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��La citadelle de l'or
Roman d'aventuI'es inédit
par JEAN DES CHAISES
Du seuil de sa petite maison de bois perdue au
cœur de la brousse africaine, l'.ingénieur Jean Servan
re!;lardait avec quelque mélancolie s'éloigner les travailleurs noirs qu'il venait de congédier, ne pouvant
plus assurer leur paye. Leur flle n'était plus, au loin,
~u'un lon~ serpent noir qui ondulait là-bas Slll' le senlier et <J.UI disparut bientôt dans la masse verte de la
forêt qUi bordait la concession à l'est. C'était I1ni. Autour de l'ingénieur resté seul, c'était le vide total. Il
n'avait plus pOUl' compagnons que les moustiques, les
cigales ct les singes.
11 promena un lent regard assez morne sur la vasle
exploitation qu'il avait créée, à laquelle il avait donn(\
deux ans durant, son meilleur eITort et qu'il lui fallait
abandonner. Il contempla avec regret son œuvre, puis
rentra dans son petit bungalow.
- Et voilà 1... conclut-il en haussant les épaules el
cn se laissant morosement choir sur un des deux fauSont réservés tous droits de traductlOD, d'adaptation, da
misa nu théAtr!, ct nu Cinématographe.
P. H. A. n° 73.
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LA CITADELLE DE L'on
tcuils cn bois de caisscs qui lui scrvaient de siegc ... Et
maintcn an t '1 ... Quoi 1... Que faire dc ma lamcntable car~
cassc? ...
Le problème s'offrait il lui asscz épincux.
Il y avail quelquc dcux tll1S, .J ean Servan, jn~énicur
agronome fralchemcnt émoulu, ballait, son diploll1c Cil
poche, lc pavé de Paris, l'n quête d'une siluaLio n. Il la
trouva auprès d' Ulle société qui otrr:.lÎl tles postes aux
colonies, ct qui avait dcs plantations ct des ingénieurs
SUl' divers points dc l'ancien contincnt. Elle venait justcmcnt de négocicr avec le gOllvcl'J1clIleht portugais l'octroi d'UIlC conccssion dans le nord du Mozambitlue. La
région était, lui avait-on as~uré, exeellcnte pour le café
el le thé. Il avait c.u·le blanche. Le traitcment de début, en allcndanl le rcndement normal de l'exploitation, élait peul-être un pcu mince Cil égard il l'importance de la tâche, mais l'avenir, lui avuil-on fail rcssortir, dcvuil amplcment compenser. Scrvan avait
vingt-cinq ans. Il était parti. Il avait, pcnd.mt deux ans,
défriché, organisé, tout mis en trnin.
Les fonds, qui lui parvenaient d'abord assez régulièl'c lllcnt, cessèrent un beau jour d'arriver. La société
:lvaît mal tOlll·né. Ses actions, après une hausse al'tiHciellc, s'(-taicnt ·fi'ondrées. L'm.hn inistra lcur avnit été
arrête ... Et voilà 1. .. Servan restait scul, pfnnté dans la
urousse. Les réserves fort maigres qu'il avait cneore en
sa possession lui avaient permis de liquider ses noirs
Il y était mêmc de quelque urgent de sa !loche.
•
A l'heure actuelle, scul dans son bUlIga ()W, il exall1i~
nait assez soucieusemcnt sa situation pcrsonnelle. Il ne
lossédaiL guère pour tout viatique que ses économics
cs économies à peu près intégrales qu'on fait l1écessai~
1 ement au fond d'une IH·ous~e . .De quoi dirigcr ses pus
quelque nal'l, sans trop avoir a se presser ... Mais où?
Hentrer il Puris'l Cela avait évidellllllcnt SOI1 charme.
Mais il allait falloir se rcmeltrc il ell baUre lc pavé pOlil'
chercher Ulle lIouvcllc situation. D'ull autre côté, Jeuu
!
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Servan était assez épris de l'avenllU'e ... Hestel' par ici,
comme chercheur de J?lantes, d'animaux sauva~es , d'or·
chiùées rares ct de specimens ethnologiques qu on vend
aux trafiquants d'Amérique et d'AJlemagne, le tenlait
aussi ... A moins que les Indes Néerlandaises, Sumatra,
avec ses débouchés dans les planlaLions ...
Enfin, il réfléchirait à cela, quand il aurait atteint la
côle et repris conlact avec l'huma/lité. 11 verrait.
Le Destm, sur lequel il Ile comptait pas, allait hien·
tôt, sans qu'il s'en doute, se charger de décider pOlir
lui.
Le lendemain, dès le point du jOl1l', il quitta son hUll·
galow, et ne put s'empêcher de sourire en pensant à
j'ébahissement de l'inconnu que le hasard pourrait un
jonr conduire dans celle région désertique ct qui y
irOllverait lIne maison inaltendue, avec ses ustensilelJ
tic cuÎ.sine ct son lit de sangle, prêle à l'accueillir. Puis
il sc düigea vel's l'Est, ne sachant trop s'il gagnerait
Qllélimane ou Bcïnt. Il se décida à franchir le Zam·
bèze et c'est à Heïra, que, neuf jours plus tard, une auLo
louée en coms de roule le déposa.
Dans ceLLe possession portugaise, on parle un peu le
porLugais, beaucoup pilis l'::mglais, par ci par là l'bill·
ùOllslani, mais le franç.ais est lIne langue qu'on n'a pas
l'occasion d'y pratiquer. Allssi Jean Servan fut-il asse?
surpris Cil Cil Len ll:\I1 t, quand il ùescendit au Carlioll,
maI'leler des moLs français, et égayé de l'embarras du
porliCI' polygollc devant un voyageur qui venait ùe dévaniller ct essayait de se faire comprendre,
Jean Servan, qui parlaiL COlTeCLemellt l'anglais, vint.
au gralld soulagemellL du porUel', an secou!'s ùe SOIl
cOlllpalriotc,
Le;,; deux hommcs sc présentèrenl l'un à ]'anh'e. Le
personnage sc nommait Alexis Lépy. Il éLait de Lyon
d débarquait du paquebot de la Tr::mStlt.lalllica-Ïtu·
hUIla. C'élail un petit hommc rondelel, d'une quarantainc d'années, au leinL rosé (celle cOlileur DC larderait
LA CITADELLE DE L ' on
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LA CITADELLE DE L'on
pas il changer ici), aux yeux doux et candides, que
de grandes lunettes ronùes abritaient comme des choses tendres cl délicales. S'il nc parlait l'angl ais quc
d'ullc façon il peu près incompréhensible, il parlait en
revanche le français en lermes mesurés, choisis et précis. Cetle languc retrouvée, que l'exilé de ln brousse
mozambique n'avait cu l'occasion d'entendre . depuis
plus de dcux ans, 1lL un curieux elret à l'oreille de Jean
Servan.
Lorsque, deux hcures plus tard, Jean Servan, après
une bienfaisante douche, scs cheveux de broussanl
émondés et lotionnés pal' un coifI'eur et lc corps réjoui pal' du linge fl'ais, entra au dinin{]-roo1l1, il y retrouva, déjà attablé dcvanl lc pl:llcau dc hors-d'œuvrc, Alcxis Lépy, qui l'accucillit .Y'Ul1 cordial sourire.
A côté de sa table, le maÎlrc d 'iHüe l hindou avait juxtaposé lIne autre lablc au couvert dressé, qu'il lui désigna.
- J'ai pensé, sir, qu'il vous serait agréable ...
- Agl'(:'ablc certaineme~l, assura lc jeunc infiénielll'
en serranl la mall1 que lUI lcnd:nl SOIl eompatl'lole, si
toutcfois je n'ni 1\ craindre ...
- D'êlt'c indiscrcl? somit Alexis Lépy. C'cst moi
plutôt, monsieur Scrvnl1, qui dcvrais m'excuser dc lllOn
lIldiscrétion, car j'allais solliciter dc VOliS celle uimablc
intimité. Nous allons creer ici, daJ1S cc coin de salle,
ù flOUS dellx, une petite colonic française, si vous voulez )JÎcn dc lIla cOJllpagnie. Et puis, mu foi, VOtrc truchement lIle scra ulilc pour me fairc entcndre de ccc;
barbares. Jc me suis naïvement laissé dirc qu'on p~u·.
Jait Ull pcu partout le fl·a nçais.
- C'est une flattcusc légendc.
- Je le conslalc ici el jc Je dt'plore, ayant il me illettre en route 'p0lli' des contrées intel'Îcl11'cs ... Il cst vrai
quc jc connais quelques dialectes dc l'est africain.
- Vous êtes dOllC déjà venu dans ces régions? fit
Scrvan, surpris.
�LA CITAOF.LT,E DE L'on
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Du tout. J'ai simplement étudié ces dialectes. Mais
je crois, dit le petit homme en souriant, que j'amais
été plus sage d'apprendre aussi l'anglais. C'cst plus sûr
dès qu'on met le pied hors de la France. Peut-être
dès que j'aurais quillé les régions civilisées, m'en tien(Ira-t-on compte. Le geste généralisera d'Ulle façon suflisante. Des ~auvages me comprendront mieux qu'un
portier de palace ou le maUre d'hôtel hindou d'un
ciining-l'oom cosmopolite.
Le jeune ingénieur ne put sc défendre de s'égayer
de la philosophie sereine du peLit homme.
- Vous allez, dites-vous, dans l'intérieur du IHozambique?
- Dans l'intérieur, oui, mais, à parler net, je ne sais
trop où.
- Ah 1 bah? ... Eh bien, monsicur, déclara gaiement
Servan, vous avcz sur moi un avantage, car si vous ne
savcz ll'OP où vous allez, moi je ne le sais pas du loul.
- Commcnt cela?
- Je suis un laissé pour compte d'une pompeuse société coloniale qui s'est volatilisée, après avou' dévoré
en BOUl'se les capitaux de ses actionnaires.
- Diable!
- Et je ne sais encore vers quel point cardinal je
vais tournel' le nez. Un peu commc vous, en soml11e.
- Pas tout à fait, précisa doucemcnt Alexis Lépy.
Moi, je sais où je veux aller. Je me dirige vers l'anclCfl
empire du Mon01110tapa.
- Le Monomotapa'? ... fit Servan, les SOU l'cils haussé!!
ct la fourchette en suspens. Vous allez vers cc pays de
légende?
Il considérait avec quelque effarement ce peli t homme rondelet, ses joues rosées et ses yeux candides.
Avait-il affaire à une sorte de fou?
- Ah! çà 1 exclama-t-il l'oviaJement, SC 1'[.\ il-cc par hasard les fabuleux trésors ('Ophil' qui vous allireraient?
y croiriez-vous, par hasard, cher monsieur Lépy?
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LA CITADELLE DE L'OR
Alexis Lépy rajusta scs luncltcs d'un peLit geste familier ct secoua douccment la t êtc.
- Encorc quc cc nc soil pas, exposa-L-il de sa voix
pondérée, vers l'or qu e je vais, mais vcrs les vestiges
d'ulle racc ct d'UIlC civilisaLioIl disparucs - je suis archL'ologuc, eL ccla suf11L à Loule l'exislence d'uu homme
- je crois à ccs fabulcux trésors.
- Hcin? ...
- Et j'y crois justcmcnt cn archéologue el en fouilleur dc documenLs.
- Mais, plaisanLa Servan, l'existence d'Ophir n'estclle pas dans le domaine dc la fantaisie?
- Non, de la raison.
Hecolllluissolls en loul cas que les savanls tergiversent sigulièrclllcnl sur celle contrée fabuleusc, cL la
siLllent d'une fac:on déconcertante sur les points les plus
divers de la terre, cet O])l1i1' où lcs v~\Ïsscaux du l'oi
Salomon allaicnt charger de fantastiques Lrésors 1. .. Les
un~; le placent dans les Indes, du côLé de Surate, je
crois; d'autres il Sumalra; d'autrcs enfin - pcnds-Loi,
Chl'Îstophe Colomb! -- en Amédquc, au Mexil]lle, voirc
nu Pérou ... cc qui e:sL fou.
Mais quclques autres, nlppcla cn souriant le petit
hOlllllle, Ic siLuent simplemcnt ici, SUI' la côte orienlaIe d'Afrique, ne l'oubliez pas.
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C'est juste. lh affirJllent que les galéasses de Salo-,
mon ~ILor<lai('nt uu port dc Sofula.
Et ccux-lil ont raison, monsieur Servan.
- Mais, objecta l'ingénieur, on ne peuL guère tablCl'
quc sur de la légende-!
Croyez-vous '1 ... A travers la légende, quund on sail ,
J'éLudier attentivement, il cst aisé, pur des concordances et des recoupelllcnts, il en dégager l'histoire. Le système iuductif de J'archéologue ressemble un peu il celui
du policier. EL tencz pour assuré qlle mes longues obscrvations auraient suffi ù éLayer ma conviction sur
la situation - du moins approx.imative - dcs légcn-
�l,A CITADELLE DE l}OH
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daires gisements d'Ophir, si, de surcroît, il ne m'avait
été donné tic la baser sur des documents qui datent de
temps llloin~ reculés ... Il est à peu près établi que ces
trésors ont" été vus.
- Vus ?... tressaillit Jean Servan, considérant avec
effarement l'étrange petit homme. Ces prodigieux trésors auraient été vus ?... vus, diteS-VOlis '1
- Mon Dieu, il vrai dire, précisa l'archéologue en
ajustant placidement ses luneLLes, Je fait en lui-même
n'a pu être exactement contrôlé, mais les circonsl ances
qui l'accompagnent permeLLent de le considérer comme ]Jl'oonble. Un très vieux document portngais, tombé
dans l'oubli depuis longtemps, le relate. 11 est asse z
drôle, mais frnppant ... Il y a quatre siècles, lin missionnaire portu~ais avait été catéchiser le Monomotapa.
C'était le pere Silveira, de la compagnie de Jésus. II
entendit (>arlel' des fameux trésors et fut curieux tic
les voir. l' ort affable, le roi du pays le conduisit SUl' le
lieu des mines, les lui monlra, puis, par prudence, le
fit étrangler et jeter à ses crocodiles, la divulgation tic
ces immenses richesses pouvant devenir, se dil-ll sa ilS
ùoute, un dan~er pour le pays ..
- Mais, objecta l'ingénieur, COIllment alors put-on
jamais savoir? ...
- I)ar un converti de ce père Silveira, qui lui était
resté très aliaché, ct qui parvint à gn gner Qllélimane.
Les Portugais de QuéJimnne l?,rirent soin de penùre cct
homme, cela va de soi, pour etre plus certains qu'il lie
propagerait pns cet important secret. Mais, par la suite,
sous coulclIl' de venger Je missionnaire, en réalité
pOlir IIlcttre la main SUI' ces trésors, un millier de cavaliers portugais, sous la conduite du Jésuite Bal'féto,
débarquaient il Quélimane.
. .
(j: Guidés pal' un métis arabe et SUlV1S de n ombreux
escla ves noirs, de che,,:aux de. trait \)OUl' lems. canons
et de challleuux charges de Vivres, Ils remonterent 10
Zamllèze. C'était l'été. la saison des torn~dcs. Après ulle
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LA CITADELLE DE L'on
épuisante marche de plusieurs semaines, la crue ne
permettant pas encore de traverscr le flcuve, ils dressèrent leur camp sur la rive. L:i, il advint que les animaux furent fnlppés d'un mal singulicl·. Ils moururent lous. Accusés de les avoir empoisonnés, les esclaves ct lc guidc furent exécutés. Lcs POI·tugais d'alors
ignoraient les méfaits de la mouche tsé-tsé. L'expédition, éprouvée d'ailleurs par la malaria, dut rebrousser chemin, privée ùc montures ct de vivrcs. Deux
cents piétons ù peine rejoignirent Quélimane, pour y
succombcr de la fièvre. Dcpuis, la tentative vers les
trésors ne fnt pas renouvelée.
- Mais, s'cnquit Servan, celtc expéllition avortée,
quel Cil était l'objectif?
- Le doculllcnt le IJréCise. C'était Zimbahwe.
- ZillliJabwc? .. fit e jeunc ingénieur, déçu. Mais de
nos jOllrs on cst fixé. 11 n'y a ricll.
- Si, <tH le pclit archcologtlc avcc un fin sourirc,
il y a ulle ruinc étonnantc, qu'on découvrit, il y a <[uclquc soixantc ans, ~tJ. cœur de ce pays sauvagc, une
sorle dc tClllplc ellJptl«uc avec dcs mUI'S forlllulables,
ct, tout autour, un sol défoncé qui indique UIlC ancienne mine épuiséc. C'était unc cltadclle de l'or.
- Bcllc citadclle, sans or! dit Servan Cil riunl. Lcs
Portugais dc Barréto, s'ils avaicnt Illi l'aLlcindrc, sc scraicnt cassé le liez dans des Illurs vides.
Alexis Lépy plissa son fin vjsa~c.
Cc n'esl pas sculemcnt, dit-JI, dans des murs vides qu'ils se snaicnt cassé le nez, mais dans unc er.
rCUl" de mol... On appelle cello contrée Zimbahwe
mais ce qu'on ne sait pas, c'est que Zimbabwe n'cst pa~
précisément le nom du liell mais lin mot bantou qUI
désignc cc genrc de conslrllctiOlls d'une autre époque
ct d'une nutrc race ... Il existe d'autre zimbahwes.
- Vous dites'?,! ... frémit l'ingénieur ... d'autres zintiJubwcs ? .. Ce serait pl'odigicllx 1. ..
- Du tout, naturcl au conlraire, si nous cOllsidéronll
�LA CITADELLE DE L'OR
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que le point de la côte le plus rapproché est précisément Sofala, où abordaient les vaIsseaux de Salomon.
- J'avoue, palpita Servan, qu'il y aurait de quoi
troubler, en efret.. . Mais, quelles raisons auriez-vous
cependant de croire il l'exIstence de ces antres zimbabwes?
- Celle-ci: Hallier, qui explol'U l'ouest du pays de
Gaza - n'oublions pas que 1 antique mot Gh:lZa veut
dire : trésor - relate dans ses memoires, avec le tort
de ne pas y attacher l'illlportance méritée, que les rares
indigènes de ces contrées sauvages lui ont appris quc,
du côté du couchant, il cxistait des « cités dc pierrc ),
vers lesquelles ils se sont opiniâtremcnt refusés il le
conduirc, les disant hanlées des Esprits ... Que serait-cc,
ditcs-lc-moi, quc ces cités de pierrc, à l'onest dc la
Zimbabwe découverte par hasard il y soixante ans, sinon d'autres zil1lbauwes encore incollnues?
Jcan Servan écoutait ù travers unc sortc dc vertige
grandissant.
Ainsi donc, si cela était cxact - ct cela semblait
l'èlrc - ccLLe I2rodigieusc contrée ù'OplJir, dont on parIait dcpuis pres de trcnlc siècles, pouvait nc pas être
Ull mythe? ... une tcrre dc songe? ...
Il considérait avec une eCI'taine émotion ce pctit savant tlU doux regard (l'idéologue, qui allait, avec unc
invraiscmblablc placidité, s'cn{{ugel' dans ce pays fabuleux, marchcr dans du palpitant mystèrc vors une UVCIltLII'C inouïe.
'1.
l1,
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'"
•
Et le l)clit bonhommc Je rcgardait aussi, semblant
sui He les l;lensécs fiévrcuscs de cc jeune ingéniclll' que
la civiJisatLOn avait laissé pour compte SUl' cette 10111taine côte africaine.
- Monsicur Lepy, dit dans un élan soudain J can
Scrvan, je ne snvuis, il y a une heure cncore, où diriger mes pas ... Il me scmblc à présent que, si ma comvagnie nc vous était pas importune, jo me scntirais prèt
t\ s\~ivro lcs 'lôtrcs.
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LA CITADELLE DE L'on
- Ah! buh? fit lc pelit bonhommc avec un malicieux
sourirc, vous sentiricz-vous pris d'un pcnchant soudain
Il0Ul' l'archéologic?
- Non, mais rcpris avec force d'un pcnchant natu.l'el vcrs ]c Hêvc t
- Eh bien donc, mon jeunc ami, dit Alcxis Lépy en
lui tendant la main, nous marcherons cnscmblc vers
lui. Dcs pierres, dc l'or ct dcs ch imèrcs, voilà ue quoi
sera fait l'inconnu vers lequel nous irons de conserve ...
Si toulefois la malaria, l'épuiscment ou quelquc sagaic
ind igenc nc nous arrête pas en route .
•*.
J
V.
\
t.·"
Lc prodigieux silcncc dc cc lieu sauvagc n'était
trouble, celle nuit-là, que ]laI' lu pcrpétuelle danse aériel1l1e et le petit grésillcmcnt des insectcs autour dc la
flamme sifflanle de la lampc dc l<érozènc qui élait poséc SUl' la petilc tablc pliante cIc campcment, où Alexis
Lél>y, abondamlllcnt enduit de formol cl d'csscncc, consu tnit ct griffonnait dcs notes.
Un étonnant compagnon, ce pctit archéologue, aux
joues toujours rosées malgré les quatre dures semaincs
de randonnéc à lravers le bush farouchc, cclle perpétuelle brousse hoisée qui couvre ]es trois quarts de
l'Afrique du Sud. 11 allait commc dans un rêve à travers cet inconnu sauvage, les yeux tournés vers l'invisiblc bul oit le pol'lail son ardcur d'archéologue, [\I"dcm'
qui scmblait croître au fu!" ct à mcsurc qu'on s'enfonçail plus avunt dans cellc contréc perdue, COJllplètcmcnt isolée du l'cstc du lIlonÙc. On avail la saisissante
imprcssion dc vi VI'C ici duns UIIC auh"c époque, voire
dans unc autrc planète.
Drins unc clairièrc qui s'ouvrait en dcmi-Iunc à l'extrémité d'un plateau, au-dessus d'un gigantcsque cirque rocheux au bord dUCJucl ils avaient fail ce soit'-Ià
)eur hulte dc nuit, Jean Scrvun, assis SUI' lin pliant de
toile, contemplait songeusemcnt ln masse al"{;cnlée des
mystérieux monts du Slûmunimuni, qui d("CSSillcut dc-
�LA CITADELLE DE L'on
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vant lui leur gigantesque mur de rochers, domaine du
prodi <ficux inconnu.
- Vous regardez la paroi ? .. dit Alexis Lépy, qui,
ayant mis ses noles en ordre, était venu s'asseoi.
près de son jeune compagnon. Dans quatrc ou cinq
Jour au plus, nous aurons vraisemblablement aLleint
scs contrcforts.
- Vraiscmblablement, oui, si de formidables cre~
vasscs ne nous coupcnt pas le chcmin de l'ouest. Quant
à la franchir, supputa Jean Servan en secouant dubiLa~
tivemcnt la têtc, ccci me semble chimérique.
Il montrait, dans la nuit claire, la fantastique masse
chaotique, prodi~icux entassement de monolithes mons~
trueux, amonccles, aux parois lisses et abruptes, dl'es~
sant dans le ciel leurs sOlllmets inacccssibics.
- Bah! sOUl'il le petit archéologue, un passage existc,
De peut pas ne pas exister .. , Après-demain salis doute
nous aurons là-dessus quelques données précieuscs.
- Comment cela?
- Après-dcmain nous serons probablemcnt en pré~
senee du premier temJ?le élliptique, qu'il est aisé de
situer devant nous. Et Je serais bicn. éloI].l1é si nous ne
trouvions pas là quelquc indice qui nous dirige vcrs
Ull autrc,
- Le croyez·vous?
POUl' qui sait lire le passé à travers les ruines,
bien des choses se reconstituent, bien des secrets se révèlent. Au surplus, la logiquc seule nous sert de garant.
Il est évident qui si d'autrcs cités de pierre existent
dans l'ouest, c'est que ce mur du Shimullimulli n'est
pas infranchissable. RaisoJ1uolls. Ces cités dc pierre ' ont
été signalées à Hallier )Jar des natives de ces contrécs,
c'est donc que ces natIves du versant est, pour savoir
(IU'elles existent, les ont vues. Et notez enoore que ces
indigènes ont « refusé de l'y conduire :1>. Il est donc
d'une logique valable qu'ils .~ pouvaient ~ l'v con~
duire.
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LA CITADELLE DE L'on
C'est juste,
Les deux compagnons ('estèrent quelques instants silencieux, contemplant dans la clarté lunaire ce saisissant pays de légende, buvant ùu seuil de leur lcnle
le calme ul?aisant <le la nuit.
Tout le Jour, l'air avait été étouffant, sous un ciel
précurseur de la tornade, Mais après la chule du soleil,
une brise fraîche descendue de la monlagne avait dissipé la menace d'orage qu'annonçaient les feux cuivres
du crépuscule. La nuit avait pris sa splendeur africaine, La lune, à son plein, semhlait un fanlastique ballon lumineux qui étincelait dans l'infini d'un ciel limpide. Tout :IutOUI' du c:lm~)ement, duns les profondeurs
du sous-hois stl'Îé de lumiere lunaire, la forêt s'animait
de glissements cl de souffles, sc peu\)lait d'yeux,
Jean Servan quilla son pliant ct a la IB'endre son
fusi 1. Il fallait songel', pal' celle nuil claire, il abath'e
quelque antilope ou quelque phacochère pour les vivres ùu lendemain, Une rivicrc n'était pas loin, Lit,
l'affût sel'ait bon, Comme il bouclait sa cal'louchière,
un ùe leurs noirs vint vers eux,
- Feu ... indiqua-toi] en tendant sa main vers un imperceptible point lumineux à ulle grande dislullce dans
le sud-ouest.
Les deux homl11es distinguèrent en elfcl la \J'ès lointaine lueur sur un rochel', A la bien observel', c'était
un feu de campement. De leur côlé, les porteurs halltous qui sel'vaient d'escortc aux deux blaues venaient
aussi d'allul1lel' un fcu.
- Eux, là-bas, expliqua le noir, les hommes qu'on
attend, NOliS faire saVOII', pOUl' eux venir ici,
Depuis vingl-neuf jours que Jeun Servan et l'archéologue avaient quillé Beïra, ils avaient deux fois déjà
changé dc porteurs. Ccux-ci, cngagés à Shibula, ne devaient pas allel' plus loin, ft cause des Esprits, l\ît.is
l'un d'cux, depuis une semaine, avait pris les devants
llOUl' tl'ouver des hommes du Shimanimalli qui les l'e11l~
�LA CITADELLE DE L'on
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placeraicnt. Ce signal assurait qu'il avait trouvé. Lcs
Il'Ouveaux portcurs seraicnt là sans doute vcrs lc levcr
du soleil.
Fixé sur ce point, Jean Scrvan passa la bl'ctclle dc
son fusil à son épaule et, laissant son compagnon nu
campcment, s'cnfonça dans la forêt. La chu'té lunaire
la baignait d'unc lumièrc prcsque irréelle. Parfois, de"ant lui, des formcs impréciscs s'immobilisaient, puis
muient soudain à travcrs lcs troncs d'arbres contorsionnés ct lcs buissons.
Il allait, marchant vcrs lc sud, penché, écartant de
son casquc les branches épineuses, l'oreille aux agllcts.
Parfois, lin fculement lointain et voilé faisait vibrcr
sa noIe féline, puis un fracas dc branches brisécs, lIne
galopade de fuile, un long bramcmcnt d'agonic indiquaicnt un fauve qui chassaiL aussi. Pal' instants, dans
le silencc, une coquc mûrc éclatait avcc un bruit détonnant, projetant scs graines dures; des singes s'agitaicnt dans lcs hnll1chcs avec des souffles rageurs ...
Il atteignit la rivière, et rcsta SUl' la lisièrc du COllvert, scrutant lcs alentours de l'œil et de l'oreillc. Dans
lcs profondcurs cnvironnantcs, sc faisaicnt percevoir
dcs froisselllcnts fcutrés. En (lllcntc, il tendlllt son attention vers ces bruits légers, l'arme prêlc ... Une massc
émcrgea des fcuillages, sc dirigca vcrs l'cau, s'arrêta
soudain, fixant dans sa dircction les deux feux dorés
dc scs pruncllcs immobilcs ...
Promptement, le chasscur fit joucr il. la ceinture la
pilc qui alluma la lampe élcctriquo fixéc SUl' le devarit
dc son casquc, à la hauteur dc SOI1 front, saisissant
dans son brusque faisccau dc clarté une superbe antilope raidie sur scs fincs pattes, lcs sabots coincés au
sol. Il épaula ...
Au mêllle instant, dcrrière lui, vibra, comme un
llarmonieux son de harpc, une note légèrc et plaintive,
scmblablc à un cri d'hJrondelle, ct à Ull mètre dc son
orcillc passa un sifnement aigu qui semblait lacércr
�14
LA CITADELLE DE L'on
l'air, L'antilope se cabra, retomba sur ses genoux, puis
s'écroula, la tempe lrouée d'UIlC flèche.
Jcan Servan se retourna d'un bond, balayant du
rayon de :;a lampe le lieu d'où venait de parUr cette
flèche,
A tI'ois pas de lui, venant de surgit· du couvert, un
hOTllme était arrêle, aveuglé, une main au-dessus de se:,
yeux, saisi par cetle clarlé, C'était un noir gig::mlesque,
dont le corps, ceinluré d'une peau de léopard qui lui
desccndait il JlIi-cuisses, él:ül curieusement zébré de
lignes transvcrsales claires, comme ces hommcs-panthèl'CS du sud du Congo bclge,
Son fusil au poing, pl'êt à fairc fcu, Servan observait
ses gesles, épiant aussi autour ùe ce compagnon inaltcnûu, dans l'attcnle de l'in'uplion <.le quelques congénères.
Mais l'homme ne semhlait animé d'aucun sentiment
l10sli Ic, Comprenant J'allilude dnbJanc, il laissa tomhel' SUl' le sol son urc el ses trails, ainsi que la puissante massue qlli était suspendue à son coude pal' UIlC
co Il l'I'oie, Puis il leva ses grosses mains et agita ses
doigts noirs, sa face noire ouverte pal' un clincelanl
soudl'c,
Sans arilles, il s'approcha et l)rononça deux ou trois
mols sOJlores, en un idiome inl igène que Jean Servan
ne comprit pas, Tl les répéta, en les appuyanl de quel(lues gesles que son Intel'loculeur ne parv1l1t pas ù saisu' non plllS, Découl'ugé, le noil' zéhl'é rrllliassa se,~ armes, qU'JI rajusla SUI' lui ù leurs places ha])Ïluclles, ~uis
se dirigea vers l'antilope abat! lie, Ayant récupére cl
rangé sa flèche avec les autres, Jean Scrvan le vil avec
stupeur sc baisscr vers celle énorme pièce ct, sans Je
moindre effort apparCIl t, ]a charger SUI' ses épaules.
Le fardeau solidement calé, J'hercule noir, toujours
béatemenL sou1'Îant, l'invita par des signes ùe LNe répélés el insistants à le suivre, el, à la grande surprise
�·.
LA CITADEJ.LE DE I}On
15
du jeune ingénieur, prit ]a direction du campement qui
élait à l'extrémité du plateau.
Jusque là, l'invitation du géant noir ne pouvait que
concorder avec les intentions de Jean Servan. Gardant
son fusil à la main, l'œil en éveil, il suivit l'homme et
sa charge.
Cc ful précisément au campement qu'une demi-heurc
plus lard ils arrivèrent de eons'Cl'Ve. 1\.t1""\..
L'arrivéc de l'homme zébré ne par'ut que fort pell
étonner les noirs bantous, qui exposèrcnt en leur langue que ce]ui qui venait d'arriver était sans doute le
chef des porteurs (~l1'on allendail.
Les Bantous et ] indigène du Shimanimani ne pouvant sc comprcndrc que par des gcstes" l'archéologue
essaya de prendre langue avec Je nouveau venu en matébélé. Le visage du noir s'éclaira d'un sourirc. Il comp.·cnait.
L'homme se nommait Houloughi. Il scmblait doué
<l'unc ceri aine , intelligence pour un sauvage montagard. Il était venu en avant, isolément, par des chemins
détournés pour p.·cndre contact et se rend.·c compte
de ce qu'on attendait de ses hommes et de lui.
Ayunl entendu l'objcctif dc la randonnéc, il cessa de
soudre et hocha gravement la tête.
- Il Y a danger, dit-il d'un air soucicux.
- Les Esprils, vcux-tu dire sans doute?
Le noir resta quelques secondes pensif.
- Oui, dit-il enfin, réticenl, il y a les Esprits, et. ..
il y a autre chose.
- Autre chose? .. fil Lépy. Quoi donc?
Le chef hésila. Il rcgardait dc côté les noirs banlous, craignant sans doute parmi cux des on'iIles dangercuscS.
_ Je te ]c dirai, éluda-t-il, quand nOus serons sur
lu route ... Alors, lu décideras si lu dois aU cr plus avant
ou retourncr sur les pas.
�1G
LA CITAD ELLE DE L'on
Le lendemain, dès ]a pointe du jour, les autres hommes du Shimanimani arrivèrent, cinq noirs vigoureusement découplés, solides ù souhait comme porteurs
pour celle contrée montagnellse où Oll allait s'engager,
et où la marche allait être difficile.
Dès leur arrivée, l'ancienne équipe des Bantous, licenciée, reprit le chemin de l'est ct s'enfonça dans le
bush qu'on venait de parcourir, tandis que les deux
hlancs, avec la nouvelle équipc, reprenaient la direclion de l'ouest.
Houloughi, sans charge, marchait en tête, servant de
guide à travers cc pays rocaillcux, qui, au fur ct à mesure que l'on s'y enfonçait prenait un aspect de plus
en plus chaotique, une physionomie inconnue et Carouche qui saisissait. C'était commc un autre univers, bOilleversé par d'antiques convulsions. On allait à travers
un amoncellement de blocs, empilés lcs uns sur le'l
nutres, dont les prodigicuses assiscs se dressaient parfois jusqu'aux nues. La marche était des plus ardues,
nécessitant parfois des escalades de plate-formcs l'o·
cheuses en plates-formes rocheuses .
Ver:.; la fin du quatrième jour, les voyageurs scmblaient avoir ullcint les limites accessibles de la 1110ntagne. Ils n'étaient cependant qlJC dans ses contreforts.
Au-dessus d'eux sc dressaient, les dominant encore de
très haut, les parois vertigincuses qui montaient aux
sommets.
Ils s'arrêtèrent ce soir-là, avant le couchcr du soleil
sur une sorte d'éperon qui surplombait un vitle.
'
Tandis que les noirs allumaient un feu ,pOUl' y faire
rôtir le quartier de waterlJruck qui allait servir au
repas du soir et dressaienl la lenLe de campement,
Houloughi fit signe aux deux blancs de le suivre et les
conduisit :lU bord de l'immense cuvelle.
Dans celle excavation que les rayons obliques dl1
�LA CITAD E LLE DE L'OIt
17
soleil déclinant laissaient déjà dans l'ombre naissante,
il leur désigna quelque chose. Les deux hommes tres-
saiJliren t.
- La zimbabwe !... s'épanouit Alexis Lépy, penché
au-dessus de la paroi verticale.
Dans ce cirque, en effet, s'érigeait une ruine, dont les
coutours, vus d'en haut, se précisaient en une fortne à
peu près elliptique J?ur une CeiI!tUl'e de ll1111'S épais,
aux crêtes çü et là eboulées, renfermant une seconde
enceinte de murs parallèles, coupés de passages étl'oits
et flan<jués de rotondes et de tours.
- L ancienne citadelle de l'or 1... murmura le jeune
ingénieur.
Pal' une cOl'1liche étroite ct irrégulière qui descendait
le long de la paroi, puis par des ravines croulantes,
domaines de gros lézards couleur d'arc-en-ciel et de
minuscules crapauds 9ui avaient la couleur et la forme
de cailloux, ils atteigmrent la ruine. Sur un large espace
autour de ses murs, le sol creusé, semblail avoir été
éventré, fouillé, vidé ùe sa substance. Depuis près de
trenle siècles, celte mine avait livré sa dernière pépite.
La citadelle n'avait comme orifice que l'étroit espace
entre deux l'OCS auxquels s'épaulait le circuit des murs,
et la seconde enceinte ne s'ouvrait <),ue du côté opposé.
Elle était occupée pal' une cour inlerieure flauquée de
tOlù'S pleines, bordées de réduits. Le tout était à ciel
ouvert. Les trésors étaient épuisés et la forteresse vidt',
comme les gisements environnants.
Le jour baissant obligea Alcxis Lcpy, pour micux
examiner le lieu, à se servit- de sa lampe électrique,
donl il fil cOllrir sur les murs le rayon de clarté. Ce
faisceau se fixa soudain sur une assez caraclél'istique
figure géométrique.
- Avais-je raison ?... Avais-je raison, mon jeune
ami L. exult a-t-il. llegardez 1... Regardez 1...
Il montrait triomphalement il son compagnon saisi le
double triangle de Salomon formant l'étoile à six POill-
�18
LA CITADELLE DE L'on
tes gravé sur la pierrc comme un sceau. Cetle découverte était impressionnante. Mieux que tout document,
elle confirmait l'existence réelle de ce légendairc pays
d'Opbir.
L'homme du Shimunimani considérait les deux blancs
qui observaicnt cellc gravurc ùans la picrre avec une
tclle '1llcntion.
- 11 Y n, dit-il d'autres marques comme ça ... là-bas ..•
au-delà dc la montagne.
- Comme celle-ci, n'cst-cc pas? fit le pelit archéologuc avec Ulle vi vc émolion.
- Oui, à autant de jours de marche qu'j) y a de
doigts dans ulle seule main ... El puis encore, hésita-l-il,
:'t lInc plus longuc marche vers le côté du couchant,
UIlC antre zimbabwe.
- Hein ? .. triompha Alexis Lépy. Je l'avais dit! La
cHi: de pierre dont on avait parlé à Hallier 1
- En cs-lu slJr? .. Dt vivelllenl traduire Jean Servan.
- SÜr. .. affirma le sauvage.
- Mais viùe aussi peul-être comllle celle-ci?
- Oui, vide, comme ici ... 11 n'y a rien, que de la
tcne remuée, où il a poussé des arbres el dc la broussa i Ilc, comme ici ...
-- Ah? ... firent les dcux hlancs lléconcel'lés.
Evidemment, si la fabuleuse contrée d'Ophir sc révcluiL ici, il Ile reslait plus dc ses prodigieux trésors
que des excavalions vides, où dans Je sol éventré la
vcgélaLioll avait repris ses droils.
- El puis, l'Clll·j 1 ]e sauvage, en étendant sa main
vers l'ouesl, unc aulre encore, dans l'aulre versant de lu
montagne, en all:wl vers le sud.
- Vide aussi, commc les autres?
L'hollllllc zébré hésila.
- Non, dit-il enllu, en regardant autour de lui avec
j nquiéludc les ombres de la nuit qui s'épaississaient.
Il y a autre chose.
- Mais quoi?
�LA CITADELLE ))E L'OR
19
- Elle.
- Qui ça, Elle? ...
L'homme paraissait peu enclin à aller plus loin dans
ses explications. La nuit environnante lui donnait une
sorte de terreur mystique. Il se décida à demi.
- La Iille de la lune, fil-il entendre, qui trône sur
de l'or.
- Ah? ...
- Et puis UI1 ~uinnél noir, qui la tient cap Live, et
veille sur elle ... C est le génie du Sang. Il est lerI"ible.
Il règne sur la eonlrée.
- Mais enfin, qui sont donc cette Iille de la lune ct
ce génie du Sang.
- Je Le dirai ce que je sais quand le jour sera autour de nous ... ct surtout pas ici... pas dans ces pierres
où nous sommes. Il y a des Esprits.
Le vol mou des chauves-souris qui décrivaient des
cour'bes grises :l1ltOUl" de lui lui donnait des fdssons.
- Mais, objecta le petit archéologue, pour franchil'
la montagne?
- On peut franchir, dit l'homme zéhl'é en baissant la.
voix. Ji faut de la fatigue, du courage, ct savoir le passage.
- Tu le sais?
Le sauvage baissa affirnwli vement la tête.
- nentrons, dit-il d'une voix sourde. Il Ile faiL pa.~
hon ici la uuit.
On n'en put lirer autre chose. Ils quittèrent les ruines
ct regagnèrent, silencieux, le campement.
:.
Celte nuit-là, tandis que le peLiL archéologue, devant
1. Un génie des ténèbres.
�20
LA CITADELLE DE L'OR
la lampe de kéro~ène, était plongé dan's ses noies, Jean
Servan, lui, élait 1?longé, sous les étoiles, dans une fié·
vreuse songerie. L aventure et le mystère se précisaienL
Que diable voulait dire l'homme du Shimanimani,
avec celle « fille de la lune 1> qui « trônai! SUI' l'or » ct
ce terrible génie du Sang qui régnai l SUl' cette contrée
et veillait sur cette carLive1 Il en parlait avec une sorle
d'effroi lll}'stique. EtaIt-ce de la légende? .. Ces quelques
mols, sortIS paI' bribes des lèvres inquiètcs du sauvage,
ne laissaicnt pas dc faire marcher quelquc pcu l'imagination du jeune ingénieur... Pcut-êtrc <.Jans la rassurante lumière du jour ct quand les chauves-somis
dormiraicnt, H01110ughi donnerait-il l'essor à ses expli·
calions.
En attenùant cel instant, Jcan Servan, rompu par
l'l!ta1Je de la journée, alla ùans sa tente s'cnfouÏ!' sous
la moustiquaire et dormit en rêvant des trésors
d'Ophir, au milieu ùesqucls trônait la prodigieusc l'cine
dc Saba ...
Au point du jOllI', ]a peLite colonne reprit sa marche,
si toutefois on peut appelct, ainsi une succession d'escalaùes à travers des éboulements monstrueux OÙ souvent les porteurs devaient, en faisant chaîne, hisser
leurs charges à bout ùe courroies,
On atteignit vers )e soir, SUl' Je flanc montngncux,
un entassemcnt titanesque de formidables blocs ovoïdes,
(lui formaient là unc muraille semi-circulaire infranchissable.
- C'est ici le passage, dit IIouloughi.
Il se glissa en rampant dans un assez étroit inter.
valle que formait au ras du sol un espacement de rochers ovoïdes, Une vi ngtainc dc mètres SUI' les genoux
cl SUl' les mains permirent de déhoucher il. l'autre
orifice de cc tunnel dans lin espace plut, qui aboutissait
ù des plate-formes en gradins accéùant il. un vaste pluteau, Là, la marchc rCJH·it il peu près normale.
Vers Je milieu du CInquième jour, on sc trouva, ùans
�LA CITADELU: DE L'on
21
une excavation, en présence d'une autre zimbabwe, h
peu près identique à celle qu'on avait laissée sur l'autre
versant. C'était Je même aspect des murs et du sol, dont
Alexis Lépy ne manqua pas de prendre de minutieuses
photographies. Là encore se reLrouvaient les mêmes
figures géométriques du double triangle de Salomon.
Celle conLl'ée, les deux blnncs n'avaient plus à en dOl!ter, était bien le légendairc pays d'Oplllr de fabuleux
renom, cl celle seconde cité ùe pierre, trouvée au point
signalé pal' l'homme du Shimanimani, ne permellait
pas de douter non plus de l'existence de celle dont il
parlail aussi, celle qui s'entomait d'un prodigieux
mystère, et qu'on trouvait maintenanl en marchanl vers
le sud.
Mais pour diriger ses pas vers celle-ci, l'homme
zébré hesitait.
- Là, dit-il d'uu air grave, il r a danger.
Par sa remarquable documentallOn sur les peuplades
de ces régions, le pelit archéologue avail acquis la
)Syc!tologie des noil's monlagnards du Shimanimani.
>our vaincre les hésitations dc celui-ci, il affecta un air
méprisant.
- As-tu peur? dit-il en le l'egal'danl avec hauteur.
Alors, va-l'en. Helourne dans ta caverne cachée au fond
des rochers, guerrier timide. Nous irons seuls.
Il avail frappé avec justesse le poinl sensible ùu noir.
Celui-ci se redressa avec orgueil, son irrésolution envolée.
- Les Matébélé, dit-il avec noblesse, onl le cœul'
courageux. Ils ne reculent pas devant un danger. AlIon<;
vers le sud. Là où Lu poseras ton pied, homme blanc,
je poscl'ai le Illien ù colé du lien. Mais, avant de 1I0US
lIIeth'c en chemin, ecoule ce qu'il faut que tu saches.
Je l'ai dit que je te l'apprendrais quand nous serions
sur le cheJ1l1ll qui peul cOIHluil'e il une mauvaise mort,
ct qu'alors tu décidcrais si tu dois aller plus loin Oll
revenir sur les pas.
I
�22
LA CITADELLE DE L'OR
« Ecoute. Des quelques hommes du Shimanimani,
braves et aventurcux, qui ont dirigé leurs pas vers cette
conlrée, aucun n'est jamais revenu, sauf un, il y a longtemps, qui, depuis, a perdu ]a l'aiso11, Avanl que sa pensée, s'en aille, emportée par la fièvre el la peur, il a dit
ccci:
« Il y a, toul là-bas, dans le sud, après avoir lraversé
ulle forêt épaisse, une grande vallée où croissent de
grandes fleurs qui sont comme des houches el qui
mangent des I)apillons el même de petits oiseaux, ct,
aussi, celte P ante de la Résurrection 1, qui ne pousse
que dans les pays habiles pal' les Esprits, En traversant
celle vallée, 011 arrive, après avoir remonlé l'autre vcrsanl, SUI' un plateau, où se dresse Ilne grande cité de
pierre. Là, sur ce plateau, s'élèvellt de très grands
arbrcs donl l'ombre ct le parfuill donncnt lc sommeil.
- Des mancenilliers .. , mlinUlira le pelit savant, qui
écoulail nvcc aLLenliion.
- Ceux qui aPJ:>rocllCnl la cité de pierre ne se réveillcnl qlle pOUl' clre livres à lIll sacrifice. Ccl homme
du Shi11lHnimani, qui a pu l'approcher sans êtrc vu et
sans moudl', dil que de1i hommes noirs l'habitent. Ils
0111 pour chef un sorcier redoulable, qui règnc pal' la
terreur el boit du saug humain. Dans celle cité, il y a
SOllS une grande tour, un escalier c,Iui conduit ù un souterrain voûlé, où ils immolent, apl'es les avoir todurées,
des victimes, qu'ils vonl enlever, el1 passant par un passage secrel de la monlagne, dans les regions du slld.
<.: Dans la seconde enceinle, habile la fille de la lune,
tlllC femmc blanche, qui trônc parmi des monceaux,
d'or ...
1. Curieuses .planles ainsi nommées ù causc de leur
aptilude à rClHutrc dès qu'on trempe simplement dans
l'cml un dc leurs rameaux dC1)séché.
�LA CITADELLE DE
J/on
23
« Voilà le licu vcrs lcquel tu vcux allcr. A préscnt,
réfléchis, ct quc ta rnison guide tcs pas. l)
Alexis Lépy avait atLcnLivcl11cnt écoulé lcs cxplica~
tions du snuvagc, ct restait profondément pensif. Dcs
souvcnirs lui rcvenaient curicuscmcnt en mémoirc,
révcillés notnmment par ce caveau soutcrrain olt on
immolait des victimes. Ccla lui donnail singulièrement
il penser.
Il y avait Cil jadis, lors de la ~1"al1(lc révoltc des Mat6b61é du sud, la légende du kOpJc 'jcllé, ùont le nOI11
avait figuré sur divers documents. Il s'élaiL réflleié dan!!
lin pays ignoré. On avait padé dc certaine « Cavc dcs
Sacrifices). Et bien des blancs de la Hhodésie britannique avaient disraru, cnlevés, disait-on, par lui. Sa
h:ullc des blancs etait légendait·c.
Cet Esprit terrifiant, qui habitait ceLlc cité de picITe.
inconnue, inaccessiblc, ne Sel"ait-cc pas cet homllle?
Mais ccLte étrange lille de la Junc « qui trônait SUI"
des monceaux d'or ) ? ..
- Que decides-tu? .. demanda l'homme du Shjlllani~
Dlani.
- Dc continuer mcs pas, dit simplement lc pctit
bonhomme.
- Certes! appuya avcc [Ol'CC son jculIc compaGnon,
.
que l'avcnturc soulcvait.
- Que Ics Esprits soicnt avcc nous 1. .• di t le sattvl'ge
en hochant gnlYClllent la têtc. Demain, nous nOlis rel1lettrons Cil route.
.*.
13icn quc nOI1 moins sauvngo quc celui de l'est, co
versant du Shimanimani avait un aspect différent. SUI'
]e flanc montagneux rcparaissait la l,rousse boisée du
bush su.d-africain, avec sa faune intense, qui assurait
�24
LA CITADEL1,E DE L'on
]e vivre. La marehe s'opérait en majeure partie à trnvers des couverts. La chaleur était moins torride.
Le septième jour, ils alleignirent la forèt, dont avait
parlé lIoulou"I1i.
- Ici, dit Y'homme zûhré, nous ne devons plus être
loi il de la cité de pierre.
L'inquiétude des noirs nllait grandissant au fur et il
mesure qu'on s'enfonçait dans celle forêt. Leur charge
en équilibre SUI' leur crfme crépu, ils marchaient, l'arc
bandé ct une flèche en )Uai n, en ligne espacée, précédés d'une centaine de pas par leur chef, qui allait,
l'oreille tendue, ct inspectant autoul' tic lui les détails
du sous-bois. Une branche cassée était pOUl' lui un
objet d'examen et son reganl scrutait autou!' de lui la
coucbe épaisse d'humus qui recouvrait le sol, pour y
SUl'prendJ'e quclque empreinte.
1
A la lisière de celte forêt, apparut la vallée signalée.
Bien que le soleil fût presque encore à son zenith, on
ùressa le campelllent lit. Pour approcher de l'ohjectif
(JlI'on se proposait, il jmportait d'opérer ù'nbol'd une
reconnaissance ùe la contrée. Après un repas succinct
elTccLué avec des viandes froides ct des conserves -jJ valaiL micux ne pas allumcr de feu .Jean Servan
et lloulollghi, laissant lù Alexis Lépy et les porteurs,
partirent en éclaireurs.
Les dcux hommes s'engagèrcnt clans la vallée, l'un
avec :son fusil cC ses cllm'geurs garnis, l'auLre lIvec SOli
arc ct sa massue. Jean Servan commcu\'ail à saisir lc
dialecte de /.i01l compagnon noir' ct en pratiquel' sufliliummcnt de 1I10ls pOUl' s'enLendre l'écijH·oquel11enl. SUI'
1111 côté tic ln vallee, le couvert se pro onncait jusqu'au
plateau qui était à un mille et demi de là. C'est il tl'nvers cc bush que les hommes gagnèrent le sommet du
plateau.
Quand ils y prirent pied, le zimbabwe s'offrit à leUI'
vue. Pur dela res arbres du sommeil aux gigantesques
el sinislres l'amures, il sc dressait à un demi-mille de
�LA CITADEL LE DE L'on
25
là, avec la même forme elliptiq ue que les deux
mais ses murs énorme s sembla ient en meilleu aulres,
r état.
Une partie éboulée avait été réparée avec celle terre
(lu'emp loient les nègres pour leurs constru ctions. La
cité de pierre sembla it habitée .
Soudai n, les deux homme s tressail lirent ct tendire nt
l'oreille . Un coup de fcu venait ùe sc faire entend re
au loin, puis un autre, puis cc fut le silence . Cela
blait yenir du côté du campem ent. Alexis Lépy etscmles
cinq porteur s noirs avaient dû êtl'edé couver ts ct alla(jll"·S .
lis s'élnnc èrent dans celle directio n, fonçan t ù tra,"ers les broussa illes du couvert .
A un demi-m ille de hi, Houloll ghi s'arrêta soudain
désigna nt il Servan , à travers un espace ment de bran-,
ches un point clc la vallée. Tout I:'I-bas passaie
étroitemeut llés pal' <les courroi es, Alexis Lépy et nt,
les
]lol'lell rs, condui ts pU!' des noirs armés de sagaies ctcinC{
couteau x. A leur tcle, marcha it une sorte de macaqudee
hideux , qlli sembla it le chef.
Jean Servan , son fusil au poing, s'élanç a d'un bonll
spontan é. Son compag non le happa au bras, j'immo
bilisa.
- Que vas-tu faire? ... lui souffla-t-il, Tu seras pris ct
lu(~ aussi. Le meilleu r moyen d'essa~er de
les saliver,
c'est de lai sser 1101l'e présenc e ignol'cc.
- C'est justc, dut reconna ÎI re le jeullC ingénie ur.
11 l'cgard ail là-has, il travers la feuillée qui le cachait
le pdit archéol ogue cntraÎn é ]lal' ces êtres sanguin aires,
ct devant ses yeux flollait l'affreu sc vision de cclle
« Cave des Sacrific es :>.
Il compta it les cllllcmi s qui passaic nt lù-bas avec I('ul's
proies humain es. Ils avaicnt dû certain ement proeéd
cr
par surpris e. Et les 11cux coups dc feu ùe cc brave Lép;y
Hvaient dû être moins pour sc défenù re que pour prevenir du danger ses ùeux compag nons isolés.
- Que faire'Z ... haleta-l -il.
�26
LA CITADELLE DE L'on
AtLendre la HuiL, conseilla HOlllollghl. Nous ferons
une lentati ve.
C'était la seule chance possible. Le soleil commençait à décliner. Pas assez vite, an ~ré de Jean Servan angoissé. Et quelle tentative pourrait être fuite contre ces
murs formidables? Servan avait vu passer . douze
hommes, mais combien étaient-ils là-dedans ?...
Ils ne tardèrent pas à être fixés sur ce point. Ils
avaient regagné le plaleau et s'étaient rapprochés du
zimbahwe pour micux en épier les mouvements ct les
bruits. Comme le crépuscule commençait à envahir le
sous-bois, des pas se fi1'ellt entendre sur des brindilles
craquantes. Les deux compagnons sc jetèl-ellt sul' le sol,
derrière des troncs.
C'étaient deux noirs du zimbabwe, qui revenaient
de chasser ct rcgagnaicnt l'encei nle, avcc de lourdes
charges de gibier.
lIoulollghi se rapprocha d'eux en rampant sans bruit.
La corde de son arc chanta sa note légère, suivie du
)JeLit sifllel11ent aigu du Irait. Un des deux noü's chancela. La flèche avait prcsque entièrement dispm'u enlre
ses Ol1lo~)lules ct ressortait de deux pouces au devant de
sa poilrllle. Il avait son comptc. Sans s'occuper ùe lui,
l'homll1e zébré bondit comme un léopard SUI' l'autre
noir, qui, saisi, venail de laisser tombcl' sa grosse piècc
dc gibicl' pOlll' fuir. Son élan fut bl'isé net pal' l'étau
de la main du géant qui l'agrippa il ]u gorgc cl le jeta
SUl' le sol sous son genou.
- Pm'Jc 1 intima IIouloughi en llIalébélé, que l'aulre
parut compl'cnùrc. Combien êtes-vous d'hommes dans
ces lIlUl'S?
Le noir le l'cgarùait de ses yeux le1'l'ol'isés, sentant
la mort SUI' lui. Sous ]c genou qui lui broyait III poitrine, il parvint, gris d'effroi, il élevcr faiblement une
main donl il agita trois fois les doigts ouvcrls, ce {llli,
dU!lS sa rudimentaire façon de compter. signif ait
<}lI111ze.
�LA CITADELLE DE L'OR
27
Par nne immédiate opération de soustraction . Hotlloughi ramena ce nombre il treize en lui assénant sur le
crâne un irrémédiable coup de massue.
Fixés sur le nombre des occupants, les deux isolés
considéraient les murs élevés, inaccessibles. Une seule
entrée possible, la porte. Là-bas, dans le crépuscule, sc
rlcssinait sur son seuil une silhouelle armée d'une sagaie. Le guctteur sans doute. Recommandant à Servan
d'attendre sous le couvert, Houloughi releva la 10lll'de
pièce de gibier qui gisait sur le sol et la chargea SUl'
ses épaules. Affectant de courber sous le faix sa haule
taille qui eut pu le trahir, il se dirigea ainsi vers cette
porte, où, dans le soir naissant, le guelleur le regarda,
sans méfiance, approcher, le prenant pour un des deux
chasscurs qui rentrait au zimbabwe.
- El Hid' llouni 1... s'enquit-il en le voyant seul. 11
Il'est pas ...
La fin de sa phrase s'acheva dans un sifflct assounli.
Houloughi, <j.llÏ avait laissé choir sa pièce de gibicr,
venait tic l'etreindre il la gorge. L'homme n'cut que
deux légers soubresauts, et ce fut tout. Houloughi rouvrit sa main et laissa retombcr son cadavre sur le sol.
Celle nouvelle opération d'arithmétique l'amenait :'t
dOll~c le nombre dcs occupants de la ciLé de pierre ct
cn dégageait l'entrée.
Ayant pris ·soin · de jetcr un coup d'œil dans l'intérieur de la première enccinte 1) 0 lll' s'assurer qu'elle
était déserte, Iloulollghi appela cl Ull geste Jean Servun.
Au-delà de cellc porte, comme dans les autres zimhabwes, se trouvait une sorte de cour circulaire, fermée
Pal' le mur de la scconde enceinte, qui n'avait SOIl ouVerturc qlle du côté opposé.
Le crépuscule avance eJllplissait d'ombre l'intérieur
de ces haulcs ffimuilles. Ils s'engagèrent dans celle prelIIière enceinte ct gagnèrent la seco!Hle entrée. Elle
n'avait pas de porte et n'était pas gardée. Ils inspectèrent du regard cellc seconde enceinte. Des réduits
�28
LA CITADEL LE DE L'OR
pris dans l'épaiss eur des murs, sortes de vastes niches,
sembla ient être des habitat ions. Elle étaient vides. Dans
nts
le fond de celle enceint e, s'éleva ient des bâtime
assez vastes. Il y avait là de la lumière . Le reste de las
zimbab we était désert ct silencie ux. Qu'étai ent devenu
les douze homme s ct leurs captifs ?
La pensée de l'horrib le voiHe souterr aine, la Cave
aux Sacrific es, vint à l'esprit de Jean Servan . Quelqucce
chose d'aITreux devait se passer quelqu e parl. C'est
lieu souterr ain qu'il s'agissa it de trouver ct d'attein dre.
Sous une grande tour, un escalie r qui condui t à ce
souterr ain, savaien t les deux homme s. Six tours coniques flanqua icnt celtc cnceint c. Hasant les murs, ils
allèren t examin er ces dlverse s tours. L'une d'elles pré-r
scntait une entréc voûtée, qui s'ouvra it sur un escalie
desccn dant. De ces profon deurs montai ent des bruits
les
assourd is. Ils descell di rent daus l'ombre , à tâtons,
re, :\lndegrés tournan ts. Une voix se faisait entend
plilléc )Jar l'écho des voûtes, entrcm êlée de dcanem cnls
grinçan ts, auxquc ls d'autre s ricancm cnts féroccs {aisaient chorus . Au bas de cet escalie r, une pOl'te aux
ais JUal joints laissait flltrer une lueur.
Les deux homme s regardè rent il travers les inlerstices. Jean Servan eut un frisson .
torDans lIne sorte de vaste cavcau éclairé par desjuché
ches résineu ses, sur un haut escabe au étaitdans
la
comme un singe le macaqu e qu'il avait aperçu
valléc avec ses hommc s ct ses prisonn iers. Son visage
était horribl e à voir, grimaç ant de féroeiLé jubilanLe.
Ses homme s l'entou raient, autres faces hideuse s, dont
les yeux luisaie nt de joie sadique . Devant le macaqu e,
les captifs était liées à des poteaux . Alexis Lépy était
nu jusqu'à la ceinlur e.
Soudai n tont se lut, puis ce fut un chant lugubre ,
scandé par l'entrec hoc de petits rondin s de bois dm'
rendan t des sonorit és diverse s, une sorte d'hymn e à la
�LA: CITADELLE DE L'OR
2D
mort, où par instants les voix devenaient gloussantes
de volupté.
Ouand le chant se fut achevé sur une note aiguë ct
fré'i1üssante qui se prolongea dans le sinistre echo des
voùtes, le macaque descendit de son escabeau. Il semblait ivre, délirant. Ses petites mains simiesques avaient
des frémissements ct ses yeux sanguinolents, des lueurs
de brasicl". Un de ses hommes lui remit un couteau de
fcr dentele ct une ecuelle de bois, destinée sans doute
à recueillir le sang qu'il allait boire. D'un pelit pas
oblique, il s'avanç.a vers les victimes. Le supplice allait
Commencer.
Le corps d'Alexis Lépy l'nllira tout d'abord, le sang
tle ce corps de blanc l'alléchait. Il apprêta ses instruments horribles, avec un petit glapIssement trémuhint. ..
Un COllp tle feu fulgura à travers l'interstice de la
porte. Le macaque laissa tomber son couteau dentelé et
sa cOllpe, se recroquevilJa, et s'affaissa sur le sol comme
\lne liane qui sc ploie. Ses petiLes mains simiesques
s'ouvrirent et sc refermèrent à deux ou trois reprises
Comme des "g riffes de chat, puis SOI1 corps s'immobilisa
en boule.
A van t que ses acolytes soien t revenus de leur brusque
saisi1>semcnt, d'autres coups tIc fcu claquèrent. Cinq ou
six cor/)s noirs s'eJl'ondrcrent. Les autres se prirent il
courir e long des murailles, cherchant il fuir les balles
qui écaillaient autour d'eux la paroi tIe pierre. La porte
violcmlUelll défoncée devant ln titancsquc irruption
d'Ilouloughi, la formidable massue acheva, dans llll
fracassement de crânes ct un broicment de vertèbres,
l'œuvre de dévastation.
L'instant d'après, autour des captifs délivrés, il ne
"estait plus que les cadavres disloqués de ces monstres
san gll iJJ:1Ï l'cs.
- Dieu merci! exulta Jean Servan, en s'élançant vers
�30
LA CITADELLE DE L'on
son ami qu'il étreignit, j'ai pu arriver à Lemps pour
vous éviter un bien désagréable moment!
Mais le peLit archéologue semblait ne pas l'entendre.
'A la lueur des torches, il déchiffrait ave,c un effaremcnt
jubilant des inscriplions hébraïques inespérées sur les
murs de celle salle, où eertainemcnt sa bonne étoile
l'avait conduit.
En sortant de cc soulefl'ain sinislre, le reste de ln
zimhabwe restait à explorer. La lumière qu'il avait
aperçue dans les bâtiments qui élaicnt au fond de celte
enceinte attirait le jeune ingénieur. Qui donc habilail cc licu. !:ieralL-ce la prodigieuse fille dc la lune'!...
Il sc dirigea vers ce point. CcLLe 1umière vcnaiL d'ulle
salle où on accédait pm' un escalier ct une antichamhre
dc pierre, Il poussa devunL lui la porte de ccllc salle,
cl l'esta figé sur lc seuil.
En voyunt s'ouvrir cellè pode, une jeune fille qui
étai L assisc se leva brusquement cl ,'ecula jusqu'au
mul'.
- Que mc voulez-vous 1... haILutia-t-clle avec terreur,
SOI1 efrroi se nuança hrusqucment de l>urprise eu
voyant apparaîtrc celui qui eJlLrait.
Quant à Servan, il l'estait cloué au seuil pal' le s1)ectaclc qui s'offrait à ses ycux,
Au milieu de monceaux d'ol' qui clllplissaient celle
vast.c salle, il voyaiL devanL lui ulle jeulle fel11lrte d'lIl1e
étonnanle heauté. I::l celle fomIlle avait IHlrlé en allgbjs.
- Hassul'cZ-VOllS, cxpl'illla-t-il daus a mêmc IUllgut"
en considérant son mouvelllent d'elTl'oi, je Ile vitl\s
pas en CIlIlCWi.
Elle J;>araissaiL à préscnt rnssltrée el SUt' son !Jean
visage, 11 n'y avait plus que de la SIlI·11I'1sl.'.
- Excusez-llloi, dil-elle, je lIl'atlclldnÏli il voir Illon
bourreau ... ct c'est ~)eul-êtrc, diLes, monsieul', un :,auveur qui vient à 1I101?
�31
- Vous étiez donc ici contre votre volonté'? ... dit
Servan étonné.
- De ma propre volonté? ... Je suis entre les mains
d'un monstre et vouée à la mort prochaine.
,
- Que me dites-vous là ? ... sursauta-t-il.
- J'habitais avec mes parents la Rhodésie britannique. Mes parents ont éle massacrés et j'ai été enlevée IHU' le sorciel' noir qui règne ici. Il enlève des
jcunes filles pour les vouer à son culte sanguinaire, II
en fait les prêtresses de l'or, qu'il no III me les filles de
la lune, puisqu'il les égorge, selon un rite, la nuit de la
pleine lune, pour boi rc lellr sang,
Le jeune ingënieul' la considérait et l'écouLait en
frissonnant, songeant il cette horrible Cave des Sacrifices.
- Ne craignez plus rien! dit-il avec élan. Vous n'avez
plus rien, Dieu merci, à redouter de ce monstre: Je
viens d'en faire justice.
- Vous êtes mon SaUveur 1. .. mon sauveur 1. .. Celui à
quc je devrai la vie!
- Oh 1 mademoiselle, di t-il avec émotion, c'est le
))estin qui a tout rait en ccci. C'est il lui que doit aller
aussi ma gl'utitude, puisqu'il m'a permis de vous rencontrel' et de pouvoir vous sPI'viJ'. En attendant, vous
êtes sous ma proLection. Dites-moi où je dois vous
Conduire.
'
- Hélas! dit-elle, mes parenLs sont morts . .Je suis
désormais seule au monde. Sais-Je où aller il présent?
- Mon Dieu, fit le jeune ingenieu!' en souriant. le
Destin parfois se charge aussi de guider les pas. Je ne
;~vais nOI1 plus, il y a quelques semaines, où j'allais
dirige!' les miens de pal' le monde ... Il les n conduits
Vers vous, ..
ILs étaient face a face, les yeux dans les yeux. Lems
lnuim; sc joignirent.
�32
LA CITADELLE DE L'on
Mme ct M. Jean Servan sont, dit-on, non seulement
les gens les plus riches du monde, mais encore les plm
heureux.
M. Alexis Lépy, membre de l'Institut, a refait l'histoire du roi Salomon, que ses confrères dcs BellesLcLLres jugent à leur sens un peu fantaisiste, surtout
Cil ce qui touche les trésors d'Ophir .
Il parcourt cn ce moment l'Ethiopie pour reconstituer celle de la reine de Saba.
FIN
[JOllr
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66.
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6H.
6'J.
70.
71.
i2.
73.
Les PillaI'ds de la Call'éric, pm' Ernest l1ichartl.
Salis le sigllc de la l cpl'e, pal' L. Il. l'cllousSlIt.
l_c secret du volcan, par l'aul Tosscl.
L' Ilf empoisonnée, pal' Christian 13rulls.
Les naufrages du Goi!land, par Maurice Lionel.
Le train eau du diable, par !\'lux-Andrc Dazergucs.
Le tigTe de la montagne, pOl' Jean Voussac.
Au pays du silellce, pur Maul'Ïcc d'Escrignelles.
Les ravageurs rIe placers, pur Jean Normand.
Le secret df 1'okita, par André-Michel.
L'homme au' chien, par lIené Thaillnrd.
Le bateau-piège no 7, par Alh"rt Bonneau.
La prêtresse du 2odlaque, pnl' Maurice Limat.
La vengeance du griot, par }lauriee de MouUns.
L'Ile aux parangons, pnr l'nul 'fos,;el.
Roi de la for êt , par Maurice Lionel.
T.a co"e OIlX /êtes coupées, pnr .lean Voussnc.
La citadelle de l'Or, par Jean des Chaises.
Numéros à paraître:
ROlflAN
COlflPLBT
J. FERENCZI ET FILS. ËDlTEURS
9, RUE ANTOINE-CHANTIN PARIS (11.)
Il n'.lt pu fait d'envoi contr. rembouroement
L'ImprimerIe Moderne,l77, l'OllIe tic Chillilloll, Monhoulle
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Le petit roman d'aventures
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Title
A name given to the resource
La citadelle de l'or
Creator
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Des Chaises , Jean
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1937
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
14 cm
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Description
An account of the resource
Le petit roman d'aventures ; 73
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Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
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BUCA_Bastaire_Roman_Aventures_C95434
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