponvoit donc être embrassée pour l’aliénation
forcée de cet immeuble ; le juge est donc contrevenu au mode de
procéder, â l’ordre judiciaire ; son jugement est donc nul.
.Le prix même de l’adjudication , quelque vil qu’il ait été , surpasse
lé taux fixé par. le règlement , et au delà duquel les immeubles des
mineurs ne peuvent être adjugés , ni à la barre sur affiches et publi
cations , ni sur placard ; c’est encore une contravention à l’esprit,
a la lettre même de la loi..... Les publications et remises ont été de
huitaine en huitaine, mais la loi vouloit impérieusement quellesfussent de quinzaine en quinzaine ; autre nullité absolue et radicale :
o r , les nullités absolues, les nullités qui tiennent à l’esserice des
contrats , les nullités qui résultent de contraventions à quelque loi
à quelque ordonnance,à quelque règlement, ne peuvent se couvrir
que par le laps de trente ans. Un jugement nul ne passe en force de chosejugée, qu au bout de ce temps: tels sont les principes du droit fran
çais, telle a été la jurisprudence constante des tribunaux. Les Garnier
Lombard seroient donc fondés à se pouvoir la trentième année après
leur majorité, contre les jugemens qui les ont dépouillés: mais ces
^noyens, quelque tranchans , quelque décisifs qu’ils soient, deviennent
ici superflus; cette conséquence naît du rapprochement que l’on fait
des différentes époques de leur naissance, à celle où ils se sont
judiciairement pourvu.
„ Marie G arn ier-L o m b ard , l’aînée des quatre m ineurs, née le 6 ’
vrier l ’jô'j , étoit âgée de dix-huit ans , à l’époque de l’adjudication;
majeure en 1782, elle s’est pourvue en décembre 17 9 1, neuf ans après
ea majorité.
Michel G arn ier-L o m b ard , né le- î 8 ‘ février t r] 6 o > uSe de l 5
�mis ¡\ l’époque du décret, majeur en iy 8 5 , s’est pourvu six ans
a p r è s sa m a jo rité .
M agdelaine, la jeune, femme à AntoineChalard, née le 24 août
17633 âgée de douze ans lors de l’adjudication, majeure en 1788,
s’est pourvue trois ans après sa majorité.
Elisabeth , née en 1765 , âgée de dix ans à l’époque de l’adjudica
tion , majeure en 1790, s’est pourvue un an après sa majorité ; or,
une partie qui se croit lésée par une sentence, a dix ans entiers pour en
interjeter appel, si elle n’y a point acquiescé ; et ce délai de dix ans
ne commence à courir que du jour de la signification du jugement.
L ’article 17 du titre 27 de l’ordonnance civile , porte que les sen
tences n’auront force de chose jugée qu’après dix ans, à compte*1 du
jour de la signification. Jousse, en expliquant le texte de la lo i,
ajoute ; « cette signification doit être faite au vrai domicile de la
« partie •, ca r, si elle avoit été faite au domicile du procureur ou
a à un domicile élu , par un acte passé entre les parties, elle ne pour« roit opérer la fin de non recevoir qu’après trente ans 5 mais ce
« terme de trente ans est fatal » ; or , il n’a jamais été fait de signi
fication des jugemens dont il s’agit, au domicile des mineurs Garnier ;
ils n’ont jamais eu une connoissance légale de ces jugemens. Les
adjudicataires eux-mêmes, dans leur requête du 3 juillet 1792, en con
viennent de la manière la plus loyale , la plus franche , en disant q u e,
si les mineurs avoient connoissance des titres en vertu desquels eux
Dosroux jouissent, ils se départiroient de leur demande en désiste
ment , (ce sont leurs propres expressions ) ; ainsi, les mineurs Garnier,
n’eussent-ils entamé aucune procédure, il ne s’élèveroit contr’eux
aucune fin de non recevoir, et l’appel qu’ils interjetteroient en ce
moment à la barre du tribunal, seroit aussi bien fondé que l’instance
commencée.en Ï791 ,’ ils sont même à l'abri de la péremption d’ins
tance , parce que la péremption ne peut avoir lieu sur une sentence
par délàut qui n’a point été signifiée ; ces principes s’appliquent aux
majeurs comme aux mineurs. En supposant même que les sentences
du châtelain de Thiers eussent été confirmées, d’abord en la sént%
chaussée d’A u vergn e, puis au parlement de Paris, lesmineurs Garnier
n’en seroient pas moins recevables à se pourvoir contre l’arrêt rendu
à leur préjudice, parce quencore un coup ,, un mineur devenu
jimjeur est fondé à attaquer un jugement en dernier ressort rendu
contre lu i, tant qu’il ne lui a pas été signifié à personne ou domi
cile depuis sa majorité ; c’est ce qui résulte littéralement de l’article
cinq du titre trenle-cinq de l’ordonnance sur les requêtes civiles.
L e nouvej ordre judiciaire, en, Je supposant applicable à l’espèce , ce
qui
�qui ne peut ê tre, ne seroit pas plus favorable aux adjudicataires que1
l’ancien ; la loi du mois d’août 1790 , en prononçant la déchéance
de l’appel trois mois après la signification, ne parle que des jugemens
contradictoires. Les jugemens par défaut restent dans les termes de
l’ancienne jurisprudence , parce qu’en bonne logique, inclusio unius
est exclusio ulterius : d’ailleurs, la loi du mois d’août 1790 ayant
■pour objet d’accélérer le jugement des procès, et non pas d’assassiner
les parties , ne déroge point à l’ordonnance en ce qui regarde la
signification des jugemens j elle veut également qu’elle soit faite
à personne ou dom icile, pour les mêmes raisons, pour les mêmes
motifs , afin que les personnes intéressées ne soient point surprises,
jqu’elles puissent se pourvoir à temps. L a précaution même est
d’autant plus nécessaire, que les délais sont plus courts, et que les
dangers du retard augmentent en proportion. Les adjudicataires ne
peuvent exciper de la copie qu’ils ont fait donner le 3 juillet 1792
au défenseur des Garnier-Lombard ; cette espèce de signification doit
être regardée comme non avenue, parce qu’elle ne remplit point le vœu
de la lo i, que d’ailleurs elle est postérieure de six mois à leur demande
introductive d’instance, et antérieure seulement de trois mois a leur
appel.
. . .
.
■En ne parlant que des mineurs dans le cours de cette plaidoirie , il
sembleroit que j’abandonne entièrement la cause du tuteur leur frère
et leur cohéritier ; mais je suis bien éloigné de cette indifférence pour
un malheureux qui a les mêmes droits, qui inspire le même in térêt, et
dont l’infortune excite le même degré de sensibilité. Pour montrer jus
qu’où va ma confiance en la bonté de sa cause, je commence en l’intro
duisant isolément sur la scène, par mettre à l’écart cet échafaudage dé
goûtant de procédures qüe la force des'circonstances a amenées depuis
1791 jusqu’aujourd’hui. Jean G arnier-Lom bard, majeur, se présente
sous les rapports d’un homme qui n’a encore élevé aucune réclamation
contre le jugement qui l’a mutilé , mais pas encore dévoré et digéré. Il
se présente sous les auspices et sous l’égide de Pothier, autorité vraiment
respectable , et que l’on ne me disputera sûrement pas valoir moins que
celle des légistes que la révolution a fait subitement éclore, et avec
autant de profusion , que Ton vit naître jadis de sauterelles en Egypte.
:^ Pothier, dans son excellent traité des obligations, tome 2 , page 4^4 j
Ion ne fait ici que répéter ce qui a déjà été délvelopé : « Pothier dit
que , d’après les principes du droit français, un majeur qui se trouve
■lésé par une sentence même contradictoire, a dix ans entiers pour se
pourvoir par la voie de l’appel, à moins q u ’ il n y ait formellement ac
quiescé, et que ce délai de dix ans ne commence à c o u r ir contre lui, que
G
�. ^ 1(5 *------ .------.
du jour de la signification qui lui en a été faite à personne ôudom cile;
or , les pièces du procès déposent que Jean Garnier-Lombard n ’a reçu
jusqu’il ce jour aucune notification légale de l’adjudication du 31 août
1775 , et de la sentence de subrogation du 2 septembre suivant.
Ne pouvant m’assurer entièrement de la vérité par la lecture de la
copie informe et illisible que les adjudicataires en ont fait donner le 3
juillet 1792, j’ai parcouru moi-même les registres du bureau des con
trôles de Thiers , et je n’y ai aperçu aucune trace de signification faite
à Jean Garnier-Lombard depuis le 31 août 1775. D e là , je conclus que
ces jugemens monstrueux, ces jugemens spoliateurs , furent mis à exé
cution sans avoir été signifiés aux parties intéressées; démarches aussicriminelles qu’audëcieuses, et dont on ne donna l’exemple scandaleux,
que parce que l’on sàvoit n’avoir à faire qu’à une famille écrasée sous
le poids du malheur , dépouillée de tou t, sans défense, sans soutien, sans
appui quelconque. O justice ! justice ! tune fus donc souvent sur la terre
qu’un vain nom pour les misérables.
J ’oubliois de fixer l’attention du tribunal sur une circonstance qtri
ajoute encore à cette longue chaîne d’irrégularités qüe je viens de par
courir.
.
.
.
MicheljGarnier-Lombard laissa en mourant six enfans, deux majeurs
et quatre mineurs. Ilne s'en trouve cependant que cinq figurant dans
ce procès que j’appellerois volontiers farce judiciaire, si le ton comique
convenoit ic i, et s’il s’agissoit d’intérêts moins importans.
L e décret du 16 mars 1775 porté : V u Tassignation donnée à J ea n
G arnier-Lom bard, tarit en son nom -personnel, comme héritier en
partie de M ich el son père , qu'en qualité de tuteur de sesfr è r e s et
soeurs. O r , ceux-ci, ainsi qu'il a été répété plusieurs fois, n’étoient
que quatre : M arie, M ichel, Magdelaine la jeune, et Elisabeth. L ’on
ne mettra pas sans doute au nombre des mineurs Magdelaine, l’aînée de
tous les enfans, néele ôjjanvier 1747, vingt-un mois avant Jean son frère,
'-qui est du 12 octobre 174 7, ayant atteint sa vingt-huitième année à
l’époque de l’adjudication, et qui depuis plus de quinze ans , étoit sortie
de la maison paternelle que l’on devoH,par conséquent, assigner comme
fille majeure , et au domicile qu’elle s’étoit donné.
L e même décret déclare exécutoires contre Jean Garnicr en son
nom personnel, cortune héritier en partie et en qualité de tuteur
de ses frères et sœurs, les jugemens rendus contre M ich el, père com
mun * il autorise le créancier, à faire saisir et vendre sur placard, tous
les biens fonds appartenons tant au tuteur défaillant q u ’il ses pu
pilles • ( ce sont les termes du dispositif). Le procès verbal d’adjudi
cation ne parle1que des biens saisis sur Jean Garnier-Lom bard, tant
�<en son nom personnel comme héritier de son père , que comme tuteur
de ses frères et sœurs ; Ton ne parle par-tout que du tuteur et des mi■neurs , il n’est question nulle part de M a g d e la in e fille majeure. La
procédure d’ un bout a 1 autre lui est étrangère, elle n’est appelée à
aucun acte , à aucun jugement; l’on est encore à lui faire signifier la
sentence qui lui a ravi ses biens ; les choses sont aussi entières à son
égard, qu’elles fêtaient au décès de son p ère, et le créancier, pour
exiger d’elle le payement de sa quote-part des dettes du défunt, seroit
forcé de faire déclarer exécutoire contr’elle , l’arrêt rendu contre M i
chel en juin 1774 , et néanmoins l’adjudication du 31 août 17 7 5 , com
prend l'universalité de la succession de Michel Garnier - L om b ard ,
et par conséquent la portion héréditaire de Magdelaine l’aînée, mé
connue dans tout le cours du procès : ce qui achève de démontrer que
le créancier poursuivant, le procureur griffonnant, le juge adju
geant , les adjudicataires recelant, agissoient tous sans examen , sans
xéflexio n , sans connoissance ; qu’ils ne s’informoient même pas du
nombre des enfans, qui composoient la famille de Michel Garnier.
t-es infortunés furent jugés, condamnés, dépouillés en masse, à peu
près , comme cela s’est postérieurement pratiqué sous le régime glo
rieux de Robespierre, et sous la jurisprudence bienfaisante des tri
bunaux révolutionnaires.
Je ne m arrête point sur la restitution des jouissances ; elles sont dues
par les adjudicataires comme suites de leur indue et illégale dé
tention.
Helvétius , dans son traité de l’hom m e, rapporte qu’il existe sur le
globe une contrée, où'les juges avant de s’asseoir sur leurs sièges, com
mencent par plonger leurs têtes dans des cruches pleines d’eau. Cet
usage est bizarre sans doute ; mais un pays où les cruches elles-mêmes
se mêloient de servir d’organes à la justice, de prononcer sur le sort
«es citoyens , présentait un phénomène bien plus surprenant.encore;
cette réflexion s est présentée plus d’une fois à mon esprit dans le
cours de cette plaidoirie.
>.
R É S U M É .
'
Le tuteur n’a point assisté ses pupilles , ou plutôt les pupilles n’ont
point eu de tuteur; ce n’est point le nom qui fait la chose, ce n’est
-pomt^la nomination matérielle qui fait réellement le tuteur; ce sont
es isoins , ce sont les secours , ce sont les fonctions ; là où il n’y a point
c,u e fonctions de tutelle , on peut dire qu’il n’y a point eu de tuteur:
au reste il est démontré que la nomination de Jean, faite en quelque
G 2
�sorte à son insu et contre son gré , avoit moins pour objet la défensede ses cohéritiers , que de servir de prétexte à leur spoliation. Le pro
cureur fiscal de la châtellenie deTliiers , n’a point suppléé au défaut
du t u t e u r , d’après le voeu de la loi ; il n’a comparu ni au décret, ni à
l’adjudication , ni à la subrogation: le juge n’a été ni plus attentif ni
plus vigilant; les mineurs n’ont donc point été défendus, i eie nullité.
Les biens adjugés étoient trop conséquens pour être vendus p arla
simple formule du placard, la saisie réelle étoit nécessaire et indis
pensable, 2e. nullité.
•
Le prix de l’adjudication tout vil qu’il ait été, eu égard à la valeur
des biens, surpasse le taux fixé par l’arrêt de règlement de i 658 ,
3e. nullité.
#
t
II n’y a point eu de discussion mobiliaire, point de présentation d'in
ventaire , point de com pte, point de vente de meubles, point de procès
verbal de carence , 4e nullité.
L ’adjudication n’a point été précédée d’estimation d’experts nom
més judiciairement, 5 e. nullité.
■
Les publications et remises, au mépris du texte formel de là cou
tume , ont été de huitaine en huitaine, 6e. nullité.
L ’adjudication comprend la portion .héréditaire d’une des parties
qui n’a point été appelée en cause, 7e. nullité.
Il ne s’élève point de fin de non recevoir contre les appelans; tous
tant majeurs que mineurs, sont encore recevables à attaquer la sen
tence d’adjudication du 31 août 1775 ; la péremption même d’instance
ne peut avoir lieu contre eux sur un pareil jugement qui est par dé
faut, et qui n’a jamais été signifié.»
- 1
Si d’apres ce résum é, qui est le résultat fidèle des pièces du procès ,
la cause des Garnier-Lombard laisse encore des doutes dans les esprits,
je serai tenté de m’écrierv..... H ne nous reste donc plus maintenant
qu’à jeter au feu tous les livres de jurisprudence, comme autant de
monumens élevés à la honte de la raison humaine; comme autant
d’archives d’opinions erronées et contradictoires: quelle cruelle situa
tion , grand Dieu ! pour un homme de bien , pour un homme qui
cherche de bonne foi la justice et la.vérité , de ne pouvoir marcher
qu’à travers des ténèbres perpétuelles , de ne pouvoir surnager dansu n e mer de tant d’incertitudes > et dans. un Océan dotant d’obseuriLés.
P . S. L ’on se demandera sans doute comment l’on a pu accumu
ler tant d’irrégularités, tant de contraventions, tant d’injustices dans
une cause concernant des rnineurs....- Ceux qui ont connu de près
les justices seigneuriales x 1 influence q u y ayoient presque toujours
�le commérage , le chapitre des petites considérations, ne se feront point
une question semblable : au reste , la plupart de ces sièges subalter
nes , loin de ressembler aux sanctuaires augustes où la justice et la
vérité, bannies en quelque sorte du commerce des hommes, trouvoient à respirer librement , ne préscntoient que des tableaux de
repaires d'iniquités, où des vautours sans pudeur et sans honte ,
s’occupoient à dévorer les malheureux plaideurs, plutôt qu’à défendre
la cause et les intérêts des opprimés ; espérons enfin que les sources
de ces abus tariront insensiblement; l’aurore d’un jour calme et serein
commence à éclore sur un horizon qui dans le cours de bien des
années n’a vu que des tempêtes. Depuis dix ans sur-tout, je me
répète depuis dix ans , le vaisseau de l’état lance sur ce vaste Océan
des grandes passions , par la plus impérieuse de toutes les lois , la
nécessité, se trouve sans c e s s e balotté, agité , tourmentépai^ le délire
de l’ambition, par les calculs de l’intérêt, par l’audace efïrenee delà
démagogie, et par tous les caprices de la fortune ; Ion ne peut
reporter en arrière sa pensée , sans éprouver les sentimens les plus
pénibles et les plus douloureux: combien de fois navons-vous pas
ressemblés à ces marins , qui au milieu d’une tourmente furieuse,
meme à la vue de la terre , même à l’approche du p o r t, tantôt
élevés sur la surface des eaux, tantôt submergés dans les abîm es,
flottant entre la crainte et l’espérance, ne sont occupés que d’un
seul sentiment, que d’un seul désir, celui de gagner le rivage à
quelque prix que ce soit ; a b a n d o n n a n t sans regret ù la merci des
îlots , des richesses , des trésors qui , dans des temps de calme ,
faisoient tous leurs délices, toutes leurs jouissances, et nourrissoient
toutes leurs affections. A u milieu des ravages et des débordemens de
l’immoralité qui nous dévore encore , il nous reste du moins la
consolation de m êlera nos tristes ressouvenirs , l’impression profonde
de ces grandes, de ces importantes vérités ; que si les empires s’é
tablissent par la force et par le courage, ils ne peuvent s’afferm ir,
se consolider et se perpétuer, que par le règne de la justice.
^
^ L ’on ne désaprouvera pas sans doute, ces légères discussions; j’ai
imité l’exemple des personnes qui se présentent pour la première fois
dans une assemblée brillante; elles y paroissent sous une toilette pins
recherchée que de coutume, puis elles y reviennent sous le u r parure
et leur simplicité ordinaire: c’est un luxe de circonstance ; d’ailleurs,
cest soulager un peu l’im agination, que de parsemer de quelques
fleurs factices , un champ où il n’en naît q u e rarement de naturelles.
_
D E S A P T , jurisconsulte cwant 1 7 9 0
et depuis vendémiaire an neuf.
,
�C O N C L U SIONS.
A ce qu'il plaise au tribunal, attendu que les mineurs n’ont point
été défendus, attendu que les biens fonds adjugés étoient trop conséquens pour être vendus par la formule du placard; attendu que le
prix de la vente excède le taux fixé par l’arrêt de règlement de 1 658 ;
attendu qu’il n’y a eu ni discussion m obiliaire, ni procès verbal
de carence ; attendu que l'adjudication n’a point été précédée d’es
timation d’experts n o m m é s judiciairement; attendu que les remises
et publications ont été de huitaine en huitaine ; attendu que la sen
tence d’adjudication comprend la portion héréditaire d’une des parties
qui n’a point été appelée en causé ; attendu qu’il n y a point eu de
notification légale des deux sentences d adjudication et de subro
gation; dire et juger qu’il a été bien appelé, nullement et abusive
ment décrété , saisi et adjugé; déclarer nuls et de nul effet, tant
le décret du 16 mars 1 7 7 5 q u e l e s sentences d’adjudication et de
subrogation des 31 a o u t et 2 septembre suivans, et tout ce qui les
a précédés et suivis. Condamner en conséquence les adjudicataires in
timés à se desister en faveur des appelans , des fonds et héritages
qui ont fait l’objet de l’adjudication, à leur rendre compte des jouis
sances et des dégradations depuis leur illégale détention, à dire d’ex
perts, et aux intérêts du tout, et aux dépens, sous toutes réserves.
A R I O M , D E L’I M P R I M E R I E D E L A N D R I O T , rue des Taules.
�
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Factums Marie
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<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
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Title
A name given to the resource
[Factum. Magdelaine, Jean. An 9?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Desapt
Subject
The topic of the resource
créances
successions
communautés familiales
Description
An account of the resource
Plaidoyer pour Jean, Michel, Magdelaine l'aînée, Marie, Magdelaine la jeune, et Élisabeth Garnier-Lombard, cultivateurs ; contre Jean Dosroux, Michel Garnier, propriétaires cultivateurs, demeurant au lieu des Garnier, commune de Thiers. De la cause le citoyen Vidal de Ronat, homme de loi, la citoyenne Anne Delots, son épouse. Le citoyen Chassagne-Dubost, propriétaire ; et la citoyenne Vidal de Ronat, son épouse, aussi demeurant à Thiers.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
de l'imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 9
1738-Circa An 9
1716-1774 : Règne de Louis XV
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_M0116
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Marie
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G1404
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/5/53657/BCU_Factums_M0116.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Thiers (63430)
Rights
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Domaine public
communautés familiales
Créances
Successions
-
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6417ed49c2fa30f27c002e5428bc73c4
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Text
P L A I D O Y E R
POUR
Jean , M ic h e l,
M a g d e l a i n e l’aînée , M a r i e ,
M a g d e l a i n e la je u n e , et E l i s a b e t h G A R N I E R L O M B A R D , cultivateurs
C O N T R E
i
,propriétaires
cultivateurs , demeurant au lieu des Garnier , commune
J e a n D O S R O U X , M ic h e l G A R N IE R
de Thiers.
D e la cause le citoyen V I D A L D E R O N A T , homme de loi,
la citoyenne A n n e D E L O T S , son épouse.
,
Le citoyen C H A S S A G N E - D U B O S T propriétaire ; et
la citoyenne V I D A L D E R O N A T , son epouse, aussi de
meurant à Thiers.
Q u e l q u ’ a c c o u t u m é que l’on soit à regarder d’un œil indifférent
les scènes bizarres et iniques que la cupidité renouvelle sans cesse sur
le théâtre du m onde , je doute que l’on puisse se défendre du senti
ment de la plus vive indignation, au r écit des manœuvres, des moyens
bas et honteux que l’on n’a pas rougi de faire servir à la ruine totale,
à l’entière spoliation d’une famille de cultivateurs.
D ’un c ô té , l’on voit un créancier inexorable, armé de tout l’ascen
dant que donnent le crédit et l’opulence, s’en prendre â de pauvres
orphelins, se venger sur des enfans, des prétendus torts qu’il impute à
la mémoire et aux cendres du père : de l'autre, c’est un juge sans pu
d eu r, qui par la plus lâche condescendance com prom et la sainteté de
son m inistère, abdique la plus honorable de ses fonctions, qui est de
�W
ru«
(
2
)
protéger le ioible et le m alheureux, appelle sur six têtes innocentes,
l’avilissem ent, l’o p p ro b re, le désespoir, l’assemblage enfin de toutes
les calamités inséparables de la mendicité et de la misère.
Il est certaines turpitudes qu’il conviendroit de couvrir du voile
le plus épais, de d é ro b e r entièrement aux regards de la m ultitude,
parce que le scandale qui les accompagne, offense l’honnêteté publique,
sans tourner i\ l'instruction de la société ; il.en est d’autrest qqe l’ojgt
ne sauroit trop répandre , que l’on nç.swroit. peindre sous: des cou
leurs trop prononcées , trop marquantes, pour que l’horreur qu'elles
inspirent devienne un frein salutaire , et serve de leçon dans la suite
pour q u ico n q u e seroit tenté de les faire revivre. C ’est d’après cette
dernière considération , que je njesqjs déterminé à publier la défense
des mineurs G a rn ier-L o m b a rd . Elle intéressera à coup sûr les âmes
sensibles et honnêtes , non pas par les cl,îarmes, le coloris, et la har
diesse du pinceau qui l’a tracée ; il y auroit présomption de ma
part à le penser ; mais parce que l’innocence aux prises avec le
m alheur est le spectacle le plus touchant et le plus instructif que
la D ivin ité puisse offrir aux hommes.
Dërnosthènes, lie prem ier de tous, lés orateurs , ne se présentait pres
que jamais ¿\ la tribune çans demander l’assistance des Dieu^x : met
tant à profit l’exemple d’un si grand m aître, mieux fondé que lui
à me défier de mes propi'es fprees, je commence par demander l’in
dulgence du tribunal. II y a. près de vingt an§, que j’ai perdu l’ha
bitude de discuter publiquem ent; ma m ém oire, mes autres fhcultés
intellectuelles, tout en moi doit se ressentir.de la rouille, suite iné
vitable d’une si longue inaction ; tout en moi annonce un champ
trop long-temps négligé* pour donner à cette première récolte des
fruits parfaits, des fruits propres à satisfaii'e les goiits fins et délicats.
F A I T S .
M ichel G arn ier-L o m b ard , père des mineurs qui im plorent au
jourd’hui la justice du tribunal, vivoit en société avec Jean Dosroux,.
son beau-frère ; leurs biens fonds étoient indivis , et s'exploitoient en
com m un; c’est un usage assez général aux environs de Thiers^ oit
il n’est pas rare de vo ir plusieurs familles même nombreuses réunies
de temps immémorial. L e 22 'janviei'1 1738 ,^il avoit été passé entre
M ichel G arnier-Lom bard, Jean. D osroux, et Gabriel Cottier, bourgeois
à T h ie rs , un tra ité, et le Ier. octobre 17 5 2 , un arrêté de compte, d’a
près lesquels ces deux cultivateurs s’étoient assujettis ;Ypayer à vJottier,
et à ses ayant - cause, une rente annuelle de ce n t-v in g t francs, au
�3
C
?
.
prîticipal de quatre mille. L é prêt, dit-on, provenoit de billets de la
banque établie sous la régence -, et c’étoit d’après cette cohsidération,
que l’intérêt se trouvoit à ün taux inférieur à celui déterminé par la
lo i; au reste l'origine de la créance est assez indifférente au procès,
il ne s’agit que de savoir si les héritages des m ineurs, ont été décrétés,
saisis , et adjugés valablement , et d’après les solennités prescrites par
les lois.
M ichel G arn ier-L om bard n’amendoit dans les fonds communs
qu’un tie rs, et le quart de l’autre tiers, quelque chose; de plus des deux
cinquièm es; par conséquent, sa quote-part dans lia dette, et la rente
constituée, n’étoit que de cinquante francs par année, et celle de Jean.
D osroux de soixante - dix. E n 1764 , deux années après l’arrêté de
compte dont je viens de p a r le r , les deux jjarens et consorts se sé
parèrent , et divisèrent leurs fondsl Peu d années après cette sépa
ration , M ich e l'G a rn ie r-L o m b a rd tomba dans la cécité ; accident
d’autant plus funeste, qu’il se trouva chargé de six eh fans presque tous
en bas-âge, et dont aucun ne pouvoit concourir fructueusement à
l’exploitation de ses fonds. Ce père infortuné,, privé de la faculté de
veiller h ses intérêts, laissa accumuler les arrérages de la rente qu’il
devoit ; et ce qui.servit ù a g g r a v e r -l’artiertume de sa situation , c’est
qu’étant solidaire avec son beau-frère, i l fut toujours poursuivi pdur'
la totalité , quoiqu’il ri’en dût que lés deux cinquièmes. Il s’éleva
entre lui et Antoine Cottier - D u b o s t, seigneur de M ontrianeix ,
chevalier d e l’ordtfe de Saint-Louis, mâréchal-des-logis des gendarmes
de la garde du roi , une contestation'qui a amené la ruine des mineurs
ses enfans. L e seigneur de M bntrianeix avûit pris du bois, du fourrage,
provenant des héritages de'M ichel G arnier-Lom bard, sans fournir de
reçu; on plaida à Thiers, à llio m , à Paris; pour que les fournitures faites
par M ichel Garnier fussent en compensation des arrérages de la rente.
Ce malheureux paysan , qui , vu sa cé cité , . n’agissoit que d’après
impulsion étrangère, succomba par tout: cela devoit être ainsi; il
n’avoit point de titre contre C o ttier, et Cottier en avoit contre lui.
L ’argent en outre lui manquoit pour acheter un défenseur; et pour
comble de malheur,, il n y en avoit point alors d officieux comme
aujourd’hui : il ne fut défendu nulle part.
L ’arrêt rendu au parlement de Paris, contre M ichel Garnier , est
du 12 juin 1774. Dès cette fatale époque, sa perte et celle de sa pos
térité lut résolue ; iLavoit osé, ou plutôt l’on avoit osé pour lui, plaider
contre Cottier,. homme alors marquant dans la société; c'étoit une’
téjnérité qu’on rte put lui pardonner ni aux siens. S i ce riest pas lo i
qui a médit de m o i, disoit le loup au débonnaire agneau, c e s t donc
A 2
�ton p è r e ’ tu périras ; cest-là ma lo i, j e suis aujourd’h u i le plus
f o r t . M ichel Garnier ne fut pas long-temps l’objet des persécutions
d’A n to in e Cottier. Il étoit dans les convulsions de la m o rt, lorsqu’il
reçut la signification du jugement x-endu contre l u i , et décéda le trois
décembre de la même année , laissant six enfans dont deux m ajeurs,
et quatre mineurs. L ’aîné des garçons, sortant à peine des liens de la
m in o rité, lut nommé tuteur de ses frères et sœurs, pour la forme
seulement'; car ayant: appris qu’on vouloit se servir de son nom pour
le dépouiller lui et s e s c o h é r it ie r s , il s’évada du pays, et ne revint que
plusieurs années après la catastrophe qui rangea toute cette famille
dans la classe des mehdians.Quoiqiie tous les actes des huissiers déposent
que lds significations lui lurent faites aux Garniers à personne et dom i
cile, dans le cours de l’instance, le contraire .seroit justifié, si la loi
autorisoit la preuve en pareille circonstance.'Le 16 mars 1 7 7 5 ,1 ! in
tervint en la châtellenie de Tliiers, sentence par défaut, q ui,entr’autrés
dispositions, autorise Antoine Cottier-Dubost à faire saisir/et vendre
s u r 'simple placard tous les biens fonds appartenant tant au tuteur dé
faillant qu'à ses pupilles.
j A la suite de ce décret, l’on procéda.à.la saisie,.au placard et à l’adjudîoation Qui eut lieu h la fin du inois d’août même année ,en faveur
de^Georges G ognord, procureur m isiége, qui subrogea les D osroux et
G arn ier, parens def mineurs -, ci-devant consorts et communs en biens,
et codébiteurs avec M ichel leur père.
C e u x -c i, à ce que rapporte la renommée , avant de se mettre en
possession des bâtitilensy fonds et, héritages » qui avoient fait l’objet
de l'adjudication, courent; devoir faire -dresser procès verbal de la
situation des lieux., niais ibujours sans contradicteur: car telle a été
la destinée de ces-mineurs , ¡que personne n’a comparu pour eux
dans les différons actes et jugemens qui les ont entièrement dépouillés *
que le juge même /.leur légal protecteur lé sa abandonnés à leur
m alheureux s o r t , et qu’il: semble , n’avoir été. arméi à leur égard
du glaive de la l o i , que p o u r les égorger avec plus d’impunité. P R
O C É D U
R E 1L
Les mineurs Garnier - Lom bard * parvenus à leur m ajorité, soit
que l’âge leur inspirât plus de cou rage, leur fournît plus de moyens 7
plus de ressources; soit que le nouvel ordre de choses qui venoit
d’éclore , fît naître en eux quelques sentimens d’énergie dont ils
n’étoient pas auparavant capables , songèrent à réclam er, et récla
mèrent en effet leurs héritages. Malheureusement pour eux , comme
�« »
( 5 ~>
pour bien d’autres familles , la plupart des tribunaux nouvellement
installés, se trouvèrent tout à coup peuplés d’essaims de légistes et
de défenseurs sans expérience , sans m ission, sans caractère , et à
qui la révolution donnoit des opinions, sans leur assurer les lumières
et les principes propres à les diriger : à Dieu ne plaise que je songe
ici à appliquer ces réflexions aux tribunaux de cette v ille , où lesr
talens ont toujours germ é , comme sur un sol qui leur étoit spécia
lement consacré ; où les génies heureux faits pour honorer leur siècle,
se sont succédés sans interruption ; où l’on se rappelle encore avec
un certain sentiment de fie rté, avoir vu des orateurs du prem ier
ordre , planer comme l’aigle dans les a irs, sans savoir comment ils
quittoient la terre : je n’entends parler que de ces tribunaux élevés
dans des lieux obscurs jusqu’alors , où nulles semences d'instruction
n’avoient été auparavant jetées ; où nul concours, nulle réunion de
lumières ne poüvoit avoir lieu. Les G arnier-Lom bard ont fait une
expérience bien amère des suites qu’ont communément les premiers
erremens d’une procédure : il ne fut jamais de marche plus irrégu
lière que celle qu’on leur a fait prendre ; heureusement que leurs
adversaires n’ont rien à leur reprocher à cet égard.
J e 'n ’entrerai point ici dans rénum ération fastidieuse des procé
dures qui ont fait successivement passer la cause du tribunal du
district de Tliiers au tribunal civil de Montbrison , du tribunal
civil de Montbrison
celui de Moulins , de ce dernier au tribunal
d’appel de R iom , où elle a été portée , et est sur le point d’être
jugée d’après les erremens de la dernière organisation des tribunaux :
je me b o rn e, sauf i\ m ’étendre davantage à l’audience, h observer
que le8 G arnier-Loinbàrd se sont pourvus d’abord , par demande en
désistement de fonds dès le vingt-quatre décembre 1791 , et par
appel le 6 messidor l’an trois ; réitéré par exploits des v in g t- u n
pluviôse, vingt-quatre ventôse an quatre , et 6 germinal an six. Que
le tribunal de Montbrison , après avoir retenu la cause pendant
quatre ans , a fini par un jugement qui renvoie les parties à pro
céder aux exclusions que le citoyen d eR on at et la citoyenne Delots
son épouse, en procédant aux exclusions devant le citoyen V ern y ,
président, ont fait déclarer par un fondé de p o u v o ir, qu’ils protestoient contre la qualité d’ héritiers qu’on leur a donnée dans le cours
du procès 5 protestation d’autant plus étrange , qne depuis la mort
d’Antoine Cottier leur oncle , ils occu p ent ses maisons, possèdent ses
délicieux jardins, jouissent d’une grande partie des riches héritages
qu’il a laissés, que tout récemment m êm e, ils ont reçu le rem bour
sement du capital de la rente que les D osroux dévoient conjointement
«t
�IU
f 6 >
avec M ichel Garnier père des mineurs ; qu’ils n’ont été connus par
les adjudicataires eux-m êm es, que sous la qualité d’héritiers d’Antoine
Cottier-D ubost : toute la procédure en dépose.
Mais tel est l’égoïsme de la plupart des hommes / ils savourent à
longs traits le plaisir de recueillir les opulentes successions , et à la
vue des embarras , à la vue des charges qui les accompagnent , ils
reculent d’effroi ; il leur faut absolument des roses sans épines.
Depuis près de dix ans ( on le croira difficilement ) , la famille
,d e M ichel G arn ier-L om b ard , ballotée en sens divers, victim e tour-*
à-tour de l’incurie de ses défenseurs, des oscillations perpétuelles de
l’ordre judiciaire, et p e u t-ê tre plus encore, de la résistance et du
crédit de ses adversaires , se traîne infructueusement de tribunal en
tribunal : heureuse encore si la chicane si fertile en expédiens ne la
mène pas plus loin.
L e b o n , le sensible Thom as , dans un de ses élans qui caractérisoient si bien la beauté de son â m e , la teinte et la trempe de son
esp rit, s’ écrioit : O peuples ! par quels monstres êtes - vous souvent
gouvernés ? N e pourroit-on pas dire ici avec autant de raison, avec
autant de vérité! O vous, qu’une cruelle destinée jette sur le volcan
des contestations judiciaires , en quelles mains placez - vous souvent
vos plus chers intérêts? Ne va u d ro it-il pas autant faire le sacrifice
de vos champs a la voracité des brigands qui vous les ont ravis,
que d’avoir à les disputer une si longue suite d’années.
G R I E F S
E T
M O Y E N S .
L a sentence du 16 mars 1 7 7 5 , qui autorise le créancier à faire
saisiret vendre sur placard leshéritages des mineurs G arnier-Lom bard,
renferm e quatre dispositions principales ; par la p rem ière, elle déclare
exécutoires contre Jean G arnier, tant en son nom personnel comme
héritier en partie , que comme tuteur de ses frères et sœurs ; les
jugemens rendus contre M ich el, père co m m u n , le condamne en
conséquence à p a yer en deniers ou quittances les arrérages delà rente
de cent-vingt francs, stipulée dans la transaction du 22 janvier
17 3 8 , et dans l’arrêté de compte du premier octobre 17^2; par la
seconde, elle condamne, le tuteur à consentir à A n to in e Cottier titre
n o u v e a u el ratification des anciens; par la troisième , elle autorise
ledit C ottier, à faire saisir et vendre sur placard, tous les biens fonds
appartenans tant au tuteur défaillant qu’à ses pupilles; par la quatrième
e n f in , elle o rd o n n e que le tuteur indiquera des biens de ses pupilles,
justifiera de l’inventaire et vente des m eubles, et cela sous trois jours
�pou r tout délai, et faute de ce fa ire , le tuteur demeure condamné
en son propre et privé nom.
Il seroit bien difficile de concilier les deux dernières dispositions
avec les premières et m êm e entr’elles j elles choquent ouvertement
la raison et le bon sens. La marche du juge est tout à la fois irrégu
lière et absurde ; il devoit d’abord ordonner que le tuteur feroit
faire inventaire , le présenteroit dans un délai d éterm in é, avec la
vente du mobilier : ce délai une fois expiré , le tu te u r, faute d’avoir
rendu ce compte, devoit être condamné-, ce n’est qu’après ces formalités
remplies : que les immeubles des mineurs pouvoient etre décrétés:
le contraire est arrivé ; l'on a commencé par ordonner la saisie et la
vente des fon d s, et puis la reddition du compte , la présentation de
l’inventaire et la vente des meubles. C’est, d ira-t-on , une sentence par
d éfau t5 j ’en cqnviens, mais elle n’en est pas moins l’ouvrage d’un
ju g e , et l’ouvrage d’un juge ne doit pas être l’ouvrage d'un homme
en délire ; tout ce qui sort du sanctuaire de la justice doit porter
l’empreinte de la sagesse et de la maturité ; ce jugement d’ailleurs,
quoique par défaut , n’en a pas moins été funeste aux intérêts des
m ineurs , n’en.a pas moins entraîné leur ruine , n’en a pas moins fané
et flétri les fleurs qui auroient pu em bellir leur printemps et leur
assurer des fruits pour les autres saisons de la vie. Je ne parlerai point
du procès - verbal de saisie; jeté au m ême m oule, il doit présenter
les mêmes vices ; il ne- m’a pas été possible de le déchiffrer et d’en
prendre lecture. L a copie qui se trouve parmi les pièces du procès
est pleine de lacunes où lalangue et le bon sens sont également outragés.
L e ministère public n’est point intervenu au décret du 16 mars ,
ni à l’adjudication du 31 août 1 7 7 5 , non plus qu'à la sentence de
subrogation du 2 septembre suivant. Cependant son assistance étoit
nécessaire et indispensable; c’est le vœu de l’ordonnance de 1667.
Lorsque le tuteur com paroît pour ses pupilles, lorsqu’il fournit
ou fait fournir des défenses propres à éclairer la religion du juge,,
sur la situation des affaires des m in eu rs, sur la masse et la nature
de leurs dettes, sur la consistance, l’étendue la valeur de leurs pro
priétés, sur l’em ploi que l’on peut faire de leurs ressources, sur les
moyens qui leur restent de désintéresser leurs créanciers , sans en
venir à l’extrém ité 'fâcheuse de faire vendre leurs immeubles r ou
sur la nécessité absolue de cette aliénation pour parer î\ de plus
grands m a u x , pour parer à de plus grands désastres, l’assistance
du ministère public tient alors plus à la form e qu’au fond ; maisy
lorsque les mineurs, comme dans l’espèce présente , sont abandonnés
eux* mêmes T lorsque leurs intérêts ne sont ni présentés 7 ni défendus5
�lorsque nu lle vo ix ne se fait entendre en leur faveur ; la p itié , la
commisération, la bienséance, la justice divine, la justice humaine, la loi
n atu relle, la loi positive , tout veut que le juge vienne au secours
de leur foiblesse et de leur enfance ; qu’il leur ménage un conseil
sage et éclairé , un défenseur courageux ; tout veut qu’il s’envi
ronne lui-m êm e, des renseignemens qui peuvent le mettre à l’abri
de la surprise, et écarter l’arbitraire. L e ju g e , dit C h ab ro l, ne
doit jamais perdre de vu e, qu’il est le tuteur légal de toutes les per
sonnes opprimées et misérables : vous me pardonnerez, citoyens, ces
fréquentes citations. Je ne suis point de l’avis de cet orateur célèbre,
qui d it , que tout ce qui est gran d , accable ce qui est petit ; je me
plais, au contraire, à penser que les hommes qui ont honoré et
illustré notre patrie, et par leurs vertus, par l’étendue de leurs lu
m ières, et par l’utilité de leurs tra v a u x , n’ont pu parvenir à une
gloire so lid e, sans qu’il en rejaillisse quelque portioncule sur nous.
Ce n’est pas tout à fait là être fier de vertus étrangères.
P o u r en revenir à mon su jet, ici aucune précaution n’a été prise;
toute mesure bienfaisante a été écartée ; c’est au mépris de tout
prin cipe, de toute hum anité, de toute bienséance, que l’on a arbi
trairem ent disposé de la fortune et du sort de quatre mineurs. L e
juge a méconnu le plus saint des devoirs d’un ju g e , qui est de ne
condamner personne sans l’entendre; il a violé toutes les règles de
la justice, en sacrifiant au ressentiment d’un créancier puissant et
rich e, les intérêts de l’indigence; son jugem ent, et la spoliation qui
en a été la suite funeste, sont à mes yeu x un vol plus alarmant
pour l’ordre social, que ceux qui se commettent sûr les gi*andes
routes. L e vo l de grand chemin ne se commet point au nom de la
loi ; le vo l de grand chemin a pour objet communément l’enlève
ment de quelque somme d’argent, de quelque eiFet m obilier, dont
la privation ruine rarement les voyageurs qui éprouvent ces infor
tunées rencontres; mais l’enlèvement d’héritages, sur une famille
cultivateurs , étouffe en eux toute espèce d’émulation , les plonge
dans l’avilissement, l’opprobre et le désespoir. Il est bien rare qu’a
près une pareille catastrophe, ces malheureux flétris, et dégradés à
leurs propres yeu x , ne soient pas perdus pour la société, dont ils
auroient fait l'appui et supporte les charges, en conservant leurs
propriétés.
_
Les nullités les plus marquantes de l’adjudication du 31 août 1776,
résultent de la minorité des parties saisies, de l'importance des hé
ritages précipitamment vendus et adjugés , de la vilité du prix de
la ven te, du défaut d’estimation préalable, de discussion m obiliaire,
de
�de ce qu’au mépris du texte form el et littéral de la cou tu m e, les
publications et remises ont été de huitaine en huitaine; je ne m’ar
rêterai point sur la m inorité des parties saisies ou du plus grand
nombre d’elles ; c’est un point de fait constant, dont déposent les
pièces du procès , et avoué par les parties.
L es bâtimens , fonds et héritages qui ont fait l’objet de l’adjudica
tion , sont très-im portans, soit qu’on les considère du côté de leur
éten due, de leur consistance , de leur qualité , soit qu’on les envisage
sous le rapport de leur localité ou de leur position; ils forment un
corps de domaine , composé de m aison, grange , établerie , cu vage,
jard in , prés , v ig n e s, terres, vergers, paquiers', clienevicres. Ces
fonds peuvent sans difficulté être rangés dans la classe des fonds de
la première qualité du p a y s, sur-tout les prés que l’on fauche jusqu’à
trois fois l’an n ée, et dont les herbes sont extrêm em ent nourrissantes
et savoureuses ; ce que j’avance ici est de notoriété publique , je ne
crains pas d’être démenti. Ce domaine est à la distance d’un m ille,
c ’est-à-dire , d’une petite dem i-lieue de Thiers , ville peuplée et où
le débit des fruits, des légum es, du laitage, du vin et de toutes les
productions territoriales, est avantageusement assuré. Ces fonds sont
doublement précieux pour des cultivateurs, q u i, pour faire valoir
leurs champs , n’ont pas besoin d’avoir recours à des bras étrangers :
aussi l’on ne pourra jamais bien calculer les torts qu’ont éprouvés les
G arnier-Lom bard, des suites de cette injuste et tortionnaire spoliation.
L ’importance des fonds , une fois établie et dém ontrée, c’est une
conséquence nécessaire , qu’ils ne pouvoient être vendus par la for
mule du simple placard , qu’il falloit sous peine de nullité absolue
et radicale embrasser la voie de la saisie réelle. L e citoyen Bergier
consulté dans cette affaire, sans l’envisager sous toutes les faces qu’ell<,
présente , rapporte qu’un jugement du tribunal de cassation, rendí'
au mois de floréal l’an d e u x , contre le citoyen D em ay , notaire à
C le rm o n t, en faveur de particuliers d’A iguep crse, a cassé un arrêt
du parlement de Paris de l’année 1790 , par lequel une saisie et
vente sur placard des biens des mineurs H ybanil, poursuivie au bail
liage de Montpensier avoit été confirmée. L e moyen dé cassation a
été tiré de ce que les mineurs ne peuvent être dépouillés de leurs
propriétés par la vente fo rcé e, autrem ent qu’en observant toutes les
formalités et les lenteurs salutaires du décret , établies par la loi
municipale qui- nous ré g ît; que les ventes sur placard peuvent bien
être autorisées contre les m ajeurs, mais non contre les m ineurs, sur
tout lorsque les biens sont de quelque importance. L ’adjudication
dans l’espèce de ce jugement ? ( c’est toujoui’s Bergier qui p a r le ,
�i'A
( TO )
t*t qui parlera jusqu’au prem ier alinéa) avait été faite 'à quelque cliose
de plus de deux m ille francs, comme dans ¡’adjudication des biens
des mineurs Garnier qui ne sont pas dans des circonstances moins
favorables que les mineurs H ybanil. L e jugement du tribunal de cas
sation i’end tranchant et décisif le moyen de nullité , résultant de
ce qiié l’on a pris la simple voie du placard pour parvenir à une
vente préoipitée , d’un objet dém ontré en valeur dé plus de deux mille
liv re s, puisqu'il l’a 'é té à deux m ille soixante-dix, quoique vendu
à vil prix. Ce taux de deux mille francs est celui que le règlem ent
de i
avoit fixé pour les ventes faites à la barre sur trois publi
cations et affiches; ique l’usage ait pu l’élever au delà , à l’égard des
■majeurs, à la bonne heure ; mais faut-il s y tenir strictement à l’égard
des mineurs dont les intérêts sont presque toujours mal défendus par
leurs administrateurs; leur s o t î ne peut être livré à l’arb itraire, il
n e dépend que de la lo i, et toutes les fois qu’ons’enest écarté, le d evoir
,des tribunaux supérieurs est d’en ramener l’exécution.
L ’estimation judiciairement ordonnée , devoit précéder l’adjudica.tion ; c'est encore un de ces principes ^universellement adoptés. D e
to u t temps en F ran ce, ou du moins depuis que nous sommes gouver
nés .par des lois stables, la v o ie pour dépouiller les propriétaires d’in v
rmeublcs par :l’effet des hypothèques y fut la saisie réelle : ce n’est que
•’peu avant la rédaction de la coutume j.que s’est introduite, non pas par
quelque loi, parquelqu’ordonnance, mais par le simple usage, la fo r
mule -des ventes sur placard ; les tribunaux jugèrent convenable de
-simplifier les form es, lorsqu’ il ne s’agrssoit que d’immeubles de peu de
valeur ; ma's :encore le placard >ne laissa pifs que de conserver quel
ques formalités essentielles , telle que l’estimation préalable, lorsqu’il
fu i questionne biens de mineurs. Elle est,-dit C h ab rol, le seul m oyen
défaire connoîtrela juste valeur d e s ’immeubles , quTil s’agit de faire
veucir» ; d’empêûher que les mineurs ne soient trompés et lésés ; car
lorsqu’il est question de la vente d’imineubles appartenans à des mi
neurs-, l’on y regarde de p rè s; peu ¡de personnes veulent courir les
chances■q u elle présente; ces fonds sont presque toujours vendus à
vil prix : l’espèce présente en offre tin exemple frappant. L a formalité
de IVsl-mation judiciaire est si essentielle , que quand même le juge et
la fam jh; sentiroient la nécessité absolue de ven d re, ils' n’y pourroient
consentir, avant que les immeubles il’eussent été judiciairement éva
lués. Un jugement du prem ier floréal an 3 , rendu au tribunal du
F u y , sur un appol de sentences id’adjudication de la -ci-devant justice
de R oses, ancien ressort d e'R io m , des 24 août 1775 et i septembre
177 8 , a annullé les adjudications, -uniquement parce qu’elles n’ayoient
658
5
�Ai J
point été précédées d’estimation d’experts. L ’on ne fit valoir que ce seul
m oyen, et il fut jugé ainsi d’après un acte de notoriété du barreau ac
tuel de cette v ille , qui est visé dans les motifs du jugement....... Il n’y
a pas encore trois ans que l’on déféra au corps législatif un jugement
du tribunal de cassation qui venoit de casser un arrêt du parlement de
N ancy , lequel avoit confirm é une adjudication de biens de mineurs sans
estimation judiciairement ordonnée. Les pétitionnaires se plaignoient
d u mal jugé du tribunal de cassation , en disant que la coutume de la
ci-devant L o rrain e, n’ordonnant point cette form alité, le parlement
de Nancy ne s’étoit pbint écarté de la loi m unicipale; le conseil passa
à l’ordre du jo u r , m otivé sur ce que le tribunal de cassation s’étoit ren
ferm é dans les termes d’une jurisprudence constante et uniforme dans
toute la F ra n ce , en cassant un arrêt qui avoit confirmé une adjudication
de biens fonds de mineurs , sans quelle eut été précédée d’une évalua
tion d’experts.
L esD o sro u x diront, sans doute, que les fonds lors de l’adjudication
étoient en mauvais état, que tel est le résultat du procès verbal dressé
lors de leur prise de possession, et qu’à l’époque des partages en 17 5 4 ,
la masse des biens composant la communauté , et dans laquelle M ichel
G arn ier, père des m ineurs, n’amendoit guère au-delà des deux cin
q u ièm es, ne fut évalué par les copartageans que trois mille francs, et
qu’après ces données, l’on pou voit se dispenser de l'estimation.
Je conviendrai volontiers, parce qu ’un des premiers devoirs de
l’homme est d’être v ra i; je conviendrai que les vignes purent être
négligées depuis la cécité de M ichel G arnier, et pendant l’enfance
de ses fils ; mais ses autres fonds ne souffrirent p o in t, ni ne purent
souffrir de cet accident. Les terres labourables, pour rester en friche,
ne perdent pas pour cela de leur valeur; l’intervalle d’inaction leur
donne au contraire un nouveau degré de fécondité pour l’avenir.
Ge sont de ces vérités universellement connues des hommes tant soit
a de force et d’ascendant sur nos petites âmes. D ’ailleurs, le procès
verbal de prise de possession, postérieur à l’adjudication, n’est qu’un
chiffon m éprisable; il est fait sans contradicteur; il est nul comme
suite de jugeinens nuls, et d’une expropriation nulle. G’étoit avant,
et non après la ve n te , qu’il falloit faire constater, non seulement
l’état des biens , mais encore leur valeur ; la précaution des adjudica
taires fut trop tardive ; elle ne fait que mieux ressortir l’insouciance
du ju g e , q u i , dans l’abandon où il voyoit les m ineurs, devoit par
B 2
�^
..
( « ) _
h um an ité, par principe seul de conscience, prendre leur défense.
Quant à dévaluation amicale et volontaire faite lors des partages
en 1 7 5 4 , c’est le comble de l’absurdité, de s’en faire un moyen : il
est de notoriété publiqu e, que dans ces sortes d’actes, les parties
contractantes ne se piquent point d’exactitude, ni sur l’étendue ,.
ni sur la valeur de leurs biens ; pour plusieurs raisons 1 d’abord ,
parce q u’elles n’y sont point obligées ; en second lieu , parce qu’elles crai
gnent les droits d’enregistrement, et qu’elles regardent comme un dé
faut de prudence, de donner trop de lumières sur leur fortune. Ces
précautions sont communes aux citadins et aux habitans des campa
gnes. A u d e m e u r a n t , les mineurs Garnier - Lom bard avancent
comme un fait constant, comme un fait de notoriété pu b liqu e, que
leurs héritages, à l’époque de l’adjudication, valoient quatre fois plus
qu’ils n’ on t été vendus, et que depuis, ils ont augmenté d’un tiers.
Si l’on mettoit en fait, dit C h ab rol, tome 3 , page 3 73 , sur l’appel
d’un placard , que les biens valoient une somme très-supérieure à la
fixation du règlement de i
, il seroit indispensable d’ordonner
après coup une estimation d’experts; et cependant, ce célèbre juris
consulte ne considéroit en cet endroit la form ule des ventes sur
p la card , que nomme faite sur des majeurs.
L a confection de l’inventaire, sa présentation, la discussion, »'
vente du m obilier, un compte quelconque,, ou du moins un procèsverbal de carence: tout cela devoit précéder la saisie et l’adjudication.
L ’omission de ces formalités impérieusement prescrites, est encore une
autre nullité radicale et irritante: l’on.dira sans doute, que le tuteur
a été sommé de payer ; mais que sa réponse a été négative , que
M ichel G arn ier, en m o u r a n t, ne laissa point de m obilier, q u econ séquemment toute discussion devenoit inutile ; mais le fait seroit-il
v r a i, il falloit du moins l’établir d’une manière légale; il falloit
faire rapporter un compte quelconque, ou un procès verbal de
carence; chose bien difficile, le prétendu tuteur ayant disparu du
pays au co m m e n c e m e n t de 1 instance, pour n’avoir pas à se repro
cher d’avoir c o n co u ru à la ruine , à la spoliation de ses frères et
sœ u rs........ Mais e n c o r e , à qui fera-t-on croii-e qu’un propriétaire d’u a
dom aine, d’un vignoble assez conséquent, e tq u iv iv o it chez lui avec sa
femme et ses en-fans, nravoit aucune espèce de mobilier-, pas même un
l i t , ])as même une chaise,, pas même un tonneau: qui prouve trop ,
ne. prouve ordinairement rien ; l’on ajoutera ,. parce que les plaideurs
de mauvaise fo i, et sur lesquels pèse une grande responsabilité, res
semblent assez aux personnes q u i, lancées et précipitées dans un
g mllVe , ou entraînées par un to rren t, s’accrochent L toutes les ra-
658
1
�cines, à toutes les branches qui tombent sous leurs mains ; l’on ajou
tera que du décès de M ichel G arn ier, arrivé en décembre 1 7 7 4 ,
aux premiers jours de janvier 177&J époque des premières pour
suites dirigées contre ses enfans, il ne s’écoula qu’un m ois; que dans
un si court intervalle il ne put y avoir ni recette, ni dépense, par
conséquent point de reddition subséquente de compte.
E h ! c’est précisément cette précipitation in o n ie, cet acharnement
sans exem ple qui décèlent et caractérisent l’ouvrage de la passion hai
neuse du créancier poursuivant la saisie ,* célibataire op u len t, en vi
ron n é de tous les genres d’im portance, nageant au milieu de toute3
les délices de la v i e , n’ayant absolument d’autre besoin que celui de
se défendre de l’ennui, ce poison assassin, ce v e r rongeur des désœu
vrés. T a n til est vrai que les germes delà sensibilité se dessèchent au sein
de la prospérité et de l’abondance, et que ce n’est que par le ressou
venir de nos propres infortunes que nous apprenons à partager les
peines d’autrui; c’étort le langage d’une reine fondatrice d’un empire,
et qui pensoit que rien de ce qui intéresse l’humanité ne lui étoit étran
ger. N on ignara rnali vniseris succurrere disco.
“ L ’adjudication du 31 août i j j ô , est une contravention form elle
aux articles i , 16 , 17 et 1 8 , du titre 24 de la coutume. L ’article i
porte que les criées ou publications se feront à jours certains et dé
terminés , sans que l’on puisse les prolonger , ni abréger , parce qu’en
fait de saisie , tout est de rigueur. Article 1 6 , du fo u r de la s a is ie , â
la -première en ch ère, il y aura quin ze jo u rs ; art. 18 , du prem ier
pérejnptoire au seco n d , du second au tie r s , du tiers au quart >à
chacun düiceux quin ze jo u r s . D ’H éricourt, sur la vente forcée des
immeubles , page 131. Én A uvergne les criées se font de quinzaine
en quinzaine. Ce jurisconsulte si souvent cité d it , tom. 3 , page- - ?
« Prohet avance que l’ordonnance est générale, et qu?elle exige la
« délai de quinzaine : il s'est trompé , l’ordonnance ne fixe point de
«r délai, cela dépend des usages; en A uvergne on exige le délai de
« quinzaine, il se pratique ponctuellem ent, parce que les ordonnances
« n’ayant point dérogé à la coutume en cette partie, il faut nécessai« renient s'y conform er » ; la loi est encore plus im périeuse, s’il s’agit
de la vente des biens de mineurs. O r , le procès verbal de l’adjudi
cation dont il s’agit, atteste que toutes les remises et publications fu
rent de huitaine en huitaine. Cette n u l l i t é seule a été décisive dans
une instance en 1779. I^e citoyen G rm iardias, négociant à Marin-gues , avoit fait saisir et vendre sur placard, une petite maison ap
partenant aux mineurs M aro g ot, de la m ême ville; les remises com m e’
dans l’espèce présente> avoient été de huitaine en huitaine, fadjudi-r
5
5
355
�*4
. ('
)
¡cation lut déclarée n u lle, plaidant le citoyen Grenier pour les m i
neurs. Grimardias se pourvut sans succès au parlement de Paris.
T els sont les griefs et les moyens sur lesquels les Garnier-Lom bard fon
dent leur appel ; il ne reste plus maintenant qu’à examiner s’il ne s’é
lève point con tr’eux quelque fin de non recevoir; l’on ne doit jamais
perdre de Vue lu proverbe du barreau, qui ne prouve que trop souvent
que la forme emporte le fond.
Les décrets, saisie et adjudication dont il s’agit sont de 1775 ; il faut
donc les considérer d’après les formes établies dans l’ancien ordre
ju d iciaire, et aux termes de la jurisprudence qui étoit alors en
vigueur. Les juges ne peuvent et ne doivent juger que d’après la
loi existante, et la loi ne sauroit avoir un effet rétroactif; ce prin
cipe consacré de tous les temps chez les peuples policés , l’a été
dernièrem ent dans la déclaration des droits de l’homm e ; cette m axim e
posée , le raisonnement suivant se présente naturellement à l’esprit.
Les ventes des biens s o n t, ou volontaires ou forcées ; les ventes
volontaires sont du droit naturel : elles se règlent d’après les principes
de ce droit ; la ch ose, le prix et le consentement des parties en cons
tituent l’essence ; elles ne connoissent pas d’autres caractères essentiels :
les ventes forcées ou ventes judiciaires tiennent du droit positif ou
purem ent civil. Les formalités que la loi a prescrites pour leur vali
dité , sont de l’essence de ces sortes de ventes. Les nullités dans les
ventes so n t, ou relatives , ou absolues et radicales ; un m ineur , par
e x e m p le , vend scs immeubles sans décret du juge , sans assistance
de curateur ; une pareille vente est nulle sans doute. L a nullité est
prononcée par la loi municipale ; mais cette nullité n’est point absolue,
elle n’est que relative ; elle résulte de la foiblesse de son â g e , ou
plutôt de sa raison. Il y a bien , de la part du m in eu r, une espèce de
consentement; mais ce consentement est imparfait ; il ne se trouve
point accompagné de cette présence d’esp rit, de cette maturité de
jugement si nécessaires à la validité d’un engagement quelconque.
Mais si le m ineur laisse passer dix ans après sa majorité , sans récla
mer contre l’acte qu’il a consenti, étant encore dans les liens de la
m in o rité, l’ordonnance de 1639 , postérieure ¿\ la rédaction de la
coutum e , le déclare non recevab lc, parce que la loi suppose avec
raison , que dans l’intervalle de dix ans il a pu mûrement réfléchir
sur ce qu’il a précédemment fa it, et sur les suites de son inexpérience :
son silence annonce un consentement bien prononcé , bien caracté
risé, une vraie quoique tacite approbation de la vente qu’ il a con
sentie; et c’est en ce sens que l’on dit que les mineurs après trentecinq an s, ne sont plus recevablcs à se pourvoir contre les ventes de
�leurs immeubles : mais il n’en est pas ainsi des ventes forcées, cîes
ventes judiciaires. U n juge autorise la saisie et l'adjudication d’un
im m euble de vingt mille fran cs, et ce par la form ule du placard ,
môme sur des majeurs ; cette vente sera certainement nulle de nullité
absolue. P o u r dépouiller les propriétaires de leurs im m eubles, quand
ils sont très - considérables, la loi a établi un mode , une manière de
procéder à ces sortes d’expropriations; ce mode consiste en formalités
multipliées ; ces formalités sont de l’es3ence des jngemens qui inter
viennent ; leur in o b se rva tio n est une vraie contravention à l’ordre
judiciaire établi en pareille circonstance. P ou r ne point nous écürter
de l’espèce présen te, le cliâtelain de Thiers a décrété et adjugé le'
domaine appartenant aux G ai-nier-Lom bard, pour la modique somme
de deux mille soixante-dix francs : or, il est de notoriété publique , que
ce dom ain e, à l’époque de l’adjudication, valoit quatre fois plus : la
form ule du plaeard ne pouvoit donc être embrassée pour l'aliénation
forcée de cet immeuble ; le juge est donc contrevenu au mode de
p ro cé d e r, à l’ordre judiciaire ; son jugement est donc nul.
L e prix m êm e de l’adjudication , quelque vil qu’il ait été , surpasse
lé taux fixé par le rè g le m en t, et au delà duquel les immeubles des
anineurs ne peuvent être adjugés , ni à la barre sur affiches et publi
cations ,- ni sur placard ; c’est encoi’e une contravention à l’espi’it,.
a la lettre môme de la loi..... Les publications et remises ont été de
huitaine en huitaine, mais la loi vouloit impérieusement qu’elles
-fussent de quinzaine en quinzaine; autre nullité absofue et radicale r
o r , les nullités absolues, les nullités qui tiennent à l’essence des
contrats, le» nullités qui résultent de contraventions à quelque lo i,
à quelque ordon n an ce,à quelque règlem ent, ne peuvent se couvrir
que p arle laps de trente ans. Un jugem entnul ne passe en forcede chose
ju g é e , qu’au bout de ce tem ps: tels sont les principes du droit fr a n
çais, telle a été la jurisprudence.constante des tribunaux. Les G am ierLoinbard seroient donc fondés à se p o u v o ir la trentième année après
leur m ajorité, contre les jugemens qui les ont dépouillés : mais ces
■moyens , quelque, tranchans , quelque décisifs qu’ils soient, deviennent
ici superflus; cette conséquence naît du rapprochement que l’on fait*
des différentes époques de leur naissance , à celle où ils se sont
judiciairement pourvu.
M arie Garnier - Lom bard , l’aînée des quatre mineurs ,- née le 6février 1 7 5 7 , étoit âgée de dix-huit ans', à l’époque de l’adjudication;
majeure en 178 2 , elle s’est pourvue en décembre 1-791-, neuf ans après
-sa majorité.
M ichel Garnier - L o m b a r d ? né le 18 février 176 0 , âgé de i 5
�( i6 )
85
ans à l’ époque du décret, majeur en i y
, s’est pourvu six ans
après sa majorité.
M agdelaine, la jeune, femme à A ntoineG halard, née le 24 août
17 6 3 , âgée de douze ans lors de l’adjudication, majeure en 178 8 ,
s’est pourvue trois ans après sa majorité.
E lisabeth, née en 1765 , âgée de dix ans h l’époque de l’adjudica
tion , majeure en 1790 , s’est pourvue un an après sa m a jo rité ;o r,
une partie qui se croit lésée par une sentence, a dix ans entiers pour en
interjeter ap p el, si elle n’y a point acquiescé ; et ce délai de dix ans
ne commence à courir que du jour de la signification du jugement.
Ti’article 17 du titre 27 de l’ordonnance civile , porte que les sen
tences n’auront force de chose jugée qu’après dix ans, à com pter du
jour de la signification. Jousse, en expliquant le texte de la l o i ,
ajoute : « cette signification doit être faite au vrai domicile de la
« partie ; c a r , si elle avoit été faite au domicile du procureur ou
« à un domicile élu , par un acte passé entre les parties, elle ne poura voit opérer la fin de non recevoir qu’après trente ans ; mais ce
« terme de trente ans est fatal » ; o r , il n’a jamais été fait de signi
fication des jugemens dont il s’a g it, au domicile des mineurs Garnier ;
ils n’ont jamais eu une connoissance légale de ces jugemens. Les
adjudicataires eux-m êm es, dans leur requête du 3 juillet 179 2, en con
viennent delà manière la plus lo yale, la plus franche, en disant q u e ,
si les mineurs avoient connoissance des titres en vertu desquels eux
D osroux jouissent, ils se départiroient de leur demande en désiste
m ent , (,ce sont leurs propres expressions ) ; ain si, les mineurs Garnier,
n’eussent-ils entamé aucune procédure, il ne s’élèveroit conti*’eux
aucune fin de non recevoir , et l’appel qu’ils interjetteroient en ce
mom ent h la barre du tribunal, seroit aussi bien fondé que l’instance
commencée en 1791 ; ils sont même à l’abri de la pérem ption d’ins
tance , parce que la pérem ption ne peut avoir lieu sur une sentence
par défaut qui n’a point été signifiée ; ces principes s’appliquent aux
majeurs comme aux mineurs. En supposant même que les sentences
du châtelain de Th iers eussent été confirm ées, d’abord en la séné
chaussée d’A u v e rg n e , puis au parlement de Paris, les mineurs Garnier
n’en seroient pas moins recevables à se pourvoir contre l’arrêt rendu
à .leur p réju d ice, parce qu’encore un c o u p , un mineur devenu
majeur est fondé à attaquer un jugement en dernier ressort rendu
contre lu i, tant qu’il ne lui a pas été signifié à personne ou domi
cile depuis sa majorité ; c’est ce qui résulte littéralement de l’article
cinq du titre trente-cinq de l’ordoimancc sur les requêtes civile?.
L e nouvel ordre judiciaire, en le supposant applicable à l’espèce, ce
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(
)
qui n e peut ê tre , ne seroit pas plus favorable aux adjudicataires que
¿’ancien ; la loi du mois d’août 1790 , en prononçant la déchéance
de l’appel trois mois après la signification, ne parle que des jugemens
contradictoires. Les jugemens par défaut restent dans Jps termes de
l’ancienne jurisprudence , parce qu’en bonne logiq u e, inclusio unius
est vxclusio alterius : d’ailleurs, la loi du mois d’août 1790 ayant
p o u r objet d’accélérer le jugement des procès , et non pas d ’assassiner
les p arties, ne déroge point à l’ordonnance en ce qui regarde la
signification des jugemens ; elle veut également qu’elle soit faite
à personne ou dom icile, pour les mêmes raisons, pour les mêmes
motifs , afin que les personnes intéressées ne soient point surprises,
qu’elles puissent se pourvoir à temps. L a précaution m êm e est
d’autant plus nécessaire, que les délais sont plus co u rts, et que les
dangers du retard augmentent en proportion. I*es adjudicataires ne
peuvent exciper de la copie qu’ils ont fait donner le 3 juillet 1792
au défenseur des G arnier-Lom bard ; cette espèce de signification doit
être regardée comme non avenue, parce qu’elle ne rem plit point le vœu
de la lo i, que d’ailleurs elle est postérieure de six mois à leur demande
introductive d’instance, et antérieure seulement de trois lüiéls à leur
appeL
En ne parlant que des mineurs dans le cours de cette plaidoirie , il
sembleroit que j’abandonne entièrement la cause du tuteur leur frère
et leur cohéritier ; mais je suis bien éloigné de cette indifférence pour
un malheureux qui a les mêmes droits, qui inspire le même intérêt;, et
dont l’infortune excite le même degré de sensibilité. P ou r m ontrer jus
q u’où va ma confiance en la bonté de sa cause, je commence en l’intro
duisant isolément sur la scèn e, par mettre à l’écart cet échafaudage dé
goûtant de procédures que la force des circonstances a amenées depuis
1791 jusquaujourd’hui. Jean G arn ier-L om b ard , m ajeur, se présente
sous les rapports d’un homm e qui n’a encore élevé aucune réclamation
contre le jugem ent qui l’a m utilé , mais pop encore dévoré et digéré. Il
se présente sous les auspices et sous l’égide ac Potliier, autorité vraim ent
respectable , et que l’on ne me disputera sûrementpas valoir moins que
celle des légistes que la révolution a fait subitement éclo re, et avec
autant de p rofusion , que Ton vit naître jadis de sauterelles en Egypte.
P o tliie r, dans sonexcellent traité des obligations, tome 2 , page 464 ;
l’on ne fait ici que répéter ce qui a déjà été délvclopé : « Potliier dit
que , d’après les principes du droit français, un majeur qui se trouve
lésé par une sentence m ême contradictoire, a dix ans entiers pour se
pou rvoir par la voie de l’ap p el, à moins qu’il n y ait formellement ac
quiescé, et que ce délai de dix ans ne commence à courir contre lui, que
G
*7
�1 Wk
( 18 )
du jour de la signification qui lui en a été faite à*personne ou'dom cîle ;
o r , les pièces du procès déposent que Jean Garnier-Lombard: n’a reçu
jusqu’à ce jour aucune notification légale de l’adjudication du 31 août
1 7 7 5 , et de la sentence de subrogation du 2 septembre suivant.
N e pouvant m’assurer entièrem ent de la vérité par la lecture de la
copie inform e et illisible que les adjudicataires en ont fait donner le 3
juillet 179 2 , j’ai parcouru moi-même les registres du bureau des con
trôles de T hiers , et je n’y ai aperçu aucune trace de signification faite
A Jean Garnier-Lom bard depuis le 31 août 1775. D e là, je conclus que
ces jugemens m onstrueux, ces jugemens spoliateurs , furent mis à exé
cution sans avoir été signifiés aux parties intéressées; démarches aussi
crim inelles qu’audacieuses, et dont on ne donna l’exem ple scandaleux,
que parce que l’on savoit n’avoir à faire qu’à une famille écrasée sous
le poids du m alh eu r, dépouillée de to u t, sans défense, sans soutien, sans
appui quelconque. O justice ! justice ! tu ne fus donc souvent sur la terre
qu un vain nom pour les misérables.
J ’oubliois de fixer l’attention du- tribunal sur une circonstance qui
ajoute encore à cette longue chaîne d’irrégularités que je viens de par
courir. **'
•
Michel^Garnier-Lombard laissa en m ourant six enfans, deux majeurs
et quatre mineurs. Il ne s'en trouve cependant que cinq figurant dans
ce procès que j’appellerois volontiers farce judiciaire, si le ton com ique
convenoit ic i, et s’il s’agissoit d’intérêts moins importans.
L e décret du 16 mars 1775 porte : T^u Vassignation donnée à J e a n
G a r n ier -L o m b a r d , tant en son nom p erso n n el, com m e h éritier en
p artie de M ic h e l son p è r e , q iten qualité de tuteur de se sfr ère s et
sœurs. O r , ceux-ci, ainsi qu’il a été répété plusieurs fo is, n’étoient
que quatre : M arie, M ich el, Magdelaine la jeu n e, et Elisabeth. L ’on
ne mettra pas sans doute au nombre des mineurs Magdelaine, l’aînée de
tous les enfans, néele ôjjanvier 1747, vingt-lin mois avant Jean son frère,
qui est du 12 octobre J74$> ayant atteint sa vingt-huitièm e année à
l’époque de l’adjudication , et qui depuis plus de quinze ans , étoit sortie
de la maison paternelle que l’on devoit,par conséquent, assigner comme
fille majeure , et au domicile qu’elle s’étoit donné.
L e même décret déclare exécutoires contre Jean Garnier en son
nom personnel, comme héritier en partie et en qualité de tuteur
de ses frères et sœurs, les jugemens rendus contre M ich e l, père com
m u n ; il autorise le créancier, à faire saisir et vendre sur placard * tous
les biens fonds appartenans tant au tuteur défaillant quyà ses p u
p ille s ; ( ce sont les termes du dispositif). L e procès- verbal d’adjudi
cation ne parle que des biens saisis sur Jean G arnier-Lom bard, tant
�/3/
¿enson nom personnel comme héritier-de-son p è re , qüe comme tuteur
de ses frères et sœurs ; l’on ne parle par-tout que du tuteur et des m i
neurs , il n’est question nulle part de M agdelain e, fille majeure. L a
procédure d’ un bout à l’autre lui est étran gère, elle n’est appelée à
aucun acte, à aucun jugem ent; l’on est encore à lui faire signifier la
sentence cjui. lui a ravi ses biens; les choses sont aussi entières à son
égard , q u’elles l’étoient au décès de son p è re , et le créancier, pour
.exiger d’elle le payement de sa quote-part des dettes du défunt, seroit
forcé de faire déclarer exécutoire contr’elle , l’arrêt rendu contre M i.chel.cn ju in 1774 , et néanmoins l’adjudication du 31 août 1 7 7 5 , com
p ren d l’universalité d e là succession de M ichel G a rn ie r -L o m b a r d ,
et par conséquent la portion héréditaire de Magdelaine l’aîn ée, m é
connue dans tout le cours du procès : ce qui achève de dém ontrer que
■le créancier poursuivan t, le procureur griffo n n an t, le juge adju
gean t, les adjudicataires recelant, agissoient tous sans examen , sans
.réflexio n , sansconnoissance ; qu’ils ne s’informoierit même pas du
nom bre des enfans, qui composoient la famille de M ichel Garnier.
Ces infortunés furent ju g é s, condam nés, dépouillés en masse, à peu
près , comme cela, s’est postérieurement pratiqué sous le régime glo
rieu x de R ob esp ierre, et sous la jurisprudence bienfaisante des tri
bunaux révolutionnaires.
Je ne m’arrête point sur la restitution des jouissances ; elles sont dues
par les adjudicataires comme suites de leur indue et illégale d é
tention.
Helvétius , dans son traité de l’h om m e, rapporte qu’il existe sur le
globe une con trée, oiVles juges avant de s’asseoir sur leurs sièges, com
m encent par plonger leurs têtes dans des cruches pleines d’eau. Cet
usage est bizarre sans doute; mais un pays où les cruches elles-mêmes
se m êloien tde servir d ’organes à la justice, de prononcer sur le sort
.des citoyens , présentait un phénom ène bien plus surprenant encore;
cette réflexion s’est présentée plus d’une fois à mon esprit dans le
jcours de cette plaidoirie.
R É S U M É .
lie tuteur n’a point assisté ses pupilles , ou plutôt les pupilles n’ont
point eu de tu teu r; ce n’est point le nom qui fait la chose, ce n’est
.point la nomination matérielle qui fait réellement le tuteur; ce sont
les soins , ce sont les secours, ce sont les fonctions ; là où il n’y a point
eu de fonctions de tu telle, on peut dire qu’il n’y a point eu de tuteur:
au reste il est dém ontré que la nomination.de J e a n , faite en quelque
C 2
�sorte â son însu et contre- son gré , avoit moins pour objet Ta défense
de ses cohéritiers , que de servir de prétexte à leur spoliation. L e pro
cureur fiscal de la châtellenie de Th iers , n’a point suppléé au-défaut
du tu te u r, d’après- le vœu de la loi ; il n’a comparu ni au d écret, ni à
l’adjudication , n-i à la subrogation : le juge n’a été ni plus attent if ni
plus vigilant ; les mineurs n’ont donc point été' défendus, iere nullité.
Les biens adjugés étoient trop conséquens pour être vendus p a rla
simple formule du placard, la saisie réelle étoit nécessaire et indis
pensable, 2e. nullité.
L e prix de l’adjudication tout vil qu’il ait été, eu égard à la valeur
des biens-, surpasse' le taux fixé par l’arrêt de règlement de i
,
3e. nullité.
Il n’y a point eu de discussion mobiliaire, point de présentation d’in
ventaire , point de com pte, point de vente de m eubles, point de procès
verbal de carence, 4° nullité.
L ’adjudication n’a point été précédée d’estimation d’experts nom**
més judiciairem ent, e. nullitéLes publications et remises, au mépris du texte form el de là cou
tum e, ont été de huitaine en-huitaine, 6e. nullité.
L ’adjudication com prend la portion héréditaire d’une des parties
qui n’a point été appelée en cause, 7 e. nullité.
Il ne s’élève point de fin de non recevoir contre les appelans; toustant majeurs- que m ineurs, sont encore recevables à attaquer la sen**
tence d'adjudication du 31 août 1 7 7 5 la péremption même d’instance
ne peut avoir lieu contre eux sur un pareil jugement qui est par dé
fau t, et qui n’a jamais été- signifié.
Si d’après ce résu m é, qui est le résultat fidèle' dés pièces du p ro cès,
la cause des Garnier-Lom bard laisse encore des-doutes dans les esprits ’,
je serai tenté d e m ’écrier....... Il ne nous reste donc plus maintenant
qu’à jeter au feu tous les livres de jurisprudence, comme autant dè
monumens élevés à;la.honte de la raison hum aine; comme autant
d’archives d’opinions erronées et contradictoires: quelle eiuellesitua*tio n , grand JJieu t pour un homme de bien r pour un homm e qui
cherche de'b on n e foi la justice et la vérité , de ne pouvoir marcher
qu’à travers des ténèbres perpétuelles , de ne pouvoir surnager dans
un em er d e ia n fd ’incertitudt'S, et dans un Océan de tant d’obscurités.
658
5
P . S. L ’on se demandera sans doute com m ent l’on a pu accumu
ler tant d’irrégularités, tant de contraventions, tant d’injustices dans
une cause concernant des mineurs.... Ceux qui ont connu de près
les justices seigneuriales,, l’influence qu’y ayoient presque toujours
�(
.3 r
)
le com m érage, Iechapitre des petites considérations, ne se feront point
une question semblable : au reste , la plupart de ces sièges subalter
nes , loin de ressembler aux sanctuaires augustes où la justice et la
v é r ité , bannies en quelque sorte du commerce des hommes, trouvoient à respirer librement , ne présentoient que des tableaux de
repaires d’in iqu ités, oxi des vautours sans pudeur et sans honte r
sToccupoient à dévorer les m alheureux plaideurs, plutôt qu’à défendre
la cause et les intérêts des opprim és; espérons enfin que les sources
de ces abus tariront insensiblement ; l’aurore d’un jour calme et serein
commence à éclore sur un horizon qui dans le coui
^ bien des
années n’a vu que des tempêtes. Depuis dix ans sur-tou.
me
répète depuis dix ans , le vaisseau de l’état lancé sur ce vaste Océan
des grandes passions, par la plus impérieuse de toutes les lois , la
nécessité, se trouve sans cesse balotté, agité , tourmenté par le délire
de l’am bition, par les calculs de l’in térêt, par l’audace effrénée delà,
dém agogie, et par tous les caprices de la fortune ; l’on ne peut
reporter en arrière sa pensée, sans éprouver les serftimens les plus
pénibles et les plus douloureux : combien de fois n’avons-vous pas
ressemblés à ces marins , qui au milieu d’une tourmente furieuse,
meme à la vue de la terre , même à l’approche du p o r t, tantôt
élevés sur la surface des eaux , tantôt submergés dans lés abîmes ,
flottant entre la crainte et l’espérance, ne sont occupés que d’un
seul sentim ent, que d’un seul d é sir, celui de gagner le rivage à
* quelque prix que ce soit ; abandonnant sans regret à la-anerci des
" f l û î s '/ ’des richesses", Mës xresôfs c$iî , tfâffs cM't&iifps ffô- ca lm e,•
faisoient tous leurs délices,» toutes leurs jouissances, et nourrissoient
toutes leurs affections. A u milieu des ravages et des débordemens d e
l’im m oralité qui nous dévore encore , il nous reste du moins la
consolation de m êlera nos tristes ressouvenirs , l’impression profonde
de ces gran des, de ces importantes vérités ; que si les empires s’é
tablissent par la force et par le courage, ils ne peuvent s’afferm ir,,
se consolider et se p erp étu er, que par le règne de la justice.
L ’on ne désaprouvera pas sans doute, ces légères diôifôsions; j’ai«
im ité l’exemple des personnes qui se présentent pour ]sy première fois'
dans une assemblée brillante; elles y paroissent sous une toilette plus
recherchée que de coutum e, puis elles y reviennent sous leur parure*
et leur simplicité ordinaire: c est un luxe de circonstance ; d’ailleurs,
c’est soulager un peu l ’ im agin ation , que de parsemer de quelques
Heurs factices i un champ o ù il n’en naît que rarement de naturellesD E S A P T , juriscon sulte avant 1 790 ,
et depuis vendém iaire an n eu f '.
�( 22 )
CONCLUSIONS.
A ce qu'il plaise au tribunal, attendu que les mineurs n’ont point
é té défen d us, attendu que les biens fonds adjugés étoient trop conséquens pour être vendus par la form ule du placard ; attendu que le
p rix de la vente excède le taux fixé par l’arrêt de règlement de 1 658;
attendu qu’il n’y a eu ni discussion m obiliaire, ni procès verbal
de carence ; attendu que l'a djudication n 'a point été précédée d'es
tim ation d’experts nom m és judiciairem ent; attendu que les remises
et publications ont été de huitaine en huitaine ; attendu que la sen
tence d’adjudication com prend la portion héréditaire d’une des parties
qui n’a point été appelée en cause ; attendu qu’il n 'y a point eu de
notification légale des deux sentences d’adjudication et de subro
gation; dire et juger qu’il a été bien appelé , nullem ent et abusive
m ent décrété , saisi et adjugé; déclarer nuls et de nul effet, tant
le décret du 1 6 mars 1 7 7 5 , q ue les sentences d’adjudication et de
subrogation des 31 août et 2 septembre suivans, et tout ce qui les
a précédés et suivis. Condamner en conséquence les adjudicataires in
timés à se désister en faveur des appelans, des fonds et héritages
qui ont fait l’objet de l’adjudication, à leur rendre compte des jouis
sances et des dégradations depuis leur illégale détention, à dire d’exp e rts, et aux intérêts du tout, et aux dépens, sous toutes réserves.
• i-
y i •
»
A RIOM, DE L’IM P R I M E R IE D E L A N D R I O T , rue des Taules
�
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Factums Godemel
Relation
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Description
An account of the resource
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Text
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Magdelaine, Jean. An 9?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Desapt
Subject
The topic of the resource
créances
successions
dissolution
communautés familiales
Description
An account of the resource
Titre complet : Plaidoyer pour Jean, Michel, Magdelaine l'aînée, Marie, Magdelaine la jeune, et Élisabeth Garnier-Lombard, cultivateurs ; contre Jean Dosroux, Michel Garnier, propriétaires cultivateurs, demeurant au lieu des Garnier, commune de Thiers. De la cause le citoyen Vidal de Ronat, homme de loi, la citoyenne Anne Delots, son épouse. Le citoyen Chassagne-Dubost, propriétaire ; et la citoyenne Vidal de Ronat, son épouse, aussi demeurant à Thiers.
notation manuscrite : « 26 germinal an 9. Jugement du tribunal d'appel, annule la saisie. Recueil manuscrit, p. 122.
Table Godemel : Adjudication : 2. une adjudication de biens de mineurs, sur simple placard, lorsque le prix excède deux mille francs, n’est-elle pas nulle aux termes de l’arrêt de règlement de 1656 ?
ne l’est-elle pas aussi si la publication du placard a eu lieu le 17 avril 1775, tandis que l’assignation au tuteur avait été indiquée le 16 ?
Publisher
An entity responsible for making the resource available
De l'imprimerie de Landriot (Riom)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa An 9
1738-Circa An 9
1716-1774 : Règne de Louis XV
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
1789-1799 : Révolution
1799-1804 : Consulat
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
22 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G1404
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_M0116
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53218/BCU_Factums_G1404.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Thiers (63430)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
communautés familiales
Créances
dissolution
Successions