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��ERIC DE CYS
PUSSEPOBT FBUI~S
Roman inédit
COLLECTION
STELLA
EDITIONS DE MONTSOURIS
1 • RUE GAZAN • PARIS' XIV
��PASSEPORT FRANÇAIS
CHAPITRE PREMIER
C
mardi, à l'exception du d rruer mardi du
mois, 11 Il. Luce Renaison, receveu e des postes
à Puy-Saint-Martin, laissait on adjointe Cil pennan('I1CC au bureau ct 'en allait à l'extrémité du village
faire un bndge chez le COll ciller et 1ml Bclgodère (lui
r 'cevait'nt régulièrement leurs atni~,
DlïJui vin~t-cq
an ).['" Renaison n'avait pas
manqué un s'ul brid 'e. EUe Il'aurait cu ga rde de prolonger 5011 tctnll de présence au ùureau : c'était trop
agrtablc de retrouver chez 1 COlhcilln tou le autre
notahks du lieu l't Ils invité venu, de Cléon-d'Andran,
de Cre. t, pad uÏ> tic 1Iontélimar. Il y avait ain,i
quatre taule de jeu; le partie duraiel1t oll\'cnt jusqU':L minuit. L médecin de
léon-d',\ndran cl ,L
funmc ramcnaient [". Renai on ju qu'à a port. On
cntl'ndait l, claquement de portière d'auto dél'hirant
le . illllC' total de la nuit. Si pal ha ard flU Iql1 hahi·
taut d' T'u)-Sain -.\Iartin c rl-vl:Îllait, il e di ait:
« 'l' t minlllt! \ oil: h invit' d' .\1 ...• B IgOllère qlli
ramènent 1. 1 c C\ U e chez Ile.:.
J) lui plu
l'un n oi Il Inc:d cin de Cléon-tl' ndr.U1 ;n,lt quit~
k pa
pour pl udrc sa retrait à
Nice . .\1"· ]{ n;u on 1 1 ( r II it
On attclld,lt 1111 autre do tcur; il n'avaiL pa
ncorc
rejoint un po te.
d Il. Henai on 'tait fort appré l ' de h population
loul ntièr. On a\ ail qu'Ile al p,Lrt ait ' une anIIAQUE
�4
PASSI;POR'l' FRANÇAIS
cienne famille: petite-nièce du magistrat, un président
de COUI' d'appel sous Napoléon Ill. C'était considér able! Sa distinction, sa bonne gri'tce nuancée de réserve, montraient à chacun qu'clle était une dall/c. Elle
avait ses chaises à l'église, était en grande amitié avec
le Conseiller et ~['U
Belgodère; 11 '" Sigean, la s ur
d'un agent de change de Lyon, propriétaire à Saou
d'une belle vieille maison, l'invitait à déjeuner.
Nul n'ignorait enfi!l 9ue l.a rec\'us~
des po, tes avait
des pan;nts fort dl tlllgUC, IIne tres chère cou ine
mariée Cil Au~rih
,dan '. un milie:1 de,s plu brillant.
}.f'" Luce aVaIt ete ~l mamte rcpT! '~s
l11vitéc par cette
branche de <a ian~Ile
mat 'rne,l!c . il . aller pa er le
vacance (1\ Hongne. 1:\1c ne ,et~I.1
lamai d' cidée à
~e
Il cltre Ln route; \'~ragc
a 1clrang 'r l'efTrayait.
11[ ai. il !1'alr~t
tCI;U qu'a. die. de ~ rendre à l'appel de
5a cou Ille d \utnche, En reSllme, elle faisait partie
d \' 'lite locale.
l'n mardI qui s'itait levé tout pareil aIL autr
"'1'" f" en,1I 011 f
1\
eTll1a I
a 110rl
e 'c 01 ajlpartell1 ~ '111,
pri\"l~,
aprè aVOIr jeté UII coup d'œil all hu reall.
SOli adjonlle li ait lin romal1 traduit de l'anglili en
'
fal ant ulle grimace <'l'om anta],lc.
- Virtona, ma chl're, dit la recevell e d'ull aCt'cnt
<lI !lnglle, j' père qu'il ne e 1 a sna rien tl'in olite
Cil mon ah<lnce.
lamai rien dan ce burcall! t111it d'ull :Iir (!tcoura é 'VIctoria • fOlltazel, ortant d <a IlC"tl1rc. 1I0on
parlle 1.. , a]ollta-t-elle gracicu C111 111t , ]lour répondr ail
somir d'"dieu de sa directrice.
11,\10 Hcnaison p;a na h villa du Con cil! r; IInc
ravi ar..t vi il!e ferme mgllirl:ln!l{c de plante r,rimpant " Ja min ct ro ier, De voiture stationnaient
d'Jà; le notair' v liait ;\ pil'd. La «traction-av nt:.
cl .1"' Si 'C;lIl un int en uolide, conduit par Un
j \111' n vell dont la tant tirait grall<1l ficrtt'·,
cla
S' v.o 'ait a tl S lIl· façon Ilont elle r 'prochait il c
:IeTllI r de conl!lIire COIlll11l lIlI fou
1.( invitt ahré"crtnt le politc e autant que fair.
s' !llll '1 IlUS étaient de Joueur fanatiques imjlatit'nl
de
I11ct! rc a l 'IIr «p til ~tauli
:., l'Ion la formlll, (Il, J lin Sig an (in~olec
t édll tian III Il
do c 'S a l'u age lIt tan te f).
, - ~ or.
mar i es t ('11 re ta rd
li a et r tenll au-II la Il ~
une réu nion d'ar.ci·n ofhcier
�PASS';POR't FRANÇAIS
5
quand il pourra. Ne l'attendons pas ... Claude! - c'était
le neveu Sigean - vous le remplacerez ? .. Si 1 si! vous
jouez très bien. M"o Renaison aura un partenaire de
sa force avec votre tante et Mt Pontusclat.
Claude Sigean allégua qu'il était venu seulement
pour conduire sa tante; il filait ur ~fontélimar
rejoindre des amis.
San s lui Ulle table resterait incomplète. On fut
attcrré!... Et ce Conseiller qui n'arrivait pas 1... On
implora, on supplia Claude. On lUI affirma q'/une charmante jeune Elle de Crest viendrait dans le cours de
la soirée.
C'était un mcnsonge : aucune jeune fille de Cre. t 011
d'ailleurs n'apparaîtrait au milieu de ce respectables
J'ersonn'l 'C .
Claude sc ré igna cep lldant, SOU " rés rve qu'il partirait d~s
la fin de cette partie, cc qu'il fallut bic,.
accepter. Et l'on cOl11mença sur-le-champ cette cspèce
de lIturgie qu'c t une partie de bridge mcnée par de
joueurs énellx.
Dans le hureau de po te, :-'1" 0 Victoria {ontazcl
continuait a faction et la lecture de son roman traduit ri l'anglai : un volumc à la COlI\'crturc «plastic, Iavablt', ,!ni coll,lit un p'u au. ' doigt . Elle avaIt
jct-é nl1 roup d'cl:il sur la d l'111ère pag' pour savoir
l'ut
'il fini ai! hi l'II, l11ais il lui p.lm! que IlOIl. 1~l
alors bru qUl'InclI! peur dan la soli!ud' du IJunau .
C 'ci Ile lui 't,tit jamais arrivé; 011 ne risquait absolument ricn dan Cl·ttc Jll'tit· aggloll1'ratiolJ.
La ol1ncrj du téléphonc, ~oudajn,
la StCOll:l et la
remit d'aplomh - force de la profc ion. ' fut
<l'ulle voix très calme qu'dIe répOllclit: « J'écotlt·;
parI z':. au mot «Tél ~graml1
' :' prononcé var \Ille
collcglt(' illvisihl .
C'était un tél ~ ramm tél(phoné. Elle prit l'.<ires e '
« Mil. HCliai on, po te, J'uy-Saint-}.1artin, ])rôl1ll'
T xt : .. lrrÎ1'I'rai J'lIy-Saillt-Mllrlill, h'lIre ÎI/l/,rh'isiblC'. ,
«Tnu{reHl.'f', articulait h
T('IIdresses avec lltl s, hé? Signé...
collè \le inv! illle.
Si lé ?... r~Jléta
l'adjointe.
- Si lé. J'erlc de I.lIl1a . P ('omm
hnilc... Vous y 'te ? De, oui, un
comm la lune.
PanI.
R1I)1.
E
('0111111
!Je LI/lia,
�6
PASS!tPORT FRANÇAIS
- Perle de Luna 1 se dit à elle-même et tout haut
l'auxiliaire, ébahie, C'est un véritable nom? Ou bien
quEoi?
d' une blague f"
\le eut l"d'
1 ee
alte a sa receveuse.
Mais qui donc aurait pu avoir l'idée de faire une
II
blague à M· • Renaison?
« C'est effarant ! pensa Mlle Victoria Montazel, oubliant son roman à couverture verte. Perle de Luna,
quel joli nom 1 Perle... Perle 1 C'est une veine de
s'appeler Perle 1 ;,
Elle avait toujours souffert d'avoir été baptisée
Victoria, un nom démodé, dont on ne pouvait rien
faire.
L'idée d'une vedette de l'écran prédom inait dans
son esprit. Comment M Il. Renaison pouvait-elle connaître quelqu'un dans le miiieu du cinéma? C'était
ahurisia nt 1
Maintenant, pour ce télégramme, que faire? La personne qui ~onçait
sa venue, d,:~t
l'heure était imprévisible (c'é~lt
une ,:"edett,e c.apnCleuse, pas de doute 1)
ne viendrait pas aUJourd hUI: trop tard, et Mltt Renaison serait bientôt de retour.
Victoria ouvrit la fenêtre, regarda autour d'elle, La
nuit était venue. Il y avait encore quelques lumière s'
on couchait les enfants chez le boulanger, puis la lu:
mière s'éteignit. Chez la plus proche voisine, c'était
l'obscurité complète.
Le texte du télégramme était là, montran t cette
étrange signature sur laquelle Mil. Montazel s'hypnotlsait.., Ah 1 si elle, avait pu lâcher sa faction et
courir chez le ConseIller pour apporte r le message,
pour voir la tête de la destina~r
et celle de tous les
joueurs interrompant leur partie!
C'était impossible, mais elle pouvait téléphoner ce
texte, appeler Mil. Renaison chez le Conseiller ce
qu'clic sc mit ('\1 devoir dl' faire.
'
Dans la nuit le ronflement d'un moteur; des phares
ùalayant la rue de leur clart é ; une portière qui claque
devant la ' poste,
Une voix d'hol11ll1c interrog la : « F. ~ t - ce iii que VOU!
descendeZ?;, et une femme répolHlit: «Je crois,
oui .. :' Cc mot ur continuait à tourner ; toute . ortes
cl'histoires de !/a,~s
cie 4: traction -avant :. revenaient
à la mémoire dl' la IlO tière.
Une jeune femme était dl' cenclul' cie l'auto; le
chauffe ur lui pa sait des vali es ; clic avait en lui
��PASSEPOR'r FRANÇAIS
8
_ Une dame qui dit se nommer l'erle de Luna,
scandait l'adjointe à l'appareil. Oui, annoncée par un
télé 'ramme. Ce qu'elle fait' Elle e t assise sur la
marche de la porte et elle vou' attend. Elle a l'air de
trouver ça très drôle. Si ce n'c t pa votre nièce,
j'alerte la gendarmerie.
_ C'est ma nièce. J'arrive! dit à l'autre bout du fil
la voix de la receveu,e.
II
L
Conseiller rentra chcz lui IICU apI' s cct incident. 11 se h:llait pour avoir le temps de faire
un tour de bridge avant la di per ion ~énrale
ct fut
surpris de voir le j u abandollné.
Milo Rcnaison vient de partir, dit
t mo Delgod re.
Sa nièce d'Autriche e t arnvée 'ans crier gare!
- Qu'est-cc que c'e t que cctt hi toire? "cria le
Con ciller. UlIl'lIe ni(.ce d'Autriche?.. Eh bl nI J
prclliis sc, cartes, Ilit-il très vit(, parce (lu'il (It ,ouff 'rt tic rCllonccr à jou l', t ail i pOlir éviter les que _
tion de a rctn111 , car vraim 'nt il '~tai
attanl; avec
ses ami de Val nc !...
_
10n n v u Cta\IClc, int rcala 1"0 Sigean, et allé
reC(lII lllire ~l"'·
l{ liai on ch /. clic. Attention, -1 , il va
rnrnir tout d suit·
- 'l'out cl
lIit, i la ni c Il'Antriche c t laide
('mit le ~lOta.ir
; rI P:" tout I!C I!ite i Ile (' t joli !..:
\ TOIIS 1\11 aVI l pro t1I pOlir 1 appatcr la prt' ncl' d'un
charm:\111e jCI1I1 fille de 'r 1. \' 'r Onl1e Il'(' t , 1111 de
Cre t, III ai ulle ,0) agen
inatt nclnc st tomb!' du
ciel d \'ant la po te.
li [ait, C0l1111lll1t a-t-cll
pu
gagner l'uy-Saint- lartin à C Il Il ur • i)
)0\1011 ! di. 1 COll l'iller, c\'('j ii.
'
a\'~z-OU
\1 11111e l'ho' ùe fr, i
.1 m
,l' <"il.
III Cil r
- I~\l'
'ailP Il r 'rIe cl tl~,
dir, \' r ;1111 111\)11 li· frllit .
- l' Ilc <le 1.lIna? Fichtr
C !larent ont hi Il fait
le cho !. 1er i. C'c t tlll)1I d',nana? Bon 1... Ell
È
���PAS~OR'I
FRANÇAIS
II
VOliS choqué? Je n'ai peut-être pas les manières françaises. Vous n'êtes pa· choqué? K on? Mes valises sont
un peu lourde.
- Mais je sui très heureux! affirma Claude, qui
n'avait jamais été ~
sincère. Enchanté d'être utile à
Milo Renaison et à sa nièce réfugiée de ...
- De Hongrie d'abord, et puis de Vienne, répliqua
la jeune fille, qui scmblait trouver tout à fait naturel
de s'attarder en cxplications; je uis une exilée, je
n'avai pas d'autre refuge, vous savez. Alors, JC suis
venue ici ... Commcnt ? .. Ah! le voyagc ? .. Eh bien 1 par
le train jusqu'à Valencc, et puis, de Valencc, auto-stop
jusqu'à Montélimar (les r roucoulaient au fond de sa
gorge. Claude trouvait cela exquis), et à Montélimar
j'ai pris un taxi.
- L'auto-litop! Quelle imprudence! 'écria M"o Renaison, épouvantée à l'idée quc la voyageuse aurait pu
tomber sur un mauvais garçon, aventurier. c Enfin, un
homme mal élevé!;) conclut-elle pour elle-même.
- C'était une voiture Oll il y avait, avec une vieille
dame, des enfants, compléta Perlc. J'ai tellement l'habitude.. . Je me suis échappée de tant de façons 1. .•
Maint nant, voudrez-vous de moi, s'il vous plait, en
ouvenir de maman?
C'était dit tout simplement, d'une mani' re d'autant
plu. ~mOlVa1te
(lU'elle ne cherchait point à émouvoir.
- Ma pauvre p tite fille, mai, bien sÎlr! 'écria
Ln ' Renai ail, Jlr~tc
à pl<:ur r.
1"' \{ nai 011 desc ndil au r l-de-chaus éc pour
r fermer le porte, derrière laude, met t re le verrou aprc lc d "p. rt de on adjointe C 'Il~-ci
sc di fla ait il rctoul'l1cr ch 'Z cHe, mai ne e PT(' sait point.
- VIctoria, ma cltère, dit la re,cveu, ,vuu avez
(Iii avoir lin' émotion (11 \'o)'<lnl arriver une voitl11'
dan la nuit 1. .. Si )'av,1I pu pl \voir cela, je ne ~clai
Cl'rte pas (Illic l'soir! ~Iai
)' Ile 111 l' dOlltai pa ...
Je vou~
<loi \Ille c plicatioll sni ilIa petite ruu inl,
a)outa·t-cllc.
hl
�PASS(POR'l' FRANÇAIS
12
- Mais. ma chère.... voyons! essaya de placer la
receveuse. confondue. Vous ne voulez pas dire que le
bureau vous paraît. .. ennuyeux?
- Il est toujours pareil! soupira Victoria. Ce soir,
l'Inconnu pénètre dans la maison~
Je suis intéressée,
conclut-elle avec un regard en coin chargé d'antipathie
dans la direction de l'aŒche : Souscrivez aux Bons dl'
Trésor. Je suis excitée! Quels récits Mlle votre nièce
va nous faire! J'espère la voir.
! TOUS prendrons le thé cn. emble dimanche. ma
chère. si vuus n'avez point d'autres projets. répondit
la directrice de >on air d'affablllté nuancée de ré~ev
qui lui "tait habituel.
Le moteur de la traction-avant ronfla. Certainemcnt
tou le voi ins allaient ~e
mettre aux fcnêtre5 : cctte
voiture arr··tée devant la po te ct qui ne repartait
pa ' ... Claude revint '1 propo a <1'cmtnen r Mil, .;'~on
tazcl, 'ltll habifait UI! peu loin de la poste, du cote de
la \' illa nl'Igoll e re.
. .
Victoria. fla t<~c
bien que cc
tr d courtoue du
p"e.
J• tJil lnomme fut •\Ille polites e a, l' a< 1r, .sc <1e M"e
Ilat 011 alitant qu';1 l, sienn' propre, he 1ta, 11UIS finalement opta pom l'acceptation.
n'é!1it rien cc retour Cil voiture; ccpl'l1dant 'lIe
avait, dan
~ tt • oir~e
i rcrtill' l'Il impr ''vu. SOI1 petit
imprévu pcnOllllt:! !.. . La vic u'c t p;!
i nelltre <iu'elle
le parait. Qu'apport rait demain? l'eut-ttre 'ncore
quc1qu' cha (' d',lgl tahle,
«J'ai l'impl'l iOIl qu'à partir Il cctte c1ate tOlit \ a
chan 'cr:.. :., ongeait.cllc n rentrant clan
a chambre,
a~,
[;ure <1 bruit, llOur tl JI;! ré\ eill r ~c
propra taire.
hlle ~OI1Clça
d,
bm cr les ch v \IX lonl'ucment, bltll '1u'il fÎtt brll
Il · '
."
tallt on JOur rie reJlo ,l'li r' olu! d'Olller
t :
à Cremalll
« .l'ai. bl' oin d'un shampooing
a
rcfalT(·...
])itnanch : th',
111'1
;hr7.
Cil
Jli~
,~t
P nalc;on.
rrcit <Ir. a
o,mme \ s~ra
captivant d'Cil! Ilrlre
111ec '" \ o~la
une JeUnt fille 'lui Il'allra pa ClI, comme
m~I,gUlcJl IlIlC
VI ' de fa ile, tOllJOllr
:1 i<t ,Il'frit'r \lll
.\ 1 :.
Un Pl'U plus tard elle corngc, it c ttC' r ',n 'xion par
une autrc :
, « Sc auver, pa 'r 1 frontièr' ... 11 faut avoir un
cnorme cr an 1. .. A tout prcndr , Je ])réfere être der-
�13
PASSEPORT FRANÇAIS
rière un guichet, à donner des communications téléphoniques aux abonnés de Puy-Saint-Martin, plutôt
que derrière les barbelés d'un camp' de «personnes
déplacées ».
La vision du bureau, des sacs de courrier, du facteur, des regi tre~,
flotta encore une fois devant cs
yeux. Pui celle du -alon de Crest, J'odeur des parfums. « Une friction à quoi? Œilll!t fallé ou La./mzdl!
de lux l'l' ... :.
Elle 'endormit.
M"e Renaison, de son côté, ne pouvait trollver ' Je
sommeil. Elle venait de pen cr, en bonne fonctionnaire méticulclI e :
« l'cric cst étrangère ... Je devrai, dès demain, faire
UllC déclaration il la mairie. On nc peut garder IIne perSOIlIl
de nationaltté étrangère vingt-quatre heure ' sans
<.\vi cr la mairie. Se papiers sont n r '.gle. C'e. tune
impie formalité, il faut la rcmpltr -ans tarder. :.
Perle de Luna devait dorl11ir comme un bébé sou.
le rideau, ' dl: chintz à ficur , Un repos bien gagné,
OlJlrès tant d'aventures.
III
T
on: la
t~e
matinee M"e R nais?r: .remplit l.e5
vOir de a charg avec JlreCISlon ct minutie;
SOli
pnt était CCJI ndant occupé de choses étrangères
au ervice.
Ell' attcnd:u! l'heure cl la f crmcture clu bur au,
in tant où J\ llli erait enfin loio;ihle de rcpr ndre avec
sa lIil'c P ri· de Lllna la conv rsatiol1 'bauche: au
l' 'veil de la JClIIH' fill' un bref dialogue qui lai~
ai!
la, .holln del110i clic tupéfait" intcrloqu ~I",
avec 1·
d sir d'en nJlpr ndre davantag'. - Elle attel1(lait la
:ui!~
de l'hi toire dt' l't'ri' ('Ollll11C la uite d'lin roman
fi "hité llar trop petite,; tranche d façoll il lai~('f
le
lecteur p rpl' c ·t Il11Jlatient du «prochain numéro:. .
la ~oir
du roman s'lue était pr 'sCJue a\ls~i
viv clH'1.
Mil. T{ Il,li 011 'lU
hcz son adjointe. C la formait lUie
contre-parti' aux dess ~chants
fonction
bUftaucrati([ll . Seulement h plus :lg' e Ù· deux fonctiOal ires
�l'ASSItPORT FRANÇAIS
chérissait le romanesque sentimental, tendre et chaste,
dédaigné par les générations plus jeunes. Victoria
Konwe l, plus au fait de la littérature moderne, des
films c noirs" suppléait à l'insuffisance de drames du
cœur ou de l'esprit de ce paisible village, en imaginant
ce qui se passerait chez les Un-Tels, ses voisins, si les
Un-autre-Tels voulaient se conduire comme les héros
du roman ou du cinéma 1
Ceci ne se produirait d'ailleurs jamais 1 Personne à
Puy-Saint-Martin ou à Saou, même à Crest ou à Montélimar, ne se déciderait au meurtre ou à l'enlèvement
ou à la mise en activité d'un gang. C'était le calme
plat, les rivalités d'amour elles-mêmes ne faisaient
plus couler des fleuves de sang. Pas davantage de
racket conduit par quelque garçon de la meilleure
société.
Il y avait eu la guerre et ses suites; les bombardements; à Saou, sept personnes tuées; la célèbre Aubtf'ge des Dauphins (une copie réduite du PetitTrianon, dans la forêt de Saou) en ruine. Mais tout
ceci appartenait, si l'on peut dire, au domaine public.
Chaque particulier n'avait rien d'intéreS6ant à raconter aux autres.
Victoria, constatant cda, était écœurée. Elle se sentait positivement aplatie par ses registres, asphyxiée
par l'atmosphère quiète du village et celle du bureau
de poste, où il n'y avait qu'un seul être vivant parce
que non fonctionnaire: Mou,ad, le chat de Milo Renaison, un magnifique angora d pure race qui faisait
la loi sur tous les chats du pays.
Mil. RenailOn continuait à penser aux révélations
que ~erl
lui ferait tout à l'heure, pendant le ~éjeunr
de madl, pour compléter la phrase qui résonnait encore
à es oreilles. Une phrase au d meurant banale :
c VC!U& 0' ur. pas de déclaration de séjour d' 'tranger
à ,faire pour moi à la mairie: j'ai la nationalité françuse. Je v~,
expliquerai ça.. , Laissez-moi dormir encore, a_y,.J ai trop sommeiL:t
Perle était Prançai ? Evidemment, aunty (cetle
appellation aDlla'
enchante il ictoria 1) préférait
cel : ,un souci
d formalit é de moins 1 Par contre,
UDe
' naèc:el._~rçis,
d une a;c ,hOllIfO n'aurait pal le succ 5 de curiosité
Ile. Ia&o
!--e Conl~
en
'te BeIIOCl re, un homm tr s
chiC et fort bien con
lurrint un peu plus tard
pour prendre IOn courrier comme ete coutume. Il avait
'h'
1
�PASSEPORt FRANÇAIS
I~
une boîte. sa maison étant la dernière desservie par le
facteur. C'était aussi une occasion de sortir de chez
lui et, cette fois en particulier. d'apprendre du nouveau. puisqu'il y avait eu la veille une fameu'e surprise 1
La receveuse transcrivait quelque chose sur un registre d'un air absorbé, comme l'on écrit une pensée
profonde. inédite (et bien méditée avant!) sur un
album de souvenirs.
Lorsqu'elle releva la -tête. son expression parut al.
Con. ciller un mélange d'accablement (pas dormi de la
nuit) et de .... oui. d'espèce de gaîté malicieuse.
- Comment trouV'2-\"OU5 ma nièce? dit-elle. tout en
errant la main tendue à traver son guichet.
- • l'ais .... commença l'interpellé, surpris.
- Je vou ai vu, il y a quelques minutes. VOliS arrêtcr pour la suivre de' yeux, ail moment où die traversait la place. prononça }'1 II. Renaison, souriant. Elle
eot déjà sortie. Oui, elle aime marcher. Je lui ai con
~eilé
d'aller du côté de la Pig/II', c'est cc que nou
a\ on de plu agréable ici.
1,;1 ['ion .. l' t cc joli bois de pins d 'rrière le village
On le tl ave! e pOllr aller soit à Crest, soit du côté dl
Saou. De la colline. au carrerour des deux routes, Jvue ur le bai ·ct ~ple1di.
C'cst Il but de prome·
nade préféré lb habitan s rie Puy-Saint-Martin.
~1.
lll'lgodrr convint qu'il ,.,'était arrêté au -pa ag
d'lIl1e jCllnc fille «vraimellt bien sédui ant >. qui 5
trollvait ~tr
Ja nièce rie .\f"· )'cllai 011 Il llt ét' diC
ficile d I l ' point regard r cctte inconnue, joli' cl
vi ag. mais llrtout remarquable par son allure: ~
démarch avait qudqll' cliO c d'ailé. un porI de têll
si graciell.', UII soupless de mOllvcm ·nls ...
- Un chnrm ' pOllr J'œil! pour uivit le Con,eillcr. J
fai
n'étai pa s ui à ta rl'gardcr : tOll les pa,~nt
e? L
saiClll cotT1In' moi 1... T,a mairie 'st-clic :wi~'
déclaratlOll pour héhergement d'étr,1O crs? On do
ayoil d' Jà CiU' \"011 avez un ((ranger ~UlS
VOtl
lo~t.
J lIi~ à ,"otr' dispo ition pour tout c~ qlll POUl
laIt VOll ~mbar
r
'R 'nai on. ~1,\
niè ( a la nati
- M crci. di t ~1.
nalité française.
- Ah ?... 'l'OInt mieux! C 1.\ impJifi( ra tOIlt.
- T,' al 'men t f rançai • répét. la rcv.l~
. J' 1
préfèr , pui 1111' Il va rester an doute assez Ion
t mp chez moi.
�PASSJU'ORT FRANÇAIS
_ Ah! Longtemps 1... Vou s allez
der Mais ii 1 mais si 1... Tou s les la mar ier sans tarrôd'er auto ur de la poste. Pari onsgarçons du pays von t
que Claude Sigean
vien dra rafle r tous vos timbres,
au lieu de les ache ter
à Saou et ses cam arad es seront alert
pas déjà. Le peti t Claude est asse és, s'ils ne le sont
z bête pou r ça! conclut-il en riant.
Du même acce nt gai, Mil. Luce
drai t ses timbres à qui les dem répondit qu'elle vensera it pas tran sfor mer son bureanderait, mais nc laisElle détachait ce mot pou r leau en salon de flirt.
met tre entr e guillemets. Le Conseiller s'att arda it
à
de ses lettr es: son cour rier persfaire deux paquets
M...•.. Belgodère qui, du train dont onnel et celui de
il allait, n'au rait pas
ses jour naux de mo~e
de si
_ Certainement, dit-Il, cette tôt!
Jeune
et attra yant e 1 - appo rtera du nouv présence - jeune
eau dans votr e vie
et dans notr e cercle d'amis. Ma
d'accueillir M,II. Perl e de Luna. femme sera enchantée
midable atou t 1 - Il rit. - Je neSon nom est un forsaurais trop recomman der aux par('nt~
Ile bien choisir le prénom de leur
s
enfants. Cela influe Sur la destinée
- C'est mon avis, acquiesça son .
voyez mon adjo inte : elle se déso interlocutrice. Ainsi
Victoria. C'est démodé, eHe sele d'av oir été baptisée
Entr e nous, il para it que ce prén trouve handicllllée.
om lui a fait manquer
un mar iage ... Du moins die le dit!
- Vot re nièce est favorisée, vou
la verr ez a5siégée
d~
prétendants ..Excusez-m6i, je
trim ent du service! Au revoir. vous accapare au déPen dant ce temps, Victoria
tête hérissée de higoudis, subissait le supplice d~ la
la «: perm anen te:. avec
le j:(r:lncl courage qu'ont toutes
les
cas. Elle sort irait embellie des main femme. en pareil
s du coiffeur, cela
lui dlrnnait force et patience. En
out rr, la lecture clans
un magazine clu récit d'II ne rt"fll
traIe parv Ilue à gagner la zone giéc d'Eu rope C('nma 111', la captivait au point {ju'c f rançai e cn Alleplu le
poids dl's hif'!JlHlis! Elle suivait lle ne ~('l1tai
toirc dram atiq uc ("n s'imaginant les péripéties de ,'hi 11.11. de Lun a dang la
ll1l\mc situa tion .
La veille, naturellement, elle n'av
ait pu obtenir ,le
détails sur l'ody s{e de la nièce
ce matin, ayant tCllu, avant de de la reccvellse, mai~
prl'ndre on car, a
�PASSEPORT FRAXÇA1S
17
passer au bureau pour savoir des nouvelles de la voyageuse, Milo Renaison lui avait parlé d'un long repos
nécessaire: sa nièce en avait grand besoin, après
toutes ces émotions,
Victoria Montazel se représentait des choses
affreuses: la fuite à pied dans une colonne de réfugiés; ou bien la jeune fille scule, abandonnée, errant
dans la campagne, et des soldats dans tous les coins;
ou bien l'Ol'ient-E:rpl'ess et ses wagons-couchettes, des
voyageurs opulents et d'autres misérables, tous également dangereux, à moins qu'ils ne fu sent de bons
Samaritains, serviables pour la jeune fille affolée,
Le coiffeur vint fort à propos lui changer les idées,
en c,ommcnçant à retirer les bigoudis,
Vlc~ona
laissa de côté son magazine; les photograph~es
de réfugiés, lamentable épaves, étaient démorahsantes, Elle écoutait le bavardage du coiff ur
avec une impression d'allégement, d'autant plus.
qu'ayant la tête débarrassée des bigoudis, elle se disait: «On e t bien cn France, on cst tranquille, on
fait ce qu'on veut...:) Par association d'idées, Ile
pensa de nouveau à Mlle de Luna, Resterait-elle toujours à Puy-Saint-Martin ?.. ,
Perle de Luna, Justemcnt, se trouvait dans la Pigne,
glle grimpait allégrunent la colline, [1 ne lui parais, ait
point extraordinaire d'être dans c ttc campap;ne françai~c,
<1al1> cette province au beau nom: le Dauphiné,
l'iclI ne pouvait "'Ire extraordinaire pour elle Qui vivait
ain i dep\1is .. , - Ah! dcpuis (juand ?.. , Cela clllbiait
~Ies
sièrlc<;, parr ois; - qui vivait de façon touJour
lI11pr(vi ihle, hors clll COIlVl'l1\l, de l'at 'ndu, Tout était
POlir clic touJours l'imprévu,
D:ahord le charll1c du pay'age envirol1n:l!1t : champs
cultIvé, praines cern ~C5
par cie pCllplil'rs, cotllllle lc
rhotlani 'Il tians l'intéricur des
prolongcment du ha ~in
t~rcs,
d dan 1 lointain de ll1ontagnc, le unes hoi·ces, vertes, pr' que nOIre, ct d'autre parsc1I1(cs dc
rochers Liane,; Ulll' colon ation i d 'Ilcate d'ull S'ri
de pcrk, qu'on l il! dit d 'S ondulations de P;ltc dc
Vl'rre fumé ou d'opalinc,
l'crie 'a it :l terre, ('onln 1111 tronc de vin aux
(c;tilk brunl's (t ro (', nacré , Ell ~
r f u ait :\
~n
l'~(ri
ail r vrrs le J1a ~ é,
Ire' loin ain
lat ~r,
pa ~e ct:llt trop hcun.:u,-; Illle vic de !lltite r in 1 Et
�18
PASSEPORt FRANÇAIS
le passé tout proche avait été affreux! Il fallait étudier le présent pour organiser sa vie; et puis les retours en arrière eussent gâté l'heure vivante. La déli~
cieuse heure d'insouciance: ne rien faire; écouter les
n~ile
petits bruits de la Piglle; faire auter les conife~s
dans ses mains; regarder derrière les arbres les
vOItures Sur la route.
Etre là inactive
e sentir bien dans ce hâvre de
paix, .e sentir re~igoé
sans ,avoir pourquoi. «Je
suis bien! je suis bien .. , », e chuchotait à elle-même
P rIe de Luna.
Elle sourit, la tête renversée pour apercevoir un
morceau de ciel.
:- Tout s'arrangera pour mo!,.. d.écia;t~el
Je me
,UI finalcl11lnt tiTlc du plus dIffIcIle, J al une affection Ici, chère mmlv Luce! Elle m'aime pour maman,
Je ui à Puy-Saint-\Iartin, 'n Dauphiné, Comme c'e t
drôle !.. , Puy-Saint-:'.! artin? Je n
avais pas quelle
figure avaÎcnt cc mot qUI font Illl village de 1, rance,
Le car venant de Crc t pa a; il était pr 'sque plein,
11 y avait là plu icurs pcr ouncs que l' rh! rencontrerait par la ,\litt, dont clic saul'ait les nom', mais
elle ne les conuais ait pa l:lICOT; elle entrerait peu
à pcu dans la vil' de ce pay .
Apr
1· car il y cut de camion rhargé!; de ac"
de tillé ;1 la milloteri d ' Saou, pui cl' voiture de
touri me, Dan l'ul1e, cl u. jeune homme CJui n'gardèrent la )lTom 'neu c av c curio ité, 'étaient 1 meilI,u.T amis de Claude Sigean; il arrivaient de lontLlllnaT, allant déJcIlller ch l l 'Uf camarade, Bruno
]{(~qlct
"fan ct l'lerre Sé Tilla avaient-il
cl' ja ~té
aVI,' de la pr' ence d'une jolie jeunc fille à PuySallll-. 1artin ?
d, l.11n:\ ,ecolla a jllP' pour faire tomher les
• l'~r
:1~l.
(\, pin attaché
au lis li , S
bras nue; JIl 1[11 il 1C)lalll
"l:IÎCllt au si blanc 1111C la chcmi l'lt.
hl;~n('
' b~()1
~t· d'un 'ul petit uouqu t. 1.;1 c 'int Urt' cl
CUir cTr:lI~
\ln' taill
Irè fine, Elit, était, ail1~
vl'tlle,
fill. l'ourl;mt, dan
S 'l11hl<11,l, il beaucoup cie J Url
~ ~l:1
~
rapil!t-, 1'1 rI' ~'gal
1 Bruno Roque t'ran aV~1
nI cu le t mIl dc " ri
cil1... Jeun f mm' b
1
Epatante
Olll ,I l l a P"'"C
1"
... ,
Midi commençait il 0I111cr ,1 toute le horloges d
maison du villag , \or que la «IIICC' ù' utriclu::. ùe
�PASSEPORT FRANÇAIS
19
la receveuse revint de sa promenade. Elle passa,
comme à l'aller, devant une belle maison de grande
allure, au milieu d'un parc. Sur la façade étaient encastrés des moulage, à effet de bas-reliefs, des figures de
silènes et de faunes. Sous le mur de la terrasse était
la fontaine publique, surmontée aussi d'une énorme
tête de silène. Perle avait déjà remarqué ces détails;
le beau parc l'attirait, elle avait envie d'y pénétrer ...
Serait-ce possible? Le domaine appartenait-il à quelque
personne connue de sa tante? L'impre,sion 4: étrangère ici) déjà s'atténuait.
« Je rentre à la maison pour déjeuner, songeait-clic.
Tante Luce m'attend. Quelqu'un m'attend 1. .. C'est merveillcux! :.
M Il. Renaison utilisait les minutes entre la fermeture du bureau et l'instant du déjeuner en s'occupant
des fleurs de son petit jardin. Des rosc., deux toulTes
de lys dressés sur lcur haute tige au-de, us des pensées en bordure d'un mas if minuscule. La tortue se
traînait sur le sable. Mourad écoutait les remarques de
sa maîtresse sur la floraison, très belle cette année.
« C'est délicieux, un logis françai. ! ) songeait Perle
un p u plu tard, lorsqu'elle' furent toutes deux, la
tante et la nlece, as si es dans la salle à manger pour
ce prtmier rcpa5 de midi.
- Tout ccci est comme un prodige pour moi, comIllt'nça la jeune fille. - Elle s'arrêta une seconde. Etre chez vous, mmly ... Chez la cousin de maman
(IU'clle aimait tant, ... dont clic m'a toujours parlé, et
tout à la fin ... - la voix s'ait ~ra
soudain, - elle m'a
encore parle de vou. ct de la France.
- Mon enfant, dit la tant (pour la première fois
elle employa le tutoiement qui rc errc le lien familial), dIs-moi rOrlllnl'l1t c fait-il qu' tn sois Français?
n silence d'ahon!. ~1.
l' cnaisoll in i. ta :
- J'ai besoin dr l' savoir. 'l'out à l'h lire cnron! un
ami m'a parlé rie formalit' obligatoire à remplir par
l·s 't rilngc~.
'l'II Il'01
pa la nationalité de 1011 père?
II aVilit COl1<l'nti il Il' tlonnL'r celle de ta mèr ?
nt Fr.l11çai l, déclara T'crie, parce
- Jc sui h~gaIClJ1(
fille jl· ... , je sui
1ll;1l iéc ;\ 1111 FIançais.
Un silL'llcc tllpifait, l'ct! foi.
') \1
• 111:\1 iéc? ré l'hl la talltt. Tu t'·. mari'· 'n
l'tanc('? l<.n arri\'ant? ,Ton? ..
-: Non,. P;I'>, Cil l-ralle .. Là ha , en Autriche, pOUf
avoir b. IILerte, ne plu rIen craindre pour ma vic.
�PASSEPORT FRANÇAIS
Etre libre, ,i vou saviez ce que c'est!... fon mariage,
c'est... - elle sourit tout à coup - c'est uniquement
un acte d'état civil. Mais, je vou en prie, tant qu'il
sera possible ne le dites pas 1 Laissez-moi être Perle
de Luna!
IV
la
sauvc, la liberté
�PASSEPO RT FRANÇAIS
21
« Pendan t la guerre nous étions à la campagn e, en
sécurité entouré s d'amis, de serviteu rs fidèles; il y en
beaucou p en Hongrie ! Et puis tout a
avait e~cor
changé; le pays a été envahi, les pillages et les incendies, les rafles de femmes et de jeunes filles, ... de.
scènes terribles ... Nous avons vu qu'il fallait fuir, lâcher (faller à Vienne. Après l'autre gUirre, les domestiques des grands château x avaient sauvé les domaine s
en les rachetan t pour les rendre à leurs maîtres. Cette
fois non, l'cnnem i était là... 'ou sommes parties une
nuit; ma tante avait fini par compren dre. C'e·t difficile de faire compren dre à des vieillard s qu'il faut se
sauver! Plus tôt, j'aurais pu passer en Rouman ie, puis
gagner la Turquie où j'avais une amie tille de diploemmené e quand le corp diploma n?ate; elle m'a~lrit
ma tante
tique est parti ct gardée chez elle. ~lais
s'ob.tina it à croire qUe tout sc passerai t très bien,
qu'OIl n'oserai t touchcr à clic, ni ;\ moi. ,
Renaiso n devenai t p;tle, se doi gts
Unc pau c. ~li.
trcmbla ient sur la nappe.
- A Viemle nous vivion dan nne pension de famille trè mode te, tenue par UI e ùame de l'ancien ne
société qui avait été a\ltrcfoi aidé e pal' ma tante.
Nous fichions de nOliS faire oublier. on craiF;nait tout
'était terrible. Ma tante
le temp de. perq\li Ilions.
fIait devenue tout à fait intirme; j'étais déclarée intirmière, cela m'avait perlltli d' 'chappe r à la réquisiti on
ienn' fut
pour k trav,til dans les u ines de guerr.
o cupé par le Allié. 1a tant morte ... Si vou pounter ccl,t : être cule avec une morte, ...
vi 'z vou rcpé~
ct tout faire tout seule ... Et pui sc retrouv er . an
11er olme au monde, 5 'ule, . cule, cule...
« Je deyai e aver de travaille r. Les bureau. où
il fallait remplir
l'ou 'in crivait ·,tllien! des piègc~,
dcs (Ill(' tionn,lIr e , montrer li 5 pièces d'identit é, donque le pire
IJI'r. "Il adre ,/1ature llement . Je eroyai On
arri·tait
etaIt p, '. 1.' pire Il' • t jamai pas',
partout tian le TIll' ... Un Jour j'ai couru ... J'ai cru
J'avais si peur d'"'tre l'ri e
(lU illOn CfI III' allait ~elat('r.
cl plac'( chn \ln camp de femmt, olt étaient tant
cl réfu ic::c· ... J'ai réll i à me cach '1' dans \111 c",fé,
l.orsque li s Françai s sont entré, j les ai supli~
dl ml' r ourir! :.
Hal tant ,clIc 'ar~t.
oil
DI\~
- Je ui r st( av C 'lIX, mais je ne savi~
il
illic,
surv
i
a
t
~
famille
de
ion
pen
l,a
"'s.
apr
al!'.!r
�PASSEPO Rt FRANÇAIS
y <1:vait, s~n
:e~s
des perquisi tions; des personn es
avalent ete arretees , plus Jamais revues! Les Françai s
m'ont emmené e chez une de leurs infirmiè res, une
assistan te sociale-officier que je n'oublie rai jamais, tant
elle a été bonne !... J'étais malade après cette frayeur,
quand les autres me poursuiv aient. L'assist ante ~ociale
m'~
soignée... Ensuite elle m'a gardée comme ~nter
prete; heureuse ment, je parle beaucou p de langues, su~
tout le magyar que peu d'étrang ers savent. Comme 11
y avait quantité de ~ongris
repliés, j'ai été très utile.
c On s'est intéresse à moi parce Que ma mère était
Français e, Cela m'a sauvée je crois 1 Comme interprète je devais très souvent ' accomp agner les «Croix Rouge:. en inspecti on dans les camps de ~ personn es
déplacé es,. C'était affreux de voir ces malheur euses
femmes ra semblée s comme des troupea ux .. , J'aurais
peut-êtr e été l'une d'elles, ... une prisonui ère ... et pIre:
j'aurais pu être envoyée dans un camp de travail si
j'avais été prise, moi aussi, comme t~
d'autres , si
la Vierge nc m'avait protégée . J'ai prie, VOliS savez,
comme on prie dans le désespo ir!'
M Il. Renaiso n fit Url signe de tête : «Oui, oui 1... Ne
me dis plus rien!:.
- J'avais été conduite chez l'assista nte sociale par
un des Françai ', reprit l'l'ri' <l'un ton rafferm i; il a
dit que j'étai ,a fiancée - il l'avait déjà répondu au
chef d'unc patwuil le étranJ.(èrc qui m'avait vue avec
eux, et si C>Il avait ~sayé
de m'appro cher, de me toucher, il m'a\lr,llt défwdu e, Les français , on racollle
qu'il ont lé cr , Ne le croyez Ila : il ~ont
le meilleurs.
l.)c nOllveau ).1 '1 • Henai on fit un ~igne
: « Oui,
OUI ... ~
Pas un on ne pouvait ortir dt! sa gorge, gUe
\len :ut a a vi, (j\llète, ta 'ile,
c I·.t nous nous plaignol l lci 1 , songea- t-ell avec
rcnlUrel. .
, - l'our avoir le droit de !TI protége r contre les
autr~s
...
- (luel «autrcs :.?
:crtaill autre oc 'npant, dit Perle, dl' 1"lIr
dT ra)' de ceux '1Ul unt dü vriller à tOlite It,ur l'aro!e , Il fallait qlle Je SOI' ~a f IllIl1C clon la loi f1'anÇ~I
c: AI(~r
S 'lllull(:n t ) n'aurai plus ri~n
il craindre ,
e lm'me!1 p01lrrait IllC ra11lener cn France. J'ai accepté
pOlr~v
u.n \la l'porl fmnçai ,
.
M
Renaiso n r "êta ltlachinalt:lI1enl
��PASSEPORT FRANÇAIS
une cordiale poignée de mains. Pas un seul baiser du
mari à celle qui devenait officiellement Madame ...
- Comment s'appelle ton mari? questionna M"' Renaison, tellement écrasée qu'elle n'avait pas songé à
s'en informer plus tôt.
- Jacques Heudreville, dit Perle.
- Je ne connais pas, fit la receveuse des postes, du
ton calme qu'elle aurait pris pour répondre à un usager du téléphone que le numéro tlemandé était introuvable.
Perle sourit. Elle avait un visage très mobile; tous
les sentiment s'y lisaient, tant il était expressif. Il
passait de la gravité à l'enjouement presque puéril, en
une econde. Sa nature était rebondissante; dans le
• malheur elle avait fait preuve de courage; à présent
elle se montrait gaie, amusée, malgré ses souvenirs
dramatiques, par la réflexion de sa tante.
- Enfin, dit au bout d'un instant Mil. Renaison,
petite-nièce d'un haut ma~i.tr
du temps de Napoléon TTI, c'est <]uel<]u'un de distingué?
Pour le rou!" Perle resta la bouche ouverte pui
son rire clair résonna. Chère al/Illy 1 Comme ell' était
formaliste!
- Un gentlcman, oui, as lIra·t-elle; il est droit ct
loy;lI. C' qu'il m'a promis, il le tÏl'ndra. J sui, sûr
qll'il vou~
plairait, si VOIlS :wicl l'occasion de le voir,
ce qui ,t improbable.
- Je serais hcurcwe de le r m rcier de c qu'il a
t
fait pour ma nièce, réplillU:l I:t tante av c: gri'tc
dignité. Que veu ·-tu Ille dir ? ajouta-t·cll', voyant
1\'xpn'ssiOIl confuse et souriante du j('IIne vi age n
face d' 'tic.
- .1 e voudrais, dit joyeu cmcnt l' rl , reprcmln' Ull
morceau d tarte allx frai es. Puis-je? .. , Elle c~t
si
b(.nn !
- Que III c 'nfant! Mai biclI III 1 fl('r .tni, ma
d'un aIr ravi. 'l'II es dl'z toi,
chérie, diL M Il. Hcnai~o
voyon !
P 'rie regarda lt :11('<111 dans ~Ol
a i '11(', pui alltour d'cil la aile ~l mali r plai alite à l'œil, peinte
en vert clair el carl' léc cie rouge ;1 la mode Ju 1idi.
Un !tollle!
l'II petit coi Il cl Fran" qui
t il toi, terll1ina la
d Luce l'euai 11.
voix fT ctlll'U
- 1111 Ill'ltt coill cl France à !\lOI ... II Il faut plu
rien mc dire, 0\1 bi Il J' vais pleurer, articula Perle
�PASSEPORT FRANÇAIS
25
d'un accent tremblant. Merci, aUHly 1 Merci pour 101,t!
Hcur<;usement, 110urad vint faire des câlinerie' à
sa maîtresse. On s'occupa de lui. Cela fit une diversion.
Ensuite Perle s'Informa des habitudes de la maIson,
exprima le désir de se rendre utile. Sa tante répondit
qu'eile devait pour commencer, faire une cure de
repos. Du sO~lInei,
des promenades, après on verrait
Le mot promenade amena une question sur la grande
belle demeure dans un parc, et M,II. Renaison donna
des précisions sur la propriétaire: une grande artiste,
musicienne d'immense talent, qui ne dédaignait point
le pays de ses ancêtres et revenait chaque été à PuySaint-Martin. La maison aux bas-reliefs était inhabitée; 011 voyait cependant les fenêtre' ouvertes parce
que Fabri 'ia, cuisini \re de l'artiste et gardienne de
l'immeu.ble, .avait la pa sion de la cire, de J'encaustique;
elle asttqualt, fourbissait pour se dé ennuyer.
M Il. Renaison «décrivit:. l'artiste, une femme charmante, puis Fabricia et d'autres voisins. Le temp~
passai t. L'horloge sonna, un banal carillon If' eslminster
qui égrenait sa phrase musicale,
- Voici l'heure du bureau, dit la receveuse.
Elle s'arrêta sur la porte,
- Si J'on me parle de toi, que devrai-je dire?
- Ce qui vou semblera le mieux! répondit Perle
avec IIhouciance,
EII' s'e\l1para d Mouracl, se mit à le care ser, On
n'aurait jalllai llli 'Imaginer qu'elle venait d'évoquer
des ou\'( lIir c1'angoi e,
- Cc qui me _ 'mblcrait le mieu , dit .a tante, c'est
la franchi ('; JC Il pourrai pas cacher ton mariage,
p,ui 'lue c'est cela qui tc JI rmet de résider en France...
Enfin, 'écria.t<elle, i1l1patient{e, voyant a nièce faire
des agace ri tlU chat, s'il arrive tille 1 ttre il j'aures e
de M'''' )acqll' 1Iclldrevilil'? ..
- Vou la 11I'1'l1dn'z ct me la Hl11dtrlZ, 'il vous
plaît, dit h'rI' g;IÎl11cnt.
,« 1)ICU nOliS a i tl !. Il n ;' la darne de po t 'S en
S Cil allant aprè Cl tte r Illal qlle :
- NOIl r 'vi l '!1(lron
ur t'ctte qlle tiOll, A tout ~
l'heure 1
��PASSEPORT FRANÇAIS
Là-dessus Fabricia, la gardienne de la beUe maison
aux bas-reliefs, entra d'un air épouvanté, comme si
eUe al1ait crier au feu! Fabricia ne pouvait cesser
d'avoir l'air épouvanté: cela faisait partie intégrante
de sa figure. EUe parla de la chatte de sa patronne,
laissée à ses soins par :Mademoiselle, qui d'habitude
l'emmenait à Paris. Ziouka était partie en promenade
à la Suite d'une jeune dame qui sortait de la poste.
. -:- C'est une jeune dame grande et mince, mir:ce! et
Jolie, jolie! toute blonde avec des yeux bleus qUI nent
comme si elle connaissait tout le monde ici. Je l'avais
déjà vue ce mat 111, el1e allait ver la Pig/lf,. elle s'est
arrêtée pOur regarder le parc et la fontaine, juste je
prenais de l'eau. Elle ne m'a rien dit, moi non plus,
mais des gcn , ccux qui savent toujours tout, ricanat-el1e avec un mépri' courroucé m'ont raconté qu'elle
était arrivée dans la nuit chez ~ous
Mademoiselle, et
même que cette jeune dame serait une cousine, de
celles que vou aviez du côté de Madame votre maman.
Ma petite cousine, Mil. de Luna, qui habitait
Vienne, en Aulriche, prononça M"e Renai on d'un air
majc,tueux. Elle est française, ajouta-t-elle, détachant
les sy llabes.
Celte particularité ne parut point retenir l'attention
de l'abricia qui repril alJ 'sitôt, en roulant les yeux de
telle sorte ql1e l'on voyait seulement le blanc:
Eh bien! c'est à n'y pas croire: celte demoi.elle
a charmé Ziouka 1 Tout le pay le ait! Ziouka, on ne
P ut l'attrap r, à moin cie lui convenir tout à fail;
c'cst bon signe. Cettc d~moi.elc
"otrc ni~ce,
alors c' t
quelqu'ull ue ... - cl1' chercha - dc . upnoc
Il faul prendre supnùe uans le en Il~ridona:
parfait, trè~
g('ntil.
Ma ni~ct
aime bt'aucoup lc chat,
meut
Henai on. Mourad t t toujollr
ur cs gl'noux, Il llC la (Illitt, pa, Mourad
1 :1115 i tr~
,lif-
1\111.
ficllc
l'Il
amitié .
. A l'uY-Sainl_ fartiu le chats ti~1IH
nt 11I1t' l'lare
Illlport nntc. 11 l'Il 1 t rie toull' orte : dc 'hal dltin!;II:, c catl-!otoril' cl, lu'c », :Jnsora, iamois, persan, ou \'ulgallc matou d~
gOlti~r,
Il'Illpli de
qualit'\s, nonol. tant leur ba sc ori in ; d',llItr ,\'ngaI.oud ,app:lrai anl 'Ill jOllr, t('l de alli1l1 Il dc ftl'ric,
"cnu d'ou nI' ;,it où, pCUI-tlre par ~tal'c
'k CI' ouel Iii parai ant. Les pred'Andr.1Il (cleu kilu1~tr(;s)
�28
PASSEPORT FRANÇAIS
miers. ceux de la catégorie de luxe. traités en espèce
de citoyens d'honneur du village. suivant le rang social de leurs propriétaires - pour ne pas dire leurs
parents! - Tels Mourad. chat de la poste, et Ziouka
t!t N eko. chats de la grande artiste fidèle à son pays
dauphinois.
~lais
on ne dédaignait point Gastadoll (petit gâté).
chat ronronnant de la bonne MWI Aglaé. ni celui de
la forge ct ceux di. la boulangerie. et combien d'autres
mcnre 1
Cette gent féline jouait. on rôle dans la vie de
l'a glomération. On pOllviut dire que Ziouka décidait
de l'adoption de la «nièce d'Alltriche:. de Mill Renai on autant CJlle la tallte clle-même. En trottant de
tOllt
ses petites ;Jattes à cùté de la jeune fille inconIlUC, Ziouka la fai~t
entrer dan, le ein de la coml11unallté tout comme l'aurait fait le maire. premier
:na",i trat de b commlln , ou le notaire, 011 le Con!<:illcr en retraite Hclgodère. h<1l1te personnalité du
cantol1.
Fahricia dit <lll'dle Il''tait (onc pas en peine pour sa
chatte ct ~e retira. lion salls avoir assllré Mill Renaison 'lU' clic était toute à a dispo ition :
- ... Si quelquefois il VOliS fallait un COllp de main •...
pui que vous avt'Z un' visite. Celte dcmoisell' va Test'r ici. pellt·être?
?\["e ['Ulai on répondit avec affabilité, an perdre
son atlitllcle digne. CJue a ni'ce vcnait de vivre d s
allné
tlifJlcile ,,,. trè difficiles. à l"trangcr; e1l' aurait he oill d'ull long repo .
- ... Et d'tltlt bonn' nourriture! al'heva Fabricia.
ElIl' ,t m.ligrc. la p:lllvre 1... .Te vou' apportnai des
(t'ufs frais; ks poul
dl ~1;(
moi clle en font plus
c;u"l1 S Il (ll'UV nt. t't moi, malhcureus(' 1 avec mon
foi qu'il faut Stlrv iller. ri tin pas que je Ics mange,
tous ces (l'ufs 1 Et ça fera pcut-être plaisir à cette
dCllloi lie?
Brav's VOISlll 1 Pay b~nil.
MIl. Hetlai~on,
.cule
clri~
on 'uichet. recommcnça d p n5er au mari
de l' rit.
« '1 ,j( otl tard. on saura '1u'cllc cst .~fm
Jacques lIeudrcvill . Joli nom. au fait 1 ollgeaÎ( la receveu' av'c
une pè
de complaisance. A qlloi peut.il rcssembl r,
cc n veu qu j'ai au loin?:.
Un Il (it SOUTIT' p. s ait dans les yeux de la bonne
dcmoi elle, qui Il'0 ait pa sc dire: < C'e t amusan t,
�PASSEPORT FRANÇAIS
cette histoire .. , :., mais cela mettait un imprévu piquant
dans Ra vie,
e Quel destin a la fille de ma pauvre ~farieJosèphe!
- Le soliloque continuait. Ses pensées se tournaient
maintenant vers le passé, - Le mariage de MarieJosèphe avait été aussi un imprévu, mais si brillant!
Je l'enviais un peu, moi qui n'avais ni fortune ni
heauté :
laiùe, sans plus; rien pour espérer un coup
de veine comme le sien: une rencontre en Suisse, un
beau mariag', ~Jarie)o,èphe a\'ait tOllt pour emballer
ce 11. de Luna, clic était ravi, sante, l'erlc a ses beaux
yeux blcus, son teint, son petit profil i fin; elle a toute
la grflCC ~dui
ante de sa mère .. , Cc qui est étonnant,
c'cst que l'homme qui pour la sauver lui a donné SOli
nOI11 n'ait pas été amoureux d'elle ... A moins <lu 'elle
~,it
'l~-mëe
e, 'igé cette éparation immédiate pour
une ral on cnhmcntale ? .. :.
L'idée lui venait soud"in : la jcun fille n'avait-eJle
pas un amour ail CfCll1'? Sa virillc IHlI'cnte désirai t la
garder alpr~s
d'clic, sans nul doute la mari 'r à qutlque
héritier d'une anciennc fa111illt.! hongrai e, Les Hongroi,
sOllt rham~ts
.. , ct Sllrel11ent charmeur"
« Au fait, je ne sais rien d'elle 1 se disait ;\f'10 Luce,
f cmmc, très
Rien, si cc n'cst qu'elle est une hOln~t'
croyante puisqu'clle a prié «comme on prie clans le
dé, espoir:. !... Pauvre petite! Si J'avais Cl! à supporter
c' qu'ellc a supporté, aurais-je montré alitant de courage qu'cllc ?.. , :.
Son regard indécis ~e posa ~ur
1 affiches admini trativ ,dé('oration de murs. Sc Ill'n ée allai 'nt vers
la mai ,onnette de retraitée, objet d' e méditations
Coutumlen ,
~ Ai-je donc lin c~prit
i médiocre? oupila J'e. celI~ntc
filIe anc line c. pèce de cOllfu ion, Ma. profes~Ion
l11e satisfait; est-cc la pT 'U\,(' que je n'eus~
point
cté capahle de pins? Mais la venu ine pérée de la fille
de, Marie-Josl'ph' e ,( certainem 'nt le signe que je ne
?OIS pas me confin r dans ma coq nille, et pour réSister
a lJl pétrification lente qui nH guettait.:.
J~le
e,' 'ntait oudain galvani éc
, .
•
c Je lit. contente d'avoir J'crk, Que pOllrral-Je f Ire
pOlir clle ? .. Il' veux la voir h Ilfl'U e, :.
« Ce qui '\'OllS paraitra 1 milOU':', disait tout a
l'h 'UTe la jeun fi lIe, Cc parole prononcée' alIe Tement lai saient la tant méditative. Cc qui lui parai
sait le mieux, c"tait voir Perle heureuse av c un man,
Il'''
�PASSEPORT FRANÇAIS
Et c'eût été facile: en ce moment, les garçons 4: bien ~
ne manquaient pas, soit à Crest, soit à Montélimar, et
plus près encore, à Cléon-d'Andran, gros e bourgade
voisine, un jeune médecin venait de s'installer. On le
rencontrerait certainement chez les llelgodère qui recevaient beaucoup.
Il y avait toutes les possibilités de marier Perle. Par
malheur elle avail déjà un mari et, pour comble, on
ne savait même pas où était celui-ci.
4: Ce garçon doit être un grand orignal~,
pensa
M'" Renaison.
Plu icur voitures de tourisme venant de Saou passèrent devant la poste; elle regarda machinalement les
lettres minéralogiques. Espérait-cHe trouver là un
indicatif do lieu de résidence de Jacques Heudreville?
D'abord, où ré ' idait-il? Encore un point à éclaircir.
La perspective d'un divorce ennuyait Mil. H.enaison;
elle se disait:
«Le mariage est nul de plein droit. La déclaration
de nullité . cra au si facilc à obtenir à l'Officialité aI'chidiocé aine que le divorce par les tribunaux civils,
mais ce sera tr'.' long ... Et qucl cffet cela produiraI·il ici? ~
4: C'est dans cette évcntualité, sÎlrcmcnt, que Perle
tient à n'"trc connue que sou son nom de Jcune tille:
pas de changement une fois le divorce prononcé. Cet ...
épiso!! pourra 1 stcr ignor' .
fIl"' Luc' conclut pOlir cil ··mêmc :
« Faisan confiance à la Providence pOlir l'avenir.
La ituation pré cnte
ré ume ainsi: ou bi n le mari
de l'cric viendra de lui-même la chercher, 0\1 hi n il
Ile vÎcl1dm pa li f 'la le née!: aire pour rcpr 'ndre sa
liu\ rté. Perle retrouvera donC' la sirnne. En tOllt cas,
rh z moi lie (' t au pnrt! J ui bien aise de faire
cela pour la fllll de ,Iari -Jo 'ph.~
J/apr -midi tout entier s't"coula ans indd nt. "tait
1 ( li . . l'a
beaucoup de va· ,t-vien t ;~ la poste.
VictorÎ:t lonta? 1 reprclldralt a place demain matin;
cert lin ment dl
'Illform('rait de la voya ('u e. Qu 1
'lIllUi d fl(' pouvoir tout lui dire!. .. ~1"'
l<cnaison était
IMrt,1 {o entre d Il.' t'nlim 'nt : la contr,lII{oté d'l,tiC
d maquiller la v' rité. «Françai
Olllllle a
oI.li ,~c
Ill' ft : . :
xact! lais devenue Françal
par maria e
avc UII FrançaIs: exactitude totale, d'où cuntr;tri ;té,
ave' ( lte idée malicieuse tout au fond: c c'est amusant 1.. , »
�PASSEPORT FRANÇAIS
31
Mil. :Montaze! apparut alors que sa directrice ne
l'attendait point. Elle avait passé tout le jour à Cre t,
et POur terminer rcntrait à Puy-Saint-Martin dans la
VOiture du Conseillcr Belgodère, ce dont eUe était
enchantée.
Victoria garda pour elle une réflexion faite en
C?urs de route par le Conseiller Belgodère: «J'ai
l'lmpre,sion qu'il y a quelque chose d'as ez ... , hum ... !
d'a~scz
mystérieux, dans la venue de cette jeunc IIon~rOlse-Fançic
... :. EJle cherchait de toutcs ses forces
a percer ce mystèr , mais ne dit rien qui eüt trait à
d'autres choses que les laincs à tricoter (lu'elle avait
l!ll de la peille à réa~_
ortir.
- J'ai couru tout Cr' t! di~at·
lie.
-:- Vou ~l.
gentille, ma chère, répondait 11"' Henal~o.
l rCi ncore Vous a\'ez pri tant de p inc ...
Je val~
comm ncer un ÎII!/ll'cr pour lI1a nièce. A cc
prO]IO-, n'oubli'z ]Ias mon petit thé, dimanche; j'aurai
quelques per~on
.
- .r c n'aurai ~ardc!
assura Victoria. 1J11. Perle dc
Luna nous clira cerlainement des ho Co t 11 mwt inté1 u ante, sur . on pay !
~
Elle . t de nationalité françai c, jeta négligemment la tante pOlir la nO foi ' .
. --:- Oui, mais cil habitait la l Iongric. J'adorcrais
VI Iter la Hongrie, l'Europ central, 1 Balkan.
- Pas moi! J'ai Pf.:UI· du feu 1 répliqua en souriant
la directrice du petit burcau de Puy-Saint-.1artin
(Drôme).
D
VI
thés dans la mêmc jOllrnrc
ud record
I1n \ i!lag
d cinq ('('lits halHtar.lts 1..
hl • Rcnai on :tait lout fièr c1';mnonccr à ~a IIl'C :
.- C t apre -midi J'aurai qu !fllle pcr<~nt;
apr:·
dm 'l", non
omm s invité
à un th' ·hml
du ~olr
chez 1· Con l'ill r ct 1- Bclgorl r .
J'crie avait d' Jà (Ill 1 phi il' ccla r pré. 'niait pOUl"
a tant (:[ dit qu Puy-Saint.Martin 'tait mondain ."
Mil. l.uc compl'ta d'un air ravi:
Il
I:UX
]10UI
��P.\S EPORT
FRA~ÇIS
3J
L'entretien sc termina sur cette phrase toute simple:
- Montre-moi la robe, dit la bonne Luce.
Le dimanche de « mondanités:. fut une journée particulièrement réussie. Il fai<ait trt>s beau temps; ceci
incita plusieurs amies de Mlle Penal on à vcnir la
voir. A travers cettc riante campagne ùauphinoise 1>arsem' e de taches de conleurs : champs de coquelicots,
blés dorés, trainées ro;:e de sainfoin ou de trèRe, la
promenade serait agréable,
Victoria )'lontazcJ <e prépara pour ce gOllter chez
sa n;ceveuse avec autant de soin qu'ellc \'ellt fait pour
la grande fête de Crest. C'était ulle bonne occasion
d'Ill3ugurer un tailleur de grosse toile hlanche, commanllé POlir 5011 séjour de vacances il la Capk. Au
r~ve.,
ayant jugé un clip de céramique trop banal, elle
Piqua . lin bouquet de fraises des bois arti.ficiellcs qui
donnaient envie ù'en manger. Le blanc seyait a sa Jll"illl
brune; ses Yeux noir' et sc cheveux noirs lui faisaient un type gitan qu'elle accentuait: avoir un typ ,
tout est là 1
En s'examinant une dernière fois au miroir, elle
p\n<ait : «Je serai bien, si je n'avai, le malheur de
m appdcr Victoria 1.. :.
Là, ricn à faire' Ics diminutif créés par sa famille
n'~taie
Qu'une a 'Kravation de soucis: les uns l'appclai ('.n t l.ot~c
ct les antres Rara.
blI~
etait t:ès contente il l'iclé • dc voir de tout prè
l~ l>:lI:ante Illèce ù'Autriche de Mil' l'cnaison. ])epni:,
arnvec en surprise, eIle avait seulemcnt ~p('rçl
la
JCl1lle fille da!ls, lc jardin cie la po te ou bien Il promenade du .cote d· la Pi /Ill:, 011 dan, la direction de
b"colh~
ou se, dre scn~
le ruilH d l'ancien ch: tcau,
L trangerc aV:111 un c1:lc .rani Sil démarche si légère,
s~n,
Jl.o~t
de Il I.e la f~1
a! nt. r marqne t • L;~
.~
de
luy-Samt-Martm. qUI almall'nt la bealltt' dl tllent,
110
vo 'ant .\1
de Luna: «Elle c t ctllpté 1 ~
!\III. ~rontale
,wait pri
se
disP()~ton
IIOn1'
n'arriver qu'à cinq heure, D
la pr)rtc Fran hic ellc
nt ndit un bruit de voix f émÎnin ,II y :nait du Te t
li u voitllT an êtées dev:tllt la po t 1~Ic
~e
élicita
d'avoi { mi SOli co tume blall, 'c n'ét, it point la
Siri te intml~,
Le gOllter de ~t"·
Reliai on 11rcnait
lin allllre de réception.
Des :unies de environ, t ntée par cc bel llprèMlQ-1l
!
�PASSEPORT FRANÇAIS
midi, étaient venues faire une petite visite à la chère
Luce. Les unes arrivaient de Marsanne - le chef-lieu
de canton, - les autres de Crest, la ville autour de
laquelle on gravitait. Celles-ci avaient fait le trajet en
voiture, tandis que trois dame de Cléon-d'Andran (un
gros bourg voisin) avaient fait à pied cette courte promenade. Cléon (abréviation familière) n'était qu'à
deux kilomètre de Puy (raccourci habituel du nom de
l'uy-Saint-1r artin).
M"e Montazel se glissa, di~cl'ète,
dans le salon; elle
aurait bien voulu empêcher l'arrêt brusque de la converqtion, mais cc fut Împo sible: ces dames n'en
finissaient pas d'être polie' 1 Perle cl, Luna lui dit
gentiment: «Je sui' très contente de vous voir~,
t
tout de suite lui fit compliment de son bouquet de
fraises:
- C'est si joli 1... 'est le gOllt français. Ailleurs on
lI'a pas de trouvailles comm celle-ci.
Aussitôt toute l'as j,tance re Tania le bouquet de
frais 5, en s' 'xc1amant sm cc colifichet. Cela déhuta
donc pour Victoria fontaz '1 d'une façon charmante.
n'ailleurs le p ,tit courrier astrologique de SOI1 journal
de mocles prédisait un dimanche brn \fiquc.
Les (lllcstions reprirent auxquelles il fall11t bien que
la voyageu~
répondit. Ell' le faisait avec honne gri'tce,
bien que cela comnlenç;lt de l'ennuyer. A son tOllf Ile
dit ouhaiter qu'on la clocument:lt ur le Dauphiné:
- ... Une terre inconnue pour moi! Je voudrais
«~Iprcnde
la Francc, par petits morceaux. Est-ce
qu'ol1 me cOl11[1r 'IH\ bien, 1II111/yr dit-elle.
ette phras' fut aillée cI'exclamatiol1 enchantée.,
tout cc flU' ciL ait la nièc' de Luce lia rai ~al1t
autant
d'heureu. c trouvaille.
« {aman :wait dil connaître des int 'ricur' pareil
l11hlahl s à ccli ·., -ci" ongcait l'cric,
et de fl'l11111
intén: :. par c ,t entourag si 1I0IlV('all pOlir IIc... n
peu {mile ail si en c ayant dl' s'll1lagih r sa 111ère
j ulle fill. iarie-Josèphc de Ken'ad, vi 'ille oueh
ba·tonnc, qui aurait vécu dans un petit . alon provindal, jouant de N octllrllcç de Chopin sur \111 piano
cIroit; attenclant Ic fianc' - qllelqu ho\rercall du voiinage - Cil hrodant 011 troll cau.
Et la vi, cie a mèr' avait ét: i différente t Un
!\éjOUf d'{·t· 'n Suiss chez cl s ami, la rcnolt~
(111
11rinc' charmant, le brillant mariag , 1'(' t raonlinair'
coup de (hance, plll : la ueee iOIl de COlip de
�PASSEPORt FRANÇAIS
35
chance dont le dernier devait entraîner un malheur:
être appelés auprès de la richissime grand-tante Hilda,
en héritiers présomptifs. La vic en Hongrie chez la
vieille dame, veuve d'un chambellan de l'empereur
Frantz, la vie de rêve, ct ensuite ...
Et ensuite les deuils. Deuil de père, tué dans un
accident d'avion; deuil de mère. Et puis la guerre...
La guerre avait tué la vieille Hongrie.
Un dei nier {-pisode: la fille de Maric-Jo.~ph
se
et de
retrouvait en France, aux confins du J)auphin~
la l'rov::ncc, dans lé salon d'une autre tante, fonctionnaire des postes. Une tante qui n'était pas riche,
11l puissant.! : une Français.: moyenne et une «dame:t
fine, di linguéc, haute d'esprit 71 de cœur et tellement
lionne!
Toutes les amies dc 11'" Renaison, charmées par
la jeune fille, s'efTorcèrcnt de lui représenter la province sous son meilleur aspect:
- La vie à la campagne peut Il'être ni ennuyeuse ni
bête 1 déclaraient-elles.
A quoi M'" de Luna répondit vivement:
_. Oh 1 JC vois! J'ai déjà une aITcction pour le Dauphiné.
- Ma nièce est Française, intercala M'" Renaison,
dé.ireuse de ne point laisser ignorer cc fait. Comme
sa mère, aJouta·t-elle d'un air ému.
T'erle commença de préparer le thé. M"· M onta1el
argua de sa qualité de st.:ule autre jeune fille prr ente
servic~
à la nièce de la mai on. Celle-ci
Jlour olInr ~e
lui sourit.
- Oui, s'il vou plait, aid z-moi.
Victoria s' mpara du sucrier et du cremlcr, SlllVlt
T'cric qui apportait le ta .e~
'n s'informant avec une
gcnt1l1e c en orcc1antc :
-:-- Il faul m' 'C\l<cr! Je n' ~al
laquelle Ile vos
aml~s,
n~a
tante, a la prioritl-?
V1ctona Montazd omiait aWi i [lour fairc ('0I11111e
T'crle. Ell étail ravie ct le fllt 1'111'1 encore lor que
Mil. de Luna lui dit, 'aimahl :
Jlorté
- •Vous avez \111 prénom qu Je ne c.rovai .P~"
een troll on rh t fam Il Ternent
en 1· ran e. J-.l1 I~urop
VI ki. J'aime hiL'11 l'i,kt. ("e t j li, n'esf-c(' fI .?
- Oh 1 olli tr
Joli 1 accepta d'lll1 éiall ),1'" x1ontazcl. Il ha ~el1hai
qu' ln' porle, celle cl l'e Jloir,
S'ouvrait pOlIT (Il
c: Qu lle li 'lidcu jcune fille!;) songeait·ell CIl re-
�PASSEPOR't FRANÇAIS
gardant Mil. de Luna qui présentait aux invités une
petite corbeille emplie de pâtisseries:
- C'est vieno~.
Je les ai faites, expliquait-elle.
Précédemment une idée lui était venue - gardée
pour elle d'un my tère, inconnu sûrement de
.\.1"" Renaison. Cette brusque arrivée de la «nièce
d'Autriche:. n'aurait-elle pas été le contre-coup de
quelque activité ... secrète? La jeune fille ne 'était-elle
pas enfuie au moment d'être arrêtée? En un mot:
Perle de Luna n'avait-elle pas été plus ou moins agent
du 2' Burcau ?".
Il fallait se garder de laisser tran paraître quoi que
ce fût de ce soupçon; le agents fugitifs sont toujours
recherchés, parfois retrouvés, dans tous les romans
d'espionnage ct tous les films bien constrUIts.
« Si l'on recherchait Perle de Luna, et qu'on la
retrouve à Puy-Saint-Martin, dans la Drôme, dan ' un
l>ureal1 de postes! Qu'Ile hi. toire cnnu)'eu e pour
l'Administration!:. pensait alors l'adjointe, dominée
par le . ouci d la f1rocs~in.
LI! invitée. , pai ibles, continuaient de pari r des
pos,;ihilités de distracl1ons. Le village était tout petit,
I11;US hien hal>ité; les Uclgodèrc l'animaient; lcur~
enfants ·'L.'\icnt mariés fort loin, ils rem1l1i5 aient le vide
causé par leur al>sencc cn invitant sans c 'sse d,,' ami ;
ils avaient des relation partout; on r 'ncolltrait toujour dcs gcns intéres~a
chez eux,
- Nom devons bridg l' chcz. le Conseiller ce soir
m-mc, dit Mil. Rcnai on, contentc.
- Vou. y verrez Ilcut-être notre nouveau médecin,
annonça l'I1n' des dames de Cléon-d'Alldran.
Il c t j'une, trè
yrnpathiquc". ct c'Iib. taire,
ajouta l'autn~.
fil. 1{ naison n'cut lloint de réaction, bi n qu'ell
ci'lt un rlièc - à mari 'r. Son cxpression re ta neutre:
elle ~uivat
l'cri de l'n'il aver ~ati
faction, mais sculf'111l'nt parce qu'die avait du pl, isir à constater 'lU la
]('lite dl Perle serait exactement cc qu'il fallait pour
la petlle rlunion de Belgo(lère, «Tout :\ fait illlIlluncnt, de intim s:., avait dit .\1"" n Igo,ler(.
Mil. Luc(' dJ('rchait à compll'lcl 1- \'c tiaire de sa
niccc, il lui 'l11hl;lIt !JU(; certain morceau. d bro(lenc anci 'ntl
(Iu'dle avait dan 110' commod 1101lrraimt fain une robe rlégantc. c J verrai ça dcmain! :.
décidait-clle 'n écoutant unI! hi taire de VOl inag .
�PASSJ;PORT FRANÇAIS
37
Victoria Montazcl continuait d'être ravie. Elle poursuivait cs réflexions :
« Peut-être 11 1 ,. de Luna réussira-t-elle à persuader
sa tante de m'appeler Vicki. Ce erait chic: Vicki,
ma chère ... »
Elle pensait, par association d'idées, au nouveau médecin de Cléon-d'Andran.
Un ml)ment, Perle vint gentiment s'a 'seoir auprès
d'clic, lui parla d'une façon très gracicuse :
par ma tante que vous êtes très cultivée,
- Je sai~
que vous li:lcZ bcaucoup.
Mil. Monta7.el protesta par modestie au mot «cultivée" cependant c'était exact: elle avait complété
une bonne instruction par la lecture. Le dialogue entre
le, deux jcuncs filles sc pour uivit. Victoria 'élança
sur le sujet livres, énuméra des romans récents d'auteu rs anglai ou scand inave·.
- Je li tout ce qui paraît. Je me ruine Cil livre,
dit-elle avec un sourire qui éclairait bien son vi age si
'il
brun, parce qu'elle avait de dents magnifique.
vous était agréable de puiser dans ma petite bibliothèque, Je 'crai si heureuse de la m tlre à votre disposition!
--- MerCI, oui 1 dit Perle gaîment. J'accepte avec joie.
Prêtez-moi ce que vous préférez vous-même".. à
moins que cc ne soit triste ou eO'rayant!
- J'aime bien avoir peur! dit Victoria.
- Parce quc cc n'e t pa~
la vraie p Uf 1 fit la nièce
d'Autriche, sérieu e cette foi .
Toutes ces clames, ~ ces mots, eurent l'air ému et
compatis<ant. 1" 1. Renal. on coupa une nouvclle vagu'
dl' questions sur la vic en Europe ccntrale, Cil déclarant qu'elle devait à son adjoint de connaitre des
bcst srI/en:
- Je n'achète )laS h 'aucoup dl! roman. M"· Mont~zcl
me pas, l' - siells ct une !Jua 'té de magazine',
alllSI J tnt' tiw. au ('ourant.
- . M Il. Vicki e t très aimable, dit l'l!rle, détachant
cc diminutif; l'intelltion II· faire plaisir évidemment
la guidait.
Victoria 1ontaz'l d "Înt presque TOUg de joi. h!
tl1e avait dit cela «Vicki, cl "<lnt toutes ces clame
qui répétaient Cl! , petit surn~
d'un air apllrobat liT;
c}le nrcgistraicnt, clllhlait-il, cett· nouvel!' app Ilat10n. D'sonnai elle erait « ic1·j :V1ontalcl, pour
tout le c 'rele de sa rcccv 11 •
�PAS~ORT
FRANÇAIS
Deux syllabes, et sa vie allait changer, grâce à
M"e Perle de Luna. Du coup, l'étrangère se gagnait
une' amiti';.
Lorsque, un peu plus tard, le salon se vida tout d'un
coup - les dames de Cléon étaient pressées par l'heure
du car ct les dames de Crest et de Mar anne avaient
c~or
une visite à faire, - M"e Renai on dit à sa
l11ece :
Quel succès! Tu a conquis la sympathie de
toutes mcs amies. Elles ne tari~5en
pas 'n 'loges sur
ma délici use nièce fran<:o-hongroise. Tu n t'e pas
nnuyée? ajouta-t-elle bil'n vite avec ollicitude.
- Au contI aire !. .. J am ai . je n'ai mi 'ux compris
maman qu'aujourd'hui ... J'essayais de J'imaginer à ma
place, VOliS voyez? C'était -i.,., si nouveau pOlir moi, ...
LluéJlnis. able, émouvant. C'est vrai, j'étais émue;
d'ahonl vos amies montraient beaucollp dc tact 't de
cvmpréh nsion... ]'avi~
toujour' l'imprt~
ion de
n'être pas l'étran ère dont-on-ne-sait-rien. Chez le
le même genre de conversation?
Bclgodère, ~('ra-c
- Oh 1 pa du tOllt! C' 'st plus intelli ent. Il y aura
de homme. lis vont te faire la cour.
Son souci' était visibl . Tou ces garçons tenteraient
lin !lirt. .. et P 'rie "tait mari' e...
- Cc sera un peu difficile pour toi, commcnca-t-elle,
VréocclJpte. Mai tll t'en tcr ra très bien.
- So)'('z tranquille, IIIml)', répliqua sa nièce: j'ai
un amulette qui 111' prot"gc,
]'.11 touchait en l1<1rlant \1n hijou de t\lroj~es
usp nùu à ~on
cou par une l'hain tte d'or ténu comme
un fil. Tvut a l'ft ur a Victoria. f oult/n,1 rtui l'admi.
rit, Ile avait réj)o~d\l
hri v ment: « "(t le Cil!
ollvcnir ùe [ri-bllr qu j'ai·.:o ]'.11 répéta éri 'u c-
m nt :
S,oyel. tran4f.,ill',
1 t rJau! de Ilf)UH':\U :
! e /. it S (la
cctte têt chez le COIl~ci
r1cmand mit POurq\1oi!
-
r, On c
�PASSEPORt FRANÇAIS
39
VII
C
Hl!z les Belgodère il y avait tous les garçon3
du pays.
Identifiant le voitures déjà rangées devant la jolie
al on enguirlandée de plantes grimpante, que le fenetres brillamm nt éclairées trouaient de points lumineux, MI h Renai on faillit 'écrier: «C'est ça, leur
petite réunion toute simple et entre intimes? Mai' c'c t
le ban ct l'arrière-ban convoqué. !. .. ;)
A côt' de la tra tian-avant des Sigean, il y avait
cc}lc d
Roque t' ran, le coach décapotable d' Pierre
Segala. Combien cle c;lmarade' avaient-ils amené,?
On distinguait de silhouettes ma culine' dans le alon
ct le fllmoir .
. l?e J illies gen, d Crest? de Montélimar? de l'autre
cote. du Rhône?,. Tous atlir's par l'annonce 'lu'il y
aUI ail un ravi ante jeune fille
~çhapée
du Rideau
de Fr:.,
« Dire que je pourrai la mari cr si bien dan le
PayS 1 ong ail la bonne dcmoi ·elle. Quelle malchancel ;)
Son. regret di. simulé sous une xpre ion souriante
grandissait à la vue cl toute c tte élite masculin',
tau
f ' c e J ulle. hOl11tn' mII!"e sc. a'1 a a 1li r, .-a e
aire prés nl'r à 11,1"' de LUlla qui fai ait cc soir figUr d
'
'" e P 'rsonnag d premier plan.
M • B Igodcre, une aimabl f Inlne à l'apparenc
~tln
". bien qu' lie f\1l plu ieur fois grand-m"r , ct le
1 on .'I\·r aITablc t courtoi , étai ni clan la joi' . !le
Ur alllC. Ils n'aimaient rien :lutant Qu'augmcnter 1
cercle de leur relation, Recevoir était 1 ur bonheur.
. C':tait UII r'ulllolI tr\ diITércllt du p tit thé félllinl~
d'al1r' -midi, B aucoup plu Ilolllurell C.
tn~lItalll Il
p 'r onnC5 ~taicn
amblé . Il
lirait
qtla~
tabl s d bridge, t 1 Ilon-bridg ur se grouP rai nt par a mité. 011 savaiI <111' T'cr OIlIlC, :In dellJeurant,
1 lt • . nc s'clIlluiprait
•
.
f
Slgc:In, la tant
dll jeulI(,
lallde, UII petit
mm a hev 'ux blanc, à hlcie <l h lett , fut la
m.
o
�PASSEPORT FRANÇAIS
premièr e personn e à si"'l1aler à l'atten tion énérale
M"· de Luna. Elle eut un mouycm ent. chuchot a pour
sa voisine. la femme d'un g~néral
en retraite venue de
Montél imar:
- Voici la nièce de ~I"e
Renaiso n. Claude m'avait
prénnu e . elle est éblouiss ante!
- Une beauté! déclara la générale d'une voix perçante. Quelle national ité au juste? Je n'ai pas compris... Hon. roise? Viennoi ce?
.l\'l"e Sigean n'avait pas de préci ions là-de.su s. Elle
dit: «Hongr oi e:.. en ajoutan t: «Du moins je le
crois. :.
Perle. ~ous
Je feu des regards converg eant vers He.
tandis Ilue ,1"n. I3elgodLrc comm nçait les pré~enta
tionc. montrai t une ai.ance mondain e parfaite . A tel
point CJu'clle intimida it presllue Je invités du Conseiller. Celui-ci était au point culmina nt de la satisfaction. En confidence. M. Belgodè re gli~sat
à ses
hÔles .
- Une j une fille d'un
rande bmillc. vous avez ....
Je milieu le plus disI1l1gu ..... Elle 'st réfugi' ici ch'z
une parente de sa mère ...
L'intérê t allait croissan t. Par la suit on rr,p 'terait
de~
deux côt' s du Phôn : «Chez 1 s Belgod re. on
TCllcontre toujours cl s personn alités intércs' ant s ... :.
Le g'nfral en retraite. (lui
distraya it l'n s'occupant d généalogies. vint d 'mander il Mil. Rtnaiso n
si la famille de a jC11ne parent était dc m 'me origine c pagnol CjU' ccII <le l'itrre cie 1.l1na. clt'vrnu
pallc (1' vi '11011 $OU Il' nom de n 'nuit XI J 1. évoql1é
!l<U • Ii tra! dan~
1· po~m
cl· .\','rlo.
11\· H('nai~o
{lrit SOI1 ;m It· plu distingu ' pOllf rél'ondr quc cela pouvait °tr . L,'s :lI1c~tr('
cl
tlil'c
{·taicnt rie ou h c pagnol( . v nus CIl ltali :IV C l'Infam ,le Bourbon iiI d'Ui ahcth I~arn
• ensllit· pa 's \1 Autrich e ~1I
il s','tai lit fi ' \lai' dl'c:, maria
•
- 1 u m r (\ Illil ni ce Il' {. ri -los pl1(' cl Kerv~,:I
'tait Ilrançai c. clit.' 11 pour clore l' IIquét du
gtl1 raI.
C lui-ri r g' rd,l h Jt'une fi Il , et d,clara :
7. ~\ 11· filiatioll!... l'ourrai -j dcmal1(! r III Iqu
pr CI 10ll à M'" d l,u\1a?
:\1'" ({ nai on COllmenr3 d'ilvoir fi Uf. Qu'ail it
cherche r ~ct
amateur d, (li'"c ,l'archiv ? .. Ne feraiton pas Il;1<'11. ,\ e mettre il J Ut'I' ?...
l~\e
l'CU It
ch. Il r de 11lace au mom nt où tllI
�PASSi:PORT FRANÇAIS
41
couple rctardataire entrait, échapp:l au général pour
tomlJer sur 11"'· l'olluestéran dont le mari fabriquait
~u
nougat. Les 1 Qquc t~ran
ayaient une fille étudiante
a Londres ct un fils - ilrullQ - qui aurait dû s'intére er au nougat, mais il n'aimait que l'art et l'auton~oLile.
Sa passion pour Ja l11u,ique - une musique
diabolique! aux dires de son père - allait de pair
avec son goût pour les voitures de course, Qu'il n'eût
pas rendu ses proches fous avec SOIl piano, et qu'il ne
se fût pas encore écrasé contre un arbre, étonnait.
• ~ntre
les mains de M. Roquestéran père, le nougat
etait flori sant, On ne savait pas ce qu'il donnerait
entre le mains du fils; on pré Ulnait qu'il coulerait
- sans jeu de mots!
En att"ndant, Bruno Roquestéran était considéré
c~me
un c grand parti:., selon le vicux jargon matrlmonial; un c gros sac:., de l'avis de ceux qui emplo~aient
des termes plus directs. Les jeunes filles,
amies de sa sœur, l'auraient trouvé gentil s'il n'avait
pas eu cette manie de composer des Requiem à propre:ent parler infernaux' Car c'était sa spécialité: des
anse macabres sur les textes de J'Ecriture sainte.
avait fait peur à un oncle à très gros héritage, en
régalant d'une réduction pour piano seul, d'un
,b'~a
Hit Domine, composé à l'intention de l'oncle
USdlt, avec ce sous-titre qui aggravait: A la mi-
i..li
moir'
d'uli l'artnt très cher ...
L oncle avait pris la fuite, non sans avoir dit aux
Parents du phénomème pourquoi il s'en allait 1
é Dans ce trio de bon copains, l'héritier des ~oques
t ran, ét~
le plus âgé, arrivait en t ".te . de liste ~es
ar~ons
a marier. Pierre Ségala terml11alt son droit;
il y aurait le service militaire. Claude Sigean
e~t
très jeune: vingt-deux an. Ses parents mouraient de peur qu'il ne fit la bêtise de Ae fiancer à
quelque jeune fille inconnue d'eux-mêmes, de celle
que des amies d'amie introduisent par le moyen de
Surpri es-partie où les parents n'assistent pas, naturellement.
I:our le sortir de là, di aient les Sigean, on l'engag~lt
à faire d
éjours à Saou; la chère tante Blandin était i heurcu e d'avoir ce neveu entre tou
chéri 1
M Il. Sigean jouissait d'une ituation prépcn;)érante
d?" a famille. Elle di ait tout cc qu'cil youlait;
d une voix douce et faible, m i qui portait, cll. aver~p.,
�PASSF,POR't FRANÇAIS
tirait Claude qu'un mariage bête lui ferait perdre son
héritage. Cela fait toujours impression dans les milieux de la finance.
11 Il. Sigean était peut-être la plus complimenteuse
de toute, et cela devait être remarqué; Ile invitait la
jeune fille à venir à Saou, déjeuner avec sa tante parfaitement!
MU" Roquestéran, à son tour, s'élança: elle atten?ait
toujours que quelqu'un émît une opinion pour stllvre
le mouvement. MI L. Sigean représentait une autorité
mondaine, elle lui emboîta le pas aussitôt, annonçant
qu'elle ferait danser dès que Coco (sa fille) serait revenue d'Angleterre.
- Votre nièce doit danser à la perfection, dit-elle,
s'adressant à Mil. Renaison qui, de sa vic, n'ayait été
l'objet d'autant d'atlcntions t d polites ·es.
Le' bridgeurs étant maintenant au complet furent
ra semblés dan cc que l'on nommait jadi le fumoir.
Le Conseiller avertit Milo Renaison qu'elle aurait
le général pour partenair . C'était un J.{rancl hOlln ur :
le général étant de premièr force, il lui fallait un
brillant econd.
«Tout ce que je dois à ma nièce d'Autrichel:» pen~ail
la tante, amu ée.
L 'S jeunes, opérant une sorli di ~rèe,
~lai
nt de cendus au jardin, ur 1 tl: il' ,' prime par Milo d'
Luna. Cinq ou six garçons l't ulle jeune fille qui disparai sent d'un alon, l ·101 e remarque!
On le remarqua, ans aucune uuanc critique. Seul·
meut un con ·tatatioll ati fail '. L'une d e ' dames
questionna:
- y a-I-il longtemps que cclt· j une- fille st ici?
J ne l'avais iamai r 'Ilconlré, l1ull part. Ell e,t
1Iongroi ? 'est vrai? Comment a-t- li pu arriv r
'n France?
- 1<.11 'a u mill difficultés 1 affirma ~ 1111 Belgodère.
Un' as iSlantc Dcial f rançai
l', ait! '. , parait-il, Je
nc sai pa cxa t m 'nt par oÏl cil
t arri\' ~c
Char·
mante, cetl' Il lite, n'c t-c' pa ?
- C'(, 1 un événcm nt dan 1 vi, d - Luce R 'nai 011,
C lt· part'ul tomhéc du ci ,II J'ai (Ill 'lHlu dire qu' ,Ile
avait d, la fortun ; e t-c' vr;li? ql1 '~lioJ1a
ML 1. Si·
gean, ùan IllL l1lurmur d sa faibl voi chuchotant.
Il g It va 'Ill.: fut la
' 11'" Il Igodèfc, cc·
pendant lljoUla:
.
En l~Irop
centrale il y:\ '\1 d tcl houl V'f C·
�43
PASS"POR'J.' l'RANÇAIS
mf'nts...
Autrefois
cette
famille
devait
être
riche.
Mil. Renaison me montrait des photographies de sa
cousine 1f me de Luna, une jeune femme élégante avec
de très beaux bijoux. Depuis, vous savez ... 1 (Un autre
geste.)
. i.e Conseiller, qui faisait le /II art, survint ct dit,
alln bIc, un peu moqueur :
- Je parie qu'il est question de cette délicieuse
« perle) tombée d'un rayon lunaire sur notre petit
monde dauphinois 1 Quel joli nom: 4: Perle de Luna:. 1
Un drôle d nom! dit ~lm.
Roquestéran, dont
,
,1 esprit étai t lourd comme sa personne. Si elle était
mOins jolie, ce serait ridicule!
C,- Ol1i, mai elle est jolie, sourit le Conseiller.
es~
merveilleux d'être une 4: perle de lune:.; j'ln
fera~s
mon fétiche, si j'étais par exemple son oncle et SI j'étais s":; oncle, ma nièce-perle me conduirait
par un fi) de soie comme un petit mouton!
- Vous êtes amoureux! s'écria M'" Roque téran
~c
une intention de finesse. El vou l'étalez devant
_>1": Belgodèrc 1
~I,le
rit, minauda un peu. Mm. Delgodère dit avec
lialk:
Je vais bien vite chercher un mari à cette en oree ante petite fée lunaire, pOlir garder le mien 1
j , - Ma chère, je crois que cela vous sera très facile,
~clar
le Con5eillcl; ils 50nt toute une équipe alltour
e le ... A prOJlOs _ plus 'xactemcnt sans aucun pro~o,
- notre nouveau voisin de
léon·d'Andran,)e
,O~teur
Larcé, vient de téléphoner ses regrets. J'avais
InSIsté POur qu'il oit cie nôtre ce soir; il n P ut
Pas..C'est grand dommage, ~fa
pr~mièe
impr('s ion à
è~
VI Îte d'arrivr' a ét ' ... eh bien 1 mais, excellente 1
t lin garçon intt'Ilig nt, d'esprit ouvert...
PariOIl~
dit la ,énérale avec malice, CIu'rI r n~on
r ra Oll\:ent cher. VOliS - comme par ha anll nI"· l'crIc de Luna, !ju'il trouvera charmante.
- Ct qu'il l'épou era? repartit le COII,eilkr, d 1 tOIl
de I110lllerie l''gêre (lui lui 'tait propre. C'est telle111 nt simIli
qu., ri r. n'cst moin SlIr l'est. posslIJI , U peut-être ill1Jlo ible, c. r tout, dan la VIC, cst
JIO Ihlc et il11po iblc.
- J (' pl'rd pied dan- vos wbtilité • Mr1ara la généraI. Ditt s-moi, cst-(, 'rai que 1
propr' 'tail' s de
c~t·
Jolie Rwtilhommièr (J
fou cl~ ... , comment
aJlp lient-ils? l,e nom m'échappe. I. 5 lourcls, c' t
1
��PAssttPORT FRANÇAIS
45
l'intention de faire danser ... Oui, dès le retour de Coco,
nous arrangerons quelque chose à la maison.
Bruno eut l'air écœuré : une valse 1. •. Puis il changl!a
d'idée:
- Peut-être, si j'ai l'inspiration ... - Il se rapprocha
encore du piano. Mm. Belgodère eut réellement peur.
- Donnez-moi un thème populaire de votre pays.
. Mon pays? répéta Mm, Belgodère, éberluée;
llIals ... c'est Puy-Saint-Martin.
- Je m'adresse à MIl. de Luna. Un thème hongrois
qUe j'harmoniserai, voulez-vous?
l' A~tan
dire: «J e l'harmoniserai pour vous.;) Toute
aSSIstance le prit ainsi. C'était direct.
-;- Sa musique est idiote 1 glissa Pierre Ségalas, tout
l)~:s
ùe Perle, à l'instant où l'équipe jeune était COIlVl~C
par la maîtresse de maison à porter des rafraÎclllssements aux joueurs toujours encagés dans la rotonde vitrée, devenue bleue de fumée .
. - Sa musiqu 'st un ramassis de coups de tam-tam,
Oc glas funèbres: c'est lugubre et as ourdissant, murm~ra
de mt:me Claude Sigean. Un brave type tout de
H me
, Bruno. S'il n'avail pas ceUe idée, absolument
:
dausse, qu'il est un génie, ce serait le plus chic copain
e la terre. C'cst un bon garçon... Oh! ai-je taché
Fo!r' robe avec c ju de fruits? .. Non, vraiment? ..
1 al d.onc attention, toi! nit-il, furieux, à Picrr Sé 'aas <l11l l'avait heurté au passage.
:-. Prenùrez-vous un cocktail? offrait ce dcrnirr, e
h~Clpiant
au milieu. ) e vou~
prépare llll «ro ';)? ou
leI! une formule à moi? ..
d ,\.-. Non, refu a l' rlc; j'ai un mélange de fruits
e lCleux. Je préf' r.
'st frais ... J'aùore ça
sUne glac'? propo a Claud, désirellx de rcf ouler
Ou camarade.
D'- COÎltez notre mousseux régional: Clairl'tI' de
le, S'empresqa Piern', mu par la mêmc intention.
f - Ç'I, je veux hien 1 - Perle sourit. - Et dcs pelit'
Olr~
aussÎ : c s losangl's vert, je les ai goÎlt ~" c'c,t
lblll rcvc 1... Vou savez J suis très bébé pour 1 bonOIlS 1...
'
«Heureusemcnt, p 'n~èret
I('s drux jeunes gens,
DrUIl() II'! ntcnd pas, il doit être ('n train de composer
qlll'lqlJC chos ', ... san ça il lui apporterait demain tout
SOli nougatl»
. !,a parti était t rminre. Les jOlleurs vinrl'nt reJOlnur Ic rc te des invit ~ . On prolon"'ca la soiré Cil
i
�PASSIPORr PltANÇAIS
causant autour des petites tables chargées des éléments
du c thé de minuit) , toutes sortes de boissons, sauf
du thé, avec un amoncellement de friandises. Chez les
Belgodère, c'était toujours très bien.
Le général vint parler à M III de Luna du dernier
pape d'Avignon qui s'appelait comme elle - il y tenait. - Cela menaçait d'être ennuyeux, aussi le Conseiller fit, par un détour adroit, dévier la conversation
vers les représentations d'Avignon; de là on vint au
Festival Mozart d'Aix-en-Provence, ce qui provoqua
le rappel de Salzbourg... On n'osait trop questionner
Mill de Luna sur son pays perdu... Elle dit seulement:
- Si vous pouviez comprendre à quel point vous
êtes heureux ici 1... De loin je me représentais la
France comme un paradis. Eh bien 1 c'est vrai 1
M'" Roquat éran posa la question directe :
- Comment êtel-vous venue ici, Mademoiselle?
MIII Renaison coula un regard vers sa nièce. Celle-ci
üt un malicieux sourire en répondant :
- Par mincie 1... C'at vrai. Normalement, rien
ce qui m'a conduit 1 Puy-Saint-Martin n'aurait dû de
le
produire. Heureusement, à côté du mauvais il y a du
bon, il yale merveilleux. J'aime bien le merveilleux 1...
On la trouva charmante. Plusieurs personnes le
dirent 1 Mill Renaison qui se répétait à part elle: c Si
l'on se doutait qu'elle est mariée, qu'elle ne s'appelle
plus Perle de Luna, l'enthousiasme serait-il aussi vif? )
Elle avait envi-e de rire.
Au milieu de la satisfaction générale. Bruno, qui
jusque-là e taisait - il se concentrait - s'écria :
- Je tiens ma valse 1 Attendez 1 je vais l'es ayer 1
- Ferm vite t piano mon vieux 1 souffla Claude à
Pierre Ségalas. Fourre t~ clef dans ta poche 1 Demain
tu viendra la rendrc à M- Belgodère, et nous ntreron en passant à la poste... pour voir la nouvelle
•mi Ion de timbres. D'accord?
- D'accord 1 fit Pierre.
- D'accord 1 émit derrière eux la voix mOQueuse
du Conseiller qui riait.
�PAS~OR't
P LUSI~R
FRANÇAIS
47
VIII
semaine s avaient passé. L'intégr ation
de Perle dans la vie locale était chose faite,
_ ct faite si aisémen t que sa tante sc demand ait comment c'était avant que Perle rüt chez l'Ile.
'l,C'est un fait connu : certain' êtres apporte nt lin
~ et;lcnt de trouble là où il passent; d'autre" au conraIre, sont des 'metteur s de joie. Il se dégage de
c uX-ci un fluid bénéfique, Si les premier s sont des
!lort - 'uigne, les seconds sont des porte-bo nheur.
M"· HenaÎ on plaçait dan cette catégori e a jeune
lJ puis qu'eIle o/Trait à la fille de Mari P:N~J1te.
un a/Tcctueus hospital ité, des inattend us
Jo ~/lhe
tombaie nt ur elle :
petites chanc
rgreablc s, d
sur place souhaité ; de. félicitat ions de
l'~vancmet
bur au de poste; tlne
cteur Sur la tenu' de ~on
l,n~J)
perequa tion sur 011 traiteme nt - cela formait une
somme appréeia bll'! _ cnlin une vall'Ilr à lob sortie;
du tout un 'ros lot, mai tin htll' fice imprévi ible,
r)a~
race auquel IllI projet dr. séjour de \tu:ance s n mon[lourrait sc réali cr,
a~ne
.Jout c('ci lui semblai t être IIne indicatio n de la l'roité
Vl tllC;, Ull' approba tIon d'Fn-Iln ut, de ln g{néros
à la j une fille, Content e de pouvoir fain' pro~ol1trc
lter Perle de c menue aubaine , elle lui di It tend r 'Ir. nt :
- 'l'u e ma nièce-m ascott 1
1;a lille de sa chère COll inc, amie d'enfanc e, comblaIt ce viti de cU'ur des r{'mme rc tées céllbata ir ,
lion par égoisme ou par vocation, mais par malchan ce.
pour
)t:.rJ • c"tait quclqu'u n à aimer, à qui pen cr,
jUill ct vi\ nte
tle pr ~scne
projet,
qUI faire cl
auS i un réconfo rt, car la
:- t même joycu c - ~tai
JeUlle li Il , réfugié . secou'c par 1.\ "ic, était gaie, 011
::tur it Till b croir' in (Jtlciantc, unl' inSollciam'c prc que
nfantin , ct tc tl'était pa exact, Flle avait un conflanr tellell1ent puis ante dans J'avenir, qu'cHe aurait
.
cl l't pair aux pilis dl~rOtag',
drmnl~
1. il1CIUÎ "(ml . de Mil. R nai 01. SC "ri, ient devant
J dyn;lmism de a nièce :
�PASSEPO RT FRANÇAIS
_ Je n al peur de rien! Tout s'arrang era très bien
pour moi, vous le verrez!
,
.
_ Mais, Perle, comment cela s arrange ra-t-Il?
_ Ah! je n'en sais rien 1 Qu'est-ce que ça fait qu'on
ne sache pas comment? C'est même plus intére~sa
de ne pas le savoir.
c Cette petite est formidable! songeait Milo Luce.
Après tout, elle a peut-être raison! ,
Quoi qu'il en fût, Perle de Luna était légalement
l'épouse de Jacques Heudreville, lequel ne donnait pas
signe de vie. S'il avait écrit, le courrier passant par
les mains de la receveuse, celle-ci aurait été la première informée.
A ses yeux ce ,ilence était inquiétant. Perle ne s'en
tourmen tait pas. Elle ne parlait jamais de Jacques
Heudreville. Si M,I le Renaison n'avait vu les papiers d'identité, le .pas eport dûment viié, montrés par
sa nièce, elle aurait pu se demander si cette histoire
était vraie,
Elle était vraie.
Une chose sur laquelle Perle avait tenu à donner des
précisions était sa situation pécunia ire: héritière d'une
partie de la grande fortune de la vieille parente. veuve
du chambellan, elle aurait dti posséder un magnin.!lue
domaine et plusieurs immeubles de valeur considérable
i Budapest.
- Mais les changements survenus en Hongrie à la
fin de la guerre ont tout modifié dans les anciennes
lois. C'est un régime nouveau. Je n'ai pas d'espoir de
récupérer un pouce de terre ni quoi 'lue ce soit. Quand
je lis vo journaux, ici, je tremble de voir I('s noms
d'anciens ami ... Qu'importe que j'aie tout perdu! Je
sui ici 1. •. Voilà pour l'héritage de tante Hilda. D'aulr
par!, bien avant la guerre, mon père avait plaré rles
capItaux li mon nom en Angleterre, pour parer à toute
éventualité. Il paraît que ce valeur ont« elée "
Quand elle « dégèler ont), ie toucherai une c;omme
- aSSez importante, je crois. Enfin le pills cl:ur (le mon
reste de fortune, ce _ont me bijoux, mai"! il sont
loin, à l'abri en Turquie ! Je le avais confi'~
à c tt
amie dont je VOliS ai déjà parlé, qui voulai,t m't~
ner. Elle a consenti à se charger de cc dépot. AI<?r I!
me reste ça. Ion amie me le rendrait tout de sUIte 1
je pouvais aller à Ankara. Les envoyer, c'est difficile.
Cela représente trop d'argen t! Je ne sai pas exacte-
��5°
PASSEPORT FRANÇAIS
Cette année, grâce à toutes les petites aubaines tombées du ciel _ avec Perle, songeait-elle, contente,
~l"'
Renaison ferait un séjour dans une station d'altitude ardéchoise : la région du Mézenc. Elle en informa
aussitôt' son adjointe.
- J'irai à Saint-Agrève cet été avec ma nièce,
Vicki, ma chère. Nous ferons le plein d'air pur 1 Cela
[oour notre plus grand bien à toutes deux.
«Vicki, ma chère) pas encore blasée sur le plaisir
rt'entendre ces deux ~ylabes
sortir de la bouche de
-a directrice car cela -entrainait d'autres personnes à
'aire de mê:ne, Vicki approuva pleinement ce choix!
.~t,a
la montagne ardéchoisc, ~es
h~uts
~lateu:x;
~1
·:tflerents de la plaine dauphinoIse. I-.lle-meme preferait la mer; elle irait plus tard à la Capte.
- Pour Saint-A grè"c vous irez prendre un car à
Valer.ce? dit-elle.
- Sans doute, réponùit 11.'" Renai on. C'est f.ati,:\nt, mais il n'y a pas ù'autre moyen de commuOlcaion plus direct.
Ce projet de v'\cance clic l'avait mÎlri longuement
lVant ù'en parlcr' à sa ,;ièce. Perle commençait à dire
qu'elle voulait travailler, sc débrouiller, enfin a"oi~
Ime situation en attendant ùe pouvoir récupérer ce qUI
!ui restait de fortune, Elle irait à Paris pour cela.
Mil. Renaison ne tenait Jloint du tout à perdre sa
chère nièce porte-bonheur.
« Elle est si alTecUu~,
si gentille avec moi! son~eait-l\.
Une fois Perle partie, j'aurai la plu~
horrible impression d'isolement... Plus que de solitude :
l'abandon. Jusqu'alor je n'étais qlle ~eul
avec moinême, j'acceptais l'idée de n'avoir per<onne. Abanclonnée, ce serait pire 1 :.
_'Enfin, chez elle Perle était protégée de tout péril.
Une situation à Paris!... La pauvre petite 'imaginaitdIe Que cela se trouvait comme ça?
« D'ailleurs, elle n'a point de dipltllllCS:', pen ait la
~
.
Perle affirmait Qu'elle se débrouillerait. Elle voulait
e~layr
d'entrer dans les ser\'ic~
du H:mt-Commi sa~\at
au Touri~e,
où sa connai sance de qualr langues
etrangè~s
pourrait être appréciée.
A cecI Mil. Renai on avait oppo é la nécessité de
se remettre d'abord en parfait état de santé.
- Une bonne cure de plein air, mon petit! Après,
�PASSJ;POR't FRANÇAIS
sr
tu me reparluas, si tu y tien5, de ton Haut-Commissa.
riat au Tout isme. D'abord, repos 1
La fi:! ùe julll.:t arriva. Par une chaleur devenue
accablante, les paysans achevaient de moissonner les
avoines et les blés. Le paysage dépouillé perdait de ses
c~arme
; la Pigne seule garùait un aspect attrayant,
bl(~n
que l'atmosphère devint lourde sous les pins.
~e
Conseiller et MUle Bclgodère, à leur dernière
PetIte réunion, annoncèrent leur départ: ils allaient sc
rafraîchir au bord de J'Océan. MIl. Sigean dit qu'elle
« monterait l> à Saint-Agrève et offrit à 11111< Renaison
de faire le voyage avec elle.
- Seule, je m'wl1uierai pendant cette longue route.
Avec vous t:t M Il. Perle, ce chemin Que je connais
trop me paraîtra plus court:
On ne pouvait c:tre plus aimable! Les membres du
Petit ct'rcle Bclgoùère Cil furent sid '·rés.
Cc qui fut déci~
ainsi, s'accomplit à la date fi.·ée.
1~".
l'enai~o
passa ks consignes ~i !\fil' Montazel ct
laissa Mourad aux bons soins de Fabricia, qui jura
Sur l'honncur d'avoir pour lui toute les attentions .
. - .\fai. j'aurai beau me mettre Cil quatre pour lui,
Il languira de ces dames, surtout cie M Il. Perle, conclut- 'Ile.
ta traction-avant arrêtée devant la poste figurait
:e Carro sc de Cendrillon, dorUH~
et laquais CIl moin~
10ut la rue survci1Jait l'embarquement des dcu' pass<J"ère avcc un intérêt sympathique.
!\,! Il. Montazel vint Ull moment ur la porte. Elle
apPortait 1111 paquet de revue à la nièce dc sa reccvel~c.
I,a . tatiun 1l10nt<Jgnarde manquait pcut être de
bihliothèque .. ,
Cela retarda un peu le départ. A la minute n ~l1e
oit Victori<J, dehout. tendait .on paquet aux occup • tes
ùe la tracl iOIl-av;.IIIt ulle :lutr' vOItur pa5 a au raIjUI la pilotait salua. C'était le
lenti, l,e J Ull hom;~e
médecin de CI~(
lI-d'Andr<Jn,
l' toc fla 1 docteur I.are'? (lit \11. Si 'cano
Il c t fort bicn cc jeum tnéllecin, trè~
con~il1eux.
~I "'" Il Igod' re ;n a ,Jlt 'lue on Illari l'ap[)r' ci,lit heau'literai au rctutll l'our Illon rhumacoup J le ~on
tisl11 ..
Celte rênc. ion resta an r ~pOISC.
QnoÎ(jue ~\ 11. l'c-
f
�PASSEpO Rt FRANÇAIS
naison pensfü beaucoup de bien du nouveau docteur
(célibataire) de Cléon-d 'Andran , en partant en vacances clle voulait laisser derrière elle toutes se
préoccu pations habituelles. Point de soucis dan' les
bagages !
« Je ne veux même pas songer combi n l'avenir de
Perle est incertain. Mon e prit doit être en congé, lui
au~
i! :.
Elle serra encore une foi la main de son adjointc ,
qui souhaita it bon voyage d'un air riant.
-- Vicki, ma chère, je n'al pas bes~in
de vou reumunan ùer de faire. uivn: mon courner 1
- JI! n'y manque rai pa 1 Bonnes vacance s! Au revoir 1.. Au revOir 1...
u r voir 1 Bonne vacance !
répétait, cn agitant la main, la receveu
int: :imaire,
ha:n "lolgnéc de prévoir, cn retourna nt derner . on
guich t, le surpri cs que lui réservai ent Ics Jour
prochain s 1
IX
~\'
'n '-
vnlOIl'\1 grand
Luna.
;\
�PAS~ORT
FRANÇAIS
53
mcntée par les abonnées qu'il avait fallu augmenter
la place résenéc à ces exercices semi-littéraires.
Par une particularité originale, les pS'eudonymes devaient tous se rapporter à des tissus. Il y avait des
« Organdis;) de toutes les couleurs; des «Tulles;)
innombrables et des «Satins;) en quantité. II y avait
entre toutes les chères amies de Mlle. [ontazel : VeJOurs rase, venant en tête, puis Cr(pe cloqllé, qui avait
tant d'humour. Victona signait J erscy de soit:. C'était
t~è
intére saut de cal1~er
ainsi par le canal du ma aZInc. On se fai ait des relations, même de, amitiés.
Lorsque la sympathie dcver.ait réelle on (changeait des
Photographies, parfois de petits cadeaux: boite' de
bonbons au Jour de l'an, ou souvenir- de villégiature.
A l'occasion même on 'invitait. Ain,i Jersey de soie
devait passer deux jours chez Vl'Iollrs rose, cn allant
SUr une plage méditerranécllnc.
La poste ne lui donnait pas beaucoup de travail t'Il
ce momcnt; hcureusement, car il fai~t
très chau 1.
Mourad dormait, COllché cn rond sur 1111 coin de table.
AI.Ile:. heures de' repas l'abricla venait le chercher; elle
fal~it
toujours un brin de conversation avec
M.'" Montazcl qlli apprcnait de la ,;orte tOll5 les menu
fatts du village ct même ccux dc Cléon·d'Amlran la Sll!Ur de Fabril'ia fai,ait le ménage du docteur
I.arcé dont clic répandait l'éloge ;\ travers tout le
pay . _ Mil. l'adjointc dc po te. l'écoutait tou)our
avec inthêt.
Jeruy di." soie écrivait clonc à Mm, Vdollrs rose
qU'clic acceptait a\'cc joie "on invitation à 'arrêt 'T
<leu jour cn de cendant vers le littoral, lor ([u le
docteur J.arcé cntra dans le bureau pour deman(1 '{"
Ulle communication télépholliqu .
I.e docteur venait ~OlVCJt
à Puy-Saint-Martin où il
oignait \111 malade viulX de (juatre-vinp-t- cpt ans,
atteint de rongc tion pulmonaire. C malade s'cn tirerait. «A J'tly, on a Ilndu l'hahitude de mourir:., 'tait
Un axioln! fréllllCtllllU'nt répété. Hel.lre Iscmcnt pOlir
1 Ilédecin~
le nai sance ,ompen alcnt. Au urplll,
il 'léon-cl' ;Hlran, une l'crt,tine humidité am n:J.it des
c San
ça, di aient le, gCII cie Puy-Sailltan in~.
Martin avc' gravité, Il' doct 'ur cl les phann::.d"n
ne \1 JurraÏl-nt pa vivre :.
1,\ Ilnctcur Larcé plai ait énorp1<:tnCII il ::VIlI" .1011
talc!, lion qu'il füt tri: joli garçon, llIai il avait une
0
��PASSEPORt FRANÇAIS
5S
de bonnes nouvelles de Mil. Renaison et de sa nièce?
- Très bonnes! On ne m'oublie pas ... J'ai souvent
des petits mots. Elles se distrayent beaucoup là-haut:
toujours des excursions, des pique-niques. Le neveu
de M"e Sigean est monté rejoindre sa tante ... Il doit
y avoir toute une bande très brillante autour de ... elle prit un air fin et gracieux - de 1f1 ' • Renaison.
Le docteur rit..
-:- Il ne faut pas le prendre pour une peti te rossene 1 interjeta Victoria.
-;- Je le prends pour une erreur de personne !
11 " Renai<on est la tante d'une sédui,ante niÇ.cc au
nLo m ... éblouissant! Réellement, elle s'appelle Perle de
una?
, - Héellement 1 affirma Vicki Montazel en riant. Ce
~ c.st 1>as un , JlSCUllonyme artistique. Figurez-voll CJue
J al cru, moi aus 'i, à une vedctte de cinéma, une
actric ... C'cst hien 0 l état civil. Elle est favorisée!
Ce nOm lui vaut au moins autant de succès que son
charme t Sa jolie figure.
C tte façon de \anter une autre femme plut au
dOcteur qui pro Ion ,\ a le dialogue Il parlant de diVer cs per olllialité" loca~
qu'il avait eu l'oca~in
de
rencontrer chez le il 'lgodère.
d"-:- Votre campagne dauphinoise st très bien habitée,
~t-d.
Puy-$.unt-l\lartin me plaît beaucoup. A Cléond Anclran on st ail i trè accueillant, conclut-il, tendant Lille coupure de cent francs à travers le guichet.
. Oui, CI ~on
. t ngr~ablc,
dit-elle rendant la monnaIe du bout des doigts.
~ te cli~nt
parti ur u.n coul'~is
: «Mes hOl11l11a . s,
,~rauemoI5('Jl
!» VictOria reprrt sa lettre à ~on
amlt',
1 acheva dan un élan joyeu . L court passage uu
docteur Larcé lui donnait l'envie d' chanter.
EII y ongcait 'ncore le lend mnin matin, en reprenant au huI' au la place de la l' cev'use. C'était l'beure
dn triage du courrirr; les facteur ruraux attendaient.
lu 1 m 'nt il y avait des réexpéditions à faire à
1". Hcnai, on: \Ill pli recommandé, une lettre de
fair -part de maria ." Ah! c' "tait la p tite Magali,
un all. ihairc pa l-C dans le HhôlI :
« Tiens 1 t'Ile épou e Ull pharmacien. Jolie situation,
Ilh"rm Icien... :.
Ile lettr' "tire é' à Mm. Jacques Heudreville,
e 'p~t1ié,
d'\1>or<l il Pari, ru' RalTaéli, puis réexpé·
�PASSEPO RT FRANÇAI S
diée de là c aux soins de _1\11 Renaiso n. Puy-Sai nt:Martin. Drôme: .. 'ne 1 ttre en franchis e militaire .
donc provena nt d'une zone françi~e
d·occupa tIon. Au
dos de l'envelop pe : Mme Le Gre::. assis/alite sociale.
Des initiales indicatri ces d'une formatio n militaire en
secteur postal. ~P"
.lr,ntazc l, douée d'une mémoir e
pro,ligie use. reconnu t ce secteur postal. C'était en
Autrich e.
Pour «M"'" Jacques Heudre ville:.? Elle était certaine de n'avoir jamai entendu la receveus e prononc er
cc nom. Victoria . dont l'imagin ation était vive et. galopante, multipli a le. snppo iton~
sur la dc~tinalre
de
la lettre. Etait-cc une ; ncil nne collègue amie de
11{ Il. Renaison . se prép;\l ... lt à pa. cr t']ucl(jues
jours
chez elle? Dans l'acllllinÎ tration des postes, les employ' ~ ont des relais partont. .. Une damc habitant
Pan, qui de C'el1<lrait ver le Midi. s'arrête rait pour
une petite vi. ile à PlIy-Sai nt-M artin ?... C'était plausihle. An moment des vacances, Its citadins recherch ent
activcl11 nt les rclais en provin('e.
« Mais ça ne doit pas être ça 1:. songea Vicki MOIltalcl. EH enferma la letr~
cachetée dans une grande
env lopp de l' dministr ation ct traça ~lr
cclle-ci
l'aùres
de Mil. IÜllai on. à Saint-Agr~vc.
avec la
mention : PusO/III !'II!'
C'était hizarre' elle avait l'impres sion de qm:lque
choce de .... cl'in olite; 'n tout cas, d'in xJlliqué. C'c t
ça .: un fait in xpli()lIé. peut-êtr e tOllt simple.
c Certain Imnt pa 1:. se réJléta encore l·adjoint e.
(lui tl'nalt à ér.laircir cc mj' !t"r ct n'y parv nait point.
Elle Jlrit l'Anllu" irc de~
'l'{lépJroncs. le abonnés de
Pari ,... ch 'rcha ... 1 ( IIdr ville ... Heu(lrcv ille. rue Raf·
fa li. Ahl lIcllllrc vill 'Jacque ),
c ' doit être ça. Mais je n'en .ais pas plus long
qu'avan t' :.
�PASSEPOR'; FRANÇAIS
57
x
L
E docteur Larcé avait réussi à se faire conduire
.
a Montélimar par un commerçant qui se dirigeaIt. vers Avignon. A la gare de Montélimar il y
ad~r't
certainelm:nt de) ta.·is pour rallier CléonAndran.
~tre
en panne ue voiture était extrêmement désagreaule au jeune médecin; il uevalt ramener chez lui
Un 'xcellent camarade, un peu négligent dans la corresPondance, mais solide en amitié. De ces amitiés
nées de la guerre, des dangers courus au coude à
c~uùe,
que ni le temp ni l'éloignement ne peuvent
d.ttrUtre. Anùré Larcé re '~lntai
une joie mêlée d'émo~Ion
à la perspective de revOIr son bon copain Jacques
CUùr ville. Il allait donc, par le moytn d'unc ca~IOnl1ct
comm rciale, ju qu'à la petite ville rhoda~1Cl
où s'ar:êtent qucl.quc -un, ~les
rapides P~ris
,al' ulle, 'l la, prcndr;ut Ull taxI au garage SI la
rep;lratlOll de sa n)'/Ill n'était pas terminée.
tl
'araR oit il pa a pour prendre de' nouvelles
d" la })Ylla (qui naturellement n'ltait )lOIS encore
Prttc!) il rencontra Bruno Roquc téran. l;hériticr du
nO~t
al, apprenanl <Ill' le doclellt {t;lIl en pann de
VOl tItre, sc mil aussitôt à sa dispositiull,
- Jc ferai le ta i trè VOlolllil'r, dit-il. Ce cra me
Ttndrc service. l'Il e mo nent je sui il cran 1 Vons
1~
li. trOUV(l P,I mauvai c win ? '1 ouI le monde me
dIt '[lie j'ai \lIlC tête de d{tcrré 1 Je travaille comme
lin fO ll !... Je cherclll une harmol1i atiol1 POUl' lltl air
dc. dan c. On m'a cnvoyé un thème, a 'CI. lIIal nolé. Je
<101
l'on:hc~r
d'ul cnee. l'icn ne vi~lIt!
Jl ui, l'II
Il :riude cr u ... C'e t a 'uçant! Vou Il'ima,,incl. pa
C' • ([It
c', t a açant 1 • Acceptez ClI! )t' VOll TC olrdUt 'à l'on, ça 11I changera 1 •1I ke.
,\n Iré l,:ucé JOU;l1( III 1 j) Il clll \ 101011, il a~it
uue
rl'rt lOe culture mu icalc; il aCfJuiesç 1 .IU
propo du
~'01l
0 iteur, t'Il panlle lui ail i; mat.
d'une aut re
façon. vec plai il' il accepta l'oflre clu Jeune Bruno.
1..e rapide n'était pa encore annoncé; les dellx )tunc
��PASSEPORT FRANÇAIS
59
Anl~
Larcé. C'est loin, notre dernière rencontre,
hein?
Discret, Bruno Roquestéran se tenait à l'écart. Il
Cx ".1inait J'ami du doctellr, le trouvait très chic,
«habillé comme quelqu'un qui a beaucoup de fric >,
01 'eait-il. Et une «classe )1 ...
L.e bagages descendu - des valises pour avion por'aient de étiquettes multiples.
« II doit voyager beaucoup >, compléta Bruno.
b' André L.aTcé présenta le jeune Montilien qui voulait
lCl! .les emmener à Cléon-d'Andran, à une vingtaine
d c kIlomètres de là.
- Je tiens à te dire tout de suite que dans ce pays
d~lphinos
on est extrêmement aimable, ajouta-t-il.
J al déjà des amis épatants !... Pourtant, je suis un
étranger.
- N ou~
ne refusons. pa.s l'apport .étranger, intercala
B rt;no. C'est un ennc1usscmlnt Intellectuel. Nou
sommes ici au carrefour des routes dalphio~e
et
Pro, cnçales; ce grand (la 'age est profitable.
Jacques Heudreville écoutait avec intérêt, et s'inf OrIna :
- Vous êtes écrivain, Monsieur?
- Non, Je suis plutôt musicien: je compo e; c'est
Une autre façon d'écrire. En ce moment Je ui, aux
pn e av c un travail d'orchestration .. , 11ais je vous
en prie, montez, ne restez pas au olei!. Avez-volis
d~s
COUrses à faire, docteur, ou préférez-vous rentrer
dlrèctetnent à Cléon-d'Andran?
- Oui, vous sere/. bien genti.ll... Dit~s d~mc,
~'al1ez
Pas troll vite' rccommanùa le Jeune mcdecm ga1lnenl.
J ~ recollerai vo morceaux si vous VOU5 ca~5ez,
mai
1 l"e t moi qui
ui cas~.,
..
- J vous transporteraI a la flOlychl1lllUe san, auC~1I
frai slIppléIll('nlilirc, à tillc ab~olumcnt
graCICIl"! promit Bruno du même ton. Oh! ça y cst 1
s' :cria.t-il soudain. Je tiens 1110n harmonisation, Y
a·t·il un piano chez vou, docteur? J'e~.
a~eri
tOllt
de S1Iite,. Non, l'a. ue piano ? .. Q~i
pourrait n.~
l~rê;
tcr le iCIl a ClIon-d', ntlran? SIl Ic faut, J IraI a
Puy-Saint-ilartlll, J'ln orCt'lI rai la dcmoi~el
du téléPhonc pour ql1\~ie
llI'ouvre l'aprtemcn~
de la fl'CCveu C ct me lai e lItili"cr le piano l'eI;\~on.
Croyez.
vou, do telll I.arcé que je pourrai oLtcrur ça ue
0
.1"
lcmtaz l?
'
l"· 1\1,mtazc1, la dame des po. tes adjoillt de
��PAssepORT FRANÇAIS
6r
... Un peu plus tard. dans l'appartement du doc:cur. les deux camarades fumaient des cigarettes en
~changet
ces réflexions coupées de silences habituels
a ceux qui se retrouvent après un temps assez lonl:".
~algré
les événements importants survenus après la
s.eparation, c'est toujours aux souvenirs du passé que
0 !1 s·attarde. souvenirs dont J'évocation est quelqueOIS pénible•... et J'on se tait, alors.
d Dans l'un de ces intervalles. entre deux remarques
te ce genre: «Qu'esl devenu un tel? ct un autre
el ?.. As-tu repris le contact avec lui ?.. Jacques
B~udrevjl
posa une question tellement inattendue
qu André Larcé fut Illterloqué ;
lr- . 'fout à J'heure tu m'as parlé de l'uy-:aintartll1. Est-cc loin de la «ville ... ?
- - Deux kilomètres. répondit le docteur.
ouve lie pause.
- Tu connais la dame de la poste. ~f'"
Hcnaison?
. -:- Parfait ment: milieu vieille bourgeoisie; ulle
laite nièce réfugiée d·Autriche. mais Française. C'l' t
POur clic que 1 Il lit Roctubléran travaille une harOlo:lisation de ccardar. Cette Jeune fille est très jolie,
~las
elle a surtout pOlir elle un nom ... qui accroche
attention
- Perl~
de l,una. dit Jacques.
- 'l'u la connais?
-Oui.
e'~tai
bref, ct le docteur fut sai~.
- Uis donc. mon vieux. c'est pOlir la retrouver que
tu ('S Venu ici? C'est un ancien béguin ? .. Oh 1 rte casse
pa lIles verre si ce n'est pas trop te demander !...
e bérruin .... c'~st
peut- ~trc
simplement lin souv nir ...
:- Un ouv:nir. répondit Ileudreville, auquel. je
SUIS forcé de te le dire. j'attache l!nC grande importance. Perle de Luna. c'~t
ma femme.
- Ta femme? s'écria André Larcé, cstomaqué. Tu
es marié?
-: [',n quclflue sortI', oui. répondit ~01
ami.
T,a, il sOllril lin pell.
T,' docteur e di ait: «Qu'est-cc fille c'e"t que cette
h} t(lire? l'as une hlaguc. oh 11011. Il suflit d , voir la
kte cl )acl]ue TT<,udrcvillr pOlir s'cn COllvalllcre ... '"
Tout hallt, il finit par articuler ~
- '1 a fC1I111l ! Eh hit n! JC Il !11'attmdais pa à ça 1
1
4
���PASSÉPOR'r FRA.."'ÇAIS
à la fête, mais à ce m 'nage Jacques Heudreville...
Enfin! ..
Perle \oulut l'empêcher de continuer et dit soudain:
- Le climat des haut~
plateaux vous réussit, tante
Luce! C'est extraordinaire ce que vous avez J'air
jeune 1
- Une débutante, n'est-ce pas? - Mlle RenaLon e
mettait à rire. - Ta chemi ette est charmante. Tu
aura une jupe brodée aussi?
- Non; il faudrait, pour que ce soit bien magyar,
plu icurs jupons empcsés flcuris, je n'en ai pas. Je
mettrai une jupe courte; le plus important, ce sont
1 bottes. Heureusement, j'avaL apporté les mieJlnes,
me;; Jolies petites botte:> rouges de là-bas,... et j'ai
aussi une p lb e de paysanne qu'on appelle t'rkli ...
L'accent devenait méditatif, plein de souvenirs; puis
elle <ecoua la tête d'un mouvement vif, ré<olu, qui lui
était haoituel lor (lU 'elle voulait chasser une pen ée
no talgique.
S'il tait froid le soir d la fête, je mettrai ma
pelis ,pa pour dan r: il faut êtr légère, I(gère 1
budl' Si ~an
est-il bon part !laiTe?
Un p tite moue.
- Il m31Hluc de (lynami me. J'e père que la rnu~iqe
l'entraill ra. Notre violon 11\1 pa~
Jc jeu tndiahlé d'u/l
tzi ane. Ça, c'est irrernpl:\c;ablc. Per onne ici n'a vu de
vrai dan eurs <le c::ardCls, alors 1. .. gnfin nou~
f ron
de Jlotrc mieux.
tant 'tait
A la voir au i njouét, in ou'iante, ~a
un l'l'Il choquét. Une tell Ii·gèrrté d'c prit 1.. l'uis
lie ~e dl ait que, uprè 1 s jours tragiques vrcu par
la jeun fille, le besoin d détente ct d'oubli était normal. Selll ment il y avait (tt
Ituation harofJlI (elle
t nait .\ (C mot) (Iont rm Ill' avait comm nI ortir 1
1. p lit carn" irian' d la 1 ttr v nu d'Alltri he
po /
\Ir l'étnfïc du
or a~'
brodé qu'ach vait l' ri ,
a ni rallait Il
la fa cillait. l,a main an hague Il
v lait, rapide. A quoi
ng :ut "rie '11 hrodant ce
hall roi l ' . A qui ?...
co tllme ,1
- .1 n.. L (,rez rn ,Ionn
con '1
c lient cl
III
d~ci
c. le suivr
lil. \{
faillit
torl
mari? :.
- Ah' oui? c hurna-t· Ile a n1polHIrc tI'lIIl lorI
cc COli {II, si
Il
ui fi< IIldis·
n utre. Wu 1
cr te?
�65
PASSEPORT FRANÇAIS
pa
hi pOlir
rand
m'ClIl1l1\':lIt,
f,!JO-ul
Je
���68
PASSltPOR'l' FRANÇAlS
pour sa nièce. Ah!
c'est une drôle de
là? :.
était
ans
dans on rckli, au i
la figure bouleversée,
'II
perdu
. 1011
mOIl
l' ~lIr
CCl"ur!
ma-
balbutia Perk, la voix
dc turqlloi c, 0111... mon C lIr
all oJ~c.
tl1rquoÎ
JI faut le
111 pt C L ,
haut-parleur l11ugit l'an-
��PASSEPORt FRANÇAIS
malades, mais si par hasard l'un commence, les autres
s'y mettent au 'si, pour n'être pas en reste!
Quoi qu'il en {lit, Mlle Montaze! soignait beaucoup
sa toilette cet été; on lui voyait de fraîches petites
robes de toile ou des chemisiers d'une blancheur éclatante, comme sur les réclames des produits déterSifs.
Se" bras dorés, ses lèvres rouges - de leur rouge son teint brun, montraient une santé magnifique. Tl
était impossibk que le docteur Larcé ne se dît point:
«Voilà le type parfait de jeune fille bien portante,
saine au phy i!lue et au moral. 1> La conlu~i
s'imposait: «EUe ferait l'épouse idéale.:.
Certainement il remarquait tout cela, étant médecin.
(II ne reviendrait pas si souvent si je ne lui plaisais
Yicki.
pa 1>, ~ongcait
l'our toute la dur(c de son intérim l'adjointe logeait
dans l'appartcment de la recevCtL C, qui lui di,ait de
se con id' rer commc chez elle. Victoria voulait faire
une petite urpri.e à sa directrice, elll' lui tricotait une
le po ·te
écharpe, le soir, en éroutant la radio. Lor~(juc
dOllnait de information ur l'Europe centrale, clle Sl'
di ail: «:-'1"· cl Luna c t micu. à Saint-Agrl've!:.
C
l'(rnp~chai
pOlllt de pen cr que Perle pouia nostalgie de son pays, de. ami lai sés
()lld étrange de tin que celui cie ('cU jeune
��72
PASSEPORT FRA. -ÇAIS
�����PASSEPORT FRANÇAIS
Victo""
).lcher ~1"'
robe,
77
chère "icki, Eh bien 1 Mourad! veu,'-tu
Vicki !", Il s'accroche ct va déchirer votre
Le pn:l1lin (Victo,.... était effacé par deux
«Vicki.. ]Iropr\:_ à ;;atisfaire le petit . nobLme de
1f1 10 ~Iontazd,
Celk-ci multiph;Jit le phra e~ de polite sc d, cc fai allt, re(!anlait l'crIc de Luna comme
si elle la \oyait pOlir la prcmi"re ioi<, ct cherchait à
se faire ul1e opiniol1 ,ur la ni0c\.. de ~a
reccvcuse,
Celte dcrni~e
Il nsait :
« Wu'a donc Victoria !.. , Quelle fi ure bizarre! un
air tout ahuri, tout je Ile <ai CUIllI11Wt. .. :'
l Il peu I.JU t,ml clic fit lai t:\ a nicce dc cette
rélkxion ajoutant a\' c I.HlI1llC hUIlleur, car ·lIe était
cont lite dl
rrtrcl11\'er ch(z dIe
- QlI'e t-il tOll1hé sur \ iekl ~Il
Ilotre ab cnce? E1l
Il'e t pa naturelle,.,
- l'eut·l'tre ug Téra l'crI, va-t-elle 'marier?
La n:1II tallali l'étant [aitl" 1 habuude r ,ri e~,
11 '0 J':mai on n'attendit pa la fin de on c uge
dl'u 'Jour rc taicut encor' - ])OnT faire 1111 tour au
bur 'all, Cil l'hoi i ant J'heure cleu
li la matinéc:,
ul1e fois l, farleur mb l'n routL Elle VI nait chercher
(In courrier, qui 1,\ déçut. SCUkhl Il le quot.lien
1 \gioual cl
on journal ùe :--lodc. 1'0IIIt il, 1 ~trc
;
cc lI'{-tait pa
III' prenant ùu tout, fCP ullanl dl lit:
l'. <le IlllH pour moi ou pour 111.1 nier. ,
C demi r mot tirent lUI elT t ingulier ur Victon,l. hll 're ta m\l tic. pui e tortill.1 sur a ' i •
'J'oui, a fi r onlle c 'prunait un rand cmbarra
1~ von :ti fall un'rc à SaillI- grève la drmière
reçue' ponr • [m ... . , l,our. 1l i , J'crIc,
,\ lin tour [II. 1'~la
ou fil, elon \lne défi IItion
d ' J·ahrici.1 «le cin~ma
avec a fi 11ft!:'. Stupéfaction,
pnlllc lit ... l'l'nl-tlre amu Illent?
- ,\1.1 cller', dit enfin :--1,1. Ln c, j. v:ti VOli confier c~i
: ma nièl ccl mari'c, VOlh le aviez? \'ous
<a\'('.I: qui l 1 «J\.!,no. J:tcqne J Ic'udrc\'Jlle ~,
JI-cc
110 Ihl
.1 • nc l'al clit ;\ pelonne, ici
l'ai vu on mari articlIl.\ Victon • hai ant la
voi , 'hi n IIn'cllc fCtt
cnlJ1!JI' cl 1\ cit lion tt du
honheur de l,long r clan unc an 1 {tonn nIe hi toire 1
Il (tait tl tout d rni r ICI11]l li Cléo!l'(I', ndran, chu
1 cloet ur 1.. rc l,
A Ii-on·d', ndran !.., "III. Luce 'a il net, le oum·
Coupé, f'ui cil rit, llll 11 lit rire content.
;\1
�PASSEPORT FRANÇAIS
ma chère, vou
de di crétion
ce
Il (' t tr'
bi n, ce
quoi
n,
Il
com,,1 ta
Iqu ch e
��80
PASSEPORT FRANÇAIS
Tout doucement Vicki in il1Ua :
- Si c'était po' iblc dc dIriger .\1. Hcudrcvdle du
côte" de la l'igue, ..
- Fartes-Je si vou' le pouvcz, l11a chère! répondit
la tantc de Perlc. - Elle nt. - En tout ca" pour
parer à toute évcntualité, l11oi, Je vais changer de
robe!
l
xv
ne s'étaient pa. brouillés .. , Alors, qu'attcndentpour r~pl'nd
101 n'm'cr ation? se r 'p~tai
Victoria 1 l ontazc!. C\; t par trop hête1:)
A voir la dIrection pri,c par Jacques Hcudreville,
ce n'ét.\it point vrr. la I)il/II(' qu'il 5 dirigeaIt. Victoria, cri pé , avaIt envi d'ouvrir la fellêtre, r!( lui
crier; c J,a l'iVIII. c'~
t par IiI l"~. :)
h! i ~1ourad,
au lieu d'ëtre un ani1l1al il (!llatre (latte, étaIt llIl
homme, il ne serait pas idIOt a r point'
Jacques Ill-ullrcville croi a qu 1qlll'S '1 "ment dl' la
population inc/igcne cl l'uy-Saint-Martlll, tan li qu'il
allait chu; le notain', Qu'allait-il f:\lTc chez 1 notair?
Voilà qui ùl intrgu~
VIctoria ~!ontazl'
i 11lC avaIt
pli le voir, L
R('11
qll'il eroi aiL n'avaient pa c/'ol,inion; il Je dévi ageaiCllt parc (IlIC l"él it un . trang r, an plu
1~
\'-111
1
jUill'
Il d'lllt
hl11l1
Je
LS
il~
011
d
Il
Jl ri
1 d'tin
1I101lV( IllUll
tOllr
I,una,
tr.lib
pr. mpt; il 1.1 vit
�~"t
PASSIPOJlT FRANÇAIS
81
très rouge, pas effrayée comme elle aurait pu l'être à
l'approche d'un incormu dans ce lieu désert, mais
embarrassée.
- Ow, c'est moi. dit-il d'un ton aisé, avec cette
fois une pointe d·ironie. Nous sommes toujours amis,
n'est-ce pas?
- Oui, répondit-elle enfin. Je sui contente de VOUI
voir.
Les mots sortaient de ses lèvres avec un peu d'effort,
Puis elle réussit à retrouver son aplomb et dit en lui
tendant la main :
- .J'ai été surprise... Bonjour, Jacques.
Elle restait debout contre le pin. lui en face d'elle,
immobile.
Les voix jeunes de campeurs disper és, qui se
cherchaient, résormèrent au loin. Its étaient presque
au sommet de la Pigne.
- J'irai naturellement me présenter à votre parente,
dit Heudreville. mais je sui bien aise de vou renCOntrer avant cette vi ite officielle. Il e t nécessaire
que MilO Renaison voie à quelle orte d'homme sa
laièce avait confié le soin de lui faire pa er la fron. re. Elle me prend peut-être pour un d ce aventurier qui. moyennant finances. aid nt les fugitives
d'Europe centrale à...
Le reprd de Perle se posa droit ur lui. indigné :
- 0& 1 jamais!... Elle sait comme vous avez été
~éreux
et chic! Nous avons vécu des jours tratique... Elle ne comprend peut- °tre pa
xactement
te tragique, ... mais Ile a de vou un idée trè exacte,
tirement. Le moment où vou °t venu à mon setours .... je voudrais l'oublier, mai il y a eu 'Vous à
'Illon secour , alors ...
- Non, dit-il. amicalement autoritaire, ne pen ez
l rien qui VOUI oit un mauvai ouvenir. Oubliez
noirs.
la ne voudra pa dire qu vou c sde me gard r dans un coin de votr mémoire 1..
je vou garde dans la mienne, petit rayon de
mon amie.
pa davantage... C'était ur cette ha e qu'il
échangé 1 0Ni qui le liait.
bai ait la tOte, Ile déchiquetait des aigui1\es
Pln, machinal ment . Il. auraient eu tant de cho
dire, tant 1... Et 1 ilenQ: coupaIt de br ves
qu'il. prononçaient de part et d'autr , natu• es, comm de wais tr
bon cama rad s
��PASSUOJlT FRANÇAIS
- Je le sais bien, dit Perle.
- Puis-je vous prier de m'écrire, même si vous
n'avez pas besoin de moi ?... C'est trop vou demander? C'est hors de nos convention?
- Non. C'est.... mais c'est trè difficile - elle hésitait. - Je ne saurai peut-être pas très bien écrire ce
CUl'il faudraIt.
Le geste à faire, ç'eût été l'attirer vers lui.
Il ne fit pas ce geste.
Les campeurs qui avaient changé de terrain virent
DIu tard passer des promeneurs sortant du bois.
D'abord une femme blonde très jeune et jolie, qui
lDarchait vite. En uite, mais bien apr s, un homme à
très "Sport. Comme ils étaient absorbés par la
Ir~!lA'2tin
de leur repas, il remarquèrent un peu la
femme, presque pas l'homme, et personne dans
ne devina en voyant M Il. Perle de Luna
.
à la poste, qu'elle venait d'avoir un
la PigM avec son mari.
XVI
IIIN'- " "
ES événements parfois se c touchent tous », s -
Ion une
pres ion populaire, apr quoi vient
d'arrêt. où les journée se trainent vide,
: ~tideus.
arc au clair d
devait tr m rv ilIeux 1... Ile y r non<;alt,
Que cela contrari raIt a tant d la avoir
le Parc une fois la nuit complèt to b e.
��8S
~
une idée revint, vraiment désagréable: si un
véritable continuait à vivre cadré quelque part
_-IUil",.... en attendant de pouvoir s'échapller à son tour
et venir rejoindre Perle 1...
Quoi qu'il en soit, la vi ite laissa un excellent souenir à chacun d'eux: tout s'était trè bien passé... Un
moment d'incertihlde pour la maitre se de mai: devait-elle offrir une tasse de thé aux visiteurs?
trop aimable? A quoi fallait-il se décider ?...
n'avait point c!e porto; ç'eût été moins «cordial:.
le thé.
service à thé tout préparé sur un guéridon, dans
accrochait l'œil d'André Larcé QJli avait terrlDemnt
envie de rire.
par une force .inconnue ( et le désir qu'elle
avait) elle demanda :
- Accept riez-vous une tasse de thé?
Finalement le docteur et son ami burent le thé de
tante de Perle. Ils causèrent encore un bon moment.
il s'a surèrent qu'ils étaient charmés de se
~arelts,
lente impression':. pensa M"t Luce en ree fauteuils à leur placcs.
avait pris le car de l'aprè -midi pour aller
emplette à Crest. Elle revint bien après le
de vi iteur. Sa tante était sortIe: les tasses
plateau Indiquaient une visite; une odeur de
au i.
lIt Luce retrouva
Dlèce elle lUI dIt tout
et très implement ce qui 1 était pa sé en SaD
docteur La~
m'a P"~
ent6 son ami Jacques
(T_II). Je ne pui dire à quel point
jeune homme m'est ympathique.
la tke comme pour remercier et pronaturelle:
Gre qu'il '\lOU enchanterait 1
ne t'étome pas, repnt sa tant, un peu déçue
ce calme, qu'il soit venu che.: mOI?
OD, dit encore
erle du m~e
ton. Il m'aVIlÎt
qu'Il teDait à VOUI rendre vi ·te.
Tu l'a done revu? 'écria
Ile Luce, hlpéfaite.
Oui, t'autre our, dau la PagM." Oh 1 écoutez 1
cl' utre chose
'N
���88
PASSEPO RT FRANÇAIS
Avec qui dansera -t-elle? Avec toi?
Impossi ble! Je ne pourrai être à la fois au four
et lienir de partenai re
et au moulin, diri er l'orche~t
à Perle ...
- ... la bien nommée , gli a Coco d'un air in~olet.
- Si tu a, J'intenti on d'i::tre un peu ros e, ça tombe
ce TlOlll n'a été mieux
à plat, mon chou !, .. Jami~
porté, Là n'est pas la question ! J'ai recruté le musicien_, de ce côté, pa d'ennui : ça marcher a. S ulement P 'de n'a conscnti à danser qu'avec un gosse.
- Elle a bien dan é avec Claude Sig an à SaintAgrève, ob erva ~I "'" ]{oquc téran: il a vingt-de ux
ans. Pourquo i r ru e-t-e11 cette foi qu'il lui serve
de partcnai r ?
hl pourquo i? Qui le ait?.. Enfin elle ne veut
pa , voilà! EII' tient à un Junior, dan le quatorz ;\
grand
pas plu. 11 le faut tout rie m ~n1('
quinze an~,
p<>tlr on fige 1 a, cz fort pour la oulever d terre ...
Cornlllc ('C t iacilc à trou\' '1" 1. ..
Bruno ('hercha it partout lin jeun garçon rempli,r qui ('s, auquel ViVl'111 'nt on
sant lt s conel; ;011
apflfl'nd raÎt la a;clr!l"s,
c l'Ollrvll (111'11 aille cn Ille ure, l' rIe l't Illa 11111 l'lue
feront le fl' t ! :.
]loir ,hez It;s
Il y ClIt 1111 ll10m nt de \, 'ritahle dl
d , (' c.lprin de l 'III' dan Cil e·
]{(l'lIlC t{-rom à cau
{·toik. II11IJO ihl IlL- Il 1 lire 1. main sur lin « junior ~
C'apahk de n I11plir 1 rôle (111'011 lui a ignalt. «Elit>
r
vellt, <li ait 1< ut l'CJlIII'IIl nt 1'·' 1<0q\l téran, 1111 ga 1:. (\·la V('X:llt le
~ql(,IC
-
��PASSEPORT FlIANÇAIS
comm
phénomène de
.
mots
l'accent du
de amie
�������PASSEPORT FRANÇAIS
'4
Il s'amu ait vraiment beaucoup, à part oi.
- Eh bien L., Perle .... ,MIl. de Luna, enfin ),1 M Perle
de Luna m'a dit qu'clic ne pouvaIt dan cr lUI bis, parce
que ça contrariait son mari! AloL, elle cst mariée?
Son mari, c'c t votre copain •• 1. Jacque Heudrenllc.
e 'e t vrai, ou c'est une blague, cette c<pèce de tragédIe?
'i une blague, ni une tragédie. répondit André
Larcé - il rit devant la tête de Bruno. - C'est quelque chose de très particulier. Voilà tout ce qu'il m'est
p o~
ible de vous dire.
- J'en SUIS a is! proféra Bruno. Alors, mamtenant,
que doi -je fairc?
L e c toubib:. Larcé répondit ~uperbcmnt
:
- Dormez va inst ructions pour que la fête continue!
1:t, plu simple:
Dite à votre petit cou in. le gos e qui danse i
bi n la c=ardas, <J'aller e mettre la té", UlIS lin r biIll t d'tau fraîche! Il me paraît 1:011 idü, l>lcmcnt
ém'ché. Quel fi e a-t-il? Pas tout à fait quinze ans? ..
~h
bien 1 il promet 1
.xVIII
Belgodère rcntrèrent (he? lIX. après
circulé à tr \' rune lH)1lI1e parti dll
Ou· t. tellement fati 'lié d leur péré '1 ination
'ontact ill1l11é(l!ah :Ive
v
�PASSt!POR'r FRANÇAIS
Fabricia, donc. avait fait. au printemps la gelée de
groseilles de Mmo Belgodère. et préparé la confiture
de hgues en temps voulu - nonobstant l'ab ence du
Con ciller. car les fruits doivent être cueillis à un
certain degré de maturité.
Dès le retour des Belgodère elle apporta la confiture de figues. supérieurement réu sie. et tint à la
mettre en pot ·. C'était un rit. Mn" Belgodère envoya
' l!' bonnes aérer les chambres du second et re ta dans
l'office pour aider Fabricia Cil préparant le rondelles
de papier blanc trempées dans du rhum. qu'elle plaçait sur les fruits imp ux afin d·a,. urer un con er\ ation parfaite.
Fabricia défilait toutes le. petites nouvell
du pay~
n r mpli sant les pot de verre; elle procédait en
cont 'u e n :e. préparant le terrain par le récit de
lcnt~
faib. pOUf en arriver à la pi \ce de ré,istance :
la niece d'Autriche de Milo R 'n, ison, c tl demoiselle
P rie d' Luna. s'appelait
qu'oll nommait M'"
M 0 .la que H udr ville
- l'.lle . t mariée, cen :ll1cnt compléta l'informatric. ta sant les figue ct J s rccouvrant de sirop.
- Mari :c? ... Qu Ille dites -vou là, Fabrieia? 'écria
1'''' Bd 'odère. J.1ch nt sc pctit rOllds d' papier
blanc.· 'ommeut sc fait·il qlle nous ne l·ayon . pa su?
- J' m k cl ma'HJe 1 répliqua Fabrieia. Surtout
que M . J Conseiller n' l'ait l)a d viné. lui qui ,t si
fin! 10i. j n l'avai pa devin \ mai je ne lll>
pCllt.êtr· pa d's plu fines .
'Q' la Con eill"r lai S:l pas r quelque
conde.
1',lIe r gr ttait cl ne puuvoir voicI' dan 1 cabinet de
"n mari pour lui dite : c Sav -z·vou
cc <tue
j'"ppr nt! ? .. l' -ri d· l,ulla .... ctc, ctc... :.
l' r 1I1.dehance, 1. lh-Igod'rc v('nait cl partir pour
rOll 'll1l1e; il avait Ilré\' n\1 qu'il r '/ltrcrait an
cloute
tard.
����102
PASS!tPORT FRANÇAIS
- Il lui a dit que ce serait une ~imple
formalité,
au. si riche Que vous
expliqua-t-clle, déconfite. S'il e~t
Je dite", ce ~era
ulle rai on de plus pour rna nièce de ... ,
d'éviter de se rapprocher de lui. Elle est fi0rc... et
puis - .011 accent devint encore plus discret - je
crain. tellement qu'clIc n'ait ea Ull amour au cœur, ...
un ouvenir ine!T;\çaule.
- C'e t bien JlO~
ible, firent ensemble ses amis.
La voyant tourmcnl':(;, il lui montrèrent une telle
~ym"athie,
un tcl désir de voir «tout s'arr;\ngel':' réconccci articulé av c force. - (lU 'elle sc ~cnti
fortée. Enfin les Belgud~r
nc <e montrèrent point
t roi sés d'avoir été l;\is~
dan' l'erretlr.
J\1l1 ès tout, 1';\vUlir nou est inconnu! dit-l'Ile,
lelllclt;\nt ses g;\llt . l'cul-être l'écheveau emurouillé se
(lébrollillcra ct mieux Que je ne pui, le préVOir.
- Bicll sÎlr! aflirma 1\1'''' lIc1godère . .J'ignorais tout
ceci. figur z-vou . J . l'ai a!lpri, aUJotml'hui même par
Fauri~l,
qui m'apportait IIlC, confilur~
de figle~.
- Et moi au ml\llle instant, à C léoll·ù'Andran, ch('z
le jeune Larté, ajouta le Consciller avec bonhomi'; ct
enfin l,al' vou -11ll-me, ma chère amie. Donc c'e·t trois
f lJis vrai.
Hélas 1 oui, c'était trois foi vrai 1 1\.1' 1. R l1:lison,
clalls SOIl tourml'l1t, n' entai.t malgré tout la sati factIOn dc '"tre déchargée de on secret; elle avait hi en
a (~U
'cret pruf iOllncl! CclIIi de Perle n'avait
pas allt,lllt d'importance, mais c'était IItiC SlIrchaq' .
Ull pell l'III tt.t, lorsqu'clic s'était décidée à ]Jr' venir ~\ ni 'ce «qu'il y en Ilvait as~ez
comm CCiii:',
CJu'clle allait tOllt expliquer allX: Bdgod"'re, l'CI le, 5,\115
111 1 ter pOUf obtenir Ir
ikncc, '~tail
Lorqé à r~
JI IIIlre :
- Fait cc I)IIC vous jll 'CI cz bon, ma tanll·.
- },\ Il. RCllai 011
lor - mouvcment Lien f~!l1in
s'etait :lrr"tée :
i tll l'réfère que je ne leur di e ri Il?
TOll, non 1 C la m'e t égal!
)n aurait dit qu
l' Il ab IId nllail,... qu' 1I~
'aLandonnait au de tin.
u (Iébllt d (' br r d.ah Ile la
fille Jouai t
ur 1 rlldit piano.
dOl t ch r('h :cnt
e Illutlf:
\Ier. 1> qll . t nt fut
le th ln d la r::ardu.r.
A 1 fin d l'apr' -midi Il alla
pr m ner dan
le arc. En qu,dité de Il reut d Mil. enai 011, eUe
��PASSEPORT FRANÇAIS
mure. I,e notaire reste bouche cousue, comme ça se
doit.
e Je me figure que si on parlait trop de leurs
aftaires ça fI'avancerait l'a celle de ce mOIl ieur et
de 11 1 te Perle. Alor Je Ille tais. Ah! malheur! si je
parlais trop et après que ça ,e détraque !... ~
Une mimique tel ri fiée, puL, ans tran ition ct très
\ Île, d'un Hlr ravI:
- Je eroi' que ce sera les Mourcls qu'il va acheter,
il en a filtr' quelquc cho c Le ardien de la propriété
a dit à ma scrur qu'il aurait un nouveau patron, mais
qu'il ne fallait pa ('Il soumer mot.
- Alor votre sU!ur vou l'a dit comme ulle chose
!>ür .;> intcrrog a tout naturellement Mm, n Igodere.
mai que c' "tait
- Elle lIl'a dit de ne pas le r~pétc,
vrai, l'ui que M. JI ,udr ville fe tait i longt mps à
Cléon, il fallait que cc Olt pour quelque cho e de
S~JlCU
.. Qu'c t-c que 1adame croll qu'il attend pour
5C mettre d'accord avec a femme?
- Ah! je n'cn sais ricn du toull répliqua Mm. B 1odèr ,
XIX
50llS
la pluie
�PASSIU'ORT FRANÇAIS
lOS
plait-elle le déluge persistant, debout, le front appUJé
aux vitres. Espérait-elle apercevoir quelque passant?_
Rien, à part deux camions allant à la minoterie de
Saou, puis le car: personne n'en descendit.
Le village entier avait le cafard. On pensait à la
Saint-Ferréol qui allait être un fia co 1 Toute l'année
on attendait la grande fête de Crest: le principal divertissement du pays allait tourner au désastre 1 Collés
à leur radio, les gens de Puy-Saint-Martin, comme
ceux de Cléon ou de Marsanne et de Saou, écoutaient les bulletins météorologiques. Le prono tics
de la c Météo :t les intéressaient par-dessus tout.
A tel point que les bruits circulant dans le Village sur la jolie nièce d'Autriche de Milo Renaisoa,
c qui - était - mariée· mai, • ne • s'entendait - pas avec. son - mari ... :t (source Fabricia), ces c on dit.
De durèrent pas longtemps: la Saint-Férréol primait
tout.
MIl' Renaison, qui avait tellement redouté d'ëtre
blâmée par ses amis et voi ins, fut bientôt rassurée.
On ne lui tenait pas rigueur d'avoir présenté sa nièce
lOus son nom de jeune fille. MIl' Sigean fut des premi res à se déclarer entièrement sympathisante. EUe
"itait de dire Mil' de Luna ou M- Heudreville. Elle
'en tirait le mieux du monde en appelant la nièce ~e
l.uce Renaison: c Notre Perle.:t
En son âme elle était bien contente de pouvoir freil'admiration de son neveu. Claude commençait ..
Parler sérieusement de mariage, et les Sipan préféraient les avanta(CI matériels immédiats apportés par
quelque 6lle bien dotée, au plus joli visage du
Illonde.
De ce côté on pouvait dire que cela s'arrangeait très
bien. Les Roquestéran avaient repris pour leur usage
nonnel la phrase de MIlo Sigean: c entièrement
mais ils avaient eu quelques difficultés
autre ordre, qui n'existaient point ch z leur chef
file.
leur caURit des eDIlUIJ. EU, anst eu 1 coup
foudre pour Jacqu
Heudreville, lur la r t,
qu'Il la dÇannait. Apprenant qu il a t une
légitime, ce coup de oudr était d
u un
valent
1 EU pl rait. S parents n
pour la con 1er.
e de ré ter ee qu'il
eût l'idée mal
TC: c ana
1 ime,
c(un &DU des B 1
��PASSEPoRT FRANÇAIS
t07
et tombait «en perte de vitesse:t dans la musique
facile destinée à ce qu'il nommait le public de
4' zone : la masse.
Oui, lui, lui, Bruno Roquestéran, l'auteur dit Libe,.a
qu'oll ne pouvait soutenir jusqu'au bout sans éprouver
un épouvantable malaise, liji, allait sortir de ses cartons quelques petites pièce pour piano qu'il ne jouait
jamais ( auf lorsqu'il n'y avait personne)!
La clardas figurerait dan ce recueil avec une dédicace à Perle de Luna. M. Heudreville dirait ce qu'il
voudrait! Il y aurait une samba pour Coco, cela la
réconforterait. Quelques dames qui avaient beaucoup
reçu cet hiver auraient aussi de flatteuses dédicace ;
les politess s de fleurs ou de boîtes de bonbons, c'est
tellement banal!
Chez les Roquestéran, comme chez les Ségalas, on
affichait une sympathie décuplée pour la nièce d'Autriche de Mil. Renaison. On déclarait la situation clarifiée - encore qu'elle fût toujours étonnante!
Dans le menu peuple de Cléon-d'Andran, on ne se
donnait même pas la peine de s'étonner : un précédent existait. On parlait encore d'une repasseuse c qui
n'était pas du pays, mais ça se racontait _, étant veuve
et remariée, elle n'avait pu s'entendre avec son
deuxième époux et n'avait pas hé ité à rentrer chez
Ile avec tout son déménagement. Bien que ce fût contraire aux u ages, elle avait repris le nom de on premier mari, et le deuxième époux, quand il avait l'occasion de parler de sa femme, di ait toujours: cM'"
une telle _, jusqu'au jour où il mourut, ne manquaitOn point de préciser.
Mil.. Perle de Luna, reprenant son nom de jeune
611 , ne faisait que suivre cet exemple, sans le savoir.
omme quoi on n'invente jamais rien.
Ain i pa aient le jour, les emaine, dan un villalle; l'attente d'un jour de rt votive pour 1 uns,
l'attent de... on ne sa, ait Quoi pour les aut..e.
Perle attendait-elle quelque cho e 7... Elle s'occupait
le main et l' prit, jouait du piano, f '!!ait d tradUction de texte c1a iQue allemand pour,\Wle maiIOn d'édition de Grenobl . En parai
it s'ioet, 11 r
dan ce pro i oire, 1 pro i 're tant li tut ce qui
dure le plus.
�108
PASSEPORT FRANÇAIS
Elle avait vu avec plaisir Mil. Montazel revenir de
vacance. Vicki n'aurait pa voulu pour un empire
manquer la fête de la Saint-Ferréol. Elle ressentait
aussi un extrême désir de savoir si le docteur Larcé
ne l'avait pas oubliée ...
SOIl congé eôt été un moment délicieux sans l'idée
lancinante: « J'aurais peut-être mieux fait de ne pas
m'en aller cette année. :t l'ourtant, quels bons instants
elle avait passés avec V l'/ollrs rose! Celle-ci faisait un
excellent puhlic. Elle écoutait J l'rSt'Y dl' Soie lui confier ses espoirs sentimentaux sans CO'lPer d'un. «Moi,
je..,:., ce que tant d'autres il sa placc cussent fait.
Vicki lai salt eô1tendre que ses rêvc~
d'ave1l1r e changeraient peut-être biwtôt en réalité.
A pré ent -Ile ne savait plus si ses r~ve
continuet son amie Illi avait écrit
raient ou non à rester rêve~,
d u
foi déjà pour demander où cn étaient le.
cho e ?.. , Elle serait si hCllreus' dc la félicit'r!
Vicki Montazel avait aus i raconté l'histoir de la
nièce de -;1 r ccveuse à Velours roS/!, La jeune femme,
esprit simpliste, trollvait cda hiclI compliqué, Elle préférait suivre la voi - tout unie et conseillait à Jersey
dl' Soie li fair' d même,
Vicki n' souhaitait rien d'autre ; un mari fldèlc, un
genttl intérieur, un' situation stahle; tout CCCI, l't
~'apelr
Mn.· André Larcé,... cela parai salt trè
Îrnpl-; 1 tr'
impie e t qu -Iquefoi tout aus Î difficile que le compliqlJé,
1)cpui son r -tour de vacances eHe voyait moill - Ollvent le docteur; Il ut· "'tre 'talt·il g~né
par la pré~elc
de la re ev'u e? Vicki n' perdait pa l' c poir, Elle
comptait Uf la Saint-Ferr \01, l'atmo ph' r de fête,
Ilour accé lérer le événement, André Larcé lui plaiI! tellement!... Elle 3U i lui plai ait,
'était facile à
voir, Alor, qu'attcndait.il pour sc déclar r~ ...
Un cho~
Itait c rtaine, c'c t qu'après de mécomptes s 'ntirn ntaux dn :\ c f:"tch ux prénom :
c Vir.toria:., cil' ntrait dan tlnc phase meillellrc.
J)';IÎII ur
la rubrique O,flr%"ic cl· , on l11agazin - 1
di ail . (M Il. MOlltazd était pa iOIlIll- d re articles
a trnlogiqu !) 'était vrai, I.ui (lue r' cluurf rO.r(" lui
ccII 'nt Ilarti, dall la personne d'lin
pro[lo ail 1111
otl,cln de I:t. Marinc marchande, et une ullire amie lui
dcrnarHlalt 'il Illi plairait d'él'oll cr tllI COIlltllCrçant
cl Il rcrl\:u'nt : c 'hère Vicki .. , :t
d Voiroll, '1 out
C'était bien l'iIlJlUCIICC heurclI c dll petit nom .1Iggéré
�PASSEPORt' FRANÇAIS
109
llar Mil. de Luna 1 Velours rose trouvait à ce «Vick~
tellement de chic!
« Pourvu qu'il fasse beau temp o pour la SaintFerréol! ~ songeait Mil. Montazcl, bien contente d'être
invitée ce jour-là par des amis de Crest, chez lesquels
à venir voir le feu
le docteur Larcé était convié au~si
d'artifice. S'il pleuvait sur le feu d'artifice, ce serait
un mauvais présage.
La fête de Cre t n'occupait pas à ce degré l'esprit
de M"" Renaison et de sa nièce. La première avait
dit à on adjointe qu'elle resterait au bureau:
- Ces divertissements ne sont plu~
de mon fige, il
sont du vôtre. Allez à Crest et amusez·vou bien 1. •.
Les Belgodère invitèrent Perle pour cette date; ils
suppo aient qu'une fête populaire ne l',,ttirait pàs
beaucoup, si cc n'est à titre ùe curiosité. On ferait
dOllc llll circuit hors de cette zone de bruit de pétard,
de pick-up, etc., L1ne granùe promenade JLI qu'à Die,
retour, apr \s de
la pitloreS(llIe ville monta~rde;
capricieux méandre, par Crest que l'on traverserait
'eulement pour donner à la jeune fille une idée de fête
populaire méridionale.
Ayant cu connais ance de cc projet, Mil. Sigean,
qui tenait à bien monlrer qu'elle était entièrement
sympathi ante, in ista pour avoir les Belgodère et
« notre Perle:t à déjeuner, un e pèce de pique-nique, à
la suite de quoi on ferait le circuit de Die et retour
par Crest. Les petite Ségala viendraient avec kur
fr re; elle mouraient d'envie de rencontrer la Hongroise qui dansait si bien 1 Cela ferait une caravane
de voitures. Le Con eiller n'avait pa prévu cela. 11
dit à sa femme, qui avait accepté: «Le plu~
beau
serait i Heudreville se joignait à nou :t Dans le
fond de leur cœur, peut-être ('espéraient-ils, f isant
tout ce qu'ils pouvaient pour rapprocher Perle d son
mari.
l,a randonnée fut une réus. îte. L'itinéraire avait él ~
préparé avec soin par le Conseiller. Perle admira la
ro~t
de Saou, les Alpes dioi e.• la ville elle-même ur
laquelle plane encorr. l'ombr d la célèbre Comte e
d Die impiratrice des troubadour
M. Belgod' re,
(l'ilistoire, donnait des e pliC"ation5 é outées av
r
avidité par le petite5 Ségala ; à l'arrière, Mm. TI 1goclère ct Milo Sigean parlaient dr. M. Jacqu~
Heudreville ur un ton chuchotant.
tes excur iOllni tcs allèr nt ju qu'au pied du llIont
'ru
�110
PASSEPORT FRANÇAIS
Glandaz, Le soir tombait, fai~nt
la montagne toute
violette, Le ciel, à l·ollcst. était rouge,
- Quel beau temps il5 ont à Crc 't pour leur SaintFcrréol! dit 1f1 1• Sigean avec bicnveillance,
l'cric. ljue tionnée jlar lcs petites Ségala. parla de
fêtes hongroises rurales, Oh! non. cela nc ressemblait
pas du tout a cclle de Crc t, Il Y avait bcaucoup de
coulclITs, tous les costumes bariolé des paysanucs,
C'était très pittorcsque. ct l'atmosphèr<! était si gaie;
on se gri ait de musiqlle ct de dan e.
- Mais. njollta-t-elle, je n'ai pa~
connu la Hongrie
dalls Ic anllécs le' plus hCllrell cs dont me parlalCllt
mcs parents, j'étai, une I,clltc fille lorsquc j'y suis
vClIue. et dl'jà c'était chan ré,
- Comme vous cn av Cl vu dcs choses 1 s'écria la
cadettc des S gala ,
- Oui. j'ai vu beaucoup de choscs .... répondit l'crle,
1;ICCl'nt lointain,
Votre vie n'a pa dù êtrc monotone 1 ajouta
l'aint' c. la Il',lr... est toujours pareille: préparer dcs
examen • Jlas~
r cie l'X:llllCn, C'c t la~1t
1
Le regard dll COli ci III r Iklgodère croisa celui de
l'cric. 1~lIe
~()\lrit.
un sourire pa du tOlit joyeux.
Il tr,lnT i:nnt Crest illuminé. (h~"ordal1t
de promencr~.
L'énorme tOUf que Je COllseiller monlra d loin
ù e compu 110ns clominalt. noire d·ombre. la VIlle ln
lies . Au pa ;1 't'. l'cric ;ljlcrçut .\1" MOl1tazel dans
tul groupe de jeunes femmes ct d'hommes, I,e docteur
Lu'cé était·il l'un d"l:ux? Elle n'cn filt lIas ccrtainc.
(. n tOllt ca ]acqllt' IIludrcvillc Il' :tait rIa aVl'C lui.
- Qudle mcrvrill li e journée je vous doi~
1 ditell' g ntllll nt. rt merriant, an retollr fi Puy-~aint
Inrllll. e alll1abk hôtc, J'ai encore lcs yeux pleins
ri out l'C 'Ille vou lIl'U\'Cl montré.
- VI') "te COIII nt·? int rro 'ca le COrl iller avec
lIlie honhonlle p'll 'rnl'l1c, AloI. nou au~
i. Oll!; ùé iIon. ma femme lt mi. qll' vou gardiez un bon 011vemr d notr ilalll'lliné i \'ou le <Jlliltez. ce <llIi 1I0llS
? ripo ta la jeun lillc
r lin Il r'c nu
\i Il h mme
11
Il
cr-
l' \-
�PASSEPORT FRANÇAIS
III
tie la veille, entourée d'amis, invitée partout!... Elle
avait dansé une partie de la nuit, mai n'était point du
tout fatiguée.
- Je crois, lui dit Perle, devinant son désir de parIer, vous avoir aperçue lorsque nous avons traversé
Crest, en revenant de Die.
- Ah! c'est probablement au moment où nous étions
avec le docteur Larcé, répondit Victoria. Je lui ai dit:
«Voici la voiture du Conseiller Belgodère ... :. C'était
donc bien vous. Le docteur n'avait jamai vu la SaintFerréol, naturellement. puisqu'il n'est ici que depuis
quelque mois. Il a trouvé cette fête sympathique. Son
ami n'é.tait pas avec lui, dit-elle étourdiment. - Elle
rougit, puis se rattrapa : .- Il est parti pour r Angleterre.
- Il y a longtemps? questionna Perle d'un ton
d'intérêt poli.
- Quelques jours.... une semaine. Je ne sai au
juste. C'est pour acheter une nouvelle voiture. achevat-elle, ne sachant comment sortir de là.
- Eh bien! dit Perle avec ai ance, je suis très contente de savoir que vous vous êtes amusée.
xx
est des jour dont on attend beaucoup. san
pouvoir donner de raisons pricises de cet e poir.
Victoria Montanl avait attendu inai une déclaration du docteur Lare6, parce qu'elle 6tait encore sous
le charme de plailir cl ta Saint-Ferréol... Rien
n'était venu. Il lui acmblait néanmoin que cette soirée
inftueralt ur Ion avenir'.
Sa déci ion é it dé ormais irrévocable de refu er
le capitaine au long coun proposé par spn amie, et
pour le commerçant de Voiron, i elle ace ptait de le
voir - peut- "tr 1 rien n'était moins ûr, - ce erait
par polit se pour le relations communes qui oubaitaient faire Ion bonheur. Elle refuserait le négociant
comme l'officier marinier 1
Il faudrait e primer ce refulÎ avec beaucoup de tact,
Pour ne pal froisser VtlOW'I rolt. Si J'on ne voyait
I.
��PASSItPORT FRANÇAJS
I13
pour un renseignement. La receveuse de la poste estelle toujours M"e Renai on?
- Parfaitement, Madame, répondit Mlle Montazel.
C'est pour une communication de service ou personnelle? M' le Renaison est dans son appartement.
- C'est une visite à titre privé. Voudrez-vous être
assez aimable pour me dire où je la trouverai?
c Qu'est-ce que c'est que ça? :. pensa Mlle Monwei, défiante, quoique la dame en uniforme eût un
visage sympathique.
Son Imagination bien meublée par ses lectures lui
faisait attribuer des intentions cachées aux gens qu'elle
ne connaissait qu'imparfaitement. Comme Fabricia, elle
avait l'esprit porté v.er. le tragique, mais son visage
immobile ne laissait pas deviner les suppositions qui
lui traversaient le cerveau.
- Je puis tél~phoner
à Mlle Renaison dans son
appartement, dit-elle d'un ton d'obligeance. De la part
de qui, Madame?
- M- Le Grez, assistante sociale militaire. Je désirais voir une parente de M Ile Renaison, qui est arrivée
ici venant d'Autri che: Mille Heudreville, née d.e Luna.
Victoria, qui se préparait à téléphoner, eut peur.
Pourvu que ce ne soit pas quelque histoire désagréable
pour Perle 1...
Elle appela au téléphone en se rassurant par cette
idée: c S'i! y avait quelque chose de fâcheux, il•
• eraient d'abord allés à la gendarmerie.:.
Ce fut Perle qui répond it:
- Allo? Oui... oui. Comment? C'est le bureau?
Attendez je vais voua palser Mil' Renaison... Comment ?... Madame... (U" cri.) Oh 1 je descends 1
Ce cri n'était pas celui qu'eût lâché une perSOl;lIle
effrayée. Il eemblait à Victoria que l'on courait audessus de sa tête, puis la porte intérieure s'ouvrit et
Perle traversa le bureau pour se précipiter vera les
Inconnu .
- Oh 1 Vous 1 Vous L. Je suis contente 1
- Lai ez moi vous embrasser comme au jour de
~tre
départ, dit l'u istante aociùe-lieutcMl Edmée
Le Grez. MOI au i, je ui heureuse de voua ltrevoir
et
voua retrou r ICI en famille. 01\ poarnlil je cau er
petit moment a ec vou IUII 4érancer pe oooe?
De lUi pa eul~
d am m'acco mNmn t.
arma de Il-ba ? qu donna vivement Perle.
Il
OIltUel, pl
dan eu kriturea , enlliUt ra
o
�����1I8
PASSEPORT FRANÇAIS
quitter Puy-Saint-Martin en ce momcnt. Non, non,
men:l; c'est imllossible!
MIll Rtnai on olïrit son thé avec les calissuns d'Aix:
de Vicki. Die apprit avcc intérêt que M"'· I.e (,rez
avait fait cette courte escale à Puy-Saint-Martin 1 ree
au :Maroc, elle consacrait quclc,lIcs
que, étant nOl1H~e
jours à visiter la Provence avant d'aller s'cmbarqulr à
Marseille. Le licutcnant, à Cjui appartenait la voitllre,
était cn garnison à Valence l:l ouhaitait ltre envoyé
en Bretagne où habitait sa fiancée; on apprit de la
sorte «u'iI était fiancé. Le capilaine allait à 15chl.
11 Il. J.{enaison eut la certitude qu'il n'inlérc ait Perle
qu'à cc titre: sO\lvtnir du pa) S lIatal.
Au départ l'a i tante sociale t:mbra sa M'"· Jacques
JIcudreville t la pria de tralhll1ettrc ses amitiés à
son mari.
- Je le dirai ccrtailll'l11C11t, t il cra tr~s
touché de
n'':lle pa ouhlil', répondit l'crI..: san montr r le
llIoindre l'l1lbarra .
deux olliciers ct l'assi lantl: sociale pensaient:
L
« C t If cudrcvillc !... QU'l'sI-Cf' qu'il aW nd? :.
MIl. Hcnaison exprima un peu {llus tard cs préoccupations à sa l1i~ce
;
- J'ai craint, l'n t'écoutant nar!cr de ton pays avec
1<' amI, que lu ne pui sc oublier cc quc tu a perdu, ...
ce quc tu a aimé alltrdoi ...
A celle minllle clle vit (lue la jcullc fille cherdlait
à comprendre 1 cn de ('l'II\; <lU tion.
Ellc allclI.lil <ln.·iCII C!l1l'l1t la r :1>On5c.
- Je nc vi Cjue dans k pré cnl, dit enfin Perlc.
XXI
��120
PASSEPOR't FRANÇAIS
- Pour faire quelque chose de chic.
Le docteur s'écria.
- Ça, alors! - Il était confondu. - Ce n'est pas
parce que tu avais eu le coup de foudre pour cette
jeune fille?
• r on. D'autres que toi se ficheraient de moi s'ils
rn'l'Iltenclaicnt. Mai toi, vieu,' toubib, je sai, que tu
cOlllprendras. J)'ab(lrd tu connai. le décor, si je puis
dire, la cène: Vi~ne
à cette (pallue de l'accu pat ion,
les brutalité" le désordres inévitables ... - n'imistons
pa ! - La situation lamentable, quelquefois atroCl" des
réfugiés, des fcmmes réfugiées ... Les camps de «JlLrsonnrs déplacées:., quel cuphémismc! J'ai vu dcs
scène à VOtlS broyer Il' cn:ur!
« J,c soir où cette J cune fille inconnue c~t
entrée
dan ma vic -- !JOli pas dans ma vic sen timentale,
r marque-Il' - c'(-tait un soir comme tant d'autres.
J'étais dallS UI1 c,lf' avcc (luclques camarades aIllés .
.l 'al vu cctt:: petite e jeter vers moi, pantelante: une
hrlc lra'luée .. J l' l'ai CIlle Il.hll', oh! cela surtout, cela,
cc <..ri : «F rançaI s! défendcz-moi 1... :'
1: Une pauvre voix enrouée de femme aux ahois,
prrS(IUe unc enfant,... Il a J'air si jeune 1... Et ces
main agrippée il mon bra. Elle répétait: «FrançaIs !... Français 1 au
l'Ours !.. , :.
« Eh bien 1 j'ai a i à la f Tançaisc : je l'ai protég' l',
mise à J'abri. Qu'e~t-c
Cjuc tll allTaIS fait, toi ? :.
C01l11llC toi, m;l1~
jc nc l'aurai pas épouste. 'le t
définil1f, tout de rn~me
1... Je n Ille se rai pa montré
au ~i clllel dit-Il, comme ~'\xt:u
an\.
- J'ai la convictIon d'avoir fait ll11 folie. J'ai aussi
l.l (l'rtlll1C!c ({'<lvoil mis quelquc cha'!' de ('hic dang
m.l vi,. Un' fOI dan 011 exi lence, tIll homme, (Jill 1
qu'il oit, doit avoir la fi rt' d'ltr' UI1 gentleman;
même Ul1 voleur, même UI1 VO}Ol1 petll être un gwtlcman un,' fois, et (11 Ürc lier. Je ui~
tous I~s
jours 1111
111011 Il ur <lU !conquc...
Oh 1. .. protesta Carré, ouriant.
i! UI1 homme à carnère t lite tracée, lucrative,
dan laqu lie il n'y a "a cl· pla e pour l'cnlhoulli.\ nw,
l, grand li 11,. Til me ui? j'al tlllJjour étr. il Illé
par l'Id
de falf un JOur t 1 aet qui JO r ndrnit
ati fait d mOI-m ~m
, t formid, bl 1 murmura Care'. Ah 1 mai
lai
-moi parI l ' CI cun 011 tour; apr , tu r
Ill'
m necra • J te di ma 1 ~ 1 e inti
Une dcuxi me
���������LA COLLECTION
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STELLA
ft
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par Andrée VERTIOL.
par Guillcmelle MAIUUER.
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EDITIONS DE MONTSOURIS
1.
RUE
GAZAN.
_
PARIS-XIV
�Pr
tJJ f
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Title
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Collection Stella
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Description
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions de Montsouris
Title
A name given to the resource
Passeport français
roman inédit
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cys, Éric de (1889-1956)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1953
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
128 p.
18 cm
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Description
An account of the resource
Collection Stella ; 590
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_590_C92849_1111645
Source
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Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
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�aidez votre mari et créez
de nouvelles ressources
chez vous en améliorant
le rendement de votre
jardin et de votre bassecour. Votre tâche sera
aisée, vous éviterez 1es
expériences coûteuses, si
vous suivez les conseils
pratiques qu i vous sont donnés chaque semaine dans
LE JOURNAL UNIVERSEL
DE LA CAMPAGNE
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RUSTICA
l, rue Gazon, PARIS-140
�tRIC
DE CYS
4{Â
Seule dans
mon Cœur
Roman Inédit
COLLECTION
STELLA
tditi?DII du "Petit Écb.o de la M~e·
l, Rue Ga.an, Pari. (XIV')
��Seule dans 'mon cœur
PREMIÈRE PARTIE
CARNET D'HENRIANE
l
Valréas, septembre.
~ Je suis seule dans ma maison et seule dans mon
cœur. .. (1) :t
En lisant ces lignes, tout à l'heure, j'ai pensé: « Mais
c'est moi! ~ avec la surprise que l'on éprouverait en reconnaissant son propre visage sur un portrait d'aïeule.
Surprise, oui, mais la sensation a été surtout du plai- '
sir. J'ai vu, exactement défini par ces deux phrases, ce
que je sens et ce que je suis: seule dans ma maison;
'seule dans mon cœur; et je me trouve à J'aise, à la fois
dans mon cœur imprenable et dans ma charmante maison de Valréas.
J'éprouve une indicible satisfaction à l'écrire ce soir.
(1)
Kikou Yamata.
�4
SEULE DANS MON CŒUR
'J adis, les jeunes filles se complaisaient dans la rédaction de leur journal, car c'était une façon déguisée de
parler de l'amour, sujet interdit par les mères. Leurs
jolis cahi~rs
ne contenaient, en somme, qu'un nom sans
cesse répété. Il n'yen a pas dans le mien, puisqu'il n'y
en a pas dans mon cœur, et ce doit être rare, un carnet
intime qui n'est pas une histoire d'amour, un cœur de
femme où il n'y a personne.
Dans le mien il n'y a personne. Ce n'est point une
marque de sécheresse ou d'indifférence. On peut mentir devant les autres, en face de soi on est franc. A
vingt ans, j'ai rêvé d'être aimée; plus tard, j'aurais
voulu aimer; à présent, je vois que c'était impossible.
Où donc aurais-je pu rencontrer celui qui m'eût inspiré le désir de tout lui sacrifier, à commencer par ma
belle ind épendance; d'oublier mes propres goûts pour
adopter les siens; de le suivre, s'il le fallait, au bout
du monde; en un mot, celui qui eût fait de moi une
autre que moi-même?
Ce n'est point dans l'entourage de mes oncles et
tantes qll'il faut chercher 1' « mour ~ avec une majuscule, sans lequel, il mes yeux, le mariage n'est point
acceptable. Cc mot divin comme celui de Beauté, trop
gr"':1' ) pour être écrit en petites lettres, on l'écrit autou r de moi en caractères si petits qu'il doit être difficile de le lire 1 D'ailleurs, je ne crois pas que l'on
COn SlCl'e heaucoup cie temps à ce genre de lecture.
JI c;,isLe peut- ~tre
un danger à vivre dans une almosph' oC de bonheur. On prend pour la norme cc qui est
l' e Ac~,
)Lion;
mais n'est-cc point lamen table d'en finir,
comn .:: l'ont fait tant de femmes, par l'acceptation de
la mé rliocrité sentimentale, sous le prétexte que l'on n'a
j alT' ''.:'i cbvanlage?
Je préfère cent fois mon état présent à celui de
nombre de mes amies qui, après quelques mois ou
qu elques années de vie conjugale, se résignent à évoluer d:w s la brume gris-mauve de la ... , am ment diraisje? ... de l'entente moyenne, qu'il serait plu s juste
d'a ,p':!ler : demi-deuil du tout petit amour perdu!
.1 .0I'S'1l1e la ques~ion
m.atrimoniale entre e~ jeu, mon
indi 'ridu comple, Je crOIS, pour yne part ~nfime
. Un
sou - i (!e bonne éducation, le gout de «fai re comme
�SEULE DANS MON CŒUR
5
tout le monde» en mariant leur nièce, la crainte surtout que ladite nièce ne leur inflige l'hum,iliation de
choisir toute seule et très mal leur neveu, guident mes
tantes. Enfin elles veulent se servir de moi pour q: marquer un point» dans leurs coteries respectives.
Ma tante Simone, émerveillée par les succès sportifs
de Claude Monjait-Larive, souhaitait le voir devenir
son parent. Aux yeux de sa cadette, c'eût été une
immense fierté d'être appelée « ma tante» par Bernard
d'Arcens. J'aurais dû me conduire en bonne nièce,
remercier les deux et donner satisfaction à J'une, puisqu'il était impossible (te contenter tout le monde. Faisant preuve de la plus noire ingratitude, j'ai annoncé
brusquement, au milieu du déjeuner, à ma famille stupéfaite :
- Je pars demain pour Valréas!
'" Ce soir, seule éveillée dans la ville endormie, j'écris
l'abatSur le joli écran-bureau second Empire, ~&ous
jour mauve de la lampe. Les domestiques sont couchés.
'fout est silence. Dans le petit salon aux boiseries
grises, une odeur à peine perceptible de bergamote et
de benjoin, vieille de combien d'années, flotte encore,
mélangée à celle des roses que j'ai cueillies tantôt. Je
sens la solitude comme un parfum plus délicieux, s'il
est possible, que celui de ces fleurs qui sont à moi,
dans ce logis qui est à moi seule ... Ah! comme ce mot
« seule» revient facilement sous ma plume ...
J'aimerais avoir un peu peur ... Je me demande quel
est le meilleur: ou ma quiétude actuelle, cette impression de «vivre au présent », que tous nous ne connaisSOIlS plus depuis notre enfance, puisque tout être
adulte, au lieu de jouir de l'heure, vit dans le passé
ou dans l'avenir ; est-ce cela? ou serait-il plus agréable
d'attendre quelque chose de plus ... ou quelqu'un? Prêter l'oreille pour distinguer le bruit des pas dans le
lointain, la main qui va ouvrir la porte, et n'être plus
seule 7...
Eh bien 1 non. J'ai beau faire, beau me suggesti?nner, me dire: «En arrangeant ainsi d'une façon drOite,
simple et sage une vie de travail où je suis certaine
de trouver d'infinies satisfactions, sans chercher un
compagnon de route, puisque parmi ceux que je con-
�SEULE DANS MON CŒUR
nais aucun homme ne m'inspirait assez de confiance et
d'amour, ai-j e vu clair? Ne me suis-je pas trompée?
Sont-ce les circonstances, l'horreur d'appartenir à un
mari dont je ne serais pas follement éprise, qui m'ont
poussée à rayer le mariage de mes projets d'avenir, çu
serait-ce de l'égoïsme? Ne vaudrait-il pas mieux, à
tout prendre, me contenter d'un à peu près, ... du grismauve, demi-deuil des grands espoirs et des grands
bonheurs? En un mot d'un de ces maris quelconque
que l'on accepte en se disant: « C'est toujours comme
cela !... Il ne faut pas rêver l'impossible. '>
Alors je ne rêve plus devant mes roses qui sentent
bon et mon thé qui refroidit.
***
J'ai peint toute la matinée dans mon jardin.
Devant le vieux logis de pierres grises brochées de
feuillage léger rouge et rose - car I:l vigne vierge
s'étend, victorieuse, sur les murs, - je me suis sentie
très riche et fort heureu se cie mon sort.
Je ne savais pas encore quelle reconnaissance je
devais à mon grand-oncle l'amiral, pour m'avoir faitè
héritière de sa demeure, avec le vœu que j'y habite
([uclquc temps chaque année et la défensc, sous forme
de condition sille qlta n01l, d'y recevoir aucun membre
de ma famille paternelle,,,. clause qui, je dois le dire,
vexa horriblement mes grands-parents 1
Je ne vcux pas mentir avec moi: je reconnais que
la préscnce des miens ne me manque point du tout. Au
contraire, je sui s enchantée par la perspective de passer au moins deux mois tranquilles dans ce lointain
Valréas, où, puisque je ne connais pas une âme, pers nne n'aura l'idée de venir me dire qu'une jeune fille
doit se marier comme un garçon fait son service militaire.
elte interdiction de l'amiral, je n'en connais pas Je
motif, qui doit être i~5fanl,-:
il .a vait très mau"
vai s caractère, - malS Je la bellls, 51 mes tantes en
�SEULE DANS MON CŒUR
7
sont furieuses. C'est une atteinte portée aux traditions
familiales, lesquelles exigent une très grande assiduité
de rapports entre les divers membres du clan, pour
's avoir ce qui se passe dans le ménage adverse, chacune
'de ces dames sou ff rant secrètement de n'être point à
la place de l'autre et ne jouissant pas des succès scolaires ou sporti Es cie leurs enfants, parce que leurs
neveux leur semblent toujours avoir fait quelque chose
de beaucoup plus remarquabl e.
. Depuis que je suis suffisamment âgée pour J?rendre
de l'intérêt à étudier la mentalité de mes semblables,
j'ai constaté avec surprise le manque de stabilité morale qui préside à toutes leurs actions. Elles sont, si
je puis dire, perpétuellement à l'envers d'elles-mêmes.
Avec une sorte d'âpreté, l'un e m'a dit un jour: «O h 1
toi, Henriane, tu as toujours su ce que tu voulais!»
Mon Dieu, c'est de l'élémentaire sagesse! Aux yeux
des miens, c'est une tournure d'esprit particulièrc et
presque fâcheuse. Mes tantes n'ont jamais su faire ce
qu'elles voulaient.
Mes oncles sont comme leurs femmes, lc contraire
du personnage que l'on s'attend à lcur voir faire . Le
premier en date, Max d'Olmcuse, est par sa naissance
la quintesscnce du cllic. On ne peut dire qu'il est poseur; il serait plus juste de reconnaître quc sa ]JO e
est de ne pas poser. Son unique passion cst le sport ;
il joue au golf parce que les passes d'armes ne se
portent plus, sans quoi il s'habillerait de fcr et descendrait dans l'arène aux acclamations du populaire. C'est
un homme superbe.
Ma tante Simone fait du sport à l'exemple de son
époux, et les deux héritiers mâles que le Ciel a bien
vouln leur accorder, entre le polo de l'un et les
matches de tennis de l'autre, marcheront certainement
sur leurs traces. ,
Ma tante Christine, beaucoup moins jolie que sa
ravissante sœur, n'a pu faire la conquête d'un arrièreneveu de connétable, ce dont elle est toujours secrètement navrée. Elle est simplement Mm. Smith. Tout ce
qu'il y a de plus français, d'ailleurs, malgré ce patronyme britanniquc, mon oncle Olivier; mais, comme le
rappellc le vicux Scott: « De la Forge est SOli Hom;
�8
SEULE DANS MON CŒUR
qu'il soit duc, comte ou pair, q11e(q1l1l1l de ses aïeu.-r a
dû baltre le fer! >
Le fer a été battu il y a très longtemps à une
époque où l'on ne parlait pas encore de' chiffre
d'affaires, et quant aux premiers forgerons, ils ont eu
le bon goût d'être assez laborieux pour laisser à leurs
descendants des revenus plus qu'honorables. Si l'on
voit des raquettes brillantes. mais roturières chez la
sur
comtesse d'Olmeuse, chez Mm. Smith on m~rche
les «royalties >. et dans le fond personne n'est content.
Mm. Smith a dans son garage une somptueuse Cadillac, mais elle ne peut faire mettre sur la portière la
petite couronne de sa sœur; Mm. d'Olmeuse figure sur
le Gotha, mais n'a point de Cadillac.
Voilà donc les commensaux que je devrais - pour
me conformer à la politesse familiale - inviter dans
ma charmante maison. Combien l'amiral fut avisé en
m'interdisant de le faire 1... Enfin je vais pouvoir savourer la pleine liberté. vivre comme il me plaira.
être vraiment moi. Quand je songe que j'aurais pu
rester une jeune fille à marier, usant ses années dans
l'attente d'un hypothétique bonheur. j'en ai Je frisson!
.*.
J'ai commencé une série d'études en vue du prochain
Salon. Je vais travailler sérieusement.... plus que ce
matin où je n'ai pas fait grand' chose de bon. J'étais
distraite par la faute de mon jardinier: je puis le dire.
comme je ne suis point enfermée. un jardinier n'est
pas un homme.... et ce brave Estève n'a de la jeunesse que le souvenir. c'est pourquoi il est intéressant.
Il compose. avec sa sœur Honorade. le personnel de
M. l'amiral. car je me bercerais d'une vaine illusion
en croyant que mon grand-oncle. étant mort. a cessé
d'être leur maître. Il l'est toujours. ct moi je demeure.
comme à dix ans: «la nièce de Monsieur >. pour laquelle on confectionnait des gâteaux ou des bouquets.
lorsque sa visite était annoncée.
Ceci pourrait me laisser supposer que je suis quantité négligeable. Non. Estève et Honorade ressentent
�SEULE DANS MON
CŒU~
pour moi non seulement respect, mais affection. I~
m'aim.ent bien parce qu'ils m'ont connue enfant, que je
l'es laIsse agir à leur guise, mais surtout - c'est très'
méridional - parce que je suis une jeune fille.
Voir une jeune fille dans la maison de l'amiral enchante Estève et sa sœur. Ils me servent, car je suis
« Mademoiselle»
et - chose bizarre et touchante
"
,
me protegent, car, malgré tout, je demeure pour eux
quelque chose de précieux, délicat, qu'il faut garder
contre les malfaiteurs: la chalo (1).
Ce vieux ménage fraternel, qui compte cent vingt
ans au total, est une partie précieuse de la succession
de J'amiral. On m'entoure de petits soins, d'attentions.
Grâce à mes serviteurs, je suis comme une invitée
chez moi; délivrée de tous soucis, je pourrai laisser la
maison pour explorer la campagne alentour.
Cette campagnc mal connue, comme elle est belle et
prenante 1 J'aime lout ce qu'elle m'offre: la terre
ocrée, les maigres pins et les largcs ondulations de
la. garrigue où serpentent de petits sentiers, étroits
comme des chemins de farfadets, qui vous donnent
l'envie d'aller toujours ptus loin voir où leurs capricieux détours conduisent. C'est tlne autre Grèce, tI11e
autre !erre baignée de lumière vaporeuse, où les dieux,
j ad is, on l dû passer.
Je veux me remplir les yeux de celte beauté. Je vais
peindre, marcher sous les oliviers et les chênes verts,
puis, le soir, jouer les sonates de Mozart, si grecques
elles-mêmes que je croirai dans Je son retrouver la
couleur et les lignes du paysage.
J'ai bien arrangé ma vic. Je sens que je serai très
heur
s~
.
(1)
Jeune fille, en provençal.
�to
SEULE DANS MON CŒUR
Une visite. J'ai failli crier: «Déjà!...» lorsque, très
digne, Honorade a mis son visage bistré, se8 yeux
noirs et ses bandeaux bien lissés à ma porte, en
m'annonçant dans son français de Provence :
- Si Mademoiselle voulait descendre au salon un
es/alll ? On la demande.
J'ai répondu oui, en cherchant ma boîte à poudre.
C'est le réflexe inévitable.
Lorsque j'avais quatorze ans, chacune de mes rencontres avec un miroir me laissait épouvantablement
déçue. avec celte pensée mélancolique: «Jamais je ne
ressemblerai à la Violante de Palma Vecchio!... ~
J'aurais échangé dix ans de ma vie, sans marchander,
cpntre le. plaisir de voir une chevelure de soie blonde
ruisseler sur mes épaules, pour avoir cette petite
bouche énigmatique et ces yeux brun clair, profonds
et troublants, où tout un monde de pensées indéchiffrables se devine. Je jugeais navrant d'être châtaine
ct d'avoir les yeIL'C gris. Depuis, j'ai pris mon parti
de n'êtrè point une beauté ... Cela ne m'a pas cnlaidie •...
ct pni s il n'y avait rien à faire!
, Non. je ne ressemble en rien à Mm. Violante. Inutila
de mc leurrer de l'espoir qu'en rectifiant le pli de mes
cheveux je produirai un effet saisissant sur le visiteur
emprcssé, qui est vraisemblablement une visiteuse, une
dame de charité. sans doute ... L'amiral était généreux
'
le ch emin de son logis devait être connu.
En pénétrant dans .Ie salon, j~ me demandais qui
j'allais voir et débutai par ne vOir personne. J'ai bonnement cn; que le visiteur ou la :visiteuse - mon
notaire. mon curé ou la dame chantable, - pensant
�SEULE DANS MON CŒUR
II
que je ne voulais pas me montrer, était parti. Mais
non. Un bruit de voix retentissant dans le jardin, je
m'approche de la fenêtre et aperçois, en conférence
avec Estève, une silhouette féminine, grande et très
maigre, en manteau de soie bleue.
La dame se retourne; en profil, elle montrait qual'ante ans; de face, elle en avoue au moins soixante.
Avec cela une allure très «portrait de famille:., celui
dont on dit : «Une de mes arrière-tantes ... :., en passant très vite, parce qu'il n'est pas joli. Un grand nez,
un grand air, le regard perçant. Tout à fait le type
des vieilles parentes de mon oncle Olmeuse, pour lesquelles il faut soigner ses révérences.
L'inconnue drapée de satin bleu se déplace, abandonnant mon jardinier, s'approche et, très aimable :
- Mil. de Puybrante, n'est-cc pas? dit-elle. Je ne
sais si vous avez gardé le souvenir de l'une des plus
anciennes amies de votre grand-oncle ?... Votre amie
aussi, devrais-je ajouter, et votre voisine pendant la
belle saison.
Je reste muette, avec le sourire angoissé, Interrogal ur, des infortunés sommés de reconnaître des gens
qu'ils n'ont jamais vus.
Ma visiteuse se présente:
- Mademoiselle de Pierregourde.
C'est bien ça : le style Olmeuse L.. Aussitôt les banalités d'usage me viennent aux lèvres:
- Je suis charmée,... très confuse aussi, Mademoiselle, d'être devancée. J'aurais dû me présenter
chez vous, mais je suis ici depuis quelques jours seulement.
Ce disant, j'opère un mouvement vers le salon.
Avant de me suivre, Mil. de Pierregourde crie dans
la direction d'Estève, courbé sur les fraisiers:
N'oubliez pas de m'àpporter mes aubergines et
mes tomates 1
Après, elle explique très simplement:
- Je viell'S d'acheter des légumes à votre jardinier.
Cette déclaration me laisse interloquée. Est-ce un
usage local de faire son marché en même temps que
ses visites de bon voisinage?
Mil. de Pierregourde, dont le mépris de "opinion
�12
SEULE DANS MON CŒUR
semble absolu, paraît cO:l.:;:Jér;:r comme normal que
l'on mette ses déplacements à profit pour se ravitailler. Avec la même simp1icité, clic repousse le fauteuil
que j'a\'ance, en disant de sa bçon autoritaire:
- Non, pas celui-l:l : il est trop bas. Je suis habituée à ce petit bleu... Merci... L'amiral le savait, il
m'offrait toujours le petit bleu ... Quel excellent parent
vous avez perdu, ma chère enfant !... Vous permettez,
n'cst-ce pas? Nous étions intimes, votre oncle et moi,
el dc plus un peu cousins.
- Ah! vraiment? - J'essaye de prendre une expression enchantée. - Je J'ignorais.
- Oui. C'est par les Armangillers ... Je vous parle
de 1750.
J'ig;1ore ce que furent les Armangillers, ce qu'ils
S'Jnl, si toutefois ils existent encore, mais je me garderai bien de m'en i:1Iormer : les généalogies, on sait
quand ça commence, mais non quand cela finit de vous
ennuyer 1
LqrsClu'on ne peut faire plus, le mieux est d'avoir
l'air aimable. Je m'y efIorce, mais c'est peine perdue.
M Il, de Pierregourde n'attendait aucune réponse, car
elle préfère parler tou te seule. Immédiatement elle
d~re:
1
- A propos des Armangillers : je suis venue aujourd'hui, car je savais qu'Elisabeth désire beaucoup
vous connaître, ct je tenais à vous voir d'abord.
Cette fois je dois avoir l'air surtout étonné. Il ne
s'agit plus de cousins nés sous Louis XV, puisque
c~te
Elisabeth dont on me parle 4: à propos des
J\nnangillers:. désire savoir à quoi je ressemble, ce
(l'Ii cst vraiment gracieux de sa part 1
- J'cn suis extrêmement flattée, dis-je; mais voudriez-vous, Mademoiselle, être assez bonne pour me
dire qui est Elisabeth, et pourquoi elle souhaite me
voir ? Je ne connais personne à ValréaS. Du vivant
de mon oncle, j'y avais fait seulement deux séjours
le premier remonte à vingt ans...
'
f"o de Pierregourde interrompt avec promptitude:
_ Elisabeth? Eh bien 1 c'est la dernière Armangille" !... Mais du rameau de Saint-Marcel, séparé de
la branche aînée depuis 1594. Vous ne l'ignorez cer-
�SEULE DANS MO:-.r CŒUR
13
tainement pas? Elle est Valréasienne depuis son mariage avec Louis de Géorand, qui est de la maison
de la Mothe-Ythier, comme vOus le savez.
Mon Dieu, non 1 Quelles lacunes il y a dans mon
éducation l...
- C'est une femme charmante, mars, en somme,
assez mal mariée continue Mil' de Pierregourde d'un
air déjà intime. 'Elle est intelligentc; Louis de Géorand n'a jamais rien inventé. Oh 1 c'est un bon guçon,
conclut-elle, miséricordieuse.
Ma sympathie est déjà tout acquise à M'"' de Géorand; elle doit subir ce que je me suis arrangée pour
éviter: le mariage dit de convenances, où, sauf la
fortune et le rang social, rien ne se convient, à commencer par les époux.
- M. de Géorand, poursuit .MIl. de Pierregourde.
jouant le rôle de coryphée avec un plaisir visible. est...,
oh 1 1110n Dieu. je n'en dis aucun mal... (K on. Elle se
contcnte d'en penser 1) Il est parfait.
J'essaye d'émettre un mot vague. Cela uffit pour
inciter mon interlocutrice à se démGlltir. Ceci me
semb le une habitude invétérée chez elle.
- Parfait.... entendon . -110\1S 1... Enfin sa femme a
de l'esprit, elle fait la part du feu. Toutes les f 'nmcs
devraient savoir faire la part du [cu, ... du moins on
l'assure. Elisabeth est une épouse admirahlc... C'e. t-àdire, elle a peut-être tort d'avoir dt, GOtl!' difTf.rents
de ceux de Louis. A parler franc, Louis n'a point de
gOlIts du tout 1... Elle aime la l11usiqu , les livres, je
ne sais quoi ... Je suppose qu'elle est très instruite. Elle
a vu un tableau de vous dan' une exposition: des
fleurs roses dans un vase mauve. Je ne me trompe pas?
Il paraît que vous êtes artiste. ma chère petite amie ...
(Déjà? Elle est liante 1) C'est tr~s
bien. très bien. Mo~
je n'aime pas beaucoup ça; cependant j'ai acheté une
toile dernièrement. Elle m'a coüté deux mille francs.
avec le cadre. Est-ce trop cher? TOll t le monde la
trouve bonne. Moi. je n'y connais rien, mais c'cst d'un
jeunc peintre plein d'avenir; son grand-père était le
meunier du mien. il fau t protéger les arts et les anciens serviteurs alors j'ai choisi cet e l'fet de neige. Ici
nous avons ra;ement de la neige; j'ai pensé que ce
�14
SEULE DANS MON CŒUR
serait plus agrèable qu'un paysage de soleil. Qu'en
dites-vous?
Je me retiens pour ne pas éclater de rire. A la
longue, Mil. de Pierregourde doit inspirer le désir de
se sauver; mais c'est la première séance, le plaisir de
rencontrer un type aussi curieux est encore très vif.
Puisqu'elle veut mon avis, j'approuve le choix de
l'effet de neige. C'est très louable d'encourager les
arts.
Tout de suite cet amateur éclairé reprend le fil de
son discours :
- Je vous disais donc qu'Elisabeth meurt d'envie
de vous connaître depuis qu'elle a vu des fleurs signées
de vous à cette exposition. Elle a été ravie d'apprendre
que l'artiste inconnue et la nièce de l'amiral étaient
une seule et même personne. Cela vous plairait-il de
venir chez moi demain pour le thé, afin de la rencontrer?
- Mais certainement 1 Je serai charmée. C'est tout à
fait aimable ...
- Non, cc n'est pas aimable. Je vais VOtiS expliquer : je doi s une politesse aux Géorand, qui m'ont
donné des géraniums, et en votre absence Estève m'a
fait cadeau de salades pour mes poulets. Alors je
comptais vous inviter; comme je suis obligée d'inviter
aussi les Géorand, je vous aurai ensemble, vous comprenez?
Cette fois, j'éclate de rire. Mil' de Pierregourde dit
toutes choses avec la plus grande franchise; c'est
encore très beau qu'elle n'annonce pas: « Je veux faire
une seule fournée. :.
Pareille façon d'organiser une petite réunion intime
est délicieuse: on doit une politesse de géraniums à
Mm. de Géorand; moi, je suis conviée pour une raison
de salades. Ceci me vaudra le plaisir d'entrer en relalions avec une jeune femme que je suis par avance
disposée à trouver charmante, puisqu'elle a remarqué mes fleurs roses dans un vase mauve ct désiré
connaître l'auteur.
- L'amiral était brouillé avec M. de Puybrante,
n'est-ce pas? dit-elle, se rasseyant à la minute où j'espérais la voir prête pour le dépnrt Oui, l'union dans
�SEULE DANS MON CŒUR
l~
les familles, c'est tellement rare 1. .. Autant reconnaître
tout de suite qu'elle n'existe pas 1... Moi-même, j'ai
. rompu trois fois avec ma sœur, nous nous sommes
toujours réconciliées. J'ai fait des concessions. Je suis
très conciliante. (Elle fait bien de le dire! On s'en
doute.:ait difficilement!) L'amiral aurait voulu, je crois,
VOllS avoir plus souvent chez lui, eu votre famille paternelle était fort exclusive.
- Mon oncle voulait. .. ?
- Oh! je vous dis ça, .. . je n'en sais rien: je me
l'imagine; cela n'a point d'importance. Quoi qu'il en
soit du passé, ma chère enfant, vous voici à Valréas,
mais vous y êtes toute seule; c'est ennuyeux pour une
jeune fille. Je sais, à présent les femmes peuvent aller
et venir, elles sont indépendantes. Les uns trouvent
que c'est un bien, les autres le jugent un mal. Il parait
que cela éloigne les jeunes filles du mariage. Est-ce
vrai?
A-t-elle formé le projet de connaître mon opinion
sur ce point? Qu'à cela ne tienne! la situation sera
nettement définie tout de suite. Je réponds, gracieuse,
mais non moins ferme :
- Je ne sais s'il faut généraliser. Un grand nombre
de jeunes filles, actuellement, font leur vie sans mettre
le mariage dans leurs projets d'avenir. Je suis de
celles-ci.
M'" de Pierregourde ne manifeste ni déception ni
surprise, pas davantage de réprobation. Elle s'écrie
seulement:
- Ah' tiens! comme c'est curieux 1. .. Je l'avais lu
dans un journal, mais je ne le croyais pas.
lors,
c'est exact? .. De mon temps, au contraire, on désirait
beaucoup se marier. Nous étions tellement tenues 1 Se
marier, c'était être émancipée; maintenant c'est le
contraire. Ainsi, tout est changé ?.. C'est' possible,
après tout! Les modes changent! Il faut marcher avec
...
son époque et ne pas être fossile. Mon neveu .Hlber~
- vous connaissez mon neveu Hubert? Il habite 1 ans.
Non ? .. - Eh bien! Hubert me dit: «Vous, ma tante,
vous n'êtes pas fossile':. C'est vrai. Je lis énormément je me tiens au courant de tout. Je reçois quatre
revu~s,
et pour rien au monde je ne m'en passerais...
�iQ
.sEULE DANS MON CŒUR
Malheureusement (ceci démentant cela) j'ai tant d'amis,
tant d'occupations !... J'ai à peine le temps de lire.
Là-dessus elle se lève. Je me hâte d'en faire autant,
sans quoi elle se calerait de nouveau dans sa bergère.
- Au revoir, ma petite amie. A demain, n'est-ce
pas? Venez de bonne heure, nous aurons le temps
de causer avant l'arrivée des Géorand. Ils doivent
amener un jeune cousin qui revient de Syrie.
Je sens que je me raidi s. Un jeune cousin? Cela
sen t le traquenard. Cette vieille fille doi t être marieuse.
- Le capitaine de la Mothe-Ythier, continue MIl . de
Pierregourde, précipitant son débit. Un très charmant
garçon. Il n'a plus de famille et fait de longs séjours
chez les Géorand, qui l'aiment beaucoup.
Un capitaine? Nul doute, c'est pour le mariage.
- On lui cherche une femme? dis-je, le ton plein
d'innocence.
Ml le de Pierregourde ouvre le plus possible ses
petits yeux, son grand nez s'agite, on dirait qu'elle
hume le vent :
- J e ne sais pas... Vou s croyez? .. Après tout, c'est
bien possible, ... c'es t même probable! Il s vont dimanche
à la matinée dansante des Venasque, près de Montélimar; il y aura toutes les jeunes filles du pays. C'est
bien pour les montrer à M. de la Mothe-Ythier.
Sans transition :
- Vou s connaissez le comte et la comtesse de Venasque ? Un ménage délicieux 1 aimable 1 accuei)]ant 1. .•
Ils ont une installation superbe et reçoivent admirablement. On danse chez eux deux {ois par mois; je
VOli S ferai avoir des invitations.
Elle s'en va comme elle est venue: en bourrasque.
Me voici donc engagée dans la vie mondaine de la
province. Eh bien! au fond, c'est assez amusant 1
�SEULE
MON CŒUR
DA1~S
li,
III
Le lendemain, minuit.
Je vais, rompant mon vœu, mettre un nom dans cè
Carnet. Cela ne voudra pas dire que j'ai ressenti le
coup de foudre pour ce c très charmant garçon :., cousin des Géorand; et c'est tant mieux pour moi. Si
j'avais eu le projet de le charmer moi-même, il aurait
fallu prier MU" de Géorand de vouloir bien rester chez
ellc, car elle est tellement joliè, tellement plus jolie
que moi 1... J'eusse été obligée de dépenser des trésors
d'esprit pour retenlr l'attention de son cousin, encore
n'aurais-je pas réussi 1 Je n'ai pas essayé.
Aujourd'hui avait donc lieu cc thé-bridge par lequel
M'" de Pierregourde remerciait ses intimes des contributions en nature auxquelles tous doivent se soumettre.
Bien qu'ayant été priée de venir de bonne heure, c pour
avoir le temps de causer:., je m'y suis rendue le plus
tard possible, dans le but d'éviter cette causerie d nt
la précédente m'avait donné un avant-goût bien suffisant.
M'" de Pierregourde habite une vieille maison ':00temporaine du célèbre hôtel de Simiane dans une 110n
moins vieille rue où l'on peut, si l'on 'a beaucoup de
chance, VOlr, en un après-midi, rôder un chat et se
battre deux chiens. Mon pasg~
a fait accourir d()j
curieux sur leurs portes, les ritleaux de vitrage se '
soulevaient Je devais être la dixième personne pour
laquelle s'exécutait cc mouvement. Dix personnes dans
la rue J... 'frais autos arrêtées devant l'hôtel de Pierregourde 1 C'était presque aussi beau qu'une réception
de contrat 1. •.
�IR
SEULE D'ANS MON CŒUR
, D~
mon apparition, la maîtresse du logis s'est jetée
su r moi, abandonnant un vieux colonel à qui elle
demandait le chiffre de sa pension de retraite, dans le
but louable de la faire augmenter. Sur-le-champ,
l'attention générale s'est concentrée sur mon individu.
J'avais eu la politesse - ou la sottise - de revêtir
une robe très jolie, cadeau de ma tante Smith lorsqu'elle voulait me faire épouser Bernard d'Arcens. On
a dû croire cette élégance réservée au capitaine de la
Mothe-Ythier, car, d'un mouvement réflexe, tous les
regards se sont tournés vers lui, après s'être posés sur
moi. C'est tout juste si l'on ne souriait pas, de ce pefit
air entendu qui veut dire: «Mais très bicn !... Tous
nos compliments et meilleurs vœux 1... »
J'ai suivi l'exemple et, regardé le capitaine; il était
dilflcile de ne pas le faire: il se trouvait juste en face
de moi. Lui m'a regardée aussi. J'ai eu l'impression
bien nette qu'il ne se souciait pas du tout de savoir si
ma robe était pour lui. De ce fait, il m'a paru beaucoup plus intéressant.
Mil. de Pierregourc!e a bousculé sans pitié tous les
l\rOpe~,
afin d'expédier les préscntations. Il faut lui
rendre cette justice, elle ne s'éternise point en explications. Selon la coutume, je n'ai pas compris la moitié
des noms énumérés; cela m'est complètement égal.
Seuls, dans cellc assembl' e de pcrsonnes distngu~e,
mais pour la plupart contcmporaines de mon grandrmc1e, lcs Géorand m'intéressent.
Le mari st parfaitement habillé, très courtois; il
'110nlre quarante-buit ans. A part cela, je ne sauraIs
vraiment qu'en dire. De sa femme, je puis affirmer que
j'ai rarement vu créature plus séduisante. En la voyant
auprès de son cousin, qu i est très grand, j'ai eu l'impression d'être en face d'une reine Mab. C'est la grilce
même.
Ce qu'i l y a de plus attirant chez elle, c'est sa façon
simple et charmante de d ire les moindres choses, :!nlevant toute banalité à ce qui serait banal dans une autre
bouche.
'fout de suite elle m'a parlé de ceux cie mes tableaux
qu'ellc a vus à des expositions, ajoutant:
- Mil. de Pierregourdc a dû vous apprendre que
�SEULE DANS MON CŒUR
19
je mourais d'envie de vous voir. Elle a été assez aImable pour m'inviter en même temps que vou s.
Je n'ai pas eu le loisir de répondre. Mil. de Pierregourde s'est jetée au milieu:
-:- Ma chère Henriane (ah 1 c'est vrai, nbus sommes'
aillées par les Annangillers 1... ) vous causerez avec Elisabeth tout à l'heure; laissez-moi vous présenter le
capitaine de la Mothe-Ythier.
Pourquoi a-t-elle éprouvé le besoin de faire résonner ce nom comme une fanfare? Pour la seconde fois,
tous les yeux sont braqués sur nous. Une débutante
n'eût pas m.anqué de rougir. Moi, je rougis très rarement, et cette fois cela n'en valait pas la peine. J'ai
tendu la main en disant: ~ Je suis charmée de vous
connaître... :. d'un air plutôt distant. M. de la MotheYthier s'est incliné avec un sourire. Certainement il
lisait dans ma pensée que je ne me souciais pas du tout
de le connaître 1
Est-il charmant? Sa cousine me semble en être cori~
vaincue, et lui doit trouver les autres femmes quantité
négligeable auprès d'elle. C'est un très beau garçon,
grand, avec quelque chose d'extrêmement élégant dans
le port de tête et la toornure.
Je ne crois pas qu'il se soit beaucoup amusé chez
M Il. de Pierregourde. Du reste, celle-ci est assommante. Elle va et vif!nt dans son salon comme uné
guêpe bourdonnante et affairée, harcelant les uns ct les:
autres, et coupe les conversations particulières pour
expliquer avec' abondance pourquoi elle n'a pas « fait
signe:. aux «.Un Tel:p, comment les c Un autre Tel;p
ne «voient pas;p les X ... ou les Z ... , entremêlant ces
confidences de l'inévitable: «Ma chère je n'ai voulu
me mêler de rien 1:. dont on peut conl~re
qu'elle s'c~
mêlée, au contraire, d'une infinité de choses 1
Finalement elle est venue arracher M. de la MotheYthier à l'embrasure de fenêtre où sa cousine et moi
avions réussi à nous cacher pour causer un peu. Là
j'ai vu ce qu'un homme peut donner comme bonne
éducation. Je l'ai dit à Mme de Géorand. Elle 's 'est miSll
à rire:
- Oui, René est très bien élevé. Il est aussi trM
gentil: il a consenti à venir ce soir chez Mil. de Pier..
�20
SEULE DANS MON CŒUR
regourde parce que je lui ai confié que, sans cela, elle
me fcrait la tête. Elle a soif d'égards, je V'Ous en préfroissée. Mais
viens. L'absence de mon cousin l'~.urait
lui v::.' me dire en rentrant qu'il s'est ennuyé à mort
et vQ\ldra repartir.
POlir où?
- l'our ... je ne sais pa~
1 C'est un grand voyageur,
c: j mme tous les coloniaux. Il n'aime pas beaucoup
demeurer longtemps au même endroit. Du reste, il n'a
plus de parents, point de maison de famille, ... qu'est-ce
qui le retiendrait en France?
Ah 1 comme elle avait l'air songeur, disant cela !...
Tout de suite après, changeant de ton avec aisance,
clle a parlé d'autre chose. Je l'écoutais avec plaisir.
Elle a une tournure d'esprit gaie, piquante, mais plus
de profondeur que je ne l'avais tout d'abord supposé.
Je l'avais classée ainsi gratuitement, sur sa jolie figure
de blonde, SOI1 élégance, ses perles et son amabilité:
le type accompli de la fcmme du mondc désireuse de
plaire à tout ce qui l'approche, très superficielle, en
Somme Ull peu poupée. Je me suis trompée et l'avoue
tout ne suite. Je me demande par quel sortilège, fine,
cltiv~e,
raffinée comme elle l'est, cette charmante Elisabeth a pu s'éprendre de l'être moralement inféri IIf
qu'est son mari.
Les voir ensemble m'a laissé une impression cie
« noir:. et ~resqu
de colère. Voilà où j'aurais pu en
arriver si j avais accepté Arcens ou Montfait-Larive!
'e doit être agréable les premiers jours d'étourdissement passés, de s'aper evoir que l'on est liée à un
médiocre, d'être la chose d'un mon icur que l'on doit
prendre en haine, puisqu'on ne peut l'aimer 1
Cftrtainement M'''' de Géoraod n'aimc pas son mari.
Elle a pour le regarder, lui adresser la parole, cet air
d'indi fTérence polie de ma tante Christine avec mon
oncle' mais si Mm. Smith ne fail point à son époux
la grf:ce d'être am~)l\reus
de lui, ,du n~oilS
est-elle très
satishitc de la Vle luxueuse qu li lUI donne. La vile
de la belle Cadillac la console de toutes les peines. Je
serais bien surprise si Elisabeth de Géorand se consolait avèc une automobile ou des bijoux ...
Oh! el puis ce n'est pas mon affaire t M'analyser
�SEULE DANS MON CŒUR
21
moi-même, rien de mieux ni de plus légitime: il faut
apprendre à se connaître, ,c 'est la première règle de la
sagesse ; mais passer au crible les gestes et les pensées
des autres est inutile souvent, et toujours un peu indiscret.
Ma... presque cousine, par les Armangillers, a dû,
en s'en allant, dire de moi que si je sais peindre, je
sais moins bien causer. A la vérité, je prenais un plaisir particulier à l'écouter elle-même, à prévoir ce
qu'elle dirait. J'avai s le sentiment d'être son amie depuis toujours, et j'y joignais cette espèce de curiosité
intellectuelle qui nous pousse, si discrets fussiol1snous, à désirer savoir quelque chose de plus de la personne inconnue vers laquelle une force mystérieuse
nous attire.
Lorsque nous n01Js connaîtrons davantage, je lui
raconterai cela. Aujourd'hui, c'cût été prématuré. Gén éra~emn
t mon impression initiale est ineffaçable; on
me plaît dès la première minute, ou l'on me déplaît:
c'est définitif. Par nature je serais toute dc premier
mouvement; par raison, par volonté je n'y cède pas.
!J'attends toujours d'avoir revu ceux vers lesquels je
me sens poussée, avant de le leur témoigner, C'est la
con tre-épreuve. .
Cette fois, peut-être me serais-je dégelée plus vite,
mais le capitaine est revenu vers nous, Aussitôt Mm. de
Géorand, par souci d'amabilité, s'est mise à lui vanter
mon « superbe talent »( Il! ) en termes que j'eusse zo uhaités moins laudatifs, car ils m'eussent semblé plus
sincères. Faire trop de compliments, c'est comme si
l'on n'en faisait point du tout. J'ai eu l'impression bien
nette que M. de la Mothe-Ythier entendait parler pour
la première fois du peintre nommé Henriane de Puybrante. Il s'en est excusé avec infiniment d'aisance, en
exprimant le regret de n'avoir pas vu ces fleurs roses
que sa cousine vantait.
Tandis que la jeune femme dépensait ainsi à mon
profit des trésors de grâce, je regardais son cousin en
cherchânt à comprendre s'il me prenait pour ce que je
suis : une femme qui t.ravaille.
J'ai interrompu Mme de Géorand pour dire, aussi
gentiment qu'il m'a, été possible:
�22
SEULE DANS MON CŒUR
Je vous en prie, ne me rendez pas ridicule, et
laissez-moi demander à M. de la Mothe-Ythier si la
Syrie est une contrée intéressante.
- Alors, c'est moi qui vais l'être, ridicule, a répondu
le -capitaine avec un sourire. Les récits de voyage, cela
vous coule un homme 1
Il a un très joli son de voix, un peu bas, harmonieux, avec une toute petite pointe impérative qui
laisse deviner j'homme habitué au commandement absolu, des yeux volontaires et caressants, pas tout à fait
noirs, où l'on croirait voir une goutte d'or coulée au
fond des pupilles.
Mn.. de Géorand s'est mise à rire, un petit rire moqueur et taquin :
- Ses souvenirs de voyage ne sont pas racontables,
sans doute. Avec les coloniaux, il faut toujours se
méfier, vous savez 1
Une lueur gaie a passé dans les prunelles fauves du
capitaine:
- Ma cousine, je ne vous choisirai plus pour confidente 1... Voilà ce que vous faites de mes secrets 1
M'" de Pierregourde, survenue avec le tact qui la
caractérise, a saisi au vol le dernier mot.
- Qui a des secrets? dit-elle.
D'un même élan nous avons répondu :
- Personne 1
A cet instant, M. de Géorand quittait la table de
bridge. Il a voulu savoir de quoi l'on parlait. Il y a
des gens curieux 1
- Nous parlions de René, a répliqué sa femme avec
patience.
- Cependant, dit le maladroit, d'un air profond,
j'ai entendu: 4: Personne.» Il ne s'agit donc pas de
René.
Là, j'ai très bien vu un éclair, aussitôt éteint, dans
les yeux d'Elisabeth. Elle a eu un petit sourire bienveillant, ironique.... Je ne voudrais pas accorder le
même à mon man 1
M. de la Mothe-Ythier a regardé son cousin, mais
sans aucune sorte de bienveillance, lui 1... Puis ils sont
partis tous les trois.
En rentra;t chez moi, j'ai trouvé une lettre de ma
�SEULE DANS MON CŒUR
23
tante Christine, avec une apostille de mon oncle Olivier. On m'adjure d'accepter Bernard d'Arcens, qui
veut bien oublier le «non» reçu l'année dernière.
Ce garçon a de la suite dans les idées ... J'en ai aussi
dans les miennes. M'encombrer d'un mari? Qu'en ferais-je, Seigneur' J'ai choisi le célibat à vie comme
étant la seule carrière possible pour une fille presque
pauvre, bien décidée à ne pas se vendre au rabais. Je
n'accepterai ni Arcens ni personne.
« Personne ... » Tiens! c'est drôle!...
Je vais enfermer ce cahier au fond d'un tiroir. Cela
devient idiot 1...
�IV;
La silhouette mouvante d'Henriane se profila quel~
gues secondes encore sur le fond de lumière dorée.
Elle marchait, droite et légère, sur le chemin bordé
par les oliviers. Sa robe blanche tantôt brillait sous
le rayon de soleil à son déclin, tantôt enveloppait d'une
gaine bleutée, presque grise, son jeune corps ferme et
souple, parce que, à cet instant, un arbre étendait sur
'elle son ombre.
Mn" de Géorand et le capitaine de la Mothe-Ythier,
arrêtés contre la barrièrc du parc, regardaient ensemble la jeune fille s'éloigner. Bientôt la forme claire
ne fut' qu'une toute petite chose à l'horizon, puis une
ligne blanche, puis rien. Alors René tourna la .ête vers
sa cousine et la regarda comme s'il avait voulu établir une comparaison entre les deux femmes av c lesquelles il venait de passer la fin de l'après-midi. Henriane très grande, élancée, avec un port si fier qu'il la
faisait paraître hautaine; les yeux gris, brillants et
froid s, d'Henriane, ses mains longues aux gi51es volontaires et précis, des mains qui ne devaient pas
savoir caresser, mais dont l'étreinte était droite et
franche. A côté d'Henriane, Elisabeth, son teint de
fleur, sa bouche tcnclre et ses prunell s bleues si
douces. Tout était grâce et douceur dans la personne
d'Elisabeth, comme tout disait résolution, fermeté,
dans celle d'Henriane.
En somme, les deux types féminins les plus opposés,
avec la similitude donnée par l'éducation mondaine,
l'espèce de franc-maçonnerie de caste, de certains
gestes, de certaines attitudes. Les deux types attirant à
�SEULE DANS MON CŒUR
25
un degré presque égal. malgré. ou peut-être à cause
de leur dissemblance.
Ils se turent pendant que le jeune homme repoussait
la grille encore ouverte. pUÎô Elisabeth dit gaîment.
avec ce rire un peu moqueur corrigeant la coquetterie
de la phrase :
- Laquelle de nous deux est la plus jolie. René?
Il sourit. Ses yeux mordorés se posèrent sur sa:
cousine:
- Vous!
- Ah? .. J'en suis fâchée.
- Pourquoi?
- Parce que. si c'était vrai •... si c'était votre vI'aiè
pensée. il me semble que vous ne l'auriez pas dite 1. .. Sérieusement. René. comment trouvez-vous Henriane de
Puybrante? Remarquablement intelligente. n'est-ce pas?
Le capitaine réfléchit un instant; il prit dans sa boite
une cigarette. l'alluma. et. les mains encore relevées
pour protéger la petite flamme vacillante. répliqua par
ce seul mot:
- Raisonneuse 1
Devant la figure étonnée de sa cousine. il reprit:
- Je m·explique. M I·I• de Puybrante me fait l'effet
d'un cerveau. Pour moi. il existe deux catégories de
femmes : les cerveaux et les cœurs. Les premières raisonnent et les autrcs scntent. Je me figure que si l'on
donnait une consigne à cette belle Henriane. elle saurait la respecter. mais si on lui dis::.it : «Je vous
aime:.. elle vous démontrerait que J'amour est la plus
fâcheuse de toutes les inventions. C'est vrai, poursuivit-il. l'accent un peu changé, cette invention vous fait
connaître d'assez durs moments •... mais, à tout prendre,
n'en vaut-elle pas une autre?
Mm. de Géorand fixa encore l'extrémité du ' chemin,
où déjà l'on ne voyait plus la forme blanche.
- Vous la trouvez belle?
- Qui ça? interrogea René.
- Henriane, voyons! répliqua la jeu~c
femme avec
un peu d'impatience. Vous venez de dIre: «la belle
Henriane:.. Si ce n'est là une marque d'admiration ...
- Je ne sais même pas si elle est jolie, repartit
René sans s·émouvoir. «Belle) m'est venu aux lèvres
�26
SEULE DANS ·"'MON CŒUR
parce qu'elle a dans la taille quelque chose des Korai
de l'ancien Erectheioll, vous savez?
- Non, j'ignore, répondit Elisabeth dans un petit
soupir. Je n'ai pas eu le plaisir de traverser le monde
comme vous. Louis déteste les voyages ... Ainsi Henriane ressemble à une statue grecque, et vous osez
dire: «Je ne sais si elle est jolie»? Menreur!
- Je ne mens pas, e1it le jeune homme, avec un sourire qui fit briller ses e1ents blanches dans son visage
hàlé. Laissons la figure de côté. Elle a des Korai ce
buste épanoui sur des hanches si fines qu'elles semblent
enfermées e1ans une gaine j le corps, perdant ses
courbes, prend la forme trapézoïdale, qui est la plus
parfaite. Ce n'est pas une jolie femme au sens propre
du mot, pourtant elle ne doit passer inaperçue nulle
part. Avez-vous remarqué combien sa démarche, ses
gestes sont harmonieux? Ce n'est pas la souplesse
d'une sportive, le sport laisse parfois une fâcheuse
brusquerie de mouvements. Elle possède le sens de
l'eurythmie, c'est inné, on ne peut l'acquérir.
Mn" de Géoranel coupa, quelque peu railleuse:
- Mon cher, que elites-vous des jolies femmes,
puisque vous trouvez tant de louanges à faire Sur celles
que vous n'admirez pas?
h 1 un tas de choses 1 J'ai un vocabulaire très
riche. J'admirerais davantage MIl. de Puybrante si
clle était moins froide, si elle montrait un peu moins
cie virilité d'esprit. Les femmes ne comprennent donc
pas qu'il faut donner à l'homme le plaisir de protéger,
de se sentir le plus fort ? .. C'est justement ce qui le
rend faib le, conclut-t1 légèrement.
Les yeux clairs d'Elisabeth s'assombrirent. Elle était
déçue de l'entendre parler ainsi ct, sans bien savoir pourquoi, agacée. Elle répliqua, un reproche dans l'accent:
VOLIS en êtes encore à la femme-bibelot? De
votre part, René, cela m'étonne 1
- J'en suis, répondit le capitaine, ou plutôt je voudrais en être à une jeune fille un peu moins assoiffée
d'indépendance. Je dis: «Je voudrais en être », si un
jour je devais me marier. Je déteste (aire des personnalités, a/Jssi ne mettons pas Mil. de Fuybrante en
cause. Elle vous a dit devant moi que le mariage n'en-
�SEULE DANS MON CŒUR
27
trait pas dans ses projets d'avenir, parce que sa vie
actuelle lui plaît et que les hommes de son entourage
lui déplaisent. Ils sont, paraît-il, égoïstes, secs, froids
et calculateurs; en outre, ignorants comme autant de
carpes, cie belles brutes et pas autre chose. Je devrais
m'écrier, par esprit de corps: «Les pauvres diables!
les voilà drapés!» Au fond, je ne lui trouve pas tellement tort de penser ainsi; mais si, jadis, mes parents
n'avaient été assez vieux jeu pour m'enseigner la politesse, j'aurais pu lui retourner le compliment.
- Elle ne l'a pas dit pour vous 1
- Espérons-le. Quoi qu'il en soit de son opinion sur
moi, je ne pouvais lui dire que j'ai rencontré une
quantité de jeunes filles sans avoir jamais souhaité
faire de l'une d'elles ma femme, et pour les raisons
qu'elle-même a de ne point vouloir de mari 1
- Vous ne la trouvez pas sympathique?
- Si, mais je la Illettais, si je peux dire, en dehors
de sa personne, en la prenant simplement comme type.
Elle est ce qu'on pourrait appeler une vierge forte ou
une vierge sage 1... Seulement l'homme auquel un jour,
peut-être, elle fera la grâce d'accorder sa très jolie
main et ses vertus solides, sera-t-il tout à fait heul'eux? C'est un rare trésor qu'une f mme honnête, j'ai
trop vu le monde pour ne pas le savoir. Je tiens essentiellem nt à ne pas être trompé par une hypothc\tique
Mm. de la Mothe-Ythier, mais je voudrais bien, en
sus de la fidélité à des principes de morale, que votre
future cousine inconnue m'aimât un peu!
- Je crois qu'elle vous aimera beaucoup, dit Elisabeth simplement.
Ils remontèrent l'allée jalonnée par une double rangée d'érables aux troncs puissants. Des feuilles rousses
jonchaient le sol, formant comme un tapis de velours
fauve SUI' la terre violette d'ombre. Au travers des
branches on apercevait le château: une grande façade
rectiligne flanquée de deux ailes en retour, encadrant
une pelouse et des massifs bien peignés, des dahlias,
des cannas ces fleurs bêtes parce qu'elles ne sentent
rien, mais 'décoratives, qui montrent tout de suite aux
visiteurs les talents du jardinier. Pour cela, pour tout
ce Qu'elles représentaient de soins et d'argent, M. de
�::1
SEULE DANS MON CŒUR
Céorand les aimait. Lorsqu'il entendait sa femme dire:
ç Ce ne sont pas des fleurs vivantes 1 ~
il avait un
mouvement d'épaules indulgent. A part soi, il était mécontent. Elisabeth avait en tout des idées impossible !
Il était encore très amoureux de sa femme, sans lui
être toujours fidèle, d'ailleurs. Sa beauté le remplissait
,l'orgueil, et parce qu'il était d'abord assez fat, ensuite
assuré d'avoir la plus sage des épouses, il ne lui déplaisait point - au contraire - de voir Elisabeth entourée d'admirateurs.
Il avait fait un mariage de passion, inspiré par la
vanité de sa mère. Les Géorand étaient de g rande et
ancienne maison, mais son j,ère s'était vu ~o ntrai,
pour redresser sa situation financière, d'épou ser une
parvenue. Mm. de Géorhncl, étant de très petite nais:;lnce, se montrait plus orgueilleu se Cjue toute sa bellefami lle réunie. Elle avait ru sé dix années durant pour
fai'·e de Mil. d'Armangill ers la femme de son fil s,
jetant son dévolu sur Eli sabeth non parce Cjue la jeune
fille était l'une des plus jolies, des plus riches et des
mieux nées de la province, mais parce que, autrefois,
les Armangillers la regardaient, el1e, de très haut. Il
fallait donc l'héritière d'Armangillcrs pour Louis, et
pas l:lI-: autre.
l ~ol
l; s de Géorand, fils soumis ct nature très inflammable, s'était épr i d'Elisabeth d'Armangillers au command, ment. Sans être doué d'un esprit observateur
bien remarquable, n'importe quel individu sensé et raisonnabl e aurait pu voir que les illusions de la jeune
femml! avaient disparu depuis longtemps, ct les renouveaux de tendresse d'un mari assez capricieux lui
"taient Ilettemen t désagréables .
... Elisabeth et René regagnaient sans hâte le château. 11 était six heures, déjà l'ombre s'étendait sur
le parc, il n'y avait plus qu'tm tout petit carré de
clarté rose au sommet de la montagne dont le bas devenait obscur et mystérieux, Bientôt le ciel deviendrait
bIc,!.! v!olasé: .
rouge et les sommets d'~l
Il faisait presque fro id; c etait dehcleux, cette fraicheur d<1 début de l'automne, puisque la perspective de
belles journées restait encore.
Elisabeth resserra sur sa robe mauve très légère le
�SEULE DANS MON CŒUR
29
grand châle de crêpe blanc alourdi par une broderie
épaisse en chenille de soie; les franges s'envolaient
souS le vent brusquement levé, frôlant la manche du
capitaine, et les cheveux blonds frémissaient aussi
contre le bras de René.
-' Vous avez lroid? dit-il avec une sollicitude affectueuse: Il faut rentrer.
- Non! J'aime sentir le vent: cela ranime. Il fait
si bon, ce soir 1... Je voudrais profiter de tous les instants de cette saison, les savourer goutte à go utte
avant l'hiver ... C'est affreux, l'hiver, triste et noir!
Le jeune homme parut surpris:
- Comment pouvez-vous dire cela? Vous passez les
mois sombres à Nice. Cela n'a rien de triste ni de noir 1
Elle ne répondit rien. Il reprit très doucement:
- Si j'étais sûr d'être votre ami, Elisabeth, je vous
demanderais qui vous rend Nice triste et noir, ... mais
vou s me jugeriez ind iscret.
Un sourire forcé creusa la bouche de la jeune
femme:
- Non, pas indiscret: amical. Mais je ne saurais
pas très bien comment répondre. Sait-on exactement
pourquoi le noir est noir 7... Louis assure que toutes
mes idées sont incompréhensibles ... - Elle rit, s'effo rçant de paraître gaie. - Il me trouve une âme compliquée ..
- La sienne est tellement simple 1 dit René, un peu
dédaigneux. Si vous lui disiez : CI: Je pleurerai jusq u'à
ce que vous m'ayez donné un second rang de perles >,
il s'expliquecait cet état d'esprit.
l'ar scrupule, il ajouta très vite:
- Et pourtant c'est un excellent garçon.
ça! interjeta Elisabeth.
- Ne dites pa~
- Pourquoi?
- Parce que - vous avez bien dü le remarqller on dit toujours d'une femme bête : 4' C' st une
sainte!» Alors, « excellent garçon >, à me ):eux .. "
- Oh! pardon! fit René, Je n'avais pas l'IntentIOn
de dire du mal de Louis, vous savez. Il a été vraiment
gentil de Ill'engager à passer ma permission ici. Grâce
à vous, j'ai l'impression du home,
Un nou veau silence,
�3<l
SEULE DANS MON CŒUR
- Vous devriez vous marier, René, dit Elisabetli.
- Que vous ai-je fait, ma cousine?
Il parlait sur un ton de plaisanterie, en se penchant
amicalement vers elle. D'un imperceptible mouvement,
elle s'écarta.
- C'est très ennuyeux de ne pouvoir causer d'une
façon raisonnable avec vous, reprit la jeune femme,
sérieuse. Vous prenez plaisir à vous montrer tel que
vous n'êtes pas 1
- Qu'est-ce que je suis, ma chère amie? interrogeat-il, souriant. Un garçon détestable, sans doute? Dites
ce que vous pensez de moi, cela m'amusera beaucoup.
- Vous êtes un garçon, non pas détestable, mais
sentimental à l'excès.
- :Moi? ...
- Oui, vous; et vous faites si bien que les jeunes
filles doivent vous croire tout le contraire 1... Allons,
a\'ouez que je vois juste. Avouez-le 1 Qu'est-ce que ça
peut vous faire de me le révéler à moi, la femme de
volre cousin, votre amie? Je ne compte pas.
Cette fois le jeune homme cessa de sourire et répondit pensivement:
- C'est vrai, je suis assez fOll pour être sentimental,
et c'est là une tournure d'esprit bien fâcheuse de nos
jours. La grande passion, l'amour, si l'on veut savoir ce
que cela signifie, à présent, il faut ouvrir le dictionnaire.
Mn" de Géorand tourna la tête, ses yeux devinrent
moqueurs:
- Oh 1 René, ... non 1 pas avec moi 1 Vous n'espérez
tout de même pas me faire croire que vous n'avez
jamais rencontré de... partenaires capables de vous
rendre vos politesses?
- Vous vous trompez du tout au tout, dit-il avec
impatience. Je n'ai jamais cherché à me faire passer
pour un saint, mais vous pouvez me croire si je vous
l'affirme : je n'ai jamais rencontré l'amour au sens, si
je puis dire, spirituel du mot. La passion bJutale est
une chose' l'amour de sentiment, l'amour-tendresse, une
autre; et' eomme je tiens aussi à cel1e-là ... Pourquoi
me regardez-vous ainsi? Vous me trouvez ridicule?
- Oh! non 1 dit Elisabeth, presque bas.
- Pour cette raison, continua René, du même ton,
�SEULE DANS MON CŒUR
31
à trente-quatre ans je ne suis pas marié, malgré l'horreur que j'ai de la solitude dans ces campements de
fortune qui sont mon home. Vous comprenez ceci
vous, n'est-ce pas? Eh bien! je vous certifie qu'n~
jeune fille, aujourd'hui, jugerait mes idées périmées!
- Avouez que tout ccci est pour Henriane de Puybrante. Il vous a déplu de la voir indépendante, heureuse de l'être, et vous avez été choqué, ajouta-t-elle
en souriant de lui entendre dire qu'elle a lu Proust.
- Non, j'ai même trouvé cela très bien. Elle l'a lu
et compris donc elle est intelligente. Elle a dit aussi:
« J'en ai I~ seulement la moitié, car je juge le reste trop
raide pour moi.» Cela m'a plu infiniment. Je déteste la
fallsse pruderie, mais j'ai l'horreur des garçonnes.
- Vous voyez donc, dit Elisabeth avec gaîté, que
VOliS n'avez nul besoin d'aJ1er au bout du monde cherde vous.
cher la perfection féminine. Elle est là, pr~s
- Tout près de moi, en effet, dit-il, souriant; mais
el1e appal·tient à mon cousin.
Une ombre passa dans les yeux d'Elisabeth:
- René, ne mettez pas le flirt sur notre amitié.
- Vous savez bien quc je ne flirte pas, dit-il simplcmcnt, sans la regarder.
- Qu'est-ce que vous racontez la, vous deux? prononça dcrrière eux la voix profonde, aux inflexions
cultivées, de M. de Oéorand.
Il s'avançait, la figure épanouic, cordiale. Il vcnait
de voir ses poulains dans le paddock, sa nouvelle auto
de tourisme au garage. Il était satisfait dc son sort
el répéta, car c'était chcz lui une manie de savoir ce
que l'on venait de dire:
- Qu'est-ce que tu racontcs à ta cousine, René? ..
Pas ùu mal de moi, hein?
:- Tu étais bien loin de ma pensée, répliqua le capitall1e avec nonchalance.
M. de Géorand ril d'un air affable:
- Gentil, ça 1. .. Voilà bicnla fam iJ1e!
Elisabeth regarda d'un autre côté, puis laissa tombcr
du bout des lèvres:
- Il me disait qu'il attend pour se marier de voir
une fcmme semblable à moi. Si c'était vrai, ce serait
très aimable. Vous n'êtes pas flatté?
�32
SEULE DANS MON
cœUR
La cordialité de M. de Géorand s'accentua. Son visage eut une expression de véritable magnificence. Il
n'avait pas beaucoup d'idées personnelles, son bonheur
lui paraissait d'autant plus grand et enviable que
d'autres le trouvaient enviable et grand.
- Certa inement si, ma chère 1 - Il passait son bras
sous celui de sa femme. - Oh! vous êtes transie, vous
frissonnez! C'est par trop imprudent de porter des
robes pareilles en cette saison 1 Autant s'habiller de
toiles d'araignées! Il faut rentrer tout de suite... Et,
dites-moi, vous avez eu la visite de la belle Henriane ? ..
Je ne sais pourquoi je l'appelle ainsi: elle n'est pas
jolie! D'ailleurs, j'aime les blondes.. . - Il attendit un
remerciement qui ne vint pas. - Pas jolie du tout,
votre nouvelle amie 1 Seulement, elle a un type. Le tout
est d'avoir un type.
- René l'appelle aussi la belle Henriane, d it Elisabeth.
M. de Géorand parut surpris et médiocrement
charmé de l'apprendre:
- Ah 1 tiens? elle lui plaît? Cela ne m'étonne pas,
il doit apprécier ce genre de f emme savante. Moi, elle
m'embêterait à mort 1 J e n'écris pas des bouquins
comme René, il est vrai. Une conversation littéraire,
je l'admets, ... à condition Clue cc soi l bref. Mais je
n'empêche pas les autres de penser différemment. c: Il
ne faut pas être fossile, comme dit mon neveu Hubert 1:. conclut-il, citant J'axiome cher à Mil. de Pierregourde, dont le petit cercle fa isait une manière de
prover\le.
Tl gardait toujours le bras d'Elisabeth serré sous
le sicn et, se tournan.t vers 5011 jeune cousin, dit, très
aimable:
- Tu restes dehors, René? A tout à l'heure. Nous
te lai ssons rêver aux yeux gris de la belle HenrianeJ
E li sabeth sourit avec effort. EUe avait l'air découragé résigné, affreusement las ...
R~n
é suivit de l'œil un moment la forme un peu
massive de Louis qui s'éloignait. Il se surprit à proférer lout haut:
- Quel imbécile 1...
�•
SEULE DANS MON CŒUR
33
La nille, M. de Géorand avait dit à sa femme:
- Vous me feriez plaisir, Elisabeth, en décidant
René à venir avec nous chez Mm. de Venasque. Châteaubran m'a laissé comprendre qu'il serait enchanté
de lui donner sa fiUe. E1\e est jolie, bien élevée, suffisamment riche ... René commence à être las de la vie de
garçon ... Insistez donc pour qu'il nous accompagne dimanche.
... Elisabeth, à cet instant où ell\! regardait danser
les jeunes invitées de la comtesse de Venasque, se
remémorait les paroles de Louis, son air important,
bon et content de soi, jusqu'à ses intonations lorsqu'il
lui révélait son projet de faire épouser Mil. de Châteaubran à René.
Une brève contraction plissa ses lèvres. Cette petite
pour René! Mais c'était absurde! Il fallait être Louis
pour avoir des trouvailles pareiUes 1
La jeune femme sentit qu'elle rougissait de contrariété. Par un effort violent elle se calma tout d'un .
coup, et comme Mil. de Châteaubran serrée ë'ontre le
cœur indifférent du capitaine de la Mothe-Ythier, lui
souriait en passant, elle répondit par un petit signe de
tête gracieux, très aimable.
A ses côtés, Mm. de Châteaubran suivait des yeux
sa fille abandonnée dans les bras du capitaine; elle
paraissait considérer ce spectacle comme vraiment touchant. Tout autour du hall, une trentaine d'autres
mères contemplaient aussi d'un air orgueilleux leurs
filles souriantes et bien ondulées, évoluant de même
avec des jeunes hommes.
�34
SEULE DANS MON CŒUR
•
Deux fois par mois, te comte et la comtesse de
Venasque donnaient un thé dansant.
Ce dimanche, il y avait beaucoup de monde. C'était
un «quatre à huit:l> en cérémonie. Une quarantaine
de couples dansaient dans le hall, au milieu de meubles
de musée, sous l'œil bienveillant des vieilles dames.
Une prodigieuse quantité de colonels en retraite et
deux ou trois généraux bridgeaient dans le fumoir.
Il y avait aussi quelques petits groupes égarés dans le
parc - des groupes de deux, naturellement - et
d'autres encore qui flirtaient avec prudence dans
l'ombre de vieux bahuts.
C'était gai, animé, cependant pas du tout lâché, très
select. :Exception faite pour quelques rares parvenus
peut-être à la prière
glissés là on ne sait com~nt,
de parents désireux de voir leurs fils se renflouer par
des mariages riches, l'ensemble était infiniment distingué.
Mm. de Châteaubran, après avoir promené son faceà-main sur l'assistance, dit à Elisabeth que le capitaine
de la Mothe-Ythier était un charmant jeune homme.
Elisabeth sourit d'un air distrait, comme si elle pensait à autre chose. Cette matinée lui rappelait l'époque
où des amis obligeants l'invitaient en même temps
de Géorand. Des années avaient passé;
que ~ouis
c'était toujours pareil, toujours les. mêmes petites intrigues et dans le même but.
Autour d'clle, deux mariées de l'année, visiblement
ravies de lcur nouvel état, parIaicnt dcs réceptions
projetées pour l'automne; la saison mondaine était
dans sa période ascendantc; bientôt ce serait fini, on
se disperserait: il fallait en profiter. La jeunesse en
profitait si bien qu'elle mettait les bouchées doubles.
Elisabeth devina que M"" de Château bran évaluait
mentalement le nombre d'occasions qu'aurait sa fille
de retrouver le capitaine de la Mothe-Ythier. Elle
éprouvait, avec un peu d'agacement, une sorte de pitié
pour ces jolies jeunes filles qui vont au bal pour retrouver quelqu'un et sont déjà conquises parce qu'un
beau garçon indifférent leur passe son bras autour de
la taille, tandis que le jazz joue l'air à la mode.
L'orchestre se tut. Mil' de Château bran alla re-
�SEULE DAij"S MON CŒUR
35
joindre un groupe d'amies. Elle était rose comme sa
robe et encore tout émue. En même temps, une pensée
lancinante gâtait sa joie: 4: M. de la Mothe-Ythier
va-t-il inviter Marcelle Germain-Laurent, qui a son
au to à elle et trois millions de dot? :.
M. de la Mothe-Ythier, sans un regard pour la
petite bande, se dirigea vers sa cousine. Les nouvelles
mariées s'éloignèrent presque aussitôt; Mm. de Châteaubran s'était précipitée vers sa fille, pour savoir ce
que le capitaine lui avait dit.
- Si vous pouviez vous voir dans une glace, René,
vous apercevriez l'image du monsieur très bien élevé
qui vient de remplir un pénible devoir et se dit:
«Voici la corvée faite 1 ~
Il se mit à rire :
- Juste ça 1. .. C'est assommant de faire danser une
gosse! Louis m'a positivement collé MIl. de Châteaubran dans les bras. Je ne l'avais vue qu'assise; quand
clle s'est levée, j'ai ressenti une minute de désespoir.
Elle est petite 1!! Je croyais tenir une poupée. Ce
devait être d'un ridicule achevé. Elle s'en est sûrement rendu compte, d'ailleurs, car je n'ai pu en tirer
trois phrases.
- Elle était sans doute très intimidée, remarqua
Elisabeth.
Elle fit une pause.
- Vous avez produit sur sa mère une impression ...
très vive, et sur Ioe père aussi.
Le jeune homme riposta gaîment:
- Ah 1 sur le père aussi ? .. Vous me rassurez , Je
commençais à me demander si Mml de Château bran
souhaitait être infidèle à M. de Châteaubran. Ça m'aurait effrayé, vous savez !
Elisabeth ne put s'empêcher de rire:
- René 1 tâchez donc d'être plus sérieux 1
- Mais je le suis, puisque je vous affirme qu~
M. de Châteaubran n'a rien à craindre de ma part. SI
sa fille est une ravissante créature, sa femme est un
respectable morceau 1 Vous devriez lui conseiller une
saison à Carlsbad. Elle a sagement fait de renoncer
à la danse: il y aurait eu un de ces déplacements
d'air 1. ..
�SEULE DANS MON CŒUR
Il ne s'agit pas d'elle, coupa Elisabeth. Vol.ls
faites exprès d'être agaçant. Simone est... René 1 cessez de me regarder ainsi. Vous êtes par trop moqueur,
c'est insupportable!
Il se remit debout. ses prunelles caressantes lui aient
au travers des cils :
- Je m'en vais. puisque vous ne pouvez plus me
supporter.
- Non, restez 1 Je vous supporterai tout de même.
Sérieusement, comment trouvez-vous Simone?
- Je la trouve petite 1
- Oui •... mais en dehors de cela?
- En dehors de cela. rien. Vous ne pensez pas, je
suppose, que je regarde cctte jolie gosse comme une
femme ... - Il s'interrompit brusquement. - N'e t-ce
pas Mil. de Puybrante qui vient d'entrer?
Où ça? interrogea Elisabeth, clignant légèrement
des paupières. car elle était un peu myope.
- Contre la porte de la salle à manger. Une brune,
mince et grande, en robe rouge ... Vous ne voyez pas?
Robert clu Queylarcl lui parle ...
- Oui. c'cst Hcnriane, dit sa cousine. Le rou ge lui
va merveilleusement 1
- Très bien. fit Rcné. laconique. Voulez-vous danser. Elisabeth?
Mill. de Géorand faillit répondre: «Il faut laisser
cela aux jeunes filles.» Elle hésita une seconde, pui
se leva en disant :
- Je veux bien.
Elle articula ccs mots très doucement. .. Son regard,
en se posant sur René. était aussi infiniment doux, avec
un peu de tristesse.
L'orchestre jouait une de ces valses en mineur langoureuses. redevenues en faveur par un caprice de la
mode.
René éprouvait du plaisir à bostonner avec une
excellente partenaire. Il tenait Elisabeth étroitement
appuyée contre lui, resserrant inconsciemment son
~trein;
elle savourait cette minute de jo.ie en silence.
Un moment eHe rcleva les yeux sur lUI, et tout de
suite abaissa lcs paupières: René ne cherchait pas son
regard. il fixait un point beaucoup plus loin, par-dessus
�SEULE DANS MON CŒUR
37
1
la foule; puis, à l'instant où Renriane de Puybrante
et M. du Qucylard, les ayant presque frôlés, s'éloign'aient, il dit, révélant sa pensée secrète:
- Elle parait très froide, mais ce doit être une
femme intéressante.
Elisabeth parvint à faire une petite moue délicieu se
qui était un de ses grands charmes:
- Voilà le critéril!m pour vous autres hommes 1...
Quand vous dites d'une femme: « Elle doit être intéressante ~ cela dépasse le prix de beauté 1 Je demans'il m'a jamais trouvée intéressante.
derai à L~uis
Elle détachait ce mot en avançant les lèvres. René
ne devinait pas qu'elle avait envie de pleurer. Il pensait seulement:
« Louis est le dernier des imbéciles. Il est capable
de lui répondre « non », et pourtant... »
Affectueusement, avec une sorte de tendre compassion pour cette jeune femme si peu heureuse, il répliqua:
- Louis est plus âgé que moi; au temps de vos
fiançailles, ce terme n'était pas encore à la mode. Il ne
sama peut-être pas ce que vous voulez dire.
Elisabeth le regarda. Elle sourit :
- Vous êtes très gentil, René.
On les admirait, car il s formaient un beau couple,
bien qu'il fût un peu trop grand pour elle. Ils étaient
tous deux très élégants, très racés; lui était la force,
elle la grâce. Il était obligé de s'incliner pour lui parler, elle, de renverser légèrement la tête; il respirait
le parfum des cheveux blonds (rémissant sous son
souille; il voyait battre les cils sur les joues d'un rose
délicat de porcelaine; il voyait au ssi le réseau de veines
bleues sur la gorge nacrée, à travers l'échancrure du
corsage ...
- Arrêtons-nous, dit Elisabeth.
En obéissant, René songea:
« Et c'est la femme de Louis !... Vraiment, elle n'a
pas eu de chance! ~
Elisabeth vint s'asseoir dans le petit salon déserté
d~s
mères; presque aussitôt M'" de P.ier~?u:d
survmt, ce qui eut pour résultat de faire s elOlgner le
capitaine de la Mothe-Ythier.
�38
SEULE DANS MON CŒUR
Mil. de Pi~regoud
sortait du buffet, car le bridge
ne l'intéressait pas et - comme elle croyait devoir }t
dire, bien que chacun en fût persuadé - la dans!
n'était plus de 'son àge. A soixante ans passés, ayant
toujours bon pied, bOIl œil et langue meilleure encore. "1
elle voulait être de tout; par malheur, les maîtresses
de maison oubliaient quelquefois de l'inscrire sur leurS
listes. L'arrivée à Valréas d'Henriane de Puybrantt j
la transportait d'aise, car il lui paraissait de son devoir
strict de présenter, puis d'escorter partout la nièce de 1
l'amiral, en se prétendant sa parente. Demander une 1
invitation pour Mil. de Puybrante à Mmo de Venasque (
rappelait à celle-ci l'obligation de la convier aussi, elle,
Marie de Pierregourde.
- Bonsoir, ma chère, dit le chaperon d'Henriane,
de l'air alTable et satisfait d'une femme contente de
sa toilette et du goûter qu'elle vient de faire. Vous
deviez vous demander si nous avions capoté dans un
fossé? Il est horriblement tard 1. .. Avez-vous vu Henriane? ElIe est bien, n'est-ce pas? Sa robe est de Lanvin. Entre nous, c'est un cadeau de sa tante Smith, qui
est fort riche; cette petite n'a pas les moyens, même
en vendant ses tableaux, de se faire habilIer chez Lanvin 1. .. Moi, j'ai mis mon «Grand Harnois >. VOU!; reconnaissez la toilette du mariage d'Hubert? Elle s'abî~
mait dans son carton, c'était une bonne occasion de .Ia
ressortir. Mais, à la dernière minute, j'ai vu que le
chantilly de ma mère avait reçu un coup d'éperon. J'ai
dit à Mélanie: 4: Cousez vite su r moi le chantilly de
ma grand'tante! > Il y en a six mètres vingt, cela me
grossit un peu. Mélanie me disait: « Jamais je ne
pourrai entortiller tout ça sur Mademoiselle 1. .. Mademoi selle aura l'air d'une cloche! > Elle voulait couper, croiriez-vous 1 J'ai répondu: «Arrangez les six
mètres vingt sur moi comme vous pourrez 1 Je veux
le ' remettre intacts à la fille de M. Hubert. > Il n'en
a pas encore, naturellement : il est marié depui s six
mois ... Réellement, ai-je l'air d'une cloche? Vous me
regardez avec tant de persistance 1... Et dites-moi,
poursuivit M'lO de Pierregourde, prenant soudain un
ai)" un peu verjus, vous mariez votre cousin avec
Simone de Châteaubran ? ..
�SEULE DANS MON CŒUR
39
- Il suffit de voir un jeune homme et une jeune fille
ensemble, c'est déjà la publication des bans? répliqua
t Elisabeth, froidement ironique.
1
_
Oh! ma chère je répète le bruit qui court. Si
1c'est inexact, je vdus en félicite. M. de la MotheYthier peut trouver mieux.
Ses petits yeux perçants paraissaient fouiller la jeune
femme jusqu'au fond de l'âme. Elisabeth répondit, toujours froide:
- Il n'y a pas lieu de me féliciter. Je ne me m'le
nullement des alTaires sentimentales de mon cousin. Du
reste - elle détachait les mots - il est toujours délicat et souvent très imprudent de s'immiscer dans ces
1 sortes de questions.
- Vous avez mille fois raison 1 s'écria Mlle de Pier, regourde, agitant son grand nez pointu. Je pense entièrement comme vous et ne me mêle de rien. Si par
h~sa:d
je, disa~
un mot, je n'aurais pas la so ttise
d attirer 1attention de M. de la Mothe-Ythier sur la
petite Châteaubran 1... Mon neveu Hubert me disait
l'année dernière encore: « On me l'ofIrirait sur un
plat ?'or, je n'en voudrais pas 1... »
Eltsabeth retint un sourire. Le neveu Hubert avait
prié M. de Géorancl de savoir si M. de Chflteaubran
l'~cPterai
pour gendre. Sur la réponse négative, il
s'etait résigné à prendre femme dans un milieu beaucoup moins brillant.
Mil. de Pierregourde dl1t se remémorer ce détail,
car elle rougit ct partit bride abattue sur les parents
de la jeune Simone:
- Ces Châteaubran, dit-elle, sont des gens haïssables po,eurs, snobs 1 Leur fortune est en outre bien
surfai'te. lis avaient enjôlé Hubert; si je n'avais vu
leur manège, c'était un garçon pris et marié avant
d'avoir eu le temps de sou mer 1... C'est pourquoi je
vous engage à ne pas leur laisser la facilité de circonvenir votre cousin.
- Cela ne me regarde pas, dit Elisabeth simplcmcnt.
Mil. de Pierregourde crut les fiançailles imminentes.
EHe prit peur ct chercha ment<l;,lement qui l'on pourrait opposer à Simone de Chateau bran. D'un coup
d' œil elle évalua et jaugea les jeunes filles présent 's.
r
�40
SEULE DANS MON CŒUR
Beaucoup étaient jolies; aucune. pourtant. ne lui parU
susceptible d'enlever le cœur du capitaine. Elle con
cl u t après examen :
- Voyez-vous. ma chère. ce qu'il faudrait à M. dl
la Mothe-Ythier. c'est une femme comme vous !... Pal
malheur. vous n'êtes pas veuve.
Sur cette réflexion. flatteuse pour M . de Géorand
elle quitta la place.
M. de Géorand venait précisément voir si sa femm t
était disposée au départ. Il avait gagné sa partie. i:
était content et un peu congestionné. Elisabeth. écou'
tant son mari. l'étudiait froidement. comme s'il eÎtt éti
pour elle un étranger. Devant ce bel homme légère'
ment alourdi par la quarantaine. mais encore joli gar'
çon. elle songeait:
Cl: Il est presque vulgaire. C'est bizarre: nous sommeS
mariés depuis dix ans. il me semble le voir pour la
première fois. ~
. Elle ne définissait pas encore très bien la raison qui
lui faisait brusquement ouvrir les yeux. Pourquoi dis'
tinguait-elle mieux. à présent. les imperfections de
Louis. ses travers? Rien n'avait changé en lui. Physiq1lement il était bien. moralement il valait peut-être
mieux que beaucoup d·autres. Il n'était pas méchant
et même. dans certains cas. il savait montrer de 13
bonté. Il manquait aux règles de la fidélité conjugale,
mais non à celles de la courtoisie. S'il trompait s3
femme. il croyait de bonne Loi qu'elle l'ignorait.
Sereine d·apparence. en son âme désolée. Elisabeth
se répétait désespérément :
« Mais il n'y a rien .... rien de plus 1 Je suis absurde 1
Je suis Lolle !... Est-cc que je vais me mettre à détester
Louis? ... ~
Rien de plus. au sens propre du mot. évidemment;
mais il y avàit, néanmoins. tout pour faire effondrer
le semblant de bonheur dont elle se contentait jusqu'à
ce jour: un point l1e comparaison. un homme différent
de ceux qu'elle avait toujours vus: René.
M. de Géorand. à cent lieues de soupçonner le drame
muet. continuait à faire la roue devant sa femme. Il
était fier de la voir merveilleusement jolie, ce soir;
mais. pour ne pas écraser les autres. il prenait un air
�SEULE DANS MON CŒUR
41
tout simple, bon garçon, qui s'accommodait assez mal
avec sa superbe naturelle. Ce modèle des époux arrangea soigneus;ment l'é,ch~rpe
de renard blanc qui glissait sur les epaules d ElIsabeth - avec cela, si elle ne
se trouv~i
pas heureuse! - et lui dit une seconde fois
qu'elle devait être fatiguée, qu'il étai t à ses ordres si
elle voulait partir.
- 1\ faut attendre René, répondit Elisabeth.
- Où est-il, René? questionna le mari.
- Il danse avec Renriane de Puybrante.
M. de Géorand assura son monocle en grimaçant
comme un damné - encore une chose qui agaçait
Elisabeth, ce monocle et cette grimace! - Il se détourna, cherchant des yeux son cousin et Henriane.
- Mais, dit-il avec une surprise contenue, savezvous qu'elle est presque jolie! Je l'avais vue moins
bien que ça, la première fois. Ils Iont un couple superbe... Ma chère, c'est ennuyeux : Châteaubran va
croire que je lui manque de parole.
- Je ne comprends pas? dit Elisabeth, relevant les
sourcils d'un mouvement étonné.
Elle comprenait si bien qu'elle devenait toute pâle.
- Voyon s, MilO de Puybrante est très supérieure à
Simone de Château bran ! René ne voudra plus entendre
parler des Cllftteaubran... Comme c'est désagréable!
Voilà encore un tour de cette odieuse Marie de Pierregourdel Elle a sûrement fait inviter exprès ~l'"
de
Puybranle par Mm. de Venasque. Toujours sa manie
de fiancer les gens, au lieu de les laisser tranquilles!
Il était vexé. Sa bonhomie et son urbanité Iaisaient
place à la colère. La voix enrouée de fureur contenue,
il exhala:
- Quelle tuile! Château bran sera déçu, et j'ai besoin
de son appui pour mon élection sénatoriale, puisque je
me porte candidat, sur l'avis de tous nos amis... C'est
([u'elle est très bien, Henriane de Puybrante 1. .. Et puis
artiste un nom déjà connu i maintenant, c'est à la
mode 'les femmes qui ont une «personnalité). Ah 1
c'est' intelligent de donner des matinées dansantes 1
C'est moral 1 - Il se montait. - Regardez-moi ça 1
toutes ces malheut:.cuses petites qui croient que c'est
arrivé 1. .. Et leurs mères sont là, émues, prêtes à bénir.
�42
SEULE DANS MON CŒUR
Elles les jettent dans les bras de cette bande de garçons!... Flirt-partie sur toute la ligne! Dites ce que
vous voudrez. c'est immoral!
- ~ e ne dis rien, fit Elisabeth. très calme.
- Oui? Eh bien! ma chère, moi. je dis que cela me
coûtera des voix aux élections 1 Châteauhran pouvait
m'asiurer tout son canton ... Il ne sera pas disposé à
me faire cette politesse si sa fille s'entiche de René en
pure perte.
- Ce n'est ni vous ni moi qui pouvons marier René.
rétorqua la jeune femme, s'efforçant de parler avec
indi fT érence.
- Si, ma chère amie, vous le pourriez si vous le
vouliez. René a la plus grande confiance en votre jugement. Démontrez-lui qu'il me rendrait service .... je veux
dire qu'il ferait là un excellent mariage: une jeune
fille élevée de façon à devenir une femme... raisonnable. des beaux-parents pas ennuyeux. Insistez là-des~us.
Souvent les beaux-parents se mêlent de questions...
qui ne les regardent vraiment pas 1 Ceux-ci lui lais,eraienl la paix. et mon élection serait assurée. Vous le
ferez, n'est-ce pas?
- Non, dil Elisabeth.
- Quoi?
lIenriane cl René sc dirigeaient de leur côté. Elisabeth sentit tout son sang lui reOuer au cœur. Elle
jeta par-dessus l'épaule. dans un joli sourire impertinent :
- Quand j'aurai le droit de vote, je me mêlerai de
combinaisons électorales, pas avant!
Jamais. depuis dix ans cie vie conjugale. M. de Géorand n'avait entendu sa femme lui parler sur ce ton.
Mais le lieu et l'heure étaient mal choisis pour une
controverse. Il préféra s'approcher d'IIenriane et sc
fondre en politesses. dans le bul de faire s'éloigner
René.
Elisabeth le regardait comme tout à l'heure, curieusemcnt froidemcnt. La. réRexion ingénue de Mil. de
Picrrcgourdc vibrait encore à ses oreilles: <J: Par malheur, vous n'êtes pas veuve ... »
Ah! oui. par malheur elle ne l'était pas.
�SEULE DANS MON CŒUR
43
Elisabeth, dit le capitaine, voulez-vous venir au
jardin avec Mil. de Puybrante et moi?
- Vous ne pouvez pas y aller tout seuls? rit la
jeune femme, reprenant instantanément son aisance
mondaine. Il vous faut une duègne. Gentil pour moi
ça, René!
'
Henriane coupa la réponse sur les lèvres de son
compagnon:
- Oh ! dit-elle, avec une gaîté qui transformait son
visage trop froid, vous n'avez rien pour faire une
duègne !... D'ailleurs l'époque en est passée. Mais j'aimerais me promener un peu dans cette allée royale
avec vous et M. de la Mothe-Ythier, ... car il me semble
que nous nous entendons très bien tous les trois, n'estce pas?
- Très bien, dirent ensemble Elisabeth et René.
- Il est i"mpossible de causer dans ce hourvari,
continua Henria.ne, et tout à l'heure le capitaine m'a
décrit les acropoles de Baalbek et les cèdres du Liban
de façon à me donner l'envie de connaître ces merveil1eux paysages. Vous devez trouver l'Europe bien
terne, après avoir vu tant cie choses. Vous avez visité
le monde entier.
Elle avait encore le cerveau impressionné par les
nom évocateurs cités par le jeune homme: Angkor
e~
la jugle; Pnôm-Penh; Yu nan-Fou, J'extraordinaire
Ville chinoise, où maintenant il est difficile auX Français de pénétrer; la féerique baie d'Along. Puis la
Syrie, Damas, les roses, et d'autres images: Constantinople, Athènes, dont René parlait comme toutes
proches. D'avoir vu tant de pays, tant de civilisations
di fférentes, mortes ou en plein essor, lui donnait une
mentalité tout autre Que celle de la majorité des
hommes de son milieu, une tournure d'esprit si large,
vraiment moderne .
... Ils se promenèrent, comme Henriane le souhaitait, dans le crépuscule tiècle; les accords alTaiblis de
l'orchestre parvenaient jusqu'à eux. René se taisait,
écoutant causer les deux femmes. Il se disait qu'il y
avait un abîme entre la mentalité d'Elisabeth et celle
d'Henriane. Q';1elqu,es an~es
seulem ent .Ies sé{>araient,
elles appartenaient a la meme caste, avalent sans cloute
�44
SEULE DANS MON CŒUR
reçu une formation similaire; pourtant, quelle oifférence 1. .. Toutes deux étaient également saines au moral comme au physique, bien équilibrées, très honnêtes.
Eliiabeth avait toujours été fidèle à son mari; si Henrime se mariait, elle Je serait au sien, mais ce serait
par habitude du self-colltroi, par froideur aussi. Elle
nc 50uITrirait pas. Henriane, c'était l'intelligence et la
raisoq.; Elisabeth, la tendresse. Une créature tendre
doit fatalement soulTrir.
l{ené, ce soir, étudiant sa cou ine, pen ait rageusement :
« Dire qu'elle est liée à cette brute de Louis! »
Il ne cherchait nullement à passer pour un saint et
Je disait lui-même, ses amis n'ignoraient point que ses
succès avaient été nombreux; mais, s'il n'était pas plus
parfait que la majoritQ de ses congénères, du moins
avait-il, entre autres principes intangibles, le respect
de la famille. Il méprisait un peu Louis et lui en voulait de ne pas rendre sa femme heureuse ... Ah 1 comme
il aurait su, lui, la rendre heureuse 1. .. Mais Elisabeth
était sa parente, donc sacrée pour lui. Si un jour il
voyait la simple amitié impossible entre eux, il parti rait, quoi qu'il pCtt lui en coüter, ... ou bien il se marierait.
- René 1. .. Vous ne dites ri 'n : vous dormez? reprocha {m. de Géorand à cette minute.
- Je vous écoutais, dit-il sincèrement.
- Que disions-nol!.? interrogea Il nriane avec un
sourire. Vous seriez bien empêché de le répéter 1
- Mais du tout, 1ademoiselle. Vous avez parlé
d'une fonle de choses et de personnes, vanté la façon
si aimab le qu'a M mo de Venasque d'accueillir ses hôtes,
son installatipll superbe ct ses bibelots de musé. C'est
admirable, cela : dire du bien des gens qui vous reçoiventl Tant d'autres en disent du mal. .. C'est IIlol peu
mufle, mais cela se {ail beaucoup.
- Je ne suis jamais la mode quand elle me déplaît,
riposta IIenriane, continuant à ourire. C'est vrai,
reprit-elle, changeant de ton, c'est une très jolie réunion dans un beau cadre.
Ne le dites pas à mon mari' s'écria Elisabeth
avec un petit rire léger. Cette réunion a soulev~
en lui
�SEULE DANS MON CŒUR
45
une vague d'amertume. Il s'est mis à philosopher, on
aurait dit Alceste! J'ai trouvé cela superbe... 11 est vrai
qu'il y avait de la musique en même temps! Cela
gagnait sans doute avec le jazz t
- Louis en Alceste t fit René, gouailleur. Pensczvou~
qu'il voudra de nouveau réciter son morceau pour
moi? Vous pourriez jouer du piano, si l'accompagnement eit nécessaire.
- Monsieur, vous êtes affreusement moqueur! dit
Henriane. M. de Géorand avait raison, puisqu'il pensait
comme moi.
- Je vous fais meS excuses, Mademoiselle. Sur
'Q.ucl point mon cousin est-il d'accord avec vous, s'il
ne s'agit pas de la bonne grâce de Mm. de Venasque?
Henriane répondit, mi pensive, mi enjouée:
- Eh bien! je trouve cela un peu triste, au fond,
ces jeunes filles que l'on amène pour vous les of1rir,
Messieurs. Elles s'habillent, elles sont contentes, elles
se donnent de la peine pour vous plaire; et vous,
après vous être amusés de vos danscuses, vous partcz.
Si on vous demandait ce que vous pensez d'clles, vous
n'oseriez pas le dirc!
René songea: «Elle est intelligente!» et répondit:
- Je pense ceci: jc ne vaux pas la peine que l'on en
prenne pOur moi.
,-:- Non, jc vou en prie, cessez de plaisanter: j'étais
seneuse. Pour moi, c'est lamentable : gâcher dc _
années de jeunesse, qui pourraient être actives, utiles,
pour rien: pour attendre, et peut-être cette attente
finira-t-elle sur une crueHe déception.
- Le Prince Charmant n'est pas toujours au rcndezvous? intercala le jeune homme, ironique.
- Oh t le Prince Charmant, c'est périmé! répliqlla
Henriane de sa voix nette. Les genti lles petites demoisclles qui passent de bras en bras, sous l'œil bienvcillant de leurs mères, ne se soucient plus du roman,
vous savez t Ce qu'elles cherchent, c'est Ic mari, tout
court. Ce doit être parfois décevant, lo rsqu'il n'y a
plus dc musique, de voir le vrai visage du dan seur
comme moi simple spectad'autrefois ... Quand on es~
trice, as urée de ne p'as Jouer le premicr rôle, c' st
amusant de regarder cela ...
�46
SEULE DANS MON CŒUR
- Regarder quoi? dit Elisabeth.
- La comédie qui doit finir par un mariage, la comédie de la vie. Mais celles qui doivent la vivre, elles,
ces peti tes malheureuses, les très coquettes ou leS
très-Agnès, ah 1 comme je les plains 1
Il Y eut un silence terrible. Elisabeth fixait l'extrémité de l'allée, la tache lumineu se du hall violemment
éclairé, sur le fond duquel des silhouettes mouvanteS
se détachaient en ombres chinoises.
- Voilà, pronç~
René d'une voix railleuse, u~
démenti formel à ceux qui prétendent l'amour la pIuS
belle des inventions.
C'est une très belle invention, dit Elisabeth,
l'accent un peu voilé.
Henriane reprit en souriant:
- Vous le savez mieux que moi, qui l'ignore. Jc
m'en rapporte à votre appréciation. Si ccla est. cr
doit être, en effet, une chose merveilleuse ... P ounaol t,
c'est en somme une diminution de la personnalitt .
- Vous êtes trop indépendante, remarqua la jeune
femme.
- Oui, reconnut Henriane franchement, avec un'
sor te de satisfaction. J'éprouve de la jouissance à voir
que tout ce que je fais vient uniquement de moi, que
je ne suis pas le reflet d'un autre. Je me sens vraiment
seule en mon cœur.
René sourit en la regardant avec un intérêt manifeste. Elisabeth détourna les yeux. Tout de suite
après elle dit à son cousin qu'elle voulait regagner
Valréas.
L'heure s'avançait, des moteurs d'automobiles commençaient à ronfler. Les invités les plus éloignés se
préparaient au départ.
- Déjà 1 fit involontairement 1 jeune homme.
- Vous préférez prolonger? Restez donc sans nous,
proposa aussitôt Elisâbeth, d'un air de sœu r ainée. Les
Chàteaubran vous ramèneront très volontiers ... Non?
Ça ne vous dit rien, les Châtea~brn?
Alors courez
entamer un flirt avec MilO de Plerrcgourde : elle se
croira encore blonde et jolie et vous offrira la meilleure place dans sa voiture 1
- Mil. de Pierregourde' oh 1 dit René, avançant les
�sorci~t'e?
SEULE DANS MON CŒUR
47
lèvres; entre elle et une sorcière ... 1 Vous ne voudriez
tout de même pas que je parle de l'amour avec une
- Pourtant les Provençaux ne savent parler que de
ceta, fit Henriane, amusée. Mes cousins ne m'avaient
pas habituée à ce genre d'entretien 1 Eux et leurs amis
ont un seul et unique sujet de conversation : le
sport.
- Cela vous ennuie? interrogea le capitaine. Vous
n'êtes donc pas moderne?
- Moi? dit la jeune fille, pensivement; peut-être
oui, peut-être non ... Je ne sais pas très bien ce que je
suis.
•
Jusqu'à ce jour, elle se targuait de le savoir très
bien. Elle rougit brusquement ct déclara:
- Et puis c'est si peu intéressant, ces choses 1
Elle n'expliqua point si ces choses peu intéressantes
étaient l'amour, ou le sport, ou sa propre personnalité,
et, comme M. de Géorand venait chercher sa femme,
ils se séparèrent.
�48
SEULE DANS MON CŒUR
VI
Après la réception de la comtesse de Venasque. Henriane se surprit à se demander:
« Je voudrais bien savoir ce que le capitaine de la
Mothe-Ythier pense de moi r )
Il n'y avait point là un sentiment de coquetterie:
c'était de sa part simple curiosité. le désir de savoir
quelque chose de plus d'un homme qui de prime abord
lui avait été sympathique. bien qu'elle ne le vît pas très
exactement tel qu'i l était.
Elle rencontrait que lquefois René au cours de ses
promenades à travers la campagne. Elle allait peindre
dans les bois. lui passait à cheval. souvcnt avec son
cousin. d'autres fois scul; il la saluait; c'était là tous
leurs rapports. A plusi urs r prises Mn" de Géorand
dit qu'clle voulait faire connaître à sa nouvelle amie
les sitcs les plus intéressants de la province. et projeta une série d'cxcvrsions en automobilc. Dc menus
incidents dérangèrent ces projets. Ceci empêcha Hcnriane de causer de nouveau avec René. et de savoir
ainsi qu'elle opinion il avait d·elIc •... souhaitant secrètement qu'clle {üt de nature à flatter son amourpropre.
Elle n'était pas' vaine à l·excès. mais se savait très
intelligente. Comme nombre de j unes fi lles de son
époque ct de son milieu. sa culture était supér ieure à
celle cl beaucoup de jeunes gens. Elle possédait les
qualités particulières à la génération féminine actuell :
la résolution. Je goüt du travail. une grande résistance
phy iquc; mais elle y joignait les défauts de ces qualités: cettc cspèce de dessication morale. produite par
l'excès de raisonnemen t en tou t, de contrôle de soi-
�SEULE DANS MON SŒUR
49
même, toute proche de l'égoïsme. On voyait bien choz
elle l'évolution produite en quelques années la mLC
en valeur du cerveau au détriment du cœur.
Ces sortes de femmes, riches de vertus solide :;,
presque mâles - dont leurs mères, souvent, furent
dépourvues, - peuvent, si le petit dieu s'en mêle, s'l:umaniser, renoncer à leur liber té en faveur d'un être
aimé. Elles seront des épouses dans lesquelles, aux
jours sombres, il trouvera sans doute une conseill<. re
avisée. Elles peuvent même quelquefois être passionnément amoureuseS, mais tendres jamais. Cela leur
paraît une faiblesse.
***
Henriane, en venant à Valréas, projetait de travait..
1er assidûment en vue du Salon d'Automne. Elle nê
comptait pas se laisser entraîner à faire des visites'
ou à accepter des invitations dans les alentours; la
rencontre avec Elisabeth de Géorand modifia ses résolutions primitives. La jeune femme lui inspirait une
sympathie très vive, et non moins vif était le plaisir de
causer avec son cousin.
René de la Mothe-Ythier ne lui rappelait en rien
les habituels commensaux de ses tantes. Il savait \lar1er de toutes autres choses que sport ou potins de
salons; il se montrait aimable, très courtois. Il était
ainsi avec toutes les femmes. Henriane, à cause de
cela, l'avait jugé très flirt. Elle détestait ce jeu. Il
fallut promptement reconnaître que le capitaine était
bien loin de songer à flirter avec cl1e. Il ne faisait
aucune différence entre el1e et les autres jeunes fil1es.
C'était l'impression laissée par la première entrevue.
Après, il lui sembla que René l'écoutait avec un inté·
rêt non dissimulé; il discutait volontiers avec elle.
Padois leurs idées ne concordaient pas; le jeune
homme, malgré sa politesse, défendait son opinion, au
lieu de se ranger a celle de son interlocutrice. Ceei ne
déplaisait point à Henriane, au contraire; mais lors"
qu'ils se trouvaient tous deux du même avis quand
el1e entendait prononcer par René les mots' qu'ellemême eût dits, la satisfaction ressentie la faisait deve..
�50
SEULE DANS MON CŒUR
nir rouge de plaisir, comme une petite fille; ensuite,
elle était vexée d'avoir rougi.
Voir un homme attentif à ses paroles n'a rien que
de fort agréable.
Henriane fut tout d'abord secrètement fière de retenir l'attention de René, puis un peu contrariée parce
qu'elle s'aperçut assez vite qu'il la faisait parler d'elle,
alors qu'elle-même ne pouvait réussir à le faire parler
de lui.
Quelques jours après la matinée de Mm. de Venasque, une excursion à Suze-la-Rousse les réUliit de
nouveau. Durant la visite du magnifique château, l'un
des plu s beaux de la province, Henriane tenta de
savoir si la courtoisie de René à son endroit était de
la simple bonne éducation ou quelque chose de plus, ...
de l'admiration, par exemple.
Il ne lu'i eût point déplu que le capitaine de la
Mothe-Ythier l'admirftt, car e1le avait rapidement discern~
en lui une supériorité intellectue1le qui la changeait de la pauvreté d'esprit des garçons dont sc composait le cercle de sa famille.
De la part d'un homme qui avait tout vu, c'eût été
flatteur pour J'amour-propre; mais la politesse de
René ne cachait-eUe pas un soupçon d'ironie? ...
A l'ordinaire, lIenriane se souciait assez peu des
jugements d'autrui. L'idée que le cousin des Géorand
pouvait se faire d'elle une opinion pas tout à fait conforme à ce qu'elle souhaitait, lui était infiniment
désagr~ble.
Et comment savoir ce qu'il pensait
d'eU ?
M'" de Pierregourde, curieu se aussi, pour des raisons bien différentes, toutefois, cherchait de son côté
à se renseigner sur le même sujet, cela sans y parvenir,
ce qui l'enrageait.
On eût beaucoup surpris M. de Géorand si on lui
avait révélé que lui-même, redoutant de voir !ion jeune
parent accorder plus d'attention à Mil. de Puybrante
qu'à M'lo de Châteaubran, avait justement donné à
Marie de Pierregourde l'idée de mettre Mill de Puybrante sur le chemin du capitaine de la Mothe-Ythier.
Mill de Château bran était le «grand parti:. de ce
petit monde provincial. Elle avait l'esprit de posséder
�SEULE DANS MON CŒUR
SI
de beaux yeux de gazelle effarouchée, dont, malgré la
sincérité de sa candeur, elle savait que c'était là un
de ses principaux charmes. Son deuxième pouvoir de
séduction étaient ses douze cent mille francs de dot.
Nulle autre jeune fille de l'aristocratie ne pouvait aligner pareil chiffre. Sur ce point, M'" de Château bran
était imbattable; pourtant Mil. de Pierregourde trouva
tout à coup la solution du problème en apparence insolubIe: à Simone de Châteaubran on pouvait Opposer
Henriane de Puybrante.
Henriane n'était pas riche, elle n'avait point en partage une beauté saisissante, pour racheter son manque
de fortune. Mil' de Pierregourde, si dépourvue qu'elle
fût d'expérience du cœur masculin, avait cependant
l'intuition qu'une femme semblable pouvait plaire à
René ... qu'elle ne lui plaisait peut-être pas, mais l'attirait. 'Car si les femmes sont déroutantes, les hommes
le sont tout autant!
Il fallut à la vieille fille trois minutes pour décider
cela, une seconde pour envisager la chose comme faite.
Elle se félicita de son esprit d'à propos; elle el!t aimé
recevoir les compliments d'une tierce personne, mais'
il eû t été indispensable alors de révéler à ce tiers sa
pensée secrète, qui était double: désespérer les Châteaubran et jouer un bon tour à Louis de Géorand. Or,
si elle voulait, nouveau Machiavel en robe de soie,
venger l'affront reçu par son neveu Hubert, elle tenait
à ménager les Géorand et se disait:
« Ce pauvre Louis est capable, avec toute sa bêtise,
d'être élu sénateur. Je me servirai de lui pour faire
diminuer mes impôts et racheter par l'Etat, pour le
reboisement, mes landes qui ne rapportent rien 1 »
Il fau t tout prévoir.
Mil. de Pierregourde, résolue à faire épouser Henriane de Puy brante à René de la Mothe-Ythier, eut
une nouvelle inspiration géniale : lai sser à Elisabeth
le soin de conduire à bien cette opération, car M. de
Géorand pourrait crier, protester, il n passerait finalement par où voudrai~
sa fem~.
En~uite,
quand il
serait sénateur, on lU! montrerait de quelle façon
inique les feuilles d'impôts Pierregourde étaient sur"
chargées 1
�5%
SEULE DANS MON CœUR
Si t'on regardait la vie de tout près, on verrait
qu'il n'existe pas de grands événements qui ne soient
la ré8Ultante d'un enchaînement de très petites choses.
... Elisabeth de Géorand aurait voulu savoir aussi
qu'elle était la pensée de René lorsqu'il regardait
Mil. de Puybrante. Elle avait peur de Simone, peur
d'Hroriane, peur de tout; mais tellement plus peur
encore d'elle-m ême !. ..
Par un accord tacite, personne ne parlait d'Henriane
à René, ni de René à Henriane; les combinaisons dont
ils étaient le pivot se poursuivaient dans le mystère
de l'âme de deux femmes - ear elles étaient deux,
maintroant, sans s'être donné le mot, - d'un eôté
Mil. de Pierregourde, poursuivant un plan personnel
purement pratique, et d'autre part Elisabeth qui, aimant SOIl cousin d'un amour chaque jour plus profond,
s'efforçait, llar respect pour la foi jurée à son mari,
de considérer René comme un frère.
\
Il ne lui avait jamais rien dit, mais elle sentait bien
qu'il n'aurait pas voulu être son frère.
Un jour, peul-être proche, viendrait Oll il ne sc contenterait plus d'amitié. Ce jour-là il faudrait l'éloigner,
lui dire adieu pour toujours.
Oh! lui dire adieu 1... Pas même un baiser, et puis
la porte qui se rderme ...
Cette vision était si affreuse pOUl" Elisabeth qu'elle
préférait se leurrer d'illusions, se persuader que René
avait seulement une grande affection pour elle, une
affection qui ne l'empêchait point de songer au mariage. S'il ne l'avait pas fait déjà, c'est qu'il atlenflait
d'avoir trouvé son idéal féminin.
Courageusement, Elisabeth se dit qu'il fallait mettre
un obstacle insurmontaLle ntre elle t R né : lui trouver une femme. Pourquoi celle femme ne serait-elle
pas H nriane ~ ... ,Ell,e avait de pré~ieus
qualités; inen face! elle sautelligente, habllu ~ a, ,regarder la, VI~
rait être pour lUI 1 epouse et 1 amie. Certams la jugeaient trop froide. Il est vr~i
Qu'elle ne livrait pas
ses pensées à tout venant; cecI encore devait plaire à
René: elte fai sait en sa faveur une exception dont il
ne pouvait qu'·'tre Ratté.
e Et puis René saurait bien la rendre tout à fait
�SEULE DANS MON CŒUR
5.3
' humaine », songeait Elisabeth, le cœur malgré tou '
scrré.
Ainsi deux personnes poursuivaient sans le savoir le
même but et pour des raisons différentes.
«Nous'pourrons rester amis:., se disait Elisabetn.
«Les Châteauhran en mourront de colère 1» soliloquait Mil' de Pierregourde.
... Renriane, à cent lieues de soupçonner le complot
parce qu'eUe avait l'esprit bien trop occupé pour son
ger à autre chose qu'à son travail, ressentait à la foi ,
plaisir et contrariété en recevant des invitations multi
pliées d'Elisabeth de Géorand.
EUe ne pouvait refuser de prendre part aux excursions organisées par son amie pour lui faire connaîtrr
les richesses artistiques de la province. Il lui plaisai l
fort d'aller à Vaison-la-Romaine; de pénétrer dans le:
aristocratiques hôtels avignonnais, véritables musée:
dans lesquels le public n'est point admis; d'admirer
les vallées sauvages du Diois, après les pay ages ensoleillés de Provence. Après ces grisantes randonnées en
auto, elle rentrait au logis en se disant, confuse:
« Je ne fais plus ce que je veux, mais ce que les
autres veulent, et je perd mon temps. :1>
Celte constatation l'humiliait. A l'ordinaire, elll'
sava.it si bien réserver au travail la majeure partie dl'
ses Journées. Pourquoi changeait-elle ainsi?
Pendant les deux semaines qu'employa Mn" de Céoe n~
rand à faire visiter le Comtat el les villes rhodani
à son amie, Mn". Snlith et d'Olmeuse écrivirent chacune deux fois à leur nièce, raillant avec esprit - du
moins le croyaient-elles - «sa retraite qua i mona
cale et son vœu de célibat :1>.
Hemiane les jugea prodigieusement agaçantes.
MIl. de Pierregourde, en apprenant que la nièce de
l'amiral - son cou sin par les ArmangiNers 1 - sc pro
menait presque chaque jour avec le capitaine de la
Mothe-Ythier, jugea Elisabeth très avisée. Sans le
savoir, bien certainement, celle-ci travail1ait à la réalisation du rêve de tous les Pierregourde : l'abai sse
ment, non pas de la Maison d'Autriche, mais des Châteaubran!
�54
SEULE DANS MON CŒUR
MilO de Pierregourde, dont on disait qu'elle n'avait
rien inventé, sinon transformer une croix de SaintLouis en pendentif, possédait l'esprit de ruse qui dans
nombre de cas, tient lieu d'intelligence. El1e 'ne se
targuait point d'un cerveau supérieur - du reste el1e
n'y tenait pâs, - mais elle avait assez de finesse pour
ne plus convier désormais, ensemble, Mil. de Puybrante et les Géorand à ses bridges bimensuels. Toutes
le bavardes du pays n'eussent pas manqué de raconter
partout qu'elle, Marie de Pierregourde, voulait couper
l'herbe sous le pied aux Château bran - ceci était
ri~oucsemnt
exact. - Elle voulait la faire couper
par 1Im. de Géorand, dont le mari avait besoin de
M. de Châteaubran, ce qui était un raffinement dans
l'art de nuire!
Elle pria d'abord les Géorand et, très habilement,
leur fit dire par l'intendant général en retraite Maucern)', que :M. de Château bran était sur le point de
poser sa candidature au siège de sénateur convoité par
son ami.
L'intendant général, auquel M"' de Pierregourde
avait raconté la perfidie de M. de Châteaubran, la
servit à M. d Géorand, ne doutant point qu'elle ne fût
véritable. Il s'indigna copieusement; ceci retourna le
poignard dans la plaie de son interlocuteur, qui crut
en mourir.
Mil' de Pierregourde était bi n contente de le voir
dans cette colère. Par une chance insigne, les Châtcallbran venant de s'absenter, il faudrait attendre huit
jouIs. pour savoir s'il n'y avait là qu'un méchant
bruit.
Après avoir brouilJé les cartes de la sorte, l'avisée
diplomate pensa qu'il serait peut-être bon de dire à
Henriane un mal affreux du capitaine de la MotheYthier, en ayant soin de rendre ce mal invraisemblable,
de façon à permettre à la je~n
fille .de vOir que René
était juste l'opposé du portrait magl1lfiquement brossé.
Donc étant l'opposé, il gagnerait dans l'esprit d'Henriane:.. et puis on verrait ce qu'elle pensait de lui.
Mil. de Picrregourde eut primitivement le projet
d'inviter Henriane à déjeuner; elle s'abstint, à la réflexion. D'abord Ile n'aimait pas beaucoup recevoir à
�SEULE DANS MON CŒUR
déjeuner, ensuite Henriane pourrait décliner l'offre de
partager le pain et le sel Pierregourde. Il serait infiniment préférable de renverser les rôles et de s'inviter
chez Renriane. De la sorte elle verrait en même temps
si Honorade était toujours fine cuisinière et si Henriane savait être une .bonne maîtresse de maison.
Les décisions de Milo de Pierregourde ne souffraient
point de retard dans l'exécution. Aussitôt son plan
arrêté, elle s'en fut, à l'autre exlrémité de la ville
sonner à la porte d'Henriane, et, mise en présence d~
la jeune fille, expliqua très simplement :
- Ma cuisinière est en congé, ma femme de chambre
sou ffre d'une rage de dents : je viens vous demander
à déjeuner.
Rendane l'assura qu'elle était charmée de l'absence
de la q1Îsirtière 'e t de la rage de dents de son adjointe.
Tl faut toujour!l se dire enchanté quand on a envie de
s'écrier ,; « Quelle tuile 1 »
M'" de Pierregourde fut satisfaite de l'accueil: ell·
pensa que le menu lui conviendrait aussi. Elle sc
trouva géniale.
Dès son elllr "e dans la salle à mang r, elle promena
un face-à-main fureteur sur les meubles ct les l)orcelaines. 'l'out était resté tel qu'aulrefois, sous le règne
de l'amiral: les assiettes de japon bleu sur le dressoir en face de la cheminée, les petils buffels d'acajou
arrondis, avec les bouquetiers rococo semblables à
des vases d'égli se, el la pendule sur laquelle une
Danaïde de bronze doré remplissait un tonne'\u de
même métal, d'où l'eau s'échappait en décrivant des
volutes verticales, comme si, par un phénomène inexplicable, le liquide avait pu remonter à sa source.
- Vous n'avez rien changé, dit la visiteuse avec
satisfaction. C'est très bien. Vous êtes conservatrice.
- Pas plus que ça 1 fit Henriane délibérément. 'J e
ne sui s pas figée dans le passé, je trouve cela morbide.
Je change quand cela me plaît, mais j'ai préféré laisser la salle à manger ainsi. Je la trouve amusante.
Milo de Pierregourde n'employait pas ce terme dans
le sens que lui donne la jeune .génération. Elle dit tout
bonnement, en reprenant des olives:
&
�~6
SEULE DANS MON CŒUR
- Qu'est-ce qu'elle a d'amusant ?... Une salle à manger ne peut amuser, voyons!
- Vous avez raison, approuva Henriane, divertie.
C'est une façon de parler. Je voulais dire: elle a du
chic.
- Ah? C'est possible; moi, je n'y connais rien, dit
la vieille fille; et puis c'est une affaire d'appréciation.
Pour les choses comme pour les gens, tous les goûts
sont libres.
Elle toussa deux petites fois, attendit la sortie d'Honorade et commença tout de suite l'amorçage de 13
question CJui lui tenait au cœur:
insi, tenez, chez les Géorand : Elisabeth et Louis
n'ont pas une idée semblable! Ce que l'un voit blanc,
l'autre le voit noir. Je me demande comment... Enfin 1
ça va bien; il ne faut pas se mêler des affaires du
voisin.
- Elisabeth ne doit pas être bien heureuse, dit
Henriane involontairement.
- Si elle l'était, ce serait un miracle 1 interjeta
1["n de Pierregourde. Vous aimeriez un mari comme
Louis, vous, ma petite amie?
- Oh! pas du tont!
- Moi non plus. Je vous assure CJue j'ai pensé plus
d'une [ois, voyant Elisabeth avec son mari: «Je préfère que ce soit elle que moi ! ~
Henriane se dit, prête à rire:
« M. de Géorand le préfère aussi, certainement! ~
- Ce pauvre Louis! poursuivit MilO de Pierregourde, sans pereire une bouchée. Il a des inventions 1. ..
Figurez-vous qu'II s"·tait mis en tête de faire épouser
Simonc dc Chfltcaubran à M. de la Mothe-Ythier. Un
garçon léger 1... Dieu sait s'il a connu beaucoup de
crueUes, celui-là! comme disait mon pauvre père. Je
vois bien Simone, sortie du ouv nt l'année dernière,
quittant papa et maman pour appartenir à ce b aU
René qui la trompera au bout de trois mois 1. .. Que
dis-je 1 huit jours, et cncore 1. ..
-::- C' st un jugement un p u prématur', répliqua
Henriane d'un air froid, mais nettement désapprobateur.
�SEULE DANS MON CŒUR
57
Mil' de Pierregourde vit qu'el1e avait réussi et reprit l'un ton d'insouciance:
- Oh! je dis ça 1. .. Naturel1emen-t, je n'en sais rien:
je le suppose.
- Il sera it peut-être mieux de ne pas supposer rIes
choses défavorables sur ceux que l'on nomme ses amis
articula Henriane du même accent.
'
Mil. de Pie"rregourde, l'observant à la dérobée vit
qu'elle devenait rouge. S.on contentement s'accrut':
. - Je suis de votre aVIs. Il ne faut pas le supposer.
qui sont venues
C'est ce que j'ai dit. aux pers~n
me raconter cette histOIre Chateaubran. J'ai dit en
propres termes: « ,si vous prenez René de la MotheYthier. pour un ~?ure
de ~ot,
.vous vous trompez. »
On prétendait qu Il ac~ept.rl
SImone pour ses douze
cent mille francs. Mal Je sais de la SOurce la plus
ùre qu'il aurait affirmé à un ami qui le félicitait:
« La petite Château bran ? jamais 1... Je considérerais
cela comme un détournement de mineure 1» Il a une
fameuse dose d'originalité, n'est-ce pas?
- Vous voulez dire, fit Henriane, de très haut, de
délicatesse.
Mil. de Pierregourde approuva. Elle était toujours
ravie:
- Tl est certain que Simone a l'air d'une poupée à
côté de lui. Louis n'y a seulement pas prêté attention.
S'il m'avait consultée, je le lui aurais hien fait remarquer; mais, puisqu'il ne m'en, ra~lit
,pas, je n'avais
qu'à me taire, naturellement. Jal nsque un mot à Elisabeth mais elle l'a pris si mal!
- Élisabeth souhaite ce mariage? s'écria Henriane,
étonnée.
- Je n'en sais r!e!1 du tout, ma chère enfant. Les
Géorand sont mysteneux et secrets Comme la tombe!
Elisabeth doit désirer voir son cousin rencontrer une
fcmmc capable de le rendre heureux, mai s je serais
surprise si elle cherchait elle-même cette femme. Elle
a horreur de se mêler de ces questions intimes.
- Elle a parfaitement rai son, dit la jeune fille d'un
ton plutôt sec. J'aurais, comme elle, l'horreur d'arranger des mariages 1
- Moi aussi! affirma sans sourciller Mlle de Pierre-
�58
SEULE DANS MON CŒUR
gourde, qui était précisément occupée à en arranger
un, on pouvait dire à le « cuisiner ».
Elle se tu t pendant trois secondes - il fallait permeUre à Honorade d'apporter l'entremets, puis de se
retirer, - ensuite fit une digression très longue, selon
sa coutume, SUl' ses bons amis Maucerny qui avaient
eu, la veille, un accident d'auto en revenant de Montélimar, et comment eHe-même avait échappé par miracle à la mort, puisque les Maucerny auraient dû
l'emmener et qu'ils ne l'avaient pas fait on ne sait
pourquoi, ou plutôt si, on le savait: par une faveur du
Ciel qui tenait sans doute à conserver Marie de Pierregourde à la société.
Henriane éprouva un instant le regret amer de ne
pouvoir dire: «Quel dommage!» car M""' de Pierregourde l'énervait, ce matin, au point de lui [aire souhaiter sa mort 1
Immédiatement après avoir rempli son assiette de
pudding, M""' de Pierregourde, afin de prouver sans
doute qu'elle «n'arrangeait» point de mariages, ct en
tou.t as pas celui du capitaine de la Mothe-Ythier, se
remit à critiquer ce jeune homme, entremêlant ses perfidies d'une foule de remarques dont, à tout prendre, on
pouvait croire qu'elles étaient finalement des louanges;
mais cela de t lle sorte qu'il aurait fallu y regarder
de tout près pour savoir si elle avait l'intention de
nuire au capitaine, ou de l'exalter. Comme elle avait
l'habitude de sc contredire sans cesse, il était difficile
de le deviner.
IIenrian perdit patience; d'un ton si hautain qu'il
eût été, n d'autres temps, difficilemellt acceptabl par
ulle femme d l'âge de son interloculrice, ('Ile coupa:
- .Je pr'·fère vous ré\'él r lout de suite, Mademoiselle, que je déteste enlC'ndre dire du sna\ d'autrui!
C'était net. Mil. de Pierregourc1e sourit à SOli pudcling.
- Je partage votre opinion, ma chère enfant, dit'Ile sans s'émouvoir. Je n'ai jamais cru que M. cie la
Mothe-Ythier fût joueur ct le reste. II m'a toujours
panl un galant homme - vous diles à présent: un
parfait gentl man, d'après mon neveu Hubert. - C'est
un esprit cultivé, très fin, n'est-ce pas? Certainement,
�SEULE DANS MON CŒUR
59
cë charmant René rendra sa femme fort heureuse. Je
n'ai pas d'expérience, mais il me semble qu'il doit en
être plus capable que Louis de Géorand 1 Je ne suis pas
surprise qu'il soit ici le point de mire des mères pOurvues de filles nubiles 1. .• C'est comme Hubert. Si vous
avÏez connu mon neveu Hubert autrefois 1. .. Mais vous
ne l'avez jamais vu, ... quel dommage 1. .• Voilà un garçon à faire tourner les têtes!
Henriane se remémora la photographie du dernier
Pierregourde. Elle sourit, dédaigneuse.
Mil' de Pierregourde la surveillait sournoisement
du coin de l'œil; elle surp.rit ce jeu de physionomie
sans être vexée. Au contraire: elle s'épanouissait. Le
pli des lèvres d'llenriane signifiait: « M. de la MotheYthier est tellement mieux 1» La tante d'Hubert pensait d'abord qu'Hubert n'en serait point enlaidi, et
qu'elle-même était bien fine.
M. de Géorand croyait, pendant ce temps, avoir à
lutter seulement contre ses adversaires politiques ... Le
pauvre homme!
�60
SEULE DANS MON CŒUR
- Suis-je en retard? dit Henriane, tendant à René
sa main ferme, étroite et fine sous le gant.
Elle souriait, de ce sou rire gentil, comme détaché,
que l'on réserve aux vrais amis.
II serra les doigts de la jeune fille avec le regret
de ne pouvoir les baiser, car elle avait de très jolies
mains, et répondit du même air amical :
- Vous seriez en retard, si Elisabeth ne l'était encore plus! - Ses yeux brillèrent, moqueurs. - Coutume féminine 1
Henriane riposta gaîment:
- Du tout! Je suis exacte, à l'ordinaire. Aujourd'hui, j'ai une xcuse...
- Un essayage? C'est la plu s valable, ou du moins
la plus employée des excuses.
- Non, je lisais. Oh! quelque chose de tellem nt,
mais tellement joli 1... J'apporte mon livre pour voir si
Elisabeth aura le même plaisir. Lisez-le aussi, je veux
que vous l'aimiez 1...
- Qu'est-cc? Ul1roman?
- Un r cueil de ... je ne sais comment dire exactement, ... des espèces de poème en prose. Je l'adore!
Je n'ai jamais rien lu qui m'ait ensorcelée comme cela.
Ce n'est rien si l'on veut, ct c'est tout 1... Des impre'sions, des paysages, presqu ~cs
sons et des parfums.
J'ai ressenti une impress ion mdtfinissable. C'est nostalgique et si prenant 1
- Pourtant VOLIS ne devez pas être facilement prenable 1 remarqua René.
Il restait debout, adossé à la cheminée, en face d'elle
qui était assise. Elle portait un manteau rouge très
�SEULE DANS MON CŒUR
61
foncé, à col de fdUrrure; la nuance chaude du vêtement fardait légèrement sa peau doréc de brune. La
ligne de ses dents brillait lorsqu'cHe souriait. Ses
yeux aussi brillaient. René pensait, en la voyant, qu'il
devait y avoir en cette fière créature, d'apparence si
froide, des possibilités d'amour d'autant plus précieuses qu'cil es seraient plus difficiles à connaître.
Henriane répliqua, fixant sur lui scs prunelles pensives :
- Oui . Peut-être ce livre est-il ju tement ce que
j'aurais voulu écrire, si je ~avis
écrire. J e l'ai reçu
ce matin et dévoré d'un traIt. Tenez. - E1\e tendait
un volume. - J'ai placé des brins de so ie aux passages
qui m'ont plu entre tous.
René jeta un coup d'œil su: le. livre, puis, sans l'ouvrir, le posa sur la table et dit SImplement:
- Ah! c'est la J ollqlte l' ... Vous avez l'admiration
facile!
L'accent railleur froi ssa Hellfialle ; e1\e répliqua,
plutôt sèche :
- Non. Ceux qui me connaissent savent que j'admire seulement à bon cscienl.
Il s'inclina, l'air très amusé:
- Mcrcil
- Pourquoi me remerciez-vous? .
Elle articulait ceci de sa façon dIstante du début de
leurs relations.
La réponse mit un pied de rouge sur son visagc :
- Parce quc, dit le capitaine, c'est moi qui ai commis ces poèmes en prose. Alors, ... vous entendre me
dire: «J e l'adore!:. d'un air aussi vibrant, n'a ricn
que de tr \s doux pour un amour-propre d'auteur!
Hcnriane, interdite, le rega rda. Elle semblait découvrir un homme nouveau. E1\e était su rprise au point
de ne pouvoir, malgré toute son aisance et son aplomb,
trouver un mot. René de la MOlhe-Ythier l'auteur de
la JOllqlte! ... Ce livre dont M. Smith, e~
l'envoyant
à sa nièce, disait : « C'est un chd-d'œuvre que tout
Pari ' lira. »
Re~lé
se mit à rire; .ceci eut pour. ré ~ulta
de la (aire
Il semblaIt SI bIen lire dans sa
roug}r de nou~ea;
pensee 1
�62
SEULE DANS MON CŒUR
- Vous m'en supposiez incapable, n'est-ce pas? ditil gaîment.
Henriane s'en tira le moins gauchement possible:
- Vous êtes certainement capable d'une foule de
choses' Mais admettez à ma décharge que je vous
connais depuis trois semaines 1. ..
- Vingt-cinq jours, rectifia le jeune homme.
- Eh bien 1 en vingt-cinq jours, j'ai causé avec vous
combien de fois, vous ne m'avez jamais laissé soupçonner votre talent. Et ce pseudonyme ne pouvait trahir votre véritable personnalité. Pourquoi signez-vouS
« Y. d'Azergues:.?
- C'est mon nom: Ythier d'Azergues; ce dernier
était celui de ma grand'mère. Si vous connaissiez leS
alliances de vos amis comme Mlle de Pierregourde,
vous auri z tout de suite percé mon incognito!
. - Excusez:moi, dit-elle avec gaîté : je suis un~
I gnora~e!
~hsabet
aurait pu me le dire 1. .. Je lUI
apportaIs triomphalement mon livre : elle le connaît
sans doute déjà.
- Je lui en ai donpé un exemplaire. Elle y tenait.
- Naturellement, elle devait y tenir 1 Cela vous parait extraordinaire?
- C'est surtout très gentil de sa part... Elisabeth
s'intéresse à ce que je fais. C'est une telle amie pour
mOI'1....
Renriane faillit s'écrier: « Je m'y intéresserais bien
au ssi, moi, si vous me le disiez 1:.
Il reprit tout de suite:
- Vos compliments me sont infiniment précieux. Je
suis charmé que ce petit volume vous plaise. Ce sont
des souvenirs de voyage; nous autres, coloniaux,
sommes des errants: un jour ici, un autre ailleurs.
A force de parcourir 1 monde nous gardons les yeu"
pleins de visions, et n?us réfléchissons parce que nouS
sommes presque toujours seu ls en face de nous'
mêmes. J'ai voulu essayer de fixer quelques images et
quelques pensées.
- Il me semblait voir ce que vous avez vu quand
je le lisais, dit Renriane, sur un ton très différent de
son accent ordinaire. Vous êtes houreux de savoir défi·
nir vos sensa tions 1
�SEULE DANS MON CŒUR
63
Mais ce n'est pas une analyse! dit-il vivement.
C'est trop sec et décevant, les analyses. Il y a là seulement des couleurs et des parfums qui m'ont fait songer à d'autres choses.
Henriane se remémora le jugement net et définitif
porté sur le capitaine de la Mothe-Ythier trois emaines plus tôt, au sortir de l'hôtel de Pierregourde.
Alors René était à ses yeux simplement un garçon très
bien élevé, causeur agréable, incarnation parfaite du
jeune Français de vieille race, à l'esprit plu s large
parce qu'il avait beaucoup voyagé. Un type masculin
de ,bon.ne foi, elle sc croyait
très sympathique; m~i,
intellectuellement supeneure a lUI.
L'erreur était manifeste; chose étrange, elle n'en
ée.
Au contra~l:e,.
elle. éprouvait une
était point fâc~
sorte de fierté a se dire que c etait lUI 1auteur de la
Jonque.
René le contemplait, diverti dans son for intérieur
par l'espèce de confusion de cette belle savante.
- Ain si je n'ai pas baissé dans votre esprit? dit-il
Sans se rendre compte qu'il la regarda!t d'une façon
très douce. Ne vaudrait-il pas mieux piloter une Brtga/ti en course?
- Oh! non, dit-elle vivement. Ecoutez, je vais être
très franche...
.
- Vous allez m'apprendre ce qUI vous déplaît en
moi? qucstionna le capitaine, amusé.
- Le contrairc. Ce qui me plaît, justement, c'est
de vous voir si différent des hommes de mon entourage habitucl - ell,a rit pour cacher l'embarras causé
par le regard de René, - car vous êtes différent
Mon sieur!
'
- En quoi, si je ne suis pas trop curicux, Mademoiselle?
- Eh bien 1 c~ ~Otl
1. .. Vous faites de longs voyages
non pour le plai Sir de rouler durant des milliers cl.
kilomètres, mais pour voir. Ce doit être tell ement
agréa hie de voir / ajouta-t-elle, les yeux brillants de
amis, savent, après six
convoitise. Mes cousins, leu~s
semaines de vacances, combien de litres d'es ence ils
ont brûlés, mais non à Quoi ressemblent los paysages
traversés, puisqu'ils n'ont rien regardé.
�SEULE DANS MON CŒUR
En effet. je ne leur ressemble pas. dit René; je
regarde. Ce ne serait pas la peine de parcourir le
monde pour garder en mémoire uniquement des
adresses de restaurants et la façon dont. aux escales.
on a été rançonné!
- Quels merveilleux souvenirs vous devez avoir 1 fit
Henriane après un bref silence.
- Oui. très beaux. C'est l'agrément de notre métier.
parfois si rude. Cela ouvre l'esprit; on comprend
mieux les hommes et les choses. Quand on a la possibilité de comparer. Lorsque je rentre en France après
deux ans passés au loin. je suis surpris de voir combien l'existence est étroite. pétrifiée. malgré une mobilité apparente. Le Français. par définition. est. comme
on dit en Provence. 4: attaché à la pierre de son
feu :..
- Vous'n'êtes pas attaché à la vôtre? questionna la
une fille.
TI répondit. cessant de sourire:
- Je n'ai pas de foyer. Je n'ai personne. J'ai fait
ma vie comme j'ai pu.
C tte brève phrase était lourde d·arrière-pensées ....
des pensées pas gaies. Sans savoir pourquoi. Henriane
rougit à l'excès. Il lui semblait surprendre un secret
1)ar indiscrétion. Elle était gênée. malgré tout contente
aussi d'entendre René parler ainsi. comme il parlait
peut-être à sa cousine. Ses prunelles brillantes et dures
s'adoucirent en se posant involontairement sur le jeune
homme.
Très vite. René interrogea, sur un ton de politesse
banale:
- Aimez-vous les longs voyages?
- Dites: 4: Aimeriez-vous:., rectifia Henriane. C'est
un de mes rêves les plus chers, mais il faudrait, pour
le réaliser. devenir célèbre. vendre mes toiles au poidS
de l'or 1 Pour voyager il est nécessaire d'être riche. Je
ne le suis pas.
Elle articulait ceci avec netteté. Si M. de la MotheYthier, jugeant sur les robes, cadeaux de Mm. Smith.
lui croyait de la fortune, maintenant il était renseigné.
René. auquel il était Sans doute 'gal Qll' Ile fÎlt riche
�SEULE DANS MON. CŒUR
6S
ou non, se dit seulement qu'elle était franche et pas
snob. Ces qualités lui plaisaient.
Afin de ne pas laisser un silèncë gênant s'établir
Henriane se mit à le questionner sur ses travaux lit:
téraires, la façon dont il. avait écrit la Jonque. Elle
sut trouver les mots qUI pouvaient lui être le plus
agréable; insensiblement, sans paraître le faire exprès
elle l'amenait à parler d'une manière plus intime.
'
Il finit par s'en apercevoir et, se levant, il dit chan'
geant de ton soudain:
~e
même un peu trop
_ Elisabeth nous fait to~
poser 1 Soi-disant, eU~
avait ,Juste son chapeau à
mettre !... Je vais la faire avertir de votre présence.
Henriane faillit lui crier
- Non 1 ne sonnez pas !...
Elle n'osa l'arrêter; pour~t!
elle ~ût
préféré ne pas
voir descendre son amie. C etait cuneux comme René
auteur d'un recueil de poèmes en prose, était différent
du jeune homme avec lequel, peu de jours pJIl6 tôt,
elle dansait chez l'une ou l'autre des châtelaines
d'alentour 1...
Mn" de Géorand survint presque aussitôt. Elle était
en costume de sport, vive, gaie, animée, plus séduisante encore, s'il était possible.
Hcnriane l' esprit tout occupé par sa conversation
entrain joyeux.
avec René,' ne vit pas J'effort dans c~t
_ Me voilà; bonjour! Jeta I.a Jeune iemm , du
seuil. ::,i vous le voulez, Hennane, nous pourrons
partir.
R né dit avec un air de taquinerie amicale:
_ Nous' vous avons attendue vingt minutes, Elisabeth! Vous ne faites pas d'excuses?
Ell se mit à rire:
_ A qui, des excuses? A vous ?... Attendez-les ... sous
l'orme! Je n'ai pas quarante ans, mon cher 1... Du reste
vous aviez l'air si absorbé, tous l.es deux, qu'un pe~
de rapidité de ma part vous aurait contrariés, j'imagine. Quand on est trois, c'est toujours un de trop:
c'est connu ... Vous lisiez la JOIlQllC à Henriane? N'estce pas un chef-d'œuvre? Il m'en a donné un exemplaire ... ou plutôt je le lui ai extorqué. Il faisait des
façon pour me l'offrir, croiriez-vous ?... Ce garçon est
497-Ill
�66
SEULE DANS MON CŒUR
invraisemblable! T01ft de même, il a ~té.
assez gentil
pour céder; je possede un volume enrichi d'une belle
.
dédicace ... flatteuse et ment~s.
_ Elisabeth, vous ne devriez pas dire ce mot, reprosérieux..
.
cha le capitne~
Elle lui tendit la mam avec un SOUrire. Il la serra
sans la baiser.
aimable, mais
_ Oui, j'ai tort. C'était non seul~mnt
sincère, et vous savez, René, quel Immense plaisir j'en
ai eu.
En fait de plaisir, tout ce1ui qu'Henriane avait,
quelques minutes plus tôt, à causer avec le jeune
homme s'éteignit. Elle ressentit brusquement un sentiment tout nouveau pour elle: l'envie d'être à la place
d'une autre. Elle aurait voulu, à cette minute, 'tre
Elisabeth, la cousine de René, pour avoir le droit de
lui parler de cette manière affectueu se; et puis elle se
dit, étonnée :
« Mais je n'ai jamais désiré parler affectueusement
à quelqu'un ... Qu'ai-je donc? Est-ce que par hasard je
serais jalouse d'Elisabeth? »
'
,
Elle n'osa pas se répondr : oui.
M'"' de Géorand, s'adressant à son amie, continuait,
du ton le plus naturel, ccrui d'une sœur aînée fière d'un
j cune frère :
- Je suis sûre, Henriane, que vous partagez mon
avi s ? C'est une merveille, ce volume.
- Oui, dit la jeune fille.
- Je vous en prie 1 protesta M. de la rothe-Ythi r,
ennuyé. Si l'on s'occupait maintenant de quelqu'un qui
nc serait l,las moi?
- De qui? interrogèrent ensemble les deux femmes.
- De Louis, par exemple. Est-il toujours disposé
à v us emmener à Grignan? S'il ne peut le faire,
comme le chau fleur s'est foulé le poignet, je pourrais
piloter l'auto; mais cela m'cnnuiera beaucoup, ajoutat-il gaîment.
.
- Vous n'aimez pas conduire? interrogea Hennane.
Elisabeth coupa la réponse en disant, moqueuse:
- C'est un tel pares eux 1 Il ne veut se donner au·
cune peine.
Henriane se mil à rire:
�SEULE DANS MON CŒUR
67
C'est vrai?
- Oui, je suis d'une fainéantise naturelle dont rien
n'approche, répliqua René en s'étirant sur le canapé.
Seulement, par profession, je suis obligé de la seCOUer. Aujourd'hui, si ce n'était le désir de vous être
agréable ...
- A qui? interrogea Elisabeth, taquine.
- A toutes les deux ... Je vous laisserais aux bons
soins de Louis et vous n'y perdriez pas, car il est
beaucoup plus a'imable que moi.
•
- Ah 1 mais non, ne nous lachez pas 1 protesta
M"'· de Géorand avec une vivacité désobligeante pour
son mari. Louis est perdu dans ses combinaisons politiques il est impossible de lui tirer trois mots en
deho r ; de ses pronostics sur la fidélité de tel ou tel
électeur. Si vous avez un peu d'amitié pour moi, ...
POUr nous venez, et préparez-vous à nous dire de très
jOlies cho;es.
- Quelles sor les de choses?
- Je ne sais pas,. moi! N'importe lesquelles, mais
très jolies,,,. comme des fragmen.ts de la J ol/que, des
choses pour avoir un peu envie de pleurer, vous
Savez?
Il répondit sérieusement, affectueusement:
- Je serais désolé de vous faire pleurer.
Elisabeth détourna la tête en se mordant les lèvres.
apparut, toujours
Alt même instant, M. de Géora~d
affairé, bouffi d'importance, une hasse de papiers dans
1 . mains. Il s' xcusa aussitôt, .se multipliant auprès
d' Henriane. Celle-ci le comparai t mentalement à ces
gro hannetons bourdonnants qui Iont plus de bruit
que de besogne.
- Je VOliS ai fait attendre? .Mes regrets, Mademoi1". Elisabeth est-elle descenselle, ct mes hom!:l1age~
due? ... Ah! vous ete I~,
ma ~hre?
Pardon!... VouIez-vous que nous partIOns? J al quelqu'un à voir à
Grignan. Je suis tellement pris! Vraiment, je suis surmené 1
Il s'adressait à MilO de Puybrante, congelée automatiquement, commc elle l'était toujours devant le
mari de ~on
amie.
- Vou intéressez-vous à la politique, 1:ademoi-
�68
SEULE DANS MON CŒUR
selle? C'est passionnant! Non? cela ne vous dit rien?
C'est vrai: vous préférez l'art. .. -Oh! certainement,
l'art, ... oui! c'est une grande chose... René, t~ yiens
avec nous? Je serai obligé de fausser compagme a ces
dames, tu me feras oublier 1
La façon dont Mm. de Géorand répliq.ua : «Je vous
trouve imprudent mon cher 1...» arracha un sourire
au futur sénatet;r. Il cligna de l'œil à son cousin,
comme pour lui dire: «Hein! a-t-elle de l'esprit, Eli.
sabeth! »
Hcnriane songea :
« J'aimerais mieux la mort qu'un mari pareil! »
... M. de Géorand était lourd d'esprit, mais il conduisait comme un pilote de course. La voiture filait à
travers la campagne. On traversa rillon comme un
éclair; bientôt la masse dorée de Grignan se dressa,
royale, au sommet de la colline, dominant l'océan
bleuCltre des chênes verts. La tour de Chamaret, les
ruines de Montségur se profilaient à contre-jour ur
le ciel, un trait de lumière soulignait leurs murailles
sombres.
Les deux jeunes femmes et leur compagnon prirent
le chemin du château. On ouvrit pour eux la lourde
porte entre les deux tours rondes, pseudo-médiévales
rajoutées après coup; les trois promeneur pénétrèrent
dans les jardins.
Henriane n'avait vu que de loin cette demeure riche
en souvenirs; la célèbre terrasse, qui est la principale
beauté de Grignan, l'enchanta.
Ils étaient presque seuls. Deux Anglaises photographiaient la façade François lor, un autre groupe de
touristes se faisait montrer par le concierge les gargouilles sculptées reproduisant les sept péchés capitaux.
H nriane et René se penchèrent sur la balustrade;
au-dessous, les maisons du bourg s'étageaient; le mistral souillait dans les ru 5 étroites avec un bruit semblable au ronflement de la mer.
- Quelle est votre impressi n? interrogea le capitaine.
Avant de répondre, Henriane se retourna vers la
campagne radieuse sou le soleil.
�SEULE DANS MON CŒUi<
<5Q
- Je me figure ainsi un paysage grec, dit-elle.
- Oui, mais le château? insista René.
Elle eut une brève hésitation:
- C'est très beau, une résidence princière, ... mais
POurquoi n'est-ce pas tout à fait vivant.? .. , Je ne sais
COmment expliquer ... C'est un peu comme Versailles:
Un lambeau de ce qui fut et n'est plus. Ici on a relevé
des ruines on habite de nouveau ce château, et cela
Parai t mor't.
.
- Vous comprenez bien, murmura René avec un
regard admiratif.
- Ah 1 vous voyez cela aussi? Je suis très contente
de Penser comme vous.
- Si vous aviez vu les ruines autrefois, 's ûrement
vous auriez eu le désir d'installer votre chevalet dans
la COUr 1 enaissance et de peindre, continua le jeune
homme, se rapprochant d'elle. C'était romantique !...
Des murs écroulés mais tout enguirlandés de rose ;
de vieux buis bien' taillés; un air à la fois d'abandon
et d'attente' des ruines qui étaient un peu une Belle
au Bois Do'rmant : il aurait fallu qu'un Prince Charmant les réveillât!
Il s'arrêta et sourit:
- Vou devez me trouver absurde ...
- Ohl non 1
Elle dit cela très doucement. Elle croyait être enveloppée dans la caresse des yeux bruns posés sur elle
et c'était délicieux ... Elle éprouvait la sensation tou~
!l0uvell de n'être plus la même Henriane au cœur
Imprenable de Walkyrie, mais une autre, moins froide
plus humaine...
'
- A mOR tour d'être heureux, reprit René de voir
que vous ne me jugez pas ridicule.
'
Henriane faillit demander: «Vous tenez donc à
mon opinion? :.
La crainte. Qu'il ne, ~rît
;es mots pour une marque
de coquette ne, le deslr d entamer un flirt l'arrèta
Elle sourit, mais il était aimable, ce sourire,' et dit, ~
Se penchant davantage sur la balustrade:
- Ecoutez ce bruit. On dirait l'Océan; Qu'est-ce?
T'> Le mistral. Du vent, du soleil: c'est toute la
..-rovence 1
�SEULE DANS MON CŒUR
70
-
J'aime la Provence. Est-ce votre pays?
on. Ma famille est originaire du Gard.
- Mais c'est pareil.
- Oh 1 du tout. Vous le savez, M''''' de Sévigné parIait de 1'« indolence parfumée:t des Provençaux. C'est
toujours vrai En Provence. on aime se laisser vivre.
Les Cévenols sont une race de combat, plus âpre et
violente.
Elle tourna la tête vers lui. L'éclair des yeux volontaires remplaçait la douceur câline de la minute précédente. Et c'était toujours le même homme: le poète,
auteur de la J Duque. et le soldat
Le poète l'avait charmée le premier; elle comprit que
le conquérant la prenait mieux encore. A la seule façon
dont René la regardait. elle croya.it sentir son bras
autour de sa taille... Elle cherchait aussi à deviner quel
effet cela lui produirait si René mettait réellement son
br.as autour de sll; taUle ... El1e s'était appuyée contre
lUI C? val5ant, maIs alors ce geste ne signifiait rien et
la laissait. sans tro.uble; ~ côté d·eux. vingt autres garçons tenaient aussI des Jeunes filles. Mais aujourd'hui
- elle cherchait à définir cette sensation bizarre •
oui. aujourd'hui. s'ils étaient fiancés...
Brusquement, elle se dit:
« Est-ce qu'il m'aime ?.. Et moi, est-ce que je
l'aime? ... Je n'ai jamais supporté que personne ose me
dévisager de la sorte. et maintenant, s'il ce sait de me
regarder. cela me ...• oui, cela m'ennuierait beaucoup ... :t
- Où est Elisabeth? demanda-t-elle en s'écartant un
peu. car ils étaient à présent épaule contr épaule.
René se retourna :
- C'est vrai, où est-elle ? .. Ah 1 la voici 1 Elle déteste 1 . vent et cherche un abri. sans dolJlte.
- Allons la rejoindre, voulez-volls?
Il n'en avait pas très grande envie. Henriane aurait
dû s'en apercevoir. mais son manque de coquetterie.
presque de féminité. l'empêcha de voir qu'il souhaitait
peut-être prolonger la minute présente.
Le groupe de touristes anglais. ayant fini de photop'.raphier les diverses façades. concentrèrent leur attentlO1\ Sur ce couple élégant et. tout naturellement, prenant llcnrianc et René pour de jeunes époux en hOlley
�SEULE DANS MON CŒUR
71
échangèrent des réflexions discrètes SUr leur
passage. Les Anglaises regardèrent surtout René.
Mm. de Géorand, les voyant venir de loin, eut la
même impression que les excursionnistes inCOIIDus : si
bien faits l'un pour l'autre !...
Elle pensa:
« Il faut qu'elle soit la femmc de René. Il n'cn trouvera jamais une autre qui la vaille. »
La femme de René 1... Dire qu'il y avait par le
monde une jeune fille à laquelle ce bonheur était desde voir cela!
tiné 1... Mon Picu, que c'était d~lr
D'un geste rapide, furtif, Ehsabeth passa bien vite
son mouchoir sur ses paupières, cnsuite elle chercha
dans son sac sa pctite glace d'or, sa boîte à poudre.
Elle avait un teint fragile, scnsible au moindre
souffle d'air' du moins Henrianc en jugea ainsi lui
Voyant des ~arbues
sur les joues. Scs lèvrcs é~ient
décolorées, ses yeux un pcu gonflés. A côté d'Henriane
éclatante de santé le visage doré comme un fruit de
Septcmbrc les lèv'res rouges sans l'aide d'aucun fard
~lisabcth
paraissait subitcm~n
vieillie, beaucoup moin~
Jolie que de coutumc.
."
- Qu'est-ce que vous pouviez bIen faire Sur cette
terrassc où le vent vous coupe la figurc! gémit drôlement Mn" de Géorand, cn s'obligeant à retrouver son
acccnt habituel. Je mc suis misc à l'abri, ct ccla ne
m'empêche pas d'être gelée 1 Je dois être affreusc, toute
VCrte et violctte! Ne me regardez pas, René; laissezmoi me refairc une beauté.
Elle se poudrait vivcment. Le jeune homme dit, avec
Une sollicitude amicale:
- En eITet, vous parise~
tr.ansie. Je sui désolé ...
1,-fll' de Puybrantc ne connaissaIt pas Grignan j'ai eu
ia prétention de lui en faire les honneurs. No~s
avons
oublié .. .
- ... L'heure et moi ?... Très poli, man chcr 1... Ça va
Oh,l René, ne oyez donc pas
bien, je vous pardo~ne.
agaçant; je vous diS que Je vous pardonne ... Faut-il
l'écrire et le signer?
« Tâchez de nous découvrir un coin quelconque où
l'On pourra gOllter ct se réchauffer. Avec du thé des
gâteaux, j'oublierai bien, moi, l'heure et mon ma;i! :..
?no 011,
�~
~tJLE
DANS MON CŒUR
,Hen.rtanë se mit à rire. Son amie avait une tournure
~ e~pnt
amusante. Elle songeait: «Elisabeth est plus
Johe, plus spirituelle que moi », et n'en était certes
po~nt
Jalouse. Tout lui paraissait délicieux, ce soir, et
PU,IS elle voyait bien qu'Elisabeth- traitait René en
frere, et lui avait l'air de trouver cela parfait.
Ils redescendirent par les ruelles vers le bourg.
Re.né restait silencieux. Il était distrait, préoccupé.
ElIsabeth l'observait à la dérobée, pensivement. Elle
se disait: «Est-ce fait? A-t-il déjà parlé?» Car elle
ne mettait point en doute qu'il parlerait tôt ou tard,
et ,:'était le meilleur pour elle comme pour lui. Il vaut
toujours mieux l'irrémédiable, la situation tranchée. Il
valait mieux, dans ce cas, l'annonce des fiançailles de
René que la peur d'entendre René lui dire ce qu'elle
ne voulait pas entendre.
M. de Géorand arriva comme personne n'avait la
politesse de songer à lui. Il était radieux, encore plus
important, s'il est possible. Il annonça d'un air magnifique, déjà sénatorial, que le thé les attendait à l'hôtel
et demanda, sans perdre sa solennité, à M"e de Puybranle si la promenade lui laisserait un bon souvenir.
Renriane répondit par l'affirmative. Elle garderait un
souvenir inoubliable des heures écoulées ici; mais elle
aurait pu dire le contraire, c'eÎ1t été du pareil au même
pour M. de Géorand, dont l'esprit 'était ailleurs.
- Il faudra une fortune pour achever la restauration complète, décréta le mari d'Elisabeth; mais ce
seront là des millions bien employés. Les ruines n'offraient aucun intérêt, le château relevé attirera beaucoup plus de touristes; c'est une source de richesse
pour ce pays.
-: Vous n'êtes pas de l'avis de M. de la MotheYthler, repartit Henriane. Il regrette les ruines.
M. de Géorancl oublia la pose.
- Non? dit-il simplement.
- En reconstruisant Grignan on a fait un spI ndide
travail et une œuvre excellente, je ne le nie point,
répliqua René, mais on lui a nlevé son âme. C'est tuer
un mort.
-:- Ah? fit l'aspirant-sénateur, interloqué, mais admiratIf, car son cousin était, comme l'eût dit M. Smith t
�~EUL
DANS MON CŒUR
73
«un cerveau >'. «Tuer un mort! :. Ah! ça, mon vieux
c'est une formule épatante! épatante! - Il se gar ga ri~
sait. - Tuer un ..., ah 1 je te l'emprunterai; tu permets?
- Non, ne fais pas ça, dit le capitaine.
- Pourquoi?
- Parce que tu ne saurais pas l'employer.
Un autre eût été en droit d'être médiocrem ent Content. M. de Géorand avait sans doute bon caractère,
Il rit, d'un grand rire pour ainsi dire fastueux. Ensuite il demanda du thé à sa femme. Mme de Géorand,
déférant à ce vœu, remplit la tasse avec une nonchalance manifeste, mais tellement de grâce que son mari
la contemplait d'un œil charmé.
Après on ne dit plus rien. Alors l'avisé Louis crut
très spirituel de citer Heine:
- « Assis autour d'une table à thé, ils parlèrent
beaucoup de l'amour... :.
Ce fut un silence général. Surpris, il regarda l'assemblée et répéta d'un air fin :
- « Assis autour d'une tabl e à thé ... ) Nous y
sommes. Qui est-ce qui commence?
- Pas moi 1 articula Mm. de Géorand d'un petit ton
Sec.
René retint mal un mouvement de pitié et de mépris
à l'adresse de son cou sin.
- Alors, ma chère, moi non plus, dit galamment
Lou is, en baisant la main de sa femme.
Au fond, il était tout morfondu d'avoir eu un si bel
effet coupé.
La conversation reprit sur une question d'Henriane.
L'élan une fois donné, M. de Géorand ne s'arrêta plus.
Il s'entrainait sans doute pour une série de conférences
politiques et fit ruisseler sur ses auditeurs les flots
d'une éloquence implacable.
Mm. de Géorand but cinq tasses de thé, ce qui aurait
pour résultat de la rendre nerveuse. Elle subissait
d'un air excédé le verbiage de son époux . René la regardait avec inquiétude.
M. de Géorand, lancé sur les châteaux de la Drôme,
raconta sans débrider plusieurs légendes, en les assaiSOnnant de termes techniques d'architecture médiévale
afin de garder un genre tout à fait sérieux. 11 fut
�74
SEULE DANS MON CŒUR
coupé dans sa petite étude sur les ermitages du Tricastin par cette réflexion inattendue et combien mélancolique d'Elisabeth :
- Je voudrais être ermite.
~
Vous v.oudriez ... ? répéta le mari, estomaqué.
complètement
- Cela me plairait d'être seul~.
seule, ... de ne jamais voir personne nt ntendre parler,
pQUrsuivit Elisabeth, l'accent rêveur. Ce doit être dé lici~ux
de ne jamais entendre parler ...
- On deviendrait complètement abruti 1 répliqua
M. de Géorand, décisif. Ecoutez, ... nous sommes très
bien ici, mais il faudrait partir. La nuit vient tellement
vite, en octobre, et je ne suis pas sûr de mes phares.
- Henriane, reprit la jeune femme en se levant,
mon mari a oublié de vous raconter une histoire très
jolie. Il y a longtemps, oh! longtemps, peut-être des
siècles, trois sccurs qui s'aimaient beaucoup s'étaient
séparées et vivaient en recluses chacune au sommet
d'une montagne, entre Montélimar et Dieulefit. Elles
regardaient, le soir, s'il y avait de la lumière dans
l'ermitage voisin, et savaient ainsi mutuellement
qu'elles étaient encore toutes trois vivantes. Elles ne
se voyaient jamais. Un jOllr, une des lumières s'éteignit; nsuite \lne autre, et la dernière sœur apprit ainsi
que ses sœurs étaient mortes.
Ensemble, Ilenriane et Pené s'écrièrent:
- Oh 1 c'est touchant 1. ..
M. de Géorand mettait avec soin le manteau de sa
femme, a.r~nge,t
l~ col de la robe pour l'empêcher
d'être frOisse. Il decreta, bon garçon:
- ~e
.s~rte
de folies. sont périmées 1. .. Ce qu'on
peut ctre IdIOt, tout de meme 1 C'est formidable!
- Oui, c'est formidable! répliqua le capitaine avec
froideur.
ceux d'Elisabeth. Il se détourna.
Ses yeux c~ojsèrent
11 était gêné. Tout naturellement, il se rallprocha
d'Henriane.
Pas un muscle ne bougea sur la figure d'Elisabeth.
S eule, sa bouche trembla un pell. Cc fut très court.
Elle pensa une fois encore:
« Il vaut mieux celle-là qu'une autre. Avec elle, il
sera heureux. :.
�SEULE DANS MON CŒUR
7~
VIII
CARNET D'HENRIANE
yalréas,
10
oeto·ore.
J'avais enfermé ce cahier au fond d'un tiroir, pour
ne plus m'exposer à remplir les pages avec un seul
nom.
Je - le reprends aujourd'hui pour l'inscrire de nouveau; en le faisant, jè me demande si jl' ne rêve pas,
et c'est pOUT' redouter de m'éveiller de mon rêve, de
n'être plus la hancée de René.
Comment ai-je pu changer de la sorte? Il faut Que
la Prllvence m'ait ensorcelée 1... A force d'entendre
parler de l'amour, j'ai voulu en parler aussi. Cela
s'apprend sans doute très vite, car il parait que je ne
m'en tire pas trop mal.
Ainsi le fait est accompli: je suis fiancée, je suis
heur use. Mais quelle étrange chose de n'être plus
semblable à moi 1. •. C'est tout pareil au premier soir
où je me trouvais si bien dans ma maison. Les volets
sont clos, la lampe allumée, un joli feu brûle dans la
cheminée. Il n'y a que moi, et pourtant je ne suis plus
seule, puisque je pense à lui.
S'il savait combien scrupuleusement je m'analyse
il serait surpris, pas très content, je crois. Il est pourtant née ssaire de voir clair en soi au moment où la
vie qui tendait vers un but change et s'oriente VC1S
un autre tout différent. A la place du mot «liberté:)
il faut mettre « amour, ... bonheur ).
'
�7.,6
SEULE DANS MON CŒUR
C'est étrange ce mot « bonheur:. qui s'écrit toujours
de même et n'est jamais pareil. Je le voyais bien différent, un mois plus tôt. Bonheur, c'était alors travail,
succès, célébrité s'il se pouvait, en tout cas liberté complète.
A présent c'est fiançailles, bientôt mariage. C'est
René.
Personne ne s'est mêlé de nos fiançailles. Je suis
bien sûre que René ne se fût pas soucié de voir un
tiers lui offrir son concours ... Il est vrai qu'Elisabeth,
l'amie charmante nous a facilité les rencontres; c'e t
tellement gentil i elle, dont le bonheur n'est pas bien
grand, d'aider à celui des autres!
C'est chez elle que René m'a parlé, aujourd'hui.
Nous étions seuls dans la roseraie. J'ai tout de suite
deviné de quoi il allait ètre question. René était ému,
je l'étais aussi et j'avais un peu peur ... Oui, je l'avoue
à la fois qu'il ne dise rien et qu'il
ici : je t . rembl~is
parle. Dire OUI, ne serait-ce pas une folie? Et dire
non ...
Il me regardait en parIant d'une voix grave qui
tremblait. ]'ai,f senti qu'il me tenait, que j'étais 11 lui
parce qu'il le voulait, qu'il me serait impossible de me
dép rendre. J'ai dit oui.
Après, il m'a demandé :
- Est-ce bien vrai que vous m'aimez?
Quels yeux il a 1 C'est une cares'e et une flamme.
Je me croyais attirée vers lui uniquement par son
esp rit, son talent, sa valeur intellectuelle et morale,
même par sa race i mais s'i l avait de moins ueaux
yeux, un regard difTérent, aurais-je été prise?
J'ai répondu, en tâchant de sourire:
- Je ne sais pas exactement ce qu'est l'amour,
cependant je crois que je vous aime parce que, si je
vous avais vu avec une autre femme comme vous êtes
à présent avec moi, je ... , eh bien 1 cela m'aurait été
a IT reux!
Ces lignes ne sont pas pour lui, mais pour moi seule
Q.ui m'applique à bien me connaître. Je veux tout me
dir : c'est vrai, à cette minute, j'ai eu la vi ion de
;René avec une autre, ... n'importe laquelle i celte autre
Tccevant ses baisers, l'entendant dire des mots tendr~
�SEULE DANS MON CŒUR
77
avec cette voix ensorceleuse, et moi les regardant, ...
moi, qui serais seulement Hen,riane de Puybrante, la
jeune fille trop indépendante pour se donner un maître.
Cela m'a été horrible! J'ai serré son bras inconsciemment.
Il a souri et était tout ému; il m'a dit:
- Vous savez très bien ce que c'est que l'amour,
Il se trompe; je crains ~e
ne pas le. savoir, Il me
plaît; je serai fière de lui; Je ne voudraiS surtout pour
rien au monde qu'il ait passé à côté de moi ans me
voir. Est-ce uniquement cela, l'amour? N'y a-t-il p'as
quelque chose encore, .. , quelque chose de plus que je ne
sais pas ?.. ,
Au milieu dt: ma joie présen te il y a une ombre:
le regret de n'avoir pas rencontré René quand j'avais
vingt ans; je sens que je l'aurais adoré, C'est peutêtre un tort de marier les filles trop jeunes. Pourtant
je crois qu'il vaut mieux être jeune pour aimer. Ne
pas trop savoir, ne pas trop chercher,... et moi, je
ch rche .. ,
Lorsque nous sommes rentrés à la maison, Elisacloux, très
beth jouait du piano, un thème extrêm~
simple, un peu triste. J'ai vu René soudall1 tout pâle.
Il est tellement sensible à la musique 1 Pour lui, cet
air restera CI: l'air de' 110S fiançailles ».
Il s'es t approché; Elisabeth a tourné la tête, elle lui
interroger. J'ai
a souri, puis m'a regardée, sembla~t
dit aussitôt avec la sensation de rougir:
- Nous sommes fiancés,
Elisabeth s'est dressée d'un jet. Elle aussi est émotive, je l'ai vlIe hanger de cou leu.r.
- Fiancés? dit-elle. C'est gentll de venir me II! diCO!
J'adore voir des gens heureux!... Je vous embrasse
IIenriane; vous permettez?
'
Je n'aime pas beaucoup les démonstrations mais
venant d'une amie dont je sens l'affection réel~
c'es t
diITérent. Plus j'y réfléchis, plus j'admire Eli~abeth
de n'être point envieuse de ma joie, de la partager sin~
cèrement. Ce n'est presque ricn de n'avoir pas de
bonheur, si l'on n'est pas forcé de voir celui des
autres.
- Rl~né,
vous avez padait:ment choisi ma cousine,
�78
SEULE DANS MON CŒUR
a-t-elle continué avec cette grâce qui lui est particulière et qu'elle semblait accentuer ce soir.
H s'est incliné. Le sourire reconnaissant qu'il lui
destinait est tombé sur moi. Je n'ai pas trouvé cela
désagréable.
Elisabeth m'a retenue tout le jour. Son mari absent
devait rentrer dans la nuit. Nous avons passé à trois
une soirée délicieuse. Quand je dis trois.... Elisabeth
a eu le tact de découvrir je ne sais quoi d'urgent à
faire et nous a laissés seuls, René et moi.
e René et moi...:t C'est un rêve de pouvoir écrire
ces trois mots.
Combi n plus exquis encore. s'il est possible, que
la soirée fut le retour à Valréas, la promenade sous
le clair de lune. et puis l'adieu sur ma porte. l'adieu
qui est un «au revoir> chuchoté deux fois dans un
baiser.
Je voulais écrire ceci avant minuit car à mes yeux
~'cs
ma dernière. v~ritable
journée d~ jeune fille libre,
Independante. qUI s achève. 11 y aura la période des
fiançailles. c'est vrai. mais déjà je ne suis plus tout à
fait moi. En esprit je lui appartiens. nous sommes l'un
à l'autre.
Quelques semaines encore et je serai sa femme
Alors. qu'aurai-Je besoin de ce carnet? C'est à mo~
mari que je .po~rai
tau! dire, car il n'y aura pas. en
mOIl ~œur
SI bien, gard~.
~ne
pensée qu'il ne puisse
connaltre. Dès à present, Il n y a que lui 1
�SEULE DANS MON CŒUEI
~
DEUXlt. lE PA TIE
1
Une averse de grésil, brusque giboulée de printemps,
cinglait les vitres. Dehors il faisait presque froid; la
tiédeur du petit salon, une pièce d'angle très claire dont
Henriane avait fait son atelier, surprit agréablement
René lorsqu'il entra.
Le parfum des violettes contenues clans des coupes
larges et basses, cI'un bleu mourant, se mêlait à la senteur du tabac anglai . Il Y avait partout cles fleurs:
des jacinthes blanches, des tulipes et de simples primevères des champs bien tassées en boule dans des verreries d Venise.
Des fleurs partout, mais personne pour accueillir
i'arrivant. René éprouva lin petit choc. L sourire
tendre d' J'homme marié depuis quelques mois et tout
heureux à l'idée ~e retro.uver le ho~e
et la bien-aimée,
s 'effaça. PourquoI Hennane ne lUI avait-elle pas dit
~
mat!n,. ses pr<?jets 'p0.ur l'après-midi ?... Jusqu'à c~
Jour.. l,~mon
a.valt ,éte SI, ét:olte entre eux qu'il ressentit IUl1preSS1011 d une ~;chlrue
de ce seul fait, pourtant infime: sa femme n etait pas au logis.
Où pouvait-eHe se trouver? Faisait-elle des vi~;tes?
L'une de ses tantes était peut-être venue la chercher
Pour l'emmener à un concert ou une exposition? A
lnoins qu'elle ne Hlt chez Elisabeth de Géorand ?...
Il eut un instant cette pensée: «Si j'allais la re-
�80
SEULE DANS MON CŒUR
joindre? » Mais c'eût été un peu ridicule de téléphoner
à Mm. d'Olmeuse ou à Mm, Smith, et s~ rendre chez
Elisabeth, ... non, il préférait ne pas le faire; .
.seneusement
Le jeune mari, déçu beaucoup plu~
qu'il n'aurait voulu en convenir, se dll"lgea vers sa
chambre afin d'enlever son uniforme; il fallait pour
le cabinet de toilette d'Henriane; ce
cela tra~es
serait déjà un peu la retrouver, vo!r ce désordre fé~i
nin: un vêtement d'intérieur tramant sur la chaise
on a .hésité, ab~ndo
longue, les robes entre lesqu~
nées, et le parfum léger, à peme sensible, et tres persistant, dont tous les objets personnels d Hennane se
trouvaient imprégnés.
L'ordre impeccable de l'appartement lui fut encore
une déception. Certes, il lui aurait déplu de voir sa
femme négliger son intérieur mais cette rectitude devenait tellement froiùe!
'
La chamb~e.
d'Henriane, comme le salon, révélait
son sens artistique, pas une vulgarité de détails n'eût
été tolérée; mais tant de netteté finissait par se transformer en sécheresse. René s'en apercevait seulement
aujourd'hui.
Tout d'abord, suivant l'usage des nouveaux épollx
très épris, enchanté d'avoir un foyer, lui, l'éternel
voyageur qui ne connaissait que des installations de
fortun , le jeune homme avait admiré tout ce qui plaisait à sa femme. Il lui disait tendrement: «Vous êtes
reine au logis. »
Elle avait donc arrangé à son goût et les vieux
meubles familiaux enlevés à la maison 'de Valréas et
I~s
objets exotiq~
rapportés de ses campagnes c~lo
males par le capltame. Chaque bibelot se trollvait à la
place exacte où il devait être; l'ensemble était réussi
propre à exciter la jalousie des jeunes femmes snob~
qui ne rêvent que fétiches nègres et meubles africains.
E1le avait su harmoniser les meubles du XVIJl' et les
broderies de Bac-Nirih. C'était vraim nt très bi n et
on ne sait pourquoi, malgré tant de pièces rares, ~ela
manquait de personnalité. Il y manquait quelque chose;
quoi, au juste? René, le sentant, ne pouvait le définir.
II n lui était pas cncore venu à l'esprit qu'Henrianc
�SEULE DANS MON CŒUR
~t
ne lui avait laissé aucune part dans l'aménagement de
leur home. Le faisait-elle pour montrer ses qualités
d'organisatrice, ou sa volonté de décider seule? Agissait-elle au contraire afin de lui donner la jouissance
de se trouver bien chez soi, sans avoir la moindre
peine? ... Il était tout disposé à croire ceci et en être
reconnaissant; mais ce soir, parce qu'elle lui avait
involontairement fourni le temps de réfléchir dans la
solitude il se mettait à «démonter,. la situation, et
brusqe~nt,
elle lui apparaissait beaucoup moin~
agréable.
Il acheva de s'habiller distraitement; la pluie continuait à battre les vitres. Il ouvrit la fenêtre sans
savoir pourquoi et s;eçut un paquet d'eau à la figure;
ceci le rappela au present.
Il pensa, ennuyé :
« Pourvu qu'elle ne me téléphone pas de venir la
rejoindre chez les Smith pour dîner! Ils sont tellement
rasants 1 ,.
Ses réflexions commençaient à tourner au gris foncé.
Suivant l'usage des gens condamnés à l'attente, il se
remémora tout ce qui pouvait lui être le plus désagréable : depuis les plus légères divergences de vues
qui avaient pu se produire entre. sa feml1?-e et lui, jusqu'à l'obligation d'accepter certaines relatIOns de jeune
fille d'HerÎriane, des amies dont le genre ct les idées
ne lui plaisaient pas; sans excepter l'énervement causé
pal l'habitude qu'avait M. Smith de le désigner ainsi:
«Mon neveu Azergues >, montrant de la sorte CJue le
capitaine de la Mothe-Ythier était pOur lui, pour son
.
cercle intime, avant tout J'auteur de ta J O~lqUC
... René pas~it
'par t?u!es (e.s phases de l'aten~
d'abord c~ntraé,
11 en ~tal
maintenant à l'inquiétude.
aller t vCl1Ir d.ans la salIe à manger: on
II ent~dal
mettaIt le couvert, et Hennane nc rentrait pas. Ordinairement elle était à la maison à l'heure où lui-même
r venait du quartier. Ce soir, où était-elle? Pourquoi
s'attardait-ell ?... Un accident ?...
II prenait peur. La femme de chambre - une vieillè
ervante fidèle, passée du service de Mm. de Puybrante
à celui de sa petite-fiUe - répondit à ses questions du
ton le plus s rein :
�82
SEULE DANS MON CŒUR
« Madame était sortie à trois heures. Naturellement,
elle n'avait pas dit où elle allait ... Elle n'avait pas dit
non plus quand elle rentrerait. »
Il n'aurait pas dû s'en étonner: Henriane était de
nature lort indépendante. René pensa qu'elle l'était un
peu trop 1. .. Il voulait bien s'abstenir d'exercer un contrôle, mais Henriane aurait dü lui en savoir gré; non
seulement elle ne se croyait pas obligée de lui en savoir
gré, mais elle trouvait normal de ne devoir à son mari
aucun compte de ses actions.
Jusqu'à ces derniers jours leur vie était encore, si
l'on peut dire, artificielle. Après la période paradisiaque de la lune de miel, il y avait eu le retour du
voyage de noces, puis la réinstallation à Paris, l'organisation de leur intérieur. Ils vivaient l'un pour
l'autre et l'un de l'autre - du moins René le pensait~1. - Po~r
lui, évidemment, ses obligations militaires
Jntery~al;
t;'~is
elle n'avait qu'à songer à lui. Les
conditions matenelles de leur existence sans être très
luxueuses, étaient suffisammen t larges' pour qu'Hcnriane n'eüt à se préoccuper de ri n. Jusqu'alors elle
avait consacré tout son temps à son mari. Ce soir
René eut l'impression vague qu'elle ne pensait déjà
plus à lui uniquement, d'autres soucis devaient entrer
dans son espri l.
Un pas vif et léger dans l'antichambre arracha le
jeune homme à ses méditations de moins en moins
joyeuses. Henriane apparaissait, très gaie, très élégante dans ses fourrures; ayant marché vite dans l'air
piquant, ses joues brunes se fardaient de rose.
C'était vraiment une superbe femme. Malgré le cor'Sage montant, on devinait que, décolletée, eUe devait
avoir une gorge de déesse. TI y avait maintenant chez.
eUe ce quelque chose d'achevé, de fixé, que donne le
mariage.
- Bonsoir 1 jeta du seuil sa voix bien timbrée. Vous
m'attendez depuis longtemps?
René sentait sa mauvaise humeur se fondre. Avec
un tendre sourire, il reprocha:
- Regardez l'heure 1 Je me demandais ce que vous'
étiez devenue.
- Vous ne vous êtes pas cru abandonné? Eh bienI
�SEULE DANS MON CŒUR
B3
alors, tout ce que vous avez pu imaginer m'est égal!
dit-elle gaîment. Je suis rentrée le plus vite possible.
J'ai quitté des gens très intéressants. Vous allez m'admirer, n'est-ce pas?
- Si intéressants qu'ils soient, répliqua le jeune
homme, s'efforçant de prendre un. ton de plaisanterie,
j'estime l'être un peu, moi aussI. J'aurais été heureux de vous trouver à mon retour, comme d'habitude.
Je vous l'avoue, j'ai été déçu en ne vous voyant pas,
cbérie.
Il l'attira tout contre lui et l'embrassa. Il y avait
encore une ombre dans ses yeux. Henriane fut surprise:
- Oh! René! vraiment vous m'en voulez, je crois ? ...
Mais c'est de l'exagération! Nous sommes de vieuX;
époux. Bientôt six mois: c'est un chiffre!
- Les vieux époux sont les meilleurs, affirma René;
r sse rrant son bras autour d'elle. C'est à l'user qu'on
s'apprécie. Moi, j'apprécie tellement ma très vieille
femme que j'aimerais lui entendre dire quelque chose
de gentil, ... comme au t'emps où elle était toute jeune.
Une lueur plus douce passa dans les prunelles d'Henriane.
Elle venait de voir un certain nombre d'hommes,
ornements du salon de Mm, Smith, et général ement
très admirés. Evoquant mentalement leurs silhouettes
et se rappelant leurs propos, elle pensait:
« De belles brutes ou des « fin s de race:.; aucun ne
pouvait soutenir la comparaison avec René.:'
Elle eut soudall1 un grand bonheur, une immense
fierté, et dil avec une sorte d'émotion joyeuse:
- C'est vous qui êtes gentil de tant m'aimer!
Alors René oublia l'heure qu'il venait de passer à
méditer, solitaire; il préférait maintenant laisser tomber tout cela dans l'oubli. Il se jugea fou de s'être
tourmenté pour rien ... Cela fit que la discrète Céline
ayant frappé deux fois avant d'annoncer le dîner, vit
Madame s'évader des bras de Monsieur. Ce sont là
des faits qui se produisent journellement. Céline en
conclut avec satisfaction que ses maîtres «s'entendaient bien :..
Ils s'ent ndai nt à m.erveille. Le contrairp n'aurait
�~4
SEULE DANS MON CŒUR
pu se produire que si René, au lieu d'approuver toutes
les décisions de sa femme, l'avait priée rie prendre
d'<tbord son avis; jusqu'ici il s'en était abstenu. Henriane était à vingt lieues de soupçonner qu'il eût été
en droit de le faire.
- Qui avez-vous rencontré cette après-midi? interrogea René en se mettant à table. Il était question de
gens particulièrement brillant!:, si je ne me trompe.
C'est du genre Olmeuse ou Smith?
Il y avait une pointe d'ironie dans son accent. Les
tantes de sa femme lui paraissaient deux insupportables poseuses. 11 né comprenait pas comment Henrianc, si peu attachée à sa famille, 'imposait la corvée
d'aller les voir.
- J'ai d'abord passé un moment au Club avec mon
amie Gilet~
Albaret, répondit Henriane; elle m'a
présenté GUIvré, le journaliste ... Pourquoi faites-vous
ce sourcil fâché?
- Parce quc je n'ai pas bcaucoup de sympathie pour
Mil' Albaret, répliqua le capitaine d'un ton scc auquel
sa fcmme n'était point accoutumée. Je connais Guivré
c' st un gentil garçon, c'est entendu, mais je pr"[éeai~
qu'il vous eLIt été présenté par l'un de vos oncles.
- Il a fait son droit avec illette. C' st un camarad e, sans plus. Elle peut bien le recevoir, il n'y a rien
de mail ... Vous semblez toujours croire que la simple
amitié est impossible entre un jeune homme et une
jeune femme.
- Je ne le mcts pas en doute: j'en sui Slll', dit René.
Il y 'ut un petit silence.
- A propos d'amie, reprit Ilenrianc, j'ai r ncontré
aussi Elisabeth. J'étai confuse de n'être pa allée chez
elle depuis un temps infini.
René se plong 'a dans l'examen des armoirie gravées sur sa fourchette.
- J'ai tort, continua Henrian . Elisab th est charmante POUT moi, et Louis peut vous servir, puisqu'il
a réu ssi à se faire élire sénateur. - Elle rit. - J'e père ne pas vous froisser, R né, mais vraiment, ... Louis
appelé à mettre les mains dans les affaires d la
France !... C'e t drôle!
- Oh t il le met si peu! fit René. On ne s'en aper-
�SEULE DANS MON CŒUR
85
pas 1 Il a des travers, mais c'cst un bon garçon.
Henriane avança les lèvres dans une moue réprobatrice :
- Vous voilà bien, vous autres, hommes: «Un bon
garçon 1... » Sa femme est malheureuse, vous savez.
- Je sais, dit René, la voix brève.
- Si jamais vous aviez la même bonté pour moi
je le prendrais moins bien qu'Elisabeth, conclut Hen~
r iane gaîment.
- Vous n'avez pas besoin d'envisager cette éventualité, articula son mari, soudain très grave. J'estime
qu'un homme doit tenir la parole donnée à sa femme,
COmme elle-même la tient. Vous n'allez pas me comparer à Louis, je uppose?
- Je tle vous compare à person~,
... ou plutôt si,
mais c'est pour établir tille comparaison. - Elle détachait le mot. - Je crois vous avoir dit une fois que
vous me plaisiez parce que vous êtes différent des
autres ... Vous l'avez peut-être oublié? C'est déjà vieux!
li sourit: .
- J'ai une bonne mémoire; je me rappelle très bien
ce jour. C'est précisément c lui où j'ai souhaité vous
voir devenir ma femme.
Il avança la main vers celle d'Henriane, puis la retira, car Céline entrait de nouveau, et demanda, reprenant le ton indi fférent, léger d'une conversation banale:
- Vous ne m'avez pas eneore dit quel étaient ces
gens si intéressants qlJi vous ont rait otlbi~r
l'h~tre
et moi-même 1
- Eh bien 1 c'est le journaliste déjà nommé, plu
deux académiciens, un futur membre de J'lnslitul; des
personnalités, comme vous voyez!
René interrompit en riant:
- Inutile de me dire dans quel salon étaient rassemblés les trois derniers· : c'est un ras emblement
Smith! Votre tante prépan!-t-elle un recueil de petits
vers, ou l'histoire du dernier salon de Paris - le sil!tl
- en dix volumes? 11 faut bien ça pour un seul salonj
pOur dix, il suffirait de. quatre pages.
,
- Vous êtes mauvais!
- Mais non. Vous êtes contente, je le vois; je me
réjouis d'apprendre que vous vous êtes un peu amu éc
~evra
�86
SEULE DANS MON CŒUR
au milieu de toutes ces bêtes savantes qui faisaient
leurs tours!
Henriane, sans pouvoir toutefois s'empêcher de rire,
coupa vivement:
- Oh 1 René, soyez donc poli!... Tante Christiane a
pensé qu'ils pourraient vous être utiles. C'est très gentil de sa part.
- M'être utiles ?... Bon Dieu 1 ma chère, mais en
quoi? dit-il, stupéfié.
Henriane répondit, souriante : «Tout à l'heure 1 :. en
jndiquant Céline d'un mouvement des cils.
Une fois revenus au salon. avant de laisser à sm
mari le temps de questionner. elle d manda très vite,
- Qu'avez-vous en train, pour le moment?
- Pardon? interrogea René, sans comprendre.
- Oui: qu'est-ce que vous écrivez?
_ - Mais ... je n'écris rien 1... Voyons. Henriane. nous
sommes mariés depuis cinq mois. Quoi que vous en
disiez, ce n'est pas encore la sursaturation. ni même
la. morne acco.utumance. Dans quelque temps .... je ne
sais pas combien de temps. à vrai dire. je redevienparaît que j'en suis un. Pour
drai un écrivain. pui~q'l
l'instant. j'ai assez à faire de commander ma compagnie. sans pour cel;t délaisser ma femme. Cela lui
déplaît-il tellement qu'elle voudrait me renvoyer à mes
chères études?
Il lui caressait les cheveux et lui mit un baiser sur
la tempe, au bout du sourcil. Henriane recula, en
di sant. contrariée:
- Ne plaisantez pas toujours !... Sérieusement. cher,
il faut travailler. La J ollqlle est un pur chef-d'œuvre;
ne laissez pas tomber votre nom dans l'oubli. Tout le
monde me l'a dit, ce soir, chez tante Christian. Ne
ri n faire cette année serait gaspiller la veine. Avec le
lancement que vous avez eu par la J Ol1qu,e, si vous
faisiez paraître un autre volume ce serait l'énorme
succès. Vous avez une quantité de notes: mett z-les
au point. envoyez-les à la N ouvette Revue b/ollChe. Guivré vous fera une presse excellente. les Smith sont disposés à mettre en branle toutes leurs relations dans le
monde littéraire. les Olmeuse, par leur cousin Schomberg. feront marcher le parti des ducs à l'Académie ...
�SEULE DANS MON CŒUR
87
« Voilà pourquoi elle est toujours fourrée chez les
Smith et les Olmeuse! pensa René, qui écoutait sans
interrompre. Après tout, c'est gentil d'être ambitieusp
pour moi. »
- Vous aurez le Grand Prix! acheva Henriane.
- Oh! ça ... 1 fit-il, sceptique. Je sais .bien qu'en pareille matière les influences Jouent, mais que voulezvous? je ne me gobe pas encore suffisamment pour
m'imaginer cet énorme et fabuleux succès!
- Vous manquez de confiance en vous, reprocha
Henriane. Je vous en prie, mettez-vous au travail ans
tarder. C'est très sérieux! insista-t-elle.
- Quand ça, au travail? Cette nuit? ... Ma chère,
vous êtes implacable 1
Il se leva pour prendre une cigarette. Henrialle le
regardait avec persistance. Une expression mécontente passait dans ses yeux, durcissant tout son visage.
- Ces excellents Smith 1 ces incomparables Olmeuse!
poursuivit René d'un ton léger. En voilà qui ont l'esprit de famille 1. .. Et l'on prétend que cela n'exi ste plus!
Henriane serra les lèvres. Elle articula, s' fforçanl
de dissimuler sa contrariété:
Oh J cessez de vous moquer J Vous le faites
exprès pour m'être désagréable. Ce que je vous dis là
n'a rien d'ennuyeux, il me s mble. Nous somme tous
deu'( d'accord sur ce point, n'est-ce pas ([u'il faut
employer utilement sa vie?
'
- Certainement! répliqua le jeune homme, ce sant
de sourire, car le ton de sa femme le surprenait en le
froissant. La mienne, je pense, peut être considérée
Comm' telle, en eITet.
La manière dont il disait ceci montrait qu'il n'était
point d'humeur à recevoir des leçons.
- ~e
déteste l'ois~veté,.
:eprit . Henriane, presque
agrcss lve. En me manant, J etais bien décidé à continuer à peindre.
- J ne vous en empêche pas, fit René, simplement
- Si, vou m'cn empêchez en faisant de moi une
femme di fférente d~ .ce que j'étais, déclara Henriane,
prCnant son élan. J al attendu pour aborder ce sujet
Cela m'est très dur de vous le dire, mais il me
semble...
�88
SEULE DANS MON CŒUR
- Il vous semble... ? répéta René du même accent.
- Que nous ne faisons pas tous les deux ce que
nous devrions faire. Nous vivons uniquement pour
nou s. Est-ce tout à fait ·bien?
11 était confondu tout près de se fâcher. Puis ii se
un enfant, qu'il faut avoir de la
dit qu'une femme ~st
patience. Il revint s'asseoir auprès d'elle et répondit
avec douceur :
- Mon amie, j'ai la conviction de n'être pas du
tout parfait, j'ai certainement une quantité de défauts,
mais j'ai aussi la ferme volonté de faire tout ce qui
dépend de moi pour vous rendre heureuse. Si je n'ai
pas pris le bon moyen, excusez-moi; je le croyais·
excellent. Je ne sais ce que vous souhaitez accomplir
de sublime, mais, pour ma part, permetœz-moi de vous
le dire, je juge avoir assez de choses à faire, assez
de devoirs à remplir pour estimer nécessaire de m'en
imposer d'autres. Et vous-même, en étant l'épouse
charmante que vous êtes, remplissez aussi tous les
vôtres, croyez-Je.
- C'est là où je vous arrête, dit Henriane. Vous
voyez en moi seulement l'épouse.
- Mais ... que pourrais-je voir de plus, chérie? dit-il,
interloqué.
- Je suis votre femme, c'est vrai, mais j'ai une
personnali té qui m'appartient.
Il essaya de l'embrasser:
- Le tien, Je mien ... Dis «le nôtre >, veux-tu?
- Laisscz-moi,. .. je vous en prie, René! C'est très
s~ricu
.
« Il faut que je m'explique pour que vous compre-
niez ma pensée: il y a votre femme et il y a tout de
moi. Je ne peux pas changer complètem nt.
m ~me
Nous nous aimons; si je ne vous aimais pas, je n'aurais jamais accepté de me marier; mais d'être votre
f mme n' mpêche pas que j'aie des idées à moi, comme
vous avez 1 s vôtr s... Vous m'en voulez? >
- Non, dit René, gravement j ne vous n veux
façon opposée à [a
pas. Vous voyez 1 question d'u~e
mienne. Vous m'aimez avec votre esprit; je me figuraIS que c'était avec votre cœUf. Vous êtes ambitieuse
p')l\r moi, parc que vous souhaitez pouvoir être or-
�SEULE DANS MON CŒUR
8g
gueilleuse de moi. Evidemment, c'est une forme de
l'amour. Ce n'est plus l'amour tout court. Il ne suffit
donc point, comme je le croyais, à remplir un cœur de
femme?
Henriane sentit Qu'elle l'avait horriblement peiné.
Elle était désolée, peut-être encore plus surprise.
Ils se turent pendant un temps assez long. Henriane
attendait un mot qui ne venait pas. Le silence d~
son mari l'effrayait un peu. Alors elle dit, très embar..
ras sée :
- Je ne voulais pas vous faire de la peine, ... René~
Vous le croyez?
Il répondit, en s'efforçant de sourire:
- Certainement, chérie.
Puis, d'un accord tacite, ils se mirent à parler d'autr~
chose.
C'était triste, ces pauvres phrases banales auxqel~
ils se contraignaient...
1
�90
SEULE DANS MON CŒUR
II
M. de Géorand se versa un petit verre de cherry,
choisit un cigare - un très bon, de ceux qu'il offrait
à ses amis seulement lorsqu'il voulait leur faire bien
envie, - l'alluma et prononça, décisif :
- J'avais toujours pris René pour un garçon bien
élevé; je commence à changer d'avis sur son compte !...
Il pourrait se donner la peine de nous rendre visite!
Il étudia complaisamment la silhouette de sa femme,
assise au coin de la cheminée, dans un petit fauteui! si bas que sa rob e trainait sur le tapis. Il éprouva
de J' orgueil et conclut, sans attendre de réponse:
- Qu'il mette de la négligence avec moi, passe 11core! Ce n'est pas gentil, mais... un homme marié
depuis moins d'un an,... oui, .. , j'adf!lets les circonstances allénuantes. Il ne faut pas etre trop formaliste!.., Mais à votre endroit, ma chère, un pareil
manque d'empressement est de l'impolitesse tout court.
C'est inadmissible - il scanda: - et je ne l'admets
pasl
Il attendait un mot un geste quelconque enfin, prouvan~
qu'Elisabeth se' tenait pour favorisée d'avoir un
man aussi parfait.
~our
mieux cntendre, il posa sur le guéridon on
pel1t verre de cherry.
- Oh 1 moi, dit Elisabeth d'un ton détaché, ça m'e t
complètement égal.
M. !e sénateur, qui était assoiffé d'égards, fut interdit.
- Cependant. .. , commença-toit, trè dign '.
:- Que voulez-vous Clue ccla me fasse? dit encore
E, llsabeth.
- Mais ... je vou croyais trt: bien avec Henriane ?...
C'est vous qui avez fait ce mariage, avouez-le!
�SEULE DANS MON CŒUR
91
- C'est exact. Si je n'ai pas fait, comme vous dites'
ce mariage, j'y ai du moins aidé tant que j'ai pu, et j~
's uis très liée avec Henriane.
- Alors elle devrait venir vous voir 1 Quand on est
intimes, on prend du plaisir à se voir... Cela tombe
sous le sens!
Elisabeth se pencha vers la chatte siamoise qui ronronnait sur ses genoux, elle caressa le museau rose
avec le gland d'un coussin.
- Qu'entendez-vous par intimité? dit-elle.
M. de Géorand, dont l'esprit n'avait rien de subtil,
redoutait les conversations su.r les pointes d'aiguilles. Il
mit à rire en répliquant avec Une bonté protectrice:;.
- Vous voulez me faire marcher 1
- Du tout. Je désire seulement savoir comment vous
entendez le mot intimité. Si elle consiste à se chercher partout, à se montrer ensemble constamment,
Henriane et moi ne sommes pas intimes; si, au contraire, c'est avoir de la sympathie l'une pour l'autre,
s'estimer, s'apprécier mutuellement, malgré des goûts
souvent dissem blables ...
- Vous ne vous ressemblez pas, c'est certain! intercala Louis. Mais puisque Henriane et vous êtes grandes
amies tout de même, c'est très bien. Pour ma part, je
préférerais voir nos cousins plus «famille).
- En quoi peuvent-ils vous servir? interrogea Elisabeth, d'un air de douceur ironiquf'.
M. de Géorand, vexé, plastronna :
- Ma chère, c'est plutôt moi qui pourrais rendre
quelques services à René. Malgré sa façon d'agir désinvolte - on dirait qu'il nous fuit, ma parole 1 - je
n'y manquerai pas, le cas échéant, faites-moi l'honneur
de le croire ... Vous ne le croyez pas?
- Mais si.
- Je suis tout prêt à user de mon influence politiqu e en sa faveur, poursuivit M. de Géorand, si content de soi qu'il en oubliait presque ses griefs contre
son jeune cousin. Les liens du sang nous imposent des
obligations. Ce n'est pas en laissant tomber Hcnriane
et René que nous ...
La jeune femme interrogea, légèrement railleu se:
- Pardon 1 tout à l'heure c'étaient eux, plutôt, qui
se
�92
SEULE DANS MON
cœUR
n?us laissaient .tomber. d'après vous. Moi. je vous ai
repondu ...
- ... Que vous étiez très liée avec Henriane et aviez
aidé à lui faire épouser votre cousin... J'en suis
charmé 1... Je ne nie pas que cela ne m'ait tout d'abord
déplu ... J'ai eu un tas d'ennuis avec les Châteaubran!
Mais inutile de revenir sur le passé. J'ai été tout de
même élu: c'est l'essentiel. Pour en revenir à René,
cette alliance est meilleure qu'elle ne le paraissait.
Henriane a peu de fortune, je le reconnais; René s'est
montré désintéressé' le Puybrante n'ont pas grand
de seconde zone. si l'on peut
éclat, c'est du patri~
dire - il sourit d'un air fin. - Mais il y a les Olmeuse
qui. eux. sont beaucoup et les Smith .... ah Iles Smith !...
Du train dont ils vont' s'ils avaient une fille ils la marieraient chez des prin~es
médiatisés!
- Il est regrettable, alors. qu'ils n'aient point songé
à se donner une fille, répliqua Elisabeth. car il n'y a
pas grand'chose à espérer de leur fils. Pour le physique,
il tient de son père ... En un sens, il a raison. car ce
père est tellement laid que. si le petit était joli, on se
demanderait quel est l'auteur de sa joliesse 1
M. de Géorand était toujour très content lorsqu'il
entendait vanter l'esprit de sa femme. Mais celle fois
il était tout seul pour en juger, il trouva Elisabeth
trop peu indulgente et rétorqua vivement:
Il pourrait tenir de sa mère. Mn" Smith est fort
bien.
- Non? fit simplement Elisabeth.
- Je vous assure ... Elle a de la branche 1
- Cela oui, je le reconnais. A la chasse. en habit
rouge, elle doit être bien. Elle a su tirer un bon parti
de son air grognon. Quand, par hasard, elle est aimable, on en est tout ému; ce n'est pas sot. Mais,
c?mme disent les Provençaux, pour la bonne grâce.
c est une barre de pOrte 1
M. de Géorand refusa de sourire. Il était contrarié. Ainsi qu'il le disait lui-même il pensait que la
concourir à la
famille et ses ramifications devai~nt
gr1andeu!' générale ou individuelle de ses membres.
1. preterait son appui au capitaine de la MotheYthler, Son cousin, lorsque ledit capitaine de la Mothe-
�SEULE DANS MON CŒUR
93
Ythier aurait besoin de faire suivre sa proposition
pour le tableau d·avancement. Ces sortes de choses se
doivent; par contre Henriane. puisqu'elle était maintenant apparentée aux Géorand. devait introduire les
cousins de son mari dans le cercle Olmeuse. où le
genre de pose était de ne pas poser. comme dans la
coterie Smith où l'on pouvait recueillir d'excellents
« tuyaux » de Bourse et des invitations d'altesses
étrangères.
«Un pour tous. tous pour un :l>. aurait dit M. de
Géorand si. né trois siècles plus tôt. il avait été mousquetaire. Il le disait encore en tant que sénateur. et le
plus surprenant est qu'il était décidé non seu lem ent à
faire se dévouer les autres à lui - ce qui est très
commun - mais à se multiplier pour chacun des
mebr~
du clan. Cela est IlluS rare.
Sa femme. en l'écoutant. pensait qu'il était bien ridicule lorsqu' il sc mettait à pontifier. mai ce n'était
pas un mauvais homme. Cette constatation lui arracha
un soupir.
M. de Géorand. tout à ses combinaisons diplomatiques. cherchait un moyen de faire omprenJre a
secrète pensée. Il n'en trouvait aucun.
Elisabeth se l ·va. Elle avait des mouvements sou ples.
gracieux comme cellx de sa chatte. Elle déposa la bl,te
de salon sur les genoux de son mari qui. tupUïé.
demeura la bouche ouverte.
- Pour quel jour dois-je inviter HcnriatH.: d l'cne!
à dîner? dit-elle. très douce.
M. de Géorand. encore ébahi. la regarda.
- Pour quel jour? répéta Elisabeth. du même ton
de calme indi !Térence.
- Ma chère. s'écria Louis. tran porté. vous ~t s remarquable... Je veux dire. vous -tes tr' bonne ... C'est
bien gentil à vous de ne pas vous formaliser de leur
attitude.... car enfin, il eôt été poli de leur part d' nous
engager à venir pendre la crémaillère 1
- Vous seriez très aimable de me répondre. Louis.
Doi s-je les inviter. oui ou non?
M. de Géorand aurait préféré trouver un biais pour
faire il la nièce de Mm.. d'Olmeuse et Smith une politesse moins polie. Même en se creu ant la cervelle. il
�94
SEULE DANS MON CŒUR
ne, put i~vel:tr
une façon ingénieuse de prier Iè Jèun~
men age a dmer. sans le dire. Alors il se rabattit sur
les termes de la convocation et décréta, magnifique:
- ~a.
chère Elisabeth, vous êtes souveraine maîtresse IC!. Vous faites ce que bon vous semble. S'il
~ous
plaIt de recevoir nos cousins. choisissez la date:
Je me rangerai, comme toujours. à votre avis .
. Il avala d'un trait le reste de son cherry. jeta son
cIgare, en se tournant vers la pendule, ce qui lui permettait de ne pas voir sa femme:
- Comment! il est si tard' Mais qu'est-ce que je
fais là, moi 1 Je devrais être au Sénat. En vérité. je
ne puis blâmer René d'oublier le reste du monde: je
laisse bien passer l'heure auprès de vous, et pourtant
nous avons dix ans de ...
Il hésita entre «chaine :t et «lune de miel:t. Le
premier eût été peut-être exact pour a femme, le
second lui parut menteur. Il s'en tira par un superbe
sourire, baisa la main qu'Elisabeth ne songeait point
à lui tendre ct partit. tout gonflé de son importance.
Le destin s'cn mêlait. Tout, à commencer par Louis.
dont la psychologie eüt tenu à "ai se dans une coquille
de noix. semblait s'acharner à rapprocher Elisabeth
de celui que, justement, elle aurait voulu fuir.
Tout d'abord elle croyait av ir bien réussi. René en
garnison à aris, c' 'tait l'éloignement, les rencontres
évitées, puisque les Géorand avaient coutume d'hiverner à Nice. René marié. c'était la sécurité morale; il
paraissait très épris d'Henriane, il ne songerait plus
à occuper par un flirt - d'abord inoffensif, mais ensuite. qui sait? - le désœuvrement de ses journées de
c~libare
sans proche famille, qui accepte les invitatl(;>05. d'un cousin parce qu'il faut bien passer sa permISSIon quelque part.
Et puis, grâce à l'ambition de Louis, à son désir
effréné d'êtr un homme en vue, ayant choisi pour
cela un moyen politique. plus accessible qu'un autre.
c.ar il n'exige point de dons spéciaux, le noyau famild1al ~e ~eformait
à Paris. Les habitudes hospitalières
e LouI.s amèneraient souvent René chez lui .... Rcné
et Hennane. En un sens, la présence d'Henriane était
�SEULE DANS MON CŒUR
9S
One sàuvegarde. mais combien ce serait cruel d'avoir
sous les yeux ce jeune et triomphant bonheur!. .. Un
homme bien élevé a beau conserver dans le monde
l'attitude d'un étranger vis-à-vis de sa femme. à mille
petits détails on reconnaît J'amoureux ... Et certainement René était pris à fond 1 Il fallait bien qu'il le
fût. pour s'être brus9uement fiancé~
après avoir rcfu é
tant de jolies héri.hères. Il ~alt
avouer en toule
justice qu·Henriane. f9rtune a part. leur élait très
supérieure. Certes. Rene avait eu de la chance de rencontrer sur son chemin une créature d'élile comme sa
femme .
... Elisabeth déposa sa chatte sur un coussin et. san~
plus attendre. appela Hcnriane au téléphone.
Ce fut René qui répondit. Sa cousine écoulait avidement la voix mâ le ct douce. à J'autre bout du fil.
Il disait qu'il était libre cet après-midi. qu'il allait
venir si elle le permettait.
Elisabeth ne avait plus si elle avait peur ou si elle
était contente. Elle Iut sur le point de répondre; «Je
SL\is désolée: je suis absolument obligée de sor tir.:.
Puis elle sc trouva ridicule ct dit gentiment. amicalement ;
- Mais bien sûr. venez 1 VOliS n'allez pas faire des
cérémonies avec moi 1
Quand la brève conversation eut cessé. elle s'étonna
Que. René étant libre. Henriane ne füt pas chez Ile.
Aussitôt. secouant la tête comme pour chasser une
pensée importune. elle se dit; «Ce ne sont pas mes
affaires 1 Cela ne me regarde pas 1:. et. pour occuper
au moins ses doigts. chercha dans sa corbeill à ouvrages une broderie commencée.
JI y avait. mêlée aux écheveaux de soie. tout, une
collection de photographies prises l'année (le! nièrc.
Elisabeth les examina une à une: Ile et R né; l' cllé
tout seul .... beaucoup de René tout seul; à che\·al. à
ta chasse. en costume de tennis. JI avait l'air incroyablement jeune ainsi. un grand garçon aux yeux rieur',
le col de sa chemise ouvert et les manches roulées,
celui que Louis traitait en jeune frère. Elle. maintenant, avec la robe noire et blanche admirée à la matinée de Mm. de Venasque; puis H enriane ct René.
�96
SEULE DANS MON CŒUR
a
C'étaient les plus récentes. Une Henriane souriante
côté d'un René très sérieux. Ensuite une autre, prise
sub.repticement par Louis, au cours d'une excursion à
VaIson-la-Romaine: les mêmes personnages se croyant
seuls, René embrassant sa fiancée .
. - Ils sont certainement très heureux, murmura la
Jeune femme. Tant mieux! ils le méritent.
Elle abandonna les photographies et s'efforça de
fixer Son esprit sur des sujets purement pratiques;
par exemple, choisir les amis auxquels on « ferait
signe,;. pour ce dîner avec les la Mothe-Ythier, car
il faudrait avoir quelques personnes avec eux; après,
el1e hésita entre diverses décorations florales, songea
aussi à la composition du menu, à la robe qu'el1e porterait. El1e se mettait au «point mort ~ et, froidement,
décomposait la situation. C'est vrai, elle avait eu pour
René un commencement de... De quoi ?... Pour "tre
franche avec soi-même, elle devait recOtinaÎtre tout
simplement:
« Je ['aimais, et lui a dû avoir un peu plus que de
l'amitié pour moi, mais cela n'a pas duré lon gtemps.
Cela ne signifiera jamais plus que zéro, parce que je
veux ~tre
fidèle à mon mari, et lui adore sa femme,
en quoi il a mille fois raison. Donc, je vais recevoir
un cousin pour lequel j'ai une sincère affection; s'il
n'en a pas beaucoup de plaisir, moi j'en aurai un grand
à le voir. C'est toujours cela! ;)
El1e se mit à jouer du piano, une pièce d'Albeniz,
très difficile, qui l'empêchait de penser à autre chose.
Elle s'absorba dans la musique au point que René, en
entrant, lui arracha un cri:
- Ab 1 c'est vous 1
Elle ébauchait le mouvement de se lever. Il l'arrêta :
on, je vous en prie, Elisabeth 1 Cela me rappelle
le temps de Vair' as. Souvent lorsqu'il pleuvait, nous
ne pouvions sortir, vous fais~z
de la musique. C'était
délici ux, ce bruit de la pluie ct le piano 1
Il s'inclina, ses lèvres frôlèrent la main de sa cousine.
- Eh bien 1 mon ami, c'est parfait 1 dit Eli abeth
vec un beau sourire bril1ant, très gai. Je ne tiens pas
ollement aux cérémonies 1... Prenez un fauteuil à
i
�SEULE DANS MON CŒUR
97
votre choix, je ne m'occupe pas de vous. Supposons
que vous êtes ici depuIs une heure, cela vous dispensera des hommages et des compliments... Aimeriezvous une nouvelle dose d'Albeniz, ou préférez-vous
que je vous parle?
Les traits du jeune homme se détendirent. Il sourit.
Elle crut revoir René avant ses fiançailles; à présent
et c'était assez étonnant, il avait changé d'expression .. :
Le entiment de ses responsabilités nouvelles, sans
doute? ..
Lui la rega rdait sans même se rendre compte qu'il
la fixait. Elle était toujours comme autrefois, aimable,
gracieuse.
- Comment va Henriane? dit Elisabeth.
- Très bien, merci.
La réponse ne signifiait rien. Le ton parut contraint
à sa cousine.
- ] e pensais, reprit celle-ci après deux secondes
pendant lesquelles il lui sembla que René avait l'air
de nouveau très sombre, qu'Henriane était peut-être
sou JT ran te, puisque vous voilà seul.
- Oh 1 fit René avec aisance, nous ne sommes pas
tout à fait assez ridicules pour faire des visites enst:mble. Comme vous nous jugez mali Et nous sommes
vos amis 1
- C'est pourquoi j'aurais eu du plaisir à vous voir
tou s les deux, mon cher 1 riposta Elisabeth du même
ton. Ce sera pour un de ces soirs,,,. car vous venez
dîner à la maison, c'est convenu? Quel jour serez-vous
libres? Voulez-vous mardi prochain?
- C'est mille fois aimable ... Mardi ?" Je transm ttrai à IIcnriane. Elle comptait venir vous voir". Jusqu'ici elle étai t très absorbée par notre in tallation.
utre cela, ses tantes J'accaparent. Puis elle travaille.
- D' jà? fit Elisabeth en souriant.
Elle ne savait pas quelle peine elle ravivait disant
'
c 'la. Rcné dit simplement:
- Oui, Ile déteste l'oisiveté.
Aprè~
c 'la, il demanda des nouvelles de Louis et
s"·tendit longuement sur l'élection de ce dernier, si
longucment qu'Elisabeth en eut un peu d'impatience.
Elle aurait voulu savoir autre chose, ... par exemple
497-JV
�98
SEULE DANS MON CŒUR
s:il ne s'était pas produit entre sa cousine et son cousm un . léger nuage ? .. Oh! rien, ... une de ces petites
boudenes d'amoureux, prologue ordinaire d'une recrudescence de tendresse. René avait beau se forcer pour
causer avec humour, comme autrefois, ce n'était pas
très franc.
De la part d'une femme si intelli gente, des maladresses étaient cependant peu vraisemblables.
René paraissait se trouver si bien chez sa cousine
qu'il oubli'ait l'heure. Il se leva au moment où l'on
introduisait une visiteuse, en laquelle il reconnut
Mil. de Pierregourde.
Sa stupeur et celle d'Elisabeth n'curent d'égal que
le propre étonnement de Mil. de Pierregourde en identifiant le capitaine de la Mothe-Ythier, qu'elle ne
s'attendait guère à trouver là.
Mil. de Pierregourde n'hésita point à mentir: elle
se dit enchantée de rencontrer M. de la Mothe-Ythier
chez Mn" de Géorand, quoique la vue de René lui eüt
arraché une sorte de grimace. Elle dit que cela lui
rappelait Valréas. Particularité curieuse, elle s'ennuyait
dans sa petite ville, et, loin d· Valréa, recherchait
tout ce qui lui remémorait Valréas. C'est ce qui
s'appelle voyager pour voir du nouveau 1
Elle expliqua, non sans ouvrir de nombreuses parenthèses, qu'elle était venue à Paris pour faire un petit
séjour ehez son neveu Hubert. Ce cher enfant l'en
avait suppliée; elle n'avait pas pu refuser, ayant l'esprit cie famille aussi développé qlle M. cie Céorand,
dont on connaissait l'attachemen t aux siens.
M. cie la Mothe-Ythier n'attendi t pas davantage. Il
prit congé avec une rapidité déconcertante. II ne youlut
Iloint se laisser convaincre que Mil' cie Pierregourde
e~rouvait
une vraie joie à le voir plus longuement et
dit qu'il allait chercher sa femme à son Club .
. Mil. de Pierregourde ne perdit pas une si belle occasIOn cie proférer ce que Mm. de Géorand commençait
à penser. A peine la porte fut-elle fermée sur le capitaine, elle interrogea, soupçonneuse:
- La femme à son Club; le mari ailleurs ... Ditesmoi, chère amie, il marche, ce jeune ménage?
- Certainement 1 répondit Elisabeth avec assurance.
�SEULE DANS MON CŒUR
99
III
En quittant sa cousine, le capitaine de la Moth~
Ythier se disait qu'il aurait peut-être tout aussi bien
fait de ne point aller la voir; et puis, comme il avait
passé avec elle des instants agréables à causer de mille
et mille choses auxquelles tous deux trouvaient le
même agrément, il s'affirmait qu'il pouvait bien se
plaire dans la société d'Elisabeth; il n'y avait rien eu
entre eux dont Henriane eût été en droit <.le prendre
ombrage, rien, sinon une très grande amitié.
Il sentait confusément que le charme d'Elisabeth\
de l'intérieur d'Elisabeth, agissait sur lui. En retrouvant l'intimité d'autrefois, il éprouvait la sensation
d'être là chez lui, dans sa maison, au milieu des objets
familiers; alors que l'appartement arrangé par Henriane lui semblait un logis de passage.
A maintes reprises, par la suite, il se surprit à évoquer de nouveau le petit salon d'Elisabeth, le grand
piano à la housse de soie de Birmanie qu'il lui avait
donnée, 1 s mains d'Elisabeth sur le clavier lorsqu'elle
jouait tclle ou telle phrase musicale qu'il lui demandait; Elisabeth elle-même, ses cheveux blonds, sa robe
bleue et ses yeux bleu~.
Comme elle avait su l'accueillir simplem 'nt, gcntim nt, sans arrière-pensée de coquetterie et sans un reproche 1
Non. En admettant qu'Henriane fût portée à la jalousie - et cela paraissait contraire a sa nature, ell ne pourrait s'effrayer ... Et puis, même si tout d'un
eoup Henriane s'étonnait, où seraient le torts ?... Elle
mettait si peu de complaisance à faire à son mari le
sacrifice de petites choses insignifiantes, renoncements
qui ne lui eussent pas coûté beaucoup de peine; lui,
'sans qu'Ile le sÏlt, en faisait de plus grands. Elle
�100
SEULE DANS MON CŒUR
cherc.hait si peu à satisfaire ses goûts, non par égoïsme,
certamement, mais parce qu'elle n'y pensait pas. Et
c'était pire, cela, lui entendre dire: « Je n'y ai pas
pensé. »
En somme, René en était maintenant à se demander
à quel mOment sa femme songeait à lui.
Et il l'aimait. Il s'attachait à elle de plus en plus,
excité par une curiosité passionnée de savoir cc que
l'apparence de froideur d'Henriane cachait de sentimentalité, car elle avait des moments imprévus de
tendresse, d'autant plus délicieux pour lui Cju'il étaient
rares.
Henriane ne se doutait pas <lue sa puis"ance sur
son mari venait surtout de l'idée qu'il s'était faite
d'elle. Le voyant très épris, elle attribuait c sentiment
à l'admiration, mais une adl1ir tion inspiré' par son
talent et ses dons intellectuè
t et plus que par
sa belle taille. On l'eût fort ét li e et même vexé
en lui révélant <lue tout cultivé,' raffiné, supérieur d'eswit qu'était R né, intelligenc . et t'lI nt, sans sa belle
taill e, ne lui eussent pas fait / so uhaiter l'être son mari .
Le pouvoir exercé inconséi 111111 ni sur René eût été
ncore plus grand si elle avait compris ceci: même
ap.rès d~s
mois de l'union , l ~ p,lus ét~oie,.
elle demc~
rail toujours un peu mysterleuse pour lUI; elle representait - el c'est un phénomène assez rare - sa
femme ct la femme qui n'a pas tout accordé. Seul ,ment il aurait fallu savoir en outre créer p ur le
sentimental qu'était René une all110sphèf' de tendresse,
sc faire à propos douceur ct faiblesse avec 1 soldat.
Non seulement elle ne le savait pas, mai si on lui
avait dil que le meilleur moyen d'être la plus fo'rte
's,t (~C
ne pas le paraître, elle sc fût récriée avec tlne
dedalgneuse hauteur .
. r;:n somm , H nriane était un ass mblage d qualité
Viriles dans un admirabl corps féminin. C'eût été à
proprement parler la perfection, si elle avait u n plus
un c ur de [ mme; mais la perfection n'existant point,
Ren~
finissait par se dire Cju'à tout prendre, pour le
b?l1~
c~lr
conjugal il valait peut-être mieux le cœur
f '1111111n sans la solidité d'esprit qui J'avait tout d'abord
charmé chez Hcnrianc.
�SEULE DANS MON CŒUR
101
Il reconnaissait la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité de changer du tout au tout la mentalité
d'une femme, qui pendant des années a tourné toutes
ses pensées, ses efforts vers un but unique: réussir
dans sa carrière, pour lui voir prendre une âme différente,... comme celle d'Elisabeth, par exemple, qui
moins froidement raisonneuse, ne dirait pas: «Je vou~
aime parce que ... », mais: «Je vous aime », sans chercher à s'expliquer pourquoi.
Oh 1 cette manie d'Henriane de chercher toujours
des pourquoi !...
... René commençait seulement à s'apercevoir qu'il
ne suffisait plus, comme durant les premiers mois de
leur mariage, à remplir la vie d'Hem'iane. De même
qu'il avait dÎl retourner au quartier après sa permission, elle voulait se remettre au travail, retrouver son
cercle, ses amies, presque son existence de jeune fille.
Il essaya de lui faire comprendre que la chose po sible à une femme célibataire ne l'est plus pour une
femme mariée. Il admettait fort bien, ayant secoué
bon nombre de préjugés désuets, qu'une jeune fille,
même assez riche pour n'avoir pas besoin d'adopter une
profession, le fasse cependant, par dégollt de l'inaction
et désir Je remplir utilement sa vie; mai si Ile peut
le (aire, c'est parce qu'elle est complètement libre.
Henriane répondit simpl ment:
- .r e ne vou croyais pas rétrograde à ce point. De
quel droit m'empêcheriez-vous de travaill'r, puisque
vous le trouvez bon pour d'aull' s? Je ne peux pas
changer d'idées parce que j'ai changé mon nom contre
le vôtre.
Il préfént n pas insister. Il aurait fallu, reprenant
ce mot: «droit », prononcé par Henriane, lui dire
qu'il avait justement des droits. Ccci, il le savait l'aurai t beaucoup froissée.
'
... Il y avait donc, après six mois de bonheur, une
imperceptible fêlure dans leur félicité apparcnte; Rt:né,
pour ricn au monde, n'aurait voulu en faire l'aveu.
Dans lc secret de l'âme, il était amèrement déçu. Parfois, avant d'avoir rencontré Henriane de Puybrante,
lorsqu'il se disait: «Il faudra bien, un jour, me maricr », il pensait à de vieilles tantes qu'il avait connues,
�102
SEULE DANS MON CŒUR
enfa!lt, et dont son père disait qu'elles avaient été
admirables de courage, d'énergie, de savoir-faire.
Epouses passionnément éprises, dévouées, habiles, elles
ava!ent aidé leurs maris, fait grandir la maison; elles
avalent su être reines au foyer, cc qui est un très beau
royaume. C'étaient de vieilles femmes sereines qui, la
jeunesse disparue, gardaient encore du bonheur au fond
des yeux : le bonheur qu'elles avaient eu et celui
qu'elles avaient donné .
. C'était cela que René souhaitait trouver dans Hennane : l'épouse et l'amie. Il l'avait choisie parce Qu'elle
était supérieurement intelligente et saurait comprendre
ce qu'il attendait d'elle. Sans beaucoup tarder, elle
montrait une incompréhension totale de la situation.
A cet homme qui avait inspiré des passions, dans
la mémoire duquel restaient de multiples souvenirs,
elIe ne savait pas dire les mots qu'il espérait. Depuis
l'époque de ses dix-sept ans, à partir de la mort de
son père, la vie de famille n'avait plus existé pour lui;
ni mai on ni parents, il n'avait plus rien et souhaitait
retrouver tout cela eu sa femme.
Lorsq u'il tentait de lui faire partager ses pensées,
lui parlant de ses retours en France où personne ne
l'attendait. elle répondait avec un sourire d'excuses:
- Oui, Ct: devait être triste ... Mais, je vou s l'avoue,
je ne comprends pas très bien que vous puissiez regretter de n'avoir point de famille. C'est tellement
ennuyeux 1. .. Voyez la mienne !. ..
Etudiant le caractère de sa femme, il constatait qu'il
y avait chez Henriane moins de froidcur que d' xcès
de droiture. Trop fière pour ruser avec lui, elle le
froissait sans le savoi r. Mais ces défauts - exagération dc qualités - n'étaient-ils pas encore préférables
à d'autres?
JI avait vu tant d'intérieurs lamentabl s, tant de
f mmes égoïstes, fausses et légères, et d s hommes
bernés de cajoleries et de mensonges, i 'norant ce que
tOut 1 monde savait!
Tl '~riane
manquait de souplesse, elle poussait l'Intra~
slgcane
jusqu'à l'extrême; du moins pouvait-il
aVOIr confiane n lle.
�SEULE DANS MON CŒUR
103
Le jeune homme se surprenait à pense)', évoquant
le souvenir de certains ménages désunis au contraire
par la faute du mari:
« Si Henriane était parfaite, je serais peut-être moimême moins gentil avec elle", Je ne le su is sans doute
pas encore assez. »
Celte idée, la résolution de patience qui suivit, l'empêchèrent d'exprimer à Henriane son désir de la voir
rompre avec ses deux amies intimes, Gillette Albaret
ct Francine Monnesdieu, dont elle ne cessait de faire
l'éloge et Qui lui déplaisaient, à lui, horriblement. A
moins d'être aveugle, il était bien forcé de voir
qu'Henriane, soi-disant réfractaire à toute influence,
se lai ssait au contraire inRuencer par Gillette et Francine, lesquelles, secrètemen t jalouses de la situation
mondaine de M"" de la Mothe-Ythier, de sa riche et
brillante famille - et peut-être plus cncore de son
mari - s'cfforçaient très habilement de la dégoütcr
cc qui constituait sa supériorité.
dc t~u
Gillette Albaret avait vingt-huit ans, elle était docteur en droit et secrétaire d'un avocat-conseil de
plu sieurs grandes firmes. L'avocat devait être un philanthrope, il a1\ouait sans doute des appointements
intéressants à sa secrétaire, ou bien cette jeune personne faisait-elle des afTaires en sus de son métier
officiel. El1e dépensait beaucoup pour sa toilette et
avait son auto à Paris, Elle logeait au Cercle, comme
au temps où elle était étudiant, et voyageait pendant
les vacanc 's. L'existence rêvée 1... Henriane admirait
beaucoup son amie. A ses yeu , la «déli cieuse ,illette:. était une intelligence d'élite. Pour René, elle
était, moins poliment ct plus énergiquement, « une petite ross :.!
Francine Monnesdieu se distinguait dans 1lne branche
très différente de celle de l'étude des lois. Elle 'tait
modellistc dans une maison de couture fréquentée par
une richissime clientèle étrangère. La « charmante
Francine) connaissait une manière de célébrité depuis
Qu'elle avait créé deux robes du soi,r devant ,1'SQI!elles
tout Pari' - le Tout-Paris argentll1, pérUVien, equa1 s modèles
torien, etc. - avait béé d'admiration
POlir /lIi et Deville, de la série Vohtpté, dont le nom
�104
SEULE DANS MON CŒUR
seul révélait qû'elle n'était pas faite pour être portée
à l'église.
.
Pour en avoir fait l'expérience Henriane savait qu'il
est très difficile à une femme diarriver' el<le admirait
sincèrem.ent Gillette et Francine d'y être parvenues
plus rapJdement qu'elle-même. Elle attribuait, pour une
part, cette promptitude de réussite à leur liberté de
mouvements. Gillette, orpheline, et Francine, dont la
mère remariée préférait ne pas montrer une fille maJeure avec laquelle il était impossible de tricher sur
SOn âge, jouissaient d'une entière indépendance. Elle,
au contraire, avant son mariage, était entravée par
l'obligation de vivre en province chez ses grandsparents. Sa fortune restreinte ne lui permettait- pas de
s'installer à Paris; ses tantes la recevaient quelquefois
pour de brefs séjours, mais c'était retrouver une autre
tutelle. Maintenant, n'ayant plus à compter avec des
parents à l'esprit rétrograde, elle se promettait de rattraper ses amies su r la route du succès, ne mettant
point en doute que René ne jugeât légitime qu'elle fît
à sa carrière une place aussi grande que lui-m ême faisait à la sienne.
Lui, dont l' enthousiasme pour la peinture de sa
femme n'était pas très vif, était à mille lieues de supposer qu'elle comptait devenir célèbre.
La première difficulté sérieuse entre eux se produisit lorsqu'lIenriane annonça son intention de faire
un voyage en Hollande pour une exposition d'art. René
la stupéfia en refusant de lui permettre de partir, alléguant la difficulté pour lui d'obtenir une permission
pour l'étranger. Il lui paraissait, à elle, tout simple de
laisser Son mari seul.
Il employa force détours pOUf éviter d'user du
~ot
brutal: défense; et, comme elle se plaignait, il
ajouta en l'embrassant avec ses façons impérieuses et
câlines:
- C'est entendu: je suis un tyran 1... Mais puisque
c'est par amour, pourquoi m'en veux-tu?
Elle répondit sèchement, très hautaine:
.- 11 n'y a cependant pas que l'amour dans la vie 1...
GllIette a bien raison de dire que Je mariage, pour une
femme intelligente, c'est la mort.
�SEULE DANS MON CŒUR
lOS
Après cela, René se demanda s'il ne serait pas plus
sage de cesser d'être poli, et d'interdire définitivement
sa porte à la délicieuse Gillette.
Henriane dut renoncer au séjour en Hollande. Ses
amies la plaignirent de tous leurs eXcellents petits
cœurs.
A la suite de cet incident, elle se montra plutôt
froide avec son mari et, reprise par la fièvre du travail, s'absorba dans une série d'études commencées
\1
l'automne précédent à Valréas.
René, qui jusqu'à ces dernières semaines n'avait '
qu'une hâte: venir rejoindre sa femme, rentrait beaucoup plus tard du quartier. Il retrouvait avec joie la
société de ses camarades, ce va-et-vient incessant du
milieu colonial. Quelquefois il disait le soir, au retour :
- Je suis entré un moment chez Elisabeth. Elle m'a
chargé de toutes sortes d'amitiés pour vous.
Henriane répondait avec une indilIérence souriante.
Elle ne trouvait pas ceci surprenant. De temps en
temps, ellc allait aussi voir Elisabeth. Elles faisaient
ensemble des promenades dans Paris, s'accompagnaient
dans leurs essayages. Elles se retrouvaient aussi chez
M"" d'Olmeuse et Mm. Smith, car Louis était arrivé
à ses fins: Henriane J'avait mis en relations avec ses
oncles, selon son désir. M. de Géorand exultait. Il ne
ceS5ait de répéter à sa femme:
- Vous avez eu, ma chère, une inspiration de génie,
en aiguillant René sur Henriane 1
Il regrettai t de ne pouvoir s'attribuer la paternité de
l'inspiration.
A chaque réception Olmeusc ou Smith, René rencontrait Elisabeth et Louis, insatiable, prétendait qu'on
ne le voyait
en ore assez 1 Il le reprochait très
haut· il était flatté d'étaler son intimité familiale avec
l'aut~r
de la JOtlqU/!, dont M. Smith, protecteur des
Lettres ct dcs Arts, était bien décidé à faire un nouVeau Loti.
Les aïeux de M. Smith avaient jadis très bicn comPris la situation, puisqu'ils forgeaient des armures à
l'époque où ce genre de costume se portait beaucoup;
1 lIr descendant aussi comprenait parfaitement la situation.
pas
�106
SEULE DANS MON CŒUR
M. d:Olmeuse. qui ne manquait pas de sens observateur. disait: «Olivier a le chic pour mettre en valeur
tout ce qui peut servir à sa propre gloire! »
M. Smith avait su choisir une femme capable de
faire comme personne les honneurs d'une grande maison i composer la plus belle collection de faïences de
Pans ; se donner un héritier mâle; il saurait de même
mettre à profit le mariage d·HenrÎane. en tirant de René
tout cc qui pourrait J'enorgueilJir. lui. Smith. En un
mot. il voulait faire un jour de ce neveu par alJiance. qui
avait le bon esprit d'avoir du talent. un académicien.
Qlle l'oncle Smith ait «m isé sur lui ». le principal
intéressé ne s'en doutait pas le moins du monde; il
l'apprit fortuitement. un jour. n recevant une lettre
d·éditeur. qu'il ouvrit devant sa femme.
- H enriane. dit-il. tout joyeux. préparez-vous à ne
pas tomber à la renverse 1 Voici une nouvelle faite
pour vous plaire: on va faire une édition de lu xe de
/a J ol/que 1...
Elle interrompit. avec un sourire orgu illeux :
- Huit eents francs l·exemplaire. Tirage restreint.
Avec quarante-trois aquarelles de ... vous devinez?
- Mais non ... Comment savez-vous? fit son mari.
interloqué. Vou s n'avez même pas vu la lettre 1
Le rire triomphant d'Henriane vibra:
- Je le sais. parce que le dessinateur qui VOliS illu trera. Illon chéri. c'est moi 1... Oh 1 vous av z l'air tout
saisi. Vous n'êtes pas content? ... Moi. je suis ravie 1
C'est un travail intéressant. Je voulais absolulll "nt
il~stre
ce livre; j'y suis parvenue. C' st une énorme
veme poùr nous deux.
- Enorme veine .... répéta en écho le jeune homme.
on [on du par cette révélation.
Il cher ha quelque chose de plus enthousiaste t ne
tr~uva
rien. Au premier mouv ment de plaisir succédait cette réflexion professionnelle. désolante:
« Elle va illu strer la J Ol/que f Mais ce n'est pas du
tout sa manière 1 Cela va gâter le bouquin 1... Je ne
peux cependant pas le lui dire ... Alors. c'est Ile qui a
tout arrangé dans cette alTaire. Comment et par qui
a-t- Ile réussi? »
- Mon oncle Olivier a été très bien. expliqua Hen-
�SEULE DANS MON CŒUR
107
riane. comme si elle avait eu le don de lire dans sa
pensée. Il m'a mise en rapports avec toutes les perSonnes qu i pouvaient être utiles. Cette fois. ça y est!
J'ai ce que je voulais ... - elle se raltrapa - pour
Vous. Je suis enchantée 1... Vous aurez le lraité demain.
La stupeur de René grandissait. Evidemment. il aurait eu mauvaise grâce à se plaindre. mais tout de
même il eût préféré ne pas jouer ce rôle du monsieur
qui se décharge de tout sur sa femme.
- Vous êtes content. n'est-ce pas? interrogea Henriane.
- Comment donc! Vous êtes un homme d'afIaire
remarquable. chérie. Vous me permettez de vous embrasser. comme si vous étiez tout simplement ma
iemme? Ça ne vous humilie pas?
- Vous êtes taquin! - Dans sa joie. elle lui mettait les bras autour des épaules. d'un geste caressant.
- Ecoulez. René. j'ai envic de célébrer ce futur
triomphe. Allons dîner chez Prunier, dites ?... NOliS
Prendrons Gilletle au passage; elle a été si gentille'
Elle-même. avec des conseils de Guivré. a préparé ces
tra ités .... le vôtre et le mien. C'est une amie précieuse.
Je sais qu'elle serail ravie si nous l·invitions. ce soir.
René s'assombrit sur-le-champ:
. - Vous aviez décidé de toul avec votre amie. et moi
Je suis r nseigné le dernier. C'est un peu surprenant.
rna chè re 1
ce soir. René!
ais comme vous êtes «crin~.
- Je ne suis pas «crin ~ : je suis étonné de voir
ttu (> Je comple aussi peu 1... Je dois signer Je traité
Préparé par la délicieuse Gillette. et s'i l ne me convl\.:nt pas cc traité? C'est cependant moi qui l'ai écrit.
la
j Dllque 1
Il parlait sèchem nt. contre son habitude. La façon
dont Gillette Albaret s'insinuait dans son ménage Je
rn ettait hors de lui. Hcnriane ne l'avait jamais vu
ainsi. autoritaire et cassant; lorsqu'il l'empêchait de
faire cc qu'cIJe voulait - c'était rare. - il enveloppait
Ce veto de formules tendres. Ce personnage nouveau
la déroutait. POlir la première fois elle n'essaya point
~e
faire front. mais revint d'instinct à la vi ille tacllqu féminine:
/
�108
SEULE DANS MON CŒUR
- Oh! vous êtes méchant! Vous n'êtes plus vous !...
C'est exprès que vous me faites de la peine ... Vous
m'avez gâté toute ma joie.
Elle avançait les lèvres comme une petite fille prête
à pleurer. Il maudit intérieurement Gillette et s'apaisa
aussitôt:
. :- Chérie, Je SUIS desou: ... Je .. .! veux pas gater votre
JOie, ce serait mal vous remercier. Embrassez l'auteur
de la J ollque. Vous l'aimiez un peu, vous rappelezvous? Un jour, vous lui avez fait un tas de compliment, il ne savait où sc mettre. Ne lui parlez plus
de Gillette, et vous verrez qu'il n'est pas un mauvais
garçon.
Henriane détourna la tête, mais elle sourit:
- C'est un tr ès mauvais garçon, et je ne veux paS
l'embrasser.
- Vous ne voulez pas non plus aller dîner chez Prunier avec lui?
- Avec Gillette?
,
- Non. Séri usement, Henriane, faites-moi cette
concession. Je trouv bas ct répugnaill de dirc du mal
d'une jeune fille, mais cellc-ci ne cl vrait pas être votre
amie. J'aurais préféré nc pas être 01 li gé de voliS
apprcndre quc c lle délicieuse ,ill 'lle fait payer seS
chapcaux par Gui~ré.
El1e n fait pas plus que ça,
peut-êtrc; à mon avis, c'est déjà trop. Elle peut AtrC
remarquable au point dc vue profess ionnel, mais vous
feriez mieux d'avoir confiancc en moi plutôt Qu'en eUe.
- J'ai confiance en vous, répliqua Henriane, levant
sur lui son regard loyal; je suis fâchée sculement de
voir que nous n'avons pas les m Amcs idées.
II sourit, affectueux, un peu protectcur :
.
- J'ai les idées d'un homme de trehlc-cinq ans, qui
a roulé par le monde, vu assez cl choses et d'individus
po}'r s faire une opinion. Vou ne pouvez avoir la
mcme cxpérience; ct puis votre lIature st si merveilleusement droite ct saine que la pensée du mal - du
mal que les autre commettent - glisse su r vous sanS
atteindre votre sprit. C'cst parfait; mais alors laissezmoi le droit dc vous défendr contre ceux ou cclleS
qui ne vous valent pa ct cherchent sournoisement il
VOll nuire.
�SEULE DANS MON CŒUR
1<Jli
Henriane fut sur le point de riposter: « Je suis capablc de me défendre seule. Je ne suis pas une enfant 1 »
.Ylais les mots «nature si merveilleusement droite et
saine» vibraient encore à son oreille sans lui causer
de déplaisir.
Elle répondit avec complaisance, déjà détendue -:
- Oui, je n'ai jamais eu la curiosité du mal.
- C'est très bicn. A présent, soyez tout à fait gentille: allez vous habiller; nous irons dîner là où il
vous plaira, pour fêter tous les deux notre commune
célébrité future. Ce sera plus agréable que subir les
« mots» soi-disant spirituels de cette petite poseuse
qui essaye de vous éblouir avec sa situation magnifiquc.
Henriane sortit sans discuter davantage. René lui
sourit encore. Il pensa que l'orage était écarté pour
l'instant; mais si, par malheur, les illustrations de la
J ollque passaicnt inaperçues, sa situation conjugale ne
serai t pas très agréable.
�110
SEULE DANS MON
cœUR
IV
Il y avait tant de fleurs dans le jardin d'Henriane
que l'on eût dit un prodigieux bouquet.
Partout, partout des fleurs : un ruissellement de
grappes jaunes tombant des cytises, auprès des thyrses
blancs et mauves des lilas; les iris, en bordure de la
pelouse, dressaient leurs belles têtes de velours violet
sombre; et des boules de neige plus loin, des aubépines
semblables à cie petits coquillages rosés. Des fleurs,
des fleurs, des fleurs 1 le long des murs, autour du
puits, jusqu'auprès du toit, et dans ces fleurs un bourdonnement sourd d'abeilles ivres.
Les fenêtres rondes, grandes ouvertes, semblaient
sourire pOur attirer le soleil. Le chien, étendu sur
l'escali r, étirait voluptueusement ses grosses pattes,
cherchant la bonne chaleur de la pierre.
Henriane <;I1Vcloppa son domaine d'un coup d'œil
charmé. Elle était contente de se retrouver dans sa
vieille maison, de la voir plus jolie encore sous la floraison de mai que dans la parure des f uillcs d'automne.
Par cette matinée radi us elle se sentait en forme,
s~
muscles ct son esprit également souples. Elle avait
l'Impression que tout dans cette journée, allait réussir.
d'être plus légère, presque
Elle éprouvait la se~ation
de changer d';\m .
En choisissant des rameaux tout roses d'arbre de
Judée, clle pensai t :
« Il faudrait que René puisse voir le printemps ici. :.
Car clic était seule dans sa maison, une fois encore.
Cette solitude ne lui pesait pas. Peut-être même étaitce le recommcnc ment du passl, avec la certitude d'un
présent agréable, qui la faisait d'humeur si joyeuse.
�SEULE DANS MON CŒUR
III
Son mari était en manœuvres au camp de Mailly
pour plusieurs semaines. Il n'avait point soulevé d'objections lorsqu'elle lui avait annoncé son intention
d'aller à Valréas. Il aurait préféré, toutefois, ne pas
lui entendre dire si gaîment : «Je pars en permission 1. .. » Ensuite, il est vrai, Henriane avait corrigé
sa phrase en ajoutant avec une taquinerie affectueuse,
inhabituelle :
- Je serai du nouveau pour vous au retour 1 Vous
me reverrez avec plus de plaisir!
A part soi, René pensait qu'il y avait du vrai: une
séparation temporaire, faisant regrctter ce que l'on
quille, provoquc le désir de le retrouver. Une deuxième
rai on l'aidait aussi à laisser Henriane s'éloigner: à
Valréas elle serait loin de la délicieuse Gillette et de
la charmante Francine. Henriane, au contraire, demeurant à Paris, les trois amies profiteraient de son absence pour se voi r sans ces sc.
Francine seulc eüt été plus inoffcnsive; meilleurc
fille, parce quc satisfaite de son sort, elle s'occupait
moins des alIaires d'autrui. Elle ne posait pas au génie,
se contentant, disait M. d'Olmcuse, qui partageait l'opinion de Rcné sur lcs amies de sa nièce, d'être bête et
bien habillée.
Gillettc s'habillait aussi très bien, mais elle était de
plus très fine, « roublarde », disait encore l'oncle Max.
Henriane s'était habituée à la croirc supérieurc en tout.
René avait promptement discerné les emprunts faits
à Mill illelle dans les théories professées par Henriane sur le respect absolu de la pcrsonnalité de la
femme que devait avoir un mari.
Le surlendemain de leur séparation, il écrivit à sa
fcmmc.
Hcnriane lut ces feuillets remplis d'clic en se promenant sous les lilas. L'odeur douce et les mots grisants se mêlèrent dans son esprit; de sorte que, plus
tard, lcs lilas devaient lui rappeler la lettre de René, et
la lettre devenait à la fois de lourdes grappes blanches
et un parfum si fort qu'il la laissait tout étourdie.
Phénomène étrange : elle chérissait plus René à
cette minute où il 'tait loin, parce qu'clle retrouvait
�II2
SEULE DANS MON CŒUR
da:ns les lignes tracées du camp l'idée qu'elle avait de
lUi a!o~s
que, jeune fille, elle lisait la Jonque. Il était
en reahté pareil à cette image, et ce n'était pas dans
son. corps, dans ses yeux, ses paroles, qu'elle le voyait,
mais dans ces mots qu'elle n'entendait même pas. Un
René artificiel lui faisait comprendre le véritable.
En somme, elle sentait l'amour de René, moins parce
qu'il avait su le lui prouver que parce qu'il savait le
lui écrire 1
Elle était comme ces petits enfants - cerveaux trop
neufs - qui ne savent pas voir les images, auxquels
on doit tout expliquer et qui battent des mains une
fois qu'ils ont compris. Il fallait lui apprendre à distingue r le bonheur sur l'image du bonheur.
Tout le jour elle fut heureuse, sincèrement, pleinement, comme au soir de ses fiançailles, lorsqu'elle
écrivait dans son carnet intime qu'il n'y aurait plus
dans SOn cœur une pensée qui ne fùt à René.
Alors elle le croyait. Il ne lui semblait pas difficile
d'oublier ses rêves d'autrefois, pour être seulement la
femme de René, une vraie compagne songeant à lui
avant tout. C'était le vieil atavisme féminin, fait de
tendresse, de dévouement, même de renoncement, qui
parlait. Après, la gr iserie des premiè,res sen;aines passée, elle s'était retrouvée telle que 1éducation, la volonté, l'excès de raisonnement, la perspective de ne
compter que sur soi, l'avaient faite. Non seulement
elle ne pouvait oublier ce qui avait été si longtemps
son but, mais, tout en étant la femme de René qu'elle
aimait, elle avait 'était bizarre - de la peine à
faire moralement à son mari, une place dans sa vie.
~ujord'hi
~ toujours le petit nfant qui a . compriS le sens de son livre d'images - elle pensait, un
rayon de douceur au fond des yeux:
« Comme je suis heureuse 1... >
Seulement René n'était pas là pour en profiter ...
Deux semaines s'écoulèrent pendant lesquelles, absorb6c corps ct âme par les illustrations de la j ollqlle,
Henriane oublia complètement qu'il y avait à Valréas
quel~
s personnes qui eussent été n droit d'attendre
sa VIsite, et s'étonnau:nt de ne point l'avoir déjà reçue.
�SEULE DANS MON CŒUR
IJ3
Cettè êspèce de retraite de la jeune femme excitait
la curiosité; l'absence du capitaine fit conclure promptement à une mésentente du ménage. On continuait à
discuter avec regret - car la méchanceté n'était point
la dominante dans cette petite ville - su r ce fait
inexplicable, lorsque le retour de Mil. de Pierregourde
fut annoncé. Nul ne mit en doute qu'elle ne fît promptement la lumière sur cette affaire.
Sa première visite fut pour ses plus proches voisins, l'intendant général et Mm, Maucerny, qui la reçurent avec empressement. Le général s'était fait une
entorse, il ne pouvait bouger; sa femme, contrainte
de jouer aux échecs avec lui pour le distraire, vit
1[ Il. de Pierregourde comme un ange sauveur, et surIe-champ commanda du thé, bien qu'il fflt à peine
qua tre heures.
Mil' de Pierregourde s'apitoya, conseilla trois excellents remèdes, diamétralement opposés, pour guérir les
foulures, raconta un vieil accident survenu à sa mère
et n'écouta point le narré de la chute du généra l, ce qui
vexa un peu ce dernier. Réduisant ses auditeurs au
silence, elle vanta sans débrider Paris, Dijon, son
n veu, ses 'cousins bourguignons, le pain d'épices, et
quand elle s'arrêta Mn" Maucerny, excédée, les oreilles
bourdonnantes, demanda, en criant comme une sourde,
ca r son amie l'avait refoulée cinq [ois:
- Avez-vous déjà vu Mm. de la Mothe-Ythier? Elle
do it êt re encore ici. Mes nièces m'ont dit l'avoir aperçue dimanche, à la messe de dix heures.
l.l"· de Pierregourde fut surprise:
- Hcnriane de la Mothe-Ythier? Elle est ici? Avec
son mari ?...
- Non, seule.
- Seule? répéta M"e de Pierregourde, incrédule. En
voilà une idée, par exemple 1... Quitter Paris en mai 1...
Pourquoi le capitaine l'a-t-il laissée faire? Qu'est-ce
qui s passe?
Les qucstions se succédaient comme des balles de
browning. On eût dit Qu'elles crépitaient.
- Je n'en sais rien du toutl affirma le général, se
rappeiant qu'elle avait failli faire se battre M. de Géorand et M. dc Châteaubran.
�II4
SEULE DANS MON CŒUR
- Rien! rien 1 appuya Mm. Maucerny. Du reste, je
connais très peu cette jeune femme. Elle n'est pas obligée de me faire une visite.
- E1Je ne fait donc point de visites? releva M"e de
Pierregourde, sévère. C'est inconcevable! Comme si
hous étions créés pour vivre en ermites 1. .. C'est à
,;:roire qu'elie veut se singulariser. Moi, je ne puis me
passer de la société de mes semblables. Mais Henriane
.est une originale.
M Il. de Pierrego urde faillit s'étrangler dans son thé,
en voulant faire deux choses à la fois. Ses hôtes profitèrent de l'accalmie qui succéda pour conserver le dé
de la conversation. Il avaient envie de parler un peu,
à leur tour.
- Vous avez rencontré les Géorand à Paris, commença le général. Que deviennent-ils? Notre sénateur
ne parle pas souvent au Sénat, mais cela vaut mieux
que s'il disait des sottises ! conclut-il avec bonhomie.
- 1e ne sais pas s'il di t des sottises, mais il n ... ,
hum t:.. tou ssa M Ile de Pierregourde, s'arrêtant net
sous le regard de ses hôtes.
- Que fait-il, Géorand? insista J'intendant général.
- 11 est toujours très aimable 1 riposta la vieille
fille avec aisance. Ils reçoivent beaucoup. Leur installation est...
- Oui, mais que fait-il, Géorand? recommença le
général, tandis que sa femme, au supplice, remuait la
théière et le sucrier.
- ... est fort bien, termina M'" de Pierregourde,
imperturbable. Ils occupent un grand appartement, ...
un étage ntier de l'hôtel de Senneterre, avenue de
Latour-Maubourg. Vous voyez?
-:- Je vois, dit le général. Bel immeuble 1. .. Et ditesmOl, CI uelle sottise ...
- Marie, r prendrez-vous du thé? offrit Mm. Maucerny d'une voix plaintive. Non? Une brioche? .. Non
plu s 1 Oh 1 je suis désolée ... J'aurais dû prévoir votre
visite. Vous préférez les babas ...
Mil. de Pierregourde, distraite, prit la brioche d'abord
re~lt
sée.
Elle mourait d'envie de savoir ce Qui se passait chez le ~ la Mothe-Ythier. Pourquoi Hel1l'iane étaitelle s 'ule il Valréas, où elle devait s'ennuyer à périr?
�SEULE DANS MON CŒUR
Ils
Elle ne voulait pas s'en informer auprès de ses
amis, car il suffirait de leur poser une question directe
pour leur faire regarder le plafond d'un air captivé,
ou leur entendre dire qu'il allait pleuvoir ou geler, au
grand dommage des récoltes.
Elle leur fit encore un peu envie de son petit séjour
à Dijon et s'en fut. Les maîtres de maison ne tentèrent
pas de la retenir, et lorsqu'ils perçurent le bruit de
la porte extérieure se refermant, l'intendant général
échangea un coup d'œi l éloquent avec Mm. Maucerny.
Celle-ci, rassemblant ses tasses sur le plateau, prononça en confidence, comme si son époux avait ignoré
ce détail:
- Gardons-nous de laisser soupçonner à Marie de
Pierregourde qu'il y a du froid chez les la MotheYthier : elle ferait encore des racontars où nous serions mêlés.
- Ces femmes bavardes sont un Iléau! conclut avec
énergie l'intendant général, qui était quelquefois un
peu commère.
�l!6
SEULE DANS MON CŒUR
v
mil. de Pierregourde, quittant ses prudents ami,
rentra chez elle la mort dans l'âme.
On ne lui avait rien appris, même rien fait soupçonner qu'elle n'ait vu depuis longtemps, ... depuis le
jour, pour fixer une date précise, oll elle avait rencontré chez Mmt de Géorand le capitaine de la MotheYthier, lequel semblait bien aise cI'être là.
Il n'y avait rien cie répréh ensible, mais la vieille
fille j lIgea Henriane imprudente de laisser à son mari
le temps de se trouver si bien dans 1c salon cie sa cousine.
1\11 Il. cie Pierregourde eut tout cie sui te l'impression
que René ferait mieux de ne pas reprendre des rapports d'étroite intimité avec les Géorand. Elle était
certaine, quoiqu'il n'eût rien lai ssé paraître, qu'Elisabeth avait inspiré au capitaine un sentiment plus vif
que la simple amitié; certaine aussi qu'Elisabeth avait
contribué au mariage de son cousin pour mettre une
barrière entre elle ct le garçon charmant dont elle
devinait l'amour, et qu'elle aimait sûrement dans le
secret de son âme.
Le célèbre neveu Hubert disait à sa tante qu'à force
cl'être xvu' siècle elle devenait moderne. C'était vrai.
Mil' de. Pierregourde, pourvue de nombreux défauts,
posécl~,
par contre, un esprit clénué d'étroitesse. C lle
mentalité, plutôt rare chez les femmes vi i!lies dans le
célibat, lui faisait comprendre ce que nombre de ses
pareilles n'eussent pas compris. Elle pouvait être une
ba:-arde invétérée, mais demeurait miséricordieuse aux
faiblesses humaines, plaignant avant de blâmer ... Ceci
est encore assez appréciable, n'étant pas très commun.
�SEULE DANS MON CŒUR
II 7,
Tant d'autres, voyant une jeune femme - Mm. de
Géorand, pour prendre un cas concret - malheureuse
avec un époux médiocre et volage, s'éprendre secrètement de son cousin, eussent dit d'un air pincé: « C'est
bien joli 1» M'" de Pierregourde pensait: «Pauvre
petite! C'est tellement naturel 1. .. »
Observatrice, elle devinait vite ce qu'on ne lui disait
pas; chose facile, du reste, puisqu'elle pratiquait avec
des « sujets» connus de longue date.
Elle essaya d'étudier Henriane, mais sans succès.
Cette jeune femme était déroutante. Elle continuait
bien à la croire aussi parfaite que par le passé; pourtant, après l'avoir revue à Paris dans son intérieur,
seule ou avec René, elle fit la constatation désagréable
que cet admirable échantillon de femme moderne débarrassée de tous les défauts reprochés à la génération
précédente, ne savait pas du tout s'y prendre avec son
mari.
M'" de Pierregourde, épouvantablement vexée car ell e avait une grande confiance en son jugement
sur les gens et les cho es, - essaya de se leurrer d'illusions : si Henriane était froide et ne laissait rien
paraître de ses sentiments intimes, cela venait d'un
puissant contrôle de soi et surtout d'un visage trop
immobile; elle se montrait certainement tout autre
avec son mari,,,. elle l'aimait beaucoup. Il ne pouvait
en être autrement.
Là, M'" de Pierregourde, s'Ion sa coutume de se
contredire so i-même, discuta sa propre opinion:
« Si Henriane l'aime, pourquoi ne fait-elle point de
concessions? Car il est facile de voir qu'il les lui fait
toutes! C' st très bien pendant les premiers temps,
mais la patience n'est pas une vertu masculine. Elle a
tort! C' 'st par les petites choses que l'on aboutit aux
grands désastres. »
A part soi, elle avait peur que le manque de soupl sse d'Henriane n'eüt pour résultat de conduire trop
SOllvent le capitaine de la Mothe-Ythier chez sa cousine.
Elle avait u, pendant son séjour à Paris, plusieurs
occasions de voir René chez les Géorand; il n'était pas
toujours seul, c'est vrai, mais pour Elisabeth ce devait
être une so ufTrance, et Louis, «comme un niais qu'il
�1I8
SEULE DANS MON CŒUR
était ~, pensait la vieille fille, stupéfaite devant la bêti se
um~ine,h
attirait le jeune ménage chez lui, multipliant
les Invitations... C'est pourquoi on pouvait affirmer
s.ans se tromper qu'il ne disait peut-être pas de sottises dans sa vie publique, mais en faisait dans la vie
privée.
M. de Géorand avait à sa décharge qu'il n'était pas
un flambeau. Outre qu'il avait confiance en sa femme,
il ne songeait point à deux choses à la fois. Son cerveau était à voie unique. Pour l'instant, toutes ses
facultés intellectuelles demeuraient acquises au Sénat.
La politique était sa poupée neuve. Mais Hcnriane, si
intelligente, elle, comment, Seigneur 1 ne faisait-elle pas
tout pour rendre René heureux? Ce mari n'était point
de ceux qu'on souhaite perdre!
Ainsi jugeait M"e de Pierregourde, dans sa simplici té et son bon sens.
Bien que dévorée de curiosité, elle résolut d'attendre
deux jours avant d'aller voir Henriane. Si par hasard
le capitaine arrivait? ... Voilà qui serait une bonne inspiration 1
~roie
concitoyens étaient tout prêts à la
A l'instant où ~es
plongée dans l'amertume, Henriane vivait des
Journées délicieuses tr op courtes à son gré. Elle se
réadaptait à l'exi
st~nce
d'autrefois avec une aisance
dont René ellt été sans doute médiocrement charmé.
En écrivant, il lui demandait par plaisant rie si elle
était toujours bicn aise d'êtrc veuve. Elle répondait
"'cntiment qu'ellc ne l'avait pas quitté, puisqu'elle était
avec la J mlque. Il finissait par trouver très agaçant
d'être toujours l'auteur de la JOllqllel
Henriane omettait de lui dire qu'elle commençait à
,'apercevoir des difficultés de l'œuvre entreprise. Elle
travaillait avec fièvre et passion. Souvent elle devait
cesser de peindre pour marcher dans la campagne;
l'exercice .physique, le grand air, la contemplation de
cette admJrable Grèce provençale, calmaient ses nerfs
5u,rexcités. Car elle s'énervait. Il fal/oil l'~usi
. JI fallaIt que l'on parl't aussi de SOIl chef-d'œuvre, ... pas de
ce~ui
de René: le sien. Pendant la période des fiançaIlles, lie songeait, fière de lui: « Je veux l'aider de
�SEULE DANS MON CŒUR
,19
toutes mes forces, l'encourager, faire tout pour lui. »
En se donnant tant de peine pour le voir avancer sur
la voie triomphal e, elle croyait encore penser uniquement à lui. En réalité, inconsciemment, elle profitait de
lui Jlour s'engager à son tour sur le chemin triomphal.
Ce n'était déjà plus unc aide, mais une collaboration;
ce ne serai t bi cn tôt plus un e collaboration: il suffirait
d'un ricn pour en [aire une rivalité.
Ccci, elle nc le voyait pas; mais René, dont l'expérience du c ur humain était plu s grande, l'avait redouté dès le premier instant. Et ce fait ne devai t-il pas
fatalemcnt se produire?
René" connaissait maintenant deux craintes: celle de
voir les dessins de sa femme abimer son livre, et celle
d' être forcé de reconnaitre qu'Henriane se servait de
son œuvre pour attcindre au succès personnel et non
au gmcntcr le sien.
[J se dit, avec l'imprcssion dc scntir quelquc chose
craquer en lui:
« Alors ... elle ne m'aimait donc pas? »
Il écrivit un peu moins souvent.
Mil. de Pierregourde apprit par son service d'information s rapide (laitière, blanchi sseu e, sacri stain) quc
le capitaine de la Mothe-Ythicr était en manœuvres.
On avait réussi à cxtraire cellc révélation du jardinier
d'Henriane.
Il ne put annoncer la prochaine venue du capitaine,
car il n'en savait rien, mais dit que Madame ne
s'ennuyait pas du tout à Valréas. Il paraissait très
satisfait. M Il . de Picrregourde n fut beaucoup moins
contente.
Qu'une j une femme vienne passer en province le
temps d'une absenec dc son mari, il n'y avait ricn là
que de louable, mais elle aurait dû s'ennuyer en
l'attendant.
La ~épartion
ne pesait pas unc once à H nriane?
C'était bien mauvais signe 1
Mil. de Pierregourde n'appartenait point à la catégorie des vieilles personnes formalistcs, à cheval sur
le égards qu'on leur doit et tenant lin compte exa t
des visites reçues, afin de n'en pas rendre une de trop.
�120
SEULE DANS MON CŒUR
Elfe se mettait au-dessus de ces mesquineries.
D'abord ceci lui donnait une impression de supériorité
sur le reste de ses concitoyens; elle avait de la sorte
l'air très grand et très bon; ensuite, cela lui permettait
de faire ce qui lui plaisait. C'est ce qui s'appelle se
poser comme on veut.
En prenant la résolution de se rendre sur-le-champ
auprès d'Henriane, Mil. de Pierregourde sentait qu'il
ne s'agissait point là d'une simple démarche de politesse. C'était sérieux. Elle mit sa croix d'émaux bressans et des gants neufs. Sa femme de chambre, intriguée, demanda si Mademoiselle dînerait «en ville ».
Sa maîtresse répondit, l'accent plein de rêves, qu'elle
n'en savait rien.
Chemin faisant, elle y pensa de nouveau, et ses réflexions aboutirent à la conclusion pratique: il était
fort possible qu'Henriane la retînt à dîner, car, malgré les as ertions du jardinier elle devait trouver les
heures bien longues.
'
Mlle de Pierregourde, se récitant intérieurement tout
ce qu'elle allait servir à Henriane, grimaçait comme
une possédée. Elle plissait les paupières, la bouche,
hochait la tête, s'arrêtait, puis repartait en faisant
tourbillonner son ombrelle comme ces petits moulins
dc papier qu l'on achète aux bébés, les jours de fête
populaire. Elle ne s'cn apercevait pas, étant plongée
dans cs pensées, ct faillit pousser un cri en voyant
tout à coup Hcnriane elle-même se dresser devant ses
yeux e fi arés.
Comme s'il se fôt agi d'une étrangère, Mil' de Pierregourde regarda la belle jeune femme, sereine et
fière, qui s'avançait sur le chemin, la tête droite, la
t1émarche souple. Elle la trouvait embellie et pensait:
« Mais c'est qu'eile est vraiment très bien 1. .. Comment son mari la laisse-t-il à Valréas? Il d vrait être
affreusement jaloux t »
Apr \s cHe reconnut qu'il n'y avait personne iei dont
M. de la Mothe-Ythier püt devenir jaloux.
A la même seconde, Henriane, id ntitiant Mil' de
Pierregourde sous le dôme de son ombrelle verte et
rouge, songea:
" Qu'Ile tuite! Elle va se cramponner t... »
�SEULE DANS MON CŒUR
I21
Héroïque, parce qu'il n'y avait aucun moyen d'éviter
de l'être, et s'approchant, elle dit, très gracieuse:
- Bonsoir, Mademoiselle! Je vous ai aperçue de
loin, mais je ne savais pas si je voyais bien. Je vous
croyais encore absente.
Mlle de Pierregourde fut persuadée qu'elle mentait
et' répliqua tout bonnement:
- Vous ignoriez mon retour à Valréas? Honorade
ne vous l'avait donc pas dit?
•
Elle ne pouvait mettre en doute que Mn.. de la
110the-Ythier n'employât tous les jours un peu de son
temps à se faire raconter les petites nouvel1es par ses
domestiques. Elle-même appelait cela «s'intéresser à
Elle maquillait sa curiosité,
ceux qui vous entour~.
qui aurait pu être jugée vulgaire, en altruisme du meilleur ton.
on, répliqua Henriane, divertie, Honorade ne
me raconte rien; je ne lui demande pas de me réciter
la chronique valréasienne. Dans ce cas particulier, j'ai
cu tort, puisque cela m'a fait passer dans votre esprit
pour très impolie, certainement. J'aurais dû aller vous
voir.
- Vous m'auriez fait plaisir, assura MIlo de Pierregourde, étudiant furtivement sa compagne, pour tenter
d<: surprendre un jeu de physionomie propre à indiquer si clIé était en froid avec son mari.
Le visage d'Henriane respirait la tranquillité parfaite. ~l"'
de Pierregourde cessa son examen, puisqu'il
était inutile, ct dit, l'air alTable :
- J'allais ehez vous.
- '\Ilons-y ensemble? proposa la jevne femme.
Au fond, Ile maudissait l'inspiration qu'elle avait
eue dt promener ses chiens sur cette route. Maintenant, c'était fait. Il lui serait désormais impossible de
fermer sa porte. Elle ne pouvait faire une exception
[lour la seule Marie de Pierregourd ; il faudrait sortir, accepter des invitations; autant de corvées aux
yeux d'Henriane.
El1es se rcmirent à marcher. MIlo de Pierrcgourde
admirait silcncieusement sa jeune amie. Heociane,
grande et svelte, son torse magnifique, sur les hanches
étroite, moulé par la robe de sport, lui inspira une
�122
SEULE DANS MON CŒUR
réflexion tirée des clichés classiques. usage dont sa
génération a peine à se défaire :
- Avec votre jupe courte et vos chiens. dit-elle.
aimable. vous ressemblez à Diane chasscresse. Il vous
manque seulement le carquois ... - elle fit une pause ct Endymion!
- C'e t de René qu'il s·agit. je suppose? dit Henrianc. se mettant à rire. Merci pour lui! Il n'est pas
laid. en effet.
Milo de Pierregourde se repentit d'avoir amorcé trop
vite. Il était impossible d'avoir une conversation sérieuse sur la voie publique. Elle ne répondit ricn. Henrianc interrogea. très gaic :
.
- J c me suis trompéc? Ce n'était pas lui ?... C'cst
donc une manière de m'apprendrc que j'ai mal choisi!
Son interlocutrice devint toutc rouge:
- Mal choisi! Par exemple 1... Mal choisi! - Elle
semblait prendre le Ciel à témoin. - Ma petite amie.
où auriez-vous pu trouver un autre mari comme celuilà !... Mais si j'avais eu vingt ans...
- J e vous en prie. ne me di tcs ricn! pria H enriane.
drôlement. Je suis contente. ee soir: j'ai bien travaillé.
')ui s jc me suis promenée avec mes seigneurs danois;
e ne voudrais au une ombre sur ma joie présente.
Expansive, eontre son habitude. elle ajouta:
« Si vous saviez comme c'est exquis de se sentir en
parfait équilibre. en pleine force! Aujourd'hui plus
que jamais. j'ai eu l'impression d'être moi. »
ElIcs arrivaient devant le portail. Henriane s'écarta
pOUl' laisser enlrer sa visiteuse. Celle-ci. éberluée. semblait enracinée au so\.
- Quelle drôle d'idée vous avez 1 fit-elle. L'impression d'être vous ?... Ma chère. ce sont là des complication s trop fortes pour moi. Je n'ai jamais l'impression
d'être dirférente; on ne peul pa être autre que soi,
voyons!
Henriane sourit, un peu dédaigneu se:
- Vous n'avez pas eu l'occasion de voir la difé~
Tence entre les jours où votre esprit subit une influence
étrangère ct celui où il agit seul .... cc que j'appclle
«être moi »... Voulez-vous 'ntr r?
Mil. de Pierl'egourde. dé[ érant à l·invite. continuait
�SEULE DANS MON CŒUR
123
à se dire qu'Henriane était une âme compliquée. Encore toute préoccupée par ce qu'elle venait d'entendre,
elle ne retrouva son moi curieux qu'après un assez.
long moment.
Alors elle s'aperçut qu'elle était dans le salon, et ce
salon était fleuri comme un jour de fête. Dans tous
les coins, sur les consoles, sur la cheminée, s'épanouissaient des brassées de pivoines rouges et blanches, des
glaïeuls - les magnifiques glaïeuls de l'amiral, dont il
était défendu de cueillir un seul! - des touffes de
roses. Tout cela, évidemment, était destiné à quelqu'un.
Voilà pourquoi Henriane se disait si contente: ce
n'était point parce Qu'elle avait travaillé ni fait une
longue promenade - beau plaisir, vraiment 1 - mai
parce qu'elle attendait son mari.
Mil. de Pierregourde décida en son for intérieur
qu'il était bien temps.
- Vous ne savez pas, reprit Henriane, seneuse, ce
que c'est: retrouver son esprit, ... sentir que l'on pense
vraiment ce que l'on pense et non émettre la pensée
d'autrui.
- Quoi ?... Comment? .. . Que dites-vous? fit Mil. de
Pierregourde, éperdue, submergée, mais admirative.
Ah 1 c'est décidément trop fort pour moi 1 Je suis d'une
autre époque. Pour couper les cheveux n quatre je
ne vaux rien; dans ma jeunesse, nous ne cherchions
pas tant d'histoires ! Aussi je n'ai jamais réfléchi à
tout cela. Il y a donc des jours où l'on ne pense pas
vraiment ce que l'on pense ?... C'est tr s joli; je ne
comprends pa très bien, mais c'est joli ... Je Je répét rai à Hubert, il me l'expliquera.
- Certains jours, dit Henriane, je seris que je perds
mon propre esprit pour prendre celui de René.
- Eh bien! mais, fit tout bonnement Mlle de Pierregourde, c'est dans l'ordre! Puisque René est votre
mari, il n'y a qu'à prendre toutes ses idées; comme
c'est simple 1... Cela ne vous paraît pas simple?
- Ah 1 par exemple, non 1 protesta H nriane avec
hauteur. Nous sommes deux personna lités distinctes.
I l y a lui et moi. Lui ne doit pas prendre de moi ce
qui ne lui appartient pas.
- C'est curieux 1 remarqua la vieille fille. Si j'avais
�124
SEULE DANS MON CŒUR
adoré un homme - cela ne m'est jamais arrivé, malS
enfin, en supposant, n'est-ce pas, que je l'eusse adoré,
- je n'aurais plus été moi, j'aurais été lui, ... et très
heureuse de l'être, encore!
- C'est vouloir s'abaisser 1 s'écria Henriane, un
éclair dans les yeux.
- :t-.lon Dieu, non! C'est vouloir être heureuse. Les
très flattés d'être admi.rés, vous
hommes sont touj~s
savez. Moi, j'aurais cru que le bonheur valait mieux
que n'importe quoi. Quand on aime réellement, il me
semble, on doit forcément se calquer sur l'être aimé ...
Hubert appelle ça ... , comment, déjà? Ah 1 mimétisme.
Moi, je le nomme amour, mais je su is d'un autre âge.
Henriane eut un sourire condescendant:
- Voilà une théorie faite pour plaire à René. Il
voudrait bien me voir «devenir lui~,
comme vous le
dites si jolimen t.
- Je ne sais pas si c'est joli, c'est une idée que j'ai,
répliqua l'amie des familles, sans s'émouvoir. Toutes
les peines que nous pr nons ne doivent-elles point
aboutir au bonheur? Etre célèbre, être puissant, gagner
beaucoup d'argent, Qu'est-ce que cela à côté d'être heureux? Moi, cela m'aurait plu, autrefois, d'être heurepse, dit-clle, très simple; mais les circonstances ne
s'y sont pas prêtées. Je n'étais pas suffisamment riche
pour me marier sans déchoir, et so rtir de son milieu
par l'état conjugal c'est généralement adopter un état
in fernal, quoi qu'on en dise. Mais quand on a la chance
d'appartenir, comme vous, à un mari semblable au
v6tre, eh bien 1 ma chère, on peut avec joie tout faire
pour lui plaire ... et pour le garder 1
Le dernier mot tomba net comme un caillou. Après
cet exploit, M'" de Pierregourde se tut.
- Garder? répéta Henriane. Cela implique l'idée de
possibilité de perdre. J'ai confianc en René, comme
lui-même a confiance en moi.
- On perd quelquefois, faute d'en prendre assez de
soin, ce à q~loi
J'on tient le plus au monde, riposta
Mil. de Pierregourùe, avec son air de bonhomie
quasi ingénue, qui lui permettait de dire beaucoup de
choses.
- Je suis surprise ... , commença Henriane, de très haut.
�SEULE DANS MON CŒUR
125
Elle s'arrêta, fixant sa visiteuse comme pour lui donner à comprendre qu'elle dépassait les bornes de la
plus élémentaire discrétion.
1'" de Pierregourde le reconnut d'ailleurs aussitôt
et sans hésiter:
_ Oui, je me mêle de ce qui ne me regarde pas,
dit-elle, point embarrassée du tout. Ma chère enfant,
je suis certaine que vous avez le meilleur des maris.
Vous comprenez qu'à mon âge, malgré mon célibat,
j'en ai vu de plus d'une sorte 1 Ne serait-ce que mon
beau-frère !... Il est vrai que ma sœur était insupportable ... Mais passons.
« Pour en revenir à M. de la Mothe- Ytltier, je puis
affirmer sincèrement que personne ne m'aurait plu autant si j'avais quarante ans de moins ... Comme je les
ai en plus, je n'ai pas besoin de me gêner pour exprimer ma pensée. D'ailleurs, je dis toujours ce que je
pense! »
Henriane, d'abord raidie, ne put s'empêcher de sourire:
- .Je le lui répéterai. Il en sera certainement flatté.
- Oh! non, ça lui sera bien égal, fit tranquillement
M"u de Picrregourde. De la part d'uue jeune et jolie
femme, ce serait différent, mais alors vous ne le lui
répéteriez pas.
- Vous supposez que René fait des passions par,tout
où il pasie? interrogea Henriane, souriant toujours.
J'Cil suis sllre, déclara la vieille fille avec la même
sincérité. Vous imaginez-vans quc lcs hommes comme
votre mari courent les rucs? Croy z-moi, 1 Ciel ne
{ait pas à toutes les jeunes femmes pareil cadeau!...
Sans vouloir dire du mal de quiconque, mettriez-vous,
par exempte ... - elle lit semblant de chercher - Louis
de iéorand sur le rn_ème plan?
lIenriane avança dédaigneusement les lèvres:
- Oh 1 ce pauvre Louis ... - sa voix prenait une inflexion de bienveillante pitié - certainement il ne
manque pas de qualités, mais il est si...
- Voilà. Vous dites juste: il est si ..., tellement si
et si parfaitement le reste, que sa femme a un fier
mérite de n'avoir pas fait de comparaison entre lui et
son cousin.
�126
SEULE DANS MON CŒUR
Quel cousin?
Eh! mon Dieu! votre mari! jeta Milo de Pierregourde.
Henriane restant muette, elle reprit très vite, dl: sa
façon toute simple, qui masquait beaucoup de sagacité:
- Entre nous, il faut une fameuse dose de vertu à
une femme de trente ans, aussi médiocrement mariée
que cette pauvre Elisabeth, pour ne pas se lai sser
entraîner plus loin qu'il n'est permis dans son affection
pour un parent jeune et célibataire. Lorsque vous
voyez Louis, vous devez vous trouver favorisée.
- Je n'aurais certes pas accepté Louis 1 répliqua
Henriane.
- Oui, mais vous auriez pu aussi ne pas avoir la
chance d'épouser René, riposta M i l ' de Pierregourde.
Personne plus que vous n'est à même de savoir que
c'est là une grande chance de pouvoir en même temps
aimer et admirer son mari, de posséder l'amour d'un
honnête homme. Les jeunes filles trouvent cela tout
naturel... Naturel, peut-être, mais pas si fréquent 1 Elle fit un détour pour enchaîner. - C'est comme
Louis, tenez, ce qu'il m'agace avec sa suffisance 1 Une
perle semblable à Elisabeth lui était due 1... Combi n
de foi s ai-je eu l'envie de lui dire: « Mon pauvr ami,
mettez-vous donc devant une glace à côté du capitaine,
et regardez-vous! ) C'est bien vrai, poursuivit-elle
avec l'accent de la conviction, quand on ne sait pas
rendr sa femme heureuse, on n'installe pas chez soi
un cousin aussi bien tourné !... Ainsi que le disait ma
mère, c'est vouloir mettre un tison dans une grangc 1...
Ji a eu de la chance, Louis, qu'clle ne brüle pas, sa
grange 1
- En d'autres termes, René n'a jamai flirté avec
la ~ cm.me de son cousin, interjeta Henriane, ironique.
MaiS Je n'en doutais point 1 Elisabeth est l'honnêteté
même, je le sais, et René est trop gentleman pour
remercier un parent de son hospitalité en mettant le
trouble dans son ménage. Aussi je ne m'cxpliqu' pas
pourquoi vous choisissez un pareil sujet d'entreti n.
M i l l de Pierregourde ne balança point davantage;
ellc riposta tout net:
- PQurquoi, ma chère enfant? Parce que ce n'est
�SEULE DANS MON CŒUR
;27
pas d'espèce courante, les femmes mal mariées, attachées à leur devoir au point de faire épouser une
petite amie à l'homme qu'elles ont peur d'aimer, et qui
acceptent de le voir heureux sous leurs yeux; mais
si elles le voyaient malheureux, pourrait-on répondre
qu'elles détoul:neraient la tête pour ne pas céder à la
tentation de le consoler?
Henriane devint rou ge:
- Vous m'apprenez par là que mon mari est malheureux avec moi. JI serait sans doute le premier surpris ,
L e ton était plus que sec. Milo de Pierregourde ne
se démonta point:
- Je vous apprends, si vous l'ignorez, CJue le bonh eur est une chose si rare qu'il faut le conserver avec
grand soin quand on le possède. Nous ne recevons pas
en nai siant la promesse d'être heureux". En tout cas,
si c'est promis, ce n'est pas souven t donné!
« Vous ne pouvez ignorer qu'il n'existe pas un
homme - à la lettre, pas un! - avec lequel il ne soi t
néc 'ssaire d'y mettre du sien, si l'on veut le garder".
J e Ile vous dis pas cela pour vous froisser, ajouta-t-elle
tout bonnement. C'est une agréable chose, en somme,
qu'avoir un roman avec son mari .. J'aurais même cru
CJue c'éta it la plus agréable de toutes 1 Pcut-êtrc maintenant est-cc di lTércnt? Pourtant, lorsquc je regarde
autour de 1110i, je vo is que les hommes sont toujours
des hommes. Autrefoi , ils aimaient être pour leurs
femmcs le ccntre de l'ul1lvers; je suppose qu'il l'aimeront toujours. Alors, pcut':être serait-i l bOIl de leur
lai sser croir que c'est toujours pareil, conclut-elle
avec un sourire.
Henriallc comprit parfaitem 'nt le conseil déguisé,,,.
lequel succédai t à tll1 blâme indirect. Elle devint pâle
ses prun Iles prirent la couleur dll métal. Elle se rap~
pelait la pr 'mière en trevue avec René, l'impression que
lui avait laissée Elisabeth à côté de lui. Elle avait eu
le vague sonpçon du sen timent de la jcune femme pour
son COll in. En se mordant la lèv re, elle pcn sa :
« Moi qui ne voulais pas d'lin mariage arrangé par
des tiers, je sui s servie 1", Elisabeth vOlllait éloigner
René. omment ne m'en suis-je pa doutée?".»
Elle laissa passcr un temps assez long avant d'in-
�128
SEULE DANS MON CŒUR
terroger, d'une voix si froide que le timbre en était
changé:
- Je ne vous ai pas demandé si vous avez de bonnes
nouvelles de monsieur votre neveu? Y a-t-il longtemps
que vous avez quitté Paris? Vous avez vu les Géorand,
avant votre départ pour la Bourgogne ? .. Viendrontils bientôt à Valréas?
« Nous y voilà!» pensa Mil. de Pierregourde. Et
tout haut elle répondit, du même air détaché:
- Oh! sûrement pas avant les vacances parlem entaires. Louis se croit indispensable à la France 1 Enfin,
il vaut mieux, pour sa femme, le voir occupé là plutôt
qu'ailleurs, quoique, ... si j'étais à la place d'Elisabeth,
moins je le verrais, plus je serais contente.
Elle se leva. Henriane restait assise.
- Je pars 1 annonça la visi tcuse.
La jeune femme, perdue dans un infini de pensées,
semblait ne ricn voir ni rien entendre.
- Je pars 1 scanda Mil ' de Picrregourde, renonçant
à son projet de se faire retenir à dîner.
Henriane se remit debout d'un mouvement souple.
Ses traits avaient rcpris un calm e absolu. Mil. de
Pierregourde, l'étudiant à la dérobée, se dit:
« Elle n'est pas vraiment jolie, mais c'est une bien
belle femme. C'est dommage qu'elle soit si froide 1. .. Si
elle était seulement un peu gentille avec son mari ... »
Henriane surprit les yeux perçants braqués sur sa
personne. Elle sourit et dit, avec cette politesse qui
congelai t :
'
- Vous regad~
mes pivoin s? Elles sont superbes,
cette année. Il faut que vous me fassiez le plaisir d'en
emporter quelques branches.
~1"'
de Pierregourde, stupéfaite, ouvrit la bouche,
pUIS la referma. Des pivoines? Pourquoi lui donnait-on
des pivoines ? ..
Elle faillit répondre: «Merci. Je n'y tiens pas! »
Henriane, joignant le geste à la parole, prenait toute
une brassée de lieurs dans un vase et les mettait dans
les mains de l'obligeante conseillère, qui, démontée par
cette aisance et le don inattendu, reçut la gerbe en
balbl1tiant des mots de gratitude, sans oser ajou ter
qu'eUe mouillait ses gants.
�SEULE DANS MON CŒUR
129
Aimez-vous les fleurs? poursuivit Henriane. torturant sciemment sa visiteuse. J'en mets partout; je
les adore.
- Moi aussi .... moi aussi, bredouilla Milo de Pierregourde.
Elle pensait:
4: Il s'agit bien de fleurs 1... C'est qu'elle n'a pas du
tout l'air d'attendre son mari 1 »
A l'instant de partir. elle prit son élan:
- Je croyais. dit-elle avec son meilleur sourire.
toute cette décoration florale destinée à M. de la
Mothe-Ythier... - Un temps. - Il viendra sans doute
bientôt vous rejoindre?
- Ici, à Valréas? répliqua Henriane en se penchant
pour caresser la grosse tête de son chien. Oh! je ne le
pense pas 1 Les petites villes l'ennuient... Et puis je ne
sai à quel moment il pourra prendre une permission.
- Alors nous allons vous perdre? glissa Mil. de
Picrregourde. en essayant de paraître le regretter.
l-Ienriane répondit simplement. parce que la question
lui paraissait de pure forme:
- Je n'ai pas encore fixé la date de mon retour à Paris.
11 110 de Pierregourde allait franchir le portail. Elle
eut une minute de désespoir. Stupéfaite. elle se dit:
4: ?'Iai cette jeune femme est une bille de teck 1 Elle
ne comprend rien. elle ne sent rien. »
Elle fut sur le point de s'écrier, comme on se jette à
l'eall :
« Ecoutez, ma petite amie. vous trouverez que je me
mêle encore de ce qui ne me regal'de pas, C'est vrai,
ça ne me regarde pas, mais je m'en mêle 1 Eh bien 1
p:\rt z tout de suite 1 »
A la 1 éflexion. ellc s'abstint. D'abord parcc Qu'clle
jugeait avoir donné suffisamment de sages avis en un
jour; nsuite t surtout - parce Qu'elle eut soudain
l'impression bien neUe Que. très probablement. cette
date serait fixée le soir même .
. lors clic s'en retourna chez elle. très contente d'être
venue. mportant. avec la satisfaction d'avoir si bien
pari'" une grosse g rbe de pivoines rouges dont les
tig's ruisselantes inondaient. sans qu'elle s'en aperçôt,
sa belle jupe de ga la.
497- V
�130
SEULE DANS MON CŒUR
VI
Rapidement, le eapltame de la Mothe-Ythier gravit
l'escalier de l'appartement de sa cousine et sonna, en
se disant:
« J'espère que Louis n'aura invité personne 1 »
Il était préoccupé. En rentrant à Paris, les manœuvres terminées, il avait trouvé chez lui une lettre
de sa (emme, dans laquelle IIeoriane, au lieu d'annoncer son retour, insistait pour le décider à venir luimême à Valréas.
Les phrases cl la lettre d'II nriane demeuraient encore fixées clans sa mémoire. JI avait l'impression
qt1'ellc faisait tout e qu'elle pouvait pour écrire tendrement et qu'il lui en coltlait un effort. Certes il aimait sa femme, mais ne pouvait s'empêcher de p~nser
:
« Je me demande ce qu'Elisabeth m'aurait écrit à
sa place ... Il me semble que ce serait tout di fTérent. »
Il avait beau faire, il en revenait toujours à établir
des comparaisons entre Elisabeth t Henriane, et pourtant sa cou ine ne tenait plus dans son esprit la place
de jadis, ... c'est-à-dire Qu'elle tenait une place toute
diJT ércnte.
Il s'arrêta net sur le seuil du salon dont le val t de
chambre ouvrait la porte. Une exc1amationlui éehappa:
- Henriane 1...
Assise au coin du canapé, il reconnaissait sa femme,
_lu'il ne POllà laquelle, le malin mêmc, il l~égraphit
vai t ail er la rej oind l' tOll t de su i te.
C'était invraisemblable et pourtant réel: Henriane
était là; elle était revenue ...
Elisabeth se mit à rire:
- Voilà une belle surprise, n'e t-ce pas, René! Cou-
�SEULE DANS MON CŒUR
'f3T
rez donc l'embrasser 1 Il n'y a que moi, ct je ne regarderai rien... Voyons, ne rougissez pas. mon ami. Je
vous ai dit ça dans votre intérêt, ma is "i ,"ous préférez
la grande scène de jalous:e 18':0 : « :,fa,lame, que
faites-vous à Paris? » allez-y 1.. . 1Iais dan s cc cas, moi,
je prends la porte 1
.
« Charmante 1 » pensa son cousin, tandis qu 'Henriane
les regardait avec insis tance. E\1e se demandait à quel
mobile Mll e de Pierregourde avait obéi en lui insinuant
qu'elle ferait bien de ne pas laisser son mari seul trop
longtemps. Il était ïmpossible qu'elle voulût la mettre
en garde contre Elisabeth. Si jamais celle-ci avait eu
un commencement de passion pour René, ce devait être
bien fini. Elle avait tout à fait trop d'aisance.
- Puisque c'est permis ... , dit René, souriant toujours.
Il posa ses lèvres doucement sur la tempe de sa
femme et, très bas, murmura:
- Chère, merci d'être revenue.
Sous cette caresse si légère qu'elle ressemblait à un
baiser de ftançailles, Henriane ferma les yeux, un peu
de rose lui monta aux ioues. Elle ressentit une impression d'apaisement, de bonheur. Elle se dit:
« S'il avait cessé de m'aimer, il ne saurait plus
m'embrasser comme mon fiancé. »
Lui était encore tellement ébahi de la voir qu'il ne
parvenait point à démêler s'il était enchanté de la surprise, ou si ladite surprise le laissait sans plaisir. Au
moment où il était prêt à confier à Elisabeth qu' il
n'était pas tout à fait heureux avec Henriane, il se
trouvait face à face avec Henriane ... Que pouvait bien
signifier ce brusque retou r ? Pourquoi, après s'être
obstinée à dire qu'elle passerait un mois à Valréas,
avait-elle changé d'avis ?... Pourquoi enfin - el surtout! - la trouvait-il chez Elisabeth?
Mm. de Géorand prononça, sans perdre le ton d'humour qui la rendait si agréable:
- A présent, si vous y pensez, vous pourrez me pr6sen ter vos hommages 1.. . Si vous n'y pensez pas, que
une
vou lez-vous, je m'en passerai 1 Il fa ut bien se ~aire
philosophie ... Ah! 110n, René 1 laissez mes mams tranquilles. C'est une forma lité. Je la tiens po ur accomplie.
_ Ma chère amie, je voudrais cependant ...
�132
SEULE DANS MON CŒUR
- Vous voudriez quoi ? .. Me remercier de vous
avoir fait rencontrer Mm. de la Mothe-Ythier, dont
le secret désir est d'oublier son mari avec Azergues,
ou inversement, car je ne sais plus très bien comment
s'appelle ce mari ... Mon che'r, dites-lui plutôt vousmême votre plaisir de la voir ici ce soir. Moi, je n'y
suis pour rien! Je ne me prête pas à ces intrigues illicites. L'honneur en revient à Louis, il a les idées plus
larges que moi. Il a prévenu Henriane que vous éti'z
arrivé ce matin à Paris et dîniez à la maillon ce soir.
Elle lui a demandé de l'invit:r aussi pour ... , au fait, je
ne sais pas pourquoI, .. . peut-etre p01lr se faire raconter
les manœuvres. Et voilà! Maintenant, arrangez-vous
tous les deux ! Je vous fausse compagnie un instant;
excusez-moi.
Elle sortit, avec un gentil petit clignemetlt des cils,
moqueur.
- René .. ., murmura Henriane.
La de~nièr
~y labe
mourut sur ses lèvres, quelque
chose !tu serrait la gorge. Elle oubliait la crainte qui
J'avait fait bru sq1lement revenir à Pari~.
Commcnt
avait-elle pu accucillir une seconde les suggestions dc
Mil' de Pierregourde : René oublieux, ... R né détaché
d'elle, ... René infidèl . Ah 1 cela Mn 1 c'était impossible.
Il était à ellc ct rien qu'à el!e 1
... H 'nrianc était arrivée à Paris encore troublée,
très inquiète, malgré sa volonté de ne pas l'être. A ce
moment, elle ne se souciait P?int de savoir si elle pensait vraiment ce qu'clic pensa it. Les recherchcs subtilcs
étaient bicn loin de son esprit. Toutes ses faculté s se
tendaicnt sur un seul point: est-cc quc vraiment il
pourrait sc produire qu'un jour iJ cesserait de J'aimer?
Cet amour dont elle lui reprochait de faire le principal objet dc l'c xistence, comme il lui semblait moins
méprisable à l'instant Ol! quelqu'un venait de lui faire
toucher du doigt la possibilité de le perdre 1
Mil. de Pierregourde pouvait se vanter de posséder
le don d'éloquence persuasive; mais, au moment précis
où elle s'évertuait à démontrer à Hcnriane quel jeu
dan l'eux elle jouait avec son mari - et ceci uniquement par amitié pour Mm. de Géorand, - el!e ne se
�SEULE DANS MON CŒUR
Œ3J
doutait point que le r ésultat de sa diploma tiè faisait
se rejoindre cc ménage, qu'clle cr oyait mûr pour la
dislocation, dans la maison d'Elisabeth.
Qui donc aurait songé à Elisabeth, à cette minute
où René, revenu de la surprise première, ne pensait
plus qu'à la joie de retrouver sa femme; où Henriane,
rassé rénée, se répé tait, triomphante:
« Comment ai-je pu croire qu'il y aurait dans sa "ie
un e autre que moi? »
E ll e se pressa contre lui, les bras enlacés autour de
son cou, si étroi tement qu'il étoufTait presque.
- Qu'est-cc que c'est, ma chérie? interrogea le jeune
homme, dont la joie se mélangeait d'anxiété.
C'était si extraordinaire de la part d'Henriane, cet
élan souda in!
Au lieu de répondre, H enriane chuchota deux fois,
selon la coutume des femme amoureuses qui répètent
toujours le prénom de l'être aimé:
- René 1... René !...
Quelqu'un marcha dans la pièce voisine. On ouvrit
la porte. Le capitaine sc dégagea en reculant, mais pas
assez vite.
- Tu es là, René? Je ... , ah 1... oh! mille pardons !..,
clama M. de Géorand, de la façon la moins di scrète.
Il fit un pas en arrière, puis aussitôt deux en avant:
- Pardon! je ne savais pas, je ... , enfin le diable
m'emporte si je ne me uis pas conduit comme un
damné idiot 1 ajouta-t-il avec un e certaine complaisance, car il jugeai t celle formu le britannique pleine
de hic.
- Bonsoir, Louis, fil son cousin, plut't sec.
M. de Géorand choi it parmi ses diverses expressions celle qui convenait le miellx à un sénateur,
d'abord, et à un parent sen iblement aîné, ensuite; il
refit son entrée si malcncontrell ement interrompue :
- Bonsoir, mon vieux! Pas trO[l fatigué des manœuvres? Tout a bien marché? Bon 1 Henriane a birn
voulu accepter de dîner à la mai son ce soir, au li Il oe
changer nos proj t5.
.
Il s'assit, tira son pantalon pour mettre ses chevilles
en va leur.
- Figure-toi, mon petit, c'est tlne chose formidable 1
�134
SEULE DANS MON cœUR
Ce matin, Elisabeth reçoit un coup de téléphone. Elle
était sortie; je réponds à sa place.
- C'était moi, interrompit Henriane, pour brusquer
le récit.
- Sur le moment, l'ai cru qu'il y avait,quelque chose
de cassé chez vous.
- Pourquoi? interrogea René.
- Je ne sais pas,... une idée. J'ai quelquefois des
idées à moi ...
M. de Géorand, par un coup d'œil discret, s'assura
que ses auditeurs appréciaient sa finesse.
- Il n'y a point de raisons pour que tu n'aies pas
d'idées à toi. répliqua René d'un grand sang-froid.
Il n'ajouta point : 4: Elles ne sont pas toujours
bonnes 1 »
- Flirt au bout du fil, ainsi qu'il va de soi reprit
M. ùe Géorand, soulignant chacun de ses mots ~vec
un
véritable amour paternel. Henriane me raconte qu'elle
a regagné Paris sans te prévenir. Je réponds: «Mais
René sera ici ce soir. 11 dîne à la maison. »
- J'ai ajouté : 4: Invitez-moi 1 :. coupa Henriane,
essayant d'avoir J'air amusé.
- Pardon, vous avez dit: «S'i l vous plaît », rectifia Louis, solennel. Car elle a dit 4: s'il vons plaît»;
elle est très bien élevée, ma belle cousine, René. «S'il
vous plaît » n'est-il pas charmant?
- Ça dépend comment elle l'a dit! fit brusquement
son cousin, agacé.
M. de Géorand éclata de rire. Cela faisait un bruit
terrible.
- Bref, VOliS voici tous les deux, comme on chante
dans MallOII, onclut-il sans voir l'air résigné de ses
hôtes à la mention inévitable de Mallon. El je suis
enchanté de VOliS y voir. Les bonnes réunions intimes,
il n'y a encore que ça ... Maintenant je suppose que l'on
•
va servir. Qu'est devenue Elisabeth?
- Je ne sais pas ... Elle est allée dans sa chambre, je
crois, dit Henriane.
- Ah! très bien; elle a du tact 1 remarqua d'un ton
très fin - au moins dans l'intention - Louis, qui pour
~a
part en était totalement dépourvu.
H.ené sentait qu'un mot de plus le ferait mettre en
�SEULE DANS MON CŒUR
'1 35
colère. Il pensait avec rage, voyant le regard bon êt
cordial de son cousin posé sur lui :
« Il n'est pas possible d'être gentil comme Louis et
aussi bête! »
Il se retourna complètement vers sa femme et questionna, l'accent indifférent et poli comme s'il se fût
adressé à une étrangère :
- Vous avez eu un séjour agréable en Provence?
Est-ce un peu gai, en ce moment?
- Je l'ignore, je ne suis allée nulle part, répliqua
Henriane. J'ai vécu dans mon atelier. J'ai travaillé,
vous savez! Personne n'a pu forcer ma porte, ... sauf
Mil' de Pierregourcle.
M. de Géorand clama c1'un air furieux:
- Marie de Pierregourde est une vieille folle! Elle
a une imagination 1... Ah! comme imagination, je vous
la recommande 1... Elle a failli me brouiller avec Ch àteaubran, en faisant courir le bruit qu'il travaillait
sournoisement contre moi pendant les élections. SOIdisant, il voulait se porter au Sénat. Je vous demande
un peu! Châteaubran sénateur !... Il est bien gentil, bon
voisin, sa cave est excellente, mais, entre nous, ... comme
intelligence, il n'est pas fort!. .. Mil. de Pierregourde
a composé tout un roman héroïqu sur un mot de
M"" de Château bran qui aurait dit, paraît-il, chez
Mn" cie Venasque: «On veut lancer mon mari dans
la politique, mais je m'y opposerai tant que je pourrai! » Pas plus 'lU' ça. Il n'y avait donc pas de quoi
fabriquer une histoire, n'est-ce pas? Quand on a 11ne
par ille fertilité de cerveau, on s'établit feuilletoni s te,
bon Dieu! mais 011 n'embête pas les gens qui ne vous
ont rien fait 1
rL était pourpre de colère. Henriane questionna vivement :
- Vous la jugez capable d'inventer, ... de supposer
ce qui n'est pas et n'a jamais été?
- Parbleu 1 mugit M. de Céorand, toute sa rancœur lui revenant à la mémoire. Elle n'aime rien autant
que ça 1 C'est une distraction 1 Qua.nd. eUe a [mi de
martyriser ses ami-s, son curé, ses Vicaires, et de promener ses chiens, il faut bien qu'elle fasse quelque
�136
SEULE DANS MON CŒUR
chose 1... C'est une vieille folle, je vous dis 1 Gardezvous de prendre pour bonne une histoire sortie de
l'officine Picrregourde : vous n'en auriez que des
ennui.
- Très bien, je vous remercie, dit Henriane avee
son plus aimable sourire.
Elle regardait Louis avec une bienveillance toute
nouvelle. Maintenant elle était tranquille, rassérénée.
Elisabeth éprise de René, qui n'avait pas voulu rendre
cet amour par respect des liens familiaux, devenait un
simple conte. M"" de Pierregourde ne l'avait pas composé par intention perfide, mais par irré!i!tible besoin
de bavarder.
C'était en effet du mirage. D'abord elle avait supposé, ensuite elle avait cru, et pour finir e\le avait dit
si bien prise à son jeu qu'elle jugeait le péril im~
nent. Louis disait juste: une vieille folle 1
Henriane était secrètement vexée en con!tatant comminute,
bien elle avait été facile à convaincre. A ..t~
où elle croyait ne plus rien risquer, elle regrettait que
Milo de Pierregourde ne pût voir Elisabeth accueillant
taquiner
René amicalement, fraternellement, p)ai~nkr
son cousin, et finalement les abandonner tO\;S deux à
leurs effusions, en ayant l'air de se moquer gentiment
d'eux .
Et puis - cela encore - comtnènt une femme
amoureuse aurait-elle cu Je courage de faire marier
celui qu'clic aime? Elle subit le coup, quand on le lui
annonce, avec une force plus ou moins grande qui lui
permet de dissimuler parfois complètement; mais elle
ne va pas elle-même chercher une petite amie pour lui
donner le bonheur souhai té secrètement, et inaccessible.
M. de Géorand consulta de l'œil le magniJ;que cartel
Louis XIV, au centre duqu 1 le soleil à figure humaine
étalait la majesté de ses rayons. Il murmura d'un ton
mécontent:
'['out de même, je crois que l'on pourrait nous
faire diner 1 Elisabeth est-elle donc allée changer une
seconde {ois de robe?
Elisabeth apparut presque tout de suite, éblouissante
cl fraîcheur, les y ux brillants, ... tellement brillants
que l'on eût dit deux étoiles.
�SEULE DANS MON CŒUR
137
M. de Géorand, heureux de se voir en famille entre
son jeune cousin qu'il aimait beaucoup, sa cousine qui
était la nièce de M. Smith - lié avec tous les princes
régnants d'Eu.r0pe, - se ,?ultiplia pour être agréable
à chacun. Il alma sa salle a manger, les cattleyas de la
table, la robe de sa femme. Il regardait tout le monde
avec émotion et bonté. Il se sentait prêt à louer le
Seigneur.
Le jeune ménage parti, M. de Géorand en profita
pour sortir aussi. Elisabeth resta seule.
Un moment elle demeura debout au milieu du salon.
Sa jolie bouche ronde gardait encore un pli souriant,
puis graduellement le sourire s'effaça. Ses mains pendaient le long de son corps, ses bracelets glissèrent sur
ses bra ; ses épaules pliaient. Elle attira une petite
chaise basse et s'ass:t. Elle ne bougeait pas; seulement, par instant, un frisson passait comme une houle,
la secouant toute. Elle s'efforçait de ne penser à rien.
C'est très difficile de ne penser à ricn ... Alors elle regagna sa chambre et ferma la porte.
*"'*
A cette minute, ses cousins étant rentrés chez eux,
Henrianc disait à son mari:
- Si VOLIS sav iez quelle impression j'ai eue en arrivant ici, dans cet appartement où vous n'étiez pas!...
J'ai compris ce que pouvait être le désert!. .. Je sais
bien, c'est ma faute, j'aura;s dû attendre votre retour.
Non dit-il alTectueusement, heureux de l'entendre par'l r ainsi; vous avcz très bien fait de ne pa
m'attendre. I.,'homme est égoïste, vous savez. C'est
moi CJui, sans vous, me serais cru au dé3ert. Je le connais lI' r> 1 Ce n'cst pas gai!
- Vraiment, j'ai eu là une bonne inspiration? 'l'ant
mieux 1 A moi, cela m'a donné le plaisir de vous urprendre. J'avais recommandé à Céline de ne pas vous
prévenir que j"tais chez les Géorand; je voulais vous
faire une surpris. - Elle ourit, essayant d'être coquette. - A-t-elle été agréable?
Il répondit par un baiser. Quand on ne sail pas
trop que dirc, c'cst le meilleur moyen de s'en tirer.
�138
SEULE DANS MON CŒUR
Dites-moi donc quelle raison vous a fait quitter
Valréas sans m'avertir? interrogea René, en regardant
sa femme enlever son chapeau avec ces mouvements
harmonieux qui lui étaient propres.
Henriane sourit au lieu de lui répondre et demanda:
- Cela vous ennuie? Vous n'avez pas l'ai r content.
-- Je sui s très content. Ça ne m'empêche pas d'être
étonné. Vous ne changez jamais d'idée, vous ne savez
pas ce que c'est qu'avoir des caprices. Alors, voir chez
Louis la robe noire et rose que j'aime, avec ma femme
dedans, il y avait de quoi rester sans voix SUl' le
seuil!
Il disait «chez Louis », et non «chez Elisabeth»'
Henriane, dont l'attention était en évei!, enregistra c~
détail aussitôt. Elle dit, d'une façon très naturelle:
- Avouez que vous comptiez profIter de mon absence pour entamer un flirt avec votre cousine. Je
m'en suis dout~e,
mon ami, e'est pourquoi j'ai couru
prendre le rapide en gare d'Avignon. En apprenant
où vous deviez passer la soirée, j'ai vu que j'avais
deviné juste et me suis fait inviter par Louis. Voilà!
René devint subitement très pâle:
- Vous êtes jalouse?
- Je le serais si j'avais des raisons de l'être, répliqua H el1riane, détachant posément ses mots. Mais je
n'en ai aucune.
Elle arrangea ses cheveux devant la glace; ses bra
r elv{~s
dessinaient une courbe magnifique au-dessus
de sa petite tête fière. Elle prit le tenlps de bien choisir
ses termes, puis se retourna vers son mari. René n'avait
pas changé de place.
- Je sais, poursuivit Henriane du même a c nt mesuré, qu'il n'y a jamais eu dans le passé, entre Elisabeth ct VOliS, rien qui puisse me faire prendre peur
pour l'avenir. j one je ne suis pas jalouse.
- Vous faites très bien, répliqua le jeune homme
d'11n ::lecent glaré. Te vous ai jllré fIdélité; je n'ai [las
':'OI'tt1n!C de malJquer à ma parol~.
Vouddez-vous me
dire ' ourquoi vous éprouvez le besoin, ce soi r, de
m' i ~i n\ler
que j'ai plus que de l'amitié pOlir ElIsah ·til, ... car c'est le fond de votre pensée, si je COIn!l' t IÙS bi 'n?
�SEULE DANS MON CŒUR
139
- Je pensais seulement à l'affection qu'elle a eue,
peut-être, pour vous, articula Henriane, étudiant avide·
.
ment les traits de son mari.
La bouche de René frémit. Il répondit de très haut:
- C'est donc en effet pour me surprendre que vous
êtes revenue de Valréas? Ma chère, je devrais en être
flatté, même très heureux 1... Une femme jalouse, c'est
aussi une femme amoureuse; je serais charmé de
m'apercevoir que vous l'êtes 1
- René 1 tu crois que je ne t'aime pas?
L'interrogation vibra, anxieuse. Henriane tournait
vers lui des yeux stupéfiés, désolés peul-être aussi.
Elle se rapprochait, joignant les mains sur son bras,
tout étonnée de sentir ce bras trembler. Elle répéta
plus ba , plus doucement:
- Tu ne le crois pas? Dis-le ?...
Il fit un effort pour retenir les reproches qui lui
montaient aux lèvres. A quoi bon tenter de lui expliquer ce qu'elle ne comprendrait jamais? Ce serait la
faire se raidir, l'espèce d'attendrissement qu'il li sait
dans son regard disparaîtrait. Au lieu de rêver l'impossible, de s'imaginer qu'un jour viendrait où elle saurait
être ce qu'il souhaitaÎt (IU'elle ltH, ne valait-il pas mieux:
prendre ce qu'clle pouvait donner, sans lui demander
davantage? Il répondit, en essayant de sourire:
- ] e le crois chaque fois que tu me le montres, ...
mais tu ne me le montres pas SOIlY nt 1
Au fond, l'élan était brisé. Ce retour auquel il pensait, au camp, après les journées harassant s, comme
à une minute divine, fut une des heures les plus tristes
qu'il ait vécues.
De sa jalousi , qu'il sentait réelle, Henriane aurait
pu raire une offrande d'amour. Elle ne savait pas, elle
ne savai t rien, ri nI... sauf lui faire penser à une
autre, à l'instant même où il l'embrassait.
Après cela, des jours coulèrent, tous pareils. Pour
Henriane, l'alerte était passée. Elle était absolument
tranquille et se félicitait d'avoir abordé n ltement la
question avec son mari, persuadée, dans sa droiture
que rien n'avait pu altérer, qu'il n'y a pas de façon
d'agir supérieure à l'absolue franchise. Elle était sûre
de René. Il lui était fi.dèle. L'idée qu'elle aurail dû
�140
SEULE DANS MON CŒUR
aider par une r~cuesn
de. tendr~s,
à cette fidélité ne lui venait pomt a 1 espnt. PUisqu elle se montrait en tout irréprochable, lui donnant tout ce qu'elle
jugeait lui devoir, que lui restait-il à désirer?
Henriane comptait beaucoup, du reste, sur la part
qu'elle prenait au travail littéraire de son mari pour
l'attacher encore davantage à elle. Très peu après son
retour du Midi, alors qu'il s'erforça it de retrouver la
mentalité enthousiaste de la lune de miel, lui demandant comment elle avait. pu supporter leur séparation,
elle répondit, croyant lUI faire un très grand plai ir :
- Mais nous n'étions pas séparés, chéri. Je ne pensais qu'à nou s, à vous; je vous l'écrivais.
- y ous me parliez sans cesse cie la J OIlC]ne, reprocha-t-i1, a fT ectueux.
- Eh bien! mais c'est nous deux, cela! Le mei lleur de nous 1 Je veux vous montrer mes premières
aqurel~s.
J e 11'ai jamais ri en fait cie mieux.
« Au diabl e cette jonque 1 pensa René, ennuyé. Quelle
fichu e idée j'ai euc cI'inventer ça! »
Un instant, il eut la tentation de lui clire cie lai sse r
les aquarelles où elles étaient, il attendrait bien pou r
les voir; mais c'eût. été le plu s sftr 1110y'n cie fFoi sse r
Henriane. fi dit, tâchant de paraître ravi:
- Quelle incomparable épouse J'ai là 1 Elle ne pense
qu'à moi, ne vit que pour ma gloire 1. .. Mais je voudrais bien n'être pas pour elle seulement l'auteur de
la JOIIC]W!.
- Que voudriez-vous être, alors? clit Henrian , SI
étonnée qu'elle demeurait immobile, ses cartons entre
les bras.
- Mon Dieu, tout simplement moi-même 1 Le monsieur qui n'aurait pas commis des petits poèmes en
prose, mais qui vous aimerait bien. Ça ne VOll su ffirait pas? - TI s'obligeait à plai santer. - Si j'avais
été doué pour les lettres, mais que, par malchanc,
mon livre n'ait pu paraître, vous m'auri z r gardé avec
la suprême indifTérence dont vous ravori si z les autres
danseurs rencontrés chez la comtesse de V nasque?
Tl trahissait sa crainte secrète. Hcnriane s'écria, un
peu agacée:
- Mais je ne sais pas 1 Vous êtes vous, naturelle-
�SEULE DANS MON CŒUR
14 1
ment 1 Pourquoi chercher ce que j'aurais pu faire et
n'ai pas fait? ..
« Tenez, regardez ceci. »
René prit les feuillets . Il avait beau faire, il ne ressent-ait aucune admiration pour la peinture de sa
femme. BUe réussissait bien les fieu rs; en dehors de
cela, ses eompositions lui semblaient un peu sèches.
_ C'est bien, n'est-ce pas? dit Henriane.
Il ne sut que répondre. Il était consterné. Ces illustrations ne paraissaient point rcndre sa propre pensée.
Il éprollvait, avec l'embarras cruel d'un hommc trè
bicn élevé, l'anxiété bien pire d'un mari soucieux de
ne pas contrarier sa femme, et par là-dessu , dominant
tous autres sentiments, la déception épouvantable d'un
auteur auquel on a promis des merveilles et qui se dit
avec fureur et désolation: «Ce sera tout bonl1l:ment
un sabotage du bouquin! »
Après avoir cherché micux, il répliqua:
_ Oh! très, très bien. Du moins il me semble ... Je
ne suis pas peintrc, vous savez, ... et puis l'impartialité
mc serait difficile. Jc voudrais lcs étudier n (!ltai!'
;Vous mc les prêterez e so ir; maintcnant je suis obligé
d'aller au quarti r. Merci, chérie; je vou dcvrai le
triomphe!
Henriane ne mit point cn doutc qu'il lui lcvrait le
triomphe.
*.. *
Il n'était plus question, à présent, de ces bonnes
réunions intimes, chères à Louis de éorand. René
n'accompagnait jamais sa femme quand clle allait voir
Elisab th; puis les vacances parlemcntaircs, ramenant
M. de Géorand dans le Vaucluse, interrompirent 1110m ntanél11ent les rapports familiaux. Louis fut extrêmement déçu d'apprendre que les La Mothe-Vthier
r nonçaient à séjourner à Valréa pour accepter l'inyitation d s Smith, en villégiature à La Daule.
Puis, un jour, E lisabeth annonça, d'un accent d'indi tTérence Qui lui coû tait un terrib le efTort :
_ j'ai reçu un mot d'Henriane ce matin. Elle est
maintenant ehez sa tante Olmeuse pour tout le mois de
�142
SEULE DANS MON CŒUR
septembre. Il paraît que René sé dispose à répartir
pour la colonie vers la fin de l'année.
- Ah! tiens? fit M. de Géorand, surpris. Il part?
Quelle idée 1 Il ferait mieux de passer dans la Métropolitaine. C'est très intéressant pour un garçon, la
Coloniale, mais un homme marié ... 1 Il part? .. Cela
m'ennuie 1 Où va-t-il?
- En Indochine, dit Elisabeth, de la même voix tout
uni e.
- Il va faire un voyage superbe! décréta M. le
sénateur de Géorand. Je préfère rester chez moi, mais
pui qu' il aime ça, c'est très bien, très bien !... Affectation de choix. Dites-le à Henriane en lui répondant,
ma chère. René reviendra de là-bas chef de bataillon.
C'est un garçon qui a toujours eu la veine 1
- Croyez-vous? dit Elisabeth, simplement.
Sous le regard étonné de son mari, elle parla très
vite d'autre chose.
�SEULE DANS MON CŒUR
143
yu
Elisabeth, appuyée au piano, promena distraitement
'ses doigts sur les touches, égrenalolt au hasard quelques
notes.
- Attendez encore un peu, René, dit-elle. Louis
regretterait par trop de manquer votre visite. Vous
êtes devenu si rare!
Le caj)itaine de la Mothe-Ythier répliqua, du même
ton d'alTeçtueuse camaraderie:
- C'c:sl exprès! ] e me [ais apprécier davantage. Il
faut éVIter la sursaturation. Je veux ,'ous laisser de
moi un hon souvenir.
JI se tenait debout, prêt à prendre eongé de sa cousine.
Elisabeth releva la tête pour le regarder. puis interrogea, hésitante:
- Ditei-moi. ... est-ce vrai, ce que je viens d'apprendre? Vous embarquez pour l'lnclochine le mois
procha in. et Henriane reste en France?
Au lieu de répondre. il questionna:
- Comment le savez-vous?
- Ilier. M. d'Olmeu$e a demandé devant moi à
Henriane si. en votr ab ence. elle achèverait l'hiver
à Paris. ou si elle irait rejoindre Mm. Smith à Beaulieu. J'ai cru avoir mal cntendu.
- Non. Je pars seul.
La réplique sonnai t brève. Elisabeth ouvrit dei yeux
stupéfaits, presque eŒrayés.
- Vous laissez Henl'iane cn France; mais ... pourquoi?
- Il ne m'est pas possible de l'emmener pour le
moment dit-il l'air ennuyé d'avoir à fournir des
n'est pas un voyage de touriste, je ne
explications. C~
et servitude
puis faire ce que je veux. ~ral1du
militaires, vous savez 1 ajouta-t-l! en fiant un peu [aux.
�144
SEULE DANS MON CŒUR
Henriane doit être au désespoir 1 s'écria Elisabeth. Ne pouvoir vous suivre 1. .. Mais c'est affreux'
Moi, à sa place...
Elle s'arrêta net sous le regard de son cousin.
- Oui, dit-il lentement, vous, à sa place ... Mais ce
n'est pas vous. - Il changea de ton pour continuer. _
Henriane regrette ce voyage, qui st très intéressant.
yiend.ra me rejoindre plus tard.
Si c'est possible, ~le
Je n veu.' pas lu~
vOir faire cette traversée au printemps, ellc aurait trop de peine à s'acclimate r. L'automne, après ,'équinoxe, est la meilleure époque.
Il parlait d'une façon très naturelle, mais Elisabeth
le conais~t
trop bien pour se laisser prendre à ce
calme factice. Une idée subite traversa son cerveau:
Henriane avait-eHe refusé de suivre son mari ? .. Une
fois déjà, elle avait eu le soupçon Que le bonheur conjugal de René était plus apparent Que réel. Il faisait ce
qu'il pouvait pour paraitre satisfait de son sort, et il
souffrait, peut-être. Cette pensée lui fut atroce.
A\'cc douceur elle interrogea, presque implorante:
- Rcné, ... vous êtes heureux, n'est-cc pas?
- Pcndant six mois je l'ai été, répondit René, la
voix un peu sourde; maintenant, j'essaye de continuer
à croire <lue je le suis.
- J'ai beaucoup de peine, fit Elisabeth doucement.
Vou; êtes bien certain que je suis votre amie, n'est-cc
)las? Laissez-moi vous dire ... , vous savez, cela me
g-êne... Henriane vous aime. Vous ne comprenez pas
qu'clic vous aime à sa manière, qui est dilTérente de
la vôtre. Vous autres, hommes, arrivez au mariage
sans avoir d'apprentissage à faire, rien n'est nouveau
pou\" vous; pour nous, au contraire, il faut tout
apprendre. Les j unes filles - j'entends celles qui sont
hon~tcs,
droites, comme I1enriane - n'apprennent pas
tout de suite à être des femmes, ct même celles qui
se figurent tout savoir ig-norent bien cl s choses 1. .. Il
n'y a pas de vie conjugale sans heurts. C'est malheureux, mais c'est ainsi.
Elle parlait en connaissance de cause, ayant connu
plus de froissements intimes que de joies.
- Ha chère Elisabeth, répliqua René, se forçant à
sourire, je vous l'ai dit, j'ai eu six mois de bonheur, ...
�SEULE DANS MON CŒUR
145
du moins je l'ai appelé de ce nom, et ceci revient au
même, puisque l'illusion entre toujours pour une
grande part dans les félicités humaines. En y réflé: même si je
chissant, je devrais me trouver fav~risé
devais avoir seulement cela, ne seraIt-ce pas plus que
le lot de tant d'autres hommes? Le bonheur 1 mais cela
peut tenir dans le creux de la main 1
Elisabeth se détourna. EIJe ne voulait pas lui laisser
voir qu'elle avait des larmes au bord des yeux.
Après un instant elle dit, sans le regarder:
- Vous rappelez-vous, dans Pc//éas, ce mot du vieil
Articl: «Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des
hommes. :.
- De toutes les formes de la pitié, c'est bien celle
que nous devons le moins attendre, répondit René,
amèrement.
Il y eut un bref silence.
- C'est vous qui avez demandé à partir? dit enlin
Elisabeth.
- Oui.
Involontairëment il la regarda. Il était poignant, ce
regard t... Elisabeth relevait le front. Leurs yeux se
croisèrent. Elle pâlit un peu et recula, le souffle coupé.
Après, elle dit, très simple :
- Oui, il vaut mieux que vous partiez.
Ils laissèrent passer quelques secondes; ensuite René
prononça d'un accent ferme, avec un ton indifférent:
- C'était une chance de pouvoir obtenir l'Indochine.
Je ne voulais pas la lai sser éçhapper. Et puis, vous
savez, nous autres, coloniaux, nc pouvons rester longtemps à la même place.
Elisabeth inclina la tête en essayant de lui sourire.
, . Elle ne pouvait articuler une parole.
Il se leva et s'approcha. De nouveau leurs regards
se rencontrèrent. Ils se reverraient sans doute avant
la date de j'embarquement, mais c'était aujourd'hui les
véritables adieux. Elle tendit la main; il la prit et la
serra sans la baiser.
- Adieu, René, dit-elle.
- Adieu, Elisabeth.
Ils restèrent un moment immobiles en face l'un de
l'autre. E1\e retira sa main, et il partit.
�146
SEULI; DANS MON CŒUR;
VIn
Lcs premIeres semaines qui suivirent la séparation
furent horriblement pénibles pour Henriane. Cela ne
ressemblait en rien à ce qu'elle éprouvait lorsque son
mari la quittait pour aller aux manœuvres. Alors elle
se retrouvait elle-même avec une vraie joie, mais
c'était peut-être parce qu'elle avait, joillte à l'indépendance reconquise, la certitude de retrouver bientôt
René. Recevoir ses lettres était un délice: eJle n'avait
pas la peine de les ùésirer. Mais attendre! connaître
cc. supplice de n'avoir rien au ourricr, ct, tout cn se
c1 ·,ant qu'il était impos ible d'avoir d'jà des nouvclles,
c,pl;rer quand mêmc sans suc ès.
Elle sentait la justesse de l'aphorisme populaire:
~. être olnme un corps sans âme ». Ce fut une révélation inattendue: René était donc son âme et son
esprit, puisque maintenant il y avait \111 trou clans son
esprit, une sensation de vide dans tout son être. Elle
'·tait seule de nouveau, mais c'était triste d'être seule
et d'avoir peur.
Henriane éprouva, chez les lins et les autres membres de sa famille, la même déception à les voir toujours pareils à eux, alors qu'elle n'était plus semblable
à elle-même.
Selon sa cOtltume, elle rejeta les torts sur la médiocrité intellectuelle de ses proches, leur vie uniquement
mondaine; mais Gillette, Francine ct ses autres amies
les plus intimes, ju qu'alors jug'e supér ieures, lui
paraissaient également exaspéran tes.
Francine n'avait pas manqué de venir, deux jours
après le départ de René, la chercher pour faire une
randonnée en auto à travers la Belgique, en disant
comme une chose toute naturelle:
'1
�SEÛLE DANS MON CŒUR
147
Dites donc, maintenant que vous avez la veine
d'être libre, on va en profiter!
Et Gillctte, esprit pratique, avait eu ce mot, cri du
cœur:
- M. de la Mothe-ythier va au Tonkin? Il touchera la solde en piastres. Avec le change, c'est intéres ant]
De ce jour, Henriane sentit son admiration pour
la puissance de travail de la délicieuse Gillette en
baisse accentuée.
Elle refusa net de faire connaître sa maison de Valréas à ses deux amies, qui cn mouraient d'envie, et fut
presque contente en les voyant déçues. Elle pensait:
« Je l'écrirai à ~ené
.. Il sera enchanté d'apprendre
que je les espace, lUI qUI ne peut les souffrir! ~
A l'heure où René était séparé d'elle par des mil1iers
de lieues, Henriane ne vivait plus que pour lui. Elle
lui donnait trop tard ce qu'il avait désiré. C'est là
chose fréquente.
... Très régulièrement, à présent, les nouvelles de
l'ené arrivaient. Il parlait à a femme du moment où
clle pourraît venir le rejoindre. Ces lettres étaient
d'abord pour Henriane une joie immense, et presque
tout de suite après, un tourment. Elles étaient si
vieilles ]... Depuis la minute où René écrivait: «Tout
va bien pour moi~,
tant d'événements avaient pu se
pas5er! Il paraissait bien portant, mais l'était-il encore
à l'instant où elle lisait ces mots? Elle étudiait chaque
ligne anxieusement comme on épie une contraction
soudaine du visage: Ah] la cruelle chose que la joie
du courrier ]...
Après la période inévitable de dépression nerveuse,
Henriane réagit. Elle regardait toujours froidement
la situation en face, et vit qu'en continuant de la sorte
lie s'abîmerait la santé et ne pourrait aller rejoindre
son mari avant la fin de l'automne.
Pour faire passer les jours plus vite, elle se remit
à peindre et fut un peu surprise de voir qu'elle y prenait le même plaisir qu'autrefois. Elle écrivait à René
des pages et des pages, d'autant plus affectueuses
qu'elle reprenait inconsciemment des phrases de ses
lettres à lui.
�:t;t8
SEULE DANS MON CœUR
Dès la fin de mai, H enriane" s'était réinstallée ~n
Provence ; les journées coulèrent une à une, dans un
calme absolu. La jeune femme refusa successivement
l'invitation des Olmeuse, qui auraient voulu l'attirer
en Touraine, et celle des Smith, également désireux
de recevoir leur nièce.
Mm" d'Olmeuse et Smith ne perdaient pas une
occasion de lui r~péte
: «Le talent de ton mari!. .. La
carrière littéraire d~
ton mari!. .. » Henriane en ressentait un sourd agilcement, elle avait envie de leur
dire : «Mais René e'st donc pour vous seu lement l'auteur de la J ollqltC »
On l'aurait fort surprise en lui démontrant que pour
'elle, il avait été longtemps cela: l'auteur de la J;uC/uc.
Lorsq ue, peu de semaines avant le départ du capitaine, le livre avait paru, ênrichi des aquarelles de sa
femme, Henriane avait dissimulé de son mieux sa
blessure d'amour-propre cuisante de voir les illustration s passer inaperçues. Pour ri n au monde elle n'uurait avoué qu'elle avait souhaité le succès personnel;
à présent elle éprouvait une confusion à se dire:
«Personne n'a pu s'en douter, mais René a dfl s'en
apercev<lir ... »
Elle avait été si maussade avec lui, ce sblr- la... Et il
était parti si peu après ... Ah! l'affreuse chose 1... .
Mil'" d'Olmeuse et Smith n'insistèrent plus. Elles
étaient vexées, mais chacune se consolait il part soi
en pensant à la vexation de l'autre.
Successivement, elles prièrent M. de éorand d'user
de son influence sur Henriane pour l'empêcher de
vivre en reclu se dans ce trou perdu, car leur nièce,
en s'obstinant à jouer les châtelaines attendant le retour du roi sé, se rendrait complètement ridicule!
M. de Géorand fut très flatté de la bonne opinion
qu'avaient de lui des femmes aussi distinguées qlle
Mil" d'Olmeuse et Mm. Smith. Son premier soin, n
arrivant à Valréas, lut d'aller voir Henriane.
Il rentra chez lui émerveillé par le courage de sa
jeune cousine, qu'il croyait, d'après Mm. d'Olmeu se et
Mm. Smith, absolument déprimée, quasi neurasthénique.
- Henriane est extraordinaire 1 dit-il à Elisabeth.
Elle accepte cette séparation avec lin courage 1". Elle a
r
�SEULE DANS MON CŒUR
140
beaucoup de force de caractère. C'est très bien. J'estime les femmes qui ont du caractère.
Il semblait sous-entendre : « Vous n'êtes pa6 de
celles-ci, mais cela ne fait rien. Je ne vous en demande
pas autant. » Elisabeth fit comme si elle n'avait pas entendu et demanda :
- Hen1'iane a-t-elle reçu des nouvelles de René?
Il devait changer de poste, je crois. Elle parai sait un
peu inquiète.
M. de Géorand all uma un de ses excellents cigares
et ti ra deux grosses bou ffées :
- Il ne faut jamais se tourmenter, je le lui ai dit.
D'ailleurs, à notre époque, il n'y a plus de distances.
Bientôt il sera possible d'all er de Paris à Hanoï en
quelques jours, par avion. Vous représentiez-vous le
Tonkin sauvage comme au temps de la conquête? Cc
n'est pas l'Afrique Equatoriale 1... Sans la perspective
de la traversée, voilà un voyage que j'aimerais faire
l'I ndochine l
'
- Par malheur, il y a la traversée, glissa Elisabeth,
légèrement railleuse.
- Oui, j'ai horrel1\' de l'cau. Entre nous, ... j'ndmire
Henriane d'aller r joindre René.
- Pas moi.
- Vous ne l'admirez pas? Cela vous parait...
- ... Tout naturel ... Et même, à sa place, j'aurais
remué ciel el terre pour partir avec lui.
M. de Géorand parut extrêmement touché. Il répondit, tout ému:
- Voilà qui est gentil, ma chèr 1 Je suis enchanté
de savoir que v LIS êtes disposée à m suivre au bou t
du mond .
- Oh 1 vous n'irez jamais aussi loin 1 répliqua sa
femme, avec un petit sourire.
- Cela ne fait rien: si j'y allais, vous viendriez.
Eh bien! j'ai le plaisir de ne pas me déranger et celui
de voir que vous tenez un peu à moi...
Il changea de ton:
- A propos, j'ai oITert à H nriane cl faire avec
nous le circuit de Lubéron. NOLIS pour r ion all er avant
la fin du mois à Lourmarin. Qu'en dites-vous ?... Après
il y a ura les courses, les invitations à Montélimar.
�ISO
SEULE DANS MON CCElJ
Comme vous voudrez, dit Elisabet!: aye, ·"'c;;·
[érence.
- Cela ne vous plaît pas?
- Mais si.
- Alors, c'est entendu; arrangez ceci avec Henriane. Elle . doit s'ennuyer affreusement, cette petite!
Vivre des lettres de René, e'est un peu court!
Elisabeth acquiesça; mais un petit fait insignifiant
la visite inattendue d'amis de passage, l'empêcha d~
mettre sur-le-champ à exécution les projits de tour isme de son mari. Retenue au logis par la' présence
de ses hôtes, el!e ne put aller trouver Henriane qu'à
la fin de la semaine.
Il faisait un temps merveilleux, une de ces journées
lumineuses où J'on se sent vivre plus inten!tlment.
Tout en se dirigeant vers Ja maison de sa cousine,
Elisabeth songeait que c'était là un jour pour être
he ur eux. Elle pensait, fronçant ses jolis sourcils Avec
résolution:
« Il faltt qu'ils soient heureux tous les deux!... C'est
trop lamentable de g;icher sa vi par des divergences
de vues, des malentendus. Henriane n'est pas telle que
René se l'imaginait, mais il y a en elle de quoi faire
me femme charmante, si ellc le veut... Au fond, ce
·era peut-être bon pour eux, cet éloignement de René:
il lui manque. lis se retrouverollt avec plus de joie.
~e
sera un nouveau «départ », et maintenant il me
.• emble qu'Ile saura être plus adroite. »
Chaque fois qu'elle avait l'occasion de revoir sa cou. ine, Elisabeth constatait des modifications en elle. Oh 1
pas très grandes, mais significatives, un désir de faire
plaisir à son mari - ce mari était à présent si loin 1
- ~I ~me
Louis, bien peu observateur cependant, l'avait
/Cmarqué, puigqu'un jour il avait eu cette réflexion,
après une visite d'Henriane :
- Elle est un peu plus ... , un peu moins ... Enfin elle
ne se gobe pas autant qu'a Itrdois, vous ne trouvez
pas? Dien gentille, notre belle cousine, mais une ten(lance à se prendre pour un as. Je n'aime pas follement
ce genre de femme 1...
Si dissemblables qu'e1\es fussent, les deux jeunes
femmes s'appréciaient. E1\es avaient toutes deux la
�SEULE DANS MON CŒUR
ISt
loyauté de reconnaître leurs qualités mutuelles. Hendane n'avait pas été longtemps jalouse d'Eli sabeth:
elle la plaignait. Elisabeth, dans sa volonté sincère de
devenir tout à [ait indifférente à René - non, pas
indifférente, mais amie comme pourrait l'être une
sœur, et pas davantage - commençait à l~ voir avec
des yeux clilTérents, fraternels. Elle n'éta:t pas plus
heureuse avec Louis, mais, à tout prendre, moins malheureuse. Elle n'attendait plu3 l'ien de lui, rien de plus
que ce qu'il pouvait lui don" ~ r. A.lors une sorte -l'apaisement se produisait. Henriane lui avait dit un jour,
incidemment: « Louis est très bon. » C'était exact.
Autrefois, quand on lui répétait cela, elle ne retenait
pas un sourire ironique et désabusé. A pré enL.
eh bien! somme toute, cela lui faisait presque plaisir.
Pas heUl'eu se du tout, oh! non; mais il y a si peu
de gens réellement heureux de par le monde .
... Elle traversa le jardin d'Henriane sans voir personne; des outils de jardinage trainaient dans l'allée,
un arrosoir renversé répandait se dernières goutte
d'cau sur le sable, comme si on l'avait bru squement
abandonné, jeté à terre. La porte du vestibule ~ tai
ouverte, ct on 'lurait dit la maison désertée. Sans ,'expliquer pourquoi, Elisabeth ressentit une espèce .le
crainte.
Elle entra. Tout d'abord, aveuglée par le brusque
passage du soleil dans l'ombre, elle ne distingua rien.
Puis la silhouette d'H nriane apparut, pâle t ri gide,
un visage de pierr aux lèvres décolorées, les yeux
hagards fixaient sans voir. Une vision tragique, ct puis
cc ri:
- Elisabeth 1... René a été ...
Un autre cri:
- Nonl
Alors Henriane s'abat tit sur la poitrine d'Elisabeth.
Elle sanglotait sans larmes:
- ) e ne veux pas qu'il soit tu é !... Je ne peux pas
croire que c'est vrai ... Oh 1 René! mon petit, mon
petit !...
Elisabeth chancela comme si elle avait reçu un coup
sur la nuque. Désespérément elle répétait:
- !If ais qu'cst-ce que c'est ?... Qu'est-ce que c'est ?...
�r52
SEULE DANS MON CŒUR
Mais ce n'est pas vrai? Henriane, ce n'est pas vrai 1
Elle n'aurait pu dire combien de minutes ce moment
épouvantable dura, ni comment il se fit que tout d'un
coup Louis fut auprès d'elle.
II arrivait, appelé au téléphone par le vieil Estève
qui avait dit: «II y a du malheur pour Madame 1» et
rien de plus. Louis était là, bouleversé, tremblant. Des
larmes qu'il ne songeait point à cacher coulaient sur
sa figure, et Henriane, elle, ne pleurait pas. Seulement
elle répétait sans cesse sa plainte lamentable de bête
blessée:
- René 1 mon petit...
C'était affreux d'entendre cela.
- Henriane, écoutez-moi 1 dit enfin M. de Géorand
d'un ton autoritaire qu'il avait beaucoup de peine à
prendre, et il savait que cet accent impérieux la secouerait.
Elle ne bougea ni ne parut entendre.
- Ecoutez-moi, dit-il, pesant sur les mots. Ce n'est
peut-êtfl.! pas vrai. Il faut me croire. S'il était arrivé
un malheur à René - il n'osait dire: si René a été
tué, - j'aurais été averti par le Ministère. René avait
donné mon adresse pour que je sois prévenu le premier. Il me l'avait dit en partant.
Une lueur d'espoir passa sur le visage de la malheureuse, puis elle se mit à pleurer, secouant la tête:
- C'est pour me rassurer, mais je sais ... J'ai entendu
par la radio ... Une révolte à Bac-Ninh, ... des officiers
tués ... - elle haletait - des officiers ... René 1
Eli abelh, d'instinct, s'accrocha au bras de son mari.
Etre seule, entendre cela 1... Oh 1 la pauvre, pauvre
Hcnriane 1... Au moment où elle-même pensait résolument: «Il faut qu'ils soient heureux tous les deux »,
le pif!
- J'avais eu une lettre de lui ce matin, gémit Henriane, la voix sourde, avec des y ux d'hallucinée. Une
lettre que j'avais lue, relue ... Je lui répondais ...
Louis voyait l'enveloppe préparée sur le petit bureau,
l'adresse tmcée d'une haute écriture ferme:
« Capitaine de la Mothe-Ythier, 3' tirailleurs tonkinois, Bac-Ninh. »
La lettre que René ne recevrait jamais ...
�SEULE DANS MON CŒUR
I53
Il s'essuya les paupières. Il était désolé. Ce n'étaif
pas un grand esprit que Louis de Géorand, mais il
avait du cœur, il aimait son cousin comme un jeune
frère, et le désespoir d'Henriane lui faisait mal.
Elisabeth aussi pleurait René. On peut pleurer un
cousin. Mais c'était horrible d'avoir pensé tout J
l'heure que cet éloignement de René serait peut-être
bon ... Tout, mais toutes ses pensées se retournaient
comme si les mots avaient eu un pouvoir néfaste.
M. de Géorand essayait de se ressaisir. Cette révolte
annoncée par la radio, des officiers tués,... mais enfin
Henriane était-elle sûre d'avoir bien compris le nom
des officiers tués? Il fallait avoir un!! communication
officielle du Ministère .
. D'un ton qu'il s'efforçait de rendre très ferme, il
dit :
- Je vais immédiatement téléphoner à Paris. Il peut
y avoir des similitudes de noms.
Dehors il trouva les domestiques atterrés et les interrogea.
Estève laissa parler Honorad ; lui ne pouvait
émettre un son. Honorade dit ce qu'elle savait:
- Madame, la pauvre! écoutait tous les jours sa
T. S. P., et aujourd'hui elle était là, tranquille, contente parce qu'elle avait reçu ce matin une lettre de
Monsieur. Cc qu'elle devait être longue, cette lettre,
VI! 1 elle pesait' Enfin Madame était bien comme d'habitude, et puis quand la mécanique s'est mise à causer,
Madame est tombée toute raide 1. .. Un propre outi l
qu'il y a là pour annoncer leurs malheurs aux gens 1
J'étais à côté, dans la salle à manger, à ranger la
vaisselle; j'entendais qu'on se battait là où est Monsieur. Tout d'un coup, Madame a crié : «René 1 .,
d'une voix à vous arracher l'estomac. Et puis rien.
Elle est tombée. J'ai couru la relever et j'ai envoyé
Estève téléphoner.
« Ah! les Saintes Maries nous assistent 1 Si Monsi ur le mari de Madame a été tué par ces sauvages,
Madame ne s'en remettra pas. De la manière qu'elle
l'aimait, pécaïre! ... Ça ne devrait pas être permis, des
malheurs pareils 1 .,
M. de Céorand arrêta les lamentations de la Pro-
�154
SEULE DANS MON CŒUR
vençale. Il essaya d'obtenir quelques précisions. Honorade avait-elle entendu elle-même distinctement des
noms? I1 tentait de se rattacher à cet espoir: une
erreur. Il pouvait y avoir un autre officier au patronyme similaire; la Mothe est un nom assez répandu.
Souvent René s'était plaint de confusions dans la correspondance avec des camarades.
Oh! s'il pouvait en être ainsi aujourd'hui 1
Honorade ne savait ri en. La T. S. F. «cau sait » ct
Madame avait crié: « René 1 » puis elle s'était évanouic .
.-, Les deux jeunes femmes étaient seules dans le salon
tout plcin de fl eurs - celle gaîté des fleurs, quelle
ironie cruelle, à présent! - où, le matin même, Henriane avait lu les pages tendres qui lui rendaient
presquc René. Ces lignes où il di sai t: « A bientôt » ct
qui étaient vieilles déjà de plusicurs semaines. Depui ...
Elisabeth IlC songcait plus à elle-même, à son propre
chagr in. Ah! que René soi t vivant, qu'il revienne,
qu'ellc Ics voie tous lcs deux hcur ux!
lIi, voir ce
bel amour revivre, mai s qu'il n'y ait pas cette chosc
abominable! René parti, à qui elle avait dit: « 11 vaut
mieux que vous partiez ... »
Elle se répétait, les dents serrées:
« Ce ne peut pas être vrai ... D'abord, Louis l'aurait su ... »
Elle se rattachait à son mari, à la certitude qu'il
avait d'être le mieux renseigné. Il lui semblait que
Loui s avait le pouvoir d'empêcher que René fClt tué.
Elle dit plus tard que rien n'avait été aussi terrible
que de voir Henrianc prcndrc sur son bureau la lettre,
la dernière lellrc, ct la déchirer lentement, l'adrcsse
qui était encore un peu R cné, tou s les mots qu'clle
devait porter à René, ... René qui avait déjà cessé de
vivre, ... la lettre où elle lui di ait qu'elle l'aimait.
Eli abelh n'osait tenter un geste. Henriane, immobile, rigide, rega~
les morceaux épars. C'était l'image
de la douleur; pms, chancelantc, elle tomba sur le anapé; des dahlias rouges s'efT.euillèrent Sur sa robe;
elle se mit à pleurer en redIsant tout bas un mot
uniquc, deux syllabes: son nom, qu'elle ne lui dirait
plu à lui-même.
�SEULE DANS MON: CŒUR
'155
C'était fini pour toujours. Elle se retrouvait de nouveau seule dans sa maison. seule, ... seule...
Elle entendit comme dans un rêve les paroles affec.
tueuses d'Elisabeth, mais en réalité ne voyait rien,
n'entendait rien. Ses yeux demeuraient fixés sur la
photographie de René.
Ah 1 comme il était ressemblant!... Ses prunelles
tendres, sa bouche, .. Elle n'aurait donc plus que cela,
désormais: une image. Hier encore il était vivant,
pareil au portrait; aujourd'hui ... Mon Dieu! plus jamais un baiser de lui •... plus jamais ...
Henriane gémit passionnément:
- Je l'aimais 1. ..
Maintenant el1e avait un cœur de femme, mais
n'était-ce pas trop tard?
Des minutes longues comme des heures. Des heures ...
Dans la maison régnait un silence poignant. Dehors
c'était le silence aussi. mais celui de la nature apaisée,
de la sérénité de la campagne. Un calme absolu, troublé seulement par le doux roucoulement dcs tourterelles en cage, à la porte de la maisonnette du jardinier.
Encore une attente. Puis un pas d'homme sur le
gravier de l·allée. Un pas vif : celui de M. de Géorand.
Elisabeth courut à sa rencontre. Elle n'avait plus
traces de couleur sur les joues:
- Eh bien ? ..
- Eh bien 1. .. René n'est pas mort: c'est tout, répondit Louis, haletant.
- .M ais ... blessé?
- Oui. On croit même grièvement. Il n'est pas mort,
seulement cela. Ce n'est guère, ma pauvre amie, dit-il
tr btement. Il vit, nous pouvons le certifier à sa femme.
Mais s'il ne guéri t pas .... ce sera peut-être pire. Je ne
sais que faire, réellement.
- . nEin, c'est bien sÎlr qu'il n'est pas mort? implora
Elisabeth.
- Absolument sür au moment où on me l'a dit. J'ai
téléphoné à mon secrétaire de se tenir au courant jour
par jour et de me donner des nouvel1es. Pourvu qu'elles
soient bonnes 1 acheva-t-i l avec un grand soupir.
�,ŒÀ6
SEULE DANS MON CŒUR
Elisabeth était déjà dans la chambre de sa cousine.
D ès le seuil, elle sourit, et Henriane sentit tout son
sang lui refluer au cœur.
- Il faudra recommencer votre lettre, Henriane ! di t
simplement Elisabeth,
Henriane se dressa :
- Louis a la réponse du Ministère?
- Oui. Ma chérie, ce n'est pas tout à fait ce que
nous aurions voulu, dit-elle avec précaution, René a
été blessé, mais vous verrez que tout ira très bien.
- Tout ira bien! affirma M. de Géorand, sur la
porte, - Il s'avança. - Ma pauvre petite! Quel sale
moment nous avons eu!... Oh! mais il ne faut pas
vous évanouir de nouveau 1... Voyons! voyons 1 le plus
dur est passé!
Il pensait que le plus dur n'était peut-être pas encore
passé, Les nouvelles ne pouvaient être considérées
comme bonnes, elles restaient même très inquiétantes,
L'instant présent était celui de l'espoir. De quoi demain
'serait-il (ait?
... Un peu après. Henriane dit:
- Vous ferez ce qu'il faudra, n'est-cc pas, Louis,
pour que je puisse aller rejoindre René tout de suite?
Je ne peux pas rester sans lui. C'est trop affreux de
le savoir n danger, trop affreux!
- Je ferai tout cc que je pourrai pour le faire rapatrier, répliqua le sénateur. Ça, je vous certifie que je
le ferai 1. .. En attendant, nous allons VOliS emmener à
la maison. Vous ne pouveE rester seule ici .. , Ce sera
plus facile pour vous donner des nouvelles que je recevrai de Paris, vous comprencz,
- Comme vous êtes gcntils pour moi, tous les deux!
murmura la jeune femme. Louis, embrassez-moi, ditelle avee un pauvre sourire vacillant qui faillit faire
perdre de nouveau toute sa dignité à son cousin le
sénateur.
Elle n'avait jamais pensé j usqu'à ce jour qu'elle
apprécierait tant le cousin de son mari et qu'elle lui
demanderait de l'embrasser,
Il Y eut encore, après cela, beaucoup d'alternatives
de crainte t de joie, Crainte, parce qu'il avai t fallu
�SEULE DANS MON CŒUR
157
dire à Henriane que les blessures de René étaient
graves, et joie lorsque René put écrire lu i-même lIIJ
court billet. Très court, seulement une ligne d'une
écriture toute changée, mais enfin il vivait, et puisqu'il
avait résisté il guérirait, et c'était bien lui qui avait
écrit.
Henriane avait eu i peur, pendant une nuit d'insommenti par pitié,
nie, que Louis et Eli abeth lui eus~nt
pom la préparer à la catastrophe, menti en disant que
René reviendrait, alors qu'il était mort.
Mais il vivait! Il allait rev nir en France. Ils scraient tOllS les deux, enfin! dans la maison provinciale
où jamais encore ils n'avaient vécu mariés.
« SCI"e da ilS '11/0/1 cœur ... Comment ai-je pu penser
seulement que l'on pût être satisfaite d'être seule dans
son cœtlr 1» songeait Henriane avec une terreur rétrospective et une désolation secrète, se souv nant
qu'elle avait été ainsi «seule dans son cœur », alors
que René lui ouvrait tout grand le ien.
M ais c'était affreux d'être seule 1
Tant qu'il ne serait pas revenu, ce serait pour Ile
celte atroce solitude, malgré la gentillesse, la sollicitude de ses cousins. Les Géorand lui montraient une
afTection très grande. n eÎlt dit que le malheur, frôlant la porte de son aile noire, les avai t rapprochés les
uns des autres.
Et même, phénomène étrange, en vérité, Louis et
Elisabeth éprouvaient personnellement ulle sorte de
choc en retour. Un peu l'état d'esprit d'époux désunis,
ou presque, ct dout un enfant se trouve brusquement
en danger de mort. Le danger écarté, un geste réflexe
rapp roche l'h omme et la femme qui ont vécu ensemble
des heures d'angoisse. Elisabeth se di ait, pensive:
«C'est vrai, Louis est très bon.» Et Louis se répétait : «Ma fcml11e a un cran !... Elle a été épatante !... »
***
Des semaines, des mois qui passent. Une fin d'un
automne plus beau que le plus bel été.
Rcné sauvé. René revenu en Franc. René dans le
jardin que les arbres roux, remplaçant les fleurs,
�J58
SEULE DANS MON CŒUR
éc:a:rcnt comme des torches. Un renouveau de joie
c :: : ait oubl ier qu'un jour ce pourra être l'hiver.
- ,\h! qu'il fait bon chez soi, en France 1 soupira
'\.cn': en s'étirant dans le fauteuil transatlantique, avec
:.;n petit frisson de bien-être.
H~nriae
était assise dans l'herbe et choisissait des
branches de chrysanthèmes, les derniers de la saison
pour en faire un bouquet. En se relevant à demi el1~
parut agenouillée devant son mari.
'
- Content? interrogea-t-elle, les yeux pleins d'une
sorte de ferveur adorante.
- Heureux, répondit-il tendrement.
Henriane sentit un flot de joie lui dilater le cœur.
Elle insista :
- C'est bien vrai? J'ai si peur, à présent, des
fau sses nouvelles 1 dit-elle, essayant de rire. J'ai eu
trop peur, vois-tu, acheva-t-elle tout bas. Si tu". si tu
n'étais pas revenu". - elle tremblait, - moi, j'en serais
morte.
l! se redressa un peu et l'attira vers lui:
- D'abord il est défendu de parler de cela! Je suis
revenu. Il ne faut jamais douter de ce que je dis. Je
suis hcureux, parce que je t'ai retrouvée et que tu es
tout pOUl' moi.
Il était un temps où Hcnriane, fière de son esprit
viril, se targuait de ne jamais plcurer. Cette fois, elle
faillit pleurer de bonheur. Elle dit avec un sourire
radieux:
- Oh 1 tu as pris juste ce que je voulais te dire 1
- Alors c'cst très bien comme cela 1 répondit René.
Et c'était en effet très bien comme cela.
FIN
�LISTE DES DERNIERS VOLUMES
PARUS DANS LA COLLECTION
"STELLA"
433.
434.
435.
436 .
437 .
438.
439.
440.
441.
442.'
4.'13.
4·H .
445.
4.46.
447.
448.
449.
450.
451.
·152.
1)53.
4G4.
4u5.
456.
457.
458.
459.
400.
461.
4(12.
463.
464.
405.
4(1Cl.
4(17.
Gisèle Reporter, pal' Edouard de Keyser.
Les deux Mariagos, pal' A. CantQgr i.ve.
Immortelle Jeunene, par Marie de Wailly.
Vors l'Oasis, pal' Lucienne 'hantaI.
Sa fiancée, pal' IL-A. Doul'Uac.
La Maison du Mensonge, pal' R. Dombre et C. Pél'Ollllet.
Amo de Femme, pal' ViCtOI' F'éli.
Le Témoignage imprévu, pal' Jean Jégo.
Au Petit Paris, pal' Georges Beaume.
Pour ne pas mourir, pur R . M. Pie!'UzzI.
Marquise de Maulgrand, pal' M. Maryun.
Masque et Visage , pal' M. de Crisenoy.
A-t-elle du Cœur? )Jal' E ame Stuart.
Messagère de Bonheur, pal' Andrée Yertlol.
Chlltouu en Provonce, pal' NallY AI'
· ~Y.
Folle Jeunesse, pal' II. LauI·c1'llièrc.
La Maison des Epaves, pal' Feancols hevlgné.
Soir d'Eté, par Jean Mauclèl'e.
Dix-sept ans, p al' Rub y M. AYl'e~.
Quand elle partit, pal' Gabrlell e Lc<!1èl'c-Lcfèvre
La Monnalo du bonheur, Jlor Carlola.
Laquelle 7 par M.-A. d'Arvor.
L'Imprudente Pitié, pal' JDl'ic de Cys.
L'Obstacle, pal' .Jean Ro~mel'.
La Force d'un Sarn,ent, par !\l.-L. Gestelys.
L'Invisible Lady, pl1r Th. J3el'nadle.
Le prlnca errant, pal' Jean Hosmcr.
Cœur Interdit, par Mar/(ucl'ite r ITOy.
Aimer deux fols, pal' O. de Boissèble.
La Rose d'Or des Fleuroy, par Eveline Le Maire
Petlto Llonno, pl11' Oeolï~
Lnllzn.
La Musique du Cœur, J1111' :llal'l Bnrrère-Alrre.
On demande dos Pensionnaires, 11nr ChrlsllnnG AIm l'y.
Le Souvenir qui lépare, pur Fmnçols Ressac.
En un manoir d'Ecosse,par Dominique.
(Suite au ve,.,o,)
�Derniera volumes parus dans la Collectiod
(Suite)
.JGS. L'~lom
dans le Noir, par C. N. WUllamsM,
-1 (iO. La dramatiquo Idylle, pal' Jacques Grandchamp.
<1 iD . Esy-ce lui que j'aime 7 par Léon Lambry.
1i l. Ame. dans la Bourrasque, par Marthe Fiel.
17 2. Ma nièce Audley, par R. Lebrun .
•17 :1. L'am our cocho, par Lice de Cère.
li 1. Yolé et son Secre', par Claud Ylrmonne .
.Ii ;;. Avant le Bonhour, par A. Rau court et D. Ferva .
IAe
Le Brll1!'t.
•J iO . Le Joueur de Viole, par F1'n~()
·17j. Modcr:1c i! ell e Quand-mAme, pal' 1"lUJ de WiJaovès
4j s. Amie l"c o n~ uo , par Emmanue l ~ o y .
.J i D. Gen&t d'Or, pnr Nina "nnla .
.J bO. D. ux Jours de Drame, par lalre Falne-Ler oy.
·If'! . L Manoir somolre, par ,is le Pcum er y.
11';2. Solo de Chine, Iln1' M. de rJ ~ noy.
1~.; . C""cr an;Jol~sé,
par Rully lIf. Ayrc~
.
.J ..1. La Gloire d ' alrr.or, par Uo TIenrl.
·Ii< !i . cs Demoiselle. Erran'es, pal' Lllj' ~I('OJCR.
· I ~ (;'
Cluond le Bonheur pas.o, pllr G. Yordnl.
l '' j . Mali onc le Max ot mol, plll' Jcun Mnl'
c ln~
'.
' H/( La M .. lson Ions 'ondras .." pnl' Y. !-\olnt-Céré.
",'l Douee·Ambre, pOl' ()/lbr
~ l
'1opet.
100 La Orolt de choisir, pu,' Un r rcl DIl Y ~t.
If' l. L'E!lI'1mn d'un Cœ ur, pO l' . rrtrr Anl èH.
"()~
, L" Melson d " ns la Far~t,
par Claude · Vl'm
o n~.
10:1. Le Oromo d. la M.,ison Forl~,
prtr Emmnnu
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ln!. 'Ar:1~"L
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prochain
ro,"a"
:
LES fMBnCHES SECRÈTES
•
par LE FEUVRE
Andrée Renaux et Paland Martial, camarades dt~
sport, décident de s'épo user. Il
ont tous dl:l1x des idée ultra-modernes ur
le mariage cl sont bien décidés à ne considérer celui ci que comme une simple association, où chacun COn~l:rvca
sa vi propre,
'on entière liberté .
le~
devant
. Ces belll's théories til'Idron-e
l'amour qui bientôt ya naitre et e développer entre les deux )eullts g ilS? Roland
tolé rera-t-il que sa femme continue à travaill er et soit la proie chaque j our de mille
convoi tise', de mille tentations?
La naissance d'un enfant va-t-elle les sél.arer d éfinitivement, ou au contraire leur
montrer qlle ... que Il Illl)nde n'a pas heaucoup chall"é ... et CJue l' \nHlur \'rai rend le
1l1êllle son il toutes Il" él'lIql l .~?
U11 roman très l11olh:n e l'I très vivant,
qui soulèvl: des qucstions passiollllilntes et
hien à l'onlre du jour, comll1e celles de la
camaraderie, de l'Illdl-p 'nrlallcc, du travail
de la femme, d
la
II1Î:P'
au [oyer. etc.
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/ &C
MEILLEURS
*ROMINS*
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Monl ourl • Pari, 14'. A. C. -
R
C. Selll
S'87S1
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Collection Stella
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Publisher
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Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
Seule dans mon coeur
roman inédit
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cys, Éric de (1889-1956)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1941 ?]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
158 p.
18 cm
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Description
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Collection Stella ; 497
Type
The nature or genre of the resource
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Language
A language of the resource
fre
Rights
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BCU_Bastaire_Stella_497_C92839_1111602
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P e lilE ch o d e lo M o d e
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P u b licatio n s p ério diqu es de la S ociété A nonym e du “ P e tit Écho de la M ode " ,
1, ru e G azan, PA RIS IXIV^).
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L e P E T I T É C H O J e la M O D E
V
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p a r a it to u s
te s m e r c r e d i» .
3 2 p a g e s , iG g r a n d fo r m a t (d o n t 4 e n c o u le u r s ) p a r n u m éro
D eux g rand s rom ans p a ra is sa n t en même tem ps. A rticles de mode.
:: C hro niques variées. Contes e t nouvelles. Monologues, poésies. ::
C auserie s e t rec e ttes pratiq u es. C o u rriers tr è s bien organisés.
I_i© n u m é r o : O f r. 4 0 .
R U STICA
R ev u e
u n iv e r s e lle
illu s t r é e
de
la
ca m p a g n e
p a r a ît to u s le s s a m e d is .
3 2 p a g e s illustrées en noir et en couleurs*
^
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Q u e s tio n s ru rales, C o u rs d e s d e n ré es, E le v a g e, B a sse-c o u r, C u isin e ,
A r t v é té rin a ire , Ja rd in a g e , C h asse , P ê c h e , B rico lag e, T . S. F ., etc.
j n u m é r o : O fr. 5 0
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F R A N Ç A IS E
M O D E
p a r a it to u s le s
m e r c r e d is .
C ’e s t l e m a g a z i n e d e l ’é l é g a n c e f é m i n i n e e t d e l ’i n t é r i e u r m o d e r n e .
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c o u le u r s ,
s u p p lé m e n t,
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p a p ie r
de
d e s nouvelles, d e s c h ro n iq u es, d e s
L e n u m é r o : O fr. 7 5
pages
lu x e .
re ce ttes.
- L I S E T T E , Journal des Petites Filles
^
p a ra it tous les m ercredis. 1 6 pages dont 4 en couleurs.
« é > __________X_.e n u m é r o : O fr. 2 5
P I E R R O T , Journal des Garçons
V
p a ra ît tous les jeudis. 1 6 pages dont 4 en couleurs.
ILe n u m é r o : O fr. 2 5
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G U I G N O L , Cinéma de la Jeunesse
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m a g a z in e
p o u r f ille t t e s
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g a r ço n s.
ILe n u m é r o : X f r a n c .
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M ON O U VR AG E
Journal ¿ ’Ouvrages de Dames paraissant le l 8r et le 15 de chaque moi«.
X-.« n u m é r o : O f r . 6 0
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Co l l e c t io n
P R IN TE M P S
R o m a n s d ’a v e n t u r e s p o u r l a j e u n e s s e .
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d im a n c h e d e c h a q u e m o is ,
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L e p e tit v o lum e d e 6 4 pages sou* c o u v e rtu re en c o u leu rs :
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D E S P R IN C IP A U X V O L U M E S
P A R U S
D A N S
LA
C O L L E C T IO N
------m “ S T E L L A ’
M . AIGUEPERSE : 188. M a r g u e r i t e .
M&thUde ALANiC : 4. L c j E s p é r a n c e s . — 56 . M o n e t t e .
P ie rre ALC1ETTE : 24 6. L u c i l e e t le M a r i a g e .
M . de* ARNEAUX : 62 . L e M a r i a g e d e G r a i i e n n e .
G. d ’ARVOR : 134. L e M a r i a g e d e R o s e Ü u p r e y .
A . e t C. ASKEW : 239. B a r b a r a .
L ney AUGE : 154. L a M a i s o n d a n s le b o is.
M arc AULES : 2 5 3 . T r a g i q u e m é p r i s e .
C iaudc ARIüLZARA î 25 b. P r i n t e m p s d ’a m o u r .
S alva du BEAL : 160. A u t o u r d ' Y v e t t e .
M. BEUDANT : 23 1. L ’A n n e a u d 'o p a l e s .
B R A D A : 91 . L a B r a n c h e d e r o m a r i n .
Je a n de la BRETE : 3. R é v e r e t V i v r e . — 2 5 . I l l u s t o n m a s c u l i n e . —
34. U n R é v e i l .
Yvonne BREMAUD ; 24 0. L a B r è v e I d y l l e d u p r o f e s s e u r M a i n d r o x .
A udré BRUYERE : 161. L e P r i n c e d ’Ü m b r c . — 179. L e C h â t e a u d e s
t e m p ê t e s . — 22 3. L e J a r d i n b l e u . — 25 4. M a c o u s i n e R a i s i n - V e r t .
C lara-Louise BURNHA1V1 : 125. P o r t e à p o r te .
A nd« CANTEGRIVE : 2 2 0 . L a r e v a n c h e m e r v e i l l e u s e . — 2 5 2 . L y n e a u x
R oses.
R osa-N onchette CARF.Y : 171. A m o u r e t F i e r t é . — 199. A m i t i é o u A m o u r >
— 23 0. P e t i t e M a y . — 24 4. U n C h e v a l i e r d ’a u j o u r d ’h u i .
A.-E. CASTLE : 9 3 . C œ u r d e p r in c e s s e .
Com tesse de CASTELLANA-ACQUAV1VA : 90 . L e S e c r e t d e M a r o u i t t a .
Mme P a u l CERVIERES : 2 2 9 . L a D e m o i s e l l e d e c o m p a g n i e .
CHAMPOL : 67. N o Z l l e . — 113. A n c e l i s e . — 2 0 9 . L e V a u d ’A n d r é .
— 21 6. P é r i l d ’a m o u r .
Com tesse CLO : 137. L e C œ u r c h e m i n e . — 190. L ’A m o u r q u a n d m i m e .
Jeann e de COULOMB : 60. L ’A l g u e d ’o r .
Edmond COZ : 70. L e V o i l e d é c h i r é .
E ric de CYS : 23 6. ¡ . ’I n f a n t à e s c a r b o u c le .
E ric de CYS e t Je a n ROSMER : 2 4 <. L a c o m te s s e E d i t h .
M anuel DORE : 2 2 6 . M a d e m o i s e l l e d ’M e r v i e , m é c a n o .
H . A. DOURLÏAC : 206. Q u a n d l a m o u r o i e n t ... — 2 3 5 . J ’a i m e r a i t a i m e r .
— 2 6 1 . A u - d e s s u s d e l ’a m o u r .
G eneviève DUHAMELET : 208. l . e s I n é p o u s é e s .
V ictor F E U : 127. L e J a r d i n d u s ile n c e . — 196. L ’A p p e l a l ’i n c o n n u e .
Jean FID : 152. L e C œ u r d e L u d i v i n e .
M arthe FIEL : 215. L ’A u d a c i e u s e D é r i s i o n .
Z énaïde FLEU RIOT : I I I . M a r g e . 136. P e t i t e B e l l e . — »77. C e
p a u v r e V i e u x . — 213. L o y a u t é .
M ary FLORAN : 9. R i c h e o u A i m é e ? — 32. L e q u e l l ' a i m a i t ?
63 . C a r m e n c i t a . — 8 3 . M e u r t r i e p a r l a v ie I — 100. D e r n i e r
A t o u t . — 142. B o n h e u r m é c o n n u . — 159. F i d è l e a s o n rê o e .
173. O r g u e i l v a i n c u . — 200. U n a n d ’é p r e u v e .
M.-E. FR A N C IS: 175. L a R o s e b le u e .
Jacques des GACHONS : 148. C o m m e u n e t e r r e s a n s e a u ...
Georges GISSING : 197. T h y r z a .
P ie rre GOURDON : 24 2. L .e F i a n c é d i s p a r u .
Jacques GRANDCHAMP : 47. P a r d o n n e r . — 5 8 . L e C œ u r n 'o u b l i e p a t .
— 1 10. L e t T r ô n e s s ’é c r o u l e n t . — 166. R u s s e e t F r a n ç a i s e . — •
176. M a l d o n n e . — 192. L e S u p r ê m e A m o u r .
2 3 2 . S ’a i m e r e n c o r e .
M. de HARC0F.T : 37. D e r n i e r s R a m e a u x .
M ary HELLA : 2 3 8 . Q u a n d l a c l o c h e s o n n a . ..
M. A. HULLF.T : 2 5 9 . S e u l e d a n s l a v ie .
M rs HUNGERFORD : 20 7. C h lo é .
Je a n JKGO : 187. C œ u r d e p o u p é e . — 22 8. M i e u x q u e V a r g e n t.
P aul JUNKA : 186. P e t i t e M a i s o n , G r a n d B o n h e u r .
M. LA BRUYERE : 165. L e R a c h a t d u b o n h e u r .
( S u ite o u M n e J
294**
�P r in c ip a l» volum es p a ru e «Unt U C ollection ( Sul l f J.
G e eev ièie LECOMTE : 24 3. M o n L i e u t e n a n t .
A nnie LE GUERN : 2 3 3 . L ’O m b r e e t l e R e f l e t .
Mm« LESCOT : 9 5 . M a r i a g e , d a u j o u r d ' h u i .
H élèn e LETTRY : 249. L e s C œ u r * doré».
Y vonne LOISEL : 26 2. P e r l e t t e .
G e o, t e i de LYS : 141. L t L o g i s .
MAGALI : 2 2 1 . L e C a u r . d e t a n t e M i c h e .
W illiam MAGNAY : 168. L e C o u p d e f o u d r e .
Ph ilippe MAQUET : 147. L e B o n h e u r - d u - j o u r .
H «len t M A T H E R S : 17. A I r a o t r s le s s e ig le ,.
Eve PAUL-MARGUER1TTE : 172. L a P r i s o n b l a n c h e .
Je a n MAUCLERE : 193. L e s I ie n s b r is é s.
Suzanne MERCEY : 194. J o c e l y n e .
P ro ip e r M ERIM EE: 169. C o l o m b a .
E dith METCALF : 260. L e R o m a n d ' u n j o u e u r .
M agali M IC H E L E T : 21 7. C o m m e j a d i s .
A nne MOUANS : 25 0. L a F e m m e d ' A l a i n .
Jo sé MYRE : 23 7. S u r l ’h o n n e u r .
B. NEULLIES : 128. L a V o i e d e l ’a m o u r . - 2 1 2 . L a M a r q u l i e C h a n t a i .
C laude NISSON : 85. L ' A u t r e R o u t e .
B a rry PAIN : 211. L ' A n n e a u m a g i q u e .
C h arles PAQUIER : 26 3. C o m m e u n e f l e u r s e f a n e .
F r. M. P E A R D : 153. S a n s l e s a v o i r . — 178. L ’I r r é s o lu e .
A lfred du PRADEIX : 9 9 . L a F o r d d 'a r g e n t .
Alice PUJO : 2. P o u r l u i ! ( A d a p t é d e l'a n g la is.)
Eva RAMIE : 2 2 2 . D ' a n a u t r e s iè c le .
P ie rre REGIS : 22 4. L e V e a u d O r .
C laude RENAUDY : 2 1 9 . C e u x q u i o iu e n t. — 24 1, L ’O m b r e d e l a G l o i r e .
— 25 7. L ' A u b e s u r l a m o n t a g n e .
Procope LE ROUX : 234. L ’A n n e a u b r is é .
Isabelle SANDY : 49. M a r y l u .
Y vonne SCHULTZ : 69 . L t M a r i d e V i c i a n t .
N orbert SEVESTRE : I I . C y r a n e i t t .
E m m anuel SOY î 2 4 5 . R o m a n d é f e n d u .
R ené ST AR : 5. L a C o n q u i f e d ’u n c œ u r . — 8 7 . L ’A m o u r a t t e n d . .,
Je a n THIER Y : 138. A g r a n d e v ite s s e . — 158. L '/ d e e d e S u e i e , —
21 0. E n l u t t e .
M ari« THIERY : 57. R i o * e t R i a l i t i . - 133. L 'O m b r e d u p a s s i .
L ion d« TINSEAU : 117. L t F i n a l e d e l a s y m p h o n i e .
T . TR1LBY : 21. R i v e d ’a m o u r . — 29. P r i n t e m p s p e r d u . — 3 6 . L a
P e tio te .
42 . O d e t t e d e L y m a i l l e . — 50 . L e M a u v a i s A m o u r .
6 1 . L ' I n u t i l e S a c r i f i c e . — 80 . L a T r a n s f u g e . — 9 7 . A r i e t t e , j e u n e
fille m oderne.
122. L e D r o i t d ’a i m e r . — 144. L a R o u e d u m o u l i n ,
— 163. L e R e t o u r . — 189. U n e t o u t e p e t i t e a v e n t u r e .
M aurice VALLET : 2 2 5 . L a C r u e l l e V i c t o i r e .
C am ille A* VER1NE : 2 5 5 . T e l l e q u e j e s u is .
A ndré« VERTIO L : 150. M a d e m o i s e l l e P r i n t e m p s ,
V etco d« KEREVEN : 2 4 7 . S y l c i a .
M a* du VEUZIT : 25 6. L a J e a n n e t t e .
Jean de VIDOUZE : 2 1 8 . L a P i l l e d u C o n t r e b a n d i e r .
M. d« WAILLY : 149. C œ u r d 'o r . — 204. L ’O l s i a u b l a n c .
A.-M. a t C.-N. WILLIAMSON : 20 5. L e S o i r d e so n m a r i a g e . — 22 7. P r i x
d e b e a u t é . — 2 5 1 . L ’E g l a n t i n e s a u v a g e .
H e n ry WOOD : 198. A n n e H e r e f o r d .
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IL
P A R A IT
DEUX
VOLUM ES
P A R
M O IS
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L e rolv.*»« : 1 fr. 5 0 ; f r a n c o : I f r . 7 5 .
C i n q T o lw wan
« u c h o in , f r a n c o t 8 fra n o a .
L f ttiaU gut c o m p lo t d t la c o lle c t i o n • $t o n v o y i f r a n c o c o n t r e O f f . 2 $ .
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1
I l y a va it exa ct em e n t t r ois vo ya geu r s, u n chien ,
d eu x fon ct ion n a ir es des ch em in s de fe r , sous la
fo r m e du lam p iste «t du p r ép osé a u ch a r r oi des colis
p ost a u x, lor sq u e M igu elin e, a p r ès a vo ir a r r êt é son
a u tom obile con t r e la p or te in t er d it e a u p u blic, a p p a
r u t su r le q u a i de la sta tion de P on t a lr ic.
Im m éd ia tem en t, un m u r m u r e cou r u t : « M uo de
G cr la n d e l... M 1'0 de Ge r la n d e ! » P u is l’on se tu t et
011 la r ega r d a , p en d a n t que le ch ef de ga r e , su r gi de
son b u r eau , ven a it , a ve c u n gr a n d sa lu t, in for m er
la je u n e fille du r et a r d de l'exp r ess.
M igu elin e r ép on d it p a r ce sou r ir e gr a cie u x et
d ist a n t qu e l’on en seign e d ès l’en fa n ce a u x p r in cessés r oya les, et, a u ssitôt, se m it à a r p en t er le t r o t
t o ir d e son p as sou p le de sp or tive.
Elle sen ta it qu e ch a cu n , ici, l’a d m ir a it — elle
ét a it t r ès jo lie , — m ais il lu i p a r a issa it tellem en t
n a t u r el d ’in sp ir er ce sen tim en t à ses com p atr iotes
q u ’elle n ’en t ir a it plus va n it é. C ’éta it , en som m e,
p a r excè s d ’o r gu e il qu ’elle p a r ven a it à r est er sim ple.
E lle m a r ch a it d r oite, les cils levés, et s ’a r r ê t a un
in sta n t p ou r con tem p ler la ville p ittor esqu em en t
é t a gé e a u -d essu s d e la r iviè r e , don t la lign e m ou
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va n t e scin t illa it en tr e u n e file de p eu p lier s sem
b la b les à de gr a n d s cier ges d’or . Le s t ou r s de l’an
cien ch â tea u , les d ôm es des églises et le clo ch e r de
la ca t h éd r a le s’en leva ien t en vigu e u r su r le bleu
t r è s p â le du ciel d ’autom n e. C ’ét a it un jo li p a ysa ge,
gr a cie u x, u n peu a r t ificie l; il la issa it un e im p r ession
r ep osan te.
M igu elin e, se r et ou r n a n t , a p p a r u t en p lein soleil.
L a lu m ièr e t r è s d ou ce d ’un e m atin ée d ’oct ob r e n im
b a it sa silh ou ette éla n cée, m ise en va le u r p a r le
cost u m e de cou pe im p ecca b le; elle ét a it gr a n d e,
a ve c un p or t t r ès fie r ; la tête, p etite, a u x lign es
d ’u n e p u r eté cla ssiq u e, a u r a it dû p lier sous le p oid s
des ch e ve u x blon d s, si b r illa n t s qu ’ils r essem b la ien t
à du fil d ’or t r essé. D ’a d m ir a b les ye u x bleu s, fen d u s
en am an d e, écla ir a ien t ce vis a ge au q u el on n e p ou
va it r ien r ep r och er , sin on d ’êt r e p r esq u e tr op p a r
fa it ; ca r sa n s d ou te ét a it -ce cette p e r fe ct io n m êm e
qu i le r en d a it fr o id , m a lgr é l’écla t d es p r u n elles et
le r ose d élica t d es jou es.
To u t en elle r esp ir a it la sa n té, l’éq u ilib r e, la sa tis
fa ct io n de vivr e , et vr a im en t le co n t r a ir e eû t été
su r p r en a n t. P a r t o u t où elle p a ssait, M igu elin e d e
Ger la n d e a t t ir a it les r ega r d s, ten a it la p r em ièr e
p lace. N ’im p or te qu elle a u t r e fem m e d e son â ge eû t
ép r ou vé un e vé r it a b le gr is e r ie ; elle, n on . J a m a is
cer ve a u fém in in n ’a va it été m oin s in flu en ça b le, n i
cœ u r de jeu n e fille m oin s p r en able. Be lle et fr oid e,
elle m a r ch a it d an s la vie en t r iom p h a t r ice, san s
m êm e un e pen sée de coq u etter ie, p a r ce qu ’elle a va it
tou s les jeu n es h om m es à scs p ied s et n e se sou cia it
d ’en r e le ve r au cu n .
D e la m êm e a llu r e n ette et gr a cie u se , M igu elin e
con t in u a it sa p r om en ad e, et les vo ya ge u r s a ccr u s
d e p lu sieu r s u n ités, le lam p iste don t l’in t elligen ce
p a r a issa it d es p lu s b or n ées, le p r ép osé a u x colis
p o st a u x qui ou b lia it de coller ses étiq u ettes, con tem
plaien t, ém er veillés, cette jeu n e r ein e de P o n t a lr ic,
d on t la b ea u té ét a it p r esq u e un o r gu eil p ou r la ville.
U n r e t a r d a t a ir e, visib lem en t ter r ifié p a r la p eu r
d ’a vo ir m an qué son t r a in , a cco u r a it , la n cé com m e
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u n bolid e, et fa illit h e u r t e r M igu elin e. C ’é t a it l'abbé
M ou r r o u x, am i in tim e du com te de Ger la n d e.
Ce p etit h om m e sec et n oir , à la fig'ure in t elli
gen te, a u x ye u x ob ser va t eu r s, s'a r r êt a n et, cr oya n t
êt r e vict im e d ’u n e illu sion : iYIiguelin e de Ger la n d e,
en p r om en ad e su r u n qu ai de ga r e , à h u it h eu r es un
q u a r t du m atin ! ! !
Vo ya n t l’éba h issem en t du vie il am i, M ne d e G e r
lan d e se m it à r ir e. C ’ét a it h a r m on ieu x, cla ir et
vib r a n t com m e u n ch a n t d e cloch es ita lien n es.
— M on sieu r l’abbé, d it -elle, c’est b ien m oi. R a s
su r ez-vou s : je n e q u itt e p as su b r ep ticem en t le toit
de m on p èr e. Vo u s n ’a ve z pas b esoin de co u r ir à la
m aison p ou r le p r éven ir .
U n sou r ir e d éco u vr it les fo r t e s d en ts b la n ch es de
l’abbé M o u r r o u x :
— M e r ci de m e l’a p p r en d r e !... M a is vou s vo ir
ici,... à cet t e h eu r e,... il y a de qu oi n ie su r p r en d r e!
Q u e fa it e s-vo u s, si j e lie su is p as in d iscr et ?
Le s sou r cils d or és d e M igu e lin e se r ap p r och èr en t
p a r u n e im p er cep t ib le con t r a ct ion . Lo r s q u ’elle ces
sa it de sou r ir e, son exp r ession d even a it ext r ê m e
m en t h a u t a in e :
— Ce qu e je fa is ? U n e co r vé e !... At t e n d r e qu el
qu ’un à la ga r e , con n a issez-vou s ch ose p ir e?
— M on D ie u !... il y a d an s l'e xis t e n ce des
in cid en ts a u t r em en t p én ibles !
— La is sez-m o i a ch e ve r . At t e n d r e m a t a n te P u vm ér an et Ta n cr è d e ...
L ’abbé fit ce q u ’il p u t p ou r n e p oin t gr im a ce r .
— M 1“0 de P u ym é r a n est..., com m en ça -t-il.
— Assom m a n t e ! cou p a M igu e lin e san s a m b ages.
J e va is êt r e o b ligée de la su bir p en d a n t t r ois se
m ain es a u m oin s, ca r celt e ch èr e fem m e a cou tu m e
de s ’in cr u st er , et p apa est t ellem en t p o li!... Au
d ép a r t, il lu i d ir a : « Co m m e n t , d é jà ? M a is c’est
u n e a p p a r it ion , M a d elein e ! »
— I l le p en se? in t er r o gea l’a m i de M . d e G e r
lan d e, in cr éd u le.
— J e n e sa is pas..., p eu t-êtr e. Qu a n d on est bien
élevé, vo u s sa vez, c’est in d estr u ctib le. Ain s i, m oi,
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vou s vo yez, m êm e m oi, je m e su is levée à sept
h eu r es, ce m atin , p ou r cu eillir m a t a n te a u d éba r
qu é, et, se le ve r à sept h eu r es, qu an d ce n ’est pas
p ou r m on ter à ch eva l, c’est d u r !... J e l’ai fa it , ce
p en d a n t ; j'a u r a i le co u r a ge d e r ép on d r e a u x dé
m on str a tion s a m ica les de m es bon s p a r en ts. J e m e
la isser a i m êm e em b r a sser p a r m a tan te, et c ’est ça
qui est jo ye u x, êt r e em br assée p a r u n e t a n te !
Ch a n ge a n t de ton tou t à cou p, elle in t e r r o ge a :
— Q u elle op in ion a ve z-vo u s de Ta n cr è d e ?
P r is d e cou r t, l’abbé ch er ch a un e in sp ir a t ion d an s
l’affiche en cou leu r s p la cée là p ou r in cit er les gen s
in occu p és à vis it e r la F o ir e de Lyo n .
M igu elin e l’ob ser va it , cu r ieu se.
— C ’est un jeu n e hom m e..., fin it p a r a r t icu le r
l’abbé M ou r r o u x, qu elqu e peu em b a r r a ssé, eh b ien !
c’est un bon et excellen t jeu n e hom m e.
— Vo ilà ! fit M igu elin e gr a vem en t . E t p u is?
— E t p u is? r ép éta son in t er locu t eu r d ém on té,
m ais... rien .
M Uo d e Ger la n d e eut un p etit r ir e :
— Ce n ’est p as t r o p !... M oi, j ’a jo u t e r a i : d ocile
com m e l’a gn ea u , d ou x com m e l’a n ge, d é jà tou t
d r essé à l'o b éissa n ce p a r sa m am an . E n un m ot : u n
p a r fa it p r in ce con sor t.
— Com m en t?... U n ...? s’é cr ia l’abbé M ou r r o u x,
stu péfié. Vo u le z-vo u s d ire...
— Oh ! je vois tr ès bien le cou p m on té. M a t a n te
M a d elein e est un e m èr e d évou ée, elle r ê ve un r ich e
m a r ia ge pou r son fils; m a dot est bon n e à p r en d r e.
E lle con n aît le d ésir de m on p èr e de m e ga r d e r ch ez
lui si je m e m a r ia is. Q u ’à cela n e t ien n e î Ta n cr è d e
est h a b itu é à jo u e r ce r ôle de p etit ga r ço n tr ès
sou m is. Il con t in u er a a ve c p la isir ... P a r m a lh eu r , je
su is fo r t in d ép en d an te, pas du tou t d isp osée à sa cr i
fier m a lib er té au profit d ’un m on sieu r qu elcon qu e,
fû t -il p r êt à m e co n t r a r ie r le m oin s p ossible. J ’a i
l’h o r r eu r des hom m es san s én er gie, m ais je su is
a u t o r it a ir e ; d eu x volon tés se r en con tr a n t p r od u isen t
d es h eu r ts..., du m oin s je le sup pose.
— J e sup pose, m oi, d it l’abbé, d éta ch a n t ses m ots
�LE
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a ve c un sou r ir e, que la vo lon t é de la fem m e cèd e
a lor s d eva n t celle du m ari.
Le s ye u x bleu s de M igu elin e d evin r en t fr oid s
com m e du m étal. Sa b ou ch e se cou r b a , d éd a ign eu se :
— O b éir , m oi? J ’a im er a is m ieu x la m or t ! J e su is
bien tr op m od er n e p ou r a ccep t er com m e n os m èr es
la Su p ér ior ité m a scu lin e, et je m e p la is tr op d an s
m on ét a t p r ésen t p ou r vo u lo ir en ch a n ger . Qu oi
q u ’il en soit, Ta n cr è d e , a ccou tu m é à d ir e a m e n à
son a u gu st e m èr e, ser a it tou t h e u r e u x de m ’o ffr ir
son n om , sa p a tien ce et a u t r es qu a lités. P a u vr e
b o y !... I l a u r a d eu x p ein es : celle de se m et tr e à
m es pied s et celle de se r elever ..., le tou t a u figu r é,
ca r ces je u x d e scèn e n e son t p lu s à la m ode.
« Oh ! ce n ’est pas un m a u va is ga r ço n , Ta n cr è d e ,
p o u r su ivit -elle a ve c con d escen d a n ce; il est bon n e
r aqu ette, m ais il n e fa u t pas le vo ir a u vola n t d ’u n e
a u to ! Il est la m en ta b le ! Ave c lu i, il fa u d r a it t ou
jo u r s m a r ch er au r alen ti, et j ’a im e la vit esse. »
E lle d éb ita it cela d r ôlem en t, m ais le vie il am i,
qui la con n a issa it bien , lis a it au fon d des ye u x sp i
r it u els et ga is a u t r e ch ose qu e l’esp r it et la ga ît é :
l’exp r ession d ’un e volon té fr o id e, d ’un o r gu e il in
com m en su r a b le don t ja m a is p er son n e n ’ét a it ven u à
bout.
E n écou ta n t M igu elin e d écla r er : « O b é ir ? J ’a i
m er a is m ieu x la m or t ! » il son gea it qu ’il n e s’a gis
sait p oin t là d ’u n e bou tad e. M. de Ger la n d e n ’a va it
ja m a is ch er ch é à fa ir e p lier sa fille ; d ’a bor d , il
l’a im a it tr op p ou r cela ; en su ite, eû t-il essa yé, il
n ’eftt r ien obten u .
Ap r è s un tem ps, l’abbé r em a r q u a :
— J e n e m ’exp liq u e p as com m en t un e p a r e ille com bin aison a pu ger m er d an s le cer vea u de la
b a r on n e de P u ym ér a n et de vo t r e père. D es cou sin s
ge r m a in s !... E t p u is il est..., il n ’est pas t r ès bel
h om m e, Ta n cr è d e !
I l se r ep r ésen ta le tr ès p etit ba r on de P u ym ér a n
à côté de cette jeu n e fille à la st a tu r e m a gn ifiq u e;
visib lem en t , il ét a it choqu é.
— P a p a ? s’écr ia M igu elin e, m ais un e id ée sem
�10
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b la b le n e lu i est ja m a is ven u e à l'esp r it ! I l n ’a u r a it
ga r d e , cr o ye z-le , d e ch er ch er u n gen d r e. Sa fr a ye u r
de tou s les in sta n ts est de m e vo ir p a r t ir a ve c u n
m a r i. C ’est e xt r a o r d in a ir e , en vé r it é . Com m en t un
p èr e t r a n q u ille, ca sa n ier , t o u jo u r s p lon gé d an s ses
livr e s, p eu t -il s’a ccom m od er d ’u n e fille a lla n t e, sp or
t ive et vo lo n t a ir e com m e m oi ?
L ’abbé M o u r r o u x fa illit r ép on d r e : « E n effet , je
n e le com p r en d s p a s ! » I l s ’en t ir a p a r u n de ces
gest es qu i son t d ’u n e gr a n d e r essou r ce p a r leu r
sign ifica t ion im p r écise.
U n e lu eu r un p eu p lu s d ou ce p a ssa d an s les p r u
n elles a lt iè r e s de la je u n e fille.
— P o u r t a n t , ce la m a r ch e t r è s bien en tr e n ou s,
d it -elle. P a p a est tellem en t bon et p a r fa it : je
l’a d or e !
— Au fon d , o b ser va l'a b b é, en filan t la p or t e ou
ve r t e p a r cet a veu d ’a ffect io n filiale, si vou s n e
vo u le z p as lu i d on n er un fils p a r a llia n ce, c ’est p a r ce
qu e vo u s n ’a ve z en cor e p oin t r en con tr é u n h om m e
d e sa va le u r . Il est r a r e de t r o u ve r r éu n is a u t a n t de
q u a lit és, u n e in t elligen ce, u n cœ u r au ssi...
— O u i, in t er r om p it M igu elin e. I l a tou t. J e pen se
q u ’a ve c lu i m a m èr e a dû êt r e h eu r eu se. I l ne lui
a cer t a in em en t ja m a is im p osé a u cu n e con tr ain te...
M a is , je n e sais si vou s l’a ve z r em ar q u é, les filles
d es fem m es a in si fa vo r is é e s on t sou ven t la « n oir e »
a u p oin t de vu e co n ju ga l. Alo r s , t en ter la ch a n ce...!
— Au t r e m e n t d it, vo u s a ve z p eu r ?
M igu e lin e r ed r essa en cor e la tête. Son vis a ge
d evin t gr a ve , et cela lui d on n a it l’a ir d u r com m e
u n e d éesse gu e r r iè r e .
— P e u r ? d it -elle, la issa n t tom ber les m ots du bou t
d es lè vr e s . J e n ’a i p as eu l ’occa sion d ’em p loyer ce
t er m e. Ce ser a it d on c la cr a in te d e 11e plu s p ou voir
con t in u er à m en er m a d élicieu se vie a ctu elle. Cela
m ’en n u ier a it b ea u cou p , il est vr a i.
— Ain s i, d it le vie il abbé, su r un ton de p la is a n
t er ie, M . de P u ym é r a n 11’a p as de gr a n d es ch a n ces
d ’êt r e un jo u r le « m a r i de la r e in e » ?
I l m et ta it d a n s la fin d e sa p h r a se u n sou p çon
�LE
MARI
DE
LA
R E IN E
It
’d ’ir on ie, M igu elin e r ip osta ga îm en t, a ve c son in é ga
lab le sou r ir e fa it de gr â ce or gu e ille u se :
— N o n , a u cu n e ! C ’est t a n t m ieu x p ou r lui, d ’a il
leu r s, ca r il ser a it t er r ib lem en t m a lh eu r eu x a ve c
m o i!... et je n e sou h a it e de m al à p er son n e.
E lle s ’in t er r om p it p ou r r em a r q u er san s t r a n s it io n :
— L ’exp r ess n ’a r r ive pas, c’est a ssom m an t ! J e
d éteste a tten d r e.
L ’abbé glis s a d ’un ton d éta ch é :
— M a is, p u isqu e vou s n ’a ve z p as d e p la is ir à vo ir
a r r ive r M '“*’ de P u ym ér a n ..., c’cst t o u jo u r s a u ta n t
de p r is sur ... l’en n em ie !
— C ’est vr a i, r econ n u t M igu elin e, sou r ia n t de
n o u ve a u ; m ais j ’a u r a is p r é fé r é s o r t ir à ch eva l ce
m atin , et n on m e p r om en er en tr e d es m alles et d es
b a llots don t je ne p eu x m êm e p a s lir e les ét iq u ett es
p ou r m e d is t r a ir e !...
E lle ch a n gea d e ton p ou r in t e r r o ge r :
— Alle z- vo u s êt r e absen t de P o n t a lr ic p en d an t
lon gtem p s, M on sieu r l’a b b é? Vo u s sa vez qu e m on
p èr e ser a it d eu x fo is plu s r a vi en cor e qu ’à l’o r d i
n a ir e d e vou s vo ir à la m aison . Il com p te su r vou s
san s tr op t a r d e r ; vou s l’a id er ez à su p p or ter la con
ve r s a t io n de m a t a n te M ad elein e.
L ’abbé M o u r r o u x r ésid a it soi-d isa n t tou te l’a n n ée
à P o n t a lr ic sa n s en sor tir , s a u f p ou r a lle r q u el
q u e fo is p a sser d eu x ou t r ois jo u r s ch ez d es am is.
Com m e il a va it des r ela t ion s in tim es d an s t o u t e „la
p r ovin ce, ces « d eu x ou t r ois jo u r s » de d ép la ce
m en t se r en ou vela ien t ch a qu e sem ain e.
Ce t t e fo is, il se r en d a it sim p lem en t ch ez son con
fr è r e M gr Clo vis Ba n n elier , h om m e t r ès sa va n t ,
fu t u r m em br e d e l’in st it u t , d isa ien t ses collègu es,
et p r om it d e ve n ir vo ir le plu s tôt p ossib le com m en t
le com te d e Ger la n d e s’a ccom m od a it de la sociét é de
sa belle-sœ u r , bien qu ’il ép r o u vâ t p er son n ellem en t
u n e sym p a th ie d es p lu s m od ér ées à l'en d r oit de la
m èr e de l’in estim a b le Ta n cr è d e .
M " “ de Ger la n d e n ’escom p ta it a u cu n e jo ie de la
vis it e de sa ta n te, m ais, si a ccou tu m ée qu ’elle fû t
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MARI
DE
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à su ivr e en tout son bon p la isir , la fo r ce de la bon n e
éd u cation t r iom p h a it de sa m a u va ise hu m eu r. E lle
p a r vin t à sou r ir e d ’u n e fa ço n a im a ble en voya n t ,
d ès a va n t l’a r r ê t de l’exp r ess, M “ * de P u ym ér a n lui
a d r esser , à t r a ve r s la gla cu de son wa gon , des petits
sign es a m ica u x de la m ain . E t p ou r ta n t ces m a n i
fest a t ion s p u bliqu es l’h or r ip ila ieu t.
Le je u n e Ta n cr è d e bon d it su r le qu ai a u m om en t
où l’abbé M o u r r o u x s’en go u ffr a it d an s u n com p ar
tim en t a ve c u n e p r écip it a t ion ext r êm e, ca r il a va it
p eu r de n e p ou voir s’em p êch er de* r ir e. MigUelin e
fixa it su r son cou sin un r ega r d d on t tou te passion
ét a it absen te. N on , cer ta in em en t, ce jeu n e hom m e
n ’a va it a u cu n esp oir d’êtr e ja m a is le gen d r e du
com te de Ger la n d e, m êm e en ju r a n t ob éissan ce com
p lète à sa fem m e.
La d ist in ct ive du b a r on de P u ym ér a n ét a it l’e xi
gu ït é d es d im en sion s. On lu i a u r a it don n é qu in ze
an s. I l a va it de p etits pied s, de p etites m ain s, de
p etits t r a it s, et un cost u m e tou r ter elle. D e va n t la
su p er be M igu elin e, il r essem b la it à un collégien .
E lle é t a it ob ligée de b a isser les ye u x p ou r le r e
ga r d er .
Ta n cr è d e secou a la m ain de la jeu n e fille, en p r o
n on ça n t d ’u n e fa çon a ssez d ésin volt e :
— Bo n jo u r , M igu elin e. T u es ven u e n ou s a t t en
d re... C ’est for m id a b le !
— O u i, r ép liq u a celle-ci, su r le ton m oqu eu r des
cou sin es qu i n ’a d or en t p oin t leu r co u sin ; je n ’aim e
p as m e le ve r de bon n e h e u r e ; a u ssi ce n ’est pas
p eu r toi, c’est p ou r m a tan te. La isse-m oi la sa lu er,
ve u x-t u ?
— Com m en t d o n c! fit Ta n cr èd e, écla ta n t de r ir e,
p r écip it e-t oi d an s ses br a s ! P en d a n t qu e m an ían
sera occu p ée à t ’em br asser , je r a ssem b ler a i les colis
à m ain san s m e fa ir e en lever !
M igu elin e r etin t m al un sou r ir e con d escen d an t.
A vin gt -t r o is an s, Ta n cr è d e éta it t ou jou r s un en
fa n t p ou r sa m èr e.
Ta n cr è d e vit le sou r ir e et n e fu t pas con ten t.
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MARI
DE
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13
M a is la b a r on n e, qu i, à cette m in u te, d a ign a it p oser
son a u gu st e p ied su r le t r ot toir , fu t con q u ise p a r la
bon n e gr â ce de sa n ièce. I l n e lui en fa lla it pas
b ea u cou p p ou r êt r e ch a r m ée, ca r elle p en sa it san s
cesse au ch iffr e de la dot de cette fille u n iqu e et
vo ya it d ’or es et d é jà ce ca p ita l en tr e les m ain s de
son fils.
I l eû t m êm e été p lu s e xa ct de d ir e en tr e ses m ain s
à elle, ca r Ta n cr è d e — u n e n fa n t ! — 11e p ou r r a it
t r o u ve r m a u va is de vo ir sa m èr e gé r e r les bien s de
sa fem m e.
M n,c d e P u ym é r a n n ’a va it , cer t es, a u cu n e a r r iè r e p en sée de lu cr e. M mo de P u ym é r a n é t a it a u t o r it a ir e,
sa n s plu s. M a is elle l’éta it, p a r exem p le, à la cin
q u a n tièm e p u issan ce. Ce t t e ten d a n ce, ja d is r efr é n é e
p a r M. de P u ym ér a n , s’ét a it n otoir em en t d évelop p ée
p a r le ve u va ge .
L ’abbé M o u r r o u x, ca ch é d e r r ièr e le st or e de son
com p ar tim en t, r ega r d a n t Ta n cr è d e et la b a r on n e,
p en sa it :
« C'e s t u n bon je u n e h om m e, m a is il a l’a ir
id iot !... Ap r è s tou t , c’est p eu t -êtr e la fa u t e de sa
m èr e : elle n e lu i la isse p as le tem p s de sou ffler . J e
com p ren d s qu ’il a it en vie de se m a r ie r ! »
M ,m' de P u ym é r a n a r r a ch a Ta n cr è d e à ses essa is
de con ver sa t ion a ve c M igu elm e , p ou r l’e n vo ye r a u
p r ès de la fem m e d e ch a m br e qu i se d éb r ou illa it
a ve c les b a ga ges. Ce t t e escla ve, ch a r gée com m e un e
sim p le m u le, p lia it sou s le poids d es m a llet tes et des
ca isses à ch a p ea u x.
D e va n t cet a m on cellem en t d e colis, M igu elin e, la
m or t d an s l’âm e, se d it qu ’elle a u r a it sa tan te su r
les b r a s p en d a n t q u a tr e sem ain es au m oin s.
Il su ffisait de vo ir M "l? d e P u ym é r a n em p lir tou te
la ga r e de sa p er son n a lit é r em u a n te et p r ép on d é
r an te, h a r ce le r son fils d’o b ju r ga t ion s, t a n cer sa
ca m ér iste et d é cla r e r : « Si je 11’éta is p as là pou r
ve ille r à t o u t ! » a ccom p a gn a n t cet t e r em a r q u e d ’un
sou p ir t ir é du p lu s p r ofon d de sa p oitr in e, p ou r
fp r m e r le sou h a it a r d en t de se r et r o u ve r à la m êm e
p la ce, m ais à l’effet de lu i d ir e a d ieu . E t Ta n cr è d e
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n e se r évo lt a it p a s!... Il a va it un e fa m eu se d ose de
p a tien ce !
J a m a is, ju s q u ’à ce jo u r , M igu elin e n ’a va it
ép r ou vé la m oin d r e com p assion p ou r son cou sin .
Ce m atin , exa sp ér ée p a r la ba r on n e, elle so n gea it :
« C ’est un bon ga r ço n , Ta n cr èd e. S ’il ét a it ven u
seul, j'a u r a is eu du p la isir à le r ecevoir . »
E lle ch er ch a qu elqu e ch ose d’a m ica l à d ir e à ce
d ocile je u n e h om m e, et p r on on ça , t r ès gr a cie u se :
— T u va s t r o u ve r P o n t a lr ic un peu p lu s an im é
qu ’à l’or d in a ir e. On com m en ce à s’a m u ser beau cou p .
Ta n cr è d e o u vr it d es ye u x tou t r on d s et d evin t
r ou ge com m e u n e b et t er a ve. I l a va it l’a ir p én étr é
de b on h eu r ; san s d ou te, ch ez lu i, la jo ie se t r a d u i
sa it seu lem en t p a r la violen ce du color is, ca r il n e
d it rien .
Sa m èr e u tilisa cette m in u te de silen ce pou r r é
p on d r e à sa p lace, ce qu i ét a it bien d an s ses h a b i
tud es.
— T o n cou sin n e pen se gu è r e à s’a m u ser , d it -elle
d ’un a ir qu asi a u st èr e. I l est t r è s sér ieu x. I l t r a
va ille.
Ta n cr è d e p a r u t estom aqu é d ’a p p r en d r e à q u el
p oin t il ét a it la b or ieu x. 11 r ép liq u a d ’un ton de
bon n e h u m eu r :
— O h ! tu sais, M igu elin e, ne m e gr im p e pas tr op
vit e su r un p iéd estal. C ’est un e id ée d e m am an , ça ,
m e fa ir e t r a va ille r . O u i, les H a u t e s E t u d e s P o l i
t i q u e s e t C o m m e r c ia le s . C ’est ch ic, c’est tou t à fa it
je u n e h om m e du m eilleu r m on de qu i ve u t fa ir e
qu elqu e ch ose. Seu lem en t, m oi, je su is sp écia lisé
d an s le con t r a ir e.
— D a n s q u oi? in t er r ogea la jeu n e fille, am u sée.
— D a n s n e r ien fa ir e du tou t... Ça d on n e t elle
m en t m oin s de p ein e !... Si l’on d an se ch ez vou s,
ta n t m ieu x ! Ce sera p lu s r é cr é a t if qu e p r ép a r e r les
H a u t e s E t u d es -susdites..., lesq u elles son t in fin im en t
tr op h a u t es p ou r m oi.
M m” de P u ym ér a n , ve xé e , cou p a, t r è s sèch e :
— N e dis p as de sottises, ve u x-t u ? ... M igu elin e,
je n e t’a i pas d em an d é com m en t va ton p è r e ? C ’est
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im p ar d on n a b le, m ais le vo ya ge m ’a la issé u n e m i
gr a in e a ffr eu se. H ie r , je sen tais m a n é vr a lgie •—
j ’a i d es n é vr a lgie s t e r r ib le s ! — il fa u t un co u r a ge
h ér oïq u e p ou r su p p or ter ce la ; m ais je n ’ai p as vou lu
r e t a r d e r m on a r r ivé e . Vo u s a u r ie z été d éçu s.
« Oh ! n on ! » p en sa ir r évér en cieu sem e n t sa n ièce.
E t , tou t h a u t , elle in vit a , t r è s fr o id e , ca r elle éta it
d e plu s en p lu s a ga cé e :
— Si vou s a ve z tou s vo s b a ga ges, n ou s p ou r r ion s
r ejo in d r e la vo it u r e ?
— O u i, ou i, r ép on d it la b a r on n e, en n u yée d ’êtr e
cou p ée — elle a im a it p a r ler d e ses in n om br ables
m a la d ies et va n t e r son én er gie su r h u m a in e. — T a n cr è d e !... A h ! tu es là ? J e n e te vo ya is plus.
Ta n cr è d e a va it m is ce soliloqu e à p r ofit p ou r
p r en d r e les d eva n t s ; on le r e t r o u va exa m in a n t l’a u
tom obile d e M igu elin e.
— T r è s ch ic, t a vo it u r e ! d it-il, p r esq u e r esp ec
tu eu x. U n e P a c k a r d ; tu te m ets b ie n !
— C ’est u n ca d eau de p ap a p ou r m on a n n ive r
sa ir e, r ép liq u a M igu e lin e sim plem en t.
— I l est gé n é r e u x ! m on com p lim en t ! fit T a n
cr èd e, con tin u a n t de t ou r n er a u t o u r d e la d ite P a c
k a r d a ve c a d m ir a t ion . C ’est gen t il de t r o u ve r un
jo u e t com m e celu i-là a u bas du p er r on , p ou r sa
fê t e !
L a b a r on n e s’in st a lla d an s la vo it u r e d ’un a ir de
r ép r ob a t ion m éla n gé d ’a m én ité. E lle ju ge a it son
b e a u -fr è r e a b su r d e d’a vo ir fa it un d on p a r eil à sa
fille. Ava it - e lle b esoin d’u n e a u tom ob ile p er son n elle,
cet t e p et it e ? C ’é t a it un ga s p illa ge r id icu le. D e gr o s
r e ve n u s n e son t p as fa it s p ou r êt r e d ép en sés, m ais
p ou r êt r e ju d icieu sem en t p la cés, de fa ço n à r a p p or
t er , s’il est p ossib le, cen t p ou r un. U n p èr e qu i d ii
à sa fille, a u jo u r de son a n n ive r sa ir e : « M on en
fa n t , r é jo u is-t o i : p ou r t a fêt e, j ’a i a ch et é à ton
n om u n gr o s p a q u et de S u c s ou de R o y a l D u t c h
est un h om m e a visé , d ign e d ’estim e. M a is un
P a c k a r d , ce la n e r a p p or t e r ien et coû te fo r t cher.
M . de Ger la n d e a va it t or t, c ’est en ten d u ; m ai-,
d ’a u t r e p a r t , cet t e P a c k a r d m on tr a it la gén ér osit é
�iô
LE
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LA
R E IN E
de sa n a tu r e. I l fe r a it un a d m ir a b le bea u -p èr e p ou r
Ta n cr è d e .
La b a r on n e ch a n gea su r -le-ch a m p son a ir p in cé
p ou r celu i d ’u n e a ffa b ilit é sou r ia n t e, ch ose bien in u
tile, du r este, p u isqu e M igu elin e, a ssise au vola n t,
n e p o u va it en jou ir .
M mo de P u ym ér a n p r êt a l’or eille p ou r r ecu eillir
les p r op os éch a n gés en tr e les d eu x cou sin s. I ls
n ’ét a ien t p as m a r q u és a u coin d ’un e vive o r igin a
lit é. Ta n cr è d e d isa it :
— T u con d u is com m e un p ilote de cou r se. C ’est
for m id a b le ! T u p eu x gr im p er tou tes les côtes en
p r ise d ir ect e, a ve c cette m ach in e.
S ’il y m etta it u n e a r r ièr e-p e n sée de flir t, c’ét a it
là u n e in ten tion bien cach ée.
M “’° J e
P u ym ér a n essa ya it de p r en d r e p a r t à
l’en tr etien en cr ia n t des r em ar qu es oiseu ses su r le
p a ysa ge qu ’elle a va it vu cen t fo is ; elle en ton n a u n e
str op h e à la lou a n ge de P o n t a lr ic et le q u a lifia de
p a ys r êvé.
U n cam ion ch a r gé de fe r r a ille s p a ssa d an s u n
fr a ca s a ssou r d issa n t . L a b a r on n e, p oin t d écou r a gée,
con tin u a , fo r ça n t le r egis t r e a igu p ou r d om in er ce
va ca r m e :
— Ta n cr è d e et m oi r a ffolon s de cette a d or a b le
p etite ville. Ta n cr è d e m e d isa it ju st em en t h ier :
« M on sou h a it le p lu s ch er ser a it d ’h a b iter P o n t a l
r ic ou ses en vir on s. » J e com p ren d s cela. — E lle
p r en a it l’a ir ém u, t o u jo u r s en pu r e p er te, pu isqu e
sa n ièce lui t ou r n a it le dos. — Lo r s q u ’il est p ossib le
de vivr e en fa m ille, on n e peut rien d ésir er de m eil
leu r . L ’u n ion fa m ilia le est un bien in estim a ble. C ’est
le b on h eu r p a r fa it ... N ’est-ce. pas, T a n cr è d e ?
Ta n cr è d e d em eu r a m u et. Il ét a it d e n ou vea u
r ou ge com m e un e tom ate. M igu elin e, lu t t a n t con t r e
un fo u r ir e m éla n gé de colèr e in t ér ieu r e, p en sa :
« O u i, l’u n ion fa m ilia le... à l’h ôtel d e Ge r la n d e !
Com p tez là-d essu s 1... Ta n cr è d e n ’est p as un m au
va is ga r ço n , m ais, si sa m èr e con tin u e, elle m e le
fe r a p r en d r e en h o r r eu r l »
N ’obten an t p oin t de r ép on se, M ” de P u ym ér a n
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MARI
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se tut. E lle n ’ét a it pas trop con ten te de M igu elin e,
m ais les h ér itièr es, de tou t tem ps, on t eu d es ca
p r ices. Ce fu t le sou r ir e a u x lè vr e s qu ’elle d écla r a ,
a u m om en t où la vo it u r e s’a r r ê t a it d eva n t la gr a n d e
p or t e de l’h ôtel de Ger la n d e :
_— Q u els bon s in sta n ts n ou s a llon s p a sser tou s
r éu n is!... Vr a im e n t , je n e p ou r r a i plu s vou s q u itter .
Ce d isa n t, la b a r on n e ne m et ta it p oin t en d ou te
un e en tièr e r écip r ocit é d e sen tim en ts, et M igu e lin e
a ya n t r ép liq u é a ve c la d er n ièr e fr o id e u r : « C ’est
t r è s a im a ble », M m° de P u ym ér a n fo r m a in t é r ie u r e
m en t le p r o je t de p r olon ger la r éu n ion fa m ilia le le
plu s lon gtem p s p ossible... : tou t l’h iver .
E lle n e p ou va it d evin er qu ’au m êm e in sta n t la
je u n e fille d écid a it :
« S ’il fa u t su b ir m a tan te plus d e q u in ze jo u r s , je
p a r s. P a p a se d éb r ou iller a a ve c elle ! »
II
Le p or t a il a u x p a n n ea u x scu lp tés — si b ea u x
q u ’ils eu ssen t ét é m ieu x à leu r p la ce d an s un m u sée
•— s’o u vr it au la r ge.
D a n s le fon d de la cou r , l’h ôtel de Ger la n d e m on
t r a sa fa ça d e a u x lign e s am p les, m a jestu eu ses, selon
le m eilleu r st yle xvn ". M “ ” de P u ym ér a n étu d ia
silen cieu sem en t l'im m eu ble et son fils, et con vin t
qu ’ils ét a ien t fa it s l ’u n p ou r l’a u tr e. Ce ci m on tr a it
la p u issa n ce de l’a m ou r m ater n el. To u t e a u t r e p er
son n e n ’a u r a it pu a ss ocier le t r è s p etit ba r on de
P u ym é r a n à un e r ésid en ce p a r eille, en se disan t
q u ’il y fe r a it gr a n d e figu r e.
M " ' ° d e P u ym ér a n con n a issa it d e l o n g u e d ate la
m aison de son b e a u -fr è r e , elle cr u t d evoir pou rtan t
�LE
MAKI
DE
LA
RE1NK
*’e xt a s ie r su r ilia q u e m ou lu r e de* fen être» , et le.»
ca isse* d ’o r a n ge r s a lign é e s a u bas du p er r on à
ram p e d ou ble r eçu r en t a u ssi leu r com p lim en t in d i
vid u el.
Son fils, m u et p a r la fo r ce d es ch oses, p en sait,
iliver t i, un peu gên é a u ssi :
« M a m a n « en m et un co u p !
Ta n cr è d e ét a it , com m e l'a ffir m ait l'abbé Mou r r ou x, un bon je u n e h om m e, «au« plu »; for t a u t en
n is. p eu t -ê t r e: en tout cas. pa* en th èm e. So n p rin r ip a l sou ci sem b la it êt r e d 'é vit e r d 'a t t ir e r su r lui
l'a t ten t ion m a t er n elle, la d ite a tt en tion «t tr a d u isa n t
à l'o r d in a ir e pa r un flot de co r vées. L.es ge n s m a l
ve illa n t s lr d é cla r a ie n t : « com p lètem en t a b r u t i >.
Cep en d a n t un o b se r va t e u r un peu h a bile a u r a it pu
n ot er cet t e p a r t icu la r it é î h or s la p r ésen ta de «a
tyr a n n iq u e m èr r . Ta n cr è d e a va it tou t k c>Kip l’a ir
b ea u cou p p lu s in t elligen t .
M. d e Gcr la n d v. d on t la d om in an te ét a it une
co u r t o isie raffin er qu i ten d de n os jo u r s h d ispa r a lt r e . su r vin t à la m êm e m in u te. S * h a n te talttr ,
son gr a n d a ir p er m et t a it n i. cet t e (dm. de pen se t
q u 'il ét a it d an s le st>U d< son hùtcL Ave « ses b elk«
vie ille s m an ière« d é im s lt cs . il a id a sa b e lle -s m ir à
d n c r n d r t et . la i bai« *n t la m ain . d écla r a «Tnn
a ccen t sin cèr e :
— O a r t k ch a r m a n t e pen sée vou» a ve * eu e. U a d v
U n e I C'e s t m ille ( o it a im a Me à v o n d e
d on
n er q u elqu es jiu t n .
II m f*» r ia it p *s d e sem ain e«. red ou ta M q u ’il n
s ‘i | ù m fin alem en t de m ois.
— H o a ch er U m t 'k !_ h u lb a .it V I " de t ‘»t}mè*
tu k. it m
a n * a i m p ou rr i- i. C'é t a i t
tn tm t
T r fl
t 4a tojnit. H h vtK >k U P
m t è t t n i..
t x W é t n m réflexe <nxr*- p*r le» <»>««
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F J k H f é u é » m êm e t o » p t w ik wstwa (« K iru u U«
- M o « efce* mmà L .
lîl. S* M W M M N fS | i 1« 4 I S » t t ls M I , H t «
f t è t fa * a n « m n m t m * k k . * » . :
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19
— lion jou r , m on on cle, a r t icu la d ocilem en t l'in
t er p ellé.
M. «le Gcr la m lc fa illit r ir e. FI pen sa :
* Ce p a u vr e R a r çon l... Il a vr a im en t bon ca r a c
t èr e I »
Kt, tou t h au t, r ép liq u a, t r is cor d ia l :
— M on p etit, tu m e fa is un irratul p la isir en ve
n an t m e voir . M igu e lin e et m oi som m es en ch an tés.
Ta n cr é d e o u vr it la bou ch e. S a m èr e le r éd u isit a u
silen ce :
— Moi a u ssi. cr o ye *-lc h ie n L . C'e st t o u jo u r s u n e
it>ie d e se r e t r o u ve r en fa m ille. Ta n cr é d e m e d isa it
h ier en cor e : « M am a n , je su is eh eh a n t é I * N 'e s t -cc
pn*. T a n cr é d e ?
Le d ésesp oir se peiirn it su r le vis a ge d e Ta n cr é d e .
Il a u r a it fa llu êt r e la q u in t essen ce d e la sottise p ou r
ne pas voir q u 'il ét a it r id icu le, et cela d eva n t Mifu e lin e . ch ose plu * d ifficile 1 d icé r e r . I.e jeu n e
h om m e »‘en t ir a p a r La bon n e h u m eu r , ce qu i p r ou
va it un ce r t a in esprrt :
— M am a n vou s fa d it . m on on cle : je t n t * r a vi,
t r a n sp or t é, en th ou sia sm é I D 'a ille u r s , vou a p ou vea le
d evin er tou t seu l : q u a n d u n a u n e joli.« cou sin e, o n
est lo u e u r s t r è s c o n te n t d e ve n ir la vo ir .
M iiik... m a ta . T a n c r é d e L . b a lb u tia M** d e
F*n ym éran . c o n f o n d u e p a r T a u d a e c d e « « h é r it ie r .
Com m en t i il r é p o n d a it to u t seu l?... Il a v a it
l ' a n b m b d e d ir e e n f a c e à M u r n elm e. q u 'elle « t a it
I
’ M a t s c'é t a it tn eon eev «Ni.-1
K n v e r t * iC u w i M o n * t o u te p a r'» - itè r e e t « » •
n e t w . M * d e P w y a a éra n v o u lu tt b ie n fa ir v i p m i w f
M f M k M A t a a M i, m u a c e la t a n t y e r w t t r e a a
e a r v l« ta t o n * s#u»a par»»'.- «T a a w u r. n i c e n 'e s t p a s
c a m e t KO* r é f é t a n H t n w w t A e * p e o p o s
« Ca
I r m I t e 'é t a n !• p t é w * ér fe u U d ( i i m t l u t ) M
a‘m a w s
d*
fa « f* a n c o m p h a n e u t p a *
4 a a t ar<a l a a ( w l W s a C a k e »et m t r o u v a it t a u * * M
M a » a a lièe» t t w a m » s -taaa In p v n o n a » «W m
* t a r i » tt a v a i t pa rs»«t a d » a s « t t a « t.s er é » ia * a p e é a
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LE
MARI
DE
LA
R E IN E
M . de Ger la n d e, qu i ét a it t r ès bon, eu t p itié de
son n eveu ; il a r r ê t a u n e h om élie su r les lèvr es de la
b a r on n e en l’in t r od u isa n t d 'a u t o r it é d an s la m aison .
Alo r s M igu elin e, a ve c u n e cer t a in e con d escen d a n ce,
se t ou r n a ve r s son cou sin .
— P a p a te la isse à m es bon s soin s, d it -elle, et,
m oi, je va is te la is se r à toi-m êm e. J e su p p ose que
cela te ser a é ga l? M a t a n te m e ju ge r a it im p olie si
je n e l'in s t a lla is p as d an s son ap p a r tem en t. On a
p r ép a r é p ou r toi la ch a m b r e ch in oise. La u r e n t doit
y t r a n sp o r t er les b a ga ge s ; ve u x-t u lu i d on n er tes
cle fs p ou r qu ’il p u isse d éb a ller tes vêtem en t s?
Ta n cr è d e , d on t le vis a ge e xp r im a it en m êm e
tem p s l’em b a r r a s et la r ésolu tion , p a r u t ou b lier ses
p er p lexit és. I l in t e r r o ge a vivem en t :
— E t m am an , où est-elle?
— D a n s la ch a m b r e Em p ir e.
•— La gr a n d e ja u n e, du côté du ja r d in ? — Son
a ccen t d even a it a llègr e . — Bon , ça va ! il y a u r a de
la d is t a n ce ! J e file. T u m ’excu se r a s, M igu elin e,
m ais je ve u x a r r a n ge r m es a ffa ir e s à m on goû t. M a
m èr e est tellem en t... d évou ée : elle tien t à d isp oser
m es p yja m a s et m es cr a va t e s selon u n r it e sp écial.
J e n e vo u d r a is p as te p a r a ît r e u n fils d én atu r é,
m ais, tu sais..., ce qu e ça m ’a ga ce !
M igu e lin e le r e ga r d a d’un peu m oin s h a u t. Ap r è s
u n e b r è ve h ésit a tion , elle r em a r q u a , com p a tissa n te :
— M on p a u vr e am i, tu ne d ois pas t ’a m u ser tou s
les jo u r s !
— Oh ! si je m ’a m u sa is seu lem en t tou s les d eu x
ou t r ois jo u r s , ce ser a it en cor e a ccep t a b le ! d it -il
a ve c p h ilosop h ie. M a m a n est plein e de m ér it e, c’est
en ten d u ; m ais, voilà ... : elle est veu ve.
— A h ! d it la je u n e fille, je com p ren d s. E lle a
tou t r ep or t é su r toi : son a ffection , ses esp oir s.
— Se s esp oir s... oui ; et su r t ou t sa t en d a n ce au
com m an d em en t. Le s fem m es a u t o r it a ir es, lor s
q u ’elles n ’on t p lu s d e m a r i à « m éca n iser », eh bien !
elles m éca n isen t leu r s fils. Vo ilà ! E t , m oi, que
ve u x- t u ? je n e p eu x pas su p p or ter qu ’on t r ip ot e m es
p yja m a s et m es cr a va t e s ! L e r est e m ’est éga l, m ais
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pas ça !... C'e s t m a p etite m a n ie: ch a cu n a les
sien n es.
— T u as vr a im en t bon ca r a ct è r e ! d écla r a M igu eline.
A p a r t soi, elle a ch e va it :
« M a is il est p a r tr op id iot de se la is se r m en er
com m e un ga m in de d ix an s ! »
E lle ét a it ve xé e à m or t, sa ch a n t qu e sa t a n te a va it
je t é son d évolu su r elle, et r egr et t a de n ’a vo ir pas
rép on d u tou t de su ite, à l’an n on ce de l’a r r ivé e des
P u ym ér a n , p a r celle d e son p r op r e d ép a r t pour...
ah ! n ’im p or te où, P a r is ou l’ét r a n ger . C ’éta it trop
h u m ilian t de vo ir Ta n cr è d e p r êt à se p r en d r e p ou r
un fian cé possible.
Le jeu n e h om m e r ép liq u a it cep en d an t a ve c fo r t
peu d ’ou t r ecu id a n ce :
— Si j ’a i bon ca r a ct èr e, tan t m ieu x. J e n e suis
pas un e b ea u t é à sc m ettr e à ge n o u x d eva n t, et,
pou r r ésou d r e les gr a n d s p r oblèm es, il va u t m ieu x
s’a d r esser a illeu r s. I l fa u t bien a vo ir qu elqu e chose.
T u me r econ n a is u n e ’qu a lité, j'e n su is h eu r eu x...
M igu elin e, cr ois-t u qu e je...
Sou s les ye u x éton n és de sa cou sin e, il s’a r r êt a
n et et d evin t cr a m oisi. E lle q u estion n a, un peu
sèch e :
— E h bien ?
Ta n cr è d e eu t l’exp r ession du m on sieu r fo r cé de
-s e je t e r à l’ea u san s sa voir n a ger , ce qu i le t er r ifie ;
d’a u tr e p a r t , il sem bla it t or t u r é p a r le besoin d ’en
tr er d an s la vo ie des con fid en ces.
M 110 de Gcr la n d e eu t un m ou vem en t de r ecu l
im m éd iat. E lle a va it vu à p lu sieu r s r ep r ises cet a ir
ém u, a n goissé, m ais sou r ia n t, su r la figu r e de jeu n es
hom m es. Ils m on tr a ien t ce trou ble a va n t de lui d ir e
qu’ils l’a im a ien t et la vo u la ien t p ou r fem m e. E lle
a va it t ou jou r s r ép on d u n on , m ais en s’effor ça n t de
tém oign er b ea u cou p de r e gr et de ca u ser un ch a
gr in . Ce t t e fo is, la n é ga t ive ne s’a tt én u e r a it p oi’it
d’un sou r ir e.
ia n cr è d e , ce p ygm é e ! com m en t osa it-il pen ser a
elle? 1: 11e !
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E n se vo ya n t d an s la gla ce a u p r ès de lu i, elle
se n t a it son d éd ain s’a ccr oît r e .
Ta n cr è d e , d on t l’h u m eu r ét a it fa cile , m ais la pén é
tr a t ion r est r ein t e, n e r em a r q u a p oin t ce ch a n gem en t
de p h ysion om ie. I l a r t icu la t r a n q u illem en t :
— J e te d ir a i qu elqu e ch ose u n d e ces jo u r s, p as
m ain ten a n t. M a m a n p o u r r a it n ou s tom b er su r le
dos. In u t ile d e p r ovoq u er un in cid en t. A tou t à
l’h eu r e... P ou r r on s-n ou s fa ir e un t en n is a va n t d é
je u n e r ?
M igu elin e fu t t ellem en t su r p r ise p a r l’a ssu r a n ce
de ce ga r ço n , con n u p ou r sa tim id ité, qu ’elle r ép on
d it m a ch in a lem en t : « O u i. » E n su ite, elle fu t de
n o u vea u ve xé e . Cer t a in em e n t Ta n cr è d e , ch a p itr é
p a r sa m èr e, se p r ép a r a it à jo u e r la gr a n d e scèn e
sen t im en t a le, a ve c a va n ce s et r ecu ls, les r ecu ls du
je u n e h om m e p lein d e d élica tesse d eva n t l’h ér it ièr e
t r o p r ich e.
E lle r e gr et t a d ’a vo ir la issé s o r t ir Ta n cr è d e san s
a vo ir eu la p r ésen ce d ’esp r it de fa ir e com p r en d r e
tou t de su ite qu elle d écep tion cu isa n te se p r ép a r a it
M m" de P u ym ér a n en se cr a m p on n a n t à ce r êve :
in st a lle r son fils en m a ît r e à l’h ôtel de Ger la n d e.
Le s sou r cils d or és se r a p p r och èr en t ; o r gu eilleu se ,
elle r ed r essa la tête. Ta n cr è d e n e com p ta it p as, m ais
u n m aîtr e, qu el qu ’il soit... ja m a is !
M igu elin e su r sa u ta tou t à cou p, a ve c un p etit cr i,
et se r etou r n a . M. d e Ger la n d e, en tr é sa n s b r u it ,
a p p u ya it u n e m ain su r son ép au le. I l d em an d a, sou
r ia n t au vis a ge r ose t ou r n é ve r s lu i :
— Q u ’as-tu fa it de ton cou sin ?
— Il d éba lle ses p yja m a s, r ép on d it M igu elin e
a ve c un d éd a ign eu x m ou vem en t des lèvr es.
Le com te se m it à r ir e :
— Ce la te d é p la ît ? E t r e soign eu x n ’est cep en d an t
p as un d éfa u t... I l a ga gn é d ep u is l’a n n ée d er n ièr e,
T a n cr è d e ; ne t r ou ves-t u p a s?
— Ga gn é, en q u oi? r ép liq u a la jeu n e fille san s
b on n e gr â ce. Il est r id icu le ! A son â ge, on n e se
la isse p a s t r a it e r en p etit ga r çon . M a lgr é tou t, je te
p r é fè r e à sa m èr e. C ’est un cr a m p on a r t icu lé, tan te
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MARI
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l.A
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M a d e le in e !... E lle m ’a d é jà fa it p a r t d e s o n d é s ir
de p r o lo n g e r le s é jo u r . C ’est jo ye u x !... J ’a i g r a n d ’p e u r d e la v o i r s ’in c r u s t e r ic i tou t l'h iv e r .
— O h ! fit M. de Ger la n d e, en n u yé. C ’éta it u n e
façon de p a r ler , san s d ou t e?
—■ E sp ér on s-le ! d it M igu elin e, scep tiq u e. P o u r
moi, je n e t ien d r a i p as a u d elà de q u in ze jou r s.
E cou ter p r êch er m a t a n te p en d an t d eu x sem a in es
est tou t ce qu e je p u is fa ir e ; pa ssé ce d éla i, je vou s
l’a ban d on n e ! Gw en n ie Kin gs b u r y et son m ar i m ’on t
in vit ée à ve n ir les r ejo in d r e à Ta n ge r . Ils d oiven t
fa ir e un r a id d an s le Su d m a r o ca in ; j ’ir a i a ve c
eu x. J ’en a i t ou t à fa it tr op en vie !... Ce ser a it
a u t r em en t a m u sa n t qu e les bals et les th és-b r id ge
de P o n t a lr ic !
— Co m m en t ? p r otesta le com te, st u p éfa it . Tu
ve u x m a in ten a n t co u r ir le d éser t ? M a is c’est un e
fo lie !
— Si les P u ym é r a n m en a cen t de s'in s t a lle r ici.
j'a n n o n ce m on p r o je t d ’h ive r n e r a u M a r o c, d écid a
M igu e lin e d ’u n ton n et. J ’ir a i ch ez Gwen n ie.
— T u ir a s ! tu ir a s ! fit M. d e Ger la n d e, très
e ffr a yé ; je n e t ’a i pas en cor e don n é l’a u t or isa t ion
d e com m ettr e u n e p a r eille...
M ig u e lin e s o u r it e n s e r a p p r o c h a n t d e lu i, t r è s
c â lin e :
— R a ssu r ez-vo u s. J e n e p a r t ir a i p as san s vo t r e
con sen tem en t. M a is vo u s cesser ez de m e le r e fu s e r
qu an d je vo u s l’a u r a i d em an d é gen tim en t..., p a r ce
Que, si vou s d isiez « N o n ! » vo u s ne se r iez plus
vou s, et, cela , c’est im p ossible.
L e com te esq u iva la r ép on se en ca r essa n t la tête
d or ée in clin ée ve r s lu i. Le s gest es n ’en ga ge n t à r ien .
I l sa va it qu ’u n e d éfen se fo r m elle n e fe r a it qu ’a u g
m en t er ce d ésir de M igu e lin e d ’e xp lo r e r le bled
n or d a fr ica in a ve c ses am is, et cette vision l’ép ou
va n t a it .
M . d e Ger la n d e a p p a r t en a it à la ca t égo r ie des
h om m es p ou r lesqu els la p a ix d om estiqu e est le
p r em ier de tou s les bien s. Il a va it p a ssé les d ix p r e
m ièr es a n n ées de sa vie co n ju ga le à r e gr e t t e r de
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LE
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n ’a vo ir p oin t d e fils con t in u a teu r du vie u x n om p r êt
à s’étein d r e. L a com tesse éta n t m or te san s lui a vo ir
don n é d’h é r it ie r m âle, il s’ét a it con sa cr é u n iqu em en t
à sa fille.
So n a m ou r p a ter n el tr ès p r ofon d n e l’em p êch ait
p oin t de vo ir celle-ci exa ct em en t t elle q u ’elle éta it,
d e r econ n a ît r e ses q u a lités r éelles, m ais au ssi d ’in
d én ia b les d éfa u t s d an s lesqu els, en cr éa t u r e ad u lée,
elle se com p la isa it.
T r è s in t elligen t e, de n a tu r e d r oite, loya le, M igu elin e ét a it de ces fem m es si p a r fa it em en t éq u ilib r ées
q u ’en elles le cer vea u l’em p orte su r le ' cœ u r. U n
m élan ge de sp on ta n éit é gén ér eu se et de fr o id eu r .
E lle sa va it ce qu ’elle vo u la it ; si la fo r t u n e n é lui
a va it sou r i dès le b er cea u , elle eût a p p or té d an s la
lu t t e p ou r la vie la volon té fr oid e, la m a ît r ise de
soi qu i l’em p êch aien t d ’êt r e u n e sim ple p ou pée au
m ilieu de l’exist en ce b r illa n t e qu i ét a it la sien n e.
D a n s ce m ilieu cep en d an t t r è s select où elle se
m ou va it, M igu elin e n e r en con tr a it p a s de su p ér io
r it és. O n l’a d m ir a it, on la ja lo u s a it au ssi, cela va
d e s o i; m ais les plus d ifficiles ét a ien t fo r cé s de
r econ n a ît r e : « E lle a tou t p ou r elle », et ses r iva les
en éléga n ce — bien fâ ch ées, au fon d , de n e p ou voir
m ér it e r le m êm e q u a lifica t if — l’a va ien t su r n om
m ée : M o i , la r e in e .
C ’ét a it tou t à fa it ça,
M. de Ger la n d c, s’il ét a it fier de sa fille, eût p r é
fé r é la vo ir p a r fo is m oin s r oya le d an s ses d écision s.
I l con t in u a it à l’exa m in er a ve c un e a tten tion sou
ten u e. Alo r s M igu elin e qu estion n a gen t im en t :
— Su is -je h a b illée à vo t r e goû t, ce m atin , p a p a ?
— I l n e s ’a git pas de cela , rép on d it le com te, san s
cesser de r e ga r d e r a lt er n a t ivem en t la je u n e fille et
les p or t r a it s su sp en d u s su r la ten tu r e. J e su is fr a p p é
p a r ton e xt r a o r d in a ir e r essem blan ce a ve c les d eu x
a u t r es M igu elin e de Ger lan d e. T u vien s de sou r ir e,
et c’ét a it absolu m en t celle-ci — il d ésign a it l’effigie
d ’u n e fem m e en blan c, pein te p a r Gér a r d . — T o u t à
l’h eu r e, tu r ed r essa is la tête : 011 eû t dit m a
t r isa ïeu le r essu scitéc.
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MARI
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U p osa de n ou vea u sa m ain su r les ch e ve u x
blon d s fr ô la n t son ép au le :
— P u issa n ce de l’a ta vism e ! E lle s r en a issen t en
toi, dém on d ’o r gu e il fém in in !
Il y a va it bien un peu de r ep r och e d an s l’a ccen t
p a ter n el ; M igu elin e y d evin a it au ssi un e in volon
t a ir e fier té. Sa bou ch e r on de, a r q u ée d an s u n e m oue,
lu i d on n a l’a ir , sou d ain , d’u n e ten d r e p etite fille.
— O u i, d it-elle a ve c ga ît é ; m es p lu s ch èr es am ies,
qui m e d étesten t, m ’on t su r n om m ée « la r ein e » et
p la ign en t d ’a va n ce m on fu t u r m ar i. C ’est de la com
p a ssion p er d u e. Il est en cor e à n a ît r e, celu i-là !
— H ne fa u t ju r e r de r ien , r ep a r t it le com te en
r ian t. Com b ien de filles, a va n t toi, on t d it : « J a
m ais ! » qui on t ét é en su ite tou t h eu r eu ses d e r é
p on d r e « Ou i » à l’église.
M igu elin e r ép liq u a du m êm e ton :
— Con n a issez-vou s d on c, h or m is Ta n cr è d e , un
ga r ço n d isp osé à m a r ch er au sa cr ifice a ve c la ce r t i
tu d e de n ’êt r e p as le plus fo r t ? ... E t vou s n e p ou vez
a vo ir le p r o je t de m e con fier à un e b elle-m èr e au ssi
gu e r r iè r e qu e m a t a n te !... L ’abbé M o u r r o u x m ’a
in sin u é ce m atin q u ’il m e fa u d r a it un p r in ce-ép ou x.
H l’a d it t r è s gr a cieu sem en t , m ais, d an s son esp r it,
c’ét a it un blâm e. Il m e t r ou ve effr a ya n t e.
— O h ! e ffr a ya n t e !...
— Si, et b ea u cou p d ’a u t r es p a r t a ge n t son op in ion .
— E lle h och a coqu ettem en t la tête. — T a n t p is ! on
n e se r e fa it pas... A vo t r e a vis, fa u d r a it -il m e
r e fa ir e ?
Le com te b or n a sa r ép on se à un b a iser . I l ét a it
un peu em b a r r a ssé. Alo r s , fa u t e de m ieu x, il r ép éta :
— To u t à fa it tes gr a n d ’m èr es !
Il n e d it p oin t, a p r ès cela , si les gr a n d s-p èr es
a va ien t été tr ès h eu r eu x. C ’ét a it vie u x. On n e peut
s’occu p er t o u jo u r s du passé.
�LE
MARI
DE
LA
R E IN E
III
M mo d e P u ym ér a n , d e r r ièr e sa fen êt r e , r ega r d a it
son fils se m et tr e en selle, a p r ès a vo ir soign eu se
m en t a r r a n gé la ju p e de sa cou sin e. — M igu elin e
m on t a it t o u jo u r s en a m a zon e. — E lle fr a p p a d eu x
p et its cou p s a m ica u x à la vit r e, com m e p ou r d ir e :
« J e su is là, m es ch er s e n fa n t s ! J e vou s b é n is !...»
Sa n ièce, a ga cée, n e d étou r n a p oin t la tête. Ta n cr èd e seu l r ép liq u a p a r un sa lu t. Il p en sa it, d iver t i,
et au ssi un peu in qu iet :
« S i m am a n sa va it ce qu e je lu i p r ép a r e, elle ne
so u r ir a it p a s ! E lle a u r a it p lu tôt en vie de m e je t e r
un ca n d éla b r e à la t ête ! »
A l’h eu r e où la b a r on n e, r ad ieu se, s’e fïo r ça it de
t u e r le tem ps, ju s q u ’a u r et ou r d es p r om en eu r s, en
fa is a n t u n e p etite in sp ection des ser r es, M igu elin e
et Ta n cr è d e ch eva u ch a ien t su r la gr a n d e r ou te.
Ta n cr è d e con ce n t r a it t ou t e son a tten tion su r sa
m on t u r e; il é t a it m éd iocr e ca va lie r et r ed ou t a it à
ch a qu e in sta n t de vo ir son ch eva l en t r er en con flit
a ve c un e au tom obile. Ce t t e p r éoccu p a tion le r en d a it
silen cieu x, m a is cela n ’é t a it p oin t d e n a t u r e à su r
p r en d r e sa com p agn e. Il ne p a r la it ja m a is beau cou p .
U n peu a va n t d ’a tt ein d r e la gr ille du p a r c des
a m is de M igu elin e, le je u n e h om m e so r t it de son
m u tism e p ou r s’en q u ér ir :
— Q u i t r ou ver on s-n ou s ch ez les La n d r a gu e t ?
— M a is, d it M igu elin e, ét on n ée, p er so n n el II est
t a r d . N o u s n ’en tr er on s m êm e p a s; Gilb er t e et B r i
git t e n ou s a tten d en t p eu t -êtr e d é jà su r la p orte.
N o u s a von s ju s t e le tem p s d ’a lle r à Lu m ilh a c.
Ta n cr è d e n e pu t r et en ir cette excla m a t ion con
cise :
— Ah ! zu t !...
�LE
MAKI
DE
LA
R E IN E
27
Il ét a it visib lem en t d éçu , m a is M igu elin e n ’eu t
p a s le tem p s d e fo r m u ler u n e qu estion , ca r ils a r r i
va ien t au p oin t du r en d ez-vou s. L a gr ille , o u ve r t e
au la r ge , livr a le p a ssa ge à t r ois ca va lie r s vêt u s
sem bla blem en t : cu lot t e sau m u r , p u ll-over ch a m a r r é ;
su r le n om br e, d eu x ét a ien t d es je u n e s filles, et
l’a u t r e un vé r it a b le b o y d e seize an s. C ’éta ien t
M "°“ de La n d r a gu e t et leu r je u n e fr èr e.
Ta n cr è d e r e ga r d a les a m ies d e sa cou sin e a ve c
le r e gr e t qu e sa m èr e n e pût les vo ir sou s ce d égu i
sem en t. L a b a r on n e n ’a u r a it m êm e p a s cr ié, tan t
elle a u r a it ét é fu r ieu se.
L ’a în ée d e ces d em oiselles a ccu e illit Ta n cr è d e p a r
un « Bo n jo u r , vo u s ! » t r è s ca m a r a d e, et lui secou a
le b r a s a ve c la d er n ièr e violen ce. Sa ca d ette, qui
sa va it un peu p lu s d ’a n gla is, lui cr ia : « G o o d b y e ! »
d’un a ir con ten t de soi.
C ’ét a it , selon le ju gem en t in tim e d e Ta n cr è d e :
« d eu x d r ôles de p etites bon n es fem m es ». P a s jo
lies et n e sa ch a n t com m en t se fa ir e r em a r q u er , elles
s ’effor ça ien t d ’êt r e u lt r a -m od er n es. E lle s sifflaien t
d es a ir s n ègr es, fu m a ien t en p u blic, et, sou s p r é
t e xt e de sp or t, se costu m aien t en ga r ço n s le plus
sou ven t p ossible. Le u r m èr e, don t l’in t elligen ce n e
p ou va it êt r e con sid ér ée com m e b r illa n t e, t r o u va it
n a t u r el de vo ir ses filles se p r om en er à t r a ve r s
P o n t a lr ic d an s la m êm e ten u e qu e leu r fr è r e ,
p u isqu e n om br e de fem m es, a ct u ellem en t , a d op ten t
cette fa ço n de se vê t ir p ou r fa ir e du ski et de la
l'VSïe d an s les st a tion s d ’a lt itu d e.
P o n t a lr ic n e figu r a n t poin t d an s les st a tion s d ’a l
titu d e, ses h a b ita n t s ét a ien t tou t bon n em en t esto
m aqués.
... Gilb er t e et Br igit t e se m ir en t à r a con t er en
sem ble, en p a r la n t t r è s h a u t, u n e fo u le de ch oses
in sign ifia n tes, p on ctu ées du : « C ’est for m id a b le ! »
ou : « N ou s ét ion s tou s em p oison n és ! » qui r evien t
com m e un leit-m ot iv d an s les d iscou r s de la n ou
ve lle gén ér a tion .
Au m ilieu du r a m a ge in cessan t de ses com p agn es,
le je u n e M ick, r éd u it au silen ce p a r ses sœ u rs,
�28
LE
MARI
DE
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R E IN E
gu e t t a it le m om en t où on lui p er m et tr a it d e r a con
t er u n m a t ch de footb a ll, et Ta n cr è d e se d isa it ,
î'â m e em p lie de cr a in t e :
« E lle s von t e ffr a ye r P a n d o u r ; je ne p u is cep en
d a n t leu r d em an d er de cr ie r un peu m oin s ! »
Sa d écep tion a lla it s’a ccr o is s a n t ; il n e cessa it de
se r ép ét er :
« Q u elle d é ve in e ! n on , m ais qu elle d évein e!... Si
j ’a va is su, je n ’a u r a is p as o ffe r t à M igu elin e de
l’a cco m p a gn er à Lu m ilh a c. P o u r le p la isir qu e j ’en
a i, vr a i ! »
— M igu elin e ! s’é cr ia tou t à cou p le sop r a n o a igu
de Gilb er te, vo u s a i- je d it que n ou s com p tion s su r
R iq u et t e F r a yo l- La gu è ze , a u jo u r d ’h u i?
T a n cr è d e eu t u n m ou vem en t br u squ e. So n ch eva l
fit u n éca r t.
— N on , r ép on d it M igu elin e. E lle d eva it ven ir
a ve c n ou s ?
— E lle est n a vr é e ! in t er ca la p r om p tem en t B r i
git t e , cou p a n t la p a r ole à son aîn ée. J e lu i a va is
com m u n iq u é n ot r e p r o je t de vis it e r les r u in es de
Lu m ilh a c a ve c vou s et M. de P u ym ér a n . E lle a va it
p r om is d ’êt r e à la m aison p ou r d éjeu n er . M ais, à la
d er n ièr e m in u te, elle a télép h on é des r egr e t s : sa
m a r r a in e est a r r ivé e à l ’im p r oviste, je cr ois... M on
s ie u r ! je vou s en p r ie, ten ez vo t r e ch e va l!
Ce ci à l’a d r esse de Ta n cr è d e don t la m on tu r e,
sa n s d ou te n er veu se, fa is a it m in e de vou loir , pou r
la secon d e fois, je t e r le d ésor d r e d an s le peloton .
— E lle va s’ét er n iser , cette m a r r a in e ? qu estion n a
M igu e lin e d ’un ton in d iffér en t.
— O h ! n on . D e u x jou r s, p eu t-êtr e. Ap r è s , n ou s
a u r o n s R iq u et t e p en d an t qu elqu e tem p s à la m aison .
Se s p a r en ts con sen ten t à n ou s la p r ê t e r ; n ou s la
ga r d e r o n s le p lu s possible. E lle s’en n u ie à la ca m
p a gn e, et cet au tom n e P o n t a lr ic est a ssez g a i; il
fa u t en p r ofiter .
Le su jet R iq u et t e n e p a r a issa it p as in t ér esser
ou t r e m esu r e M igu elin e, n iais elle dit cep en d an t,
ir è s a im a b le :
— N o u s a r r a n ge r o n s qu elqu e ch ose à la m aison
�LE
MARI
DE
LA
RËI N E
29
d u r a n t son sé jo u r . Un e m atin ée... ou u n e com éd ie...
D it es-lu i qu e je ser a i ch a r m ée de la r ecevoir .
M " ” d e La n d r a gu e t r em er cièr en t . L a fa çon
qu’avait M igu e lin e d e p r on on cer les p h r ases les plus
sim p les le s p én ét r a it d ’a d m ir a t ion . E lle s 11c ch er
ch a ien t p oin t à la su p p la n ter , p a r ce qu e cela n ’éta it
pas p ossib le, m a is, in con sciem m en t, essa ya ien t d ’im i
t er ses ge st e s et ses in ton a tion s, com m e les petites
o u vr iè r e s qu i, s’a r r ê t a n t p ou r vo ir , le d im an ch e,
M n ° de Ger la n d c sor t ir de l'église, ten ta ien t de
cop ier ses r obes.
G ilb er t e et Br igit t e t en a ien t un peu l'em p loi de
d am es d ’h on n eu r a u p r ès de leu r am ie. C ’ét a it peutêt r e la r a ison p ou r la q u elle M igu e lin e a ccep t a it
leu r s m a n ièr es de b o y s m al élevé s et leu r a r go t ;
m ais, cela , on l’eû t bien su r p r ise en le lu i d isan t.
Ta n cr è d e , t o u jo u r s m or ose, ab a n d on n a le reste
de la sociét é p ou r a lle r p h ot ogr a p h ier les r u in es du
cloîtr e. I l p a r a iss a it com p lètem en t d ém or alisé.
Lo r s q u ’il r e vin t a u p r ès de scs com p agn on s, il
ét a it q u estion d e m a tin ées d a n sa n t es et d e soir ées
de com éd ies. Gilb er t e d it qu e l ’on t â ch e r a it de g a r
d er M “ ° F r a yo l- La gu è ze p en d a n t un m ois. Alo r s
or, p o u r r a it jo u e r du cla ssiq u e, p ou r fa ir e p la isir à
M . d e G e r la n d c; R iq u et t e fe r a it un e Agn è s d éli
cieu se. C ’ét a it la d er n ièr e in gén u e.
— Vo u s se r e z en cor e à P o n t a lr ic, n ’est-ce p as?
in t er ca la B r igit t e en se t ou r n a n t ve r s le p etit bar on .
T a n c r è d e d e v in t r o u g e ; il b a fo u illa , d it « o u i » ,
P u is « n o n » , e t , p o u r c o n c lu r e , « q u ’i l n e s a v a it
Pas
••• Le r et ou r s ’a ccom p lit a ve c célér ité, ca r les
La n d r a gu e t d eva ien t d a n ser , le soir , ch ez le colon el
d 'Ar lem on t . RÎigu clin e, un e fo is seu le a ve c T a n
cr èd e, com m en ça p a r se t a ir e ; en su ite, elle d e
m an da :
~ Com m en t les t r o u ve s -t u ?
T a n c r è d e e u t u n e g r im a c e e x p r e s s iv e .
— E lle s p a r len t ! ! ! d it -il sim plem en t.
— C ’est vr a i, m a is elles son t ge n t ille s , d an s le
fon d , Si, c’cst vr a i, je t’a ssu r e. Ain s i, tu vois, p ou r
�3o
LE
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DE
LA
RE IN E
leu r p etite am ie Riq u ette, elles... E h bien ! Ta n cr è d e ,
q u ’est-ce qu e tu a s ? J e t ’en p r ie, n e scie p as la
b ou ch e de P a n d o u r com m e ce la !... T u va s le fa ir e
ca b r er .
Ta n cr è d e r ou gissa it et ve r d iss a it d an s la m êm e
secon d e. F in a lem en t , il a r t icu la d ’u n e vo ix t r em
bla n te :
— M igu elin e, écou te... To u t le jo u r j ’a i vou lu te
d ir e qu elqu e ch ose, et je n ’ai ja m a is pu.
L a jeu n e fille, en n u yée, p en sa :
« I l va m e fa ir e un e d écla r a tion ! D ieu ! qu e c’est
d ésa gr éa b le ! »
— T u n e le d ir a s p as à m a m a n ? r ép éta Ta n cr è d e ,
don t le vis a ge a tt eign a it la color a t ion d ’un e tom ate.
Ce t t e fois, M igu elin e fu t d ér ou tée :
— P ou r q u oi veu x-tu te ca ch er de ta m èr e?
— P a r ce que, si elle le sa va it , elle m ’en lèver a it ,
m ais, là ...! exp liq u a Ta n cr è d e a ve c sa p h r a séologie
p r op r e. Ça n e lui fe r a au cu n p la isir d ’a p p r en d r e
que je su is en ga gé.
Su r le m om en t, M igu elin e n e com p r it p as le sen s
e xa ct d es p a r oles d e son cou sin . E lle r ép ét a , in cr é
d u le :
— T u t ’es en ga gé ?... M ais... d an s qu elle a r m e?
— Il n e s’a git p as de ça ! s’écr ia le jeu n e b a r on
de P u ym ér a n , im p atien té. J e su is... p as tou t à fa it
fia n cé, m ais pr esque. Ou i, j ’ai dit à Riq u ette F r a yo lLa gu è ze que je l'aim e. J e l’ai r en con tr ée p lu sieu r s
fo is ch ez des am is... J e l’a d or e et je ser a i un bon
m ar i, com m e elle sera un e fem m e d élicieu se. C ’est
vr a i, va ; tu n ’a s pas besoin de me r e ga r d e r com m e
un ph én om èn e ! con clu t-il, légèr em en t ve xé .
T o u t d ’abor d , M 1'" de Ger la n d e d em eu r a san s
vo ix. E lle ét a it st u p éfa it e et au ssi — cela , elle en
con ven a it fr a n ch em en t a vec elle-m êm e — un peu
fr oissée. Com m en t ? ce Ta n cr èd e si p r éven a n t,
a t t e n t if à s a t is fa ir e scs m oin d r es d ésir s, a va it le
cœ u r plein de R iq u et t e? Il éta it fia n cé? Il a va it eu
le co u r a ge de se d écid er san s p r en d r e l ’a vis de sa
m èr e ?f
�LE
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DE
LA
R E IN E
3 i
I l lui fa llu t u n e m in u te p ou r r e ve n ir de sa su r
prise.
- 7 J e ne te r ega r d e p as com m e un ph én om èn e,
m ais j ’ét a is à cen t lieu es de m ’a tt en d r e à cette n ou
ve lle !... T u va s ép ou ser R iq u et t c ?... Qu a n d m a tan te
l’ap p r en d r a ... !
E lle sou r it et t er m in a , t r ès bon n e p r in cesse :
— P o u r m oi, je su is en ch a n tée d e t ’o ffr ir m es
fé licit a t ion s. T a p etite fia n cée est ch a r m a n t e, et,
cer t a in em en t , a ve c toi, elle con n a ît r a le b on h eu r .
M a is excu se-m oi : je n e p u is m ’h a b itu er à cette
idée. T o i! t o i! fa ir e cela en ca ch et t e d e ta m è r e !
Ta n cr è d e , un p eu con fu s, in t er r om p it :
— Q u e ve u x- t u ! il n ’y a va it p as m oyen d ’a gir
a u tr em en t ! Le s p a r en t s de R iq u et t c n e veu len t p as
en ten d r e p a r ler d ’en ga gem en t officiel a va n t six
m ois ; ils t r ou ven t les d ix-h u it an s d e leu r fille tr op
jeu n es p ou r en tr er en m én a ge. Alo r s , com m e m a
m an je t t e fe u et flam m es a u p r em ier m ot, j ’a i ju g é
in u tile de m e t a ir e a cca b ler de r ep r och es à l’a va n ce.
— J e n e te com p r en d s p as tr ès bien , d it M igu elin e a ve c u n e ce r t a in e h a u t eu r . S i tu a im es vr a i
m en t R iq u et t e, tu d e vr a is a vo ir l’én er gie d ’im p oser
t a volon té. M oi, à ta place...
—• Ou i, toi, à m a p la ce, fit Ta n cr è d e a ve c un
sou pir. M a is, m oi, à la m ien n e..., c’est d iffér en t !
M igu elin e l’en velop p a d ’un r e ga r d p lein de con
d escen d an te p itié. E lle p r on on ça du ton que l’on
pr en d p ou r p a r ler à u n petit ga r ço n :
— Si tu le d ésir es, je p o u r r a is m e ch a r ge r d’a ve r
t ir m a t a n t e ?
— A h ! m a is n o n ! m ais n o n !... 11 n e fa u t p a s !
p r ot esta Ta n cr è d e , ép ou va n té. P en d a n t s ix m ois,
j ’a u r a is un e e xist en ce in fe r n a le !... J e t ’a i r a con té
cela, ca r j ’en ét ou ffa is... E t p u is, en n e vo ya n t pas
Riq u ette a ve c les La n d r a gu e t , a u jo u r d ’hu i, j ’a i Pr îs
p eu r . S i elle a lla it n e p lu s vo u lo ir ?... O h ! je sais
bien , elle veu t. Seu lem en t, je tr em b le t ou jou r s. J e
n ’a i gu è r e l’h a b itu d e de m e d éb r ou iller tou t seul...
M igu elin e, r ép on d s-m oi fr a n ch em en t : \ tan a vis,
�3ü
LE
M AR I
DE
LA
REIN E
a i- je bien fa it de m e fia n cer ? T u n e t r o u ve s p a s ça
id iot d e m a p a r t ?
M “ ° de Ger la n d e, d on t l’a m ou r -p r op r e ve n a it
d ’êt r e cr u ellem en t fr o is sé , r ép on d it , m isér icor
d ieu se :
— M a is cer t a in em en t n o n ! J e te le r ép ète : ta
fia n cée est u n e d élicieu se je u n e fille. E lle d oit a vo ir
un ca r a ct è r e excellen t .
— T u es gen t ille de m e le d ir e ! s’écr ia Ta n cr è d e ,
tr a n sp or t é. Et ... — il h ésit a — écou te en cor e... D e
sa p a r t à elle... tu n e le ju ge s p a s id iot n on p lu s?
Il a tten d it l’o r a cle, en r et en a n t son sou ffle.
— M a is n on , r ép liq u a M igu elin e ; vou s se r ez p a r
fa item en t a ssor t is.
I l éta it d ifficile d e sa vo ir si elle m et ta it d an s ces
m ots un e in ten tion d e com p lim en t.
IV
M. de Ger la n d e, en fer m é d an s sa b iblioth èqu e,
a r p e n t a it son geu sem en t la va ste p ièce ba p tisée p a r
M igu elin e : « le Sa in t d es Sa in t s ».
Ce t t e r éflexion m élan coliq u e vin t à ses lè vr e s :
—
J e d on n er a is ch er p ou r t r o u ve r un m oyen d e
r e n voye r M a d elein e d an s ses fo ye r s sa n s êt r e im
poli. J ’en su is e xcé d é !... Ta n cr è d e d e vr a it p r é vo ir
qu e je n e l’a ccep t er a i ja m a is p ou r gen d r e , n e fû t -ce
qu e p a r m an qu e d e sym p a th ie p ou r sa m èr e ! Lu i est
un bon p etit ga r ço n , m ais...
I ci, l’on cle du d it Ta n cr è d e in t er r om p it son va -e t vie n t p ou r d ir e : « Q u ’est-ce qu e c’e s t ? ...» ca r un e
m ain h eu r ta it à sa p orte.
Au t r a ve r s du b a t ta n t , la vo ix d ’un d om estiqu e
rép on d ît :
�LE
MARI
DE
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33
— M. l’abbé M o u r r o u x vo u d r a it vo ir M on sieu r
le com te.
M. de Ger la n d e, r a ssér én é, cou r u t t ir er le ve r r o u .
Dep u is l’a r r ivé e de la b a r on n e, il r ed ou ta it les in
cu r sion s d an s son sa n ctu a ir e. D e u x p r éca u tion s
va len t m ieu x qu ’une.
Le visit eu r , san s d ir e b o n jo u r ni b on soir , ten d it
la m ain en in t er r o gea n t , su r p r is :
— P ou r q u oi vou s b a r r ica d e z-vo u s ?
P u is, san s a tt en d r e la r ép on se, il m a r ch a d r oit
ve r s un p etit ba h u t su r lequ el ét a it p osé un va s t e
pot à t a b a c d e m a r b r e r ou ge. I l fo u r r a ge a d an s
l’e xca va t io n , ch oisit ce qu ’il lui fa lla it et com m en ça
p a r se fa ir e un e ciga r et t e . Ap r è s , il d it, a ffa b le :
— N e vou s gên ez pas, Ger la n d e ! F a it e s com m e
ch ez vou s !
Le com te se m it à r ir e. Il ét a it accou tu m é a u x
m an ièr es d e son am i.
— Vo u s a llez bien , l’a b b é? d it -il. J e vou s a tt en
d ais a ve c im p atien ce.
— Ch a r m é d ’a p p r en d r e qu e l’on p eu t d ésir er m a
pr ésen ce, r ip osta le n ou vea u ven u . J ’ét a is ch ez les
Ba va s... Vo u s ser ez bien a im a b le de m e d on n er du
feu... M er ci !... J e cla ssa is leu r s a r ch ives. C ’était
dan s un d ésor d r e, m on ch er ! F igu r ez-vo u s...
Il s’in ter r om p it p ou r sa isir u n e b r och u r e d an s
l’am as de p a p ier s ét a lés su r le b u r ea u :
— Tie n s ! vou s a ve z r eçu la p laq u ette de M gr Ciovis Ba n n elier , su r le M a r t y r e d u P è r e H ic r o n y m e ,
c a p u c in . Il n e m e l’a p as en cor e d on n ée, à m oi !_
— J e vou s en p r ie, la issez cela tr a n q u ille ! s’écr ia
M. de Ger lan d e. Vo u s p ou vez bien m e con sa cr er
cin q m in u tes, voyon s !
— J e vou la is sim p lem en t vo ir la d éd icace... Il est
a im a b le; m on com p lim en t!... Vo u s sa vez q u 'il est
for tem en t qu estion de lui p ou r l’in s t it u t ?
En d ’a u t r es tem ps, M. de Ger la n d e eû t m on tré un
v if in tér êt. Cet t e fois, il r ép liq u a , im p atien té :
— J ’ai bien la tête à ce la ! Im a gin e z-vou s : m a
belle-sœ u r est en cor e ici !
L ’abbé posa la b r och u r e et p r it un fa u teu il.
294-n
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, — Ce la n e m ’éton n e pas, d it-il, t r ès ca lm e.
M . d e G e r k n d e esp ér a it u n peu plu s de sym p a th ie
d an s son m alh eu r .
— C ’est tou t ce qu e vou s m e d it es?
L ’abbé M o u r r o u x étu d ia les p ein tu r es du p la fon d
à t r a ve r s les volu t es d e fu m ée bleu e. I l sou r it :
— Si vou s y ten ez, je p u is a jo u t e r : « J ’en tr e
d an s tou s vos sen tim en ts... q u els q u ’ils soien t ! »
— M on ch er , fit le com te d an s un sou p ir , m a
b elle-sœ u r est un flé a u ! Ba va r d e com m e t r ois m ou
lin s ! a u t o r it a ir e à r en d r e des p oin ts à tou s les vie u x
t sa r s de M o s co vie !... E t cela en cor e n ’est rien ...
— M â t in ! fit l’abbé. P o u r m oi, c’est bien qu elqu e
ch ose ! Alo r s je vou s plain s... D it es-m oi : où en
êt es-vou s de vo t r e h ist oir e de P o n t a lr ic? J e vou s
a p p or t e u n e p ièce t r ès cu r ieu se. J e l’ai cop iée ch ez
le m ar q u is de Ba va s , à vo t r e in ten tion .
— T r è s a im a b le, m e r ci! d it le com te, san s m on
t r e r a u t r em en t d e gr a t it u d e . P o u r l’in sta n t, je n ’ai
gu è r e l’esp r it t ou r n é ve r s ceci.
L ’abbé M o u r r o u x r it fr a n ch em en t et r ega r d a son
in t er lo cu t eu r d ’u n e fa ço n tr ès a m ica le :
— Vo u s m a r iez d on c vo t r e fille?
— N on , r ép liq u a M. de Ger la n d e, so u cie u x; m ais
j ’ai p eu r d e la m a r ier . Com p r en ez-vou s?... E co u t e zm oi, l’abbé, et vou s m e d on n er ez vo t r e a vis sin cèr e :
P e n s e z-vo u s q u ’il soit p ossib le de s’ép r en d r e d ’un
p et it p a n tin com m e m on n eveu Ta n cr è d e ?
L ’abbé r éfléch it u n e secon d e, afin de p r o fé r e r un
ju ge m e n t é q u it a b le; en su ite il la issa tom ber , d é
cis if :
— N on !
C ’é t a it san s ap pel. Im m éd ia tem en t a p r ès, tou te
fo is, il a tt én u a la sé vé r it é de son ve r d ict :
— Ce n ’est p as sa fa u te. Il est gen t il, ce jeu n e
h om m e; m ais M 1"" de P u ym ér a n ...
— O u i, elle l'a com p lètem en t a n n ih ilé, a b r u ti,
con st a t a l’on cle du « ge n t il je u n e h o m m e» , a ve c
sa t isfa ct ion . Don c, à vo t r e a vis, Ta n cr è d e n ’est pas
d a n ge r e u x ?
•— Vo u s cr a ign e z de vo ir vo t r e fille s’a m ou r a ch er
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de lu i? s’écr ia l’abbé M ot ir r o u x, stu péfié p a r cette
p er sp ect ive. U n e fem m e su p ér ieu r e com m e elle
p ou r r a it a cco r d er cin q m in u tes d ’a tten tion à un
ga r ço n a u ssi m al d ou é au p oin t de vu e in t ellectu el ?
Allo n s d on c!... D ieu m e p r é se r ve d e vo u lo ir d im i
n u er vo t r e n eveu à vos ye u x, m ais en fin... il est
ign or a n t com m e u n e ia r p e !
— Ou i, m ais il jo u e tr ès bien a u ten n is.
— E s t -ce u n e r a ison p ou r ou b lier qu ’il est in ca
pable de t r a d u ir e le m oin d r e t e xt e la t in ?... U n
gen d r e p a r eil n e vou s ser a d ’au cu n secou r s p ou r
vos r ech er ch es. Vo u s con fier iez le b on h eu r d e vo t r e
fille a u p r em ier ve n u , sim p lem en t p a r ce qu ’il sa u r a
la n cer des b a lles d an s les a ir s en cr ia n t de tem ps
en tem ps un m ot a n gla is ! C ’est in vr a isem b la b le !
L ’abbé M o u r r o u x se leva d ’un je t p ou r a r p en t er
la p ièce, selon son h a b itu d e lor sq u ’u n e ch ose l'a ga
ça it. Sa n er vosité le m etta it en p er p étu el ét a t d ’ir r i
tation ; il co u vr a it des kilom èt r es ch a q u e jo u r . I l
jo ign a it à ce fo o t in g en ch a m b r e le gest e de t ir er
su r u n e gr o sse t ou ffe de ch e ve u x en cor e n oir s,
p lan tés au -d essu s d ’un va st e fr o n t in t elligen t .
— N e vo u s a r r a ch e z p a s les ch e ve u x, p r en ez
p lu tôt u n e a u t r e ciga r e t t e , con seilla le p èr e de M igu elin e, am u sé. J e n ’ai a u cu n e en vie de d on n er m a
fille à Ta n cr è d e .
— E li bien ! a lor s, gr in ch a son am i, p ou r qu oi m e
r a con tez-vou s cet t e h ist o ir e ?
— P a r ce qu e je cr a in s, con n a issa n t M a d elein e d e
P u ym ér a n , d ’a p p r en d r e qu e cette m èr e a visé e a it
réu ssi à r ep r ésen t er son fils sou s les t r a it s du m a r i
p a r fa it , d isp osé à se la is se r m en er a ve c un r u ban .
M igu elin e est un e fille ch a r m a n t e, m ais, d an s la vie
con ju ga le, elle ser a d ia blem en t a u t o r it a ir e ! Il fa u t
vo ir les ch oses et les fem m es t elles qu e n a tu r e, et
n on se cr é e r d es ch im èr es. J ’a d or e m a fille ; m ais,
je su is fo r cé d ’en con ven ir , elle n ’est pas san s
d éfa u t s ; elle e xige r a de son m ar i ces q u a lit és qu e
n ou s a u tr es, h om m es, aim on s à t r o u ve r d an s u n e
ép ou se : t ou t d ’a b or d la d ocilité.
« Oh ! je le r econ n a is, il y a bien là un peu de m a
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fa u t e ! J e n ’a i ja m a is su d ir e n on à M igu elin c..., et
p u is, si j ’a va is d it n on , c’eû t ét é du p a r eil a u m êm e.
E lle est Ger la n d e ju s q u 'à la m oelle. Le s Ger la n d e
on t t o u jo u r s eu d es ca r a ct è r e s de fe r . M oi, je su is
p eu t -êtr e un e excep tion , et e n co r e !... Su r cer t a in s
p oin ts, je n e céd er a i ja m a is. »
— E xe m p le ? d it l’abbé a ve c un p etit sou r ir e g o
gu en a r d .
— E xe m p le : p ou r r ien a u m on d e, je n e con sen
t ir a i à m e sép a r er de m a fille. Vo u s a llez me ju ge r
bien égoïste, m ais, s’il fa lla it m e r e t r o u ve r seu l dan s
cette vie ille m a ison qu ’elle r em p lit de tou te sa je u
n esse, vo ye z-vo u s, l’abbé..., j ’ai beau êt r e solide
com m e u n ch ên e, je n ’y r é sist er a is pas. J ’ai p er d u
m a fem m e je u n e e n co r e ; j ’a i r en on cé à tou t pou r
ce bébé q u ’ét a it a lo r s M igu e lin c. Rien n ’a plus
com p té p ou r m oi; elle d eva it p a sser d ’abord . J e ne
m e ju ge p oin t h ér oïq u e : lor sq u ’on don n e la vie à
un en fa n t , on lui d oit le bon h eu r com m e le p ain et
le vêtem en t . J e d ésir e p a r -d essu s tou t vo ir m a fille
h eu r eu se. M a is est-ce cou p ab le de sou h a it er vivr e
d es m iettes de cet t e jo ie ?
— N on , r ép on d it l’abbé, t r ès sé r ieu x, à la con d i
tion de n e p as êt r e u n e en t r a ve, un em p êch em en t à
la jo ie qu e l’on ve u t d on n er . E xcu se z-m o i : je
cr o ya is qu e vo t r e vœ u secr et ét a it d e con t in u er à
m en er l’exist en ce p r ésen te san s a u cu n e m od ification .
— M a is c’est im p ossible ! et ce ser a it, p ou r le
cou p , d ’un m on st r u eu x égoïsm e ! p r otesta M. de
Ge r la n d e vivem en t . J ’ai b ea u cou p r éfléch i... Ce n ’est
p as t o u jo u r s t r è s ga i, la r éflexion , sa ve z-vo u s ? J ’ai
b ea u m e sen t ir solide, je ne su is plus jeu n e. Un jo u r
vie n d r a où je d is p a r a ît r a i; a lor s, qu el br a s m a fille
t r o u ve r a -t -e lle com m e a p p u i? V o u s p en sez, je le
d evin e : Le s je u n e s filles a ct u elles son t én er giq u es,
cou r a geu ses, d éb r ou illa r d es, p ou r em p loyer leu r
t er m e fa vo r i. M on ch er , n e les cr o ye z pas tellem en t
p lu s h a b iles à se t ir er d ’a ffa ir e que leu r s aîn ées.
E lle s on t, cela est vr a i, des q u a lit és d ’en d u r an ce,
d ’a ct ivit é , à peu p r ès in con n u es en 18 8 0 ; elles
sa ven t su r t ou t —- je les en fé licit e — r e ga r d e r la
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r éa lit é en fa ce san s b a isser les ye u x, et n e se n ou r
r issen t p as de ch im èr es b leu es ou r oses, com m e le
fa isa ien t n os sœ u r s. L a vie n ’est n i b leu e n i rose,
m ais, à tou t p r en d r e, elle n ’est pas si m a u va ise que
cer t a in s le p r ét en d en t ; il s’a git de s a vo ir s’en
accom m od er san s en fa ir e u n d ra m e.
« Seu lem en t ces p etites sp or t ives, m u sclées, r éso
lues et, en sus, b a ch elièr es, son t com m e les a u tr es.
E lle s on t besoin de l’a p p u i d ’un br a s vir il. M igu elin e p a r a ît d iffér en t e de ses am ies, elle est m oin s
a m e r ic a n g ir l...
— P lu s « r ein e », in sin u a l’abbé.
M. de Ger la n d e n e r ele va p oin t le m ot :
— O u i, elle est m a ît r esse de m aison , elle sa it
com m an d er ... Co m m a n d er ! r ép ét a -t -il, p e n s if. Q u elle
d iffér en ce a ve c go u ve r n e r !... Sa u r a it -e lle go u ve r
n er , si je n ’ét a is p lu s là ?...
L ’abbé fu t t r è s su r p r is. J a m a is en cor e son am i n e
lu i a va it m on tr é le fon d de sa pen sée secr ète su r ce
su je t in tim e. Il ju ge a it com m e tou t le m on de M. de
Ger la n d e p èr e id olâ t r e, d on c a veu gle.
Ap r è s un silen ce, le com te r ep r it , t o u jo u r s sou
cieu x :
— E lle est r ich e p a r sa m èr e et le ser a d a va n t a ge
a p r ès m oi. J ’ai p eu r d e cet « a p r ès m oi » . L a fem m e
la plus in t elligen t e peu t a vo ir u n e m in u te de folie.
— I l fit un e ffor t p ou r sou r ir e. — Vo ye z T it a n ia
a m ou r eu se d ’u n e t ête d ’â n e !... Si je n e la vo is pas
m ar iée, qu i ch o isir a -t -elle ?... J ’esp èr e un h on n ête
hom m e, m ais p eu t -êtr e r en co n t r er a -t -elle un h om m e
qu i a u r a sim p lem en t les a p p a r en ces de l’h on n êteté.
— O h ! p r ot esta l’abbé. E n con su lta n t la gén éa lo
gie du p r éten d an t...
M. de Ger la n d e se m it à r ir e.
— Vo u s êtes gén éa logist e a va n t tou t , m on ch e r ;
ce n ’est p as su ffisan t !
— E n som m e, d it l’abbé, vou s sou h a it ez p lacer
su r le ch em in de vo t r e fille un je u n e h om m e ch oisi
p a r vou s a p r ès u n e étu d e a p p r o fo n d ie ; vou s le d ési
r ez bien né, sé r ieu x, in telligen t...
— Ce la va d e soi ! in t e r ca la M . de Ger la n d e. J e
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ne p o u r r a i s u p p o r t e r la con ver sa tion d ’un im bé
cile !... E t ce q u ’ils son t... fa ib les, au p oin t d e vu e
in tellectu el, les a m is de M igu elin e ! Ar r a ch e z-le s au
vo la n t de leu r B u g a t t i « gr a n d sp or t », ils n e sa ven t
qu e d ir e ni qu e fa ir e ... Il fa u t en ou t r e, j ’y tien s
absolu m en t, le d écid er à r ésid er ch ez m oi, et, je le
com p ren d s, la p er sp ect ive n e d oit p oin t sem b ler en
via b le à t ou s ! J e n ’a u r a is pas a im é co h a b it er a vec
m es b ea u x-p a r en t s. J e n e p u is e xige r qu e m on
gen d r e soit p lu s ép r is de m oi qu e je n e l’ét a is de
m a belle fa m ille.
« S i Ta n cr è d e n ’é t a it pas un e fr a n ch e n u llit é,
s’il n ’a va it p a s d e m èr e, su r t ou t ! on a u r a it pu...
M a is n on !... D e s cou sin s ger m a in s ! E t p u is, il
m on te tr op m al. J e n e p ou r r a is con fier le bon h eu r
de m a fille à un ga r ço n qu i a p eu r d es ch eva u x.
C ’est p a r tr op r id icu le !
— D ’a illeu r s, M "° d e Ger la n d e ne vo u d r a it pas,
r em a r q u a son am i, en op ér a n t un n ou vea u m ou ve
m ent ve r s le p ot à tab ac.
— Vo ilà , fit le com te, en n u yé : m ain ten a n t, j’ai
p eu r q u ’elle n e ve u ille !
L ’abbé M ou r r o u x, écr a sé, r en ver sa le pot à tab ac.
Il r ega r d a M. de Ger la n d e et d it sim p lem en t :
— Non ?
■
— C'e s t p o sit if. D ep u is d eu x jou r s, elle p a r a ît le
p r en d r e a u sér ieu x. J e n ’en ai p as d or m i. P e u t -ê t r e
est-ce un e n ou velle fa çon de se m oq u er d e lu i? Le s
fem m es son t tellcm em d ér ou t a n tes !... M a is vou s le
sa vez bien .
L ’abbé d it tou t d e su ite qu ’il l’ign or a it , D ieu
m er ci !
Ap r è s un a ssez lon g silen ce, ces m essieu r s, d ’un
com m un a ccor d , se d ir igè r e n t ve r s le bu r eau .
— To u t s’a r r a n ge r a t r è s bien . Tr a va illo n s , d it
l’abbé.
— Tr a va illo n s , r ép liq u a , du m êm e ton , M. de
Ger lan d e. Vo u s a i- je m on tr é...
Il s’a r r ê t a n et. Ta n cr è d e a p p a r a issa it , n on plus
r ou ge, cette fois, m ais vio le t , l’a ir a b solu m en t ir r a
dié. Du seuil, il cr ia :
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— M on on cle !...
L ’é m o t io n l'e m p ê c h a d ’a jo u t e r u n e s y lla b e d e
p lu s . M. d e G e r la n d e n ’y p r it p o in t g a r d e ; il p r o
n o n ça , sa n s se r e t o u r n e r :
— C ’est toi, m on ga r ço n ?... J e su is o ccu p é ; laissem oi tr a n q u ille.
Le petit b a r on de P u ym é r a n n e p r it p as ces
m ots p ou r u n e in vit a t io n à r en on cer à ses p r o je t s
de visit e. I l en tr a r ésolu m en t d an s le « sa in t des
sa in ts ».
— Mon on cle, lâ ch e z vos vie u x p a p ier s u n e m i
n u te, s’il vou s p laît... Ah ! M on sieu r l’abbé, p a r d on !
J e ne vou s a va is pas vu . Ça n e fa it r ien , je vou s
r a con t er a i tou t de m êm e. — Il se t r ou b la it , et,
m a lgr é ses effor t s, la jo ie é cla t a it su r son visa ge. —
M on on cle...
— O u i, je le sa is, je su is ton o n cle ! P a r le d on c!
in vit a M. de Ger la n d e, im p atien té.
— E h bien ! c’est fa it ! s’écr ia Ta n cr è d e , se d éci
d an t. C ’est for m id a b le, n ’est-ce p a s? Ce m atin en
cor e, je..., en fin j ’h ésit a is, et ça y e s t !... J e su is
con ten t ! ! !...
Il e xu lt a it . L'o n cle in t e r r o ge a , sa isi d ’un e va gu e
in q u iétu d e :
— M a is qu ’est-ce qui est fa it ?
— J e suis fia n cé ! lâ ch a Ta n cr è d e . E t il s’assit.
Le s d eu x h om m es, con ster n és, se r ega r d èr en t.
C ’é t a it l’e ffo n d r e m e n t .
— M es a ïe u x ! p r o fé r a l'a b b é M ou r r o u x.
Il a va it cou tu m e de p r en d r e à tém oin les m ân es
d e ses a n cêt r es d an s tou t es les cir con st a n ces de la
vie. Ce la a ga ça it p r od igieu sem en t M . de Ger la n d e,
cette fo is su r tou t. I l s’écr ia :
— L a is s e z - le s d o n c t r a n q u ille s , v o s a ïe u x , l’a b b é !...
Q u e lle r a g e a v e z - v o u s d e le s m e t t r e à t o u t e s s a u c e s !
— J e su is fian cé, r ép éta Ta n cr è d e a ve c c o m p la i
san ce. C'e s t fo r m id a b le !... J ’ét a is d é jà en ga gé, m ais
ce n 'ét a it p as d éfin it if. To u t à l’h eu r e, en jou a n t
a u ten n is ch ez les La n d r a gu et ..., c’est-à -d ir e pen
d an t qu e les La n d r a gu e t jo u a ie n t a u ten n is a ve c
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M igu elin e, R iq u ct t e et m oi som m es a llés du c ô t é d e
la fa isa n d e r ie , où il y a un p etit ban c...
— Q u i'ç â , R iq u et t e? in t e r r o ge a M. de Ger la n d e,
éberlu é.
Ta n cr è d e p a r u t écla t e r d ’or gu eil. Il exp liq u a , d is
t illa n t ses m ots :
— H e n r ie t t e I 'r a yo l-La gu è ze , la fille du gé n é r a l
F r a yo l- La gu è ze , vou s sa ve z? ... J ’ét a is au co llège
a ve c le fils ca d et, Gér a r d . Il sor ta it à la m a ison ;
vou s ne vou s r a p p elez pas, m on o n cle? U n gr a n d
m a igr e...
— Le bon D ieu te bén isse ! s’écr ia l’on cle, sou la gé
d ’un poid s tr ès lou r d . T u m ’a s fa it u n e fr a ye u r !
— A h ? P o u r q u o i? Vo u s m e ju gie z ca p a b le de
com m ettr e un e b êt ise?
— Ou i... n on ... je... je n ’a va is p as com p r is, b a
fo u illa M. de Ger lan d e, en sc r eten a n t au m om en t
d ’a jo u t e r : « C ’est p lu tôt m a fille qu i l’a u r a it fa it e ,
la bêtise !... »
I l ét a it tou t r a ssér én é, r a vi au ssi. Alo r s il d écla r a
tr ès a ffectu eu sem en t :
— M on ga r ço n , je su is en ch a n t é!... en ch a n t é!...
Tie n s , vien s d on c m ’em br asser .
Ta n cr è d e se la issa fa ir e . Il a u r a it em br assé la
t e r r e en tièr e. P a r r écip r ocit é de p olitesse, il a ssu r a :
— Vo u s êtes t r ès ch ic, m on on cle !
— M o i? fit M. d e Ger la n d e, gên é p a r le com p li
m en t. I l n e p en sa it p as le m ér it er .
— Ou i. Vo u s n ’a ve z p as cr ié. Vo u s n e m ’a ve z pas
d it : « Un gosse d e ton â ge !... etc., etc... » En fin ,
u n e p a r t ie de ce qu e m am an m ’o ffr ir a qu an d elle
sa u r a.
M. de Ger la n d e eu t p r esq u e p eu r :
— T a m èr e n e sa it r ien ?
— Non . J e l’ai d it a va n t -h ie r à M igu elin e. E lle
est t r ès d iscr èt e, M igu elin e. E lle n e l’a p as r ép été...
Vo u s p en sez, si m am an l’a va it a p p r is..., elle m ’a u
r a it je t é p a r la fe n ê t r e !
— Oh ! fit l’abbé. Il r it. Lu i au ssi ét a it con ten t.
— C ’est u n e fa çon de p a r ler , n a t u r ellem en t ! r e
p r it l’h eu r eu x fian cé de M "° Riqu ette. Com m e je
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ten a is à fa ir e p a r t a ge r m a jo ie à qu elqu ’un d e sym
p ath iqu e, je m e su is p r écip it é p ou r la con fier à m on
on cle... Ga r d ez-le p ou r vou s, n ’cst-ce p a s?
M. de Ger la n d e, p r is en tr e la p er sp ect ive des cr is
de sa b elle-sœ u r et le p la is ir de r ecom m en cer à
vo ir Ta n cr è d e à t it r e de sim p le n eveu , o b je ct a :
— M a is, voyon s, tu n ’a s p as le p r o je t de te
m a r ier san s le d ir e à ta m èr e?
— Si je le p ou va is, je le fe r a is . Ce la é vit e r a it
tellem en t de... h e u r t s ! M a is je n e p o u r r a i pas.
J ’atten d s. R ien n e p r esse..., et, lor sq u e le m om en t
ser a ven u , vou s vou s ch a r ge r e z de la m ission , n ’estce pas, m on ch er on cle?
Le « ch er on cle » p r om it. I l n e sa va it p lu s ce
qu ’il fa is a it . M igu elin e cessa it d e se m oq u er de
Ta n e r è d e , sim p lem en t p a r ce qu ’il a va it p r is cette
d écision h ér oïq u e de ch oisir un e fem m e tou t seul,
lui qu i n ’a va it p as le d r oit d ’a ch et er scs cr a va t e s !
M igu elin e — gr â ce au ciel ! — ét a it u n e fille sen
sée et r a ison n a b le : elle n e s’en tich er a it p as du p r e
m ier ven u . M. de Ger la n d e sou r it com p la isa m m en t
en évoq u a n t d e n ou vea u T it a n ia et la t ête d ’ân e,
bien qu e ce fû t là u n e com p a r a ison des p lu s d ésob li
gea n t es p ou r son n eveu .
Il se d it en cor e qu e cer t a in em en t Ta n cr è d e , d ’ici
peu, a u r a it lâ ch é son secr et à sa m èr e ; M a d elein e
n e t a r d e r a it p oin t à r e ga gn e r son logis, écu m a n te
de fu r eu r . L ’abbé a va it r aison : tou t s’a r r a n ge r a it
tr ès bien .
M a in t en a n t il fa u d r a it ch er ch er un m ar i p ou r
M igu elin e...
E n lu i-m em e, le com te d écid a qu e r ien n e p r essa it .
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LE
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LA
R E IN E
V
Le s sou r cils r a p p r och és p a r un p li têtu , sa p etite
bou ch e r on d e ser r ée lui d on n a n t un e exp r ession
p r esq u e m éch a n te, M igu elin e, a va n t de q u itt er sa
ch a m b r e, se r ega r d a au m ir oir .
P o u vo ir se d ir e : « Com m en t ? je su is au ssi jo lie
qu e ç a ? » est gén ér a lem en t un sp écifiqu e sou ver a in
con t r e la m a u va ise h u m eu r . M igu elin e, en fixa n t
son im a ge, ga r d a it u n e exp r ession fâ ch ée. Dep u is
h u it jo u r s , elle tou r m en t a it son p èr e p ou r lui a r r a
ch er l'a u t o r isa t io n d ’a lle r r ejo in d r e ses a m is au
M a r o c; p ou r cela , elle m etta it tou t en œ u vr e : câ lin er ies et b ou d er ies a lt er n ée s, m ais san s au cu n su c
cès, ce don t elle d em eu r a it st u p éfa it e.
M m<l de P u ym é r a n ét a it en p a r t ie r esp on sa ble de
ce con flit q u ’elle n e sou p çon n a it d ’a illeu r s n u lle
m en t. C ’é t a it p o u r fu i r sa p r ésen ce que la jeu n e
fille p r o je t a it d 'h ive r n e r au M a r o c .
M igu elin e s’exa m in a sévèr em en t, p u is sou r it à sa
r obe r o s e ; elle sou r ia it au ssi en se r ep r ésen ta n t la
fu r e u r de la b a r on n e qu an d elle a p p r en d r a it qu elle
su r p r ise lui r é se r va it le p a cifiqu e T a n cr è d e !
Ce t t e pen sée m it sou d ain un e lu eu r de ga ît é m o
q u eu se d an s ses p r u n elles b r illa n t es, ta n d is qu ’elle
so r t a it de sa ch a m b r e p ou r se d ir ige r ve r s le gr a n d
salon .
Com m e p a r h a sa r d , Ta n cr è d e , les m ain s d an s les
p och es, l’a ir in d iffér en t et le cœ u r en d ésa r r oi,
e r r a it d an s la ga ler ie. I l n e r ega r d a it r ien , sin on le
ca r t e l Lo u is X I V , a u som m et du quel u n e Ren om
m ée de b r on ze fa is a it sem b la n t de cr ie r les h eu r es
d an s u n e tr om p ette d or ée.
D a n s qu elqu es m in u tes, R iq u et t e ser a it là !... Il
fa is a it p a r a va n ce d es ye u x de ca r p e b r u ta lem en t
p lon gée d an s la fr it u r e . I l la ve r r a it tou t u n s o ir !...
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l! s’a ssié r a it à t ab le a u p r ès d’elle ! I S lle a ve c une
m a ju scu le, p ou r l’a m ou r de qu i n u lle a ct ion n e lui
sem blait tr op h ér oïq u e, p u isq u ’il n e cr a ign a it pas
d ’en tr er en con flit a ve c la b a r on n e d ou a ir ièr e de
P u ym ér a n , a r ch é t yp e de la ve u ve a u t o r it a ir e.
À vr a i d ir e, il la cr a ign a it h or r ib lem en t, m ais,
ceci, M "° F r a yo l- La gu è ze n ’a va it p as besoin d e le
sa voir . Ce t t e soir ée d eva it êt r e con sa cr ée à la joie.
Il n e fa lla it p as y m êler l’om b r e d ’u n e pen sée
am ère.
... M igu e lin e a p p r och a it, légè r e, su r ses petits
sou lier s r oses. Ta n cr è d e fixa it su r elle des ye u x
tou t p lein s d ’u n e a u t r e ; ceci lui, d on n a it l’a ir t r è s
a d m ir a t if. E n r éa lit é, il se d isa it :
« Q u ’elle est gr a n d e !... S i elle se m a r ie, il lui
fa u d r a un géa n t !... »
M igu elin e son gea it, voya n t le je u n e h om m e im m o
b ile d eva n t elle :
« Q u ’il est p etit !... Il a l’a ir d ’un p r em ier Co m
m u n ian t, ce p a u vr e ga r ço n ! »
— H e lio ! M igu e lin e ! s’écr ia Ta n cr è d e a ve c la
cor d ia lit é, la. d ésin volt u r e qu ’il m a n ifest a it seu le
m en t h or s la p r ésen ce m ater n elle.
Il p a r a issa it t r a n sfo r m é, e xcit é , t ou t a u tr e. M i
gu elin e in t er r o gea , cu r ieu se :
— Q u ’cst-ce qu e tu a s?
— M oi?... R ie n ! M a is, toi, tu as u n e t r è s jo lie
robe, d écla r a son cou sin , am èn e et q u a si b ien
veilla n t.
D ’abor d su r p r ise, la je u n e fille se m it à r ir e :
— M er ci p ou r R iq u et t e !... Ou i, n ’a ie d on c pas
cette figu r e a h u r ie. T u t ’en tr a în es a ve c m oi, je le
vois b ie n ; o h ! ça m ’est é ga l!... T u as l’esp r it tou t
plein de t a p etite fia n cé e; m a is c’est n a t u r el et
ch a r m a n t.
Le s d er n ier s m ots tom ba ien t, gr a cie u x, un peu
p r ot ect eu r s. Ta n cr è d e n e p er d it p as d e tem ps à s en
fo r m a liser . Il se r a p p r och a de sa cou sin e :
— M igu elin e..., j ’ai p eu r !
E lle r it en cor e :
— H eu r eu sem en t , tu n ’a va is p as l’â ge vou lu p ou r
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ê t r e sold a t p en d a n t la gu e r r e : tu n ou s a u r a is cou
ve r t s d e h o n t e!... T u as p eu r de q u i?... D e m a
tan te?
— Oh ! n on ..., p as p r écisém en t. E lle n e se d ou te
de rien , et m on on cle Lé on ce m ’a p r om is de lui
glis s e r la ch ose « en d ou ce », a u m om en t le plu s
fa vo r a b le ... I l est u n iqu e, ton p èr e, M igu elin e. T u
a s u n e fa m eu se vein e ! Il n e t ’em bête ja m a is, il te
p a sse t ou tes tes fa n t a isie s !
M igu e lin e se r em ém or a a u ssit ôt l’in vit a t io n de
son a m ie Gwen n ie Kin gsb u r y, le vo ya ge au M a r o c
r e fu s é p a r son p è r e ; elle se r em b r u n it et cou p a, t r ès
sèch e :
— Le s fa n t a isie s a u xq u elles je n e tien s p as, o u i;
les a u t r es, n on .
Br u sq u em en t elle lâ ch a , d eva n t son cou sin ébah i :
— J e su is fu r ie u s e ! fu r ie u s e ! fu r ie u s e !... P o u r
u n r ien , j ’a u r a is fa it d écom m a n d er ce d în er .
« A h ! b ien ! et R iq u et t e? p en sa Ta n cr è d e , saisi.
J ’ai d é jà 1111 m al de ch ien à la voir . M igu elin e a u r a it
fa it un jo li co u p ! »
T o u t h a u t, il r isqu a, tim id e et gen t il :
— T u en ve u x à m on o n cle? E cou te, je n e vo u
d r a is p as te fr o is s e r , m ais... je n e com p ren d s...
U n r ega r d fu lgu r a n t fit e xp ir e r les m ots su r ses
lèvr es. Ap r è s un in sta n t de silen ce t er r ib le, pen dan t
lequ el Ta n cr è d e r en t r a d ’in stin ct la tête d an s scs
ép a u les, M igu e lin e a r t icu la d ’un ton cou p an t :
— N a t u r ellem en t , tu n e com p ren d s p a s ! et tou t
le m on de, ici, a gir a it de m êm e. Si q u elq u ’un a t or t,
c’est m oi.
— J e n e d is p as cela , b r ed ou illa Ta n cr è d e , a ffolé
à l’id ée de s’a t t ir e r la m a lve illa n ce de sa cou sin e,
lequ el sen tim en t p o u r r a it bien h â t er la d ate de son
d ép a r t. M igu elin e !... E cou t e , M igu elin e : ve u x-t u
qu e je...
M igu e lin e le t oisa et r ép liq u a du bou t des lèvr es :
— M a is je n e ve u x r ien , m on p et it!
Ce t t e ép ith ète, a d r essée à un h om m e de t a ille e xi
gu ë, n e p ou va it êt r e con sid ér ée p a r le b én éficia ir e
com m e u n e gr a cieu set é. Su r le m om en t, Ta n cr è d e
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n ’y p r it p o in t g a r d e . I l n ’a v a i t p a s l ’id é e q u e sa
c o u s in e p û t c h e r c h e r à s e m o n t r e r s c ie m m e n t d é s a
g r é a b le .
L o r s q u e la je u n e fille l'e u t a b a n d o n n é a u m ilie u
d e la g a le r ie , R iq u e t t e n ’a r r i v a n t t o u jo u r s pas, il
s o n g e a t o u t à co u p , v e x é :
« E lle m ’a d it : « m on p et it ». M a is c'ét a it tr ès
« r osse » !
Ce t t e con clu sion sé vè r e su ivit tou t n a t u r ellem en t :
« Qu a n d elle se m a r ier a , m on cou sin d evr a êtr e
n on seu lem en t u n géa n t , m ais un typ e à p o ign e! Il
'a m u ser a , celu i-là ! Ah ! là, là ! J e lui en sou h a ite ! »
... L a m in e a ssez r ogu e, Ta n cr è d e vin t r ejoin d r e
sa fa m ille. M “ de P u ym ér a n , tou t en m oir e violett e,
a ve c un ch a r gem en t d ’a m éth yst es et d e b r illa n t s,
occu p a it un va s t e fa u t e u il Lo u is X V I , au coin de la
ch em in ée. Son exp r ession a im a b le, qu i fa is a it p a r t ie
in t égr a n t e de ses t oilet tes de cér ém on ie, m a sq u a it
com m e elle p ou va it u n m écon ten tem en t ext r êm e.
E lle t r o u va it la r ob e de sa n ièce b ea u cou p tr op
d écolletée, t r op « je u n e fem m e » ; à sa cr itiq u e tou te
m ater n elle su r cette fa ço n de s’h a b iller , M igu elin e
a va it r ép on d u a ve c u n e r a id eu r qu ’il fa lla it bien
r econ n a ît r e p ou r fr is a n t l’in solen ce. A ce p r em ier
g r ie f s’a jo u t a it u n a u t r e : tou s les h om m es d éjà
r éu n is au sa lon a va ie n t im m éd ia tem en t fo r m é le
cer cle a u t ou r de la jeu n e fille.
C ’é t a it d é s o b lig e a n t p o u r la b a r o n n e q u i s e t r o u
v a it , d e ce fa it , r é d u it e a u m u t is m e .
M. d e G e r la n d e m on t r a it à ses h ôtes un^ vis a ge
h eu r eu x, sou r ia n t , com m e de cou tu m e. I n t é r ie u r e
m en t, il é t a it m oin s s a t is fa it . Lo r s q u ’il r e ga r d a it sa
fille, c’ét a it p en sivem en t , tr istem en t.
M ig u e lin e , g ê n é e , d é t o u r n a it la t ê t e .
Ta n cr è d e en tr a p a r u n e p or te au m om en t où 1 on
in t r od u isa it p a r l’a u t r e un je u n e m én a ge don t la
vu e lui fit b a t t r e le cœ u r , ca r il s’a tt en d a it t ou jou r s
a vo ir a p p a r a ît r e sa b ien -a im ée.
I l f a l l a i t m a r q u e r u n t e m p s : c e n ’é t a it p a s e n c o ie
R iq u e t t e . I l c o m m e n ç a à s e b o u r r e le r s o i- m ê m e , su t -
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LE
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va n t l’e xcellen t e cou tu m e d es a m ou r eu x. Ce r t a in e
m en t, Riq u ette n e vien d r a it p a s!... E lle n e vo u la it
pin s de lui !... E t p u is M igu e lin e l’a va it a p p elé :
« Mon p etit ! » O u i, elle a va it eu cet ap lom b d e lu i
je t e r à la figu r e qu ’il ét a it p e t it ! O h !...
Il d evin t r ou ge et, a u ssit ôt a p r ès, tou t p âle. L a
p or t ièr e se sou leva it d eva n t un e n ou velle sér ie d ’in
vit é s ; un r a m a ge a igu r eten tit : cette fo is, c’ét a ien t
bien les La n d r a gu e t , a ve c Riq u ette !
Le jeu n e b a r on de P u ym ér a n cr u t vo ir t ou r n er
les fa u t e u ils du sa lon . Il se r ép ét a it , les d en ts
se r r ées :
—
De la p r u d en ce ! I l n e fa u t p a s é ve ille r les
sou p çon s de m am an en sa lu a n t Riq u ette. Ah ! la
ch ér ie !... E st -elle a ssez d élicieu se, ce soir !
M " c Riq u ette F r a yo l- La gu è ze a u r a it pu s e r vir d e
m od èle p ou r un e X m a s C a r d ( i ) . C ’ét a it u n e tr ès
ge n t ille p etite p ou pée, a u vis a ge ca n d id e en tièr em en t
r ose ; ses ch e ve u x a u b u r n cou p és cou r t s, fr is é s en
m ille b ou cles, lui d on n a ien t un peu l’a ir d’un a gn ea u
de cr èch e. Ta n cr è d e en ét a it fou .
Le d în er fu t an n on cé. Ta n cr è d e se t r o u va p lacé,
à tab le, çn tr e R iq u et t e et un e n ou velle m a r iée de
l’an n ée.
L ’in fo r t u n é ga r ço n , tr em b la n t d ’a t t ir e r su r lu i
l’a tt en tion m a t er n elle, s’effor ça it de n e r ien r e ga r
der, si ce n ’est les st a tu et t es du su r tou t. Il m a n gea it
en silen ce.
M igu elin e p r om en ait un r e ga r d sa t is fa it su r les
con vives. L a r éu n ion ét a it an im ée, la co n ver sa t io n
a ler t e, sp ir it u elle (Ta n cr è d e m is à p a r t ) ; les ca n d é
la b r es d ’a r gen t , t r è s h a u ts, ch a r gés d e b ou gies, à
l’a n cien n e m od e, écla ir a ie n t d es vis a ge s h eu r eu x.
U n e m a ît r esse de m aison sa it, d ès les p r em ièr es
secon d es, si la soir ée p eu t êt r e con sid ér ée com m e
r éu ssie. Ce lle -ci l’ét a it . Ce t t e con sta t a t ion d éten d a it
ses n e r fs , lor sq u ’un e qu estion m a len con t r eu se d e
son voisin de ga u ch e r em it un e om b r e d an s ses
ye u x sou r ia n ts.
(:) Carte de Chr istm as.
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I l p eu t p a r a ît r e in o ffe n s if à un m on sieu r de p oser
l’in t er r oga t ion b a n a le : « Co m p tez-vou s vo ya ge r cet
h ive r ? » C ’est ce qu e fit M. L e H e lle c, a n cien con se r va t eu r des E a u x et F o r ê t s, en r em p lissa n t son
a ssiett e de t r u ffes.
— J
en effet , le p r o je t de r e jo in d r e d es am is
au M a r oc, r ép liq u a M igu elin e d ’un e vo ix m esu r ée,
ext r ê m em en t d ou ce : les Kin gs b u r y. Vo u s les con
n a issez ? I ls se son t a r r êt és à la m aison a va n t d ’emb a r q u e r à M a r se ille.
— P a r fa it e m e n t , d it le colon el d ’Ar le m o n t , en
ch a n té d ’éch a p p er a u x d isser t a tion s de M “ ' de P u ym ér an su r les d ifficu lt és de la vie. J olie p er son n e,
lacb r Kin gs b u r y !... E lle est t r è s sp or t.
— O u i. E lle va su ivr e son m a r i d an s u n e ran d on n ée à t r a ve r s le bled . I ls vivr o n t sou s la ten te.
Ce d oit êt r e p a ssion n a n t !
— Vo u s d ésir ez con n a ît r e le p etit fr iss o n du dan ge r ? in t e r r o ge a le colon el, cet t e fo is légèr em en t
ir on iq u e.
— Ou i, j ’a d o r er a is ce la ! Ce se r a it u n e sen sation
n eu ve. Avo ir un peu p eu r , ce d oit êt r e d élicieu x...,
et j ’ai t o u jo u r s d ésir é vo ir le d é se r t ; cette im m en
sité est a tt ir a n t e... M on p èr e n e ve u t pas.
— M a fo i! je le com p r en d s! ém it M. L e H ellec.
D o r m ir à la belle étoile, a ve c des ch a ca ls pou r
voisin s, en vo ilà un p la is ir ! E t ça fin it q u elq u efois
t r ès m al, ces sor tes de p r om en ad es. Vo u d r ie z-vo u s
êt r e ca p t u r ée p a r d es d issid en ts et m ise à r a n çon ?...
— Y p en sez-vou s, m on ch e r ! in t er ca la M. d ’Ar le m on t, a ve c ses fa ço n s cou r t oises et r a illeu ses. M a is
les t r ibu s d issid en tes vien d r a ien t en fou le d em an d er
1 am an , si elles a va ie n t le b on h eu r de se t r o u ver su r
le ch em in d ’un e a u ssi ch a r m a n t e exp lo r a t r ice !
— Ce n ’est p as t r ès gen t il de vou s m oq u er de
m oi, colon el ! d it M igu elin e. Vo u s p a r t a ge z l’a vis de
m on p èr e? C ’est u n e fo lie ?
—
P o u r le m oin s u n e im p r u d en ce, r étor q u a
M . d ’Ar le m o n t . Le M a r o c n ’est pas com p lètem en t
pa cifié. Ou bien vou s fe r e z un vo ya ge tr ès ban al...
— E t p u is c ’e s t c h e r ! cou pa M 1"' d e L a n d r a g u e t ,
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LE
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m a n ifesta n t son esp r it d ’o r d r e et d ’écon om ie, bien
con n u de tou t le petit cer cle.
M ro* de La n d r a gu et , d on t le p èr e, en son viva n t ,
a va it fa it for t u n e d an s le com m er ce des p or cela in es,
n ’ét a it p oin t blasée su r le p la isir de p or t er au d oigt
les a r m es d e M. de La n d r a gu e t , m ais elle co n ser va it
p a r d ever s elle, a ve c gr a n d soin , la c le f du coffr e.
E n écou ta n t M igu elin e, elle ép r ou va it la fr a ye u r
d ’en ten d r e ses filles, t o u jo u r s p r êtes à cop ier leu r
am ie, d écla r er leu r in ten tion d ’em b a r q u er au ssi
p ou r le M a r oc. M mo de La n d r a gu e t vo u la it bien
fa ir e gr a n d e figu r e, m a is à con d ition qu ’il lui en
coû tâ t un tou t p etit p r ix.
On se m it à d isse r t er a ve c p a ssion su r les
ch a r m es du ca m p in g d an s la br ou sse. L ’assem blée,
en p a r fa it a ccor d un in sta n t p lu s tôt, m on t r a it un e
im p er cep tib le ten d a n ce à la d ésu n ion . Ce r t a in s m a
r is, don t les fem m es vou la ien t, p a r sn obism e, im iter
M igu elin e, p r ép a r a ien t d é jà le serm on d on t ils g r a
tifier a ien t leu r s ép ou ses, d ès le r et ou r au logis.
Com m e tou t le m on d e p a r la it à la fo is, Ta n cr è d e
en pr ofita p ou r le ve r le n ez qu ’il t en a it ju sq u e-là
b a issé ve r s les p or cela in es d e son o n cle; il gliss a
d iscr ètem en t à sa fian cée :
— Vo u s , n ’est-ce p a s, cela n e vou s d it r ien d ’a ller
au M a r o c? ( D ’un ton p lu s bas et a ve c b ea u cou p de
p assion .) M êm e en vo ya ge de n oces?
— Oh ! non ! d it Riq u ette d ou cem en t ; on eût dit
q u ’elle r ou cou la it.
C ’ét a it u n e p h r a se bien sim ple, m ais Ta n cr è d e
d evin t éca r la t e de bon h eu r .
— Ah ! vou s êtes gen t ille !... N ou s ir on s au ja r d in
tou t à l’h eu r e, d it es?... Ap r è s le ca fé , on p ou r r a
la isser les p a r en ts fa ir e un b r id ge. J e vo u d r a is vou s
vo ir au bord du b a ssin , p a r ce bea u cla ir de lun e.
Il
d even a it lyr iq u e. R iq u et t e o u vr it tou t gr a n d s
ses ye u x de m yosotis :
— P ou r q u oi?
— J e ne sais p a s...; un e idée qu e j ’ai. Vo u s la
t r o u vez st u p id e?
— Oh ! n on ! r ou cou la de n ou vea u M "° Riqu ette,
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E lle m it d an s ces d e u x sylla b es u n gr a n d sen ti
m ent, et se se r vit de l’en tr em et s.
Ta n cr è d e a u r a it vo u lu r em er cier le Cie l, em b r a s
ser tou t le m on d e, m êm e sa m èr e. I l était, tr a n sp or t é
et m u r m u r a d an s u n sou ffle :
— P r êt ez-m oi vo t r e cu illèr e, je vou s d on n er a i la
m ienn e.
— P ou r q u oi ? r ép éta en cor e Riq u ette, cette fo is
a ve c u n éton n em en t fa cile à con cevoir .
— P ou r ch a n ger .
Ce la se vo ya it . M " “ F r a yo l- La gu è ze p assa d ocile
m en t sa cu illèr e à Ta n cr è d e et r eçu t le m ê m e u st en
sile de ver m eil p ou r r em p la cer .
A l’ext r ém it é d e la tab le, M ick les r ega r d a it
cu r ieu sem en t. Il com p a r a it à p art soi Riq u ette, d an s
sa r obe d e t a ffet a s b la n c, à un sa c de bon b on s de
ba p têm e; et Ta n cr èd e..., évid em m en t, un jeu n e
h om m e en sm okin g n e p eu t évoq u er l’id ée d ’un e
boîte de d r a gées, m ais il n’a va it p as l’a ir in t elligen t ,
oh ! n on !...
Au m ilieu de la d iscu ssion gén ér a le , M igu elin e se
t a isa it , un én igm a t iq u e sou r ir e a u x lè vr e s . Ce si
len ce et ce sou r ir e en n u ya ien t le com te p lu s qu e n e
l’eu ssen t fa it des la r m es ve r sées d an s le p r ivé.
C ’ét a it u n e fa ço n de d ir e : « R a con t ez t ou t ce qu ’il
vou s p la ir a : j ’ir a i r ejo in d r e Gwen n ie Kin gs b u r y à
T a n ge r ! »
A p lu sieu r s r ep r ises, la jeu n e tdle a va it eu de ces
br u sq u es ca p r ices. Le p èr e d éb u ta it en op p osan t un
veto for m el ; a p r ès, il essa ya it d ’un fo r t beau d is
cou r s su r la r aison et ses m u lt ip les a va n t a ges . e
tou t a ve c un éga l in su ccès. Ce t t e fois, il en ser ai
de m êm e en cor e.
,.
« Ap r è s cela , son gea it le com te, m élan coliqu e, e c
m a n ifest er a l’in ten tion de p r en d r e p a r t a u n .g™
r aid d ’a via t io n . Le s fem m es d ’a u jo u r d hui s
effr a ya n t es. Si, p a r h a sa r d , il exist e
__
ga r ço n d ésir eu x de vo ir son fo ye r ga r d é, 11 ,
‘
se p r ocu r er u n ch ien !... J ’a u r a is du m a r ier
lin e à seize a n s ; m ain ten an t, j ’a u r a is la p a ix. »
Il r ega r d a sa fille p a r -d essu s les h gu r in
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LE
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Sè vr e s du su r tou t, et cette r éflexion lu i vin t su r -lech am p , d ém en tan t la p r em ièr e :
« Si je l’a va is m a r iée à seize an s, elle se r a it r e ve
n u e ch ez m oi, a p r ès a vo ir d it d es ch oses t r ès d ésa
gr éa b les à m on gen d r e... Alo r s p eu t -êtr e va u t -il
m ieu x n e r ien r e gr e t t e r . »
Le colon el d’Ar le m o n t ,-q u i n ’a im a it p as s’ét er
n iser su r un su jet , com m en ça it à en a vo ir a ssez de
ces q u estion s colon ia les. 11 in t er r ogea , sa n s ch er ch er
de t r a n sit ion :
— Dit es-m oi, Léon ce, qu el est d on c vo t r e d egr é
de p a r en té a ve c u n p ein tr e, de gr a n d ta len t, p a r a it il. C ’est u n cou sin à vou s, ce jeu n e Ger la n d e ?
— U n je u n e h om m e d e m on n om ? r ép éta le
com te, ou b lia n t du coup les ca r a va n es de sa fille.
D ’où sor t-il, cet o lib r iu s? Il n ’y a p as d ’a u t r e Ger
la n d e qu e m oi. J 'a i eu, il est vr a i, un fr è r e a în é,
m ais il est m or t à d eu x an s et, p a r con séq u en t, n ’a
pu fa ir e sou ch e !... Alo r s , de qu i d ia ble p a r lezvo u s?
—• U n p etit-cou sin éloign é, sa n s d ou te. J ’ai vu
son n om d an s un jou r n a l, à p r op os de je ne sais
qu elle exp osition . O n le d isa it tou t à fa it r em a r
qu able.
— J ’en con n ais u n , m oi, d écla r a Ta n cr è d e , ju s
qu ’à cet t e secon d e occu p é à sa vou r e r sa p êch e C a r
d in a l a ve c la cu illèr e de M " 0 R iq u et t e F r a yo lLa gu è ze . C'e s t p eu t -êtr e le m êm e. Un cop a in de
r égim en t.
Ce m ot : r égim en t, d an s sa bou ch e, p r od u isit un
effet e xt r a o r d in a ir e . Ch a cu n le r ega r d a . C ’ét a it a ve c
su r p r ise. O n sem bla it lu i d ir e : « Vo u s a ve z été
so ld a t ? C ’est u n e e r r e u r , san s d ou t e; vou s cr oyez
q u ’il s’a git du collège ! »
— T u a va is u n ca m a r a d e Ger la n d e, et tu n ’as pas
eu l’id ée de m e p a r ler de lui ? s ’écr ia le com te, m é
d iocr em en t ch ar m é.
— N on , d it Ta n cr è d e a ve c d ou ceu r , p a r ce que,
a va n t , je lui a va is p a r lé d e vou s, m on on cle, et il
m ’a va it r ép on d u qu ’il n e se sou cia it p as de r a t t r a p er
tou s ses p a r en ts in con n u s I D ep u is je n e sa is com
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MARI
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5*
bien d e tem ps, vo s b r a n ch es son t sép ar ées... M on
ca m a r a d e s’a p p elle F r a n ço is de Ger la n d e -M on t b r u l.
Ça vou s d it qu elqu e ch ose?
— P a r fa it e m e n t ! r ép liq u a le com te, a p r ès u n e
m in u te de r éflexion . C ’est le r a m ea u d it « d es v i
com tes de M on tb r u l » ; il a p r is n a issa n ce à la fin
du x v i i i 0 siècle. J e le cr oya is, lu i a u ssi, tom bé en
qu en ou ille.
— Il ne l’est pas, com m e j ’ai l’h on n eu r de vou s
l’a p p r en d r e ! d it Ta n cr è d e , ga îm en t . J e r e gr e t t e de
n ’a vo ir pu vo u s fa ir e con n a ît r e F r a n ço is , ca r c’est
u n ga r ço n t r è s ch ic; il vo u s a u r a it plu, ce r t a i
n em en t.
M ra° de La n d r a gu e t d r essa l’or eille. E lle a va it
d eu x t er r ib les filles à m ar ier . Ce je u n e p a r en t des
Ger la n d e eû t ét é bon à con n a ît r e, su r t ou t à ca p
tu r er .
— Com m e c’est cu r ie u x !... Com m e c’est cu r ie u x !
su ssu r a it cette m èr e a visé e et n on m oin s p r om p te
d an s ses r ésolu t ion s. E n vé r it é , c’est tou t à fa it
ch a r m a n t !... R e t r o u ve r des p a r en ts...
— C ’est q u elq u efo is t r è s em bêtan t ! cou p a le colo
n el, san s a m b ages. J ’ai d écou ver t de la sor te u n e
tr ès vieille cou sin e, lor sq u e j ’é t a is à Sa in t - Cyr . E lle
m ’o b ligea it à ve n ir la vo ir le d im a n ch e. J e m e r a sa is
ch ez elle, et je n ’a i ja m a is pu lu i a r r a ch e r un so u !
M mo de La n d r a gu e t lu i a cco r d a un d em i-sou r ir e
a ssez â cr e et se r et ou r n a sa n s d éla i ve r s le m a îtr e
de m aison :
— M a is tou t es les p er son n es n e se r e s s e m b le n t
p a s!... M oi, je ser a is en ch a n tée d ’a vo ir un p ein tr e
p arm i m es p r och es. J e r a ffo le cles a r t is t e s ! L ’a r t...
l’id éal... n ’est-ce p a s?
E lle ne put a lle r p lu s loin , fa u t e d ’e n t r a î n e m e n t .
L ’a r t et les a r t ist es figu r a ien t , à s e s ye u x, pa rm i
les ch oses p ér im ées el les in d ivid u s m é p r i s a b le s .
— Bien sû r ! fit M . d ’Ar lem on t , gou a illeu r .
— Et ..., p ou r su ivit la m èr e p r u d en te, d ’un air^
tach é, il n ’a p as d ’a u tr es... occu p a tion s, ce jeu n e
h om m e ?
,
—
11 e st r ic h e , d it T n n e r è d e . Ç a h ii p e r m e t d e
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LE
MAKI
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p ein d r e seu lem en t qu an d il a l’in sp ir a tion . J e n e lui
t r o u ve p as tor t.
— Vo u s d e vr ie z l’in vit er , M igu elin e, d écla r a Gilb e r t e ; il fe r a it voti*e p or t r a it . J ’esp èr e qu ’il a le bon
go û t d ’êt r e cu b iste ou fu t u r is t e ; sa n s cela ...!
U n ge s t e e xp licit e r e je t a it le p ein tr e d an s les
E s p a ce s et le Tem p s, vo ie de ga r a ge .
M igu e lin e se le va et r ép on d it, in d iffér en te :
— P ou r q u oi r ep r en d r ion s-n ou s d es r a p p or t s de
fa m ille a ve c un m on sieu r qu i d écla r e n e p as y
t e n ir ?
Vf
Au d eh or s, le ciel é t a it g r is et b a s ; on l'eû t dit
ou a t é d e n eige. D a n s la bib lioth èq u e, un b ea u feu
d e bois, jo ye u x, d a n sa it d eva n t la p laqu e a r m or iée,
r en d a n t la gr a n d e p ièce p lu s in tim e et a ccu eilla n t e.
L ’abbé M ou r r o u x, en a llo n gea n t les pied s ve r s la
flam m e, p r om en a it un r e ga r d em p r ein t de béa titu d e
a u t o u r d e lui. Il m u r m u r a :
— O n est bien , ch ez vou s !
M . de Ger la n d e, qu i ét a it a p p u yé à la fe n êt r e , se
r et ou r n a ve r s son am i a ve c un sou p ir :
— Vo u s t r o u ve z l’in t ér ieu r a gr é a b le ? M oi, je m ’y
sen s m al à l’a ise.
L ’abbé se r ed r essa .
— Com m en t ? d it-il, gou a illeu r , M 11" M igu e lin e a
r éu ssi à vou s in cu lq u er la p a ssion du d ép la cem en t?
E lle va vou s en t r a în er d an s la b r ou sse, vou s d or
m ir e z sou s la ten te?
— N e m e p a r lez p lu s de cette in fe r n a le in ve n
tion ! s ’é cr ia le com te en r en fon ça n t u n e b û ch e d an s
le fo ye r d ’un cou p de talon fu r ie u x. J ’ai p assé à
m a fille des fa n t a isies p a r fo is r u in eu ses. Sa P a c
k a r d , vo u s l'a ve z vu e ? Ava n t cela , un r a n g de
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p er les p ou r N o ël. C ’est t r è s joli, les p er les, m ais
c'est ch e r ! d ir a it M m° de La n d r a gu e t . E lle se figu r e
qu ’a ya n t céd é p ou r le co llier , l’a u tom ob ile et un e
fou le d ’a u t r es ch oses, je la la isser a i p a r t ir a ve c ses
am is. Ce la n on !... Vo u s n ’a ve z p as besoin de r ir e.
J e vie n s d e p r en d r e u n e d écision r a d ica le.
— Vo u s l’a t t a ch e z? d it l’abbé, n a r q u ois.
— N o n : je la m a r ie ! d écla r a M. de Ger la n d e, du
ton q u ’il eû t p r is p ou r a ffir m er : J e va is m et tr e le
fe u à la m aison .
— T a n t qu ’un m a r ia ge n ’est p as fa it , il peu t se
r om p r e, r ép liq u a son am i, p lu tôt scep tiq u e. E t ..., si
je n e su is p as in d iscr et , com m en t se n om m e vo t r e
fu t u r gen d r e ?
— Ger la n d e, r ép on d it le com te.
— H e in ? fit l ’abbé, a ve c un su r sa u t. I l y en a
d on c en cor e? Où l’a ve z-vou s d én ich é, celu i-là ?
— J e n e l’ai p as d én ich é, r ectifia le p èr e de Migu elin e, a m u sé m a lgr é lu i, m ais je n e d em an d e q u ’à
le fa ir e . C ’est un ca m a r a d e d e Ta n cr è d e , un ga r ço n
ch a r m a n t, p a r a ît -il, un Ger la n d e au th en tiq u e, du
r am ea u de M on tb r u l, vou s sa ve z?
— Br a n ch e a r ch i-ca d et t e ! r em a r q u a l’abbê, assez
m ép r isa n t.
Le com te p a r u t a ga cé p a r cet t e d éfor m a tion
p r ofession n elle. I l r ip osta ve r t em en t :
_— N a t u r ellem en t , m on ch er , p u isqu e la br a n ch e
aîn ée, c’est m oi ! N ’im p or te, si je p ou va is fa ir e
ép ou ser à m a fille ce ca d et, le n om n e s ’ét ein d r a it
Pas, il con t in u er a it p a r les en fa n t s de M igu elin e.
Ce la m e co n soler a it de n ’a vo ir p oin t de fils. E t puis
en fin, si M igu e lin e ét a it fian cée, elle r en on cer a it à
cet t e m au d ite équ ip ée m a r oca in e, com p r en ez-vou s?
U n m ar i n e le lu i p er m et tr a it pas.
— Vo u s com p tez su r son ép ou x p ou r lui ap
p r en d r e à o b é ir ? E lle est d é jà b ien gr a n d e !... I l n c
•s’a m u ser a p as tou s les jo u r s ; m ais ceci est son
a ffa ir e . Q u a n d l’a tt en d ez-vou s, ce fu t u r p r in cecon sor t ?
— Vo ilà , d it le com te, em b a r r a ssé. D 'a p r ès m on
n eveu , il n c tien t p as b ea u cou p à rcpjren dre des
�-m
LE MARI DE LA REINE
r a p p or t s de fa m ille a ve c n ou s. M a is p eu t -êtr e T a n
cr èd e n e s ’cst-il p as bien exp liq u e : c’est u n e ce r
ve lle de h an n eton .
— J e vou s l’a i d é jà d it : Ta n cr è d e est u n e n u l
lit é ! cou p a l’abbé, d é cisif. Si vou s le d ésir ez, je
p u is p r en d r e des r en seign em en ts.
— J e vou la is ju stem en t vou s le d em an d er , d it
M . de Ger la n d e. E t a b lissez u n e fiche : je dicte.
Vo u s y êt es, l’a b b é? « F r a n ço is de Ger la n d e-M on t b r u l... »
— Son â ge, le p r én om du p èr e et le n om d e la
m èr e, le lieu d e la r ésid en ce? in t er r o gea le se cr é
t a ir e im p r ovisé, sa n s r ele ver la tête.
M. de Ger la n d e s’a r r êt a , p er p lexe :
— L ’â ge?... Il d oit êt r e le con tem p or a in de T a n
cr èd e, p u isqu ’ils on t fa it leu r se r vice m ilit a ir e en
sem ble. Le lieu de la r ésid en ce? Le n om de la
m è r e ? J e l’ign or e... Au fa it , c’est vr a i, m on n eveu
n e m ’a r ien d it su r les p a r en ts. I ls son t p eu t -êtr e
m or ts.
— Vo u s n e sa vez rien , pas m êm e cela ! s’écr ia
l’abbé, lâ ch a n t son cr a yon . M es a ïe u x !... Q u elle
fa ço n de m a r ier sa fille !
— Il est in u tile d ’in t er p eller sa n s cesse vos
a ïe u x, m on ch er ! fit le com te, ve xé . Ta n cr è d e peut
n ou s fo u r n ir ces d éta ils. J ’eu sse p r é fé r é le la isser
en d eh or s de cette... com bin aison . Il est ge n t il; m ais
si, p a r in a d ver ta n ce, il fa is a it a llu sion à ce p r ojet
d eva n t sa m èr e, tou t ser a it p er d u . M a belle-sœ u r ne
m a n q u er a it p oin t d ’en a ve r t ir M igu elin e.
— Vo t r e fille cr o ir a it à un d ésir d ’im p oser vo t r e
volon té, c’est évid en t. E lle se ca b r er a it .
— O h ! m a volon té, je n e l’im pose ja m a is, r ép li
qu a le com te a ve c un sou p ir. J ’ai t or t, m ais c’est
a in s i; le pli est pr is... P o u r en r even ir à ce qu e je
vou s d isa is, le m eilleu r m oyen de r en ou er a ve c ce
je u n e M on tb r u l, c ’cst d on c de m e s e r vir de T a n
cr èd e, en fa isa n t ap pel à ses bon s sen tim en ts, à son
a ffect io n p ou r M igu elin e.
— Son a ffe ct io n ? d it l’abbé, in cr éd u le. C ’est
cu r ie u x, ils m e p a r a issen t un peu ch ien et ch at.
�L li
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—
Q u elle id ée ! fit M. de Ger la n d c, en son n an t
p ou r fa ir e p r ie r M. d e P u ym é r a n de ve n ir le t r o u
ve r . I l se r a t ou t h eu r eu x, a u con t r a ir e, d a id er a u
b on h eu r de sa co u sin e !
Ta n cr è d e et M igu elin e, d on t l'a m it ié n 'ét a it p oin t
syn on ym e de p assion , il s’en fa lla it ! a va ie n t eu, le
m atin m êm e, u n e d iscu ssion peu p r op r e à in cit er le
p r em ier à se d évo u er a u b on h eu r de la secon d e.
L e b a r on de P u ym ér a n , d on t t ou tes les p en sées
a p p a r t en a ien t à sa Riq u ette, a va it m a n ife s t é un
gr a n d d ésir d& vo ir m ettr e à e xé cu t ion ce r t a in p r o
je t de com éd ie, don t M igu elin e a va it p a r lé a u x
p etites La n d r a gu e t d ’u n e fa çon a ssez va gu e . Le
fian cé, t r ès ép r is, vo u la it d on n er à sa bien -a im éc
l’occa sion de t en ir u n r ôle b r illa n t d on t la glo ir e
r e ja illir a it su r lui. M igu elin e, à scs in sta n ces, a va it
r ép on d u p a r la n éga t ive. E lle n e se so u cia it p oin t
d e r et en ir les P u ym ér a n à P o n t a lr ic p lu s lon gtem p s
et d on n a u n p r é t e xt e d es p lu s m in ces p ou r e xp li
q u er son r efu s.
Ta n cr è d e la ju ge a o d ieu se ; il d it , en s’effor ça n t
d e p la isa n ter :
— T u n ’es pas gen t ille !
A qu oi la je u n e fille s’é t a it em p r essée d e r é
p on d re, su r le m êm e ton :
— C ’est p ossib le, et m êm e p r ob ab le, m ais je ne
t ’ai ja m a is d em an d é d e m ’a im e r !
Ve x é à m or t, son cou sin r ip osta du t a c a u t a c :
— T u a s b ie n f a i t ! Si tu m e le d e m a n d a is , ce
ser a it le m êm e p r ix!
Il a va it p r om is d es m er veilles à Riq u ette. E lle
a lla it ê t r e d é çu e ; il cr a ign a it d ’en su p p or ter le
con tr e-cou p .
Ta n cr è d e en tr a d an s la b ib lioth èq u e d ’un a ir
a ssez gr o gn o n ; pu is, r em a r q u a n t la figu r e sér ieu se
de son on cle, l’exp r ession n on m oin s gr a ve de I abbe
M o u r r o u x, il p r it p eu r , son gea n t a u x b a i s e r s éch a n
gés a ve c sa fian cée, le soir , au b or d du ba ssin , l a r
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LE
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LA
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h a sa r d , a va it -il ét é d én on cé à sa m èr e? So n on cle
vo u la it -il l’a ve r t ir ? ...
11 eu t tou t à cou p en vie d e s’a sseoir , n ’im p or te
où, m êm e su r le tap is, ca r ses ja m b es d even a ien t
m olles.
Le com te et son am i ét a ien t tou t b on n em en t en
tr a in de se d isp u ter su r la gén éa logie d es Ger la n d e.
Us n ’éta ien t p a s d ’a cco r d su r la d ate de la sép a
r ation du r a m ea u d e M on tb r u l a ve c la b r a n ch e
aîn ée. L ’abbé cr ia it en fa u sset : « 1779 ! » L e com te
r ép liq u a it, véh ém en t :
— 1774 ! D u p r em ier m a r ia ge d ’As t o r g de G e r
lan d e, il n ’y a p a s eu de p ostér ité m âle.
— Vo u s le sa vez m ieu x qu e m oi, c’est é vid e n t !
d isa it son a m i, d ’un ton p oin tu .
« Q u ’est-ce qu ’ils r a con t en t ? » son gea it Ta n cr è d e ,
r a ssu r é p a r ces d ates sen sib lem en t a n t ér ie u r es a u
b a iser a ccor d é p a r M uo Riqu ette.
— Vo ye z vou s-m êm e, r ep r it le p èr e de M igu elin e,
fr a p p a n t d e l’o n gle un én or m e volu m e o u ver t de
va n t lu i : A s t o r g d e G e r la n d e , m a r ie le 23 n o
v e m b r e 17 7 2 à S i m o n e d e M o n t b r u l, d o n t ...
— P a s sez ! d it l’abbé. P u is q u ’il 11’y a qu e d es filles,
ce n ’est pas in t ér essa n t .
— J e r ep r en d s : M a r i é le 2 9 m a i 1774 à S i m o n e
d e M o n t b r u l... — E n t r e d on c, Ta n cr è d e !... — h é r i
t i è r e d e la v i c o m t e , d o n t : G u y - F r a n ç o i s , s u b s t it u é
a u n o m et a u x a r m e s d e s a m è r e , t ig e d u r a m ea u
d it : « d e s v i c o m t e s d e M o n t b r u l ». Vo u s le vo yez,
m on ch er , c’est p a r fa it e m e n t r égu lier .
Ta n cr è d e r isqu a, tim id e :
— M a is com m en t ce bon h om m e... As t o r g — c’est
bien ça ? fichu n om !... — a -t -il pu a vo ir un fils,
pu isqu e sa fem m e é t a it m or t e?
Ces m essieu r s sou r ir en t a ve c con d escen d a n ce.
— Ce n ’ét a it p a s la m êm e, exp liq u a l ’a b b é M ou r r ou x. Le s filles de la m a is o n d e M o n t b r u l s’ap p e
la ie n t tou tes Sim on e. Ce la p e u t s e m b le r com p liqu é.
— M on D ie u , oui !
— C ’est p ou r t a n t bien sim ple, t er m in a l ’a r c h iv is t e
des fa m illes, a u x ye u x du quel tou te cou tu m e é t a it
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bon n e qu an d elle a va it qu elqu es siècles d’exist en ce.
M . de Ger la n d e r e fe r m a son a r m or ia l et se leva
d ’u n m ou vem en t tr ès m a jest u eu x. I l r a ssem b la it
tou te sa volon té p ou r l’op p oser à celle de sa fille.
C ’ét a it d ’a u t a n t p lu s fa cile qu e M igu elin e fa is a it
un e vis it e à so ixa n t e kilom èt r es de là.
Vo ya n t son on cle si gr a n d , Ta n cr è d e eu t la sen
sation d ’êt r e écr a sé. I l b a lb u tia , e ffr a yé san s s a vo ir
p ou rq u oi :
— Vo u s a ve z q u elqu e ch ose d ’im p or ta n t à m e
d ir e?
— N e vou s fr a p p e z p as, Ta n cr è d e , fit l’abbé,
a m ica l.
I l lui ten d it la b oîte de ciga r et t e s.
— M on ch er en fa n t , d écla r a M. de Ger la n d e a ve c
u n e m a gn ificen ce co n ju gu ée de bon h om ie, j ’ai un
im m en se se r vice à te d em an d er .
Alo r s , il n e s’a gis sa it p a s d’in cid en ts a ve c la
b a r on n e? Ta n cr è d e , qu i p a r la it le fr a n ça is d e son
tem ps, fa illit r ép on d r e : « Ça ga ze ! » m ais l’on cle
n ’eû t p as com p r is. I l affir m a :
— Vo u s p o u vez com p ter su r m oi.
— J e te r ecom m a n d e, p o u r su ivit l’on cle, a p r ès
a vo ir r em er cié ch a leu r eu sem en t, ca r il é t a it vit e
a tten d r i, de n ’en r ien la isser sou p çon n er à t a m èr e.
— A h ! so yez t r a n q u ille ! p r om it le je u n e h om m e
a vec élan . J e ne r a con te r ien à m a m a n ; ça m ’a m è
n er a it d es h ist oir es.
— Bon p etit ga r ço n ! m a r m otta l’abbé. I l sou r it .
■
— E t su r t ou t p as à M igu elin e, in sist a le com te.
E n d e u x m o t s , v o ic i : T u es lié a v e c F r a n ço is d e
G e r la n d e - M o n t b r u l. E n r é p o n d r a is - t u ?
T a n c r è d e p a r u t in t e r lo q u é .
— D a m e !... 11 n ’a ja m a is d éser té, n i t r a h i, m
volé, p as d a va n t a ge a ssa ssin é q u elq u ’un. — Il se m it
à r ir e. — Vo u d r ie z-vo u s l’o ffr ir à M igu e lin e ? Çc
n e ser a it p a s u n e m a u va ise idée..., j ’ose m êm e la
p r éten d r e excellen t e : je l’a va is d é jà eue.
—: T o i? d it l’on cle, st u p éfa it .
— Vo u s ? s'é cr ia l’abbé M ou r r o u x.
Le ton n ’ét a it p oin t a b solu m en t fla tteu r pou r
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le jeu n e h om m e. Ta n cr è d e d it a ve c sim p licité :
— Oh ! vou s s a ve z, en m ’étu d ia n t d ’u n peu pr ès,
on vo it t r è s vit e qu e je su is m oin s bête qu e je ne le
p a r a is !
Ce s m essieu r s p r é fé r è r e n t se m et tr e à r ir e. La
sit u a t ion ét a it d éten d u e; on a lla it p a r ler à cœ u r
o u ver t . Bie n en ten d u, ch a cu n ga r d a n t p ou r soi q u el
qu es-u n es de ses p en sées secr ètes. M. de Ger la n d e
vis a it d eu x bu ts : p a sser la m ain à un gen d r e, ca r
il se sen ta it d éb ord é, et se d éb a r r a sser de sa bellesœ ur . Ta n cr è d e sou h a it a it bien êt r e u tile à son
on cle, m ais ses d isp osition s ser via b les jo u a ie n t un
r ôle de secon d plan . M igu elin e lui in fligea it sou ven t
d e cr u elles p iqû res d ’a m ou r -p r op r e ; de plu s, elle
ven a it de se m on tr er d ésa gr éa b le en r e fu sa n t d ’o r
ga n is e r la soir ée de com éd ie : m a r ier cette belle
in d ép en d an te, si or gu eilleu se et p er son n elle, qui ju
r a it de n e ja m a is p lier d eva n t p er son n e, ser a it un
bon tou r à lui jo u e r .
I l in s is t a , c o n v a in c u :
— Ce ser a it ici « l’h om m e qu ’il fa u t à la p lace
qu 'il fa u t » , F r a n ço is de M on tb r u l. Ave c lu i, M i
gu e lin e ve r r a it ... — il s’a r r ê t a et tou r n a cou r t —
cer ta in em en t ou i, elle ser a it tr ès bien m a r ié e !
— E t m oi h e u r e u x de vo ir m on nom se con t i
n u er de la sor te, r ép on d it M. de Ger la n d e, tr ès
gr a ve . M a is je n e vo u d r a is pas d on n er m a fille à
un hom m e d on t je sais peu de ch oses. (E n effet !)
C ’est p ou r qu oi je te d isa is : « R ép on d r a is-t u de ton
am i ? » Q u ’est-il m or a lem en t ?
— U n e p e r fe ct io n ! r ép liq u a Ta n cr è d e .
— C ’est t r op ! d it l’abbé M ou r r o u x, sou r ia n t .
— Sin cèr em en t , a ssu r a le je u n e h om m e, si j'a va is
un e sœ ur , je ser a is h e u r e u x d e la con fier à m on
ca m ar a d e. On n e p eu t r ien d ir e d e p lu s, n ’est-ce
p a s? M on tb r u l est in t elligen t , sé r ieu x. Se s p a r en ts
son t m or ts, et il n 'a p as pr ofité de sa lib er té pou r
fa ir e des bêtises.
— Ah ! c’est t r è s bien ! d it le com te, p én étré.
Vo u s le vo ye z, l’abbé, j'a va is d evin é ju s t e : il n ’a
plu s ses p a r en ts.
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O u p ou va it se d em an d er si ce « tr ès bien » éta it
u n s a f i s f c c i t d on n é au vicom te et à la vicom tesse
de M on tb r u l p ou r a vo ir q u itt é cette p a u vr e t er r e.
L ’abbé r a jo u t a u n e lign e su r la fich e p r ép a r é e p ou r
le fu t u r ép ou x de M igu elin e.
Ta n cr è d e , la n cé su r la vo ie d es éloges, n e s’a r r ê
t a it plu s. L a ca m a r a d er ie de r égim en t a p eu t -êtr e
r em p la cé les a m itiés a n tiq u es d on t les a u t eu r s, j a
d is, t ir a ien t u n bon p a r ti.
— M on tb r u l est un si ch a r m a n t ga r ço n ! affir m ait
le fils de la b a r on n e de P u ym é r a n — la q u elle fû t
m or te de colèr e si elle a va it pu en ten d r e son fils. —
N on seu lem en t il est t r è s ch ic, m ais il p ossèd e un
tas d e q u a lités. J e n ’a i ja m a is r en con tr é un ca r a c
t èr e p lu s a gr éa b le.
— Ah ! in t er r om p it le com te, r a vi, c’est p a r fa it !
Ave c M igu elin e, il fa u t un esp r it... con cilia n t .
Ta n cr è d e r ep r it a ve c u n e flam m e n ou velle :
— I l p r en d t o u jo u r s les ch oses du bon côté, il ne
leu r d on n e p as p lu s d ’im p or tan ce qu ’elles n ’en
d oiven t a voir ...
— En fin , vo t r e on cle peu t l’a ccep t er les ye u x fe r
m és! a jo u t a l’abbé, se m etta n t à r ir e. Com m en t un
p a r eil p h én ix n ’a -t -il p a s en cor e été ca p t u r é p a r
un e m èr e d ésir eu se de fa ir e le b on h eu r de sa fille?
Il est d on c t r è s la id ?
— L a id ! se r é cr ia Ta n cr è d e . U n t yp e sp len
did e !... Te n e z, un peu le gen r e d e M igu e lin e , m ais
p a s son a ir de vo u lo ir fa ir e m et tr e les fou les à
gen ou x. U n gr a n d blon d, m in ce, p étr i d e r ace. V o u s
vo ye z ?
M. de Ger la n d e é t a it d an s l’en ch a n tem en t :
— O u i, je v o is . Ce la fe r a i t u n c o u p le m a g n i
fiq u e ... A t o n a v is , ils p o u r r a ie n t s e p la ir e ? M ig u e lin e a d é c o u r a g é t a n t d e p r é t e n d a n t s ...
' — E lle n’a u r a it p as d éco u r a gé celu i-là ! r ép liq u a
Ta n cr è d e , fr o is sé. — I l se sen ta it u n e â m e de m er e
p ou r son ca n d id at.
— Ain s i, tu m e l’affirm es, il a bon ca r a ct e r c, ton
a m i? in sista le com te. Il est a gr é a b le com m e so
ciét é?
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— D é licie u x ! a ssu r a Ta n cr è d e (011 eû t d it qu ’il
en m a n ge a it ).
— J e te d em an d e tou t cela , exp liq u a l’on cle tr ès
vit e , p a r ce que, je t ’en p r évien s, je p oser a i u n e
con d ition : ton ca m a r a d e a ccep t er a it -il de vivr e
ch ez m oi?
E n t en d a n t ceci, T a n cr è d e son gea :
« Q u elle p u issa n ce a d on c l’a m ou r p a ter n el ! Il a
un d r ôle de goû t, m on on cle !... U n e a u t o r it a ir e
p a r e ille ! du d ia b le si je m ’y cr a m p o n n er a is! »
T o u t h a u t, il r ép on d it d ’un ton d u b it a t if :
— A h ! ça !... je n e p u is vou s le cer t ifier . Il fa u
d r a it d ’abor d m et tr e F r a n ço is et M igu e lin e en p r é
sen ce, n a tu r ellem en t. T o u t d ép en d r a de l’im p r ession
qu e m a cou sin e p r od u ir a su r lui. I l est h a b itu é à
vivr e à sa gu ise. Sa fo r t u n e le lu i p er m et.
— C ’est d om m a ge! in t e r je t a le com te, a ve c une
ca n d eu r à n u lle a u t r e p a r eille.
Ta n cr è d e p a r vin t à ga r d e r un vis a ge im p a ssib le;
il p ou r su ivit :
— Si M on tb r u l est em ballé à fon d , il fe r a ce que
lu i d em an d er a M igu elin e. Au cu n e a u t r e con sid ér a
tion ne ser a d e qu elqu e poids. P o u r ce u x qui
a p p r écien t ce typ e de fem m e si gr a n d e et si blon d e,
M igu elin e d oit êt r e fo r t séd u isa n te, il m e sem ble.
Ce ci d’u n ton de b on té m isér icor d ieu se qui ét a it
la r eva n ch e de tou s les a ir s p r ot ect eu r s à lui a d r es
sés p a r sa su p er be cou sin e.
— Il fa u d r a it qu ’il p u isse ve n ir ici, d it M. de
Ger la n d e, p en sif. J e p ou r r a is l’in vit er , m ais... c’est
un peu d élica t , et p u is je n e sa is p as où il h abite.
L ’abbé M o u r r o u x r ega r d a le ciel. Il d eva it, m en
talem en t, p r en d r e à tém oin ses a ïe u x. Ta n cr è d e
é cla t a de r ir e ; cela co u va it d ep u is tr op lon gtem p s.
I l p r op osa :
— Si vou s le d ésir ez, je p u is s e r vir d ’a gen t de
lia ison . J e n ’a i ja m a is m a r ié p er son n e, je ser a i
ch a r m é de com m en cer p a r m a cou sin e ; F r a n ço is
est fa it p ou r elle.
A p a r t soi, il a ch eva it , r a n cu n ier :
« A h ! ou i. il est fa it p ou r e lle ! Il ser a le m a ît r e,
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et com m en t !... Au ssi, p ou r q u oi m e r a p p clle-t-ellc
san s cesse qu e je su is p et it ? »
Le com te, r éellem en t t ou ch é p a r ce d évou em en t,
ch er ch a it d é jà en esp r it qu elle sor te de ca d ea u de
n oces il p o u r r a it fa ir e à cet in estim a b le Ta n cr è d e .
Celu i-ci r eçu t les r em er ciem en t s de son on cle
a ve c m od estie. I l affir m a qu e r ien , s a u f son p r op r e
m a r ia ge, n e lu i ca u ser a it p la isir sem bla ble à celu i
de M igu elin e a ve c F r a n ço is de M on tb r u l. Alo r s le
com te lu i d it, en r ia n t, de se h â t e r ; il n e fa u t p oin t
r et a r d er les jo ie s : la vie est cou r te.
Il p en sa it a u ssi :
« ... E t l’em ba r q u em en t p ou r le M a r o c .tout
p r och e. »
Ta n cr è d e r ép on d it a ve c ga ît é :
— So ye z tr a n q u ille, je fe r a i de la vit esse..., n e
fû t -ce qu e p ou r m oi. M a m a n m e cr oit ép r is de
M igu elin e, et cela m e gên e b ea u cou p . U n e fo is m a
cou sin e en ga gé e officiellem en t, je p ou r r a i p r ésen t er
à m a m èr e sa fu t u r e b elle-fille, en lu i d isa n t qu e je
ch er ch e à m e con soler . E lle cr ie r a tou t de m êm e
u n peu m oin s.
— Ah ! tr ès bien ! fit l’abbé M o u r r o u x, d ive r t i :
vou s fia n cez vo t r e cou sin e d an s un bu t d ’in t ér êt
per son n el.
— M on sieu r l'a b b é, r ép liq u a Ta n cr è d e a v e c bon n e
h u m eu r , l’in t ér êt p er son n el, c’est en cor e ce qu ’on a
in ven té d e m ieu x com m e stim u la n t. Ce n ’est pas
tr ès ch ic, m ais les h om m es son t d es h om m es!... E t
P'iis, d an s le ca s p r ésen t, je su is sin cèr em en t h eu
r e u x d ’êt r e u tile à m on on cle. J ’ir a i d on c vo ir M on t
br u l. I l r ésid e, en a u tom n e, d an s u n e p r op r iét é don t
il a h ér it é il n ’y a pas t r ès lon gtem p s, a u x con fin s
de la Lo zè r e et du Lot . Ce la s’a p p elle Se r r c-d eCla u x.
— S ’il a u n e m aison à lu i, o b je ct a M. de Gcr lan d e, en n u yé, il r e fu se r a p eu t -êtr e de l’aba n d on n er
p ou r P o n t a lr ic?
— Oh ! m a is il ne s’en ter r e p as d ou ze m ois p a r an
d an s sa fo r ê t ! Il vo ya ge b ea u cou p et fa it de lon gs
sé jo u r s à P a r is , ch ez son b e a u -fr è r e et sa sœ ur.
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— FI n 'est pas fils u n iq u e? in t e r r o ge a p r om p te
m ent l’a b b é M ou r r o u x. Cela m ’est é ga l, à m oi ! J e
vou s le d em an d e au p oin t de vu e gén éa logiq u e,
p ou r m es fich es p er son n elles.
Il p r it u n e vie ille en velop p e su r le b u r ea u et
r ép éta :
— N o u s d ison s : un e sœ u r ?
— M * du P u yr o u x. C ’est l’aîn ée. So n m ar i est
se cr é t a ir e d ’a m b assa d e à Vien n e. Ils on t d eu x ou
t r ois m ioch es. F r a n ço is m ’en a p a r lé q u e lq u e fo is;
il a im e bea u cou p les en fa n t s.
Le com te fit u n gest e a p p r ob a teu r . C ’ét a it un e
bon n e n ote.
— J e ne con n a is p as la d ate de la n a issa n ce de
M m' du P u yr o u x, con tin u a Ta n cr è d e , d icta n t à
l’abbé qu i gr iffo n n a it su r sa vieille en velop p e. I l y
a va it un a u t r e ga r ço n , tué pen d an t la gu e r r e, à
i Ver d u n , p u is F r a n çois . II a vin gt -sep t an s.
— Vin gt -s e p t a n s ? C ’est p a r fa it ! d écla r a le
com te. J e le cr o ya is d e ton .âge, m ais cela va u t
m ieu x a in si... Alo r s , m on ch er ga r çon , c’est en
ten du : tu ir a s sa n s t a r d er vo ir ton am i, ca r , cela
va san s d ir e, il n e s’a git p as d ’a u t r e ch ose : un e
sim ple visit e d estin ée à con t in u er les bon s r ap p or ts
en tr e vou s. J e n e lui fa is p as o ffr ir m a fille. J e la
lu i d on n er a i, s ’il m e la d em an de. T u sa isis ?
— P a r fa it e m e n t . J e com p ren d s tr ès bien m on
r ôle : je ne suis p as tou t à fa it E lié ze r . D ’abor d , je
n ’em p or t er a i p oin t de p r ésen ts et n e m e fe r a i pas
su ivr e d ’un lon g co r t ège de ch a m ea u x. C ’est en com
br an t, les ch a m ea u x, et coû teu x ; ça m a n ge !... Et
p u is cela m e fe r a it r em a r q u er en r ou te.
— Ah ! E lié ze r ! a h ! a h ! d it l’ab b é M ou r r o u x,
r ia n t a ve c fr a ca s .
Cet t e qu estion ét a it r églée. R est a it à s a vo ir com
m en t on p o u r r a it d on n er à M. d e M on tb r u l l’en vie
de con n a ît r e P o n t a lr ic et sa fa m ille, et lu i exp liq u er
p ou r qu oi la d ite fa m ille t en a it tan t à le vo ir .
L ’abbé M o u r r o u x, qu i s’in t ér essa it b ea u cou p à la
fu sion d es b r a n ch es de la- fa m ille d e Ger la n d c, con
seilla vivem en t à son am i d’en voye r à M. de Mon t-
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MARI
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br u i un de scs livr es. Ce ci p a r u t gén ia l au com te.
Il h ésita seu lem en t su r le ch o ix de l’o u vr a ge et
d em an d a l’a vis de l’a ssist a n ce.
Ta n cr è d e se d ésin tér essa it de la q u estion . I l n ’en
ten d a it r ien à l'h ist o ir e et ten a it u n iqu em en t à ce
que l’on n e le çh a r ge â t p oin t d ’un tr op gr o s p aqu et.
E n r a ison d e ce vœ u , 011 é ca r t a le fo r t volu m e
tou t d ’a b or d ch oisi. I l con ten a it cep en d an t le fa csim ilé d ’un e let t r e de Lo u is V I I I , d it le L io n ; la
qu elle le t t r e k r oi s’ét a it b or n é à sign er , ce qu i
ét a it d é jà bien jo li. M a is Ta n cr è d e p ou ssa d es cr is
d eva n t les d im en sion s du livr e . On se r a b a t t it su r
u n e t r ès p etite p la q u ette ( s ix p a ges) éd itée lu xu e u
sem en t : C h a r t e d e s li b e r t é s e t p r i v i lè g e s a c c o r d é s
à la v i l le d e P o n t a lr i c p a r J u s t - H c c t o r , c o m t e d e
P o n t a lr i c ( 14 5 0 ) .
Ce la ne p esait pas tr op . Ta n cr è d e a lla it se r et ir er ,
em p or ta n t l’o b je t en r ich i d ’u n e b elle d éd ica ce à
F r a n ço is de M on tb r u l, qu an d il s’a r r ê t a , sou d ain
p er p lexe.
— Q u ’est-ce q u ’il y a ? s’écr ia l’abbé M ot ir r o u x,
im p atien té, ca r il a va it h â te de se r em ett r e au
t r a va il.
— Il y a, r ép on d it Ta n cr è d e , t r è s d écon fit, il y a
m am an , p a r b le u ! Com m en t p o u r r a is -je filer san s lui
d ir e où je va is ? E t , si je p a r le d e F r a n ço is , elle
Sou p çon n era q u elqu e ch ose. Le s m èr es on t un œ il
ter r ib le !
— Ah ! d ia b le ! fit le com te.
,, — P a r t e z sa n s a ve r t ir Alm' la b a r on n e, s u ggé r a
l’abbé.
— Vo u s cr o ye z ce la fa cile ? ch b ie n ! vou s 11c la
con n a issez pas, m a m a n ! J e p r é fé r e r a is la d écid er à
l'en tr er à la m aison en m e la issa n t à P o n t a lr ic en
con sign e... O11 m e r e t r o u ve r a p lu s tar d .
— Le plus t a r d possib le, d it le com te a ffect u eu se
m en t. — il r it . — C ’est un e bon n e id ée, m ais
ch a r ge-t oi de l'o p ér a t ion , m on p e t it ; je n e pu is
a vo ir l’a ir d 'in sin u er à t a m èr e que sa p r ésen ce
n i’est à ch a r ge... Ce la n ’est p as, a jo u t a -t -il a ve c
cou r toisie.
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MAKI
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— C ’est em p oison n a n t! sou p ir a Ta n cr è d e . J ’a u
r a is cep en d an t besoin d ’a vo ir les m ou vem en ts lib res.
I! m e fa u t d es r u ses d ’ap ach e p ou r vo ir Riq u ette.
U n jo u r Ou l’a u t r e, les p etites La n d r a gu e t m a n ge
r on t le m or cea u .
— D e tou te n écessité, il fa u t qu e M igu elin e soit
fian cée a va n t un e n ou velle in vit a t ion d es Kin gsb it r y,
r ep r it M. de Ger la n d e, su iva n t sa pen sée secr ète.
— Ce n ’est p as la p ein e d ’êt r e en ga gé, si je n e
p eu x vo ir Riq u ette qu ’en tr e cin q 011 six vieilles
d a m es! p ou r su ivit Ta n cr è d e su r le m êm e ton . M a
m an est u n ob sta cle for m id a b le ; tâ ch on s de le con
tou r n er .
« Il y a u r a it p eu t-êtr e un m oyen ... — Il h ésit a . —•
J e vou s en p r évien s, cela d ébu te p a r un m en son ge,
m ais tan t pis !... Ce ne ser a n i m on p r em ier ni m on
d er n ier : je va is r a con ter à m a m èr e qu e M igu elin e
m e vo it san s m a lve illa n ce — n ou s n e n ou s en ten
don s p as du tou t, m ais m am an m e cr o ir a ; — j ’a jo u
t er a i qu e sa p r ésen ce m e p a r a lyse, il ser a it n éces
sa ir e de m e la isser seul ici pen dan t qu elqu es jou r s.
M am a n com p r en d r a . Sa n s t a r d er , je vou s le p a r ie,
elle ser a d an s l’ob liga tion m or a le d’a ller ch ez un e
am ie. J e p r ofit er a i de son absen ce p ou r r en d r e, m oi
a u ssi, u n e vis it e tou t a m ica le à m on vie u x cop a in
de r égim en t ; je lui o ffr ir a i vo t r e p etit m a ch in ...;
enfin je m e d éb r ou iller a i ! »
L ’abbc M o u r r o u x écou ta it le jeu n e h om m e a ve c
un v if in tér êt.
— Sa ve z-vo u s, d it -il, a d m ir a t if, que vou s êtes
t r ès in telligen t, Ta n cr è d e ?
— R em a r q u a b le!... J e l’ai t ou jou r s p en sé! s’écr ia
l’on cle, en cor e sid ér é p a r l’in gén iosit é de ce n eveu ,
ju gé p r écéd em m en t a ssez or d in a ir e. Em b r asse-m oi
m on petit !
— Si vou s y ten ez, a cq u iesça Ta n cr èd e.
O11 ne p ou va it r éellem en t t r o u ve r m eilleu r gar çon .
�LE
MARI
DE
LA
R E IN E
65
VIT
E n lisièr e «lu ch em in qu i con d u it à b er r e-d eCla u x, des h êtr es géa n t s ét a la ien t la sp len d eu r de
leu r fe u illa ge cu ivr é sou s le ciel r ose où b r illa it un
m in ce cr oissa n t de lun e. Le soleil d isp a r u , les a r b r es
sem bla ien t fu lgu r a n t s, et les feu ille s r ou sses, don t
le sol ét a it jon ch é, fa isa ien t p a r a ît r e la t er r e de
l’a ven u e p r esq u e violett e.
To u t a u bou t, la m asse n oir e du ch â tea u com m en
çait à se t r ou er d e poin ts lu m in eu x. U n p ein tr e
a u r a it a d m ir é ce t r ip le é cla ir a ge d u ciel, d e la lu n e
et des lam p es de la m aison . Ta n cr è d e d e P u ym ér a n ,
à l’in sta n t d’a r r ive r ch ez son a m i, p en sa it qu e le
p a ysa ge é t a it su p erb e, m a is a u stèr e. I l se r ep r ésen
t a it m al le ga r ço n éléga n t, r affin é, qu ’é t a it F r a n ço is
de M on tb r u l, d an s cette d em eu r e m on tagn a r d e.
Qu elle ét r a n ge figu r e il d eva it y fa ir e !... E n vé r it é,
le style de l’h ôtel de Ger la n d e lu i con vien d r a it
m ieu x.
Ta n cr è d e se d isa it a u ssi qu ’il ét a it gén ia l, ca r il
est n a tu r el à l'h om m e de p en ser du bien de soi. La
r ap id ité a ve c laqu elle il a va it m en é à bien scs co m
bin a ison s le la issa it en cor e ém er veillé. L a b a r on n e
a va it fo r t bien ad m is l’u r gen ce d’u n » p etit d ép lace
m en t; F r a n ço is de M on tb r u l, a u q u el le jeu n e d ip lo
m ate bén évole, a ccr éd it é p a r le com te de G e r la n d e ,
a va it écr it p ou r lu i a n n on cer qu ’il p a sser a it tou
p r ès d e Se r r c- d e - Cla u x et n e cr o ya it p a s êt r e in d is
c r e t en lu i d em an d a n t u n e h osp it a lité d e VU1S
qu atr e h eu r es, a va it rép on d u , p a r l e r e t o u r du cou r ier , q u ’il se r a it ch a r m é d e l’a vo ir p ou r no c
p lu s lon gtem p s possib le.
,
¡t
Ta n cr è d e su p p osa qu e son ca m a r a d e s enn y >
el cela lu i p a r u t d ’exce lle n t a u gu r e pou r ses p r ojet*.
’04-in
�66
LE
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DE
LA
R E IN E
L ’a u t om ob ile a va n ça it silen cieu sem en t, l’a llu m a ge
cou p é, ve r s les con str u ct ion s m a ssives, fa it e s pou r
b r a ve r le r u d e h ive r céven ol. I l essa ya it de s’im a
gin e r sa cou sin e d an s ce ca d r e et n ’y p a r ven a it
poin t.
U n écla ir d e ga ît é p a ssa d an s les p r u n elles du
p et it P u ym ér a n . L a ve ille en cor e, M igu elin e s’ét a it
m on t r ée p a r t icu lièr em en t m oqu eu se, d em an d a n t à
son cou sin « s’il sa u r a it se d éb r ou iller tou t seul, en
l’a b sen ce de sa m è r e ? » Lu i a va it en ca issé les r e
m a r q u es a ve c un sou r ir e a n géliq u e, et r ép on d u :
— T u te m oqu es de m oi. C ’est ton d r oit. M a is, tu
sais, tu m e le p a ye r a s !
Ah ! qu elle b elle r eva n ch e à p r en d r e su r cette
in su p p or t a b le M igu elin e : la vo ir ép r ise de F r a n
çois ! Ca r elle a p p r en d r a it tôt ou- tar d qu e l’on ne
p eu t « m a n œ u vr e r » un m a r i a in si qu ’un p èr e, tr op
fa ib le p ou r d ir e « n on ». E s t -ce qu e les fem m es n e
d e vr a ie n t pas t o u jo u r s d ir e « oui », d ’a bor d ?...
Q u a n d elles son t gen t illes com m e Riqu ette...
L a vision de R iq u et t e r em p la ça n t l’im a ge de M i
gu elin e, Ta n cr è d e sou r it, et, com m e l’a u tom ob ile
st op p a it d eva n t la m aison , le sou r ir e tom ba su r le
vico m t e de M on tb r u l qui sor ta it .
C ’é t a it .u n su p er be ga r ço n , t r è s gr a n d , a ve c cette
é lé ga n ce de t ou r n u r e cjtte d on n en t la svelt e sse de la
t a ille et un bon t a ille u r ; cet a ir qu e Ta n cr è d e défi
n issa it en ces t er m es con cis : « U n peu p r in ce, m ais
p as à la posei » M. de M on tb r u l s’a va n ça la m ain
ten d u e, u n so u r ir e fa is a it b r ille r ses ye u x ga is. Il
d it :
— Bo n s o ir , m on vie u x! T u es gen t il de ne
m ’a vo ir p as oub lié.
Ta n cr è d e ter m in a son exa m en p a r cette r éflexion
b r è ve : « P é t r i de ch ic!... Mon on cle m ’en fe r a des
com p lim en ts! >■ To u t h a u t, il r ép on d it a ve c ch a le u r :
— T ’ou b lier !... Le s a m it iés de r égim en t, c’est
s a cr é ! — I l ser r a la m ain de F r a n çois. — J e .s u is
con ten t d e te r e t r o u ve r . T u n ’a s p as ét é su r p r is en
r e ce va n t m a le t t r e ? J ’ét a is tou t p r ès d ’ici...; m on
on cle m ’a va it p r êt é son a u to et son ch a u ffeu r ...
�LE
MARI
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67
— I l est r em a r q u a b le d an s sa b r a n ch e, ton on cle !
r em ar qu a F r a n ço is , d an s un r ir e qui fit b r ille r ses
d en ts ét in cela n t es. Vo ilà un h om m e com p la isa n t et
gé n é r e u x! J e t’en ga ge à le so ign e r !... Ve u x- t u en
t r e r ? Ah ! je d ois t ’en p r éve n ir : le co n fo r t , à Se r r e d c-Cla u x, est un m ot vid e d e sen s. Ça m ’a m u se de
ca m p er p en d an t qu elqu es m ois. T u te cr o ir a s en gît e
d ’étape.
Ta n cr è d e , tou t au p la is ir d e r e t r o u ve r son am i,
r ép on d it a ve c éla n :
— J ’a d or e ça !... Ch e z m on on cle, à P o n t a lr ic, il
y a trop d e p r otocole. C ’est assom m an t !
A pein e eu t -il p r o fé r é ces m ots, il eû t sou h a ité les
r ep r en d r e. P e u t -ê t r e F r a n ço is n e se so u cier a it -il
p oin t d’éco u r t er ses sem a in es de ca m p in g p ou r ve n ir
p a r t a ge r la cér ém on ie fa m ilia le ?
M. de Ger la n d e -M on t b r u l n e p r êt a p oin t d ’a t t en
tion à cette r ép liq u e; il r ép éta en cor e u n e fo is, t r è s
a m ica l :
— E n t r e d on c !
To u t de su ite Ta n cr è d e fu t séd u it p a r le ch a r m e
p a r t icu lie r , m éla n ge de sim p licité et d e gr a n d eu r , de
cette d em eu r e p r ovin cia le . Il com p r en a it qu e F r a n
çois pû t t r o u ve r de l’a gr ém en t à vivr e là p lu sieu r s
m ois d e su ite en gen t lem a n -fa r m e r . L e site é t a it
p ittor esq u e, la m aison a tt ir a n t e. I l n ’y a va it p oin t à
h ésit er : il fa lla it p r ésen t er F r a n ço is à M igu elin e.
... Le vicom te de M on tb r u l, à cen t lieu es de sou p
çon n er les p la n s st r a t égiq u es d e son ca m a r a d e,
a tten d a it Ta n cr è d e p ou r d în er , et il l’a tt en d a it a ve c
im p atien ce, ca r , a ya n t ch a ssé tou t le jo u r , il a va it
gr a n d ’faim .
Qu e d ia b le p ou va it -il bien fa ir e d an s sa ch a m br e,
P u ym é r a n ? Il n e se m etta it tou t de m êm e p as en
sm okin g, com m e à P o n t a lr ic, ch ez son on cle ?
Ici, M on tb r u l p en sa qu ’il n ’a va it p as son gé à s’in
fo r m e r qu el ét a it cet on cle. E t a n t tr ès poli — Ç^ ose
r a r e à n ot r e ép oqu e, — il r e gr et t a d’a vo ir p r ête si
peu d ’a tt en tion a u x (Æirolcs de son am i.
Ta n cr è d e se d écid a cep en d an t à se m on tr er . 11
d escen d it l’e s ca lier au ga lo p , ceci lu i d on n a it l a i r
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LE
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p lu s co llégien qu e ja m a is. F r a n ço is p en sa it : « M a is
q u 'il est gosse ! » E t T a n cr è d e , exa m in a n t son ca m a
r ad e, d ebou t sou s la p lein e lu m ièr e tom ba n t du vie u x
lu s t r e à t r ois becs, su sp en d u à la vo û t e du ve st ib u le :
« P o u r vu q u ’il a im e les fem m es gr a n d e s et blon d es I
Ap r è s le ca fé , je com p te d ix et j ’a m o r ce ! »
— Vie n s - t u ? d it, à cette m in u te, l’a ccen t im p é
r ie u x et a m ica l du vicom te de M on tb r u l.
L e fia n cé de R iq u et t e obéit, en con t in u a n t à se
d ir e : « Si je r éu ssis, m on on cle m e b é n ir a ! »
L ’im p ossib ilité m a n ifes t e d ’a m en er la co n ver sa
t io n su r le s u je t sen tim en ta l d eva n t le va le t de
ch a m b r e, le co n t r a r ia . I l ét u d ia it M on tb r u l a ve c u n e
a tt en tion t elle qu e celu i-ci, éton n é, fin it p a r in t er
r o ge r :
— P ou r q u oi m e r ega r d e s-t u a in si?
T a n cr è d e a va it d écid ém en t d e sér ieu ses a p titu d es
p ou r la d ip lom atie. I l sou r it en r ép on d an t a ve c
a isa n ce :
— J e p en sa is à m a m èr e en vo ya n t tes p la ts de
M ou st ier s. Ch e z elle, tou t est sou s cle f, p a r cr a in t e
d e d ép r éd a t ion s. E lle n e com p r en d r a it p as qu e tu
p u isses p r od igu er tes b elles fa ïe n ce s p ou r toi seul.
— J ’a im e êt r e en tou r é de jo lis b ib elots, r ép liq u a
le je u n e m a ît r e de m aison , a ve c ce gr a n d a ir n on
ch a la n t qu i ém e r ve illa it Ta n cr è d e . P ou r q u oi m ’en
p a s s e r a is -je ?
— M a m èr e m e r ép ète san s cesse, con t in u a P u ym ér an , qu e l’êt r e h u m ain est qu elqu e ch ose de t elle
m en t vil et m ép r isa b le !... Il ne d e vr a it s’a cco r d e r
a u cu n e sa t isfa ct ion .
— E lle est sé vèr e, ta m èr e ! s’écr ia le vicom te,
é cla t a n t d e r ir e. T u t’a m u ses b ea u cou p d an s sa société ?... O h ! p a r d on ! J e n e vo u d r a is p as ê t r e im poli.
— T u n e l ’es pas. J e m e r a se à m or t. M a is cela n e
d u r er a plus bien lon gtem p s. Lor sq u e je ser a i m ar ié...
E n lu i-m ên ie il a ch e va it : « Vo ilà ce qu i s’ap p elle
a m o r ce r ! J e su is gén ia l !... »
Le s d er n ier s m ots fu r en t san s d ou te p er d u s pou r
M . de M on t b r u l; il se tou r n a ve r s le va le t de
ch a m b r e, en or d on n a n t :
|
'
1
|
<
.
*
|
!.
¡!
�L,E
MAKI
DE
LA
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— Se r ve z le ca fé ici.
E t , s’a d r essa n t à Ta n cr è d e :
— C'e s t p lu s a gr é a b le de n e p as se d ér a n ger tou t
de su ite. Ve u x- t u fu m e r ? J e n ’ai qu e d es Ab d u lla h s.
T a n c r è d e c o m p t a m e n t a le m e n t et t r è s v i t e j u s q u ’à
d i x ; e n s u it e il d it . e n s o u r ia n t d ’u n a i r a im a b le :
—• E t toi..., qu an d U m a r ies-t u ?
F r a n ço is de M on tb r u l ét en d it le b r a s ve r s le ca n
d éla b r e p ou r a llu m er sa ciga r e t t e ; il laissa s o r t ir le
d om estiqu e a va n t d e r ép on d r e :
— J e ne su is p as d evin p ou r le sa voir . N a t u r e lle
m en t. j ’a i en visa gé cette éven t u a lit é , m ais il fa u
d r a it r en con tr er un e jeu n e fille qu i m e p laise, et
r écip r oq u em en t. J e ne sa is si je p la ir a is, m a is je
n ’ai en cor e p oin t vu de je u n e fille san s m e d ir e a u s
sitôt : « E n vo ilà u n e qui n e ser a p a s m a fem m e ! »
— A h ! P ou r q u oi? fit Ta n cr è d e , in t ér essé. T u es
t r ès vie u x je u ?
— J e cr oya is êt r e m od er n e, au co n t r a ir e ; c’est
p eu t -êtr e tou t p a r eil à t r è s vie u x je u . A n ot r e
ép oqu e de vit esse, le p r ésen t n ’exist e p as C ’est êtr e
d éjà au p assé qu e se com p la ir e d an s a u jo u r d ’hu i,
dit F r a n ço is ga im en t . Alo r s je su is u p t o d a t e en
vou la n t êt r e à d em ain , qui ser a sa n s d ou te sem
bla ble à ce qu ’ét a it a va n t -h ier , p u isqu e le t r è s n eu f
est gén ér a lem en t cop ié su r le p lu s a n cien .
— T u es p a r a d oxa l !
— M a is n on , pas m êm e cela : je n e su is r ien . Ce la
don n e m oin s de pein e. J e p r en d s les ch oses et les
gen s com m e ils son t...', il est iu ste d ’a jo u t e r que,
lor sq u e les d eu x tic m e p la isen t p as, je les laisse.
— E t les fem m es d ’a u jo u r d ’h u i te d ép la isen t ?
P o u r qu elle r a is o n ? T u es con t r e les ch e ve u x cou
pés et la ca m p a gn e p ou r le d r oit de vo t e ?
— J e m ’en m oq u e! r ép liq u a M on tb r u l, e m p lo ya n t
un a u t r e ve r b e ; ca r c’est êt r e r é t r o gr a d e qu ’a t t a ch er
de l’im p or ta n ce à de p a r e illes q u estion s. J e com
p r en d r ais p lu s fa cilem en t leu r d ésir de vo t e r qu e
celu i de cou p er leu r s ch e ve u x; qu an d ils son t b ea u x,
elles n e sa ven t p as ce qu ’elles p er d en t ; m ais ceci
est un d éta il.
�70
LE
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DE
LA
R E IN E
— Alo r s ?
— Alo r s je me d em an de, a u jo u r d ’h u i où leS
je u n e s filles on t obten u tou t ce q u ’elles vo u la ien t en
fa it d e lib er té, qu el sor t elles r éser ven t au m ari,
pu isqu e, se m a r ier , c’est m ain ten a n t, p ou r elles, la
p er te d’un e gr a n d e p a r t ie de leu r lib er t é, a u lieu
d ’êt r e u n e ém a n cip a tion , com m e p ou r n os gr a n d ’m cr es.
« N os gr a n d ’m èr es a va ien t des t r a ve r s , m ais elles
ét a ien t gén ér a lem en t d e bon n es ép ou ses; elles
a va ien t l’id ée qu ’il fa lla it r en d r e n os gr a n d s-p èr es
h eu r eu x... J ’a im er a is a u t a n t vo ir cette m ode r even if
p ou r r em p la cer celle d es ga r çon n es. Ave c les h a b i
tu d es p r ésen tes, je ne su is p as cer t a in qu ’un e fem m e
p ou r r a it p r en d r e du p la isir à m ’êt r e a gr éa b le. Au ssi,
ju s q u ’à n ou vel or d r e, je r este com m e je su is... Ce
n ’est pas le r êve, m ais, fa u t e d e m ieu x, je m ’en
con ten te.
— P a s le r êve?... C ’est u n e fa ço n de p a r le r ?
F r a n ço is de M on tb r u l r ép liq u a, d 'u n ton qui vo u
lait con t in u er à p a r a ît r e lége r et d even a it sé r ie u x :
— N on . C ’est la vé r it é. J e r essen s p a r fo is un
ca fa r d t er r ib le. J ’ai la n osta lgie du fo ye r . J e ne
p u is d ir e qu e j'e n ai un : je su is u n n om a d e; avec
m on père, ja d is, n ou s a von s cir cu lé de ga r n is on en
ga r n ison , p u is h abité su ccessivem en t Lon d r es et
Rom e, qu an d il ét a it a tt a ch é m ilit a ir e. Ap r è s , j ’ai
con tin u é à vo ya ge r . C ’est fa s t id ie u x, à la lon gu e.
Vo ilà p ou r qu oi je fa is d es sé jo u r s ici. J ’ai l’illu sion
de r et r o u ve r le h om e p a r ce que, a u t r e fo is , m a sœur>
m on fr è r e et m oi y ven ion s en fa n t s.
— T u es d é jà « à la r ech er ch e du tem p s p er d u » ?
fit Ta n cr è d e . J e n e te cr o ya is pas le goû t du passé
au ssi d évelop p é.
— M a is je su is au p r ésen t !... M on p assé n ’est pa$
en cor e a ssez vie u x p ou r o ffr ir du ch a r m e. — I l rit— E t ton p r ésen t, à toi, si tu m ’en p a r la is un pcit?
T u te p la is ch ez ton on cle, à P o n t a lr ic? Est-ce
p ar ce qu e tu a s un e jo lie cou sin e?
P o u r cette qu estion , T a n c r è d e l’eû t v o lo n t ie r s r e
m er cié. Il r ép on d it, jou a n t l’in d ifffir en cc a u n a t u r e l
�L.E
MARI
I)]-:
LA
R E IN E
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— Oui-, m on on cle a u n e fille t r è s jo lie . On la
con sid èr e com m e u n e b ea u t é ; m ais, m oi, elle ne
m’em balle pa s. E lle est gr a n d e !... E t puis...
Il s’a r r êt a . M on tb r u l p en sa it, am u sé : « E lle se
ficlie de lu i ! » Ta n cr è d e t er m in a d ’un a ir t r iom
p h an t :
— M on ch er , je su is fia n cé!
— T u es fia n cé? r ép éta le vicom te de M on tb r u l,
ébah i. C ’est un e b la gu e?
E n gu ise de r ép on se, Ta n cr è d e cu eillit d an s son
p o r t efeu ille un e p h otogr a p h ie, et d it sim p lem en t :
— Tie n s , r e ga r d e !
C ’ét a it u n gr ou p e p r is à la su ite d’un p iqu e-n iqu e,
p a r le je u n e M ick de La n d r a gu e t . Au p r em ier plan
figu r a ien t M 1"' R iq u et t e et T a n cr è d e ; elle a va it l’a ir
ca n d id e ; lu i fa is a it les ye u x bla n cs. Au p r è s d ’eu x,
M igu e lin e de Ger la n d e, d r oite com m e un gr a n d lis
d an s le m a n tea u cla ir ou r lé de fo u r r u r e , s’a p p u ya it
con t r e u n a r b r e. E lle a va it qu elqu e ch ose d ’exq u is
d a n s le r ega r d , u n e pose h a r m on ieu se où l’on n e
sen t a it ni l'a p p r êt n i l’effor t . C ’ét a it l'E llc-m êm e
Bea u t é . On n e vo ya it p lu s qu ’e lle ; les a u t r es p er
son n a ges d isp a r a issa ien t.
— Sa cr eb leu ! s’écr ia F r a n ço is de M on tb r u l, d e
ven an t t r è s r ou ge. T u as u n e ve in e L . M es com p li
m en ts, m on vie u x : elle est m agn ifiq u e, t a fia n cée!
P a r h a sa r d , elle n ’a u r a it p as u n e sœ u r ju m elle tou te
p a r e ille? J e te d em a n d er a is sa m ain .
Ta n cr è d e se d it a ve c r a vissem en t : « Ça y est !
J ’ai t r o u vé le bon t r u c ! »
To u t h a u t, il r ép on d it :
— Ah ! n ia is n on , p as la gr a n d e blon d e. M a fian cée
est à côté de m oi. U n e tou te p et ite, jo lie ! un amot.tr !
On d ir a it u n e st a tu et t e de Sa xe , et gen t ille a ve c
ce la ! J e l’a d or e, et, tu sa is, elle m e le r e n d !
Il p r ofit a du silen ce de F r a n ço is , p lon gé d an s
l’exa m en de la p h otogr a p h ie, p ou r d évelop p er son
thèm e. L ’én u m ér a tion des ve r t u s et q u a lit és de
M " 0 F r a yo l- La gu è ze d u r a u n bon m om en t.
— A h ! la p etite à côté de t oi...? E lle est ch a r
m an te, fin it p a r ém ettr e son am i, d ’un a ccen t loin ta in .
�72
LE
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— Un iq u e ! affir m a Ta n cr è d e , lor gn a n t sou r n oise
m en t F r a n ço is . J e su is tellem en t h e u r e u x! J e...
— La blon d e, qu i es t -ce ? in t er r om p it b r u sq u e
m en t le vicom te de M on tb r u l.
D ’un a ir d éta ch é, Ta n cr è d e le r en seign a :
— M a cou sin e... et la tien n e. — J ’ai tou te m a
r a ison , n ’a ie p as p e u r ! — Ce t t e b ea u t é se n om m e
M igu elin e de Ger la n d e. Son p èr e est m on on cle,
p u isqu e sa fem m e ét a it la sœ u r de m am an .
— E h bien ! p a r exem p le, c’est cu r ie u x ! s’écr ia
M on tb r u l. J e su is le cou sin de cette jo lie p er
son n e !... L a vie vou s r éser ve d es su r p r ises !
— Oh ! c’est éloign é ! fit Ta n cr è d e a ve c in sou
cia n ce. M on on cle m ’a exp liq u é vo t r e d egr é de p a
r en té. Il s’in t ér esse à ces qu estion s de filiation . C ’est
un sa va n t. I l est vie u x je u en d ia ble, et t r è s « fa
m ille ». En fin , un ph én om èn e ! con clu t -il en r ia n t.
I l se p en ch a p a r -d essu s l’ép a u le d e F r a n ço is p ou f
r e ga r d e r le gr ou p e :
— T u la t r o u ves b elle? P o u r ce u x qu i a p p r écien t
le typ e cla ssiqu e, elle est bien , en effet . Gé n ér a le
m en t, elle p laît b ea u cou p ; au ssi les a d or a t eu r s
s ’a lign en t à ses pied s, m ais elle n ’a pas en cor e pris
la p ein e de r ele ver l’un ou l’a u tr e... D is d on c, si tu
m e r en d a is m a p h o t o gr a p h ie?
M on tb r u l obéit. E n vo ya n t son am i r e p la ce r de
n ou vea u l’im a ge d an s sa p och e in t ér ieu r e, il ép r ou va
u n e sou r d e en vie de le b a t tr e. D ’un m ou vem en t n er
ve u x, il se leva , éca r t a n t son siège, et p r op osa :
— Ve u x- t u ve n ir vo ir les ét u d es qu e j ’a i r a p p or
t ées d ’I r la n d e?
— T u t r a va ille s b ea u cou p ? in t e r r o ge a Ta n cr è d e ,
aim able.
— Q u e lq u e fo is, en tr e m es repa s ! r ép on d it M on t
b r u l, ga îm en t. P o u r l’in sta n t, je su is d an s u n e va gu e
de p ar esse.
... L ’a telier , con t r a ir em en t au r este du logis, était
de st yle m od er n e. P eu d e m eu bles : d es d iva n s, des
b iblioth èqu es t r ès b a ss e s; les b ibelots ét a ien t p r os
cr its, m ais les m oin d r es o b je t s a va ie n t u n e va le u f
t r è s gr a n d e. Des livr e s p a r tou t, su r les t a b les et
�LF,
MARI
DE
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m êm e à ter r e, m on t r a ien t les goû t s in t ellectu els du
m a ît r e de céa n s.
^ — Q u e l t a s de bou q u in s ! s’écr ia Ta n cr è d e , en
s’a llon gea n t d an s un fa u t e u il. T u les as tou s lu s?
— E t qu elqu es a u t r es en cor e, oui.
— Ce d oit ê t r e in d igest e ! a va le r t ou t ça ! M oi,
j ’en m ou r r a is ! Si m on on cle Ger la n d e t e vo ya it , il
ser a it a gr éa b lem en t su r p r is. P o u r lu i, tou s les g a r
çon s d ’a p r ès la gu e r r e son t d e je u n e s b r u tes, et pas
a u t r e ch ose.
— I l est bien gen t il, ton on cle !
— O h ! d é licie u x!... Te llem en t a gr é a b le qu e l’on
se d em an de s’il est r éellem en t viva n t ; le co ffr e - fo r t
p lacé à p or tée de la m ain d ’un n eveu p a r la d ivin e
P r o vid en ce ! Si le ve r r e coû t a it m oin s ch er , on
p o u r r a it le fa ir e en ca d r er .
F r a n ço is se m it à r ir e. I l n ’a va it ja m a is su pp osé
a u ta n t d ’esp r it à P u ym ér a n :
— F a is u n sa cr ifice et m ets-le sou s ^ lobe. U n e
fa m ille t elle qu e la tien n e, c’est san s p r ix... E s t -il
r éu ssi a u p h ysiqu e com m e au m or a l, ton p a r en t, qu i
est a u ssi le m ien ? Ressem b le-t-il à sa fille?
— I l est t r è s bien , d it Ta n cr è d e , en fe ign a n t de
s’a b sor b er d an s les alb u m s d e vo ya ge d e son am i.
Si je m e m a r ia is à P o n t a lr ic, tu p o u r r a is le vo ir ,
lu i et sa fille qu i se r a it un b ea u m od èle p ou r t oi, si
elle con sen t a it à p oser . M on on cle se r a it 'cer t a in e
m en t ch a r m é de te co n n a ît r e ; il est t r è s a t t a ch é à
tou t ce qui est sa fa m ille, m êm e loin ta in e. A ce
p r op os, j ’ou b lia is : I l m ’a ch a r gé d e te r em ett r e un
p etit m ach in ... O h ! n e te fr a p p e p as : ça n ’a r ien
de r em ar q u ab le, m ais je n ’ai p as vou lu le fr o is s e r
en r e fu sa n t de m e ch a r ge r de l’ob jet... M on on cle
s’adon n e à l’h ist oir e, il s’in t ér esse a u p a ssé de P o n
t a lr ic. I l a d én ich é u n e vie ille ch a r t e de 1450 .
— Il m e l’en vo ie ? fit le r ep r ésen t a n t d e la b r a n ch e
ca d ette d e Ger la n d e, vr a im e n t estom aq u é. E n vé
r it é, c’est... c’est t ou t à fa it aim able.
— J e t ’en p r ie, n e te fa t igu e p as ! c o u p a T a n c r è d e
a ve c un p etit r ir e. C’est u n e r ep r od u ct ion d e la
ch a r te..., a ve c u n e b elle d éd ica ce. D em a in , j e te
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L li
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r em ett r a i ce p r é cie u x ca d eau . Ca r tu n e tien s pas,
j e su pp ose, à ce que je m e d ér a n ge m a in ten a n t ?
— M a is si !
« I l est fa n a t is é ! son gea Ta n cr è d e . J e su is
ép a ta n t ! »
— Lè ve -t o i, con t in u a F r a n ço is a ve c un sou r ir e, et
va ch er ch er le p r ésen t de ton on cle. J ’a d or e r ece
vo ir d es ca d e a u x de m a fa m ille.
— C ’est n a t u r el, m êm e qu an d il n e s’a git p as de
la fa m ille ; lor sq u e M ick m ’a d on n é la ph oto de
Riq u et t e, j ’ai eu b ea u cou p d e p la isir .
— Q u a n d te m a r ies-t u ? in t e r r o ge a M on tb r u l, ju
gea n t qu ’il n ’a va it pas m on tr é a ssez d 'in t ér êt à son
ca m a r a d e.
— T u es p r essé d ’êt r e ga r ço n d ’h on n eu r ? r é p li
q u a le p etit b a r on . J e r e gr et t e de n e p o u vo ir te
r ép on d r e p a r un e d ate tou te p r och e. Il y a cer t a in es
d ifficu ltés..., m a m èr e a va it fo r m é d ’a u t r es p r ojet s...
Il p en sa it : « M e fa ir e ép ou ser M igu elin e, et, ça ,
p lu tôt la m or t ! » — P o u r t a n t , m a fian cée est fa it e
p ou r lui p la ir e. E lle est si d ou ce, si gen t ille ! E lle
fe r a t ou t ce qu e je vo u d r a i : elle m e l’a d it.
— E lle s le d isen t t ou jou r s, tu sa is ! a ve r t it M on t
br u l, d ’un ton d e fr è r e a în é p lein d ’exp ér ien ce.
— O h ! m ais R iq u et t e est d iffér en t e d es a u t r e s !
p r ot esta Ta n cr è d e , con va in cu . Lor sq u e tu la ve r r a s ,
tu com p r en d r a s qu elle vein e j ’ai eue d e lui p lair e.
I l sor tit là -d essu s, la issa n t M on tb r u l scep tiq u e
q u a n t a u x q u a lit és d e sou m ission de la fu t u r e
M m0 Ta n cr è d e . I l p r é vo ya it la m ain -m ise à b r e f
d éla i su r le com m an d em en t. P o u r peu qu e cette d é
licieu se R iq u et t e fû t in t elligen t e, elle a u r a it p r om p
tem en t a s s e r vi son ép ou x.
Ta n cr è d e r evin t d eu x secon d es a p r è s, ch a r gé de
la p la q u ette qu i p esa it si peu.
— Vo ilà ! d it -il, t en d a n t l’œ u vr e du com te Léon ce
à son am i. C ’est en la t in , m ais il y a u n e tr a d u ction
fr a n ça is e , afin de p o u vo ir êt r e o ffe r t en h om m a ge
à qu elqu es d am es.
— E lle s le lisen t ?
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— Qu a n d elles son t tr ès p olies, ou i. Ce n ’est pas
lon g, h eu r eu sem en t !
— E n effet , r econ n u t F r a n ço is , en cor e in ter loq u é
p a r ce ca d eau , c’est p lu tôt e xigu — il se r a t t r a p a ,
— m ais la d éd ica ce est fo r t a im a ble.
Il h ésit a 1111 in sta n t a va n t d ’a r t icu le r :
— j e n e m a n q u er a i p oin t d ’e xp r im er à ton on cle
tou te n ia gr a t it u d e , lor sq u e je p a sser a i p a r P o n t a lr ic.
Ta n cr è d e cr u t q u ’il a lla it vo le r d an s les b r a s de
son ca m ar a d e.
— Ça , c ’est u n e bon n e idée. Le s h om m es de son
â ge son t sen sib les a u x éga r d s de la je u n e s s e !... Mon
on cle est com m e tou s les écr iva in s : il gob e u n p eu
ses p r od u ction s. Alo r s il se r a fla tt é. T u d evr a is
ve n ir le vo ir pen dan t m on sé jo u r à P on ta lr ic^ Il est
tr ès h o sp it a lie r ; ch ez lu i, c’est un va -e t -vie n t con s
ta n t d ’a m is de p a ssa ge. Vie n s d on c, m on v ie u x ; je
vo u d r a is te p r ésen ter à m a fian cée. T u ve r r a s
com m e elle est ch a r m a n te.
F r a n ço is eu t un gest e va gu e et un sou r ir e é ga le
m en t d ép ou r vu d e sign ifica tion . Il n e p r om it n i ne
r efu sa .
Ta n cr è d e n e com m it p oin t la m a la d r esse d ’in sis
ter . 11 m it le p lu s gr a n d soin à em p êch er M on tb r u l
de r eve n ir su r le su jet Ger la n d e. Il vo ya it celu i-ci
tou t p r êt à lui d em an d er :
« M o n t r e - m o i d o n c e n c o r e la p h o t o g r a p h ie d e t a
c o u s in e ? »
.
P ou r q u oi lui fa ir e ce p la isir ? Il n a va it q u ’à ve n ir
la vo ir !
VI II
Ta n cr è d e ét a it ven u à Se r r e - d e - Cla u x p ou r vin gt q u a t r e h eu r es, m ais il se la issa vo lo n t ie r s con
va in cr e d ’y r ester plus lon gtem p s.
E n q u a tr e jou r s, les sen tim en ts de M on tb r u l à
�7 .6
LE
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son en d r oit évolu èr en t , et cela ju sq u ’à la con t r a d ic
tion tot a le, p lu s de vin gt fo is. T o u r à t ou r il ju g e a
le fian cé de R iq u et t e : tr ès gen t il, in su p p or tab le,
in ep te, et vr a im e n t fo r t in t elligen t .
P e n d a n t ces jou r n ée s, il fa u t le d ir e, son in vit é
sem bla p r en d r e à t â ch e de lui m et tr e les n e r fs à
fleu r de peau.
L e tou t p etit b a r on de P u ym ér a n , m on tr a n t qu ’il
n ’est pas n é cessa ir e d ’êt r e gr a n d p ou r a vo ir b ea u
cou p de cer ve lle, e xé cu t a it m éth od iqu em en t le p lan
con çu dès le p r em ier s o ir ; sa ch a n t fo r t bien qu e le
m eilleu r m oyen d’e xcit e r l’en vie ch ez un in d ivid u
est de r ép ét er san s cesse : « Ou i, c’est su p erb e, m ais
in u t ile d ’y son ger : c’est ir r é a lis a b le ! » il s’e ffor ça it
de d ém on tr er à F r a n ço is que M igu elin e ét a it in a c
cessib le.
Il a va it t ou jou r s un peu de p ein e à n e pas r ir e,
en vo ya n t son ca m a r a d e se m or d r e les lè vr e s a ve c
cet a ir qu i sign ifie : « I l n ’y a u r a it pas d’im p ossibi
lit é, si je vou la is. » M . de M on tb r u l eû t été vr a i
m en t so r cie r s’il a va it d evin é qu e le bu t se cr e t de
son a m i ét a it ju st em en t l’in cit er à vou loir .
T a n cr è d e em p loya le tem ps de son m ieu x. I l ch a s
sait a ve c P 'r a n çois, su iva it son am i d an s ses in sp ec
t ion s à t r a ve r s les p r op r iét és, ou le r e ga r d a it
p ein d r e. T o u t cela n e l’em p êch a it p oin t de p a r ler
d e son bon h eu r et des in n om b r a b les p e r fe ct io n s de
sa fian cée, san s om ett r e d ’en tr em êler sa va m m en t
l ’éloge de M " ” R iq u et t e et celu i de M igu elin e, en y
jo ign a n t d ’h a b iles cr itiq u es de cette d e r n iè r e ; ceci
a va it le d on d ’exa sp â r er M on tb r u l.
Ta n cr è d e lu i o ffr a it ce r é ga l à d ose m a ssive, et de
p r é fé r e n ce le soir , à cet t e h eu r e qui p r écèd e le d în er ,
où , d an s l’a t e lie r é ga yé p a r un feu de b r a n ch es, ils
se r ep osa ien t tou s les d eu x, a p r ès a vo ir cou r u la
m o n t a gn e ; l’h eu r e un peu t r is t e et p ou r t a n t d éli
cieu se, ap p elée p a r F r a n ço is : « le m om en t du ca fa r d
a gr é a b le » ; ce m om en t où l’on d ésir e, où l’on r e
gr e t t e , où l’on se d it : « Ce n ’est qu e ça , la vie ? »
E t en m êm e tem p s : « Com m e on est bien , ici ! »
F r a n ço is se serait t r o u vé tr ès bien ch ez lu i, si
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MARC
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ia n cr e d c a va it con sen ti à r e fr é n e r son exp a n sion .
E n ten d r e r ép ét er cet ét er n el ca n t iq u e : « M a fian cée
m ’a d o r e !..; T u ne p eu x sa vo ir com bien je su is h e u
r e u x !... » m et ta it su r les lèvr es de M on t b r u l cette
q u estion r et en u e à gr a n d ’p ein e :
« T u n e p o u r r a is p as m e p a r le r d ’a u t r e ch ose,
p ou r va r ie r un p eu ? »
I l ne le d isa it p oin t, ca r p r esq u e t ou jou r s le n om
de R iq u et t e a m en a it u n e d igr ession su r ses am ies,
son en tou r a ge, la vie m on d ain e à P o n t a lr ic, et, su i
va n t la cou r b e a scen d a n te, a t t e ign a it le p oin t cu lm i
n a n t, r ep r ésen t é p a r les Ger la n d e.
D è s l’in sta n t où Ta n cr è d e lu i a va it m on tr é la
p h otogr a p h ie de sa fia n cée — p a r con tr e-cou p , celle
de M igu elin e, — F r a n ço is a va it t r o u vé M "° de
Ger la n d e ext r êm em en t jo lie ; m ais n om br e d’a u t r es
fem m es a u ssi jolie s a va ie n t cr oisé son ch em in san s
r et en ir lon gtem p s son a tten tion . L ’in d iffér en ce qu asi
d éd a ign eu se a ve c la q u elle T a n C r è d e p a r la it de cette
je u n e b ea u té, su r tou t la fa ço n d on t il r ep r ésen t a it
M igu e lin e com m e im p ossible a ^ con quérir, fa isa ien t
s e c r è t e m e n t sou h a it er a I* r a n çois de vo ir s i P u ym cr an d isa it vr a i.
Ap r è s q u a tr e jo u r s de cet e xe r cice , il n e fit plu s
au cu n e d ifficu lté p ou r a ccom p a gn er son am i a F o n
t a in e . Lu i au ssi se sen tait tou t à cou p u n v if d ésir
de r ep r en d r e a ve c la branche^ a în ée de sa fa m ille
des r a p p or ts in ter r om p u s d ep u is t r op lon gtem p s.
Ta n cr è d e t é légr a p h ia a u com te de Ger la n d e p ou r
lui a n n on cer son r et ou r cl la vis it e de M on tb r u l. E n
qu itta n t Se r r e - d e - Cla u x a ve c son ca m a r a d e, il so n
gea it . ém er veillé p a r son h a b ilet é : « Ça va !... il est
m on té à bloc. »
Ap r è s cela , un e cr a in te lu i vin t, à la q u elle il ne
s ’a tt en d a it p oin t en com m en ça n t la ca m p a gn e : le
ch a r m e de M igu elin e n ’a gir a it -il p as tr op p r o fo n d é
m en t su r F r a n ço is ?... Qu a n d elle vo u la it p la ir e, elle
en sor cela it . Si elle a lla it su b ju gu e r le je u n e h om m e
a u poin t de le r en d r e fa ib le, lui a u ssi?... C ’est qu ’il
ne le fa lla it pas ! ah ! m ais n on !...
Aya n t ga gn é la p r em ièr e m an ch e, Ta n cr è d e eut
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p eu r d ’a vo ir tr op bien r éu ssi. Un cou p d ’œ il je t é
d iscr èt em en t su r son com p agn on le r a ssu r a . Le
vico m t e de M on tb r u l n ’a va it r ien d an s les t r a it s ni
l’exp r ession qu i in d iqu ât la fa ib lesse d e ca r a ct è r e . ;
Il ét a it d ’h u m eu r t r ès ga ie, ext r êm em en t b o n ; T a n
cr èd e a va it pu a ch e ve r de s’en co n va in cr e en vo ya n t ;
r a t t a ch e m e n t d es p a ysa n s de Se r r e - d e - Cla u x p ou r
le je u n e ch â t e la in ; m ais, selon la p h r a se ch èr e à
Ta n cr è d e , il n e se la is se r a it p as « m an oeu vr er ». On
p ou va it lui con fier le com m an d em en t de l’h ôtel d e
Ger lan d e.
Un e fois p a r ven u s d eva n t le p or t a il de son on cle,
il se tou r n a ve r s M on tb r u l et a n n on ça :
— Vo ilà l’im m eu b le!... Il te p la ît ?
— Bea u co u p ! affir m a l’in ter p ellé, sin cèr e.
— E h bien ! tan t m ieu x ! fit br u sq u em en t T a n cr èd c, à l’ext r êm e su r p r ise de son am i.
...
Ch a q u e sem a in e, le sam ed i, il y a va it un th éb r id ge ch ez le com te de Ger la n d e. M igu elin e r éu
n issa it tou tes scs a m ies ; les fr è r e s ou cou sin s —
san s e xce p t e r les flir t s — de ces d em oiselles n e
m a n q u a ien t p oin t de les e s co r t e r ; qu elqu es m èr es,
b r id geu ses fa n a t iq u e s, et de vie u x m essieu r s, p ou r
lesqu els la p a r t ie q u otid ien n e ét a it ch ose sa cr ée, se :
joign a ie n t à l’élém en t jeu n e. Le com te r e ce va it a ve c
sa fille et d isa it p laisam m en t : « N ou s, les a n cêt r es,
som m es là p ou r fa ir e un fon d ! »
Lor sq u e Ta n cr è d e et F r a n ço is p én ét r èr en t d an s •
la m aison , ils t r ou vèr en t , au m ilieu de la ga le r ie ,
M. de Ger la n d e qui les a tt en d a it, cu r ie u x d e vo ir
son fu t u r gen d r e.
A la vé r it é, d ep u is la r écep tion du télégr a m m e d e
son n eveu , a n n on ça n t la vis it e du vicom te de M on t
b r u l, il se m éla n gea it au p la isir de con n a ît r e son
jeu n e p a r en t un cer t a in r egr et d ’a vo ir ch a r gé T a n
cr èd e d ’un e m ission à but m a tr im on ia l, tan t est ve r
sa t ile l’esp r it h u m ain . Il ét a it p r écisém en t occu p é à
se d ir e : « Q u e l en n u i su is-je a llé ch er ch er là ?... 1
J 'é t a is si t r a n q u ille ch ez m oi ! » en fa isa n t les cen t
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pas sous le r e ga r d ir on iq u e d es p o r t r a it s d ’a n cêt r es,
lor sq u e, d e r r ièr e lui', la vo ix de Ta n e r è d e a r t icu la :
— Vo ilà ju st em en t m on o n cle ! .
Le com te, op ér a n t u n e vo lt e su bite à l’in sta n t où
M. d e M on tb r u l s’a va n ça it , fa illit r e ce vo ir le je u n e
hom m e d an s ses br as.
Ave c un e r a p id ité ve r t igin eu se, ses sen tim en ts
évolu èr en t en cor e, m ais cette fo is en sen s in ver s e
d e la secon d e p r écéd en t e; il se d it :
« Le beau ga r ço n ! Si j ’a va is u n fils com m e lu i!...
P o u r vu qu ’il p la ise à M igu elin e ! »
Ave c son u r b a n ité exq u ise, in im ita b le, M . d e Ger lan de a r r ê t a les p r ésen t a t ion s a u xq u elles Ta n e r è d e
p r océd a it d ’u n a ir d ’a llégr esse.
— So ye z le b ien ven u ch ez m oi, p r on on ça -t -il, la
m ain o ffe r t e d an s un gest e d ’a m a b ilité r oya le Ta n cr èd e n ou s a fa it la p lu s a gr é a b le su r p r ise en
a n n on ça n t vo t r e visit e. J e d is n o u s , ca r m a fille
p a r t a ge m on p la is ir de vo ir se r en ou er des lien s de
fa m ille fâ ch eu sem en t in ter r om p u s d ep u is lon gtem p s.
— E li e ffet ! p lu sieu r s siècles, ce n ’est p a s l’a va n t veille ! ém it Ta n e r è d e a ve c bon n e h u m eu r .
Ave c u n e a isa n ce éga le à celle du com te, F r a n
çois r ép on d it en s ’in clin a n t légèr em en t :
_ Vo u s m ’a ccu eillez d ’un e fa ço n si a im a ble, m on
cou sin , qu e je n e p u is cr oir e a 1 in t er r u p t ion des
r ap p or ts fa m ilia u x. I l m e sem ble vo u s a vo ir t ou
jo u r s con n u .
, „
— M a n ch er en fa n t , dit a u ssit ôt M. de Ger la n d e,
su b ju gu é, vou s m e r en d ez t r ès h e u r e u x en m ’a ffir
m an t ceci.
Ta n e r è d e eut un p etit h och em en t de t êt e a p p r o
b a teu r . L ’on cle Lé on ce et M on tb r u l ét a ien t fa it s
p ou r s’en ten d r e. Selon son exp r ession , « l’a ccr o
ch a ge » en tr e eu x ven a it de s ’o p ér er d ’un e fa çon
sa t isfa isa n t e. R est a it m ain ten a n t à sa voir qu elle
ser a it l’im p r ession de M igu elin e.
Q u a n t à celle de F r a n çois..., Ta n e r è d e ét a it sû r
d’a va n ce q u ’il d on n er a it à sa cou sin e la cote 20/ 20.
Il ét a it sa t is fa it de la m a r ch e des évén em en ts.
So u ve n t un in cid en t, infim e d ’a p p a r en ce, d étr u it les
�8o
LE
MARI
1)E
LA
R E IN E
p lu s sa va n t e s com b in a ison s. Un a ve n ir se jo u e su r le
p r em ier cou p d ’œ il, le m ot in it ia l. Le s sym p a th ies ou
les a n t ip a t h ies n a issen t d ès la p r ise de co n t a ct ; le
sen tim en t du d ébu t n e peu t ja m a is êt r e com p lète
m en t e ffa cé p a r la su ite. T o u t d ép en d d’u n e m in u te.
F r a n ço is de M on tb r u l fu t con qu is su r -le-ch a m p
p a r la sim p licité, la co u r t o isie du com te Léon ce. I l le
d éfin it en ter m es b r e fs : un beau vie u x gen t lem a n .
M . de Ger la n d e, séd u it p a r le p h ysiqu e sp len did e,
la p er fect io n de m a n ièr es du jeu n e vico m t e d e
M on tb r u l, écou ta it les p h r a ses a im a bles du n ou vea u
ven u , en se r ép étan t a ve c un e sor te d e fier té :
« E n vé r it é, cela fa it p la isir de vo ir un g a r ç o n
ch ic et bien élevé com m e celu i-là ! Il n ’y en a plus
b ea u cou p . Le s jeu n es h om m es d’a u jo u r d ’h u i s o n t
tr op sou ven t b r u t a u x et sa n s-gên e. »
In volon t a ir em en t, ses ye u x se p osèr en t d’ab ord
su r Ta n cr è d e , en su ite su r F r a n çois . Le p r em ier ,
cer t es, n ’a va it r ien de b r u ta l, m ais il p éch a it p a r
e xcè s con t r a ir e. L ’abbé M oit r r ott x, esp r it ca u stiq u e,
l’a va it a ssim ilé, un jo u r , à un bon b on fon d a n t. C e
n e p ou va it êt r e p r is p ou r un e lou a n ge. D a n s la com
p a r a ison en tr e les d eu x ca m a r a d es, le p etit b a r on d e
P u ym ér a n se t r o u va tou t n a t u r ellem en t d éficitair e.
Ta n cr è d e n ’e n r egist r a p oin t le r ega r d de bon té
con d escen d a n te a ccor d é p a r son on cle. Il p r êt a it
l’or eille du côt é du sa lon , essa ya n t d’id en tifier les
vo ix fém in in es d on t le r a m a ge p a r ven a it ju s q u ’à
eu x, bien qu e la ga le r ie com p tâ t d ix-n e u f m ètr es
cin q u a n te de lon g. Il d evin t p â le tou t à cou p , puis
violet. 11 b r ed ou illa :
— P a r d on ! la issez-m oi p a sser !
E t fo n ça d r oit d eva n t lui, san s om ettr e d ’é c r a s e r
le p ied de son on cle.
M . d e Ger la n d e sOtirit.
— Vo u le z-vo u s m e s u ivr e ? p r op osa-t-il, t o u r n é
ve r s M on tb r u l. M a fille r eçoit. La fia n cé e ,d e T a n cr èd e est ici ; elle l’a tt en d d ep u is d eu x h eu r es. — Il
p r it un tem ps. — Q u e vou lez-vou s ! il p a r a ît q u ’e lle
l’a d or e !
C ’éta it in d u lgen t et qu elqu e p< m m oq u eu r . F r a n
�LE
MARI
DK
LA
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81
çois se m it à r ir e . L a t o u r n u r e d ’e s p r it du vie u x
com te ét a it à ssez sem blable à la s ie n n e p r op re.
—
Ce la vou s ét on n e? d it-il, am u sé. Il est p lein de
qu a lités, Ta n cr èd e.
Cer t a in em en t , fit le comte, a ve c sa bon h om ie
n a r q u oise; je l’aim e bien , m on n eveu . C ’est un gen j,„ ga r çon , m ais il a u n e m èr e... ! L a seu le pen sée
et r c ta b elle-fille de M In° de P u ym ér a n d oit fa ir e
r ecu ler les plus in tr ép id es. E lle a sou m is son fils à
un tel d r essa ge qu ’elle en a fa it un vé r it a b le agn ea u
p a sca l !
.J pe n ou vea u , le jeu n e h om m e écla t a de r ir e. Cet t e
r éflexion lui vin t, tou t n a t u r ellem en t :
« I r ès ch ic, ce vie u x Ger la n d e ! Il d oit êt r e ch a r
r ia n t d an s la vie qu otid ien n e. Si sa fille a a u ta n t
d e s p r it , je com p ren d s qu ’elle a it bea u cou p d ’a d or a
teu r s à ses p ied s! Il m e p la ir a it a ssez de les fa ir e
sor tir de là p ou r p r en d r e leu r p lace ! »
On se r va it le thé lor sq u e M. d e Ger la n d e in tr o
d u isit F r a n ço is de M on tb r u l d an s le salon . Il y
a va it là, r éu n is p a r p etits gr ou p es, au gr é d es fa n
ta isies d e ch a cu n , un e vin gt a in e de fem m es, pou r
la p lu p ar t jo lie s ; d es hom m es, gén ér a lem en t tr ès
jeu n es, ch â tela in s d ’a len t ou r , officier s de la ga r n i
son : tou t le cer cle h a b itu el de M igu elin e. Le s p e
t ites La n d r a gu e t a lla ien t et ven a ien t d e la sa lle à
m a n ger , où qu elqu es in tim es fu m a ien t et bu va ien t
des cockt a ils, au salon , où elles a id a ien t M 110 de
Ger la n d e à fa ir e les h on n eu r s du go û t e r a u x per
son n a lités fém in in es les plu s m ar qu a n tes.
A l’ap p a r ition de l’in con n u q u ’ét a it M on tb r u l, le
b r u it des con ver sa tion s cessa com m e p a r m a gie. Les
fem m es le r ega r d èr en t et , p a r un r é flexe in évita b le,
tou s les hom m es se t ou r n èr en t ve r s M igu elin e.
M . de Ger la n d e escom p ta it ce qu e l’on n om m e au
t h éâ t r e un « m ou vem en t », m ais ce su ccès d ép a ssa it
de bea u cou p ses esp ér a n ces; le ter m e e xa ct eû t été
« sen sation ».
D a n s ce b r ou h a h a éléga n t et jo ye u x, F r a n ço is
d em eu r a it t r ès ca lm e; il a va it l’h a bitu d e d ’êt r e r e
ga r d é a in si et n e s’en m on tr a it pas a u tr em en t va in ;
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LE
M A KT DI',
LA
RETNE
il ch e r ch a it à d evin er M igu e lin e a u m ilieu de ces
je u n e s p er son n es, et, n e la t r o u va n t pas, il ju ge a it
Ta n cr è d e p oli ju s q u ’à l’e xa gé r a t io n qu an t à la
b ea u té de sa cou sin e.
M igu elin e, sor ta n t de la sa lle à m a n ger , a p p a r u t
d an s l’en cad r em en t de la p or te. E lle s’a r r ê t a un e
secon d e con t r e le b a t ta n t scu lp té. Sa r obe de ve lo u r s
bleu , d 'u n e n u a n ce exa ct em e n t sem bla ble à celle de
ses ye u x, m ou la it sa t a ille m a gn ifiq u e; sou s la lu
m ièr e r u issela n t d es lu str es, ses ch e ve u x b r illa ie n t
com m e de l’o r viva n t .
F r a n ço is , en la voya n t , n e pu t m êm e pas se d ir e :
« Q u ’elle est b elle ! » les m ots n ’a u r a ien t p oin t e x
p r im é sa pen sée. D a n s sa vie de vo ya ge u r , il a va it
r en con tr é n om br e de fem m es célèb r es p a r leu r
b ea u t é : a u cu n e n e lu i a va it fa it r essen t ir cette im
p r ession d ’éblou issem en t. Il 11e put s’em p êch er de
r ou gir en la vo ya n t s’a va n ce r ve r s lu i, et son gea :
« E lle est écla ir a n t e ! »
M igu elin e eu t la sen sa t ion d ’êt r e en velop p ée p a r
le r e ga r d p osé su r elle, u n r e ga r d im p ossible à défi
n ir , si vo lo n t a ir e et ca r essa n t , ten d r e et d om in a teu r ,
qu ’elle n ’a va it ja m a is r en con tr é le m êm e.
M. de Ger la n d e p r on on ça d’un fo r t gr a n d a ir :
— M igu elin e, t on cou sin F r a n ço is de M on tb r u l.
E t , tou r n é ve r s F r a n ço is , il a r t icu la , m a lgr é lui
o r gu e ille u x :
— M a fille.
M igu e lin e d evin t r ose lor sq u ’elle d it, a ve c 1111
m e r ve ille u x sou r ir e, com bien elle ét a it ch a r m ée de
vo ir son p a r en t in con n u , cet am i don t Ta n cr è d e
p a r la it si sou ven t.
( A n oter qu e T a n cr è d e en a va it p a r lé un e seule
fo is à sa cou sin e, et cela d ’u n e fa ço n b r ève.)
Q u a n d M igu elin e sou r ia it d e la sor te, elle éta it
ext r êm em en t séd u isa n te. Son exp r ession h a u ta in e
se fo n d a it de d o u ce u r ; les ye u x b leu s d em eu r a ien t
fier s, m ais la b ou ch e d even a it ten d r e.
M. de Ger la n d e, ob ser va n t sa fille du coin de
l’œ il, se d isa it ;
« E xce lle n t e im p r ession . 11 lui p la ît ; le con t r a ir e
�LE
MARI
DE
LA
R E IN E
83
m ’eû t éton n é. M on t b r u l, de son côté... M a is n on ,
c’est cu r ie u x, il a l’a ir bien fr o id ! »
F r a n ço is , t r è s m a ît r e de lu i, s’é t a it im m éd ia te
m en t r essa isi. I l s'in clin a d eva n t sa cou sin e a ve c le
r e gr e t d e 11e p ou voir a p p u yer ses lè vr e s su r les
lon gs d oigt s fin s, san s b a gu es, p u is se r ed r essa .
Si gr a n d e qu e fû t la je u n e fille, il la d om in a it.
E lle vit d an s la gla ce le cou p le su p er be qu ’ils fo r
m aien t ; elle vit au ssi tou s les r ega r d s posés su r eu x.
Alo r s , u n e fo is en cor e, elle so u r it ; m ais, cette fois,
c’ét a it la r ein e I
M . de Ger la n d e, qu i e xu lt a it secr ètem en t, vou lu t
con t in u er les p r ésen ta tion s. Sa fille d it, gen t ille :
— N on , m oi !
E t , se t ou r n a n t ve r s son cou sin , a jo u t a :
— Vo ye z com m e je su is a u t o r it a ir e !
Le s con ver sa t ion s p a r t icu liè r es r ep r ir en t. M u " de
La n d r a gu e t vin r en t en sem ble o ffr ir du th é a u vi
com te de M on tb r u l. M 11' de Ger la n d e a lla it d e l’un
à l’a u tr e, s ’occu p a n t d e ch a cu n san s n é glige r p er
son n e. C ’ét a it , en vé r it é, un e m a îtr esse de m aison
a ccom p lie.
Le je u n e h om m e ét u d ia it cette p etite scèn e de la
vie m on d a in e p r ovin cia le a ve c un e cu r iosit é am u sée.
I l se d em an d a it où p ou va it bien êt r e p a ssé T a n
cr èd e, lor sq u e M igu elin e r evin t ve r s lui.
— M on cou sin F r a n çois , d it-elle gen t im en t , vou s
d evez m e ju g e r t r è s peu h osp it a lièr e ! J e n e vou s ai
pa s en cor e p osé les t r ois q u estion s o b liga t o ir es :
Ave z- vo u s fa it un bon vo ya ge ? Co n n a issiez-vou s
d é jà P o n t a lr ic? et... — elle r it , c’ét a it com m e u n e
ch a n son — qu e fa u t -il vou s d ir e e n cor e ?
— Si je su is h e u r e u x d ’a vo ir fa it la con n a issa n ce
d ’un e cou sin e au ssi a im a b le? s u ggé r a M on tb r u l.
— Vo u s r ép on d r ez ou i, n a t u r ellem en t ?
— N on . J e r ép on d r a i : je n e sa is pa s. Ce la d ép en
d r a d ’elle.
— Q u e d oit-elle fa ir e ? in t e r r o ge a la jeu n e fille,
d iver tie.
— M ’a ssu r er qu ’elle n e m e t r o u v e p a s a b o m in a
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LE
MA R r
1)1''.
LA
R E IN E
b lem en t in d iscr et , m al élevé, etc..., en ven a n t a ve c
Ta n cr è d e . Vo u s a ve z dû êt r e su r p r ise?
Le s b e a u x ye u x b r illa n t s de M igu clin e e xp r i
m èr en t u n éton n em en t sin cèr e.
— P ou r q u oi d on c? M on p èr e et m oi aim on s b ea u
cou p r e ce vo ir . T r è s sou ven t, n ou s a von s a in si des
a m is à la m aison p ou r u n w e e k - e n d . J e sou h a ite que
P o n t a lr ic vou s p a r a isse su ffisam m en t a gr éa b le p ou r
'd ésirer y r e ve n ir . — E lle sou r it en cor e. — M a in t e
n a n t, à vo t r e t o u r ! D it e s : « Ta n cr è d e a eu là un e
b on n e id ée. » E t p u is n ou s p a r ler o n s d ’a u t r e ch ose !
L e vico m t e de M on tb r u l r ép liq u a en s’in clin a n t
un p eu :
— Ava n t , je d ois r ép on d r e à la t r oisièm e qu es
tion , qu oiq u e vou s n ’a ye z p as vou lu m e l’a d r esser :
J e su is ext r êm em en t h e u r e u x d ’a vo ir fa it la con
n a issa n ce d ’u n e a u ssi ch a r m a n t e cou sin e.
L e ton a ve c lequ el il a r t icu la it ces m ots leu r
e n leva it tou : b a n a lit é. M igu e lin c r ép on d it d an s un
p etit r ir e :
— M e r c i! J e suis t o u jo u r s tr ès con ten te de vo ir
d es ge n s h eu r eu x. J ’esp èr e qu e vou s n 'êtes pas
m en t eu r ?
T r è s vit e, l’in tim ité s’ét a b lissa it en tr e eu x. To u s
d e u x p osséd a ien t un e é ga le a isa n ce m on d ain e, 1111
m êm e d ésir d e co n n a ît r e un peu p lu s de l’in t er lo
cu teu r . M igu e lin c ch er ch a it à p la ir e à F r a n çois , il
le vo ya it et, en l’écou ta n t, d écid a it :
« E lle d oit êt r e in fa t u é e d ’elle-m êm e a u d elà de
t ou t e exp r ession , m ais elle est in tér essa n te. »
M . de Ger la n d c d ut a ller a r r a ch e r sa fille a u x
ch a r m es de l’en tr et ien a ve c son cou sin . M 11" de
La n d r a gu e t n ° 1 m it à p r ofit ce m ou vem en t p ou r
o ffr ir à M . de M on tb r u l de la su ivr e à la sa lle à
m a n ger où elle lui fe r a it un cockt a il. Su r la r ép on se
n é ga t ive , elle s’a ssit à côté de lui, et sa co n ver sa tion
p lon gea M on tb r u l, qu i a va it en ten d u cep en d an t pas
m al de ch oses au cou r s de sa vie., d an s un e stu p eu r
vér it a b le.
P e u a p r ès, Ta n cr è d e , qu e l'on cr o ya it é ga r é à
tou t ja m a is, se d écid a à ve n ir r ejo in d r e sa fa m ille.
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R E IN E
85
II m a r ch a it, tou t e xt a s e et r ecu eillem en t, d an s le
silla ge d ’u n e je u n e fille r ou gissa n t e, don t la tim id ité
fa is a it un con t r a ste su r p r en a n t a ve c l’effr o n t er ie de
M " ‘" de La n d r a gu e t ; on eû t d it q u ’il y a va it un
siècle en tr e ces t r ois éch a n t illon s fém in in s.
Ta n cr è d e a m en a M on tb r u l d eva n t la jeu n e fille
tim id e et le p r ésen ta com m e le m eilleu r de ses am is.
M '"' R iq t iet te fit un e ffor t vis ib le p ou r d ir e qu elqu e
ch ose et r éu ssit seu lem en t à se t r ou b ler d a va n t a ge.
F r a n ço is la com p a r a m en ta lem en t à u n e pou pée
p er fect io n n ée, de la q u elle on p eu t ob t en ir u n e b r ève
co n ver sa t io n en a ct ion n a n t un r essor t. P r o b a b le
m en t, Ta n cr è d e con n a issa it le s e cr e t ; il sa va it fa ir e
d ir e d es ch oses t r ès gr a cie u se s à sa jo lie p etite
p r om ise.
D e loin , M igu elin e les con tem p lait ; un r a yon de
ga ît é m oqu eu se fa is a it lu ir e ses p r u n elles cla ir es.
E n fa ce de F r a n çois , R iq u et t e p a r a issa it si m e
n u e, si... — elle p en sa it : si r id icu le I
Len t em en t , de son a llu r e sou ver a in e, elle t r a ve r s a
le salon et s’a r r ê t a a u p r ès de F r a n ço is en d isan t,
a im a b le :
— Vo u s a ve z fa it vos com p lim en ts à Ta n cr è d e ?
E lle sou r ia it, de son m e r ve ille u x sou r ir e en sor
celeu r .
M on tb r u l pen sa, m a lgr é tou t séd u it :
« C ’est p lu tôt « r osse » !... M a is qu ’elle est jo lie ! »
IX
U n e fem m e s'a p er ço it t r è s vit e de l'a m ou r qu ’elle
in sp ir e. U n h om m e n e m et pas p lu s de tem p s à vo ir
qu ’il est aim é.
F r a n ço is de M on tb r u l eû t été a ve u gle ou ét r a n
«
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gem en t d ist r a it s’il n ’a va it pas com p r is à qu el p oin t
il p la isa it à sa b elle et fière cou sin e. P a r con tr e,
M igu elin e ch er ch a it en va in à d evin e r si le jeu n e
h om m e se sou cia it d ’elle ou non.
Au p r em ier in sta n t, c’est vr a i, il a va it p a r u im
p r ession n é. L a seu le fa ço n don t il la r ega r d a it r é vé
la it u n e a d m ir a t ion in d icib le; m ais il s’é t a it r ep r is
t ou t de su ite. Alo r s elle n e sa va it plus...
A p er son n e M igu elin e n ’eû t a vo u é q u 'elle-m êm e
é t a it con q u ise; elle ép r ou va it à la fo is de la jo ie et
u n e sor te de con fu sion à se d ir e : « J e cr ois qu e je
l’aim e. » Le secon d sen tim en t d even a it d ’a u t a n t plus
fo r t qu e F r a n ço is ga r d a it u n e a tt it u d e cor r ect e,
cér ém on ieu se, et, p ou r tou t d ir e, en cor e p lu s in d if
fér en te.
A l'o r d in a ir e, ch ez les fem m es, le cœ u r est le
sou ver a in m a ît r e ; ch ez M igu elin e, tou t ét a it com
m an d é p a r le cer ve a u . P ou r t a n t , cette fois, l’a m ou r
sem b la it tou t p r ès de l’em p or t er su r le r este, m êm e
su r la va n it é, ca r il y a va it un e la r ge p a r t d ’o r gu e il
d an s l’a m ou r de M igu elin e p ou r son su p er be cou sin .
E lle sa va it fo r t bien , a ya n t u n e gr a n d e e xp é
r ien ce du m on de, qu e les su ccès d ’un e je u n e fille n e
son t rien a u p r ès d e ce u x d ’u n e je u n e fem m e. I l lu i
a va it suffi de vo ir F r a n ço is a u p r ès d ’elle p ou r se
r ep r ésen t er la sen sa tion qu e p r od u ir a it leu r en tr ée
d an s u n lieu p u b lic, a u t h éâ t r e, a u bal. E lle n e
cr o ya it p a s fa ir e p r eu ve de séch er esse de cœ u r en
sou h a it a n t un m a r i t r è s beau , p ou r a t t ir e r en cor e
d a va n t a ge l’a tten tion su r elle. Il lu i p a r a iss a it si
n a t u r el d e n e son ger q u ’à soi !
F r a n ço is de M on tb r u l d eva it t en ir tr ès peu à b ou
le ve r s e r les fou les p a r ce m oyen . N on seu lem en t il
ne flir t a it p oin t a ve c sa cou sin e, m ais il n e s’en
o ccu p a it p as du tou t.
Ta n cr è d e , d ’a b or d éton n é, com m en ça it à d even ir
t r iste. Il n ’osa it r ien d ir e à son on cle, m a is il ne
put se t en ir d e con fier à R iq u et t e sa cr a in t e de vo ir
la com bin a ison si soign eu sem en t « m on tée » a b o u t ir
à un lam en ta b le éch ec.
M "° Riq u ette, n or m a lem en t, a u r a it dû p le u r e r ;
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87
c’ét a it u n t yp e de fem m es a u xq u elles les lar m es
son t seya n t es. E lle m on t r a un e sa ga cit é d on t P u ym ér a n d em eu r a con fon d u .
— N on , d it-elle d ’un ton r é flé ch i; je cr ois qu ’il le
fa it exp r ès. M igu elin e lui p la ît cer t a in em en t b ea u
coup , m a is elle est tr ès..., com m en t d ir a is-je ? ...
— E lle se gob e au d elà du p er m is? su ggé r a Ta n cr èd e.
— Ça lu i est p eu t -êtr e p er m is, m ais elle se gob e,
a p p r ou va Riq u ette. M. de M on tb r u l n e ve u t p a s se
m ettr e à ses gen o u x, vou s com p r en ez ?
— S ’il fa it ça , il est d ia b lem en t fo r t ! s’écr ia
Ta n cr è d e , a p r ès m éd it a tion du su jet . C ’est t r ès p os
sible. Ce 11’est p as u n « bleu », M on tb r u l, vou s sa
ve z 1 II est d’u n e in t elligen ce r em ar q u ab le. — Vo u s
a u ssi êtes r em ar qu ab lem en t in t e llige n t e ! — Moi,
im a gin ez-vou s, cela m ’a va it éch ap p é... J e m e d e
m an d e ce qu ’en p en se M igu elin e. E lle a p r is la
d ou ce h a b itu d e d’êt r e la r ein e, de vo ir tou t le m on de
à scs pieds... Le co n t r a ir e d oit la su r p r en d r e. Vo u s
n e cr oyez p a s?
... Si M igu e lin e é t a it su r p r ise, n ul, d an s son en
t ou r a ge, n e p ou va it s’en d ou ter . E lle m on t r a it à
M . de M on tb r u l le m êm e vis a ge gr a cie u x, seu lem en t
ses ye u x éta ien t in qu iets.
E n r éa lit é, Riq u ette vo ya it ju s t e : M igu elin e p la i
sa it à F r a n ço is , elle lu i p la isa it m êm e follem en t.
C ’ét a it un e vr a ie fem m e et pas u n e ga r ço n n e, ce
q u ’il a va it en h or r eu r . I l a p p r écia it non seu lem en t
ses d on s p h ysiq u es excep tion n els, sa d istin ction ,
m a is son in t elligen ce vive qu i r en d a it sa co n ve r sa
tion a t t r a ya n t e. E lle a va it d es m ou vem en ts sp on ta
n és d élicieu x, ce qu ’il a p p elait : des r éa ction s in t é
r essa n tes. L e jeu n e h om m e ét a it t r op exp ér im en t é
en la m a t ièr e p ou r n’a vo ir p oin t ju g é sa cou sin e
tr è s r ap id em en t et a ve c cer t itu d e : un e cr éa t u r e
r ich e de q u a lités a tr op h iées p a r u n e vie t r op m on
d ain e, u n ca r a ct è r e en tier , su r lequ el p er son n e
n ’a va it cil de p r ise, p a r ce qu ’il a u r a it fa llu qu ’elle vît
se d r esser , en fa ce de la sien n e, u n e vo lon t é d e fer .
M igu elin e a m ou r eu se su b ir a it l'in flu en ce du m ar i.
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U n h om m e h a b ile p o u r r a it en fa ir e u n e cr é a t u r e
un iqu e, exq u ise, et il vo ya it bien q u ’elle l’a im a it. I l
sen ta it d an s cet a m ou r de l’o r gu e il m éla n gé au d ésir
de ten d r esse'; m ais il se d isa it a u ssi qu e, s’il vo u la it ,
il se r a it le m a îtr e.
... U n e tin d e sem ain e, m êm e p r olon gée d’un jo u r ,
p a sse t r è s vit e. M . d e Ger la n d e fu t n a vr é de vo ir
p a r t ir son je u n e p a r en t — un ga r ço n si p oli ! qui
s’in t ér essa it à l’h ist o ir e de P o n t a lr ie ! — I l l’e n ga
gea cor d ia lem en t à r en o u veler sa visit e. M igu elin e
a tten d it sa r ép on se a ve c u n e im p a ssib ilité qui lui
coû ta b ea u cou p de pein e. E lle es sa ya it d ’op p oser à
la fr o id e cor r ect ion de F r a n ço is u n e a tt it u d e en cor e
plu s gla cia le . Ce la lu i d on n a it u n e exp r ession h a u
ta in e, sèch e, qu i a m en a cet t e r éflexion d ésolée à
l’esp r it de Ta n cr è d e :
« E t je lui a va is d it q u ’elle a va it le b égu in p ou r
lu i !... H eu r eu sem en t , il ne l’a p a s cr u ! »
M. de Ger la n d e n ’a va it p as m is d an s ses p r o je t s
d ’a cco r d e r la m ain d e sa fille à F r a n ço is de M on tbr u l q u a r a n t e-h u it h eu r es a p r ès la p r ésen t a t ion .
C ’eû t été tou t à fa it t r op p r écip it é. N éa n m oin s,
vo ya n t p a r t ir ce je u n e h om m e sa n s a vo ir en ten d u
a u t r e ch ose qu e d es r em er ciem en t s su r l’a m a b ilité
de son a ccu eil, il r essen t it un vid e ét r a n ge et, p ou r
tou t d ir e, u n e ép ou va n t a b le d écep tion .
Ta n cr è d e , h or r ib lem en t d écon fit, r ega r d a sc fe r
m er le p or t a il de l’h ôtel su r la vo it u r e em m en an t
son ca m a r a d e, il a va it en vie de s’a sseoir et d e se
m ettr e à p leu r er . Alo r s , q u o i? t a n t de p ein e p ou r
r ie n ? I l n e p o u r r a it en cor e p as se s e r vir d es fian
ça illes de M igu elin e p ou r a n n on cer les sien n es à sa
m èr e?
Il essa ya de se r a ccr o ch e r à l’esp oir qu e M. de
Ger la n d e eû t r eçu qu elqu es o u ve r t u r e s va gu e s, m ais
cep en d an t con sola n tes. Sa n s p lu s h ésit er , il vin t s ’en
in fo r m e r a u p r ès de son on cle.
Celu i-ci l’a ccu eillit p a r ces m ots a n xie u x :
— Eh b ien ?
— 11 n e vou s a r ien d it ? in t er r o gea Ta n cr è d e , au
lieu de r ép on d re.
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— N on . E t à t o i?
Ta n cr è d e eu t un gest e e xp licit e :
— P a s seu lem en t ça !... N o u s a von s m is à côté de
la p laqu e !
— Q u elle p la q u e? fit le com te, a h u r i.
— P a r d o n ! C ’est u n e fa ço n de r eco n n a ît r e un e
lou r d e er r eu r . H eu r eu sem en t , il ne p la isa it p a s du
tou t à M igu elin e.
— T u en es ce r t a in ? q u estion n a l'on cle, en cor e
d ém or alisé.
Ta n cr è d e r éfléch it . Au fa it , il p ou va it se trom p er .
I l n ’ét a it p lu s sû r d e r ien . I l n ’a va it plus de con
fian ce d an s les h om m es. L ’a ve n ir lu i a p p a r a issa it
sou s d es cou leu r s t r ès n oir es. I l s’a tt en d a it à des
m alh eu r s.
Le len d em ain , M m" de P u ym é r a n télép h on a q u ’elle
a r r ive r a it p a r le t r a in de cin q h eu r es. L a ca t a s
tr op h e s’a ccen t u a it . Ta n cr è d e se d it qu e, si ce
n ’é t a it Riq u ette, il co u r r a it au b u r ea u de r e cr u t e
m en t p ou r r en ga ger .
L a b a r on n e, com m e elle l’a va it a n n on cé, d éb a r
qu a ch ez son b e a u -fr è r e a p r ès le cou ch er du soleil.
E lle é t a it bien sû r e de r e ve n ir p ou r la céléb r a tion
d es a cco r d a illes d e son fils et a p p or t a it u n e b a gu e,
ca r Ta n cr è d e n e p ou va it a vo ir la p r ét en t ion de
l’a ch et er tou t seul.
Ta n cr è d e vin t r e ce vo ir sa m è r e ; il a va it u n e tête
à l’e n ve r s ; R iq u et t e, d eva n t p a r t ir , a va it p leu ré
d an s ses b r a s, et lu i a u ssi un peu d an s les sien s...
B r e f, ses ye u x ét a ien t tou t r ou ges. L a b a r on n e dit
qu ’elle lu i m et tr a it , d ès le soir , u n e com p r esse m ir a
cu leu se p ou r la con ser va t ion de la vu e.
Le b a r on de P u ym ér a n , le cœ u r en cor e ch a vir é
d ’a vo ir vu p leu r e r sa Riq u ette, fu t su r le p oin t de
r é vé le r ses fia n ça illes. M™” de P u ym é r a n n e lu i en
la issa p oin t le loisir . E lle d it q u ’elle a va it ap p or té
u n sa p h ir . Ce t t e p ier r e fa is a it én or m ém en t d ’efïet
p ou r un p r ix r aison n a b le. C ’é t a it u n e vé r it a b le
occa sion , et p u is M igu elin e, a ya n t les ye u x bleus,
t r o u ve r a it l’a tten tion plein e de d élica tesse.
Ta n cr è d e fa illit h u r ler de d ésesp oir . M igu elin e,
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p r ésen t !... E t cet a n im al de F r a n ço is qui n ’a va it
pas com p r is ce qu e l’on a t t en d a it de lui !...
Il r ép liq u a , gr o gn o n :
—
U n sa p h ir , c’est b leu ? E h b ie n ! ça va !... N e
m e fa it e s p lu s p a r ler , m a m a n ; j ’ai u n e r a ge de
d en ts ép ou va n t a b le !
à
X
M '"' de P u ym ér a n , a ssise d an s un e b er gèr e , les
br a s b a lla n t s et l’esp r it en d ésa r r oi, fixa it la p or te
p a r la q u elle M igu elin e ve n a it de sor tir , a p r ès a vo ir
d écla r é d u ton d es p r in cesses o u t r a gées t ir ées de la
t r a géd ie cla ssiq u e :
—
Ta n cr è d e est un p etit id io t ! N e com p tez pas
su r m oi p ou r l’é p o u se r !
■C’ét a it n et. M 1“5 de P u ym é r a n a u r a it d û se cr oir e
br ou illée a ve c sa n ièce, m ais elle a va it a ch et é un
sa p h ir et t en a it à l’u tiliser .
E lle se leva , n on p ou r a lle r sign ifier à Lé on ce
q u ’ét a n t d on n é l’in solen ce de sa fille elle p r é fé r a it
lu i fa ir e ses a d ie u x, m a is p ou r se m ettr e en qu ête
de son fils. Cer t a in em en t , celu i-ci ve n a it de se m on
t r e r m a la d r oit a ve c sa cou sin e, d ’où la r em a r q u e
o b ligea n t e ém ise p r écéd em m en t. Sa m èr e a lla it sur le-ch am p lui en join d r e de p r ésen t er d es excu ses...,
pu is il p o u r r a it d on n er le sa p h ir tou t de su ite ap rès.
M . l’abbé M o u r r o u x, qui ve n a it p r en d r e l’a ir de
la m a ison a p r ès le p a ssa ge de M. de M on tb r u l, r en
con t r a p r écisém en t M igu elin e, don t les t r a it s r é vu l
sés d e fu r e u r n ’in d iqu aien t p oin t que l’on p r ép a r â t
des fê t e s n u p tiales.
Sa n s êt r e d evin , il ét a it fa cile de s’a p e r ce vo ir que
la con cor d e et l’u n ion sem b la ien t êt r e b a n n ies de
l’h ôtel de» Gcr la a d e . L ’abbé M ou r r ou x en jur< i
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a in s i; il fu t du r est e m ain ten u d an s son op in ion
p a r le m a ît r e de céan s.
Le com te n ’ét a it p oin t fu r ie u x, m ais d ém or alisé.
I l d it à l’abbé, en m a n ièr e de b ien ven u e :
— M on ch er , je su is com p lètem en t d é go û t é !...
Q u elle e xis t e n ce !... D ep u is le d ép a r t de F r a n ço is
d e M on tb r u l et le r et ou r de m a b elle-sœ u r , la m a i
son est in fer n a le. J e com p r en d s m a fille de vo u lo ir
e xp lo r e r le Su d m a r oca in . P o u r un r ien , j ’ir a is a vec
elle ! Ah ! qu elle id ée n é fa st e a eu e Ta n cr è d e en
p r ésen t a n t ce jeu n e M on lb r u l !
— I l est m a l? in t e r r o ge a l’abbé.
— T r è s bien , r ép liq u a le com te tr istem en t. Mais...
il est ven u ... et p u is est r ep a r ti...
T r è s vit e, il a jo u t a :
— Du r este, il ne p la isa it p as du tou t à M igu elin e.
— Q u ’y fa ir e ? d it l’abbé, p h ilosop h e. Tr a va illo n s .
Ça vou s ch a n ger a les idées.
— D e plu s, p ou r su ivit le com te, u n e tu ile n e vou s
tom be ja m a is seu le su r la tête : M a d elein e est r e ve
n u e. E lle est..., en fin, n ’in sist on s p a s ! J e cr ois qu ’elle
s’est p ositivem en t q u er ellée a ve c M igu elin e. ' J e
cr a in s u n e b r ou ille d écla r ée.
— Vo u s la cr a ign e z? M oi, à vo t r e p la ce, j ’en
se r a is bien con ten t. — T1 s’en fu t d ir e d e u x m ots
d ’a m itié au pot à tab ac. — M a is n ou s p a r lio n s de
M. de M on tb r u l : vo t r e fille l’a r e fu s é ?
— C ’est-à -d ir e... il n e m e l’a p as d em an d ée. J e le
r egr et t e, je vou s l’a vou e. C ’est u n t r è s ch a r m a n t
ga r ço n , il a tou t p ou r lui. D è s la p r em ièr e .m in u te,
j ’ai cr u à la r éu ssit e de n ot r e p r ojet . Ta n cr è d e
p a r t a ge a it m on op in ion , n ous...
I l s’in ter r om p it. Ta n cr è d e e n t r a it ; il é t a it vis i
blem en t h or s de lui.
— M on o n cle ! s ’écr ia le jeu n e h om m e, tout
essou fflé. C ’est u n e h ist oir e in sen sée ! M a m a n ve u t
m e fo r ce r à d on n er u n e b a gu e à M igu elin e, t ou t à
l’h eu r e, a va n t d éjeu n er . Il p a r a ît que c’est l’u sa ge
d ’o ffr ir d es b a gu es en se m etta n t à tab le, en sign e
d ’a ccor d a illes. Le d ia ble m ’em p orte ! si je su is
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d ’a cco r d a ve c M igu e lin e ! N ou s som m es p r êt s à
n ou s vo le r a u x ye u x, je p r é fè r e vou s le d ir e.
L e com te leva les m ain s ve r s le p la fon d :
— C ’est in fe r n a l !... Ce n ’est p lu s u n e m aison ,
m ais le tem p le d e la d iscor d e !... D é je u n e z a ve c
n ou s, l’abbé, sin on n ou s d evr on s n ou s fa ir e se r vir
in d ivid u ellem en t d an s n os ch a m br es.
— M oi, 5e va is ch ez les La n d r a gu e t , a ve r t it Ta ttcr èd e. Ce la fe r a t o u jo u r s un com b attan t de m oin s.
Il se d ér ob a it p a r la fu it e.
— Ou i, c’est ça , d it le com te. V a - t ’en !... J e vo u
d r a is bien p o u vo ir te su ivr e !
L ’abbé M o u r r o u x, p eu so u cieu x d ’a ss is t e r à un
d éb at d ’o r d r e p r ivé, fit qu elqu es fa ço n s a va n t de
con sen t ir , m ais en fin il p r om it sa p r ésen ce. — Il
fa u t bien fa ir e q u elqu e ch ose p ou r scs a m is.
L e r ep a s n ’eu t au cu n r a p p or t a ve c les ba n qu ets
don t il est d it qu e la p lu s fr a n ch e ga ît é y p r ésid e.
M igu elin e m on t r a it u n e figu r e gla cia le , d u r e ; elle
r essem b la it à un e W a lk yr ie .
M m" de P u ym é r a n con t in u a it à je t e r tou s les tor t s
su r son fils. So n esp r it de su it e ét a it r em ar q u ab le.
M . d e Ger la n d e a u r a it vo u lu êt r e un e n fa n t tr ou vé,
ta n t il ju g e a it la fa m ille u n e in ven t ion m a lfa isa n t e .
L ’abbé M o u r r o u x d ép en sa des t r é so r s d e ve r ve et
d ’in gén io sit é p ou r em p êch er les h eu r t s en tr e les
a d ve r sa ir e s . Au d esser t, il sen t it scs fo r ce s en d é
cr oissa n ce.
L e len d em ain , M m0 de P u ym é r a n n e p u t q u itt er
sa ch a m b r e, en r a ison d ’un e m igr a in e d on t tou s les
sien s fu r e n t en ch an tés.
Ta n cr è d e em p r u n ta la P a c k a r d de sa cou sin e
p ou r a ller d é je u n e r ch ez des am is. O n su p p osa qu ’il
s'a gis s a it du gé n é r a l et M "”' F r a yo l- La gu è ze .
M. de Ger la n d e et M igu elin e con n u r en t d e n ou
ve a u les d ou ceu r s du t êt e -à -t ê t e ; m ais, à vr a i d ir e,
ils s’éve r t u è r e n t à t r o u ve r cette in tim ité d élicieu se,
sa n s p lu s d e co n vict io n l’un qu e l’a u t r e. T o u s d eu x
ét a ien t en p r oie à des p r éoccu p a tion s p er son n elles...,
p eu t -êtr e su r le m êm e su jet.
L e com te ét u d ia it silen cieu sem en t la p in sionotriie
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ten d u e de sa fille et ch er ch a it à d evin er à q u oi elle
p ou va it bien son ger . Ce n ’ét a it p lu s à l’op p osition
a p p or t ée p a r lu i à ce vo ya ge a u M a r o c, p u isqu ’il y
con sen ta it.
L e va le t d e ch a m br e su r vin t, a p p or t a n t le cou r
r ier , d on t la p lu s gr a n d e p a r t ie ét a it d estin ée à
M 11' de Ger la n d e. U n e seu le le t t r e p or t a it l’a d r esse
du com te. E n p r en a n t l’en velop p e, ca ch et ée a u x
a r m es d e Ger la n d e-M on t b r u l, il d it, un peu em ba r
r a s sé :
— F r a n ço is de M on t b r u l m ’écr it .
M igu e lin e eu t un gest e va gu e . Ce la p ou va it sign i
fier : « T a n t m ieu x !» ou : « I l a u r a it pu le fa ir e
p lu s t ôt ! » E lle o u vr it ses let t r es, en d isa n t a ve c un
e ffor t de ga ît é :
— Gw en n ie m ’exp éd ie un volu m e !
I l y eu t u n silen ce. M . d e Ger la n d e tou r n a la
fe u ille et tou ssa . M igu e lin e con t in u a it à t en ir les
ye u x b a issés ve r s les ca r a ct è r e s q u a si m a scu lin s
t r a cé s p a r la d y Kin gs b u r y. E lle a va it u n peu de
Pein e à lir e. Gw en n ie é cr iva it m al..., et p u is son
cœ u r b a t t a it .
L e com te t ou ssa en cor e et dit, la vo ix ém u e :
— M igu e lin e !...
E lle r ele va la tête.
— J e su is co n t r a r ié, r ep r it M . d e Ger la n d e. To n
cou sin te d em an d e en m a r ia ge... J e d evin e ta r é
p on se : c’est n on , n ’est-ce p a s?
M igu e lin e se d r essa . I l vit en p lein e lu m ièr e son
fier vis a ge r a d ieu x. E lle d it len tem en t, la vo ix fer m e
et g r a ve :
— C ’est o u i! J e su is h eu r eu se qu ’il m e ve u ille
p ou r fem m e. J a m a is je n ’a u r a is pu cr oir e q u ’il me
s e r a it p ossib le d ’a im er com m e je l’aim e.
E lle ter m in a un ton plu s bas, a r d em m en t :
— Vo u s sa vez, p apa , je l’a d o r e !
Le com te l’em b r a ssa sa n s m ot d ir e. I l ét a it au
com ble de ses vœ u x et n e p o u va it se d éfen d r e d ’un e
ce r t a in e t r istesse. D é jà , sa fille n ’ét a it p lu s à lui.
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A l’h eu r e où cet évén em en t se p a ssa it , M ra d e
P u ym ér a n , a ya n t r efo u lé sa m igr a in e à fo r ce d’a sp i
r in e et d ’én er gie, exa m in a it sou s tou tes ses fa ce s
la b a gu e ch oisie p ou r M igu elin e, en a d m ir a n t sa
p r op r e gé n é r o s it é ; e t Ta n cr è d e , a p r ès u n e e xce l
len te jou r n ée p a ssée ch ez le gé n é r a l et M m0 F r a yo lLa gu è ze , r e ve n a it à P o n t a lr ic en vit esse, ca r il ne
vo u la it p as se fa ir e a tt en d r e p ou r d în er .
Il ét a it d é jà t r è s t a r d ; le jeu n e h om m e se p r éci
p ita it ve r s sa ch a m br e, lor sq u e M. de Ger la n d e
l’a r r ê t a . Il a va it u n e figu r e ir r a d iée, et , tou t de
su ite, in ca p a b le de se con t en ir plu s lon gtem p s, il
d écla r a , ser r a n t la m ain de son n eveu à la b r o ye r :
— M on p et it, c’est fa it 1 F r a n ço is et M igu elin e
son t fia n cés. C ’est bien gr â ce à t o i!... J e te d e vr a i
u n e des plus gr a n d es joies de m a vie. Il fa u t qu e je
t ’em br asse !
— Si vou s le vou lez, fit Ta n cr è d e , qu i a va it eh,
lui au ssi, bea u cou p de p la isir cet a p r ès-m id i. J e suis
r a vi de ce qu e vou s m e d ites. M ais... il est d on c ici,
F r a n ço is ?
M. de Ger la n d e, ét ou ffa n t de sa t isfa ct ion , d on n a
des exp lica t io n s r ap id es et su ffisam m en t cla ir es :
F r a n ço is ve n a it d ’écr ir e pou r d em an d er la m ain de
sa cou sin e.
— P ou r q u oi n e l’a -t -il p as fa it plu s t ôt ? d it T a n
cr èd e. I l n ’osa it p a s? E h b ien ! il p ou r r a m e b la gu er ,
m a in ten a n t ! M igu e lin e a la p olitesse de l’a d o r e r ?
Q u ’elle est b on n e! — Il r it . — J e d is ça , m ais je
su is t r ès con ten t. M es m eilleu r s vœ u x de b on h eu r
a u x fu t u r s ép ou x. J e va is p ou voir a n n on cer à m a
m an qu ’ét a n t don n é la b r isu r e de m on cœ u r je m e
suis m is en qu êt e d ’u n e âm e ch a r it a b le p ou r le
r ecoller ..., en la p r ia n t d e m e r em ettr e le sa p h ir
d estin é à M igu elin e. Il fa u t bien l’em p loyer !
— J e d ois te p r éven ir , com m en ça M. de Ger la iid e : ta m èr e a été... su r p r ise.
— Ça, je le cr o is ! fit le je u n e h om m e a ve c bon n e
h u m eu r . — I l vo ya it tou t en rose. — Q u ’a -t -elle
dit ?
— Rien , r ép liq u a le com te.
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— Bo n D ieu ! s’écr ia Ta n cr èd e, sa isi. Ce d oit
êt r e sér ieu x, a lo r s !... J e lu i d em an d er a i le sa p h ir
un e a u t r e fois. E n atten d a n t, je va is m ’h a b iller .
Il se d ir ige a ve r s son a p p a r tem en t, esp ér a n t é vi
t e r tou t e exp lica t ion a va n t le d în e r ; m ais on n e va
p oin t con t r e son d estin . L a b a r on n e d eva it le gu e t
ter , ca r elle su r git a u t ou r n a n t du cor r id or , m en a
ça n te, t elle u n sp ect r e, et, d ’un a ccen t con cen tr é,
im p la ca b le, or d on n a :
— Vie n s ! J ’ai à te p a r ler .
Ta n cr è d e p r é fé r a d em eu r er là où il se t r o u va it :
c’ét a it u n lieu p u blic. I l m it son m eilleu r so u r ir e su r
ses lè vr e s et, p r en a n t h a r d im en t l'o ffe n s ive, in t er
r ogea :
— Ave z- vo u s vu M igu elin e, m a m a n ? M on on cle
vie n t de m ’a p p r en d r e qu ’elle a d a ign é q u it t er son
p iéd esta l p ou r a cco r d e r sa m ain à F r a n ço is de
M on tb r u l. C ’est for m id a b le !... J 'e n suis en cor e
écr a sé. Vo u s a ve z pu t r o u ve r u n com p lim en t? J e...
— Ce qui est for m id a b le, c’est ton ap lom b !
e xh a la M"'" de P u ym ér a n , p r êt e à r en d r e l’âm e, tan t
elle b ou illon n a it de colèr e. Com m en t M igu elin e
a -t -elle con n u F r a n ço is d e M on tb r u l, s’il te p la ît ?
— P a r ce q u 'il est ven u p a sser un w e e k - a u l ch ez
m on on cle, r ép liq u a Ta n cr è d e d ’un a ir de p a r fa it e
in n ocen ce.
L a b a r on n e n e put m êm e p a s cr ier . Ses fo r ce s
l ’a b a n d on n a ien t.
— E t qui l’a p r ésen té à ton on cle? C ’est t o i! t o i!
— E lle r ep r it son sou ffle. — I l fa u t êt r e stu p id e
p ou r a vo ir eu u n e id ée p a r eille.
« Il fa u t êt r e d ia blem en t in t e llige n t ! p en sa T a n
cr èd e. L a p ein e qu e j'a i eue ! »
T o u t h a u t , il r ép on d it, a ssez r ogu e :
— Si c’est un d ésa st r e p ou r vou s, ce n e peut
l'ê t r e p ou r m oi. M igu elin e, je m ’en fiche (il em
p loya un ve r b e b ea u cou p p lu s a ccen tu é) ! E lle a
plu à M on tb r u l, et r écip r oq u em en t? E h b ie n ! je
le u r d on n e m a b én éd iction ! C'e s t en cor e gen t il de
m a p a r t , p u isqu e je ser a i, en sus, ob ligé de leu r
fa ir e u n cad eau .
�LE
MARI
DE
LA
R E IN E
— U n cad eau ! r u git la b a r on n e, ou tr ée. T u n ’esî
fe r a s pas !... M a is ce ser a it un com ble !
Ta n cr è d e vit l’im p ossibilité de con tin u er le d éb at
an m ilieu du p a ssa ge et en tr a ch ez sa m èr e. M al
lu i en pr it. La ba r on n e a va it pu se con ten ir , dan s
la cr a in te d ’a t t ir e r des d om estiq u es; un e fo is la
p orte r efer m ée, 1111 tor r en t de r ep r och es s’a b a ttit
su r l’in for t u n é ga r çon .
Sa m èr e lu i dit u n e fou le de ch oses d on t le r a p
p ort a ve c le su jet p r ésen t n e s ’exp liq u a it poin t. Ses
gr ie fs con tr e feu M . de P u ym ér a n se b r a n ch èr en t,
on n e sa it com m en t, sur les tor t s du vicom te de
M on tb r u l, qui ét a it ven u à P o n t a lr ic p ou r p r en d r e
la p lace de son am i, ch ose a b om in a b le! M a is tous
les h om m es éta ien t a in si : des m en teu r s et des p er
fides, des in cap ables, des êt r es bor n és. Ce r t e s, T a n
cr èd e ét a it bien le fils de son p èr e : ne sa ch a n t rien
fa ir e , s a u f des sottises ! I l a va it suffi qu e sa m èr e
s’absen tât pen dan t h u it jo u r s, p ou r fa ir e effon d r er
ses r êves les plus ch er s !
E lle con tin u a su r ce m ode d u r a n t un q u a r t
d ’h eu r e, et c’est tr ès lon g. Ta n cr è d e écou ta it dan s
lé plu s gr a n d silen ce. Il a va it fa im et 11e vo u la it pas
r et a r d er le d în er en essa ya n t de d iscu t er . En su ite,
r assem bla n t tou t son cou r a ge, il com m en ça :
— J ’aim e m ieu x vou s a ve r t ir tou t de su ite...
M mo de P u ym ér a n r ip osta p a r un o r d r e de se
t a ir e sec et b r e f. Son fils n ’éta n t p oin t d én atu r é,
com m e elle ét a it cep en d an t en tr a in de le p r éten d r e,
ne ten ta p oin t de p a sser ou t r e en ter m in a n t sa
p h r ase : « J e su is fian cé, m oi a u ssi. »
11 a va it p eu r de la vo ir tom ber su r le p arq u et.
M ” d e P u ym ér a n , à bou t d e sou ffle, s’a r r ê t a sur
cette a im a ble p r op h étie :
—• En fin ! un e pen sée m e con sole : ce m én a ge n e
m a r ch er a pas. Le s m a r ia ges d ’a m ou r n e son t ja m a is
h eu r eu x !
E lle con géd ia son fils, en le ch a r gea n t d ’a ve r t ir
qu ’elle ét a it tr op sou ffr a n t e d e sa n é vr a lgie pou r
d escen d r e. Ta n cr è d e en ressen tit un v if sou la ge
m en t. C ’ét a it fini... C ’est-à -d ir e p as tou t à fa it :
�LE
MARI
DE
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r est a it en cor e à t r a it e r la qu estion de R iq u et t e et
de la b a gu e.
Le s or eilles en cor e b r u issa n t es des im p r éca tion s
m ater n elles, le je u n e h om m e d écid a :
— Ap r è s le -m a r ia ge d e M ig u e lin e , j e ch a r ge r a i
M on tb r u l de la com m ission . I l peu t bien fa ir e ça
p ou r m oi !... Il m e d oit t a n t !
B r u s q u e m e n t , il s e m it à r ir e . L ’a ler t e p a s s é e ,
t o u t e s a b o n n e h u m e u r lu i r e v e n a it :
— Vo ilà com m en t se m a r ien t les r ein es !... E lle
ser a it su r p r ise, m a b elle cou sin e, si elle le sa va it !..,
Il s ’en fu t bien vit e o ffr ir à M igu elin e ses m eil
leu r s sou h aits. E lle les r eçu t a ve c b ea u cou p de
gr â ce .
294 -IV
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LE
MARI
DE
D E U XIÈ M E
LA
R E IN E
P AR T IE
I
Deb ou t d eva n t son ch eva let , F r a n ço is d e M on tb r u l, u n e p et ite flam m e d an s les ye u x, t r a va illa it
a ve c la r a p id ité jo ye u s e d es m om en ts où l’in sp ir a
tion a t t ein t son p oin t cu lm in an t.
I l p e ign a it vit e . Sa fa ço n de p r océd er , fer m e,
n ette, ja m a is h ésit a n t e, r évéla it , ou t r e l’a r t ist e con
n a issa n t bien son m étier , un ca r a ct è r e p a r fa it em en t
éq u ilib r é, r ésolu , u n e volon té p lu s fo r t e que les
n e r fs.
I l é t a it là d ep u is p lu sieu r s h eu r es et ne s’en a p er
ce va it p o in t ; s’il fa lla it d em eu r er ju s q u ’au soir , il
le fe r a it ; ni la fa t igu e , ni les d ifficu ltés n e l ’a r r ê
t er a ien t.
Le je u n e h om m e r ecu la , clign a n t u n peu les
p a u p ièr es p ou r ju g e r de son œ u vr e ; il fr ed on n a
d ou cem en t qu elqu es m esu r es. Le con ten tem en t s'a c
cen t u a it su r son vis a ge . I l ét a it s a t is fa it p a r ce qu e
l’étu d e ve n a it bien , et, su r t ou t , c’en ét a it fini de la
vie a bsolu m en t o is ive qu e, d ep u is b ien tôt t r ois m ois,
il m en a it a ve c M igu elin e.
I l é t a it p a ssion n ém en t ép r is d e sa fem m e et s’éta it
com p lu à n e vivr e qu e p ou r elle d u r a n t leu r m er
ve ille u x vo ya ge d 'a m ou r ; m ain ten a n t, il vo u la it
a p p o r t er un élém en t de plu s à la t en d r esse de M i
gu e lin e : il sou h a it a it la r en d r e fièr e de lu i. E n cela,
il n e vo ya it pas triut à fa it ju st e. U n e fem m e se
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MARI
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con ten te p a r fa it em en t d ’a m o u r ; p a r t a ge r a ve c la
glo ir e n e lui est p as t o u jo u r s a gr éa b le. E n t r e le
m a r i célèb r e, fa isa n t d an s sa vie un e la r ge p la ce au
t r a va il, et le m êm e hom m e, u n iqu em en t occu p é
d ’elle, san s h ésit er , M igu elin e eût ch oisi le secon d .
E n r even a n t à P o n t a lr ic a p r ès un lon g s é jo u r en
Sicile, su ivi d ’un a r r ê t d e p lu sieu r s sem a in es à P a
r is, la je u n e fem m e ne p r évo ya it p oin t la p ossib ilité
de ch a n ger qu oi qu e ce soit à son exist en ce cou tu m ièr e. F r a n ço is , au con t r a ir e, ép r ou va it du p la isir
à se d ir e qu ’il a lla it en fin en r a ye r ce m ou vem en t
p er p étu el d on t il ét a it excéd é. Il ét a it con ten t d e
t r a va ille r , d ’a b or d p a r ce qu ’il a im a it p ein d r e, et
en su ite p a r ce q u ’il ten a it à m on t r er à sa fem m e
q u ’il en ten d a it bien fa ir e de son tem ps d eu x p a r t s :
la p r em ièr e, il l ’a cco r d e r a it au m on d e, p a r com p la i
sa n ce p ou r e lle ; l’a u tr e, con sa cr ée à d es bu ts plu s
h a u ts, lui a p p a r t ien d r a it en p r o p r e ; et, celle-là , il
n ’en ten d ait p as la r estr ein d r e.
Il a va it t o u jo u r s eu l’in ten tion bien a r r êt ée d ’in
d iq u er à M igu elin e qu e le d r oit de com m a n d er lui
a p p a r t en a it , et sa va it q u ’il fa u d r a it pou r cela sa isir
la p r em ièr e m in u te; m ais la p er sp ect ive d e diffi
cu ltés in tim es à r ésou d r e éta it loin d e son esp rit. Il
ét a it tou t en tier à son a r t ; le m on de e xt é r ie u r ces
sait de com p ter p ou r lui.
... Il r ecu la en cor e, p u is se r a p p r och a p ou r r ect i
fier un d éta il. Ce t t e petite toile, d ’a b or d u n e sim ple
n ote d e vo ya ge p r ise en Gr èce l’a n n ée p r écéd en te,
lui ét a it d even u e tou t à cou p tr ès ch èr e, ca r , p en d a n t •
leu r s fia n ça illes, M igu elin e l’a va it r em a r q u ée d an s
son a telier , à Scr r e -d e -Cla u x. E lle a va it d it si ge n
tim en t : « J e la ve u x ! d on n ez-la -m oi !... » L ’éb a u ch e
p r im it ive, r e fu sé e à sa fian cée com m e in d ign e d ’elle,
d even a it un m or cea u r em a r q u a b le; il vo u la it l’o ffr ir
à sa fem m e.
Cet t e fo is, c’ét a it fini.
« F a m eu se jo u r n é e ! » p en sa M. d e M on tb r u l, en
a llu m a n t u n e ciga r et t e . Il s’a llon gea su r le d iva n
jo n ch é de p ea u x de p a n th èr es. Il ét a it tou t de m êm e
un peu la s , et p ou r ta n t il s c s e n t a it m er veilleu se
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m en t sou p le d ’esp r it et de cor p s, im p r ession t ou
jo u r s a m en ée p a r le p la isir d ’a vo ir fa it et r éu ssi ce
q u ’il vou la it .
S ix h eu r es son n èr en t. L e d er n ier r a yo n d e soleil
à son d éclin ca r essa les bois cla ir s des m eu bles et
les fo u r r u r e s je t é e s à t er r e. Su r le ch eva let , l'im a ge
de la je u n e Gr ecq u e sem b la it viva n t e . Ce t t e figu r e
a u x ye u x p en sifs r a p p ela it u n peu celle de M igu e
lin e.
U n e lu eu r t r è s d ou ce p a ssa it d an s les p r u n elles
du je u n e h om m e. I l pen sa : « J ’a i eu u n e fa m eu se
ch a n ce ! » N ’im p or te q u i eû t ju g é a in si.
A la m in u te où F r a n ço is p en sa it à elle, la je u n e
fem m e a p p a r u t, d élicieu sem en t jo lie d an s l’en ca d r e
m en t du la r ge col d e zib elin e. E lle r even a it de fa ir e
des vis it es et n ’a va it p as p r is le tem ps de r et ir er son
m an teau .
M. d e M on tb r u l s’a p p r och a , il b a isa la m ain d é
ga n tée, a ve c un gr a n d sa lu t cér ém on ieu x, et d it
ga îm en t :
— M es h om m a ges, M a d a m e ! J 'a t t en d a is vo t r e vi
site. C ’est tou t à fa it a im a b le de n e m ’a vo ir pas d éçu .
D u m êm e ton , M igu elin e r ép liq u a :
— J e ve u x bien vou s a cco r d er cin q m in u tes... O h !
F r a n ço is , p ou r qu oi en levez-vou s m on ch a p ea u ! J e
va is êt r e h or r ib lem en t d écoiffée... N e m e t ir ez pas
les ch e ve u x!... Q u e vou s êtes m a la d r o it !
— M a ch èr e, c’est un e in su lte gr a t u it e : je suis
ext r êm em en t a d r oit . Con fiez-m oi au ssi vo t r e m an
t e a u ; cela vou s d on n e un a ir officiel in u tile, éta n t
d on n é les lien s qu i n ou s u n issen t.
— Vo u s n ’êtes p as sé r ie u x ! r ep r och a M igu elin e,
en a va n ça n t les lè vr e s d an s u n e ch a r m a n t e p etite
m ou e.
— O h ! n o n ! le Cie l en soit lo u é ! J 'a i tr op de
ch a n ce p ou r l’êtr e. O n p a r vien t gén ér a lem en t au
s é r ie u x p a r la tr istesse. J e n ’ai vr a im en t p as de
r a ison s p ou r ê t r e 't r is t e .
— To u ch e z du bois ! d it-elle en se m etta n t à r ir e.
Vo u s êtes bien d isp osé? T a n t m ieu x. J e va is vou s
a p p r en d r e u n e n ou velle, F r a n k ie .
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DE
LA
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E lle ne p en sa it m êm e p as à s’in fo r m e r de la fa çon
d on t il a va it em p loyé le tem ps en son absen ce. Ce t t e
in sou cia n ce lu i fu t a ssez d ésa gr éa b le. I l con tin u a
p ou r t a n t à sou r ir e et d it, en p a ssa n t ten d r em en t son
b r a s a u t ou r des ép a u les de sa fem m e :
— Se r a it -ce qu e vou s m ’a im ez?
M igu elin e r ép on d it tr ès vit e :
— Ou i, m ais ce n ’est pas ce qu e l’on p eu t a p p eler
n ou vea u . Gilb er te de L a n d r a g u e t vien t d e m ’a n
n on cer ...
U n e om bre p assa d an s les p r u n elles de F r a n ço is ;
il r em ar q u a, su r u n ton d ’a ffe ct u e u x r ep r och e :
— Vo u s sa vez com bien ces d eu x p etites m e d é
p la isen t , et leu r tr ès sotte m èr e tou t a u ta n t. J e vou s
a i d é jà d em an d é de les « esp a cer » ; vou s d evez bien
com p r en d r e qu e je n e l’ai p as fa it san s r aison !
J e su is vr a im en t su r p r is q u ’u n h om m e in t elligen t
com m e vo t r e p èr e a it pu vou s p er m et tr e un e in ti
m ité a ve c ces esp èces de folles. E lle s son t com p lè
tem en t d ésa xées. J e n e su is pas d’un r igo r ism e e xa
g é r é ; il fa u t m a r ch er a ve c son tem p s : je m ar ch e
a ve c le m ien ; m ais vos a m ies son t en a va n ce.
— E lle s on t des qu a lités, com m en ça M igu elin e,
qu i a p p r écia it fo r t l’a d m ir a t ion d e scs d em oiselles
d ’h on n eu r bén évoles.
— E sp ér on s-le, m ais elles on t su r tou t un gen r e
d étestab le. Vo u s n e sa vez pas tou t ce qu e leu r s
flir t s — je d evr a is d ir e leu r s « cop a in s », ca r le flir t
est un je u d ém od é — r a con ten t d ’elles p ar d er r ièr e,
en tr e hom m es. Il m ’est in fin im en t pén ible de vou s
co n t r a r ier , m ais, je p r é fè r e vou s en a ve r t ir tou t de
su ite, je n e pu is su p p or ter plu s lon gtem p s de vou s
vo ir en le u r com p agn ie.
— I l est d ifficile d e r om p r e a ve c d e vie u x am is,
r ét or q u a M igu elin e, tellem en t su r p r ise d ’en ten d r e
F r a n ço is lui p a r ler a in si qu ’elle n e p en sa it pas à se
r évo lt er . Gilb er t e et Br igit t e se tien n en t q u elq u efois
t r è s m al, je le r econ n ais, m ais elles son t sérieu ses,
a u fon d .
. . .
,, ,
— Ce t t e p r ofon d eu r d oit êtr e in com m en su r a b le!
d it le je u n e h om m e, iron iqu e. J e ser a is bien su r p r is
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LE
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s ’il e xist a it , p ar m i les fa m illes d e vos r ela t ion s, un e
seu le d isp osée à r e ce vo ir M 1" ’ de La n d r a gu e t à
t it r e de belles-filles !
— Br igit t e p la ît bea u cou p à R en é de Ba va s ,
cou p a M igu elin e.
— D it es-le au m ar q u is de Ba va s , et vou s ve r r e z
s’il n ’exp éd ie p as son fils au cap N or d , p ou r vo ir à
qu oi r essem ble le p a ys a ge ! r ip osta F r a n ço is a llè
gr em en t. I l a u r a it, m a fo i ! bien r a ison ! M a is jè n e
su p p ose p as qu e la n ou velle a n n on cée p a r vo t r e
a m ie soit d es fia n ça illes. Vo u s m e l’a u r ie z d it a va n t
d ’a vo ir a ch evé d ’o u vr ir la p or te. Q u ’on t-elles im a
gin é, cet t e fois, p ou r éb a h ir les h on n êtes b ou r geois
d e P o n t a lr ic? Ave c de p a r eils n u m ér os, ils d evr on t
s’a ccou t u m er à vivr e en fa is a n t les ye u x r on d s !
M igu elin e n e p u t s’em p êch er de r ir e :
— Vo u s êtes p a r tr op m oq u eu r !... M a is n on , elles
n ’on t r ien in ven t é d ’e xt r a o r d in a ir e . J ’ai a p p r is sim
p lem en t un p r o je t de su r p r ise-p a r t ie à C la i r li e u .
— M a is il n ’y a p oin t de fem m e p ou r r ecevoir , â
C la i r li e u , o b je ct a M. de M on tb r u l, fr o n ça n t un peu
les sou r cils. Le ch â tea u n ’est-il pas la p r op r iét é d ’u n
je u n e lieu ten a n t cé lib a t a ir e ?
— O u i. Il est r even u du Tch a d d ep u is t r è s peu de
tem ps. Gilb er te m ’a d it qu ’il a tt en d a it sa sœ u r . Ce
ser a d on c t r ès cor r ect. On a com p loté d ’a ller en
ba n d e ch ez lu i, d égu isés en n oce p a ysa n n e. Ce ser a
tellem en t a m u san t ! J ’ai pr om is qu e n ou s ir ion s.
M. de M on tb r u l cou p a, t r è s sec :
— Il a u r a it fa llu a tt en d r e, m a ch èr e, a va n t de
vou s e n ga ge r p ou r m oi. D ’a bor d , je d étest e ce gen r e
de d iver tissem en t. C ’est d ’un m a u va is goû t a ch evé.
S i M. de Cla ir lie u veu t fa ir e d a n ser ch ez lu i, il peut
en vo ye r d es in vit a t ion s, n ’cst-ce p a s?... J e con n a is
ces sor tes de p etites fê t e s ; on s’y tien t gén ér a lem en t
fo r t m al. Vo u s d evez con n a ît r e a ssez les p e t i t e s La n
d r a gu et p ou r vou s d ou ter qu ’elles se su r p a sser on t .
Il a va it r et ir é son b r a s. M igu elin e d evin a it un
m écon ten tem en t ext r ê m e et fu t tr ès éton n ée. L ’idée
que F r a n ço is p o u r r a it ém ettr e un a vis d iffér en t du
sien et, en cor e plu s, u n blâm e, n ’a va it ja m a is effleu r é
�LE
MA R i
DE
LA
REÍ NE
son esp r it. L ’a tt it u d e tou te n o u velle d e son m a r i lu i
p a r u t e xt r a o r d in a ir e .
St u p é fa it e de le vo ir p r êt à lui a d r esser d es r e
p r och es, elle s’écr ia :
— Vo u s n ’a lle z p as r e fu s e r ? J ’ai d it ou i pou r
vou s, cela a lla it d e soi.
— E h b ie n ! vo u s a ve z eu t or t , r ép liq u a le jeu n e
¿o m in e , tou t n et. D isp oser d e m oi san s m e con su l
t e r est u n p r océd é vr a im e n t lége r , m a ch èr e !... N on
seu lem en t je r e fu s e de p a r t icip e r à cette m a sca r a d e,
m ais...
— M a is vou s m e d éfen d r ez d 'a ller a ve c m es a m is,
t er m in a M igu elin e, iron iq u e.
F r a n ço is tin t son r ega r d a p p u yé su r elle lon gu e
m en t. E lle ét a it fu r ieu se de se sen t ir d om in ée. Ses
p a u p ièr es b a t t ir en t com m e celles d ’un e n fa n t p r êt à
p leu r er . E lle d étou r n a la tête.
I l sou r it , p u is ch oisit u n e ciga r e t t e d an s la boite
d ’or p osée su r le b u r ea u , l’allu m a, t o u jo u r s san s m ot
d ir e.
— Vo u s t r o u vez n a t u r el de m e d éfen d r e qu elqu e
ch ose? a r t icu la en fin M igu elin e, l’a ccen t tr em blan t.
— M a is je ne d éfen d s r ien , d it-il, tr ès calm e. Si
vou s t en ez à su ivr e les La n d r a gu ct et leu r ban d e,
vou s ir e z sa n s m oi. C ’est p ou r qu an d , cette vio la t ion
d e d om icile?
M igu e lin e s ’a tt en d a it à un e op p osition for m elle et
p eu t -êtr e en cor e p lu s à u n e p r ièr e tr ès ten d r e de
r en on cer à la fê t e im p r ovisée. L a r ép on se de son ,
m a r i, la fr o id e u r p olit qu ’il lui m on t r a it la la is
sèr en t sid ér ée, h or r ib lem en t d eçu e,
E lle sen t it des sa n glot s m on t er d an s sa go r ge .
Com m en t F r a n ço is p ou va it êt r e, ce soir , si d iffér en t
de ce q u ’il ét a it qu elqu es sem a in es plu s t ôt ? J a m a is
il n ’a va it d it n on . J a m a is il n e lu i a va it fa it de la
p ein e exp r ès, ca r c’ét a it e x p r è s , p ou r é t a ler son a u
t or ité. Oh !■...
E lle sc m or d it les lè vr e s ; de n ou vea u , ses cils se
m ir en t à b a t t r e su r ses jou es , si vit e qu e l’on eû t d it
le p a lp it em cn t de m in u scu les éven t a ils.
•— Vo u d r e z-vo u s , d it en fin M igu elin e d 'u n ton sec
�LE
MARI
DE
LA
REIN E
et fr oîil, m ’exp liq u e r p ou r q u oi j ’a i eu si grandi tor t
en p r om ettan t n ot r e p r ésen ce
tou s Irs (leu x, et en
qu oi u n e su r p r ise-p ar ii» \ C la ir lie u vou s sem ble
in a d m issib le ?
Sou » son a ir im p ér ieu x, il d evin a it les lar m es
p r êtes h ja illir et ne b r on ch a poin t :
— U n e su r p r ise-p a r t ie n ’im p or tc où ! J e m ’éton n e
de vo ir d es gen s du vé r it a b le m on d e a d m et t r e ces
fa çon s. D es am is, r e n fo r cé s d ’a u t r es p er son n es a ve c
lesqu elles, sou ven t, on n e tien t pas A n ou er de#
r ela t ion s, a p p or ter on t ch ez vou s leu r ch a m p a gn e et
leu r s gâ t e a u x, et il fa u d r a it a p p eler cela r e ce vo ir ?...
D it es d on c : a ccep t er I
« Ce lt e fois, il n e s’a git p a s sim p lem en t d e d a n
ser ici o«i là. C ’est un cou p m on té p a r les p et ites
La n d r a gu e t , d a n s un bu t fa cile à d evin er . Il leu r
p a r a it d é licie u x de b r a ve r les u sa ge s ét a b lis q u i
in ter d isen t à tin cé lib a t a ir e jeu n e d e r e ce vo ir d es
fem m es. *
— An d r é d e Cla ir lie u a tt en d sa «»rur. in ter r om p it
M igu elin e.
— T r è s s o u v e n t , les p er son n es a tt en d u es on t et»,
à la d e r n ièr e m in u te, un em p êch em en t, p r é r u d e
t ou t e é t er n it é, r ép liq u a M . de M on tb r u L r a ille u r . 1 . 4
Kctir d u lieu ten a n t s e t * p eu t -êtr e eh ea lu i p ou r
fa ir e les h on n eu r s, p eu t -êtr e auss» n ‘y w n - i - •Uc
p oin t. Ce la n ’em p éch cr a it p as Gilh e r t e d e s ’a m u ser ,
a u co n t r a ir e I M ”* «le I jM ld r a r a e t , d ésir eu se d e
l ' i n r r f ries tra ça « , s'en t ien d r a à la p r om esse q u 'il
y a u r a la sntwr d e Cb ir t ie u - D e U sor te, n u l, m t m *
p a r m i les vie ille s filles le* p*us t im or ées «te P on t a i
n e . « f postera m e r à r ii K w m t i o a .
« J'espère «nos aeoér (an com prendre que *<nm
a re * eu to rt de «cm* Uiswrr etreon r e t i r par «os
an; es. Ma>’« rn aM . ÿt w»ts oM tfè d* rèp»>«dre k
n u r * pfrrm i»«
« tn < |tt‘ll m e sari* w l i w r s i
ifafcoetVr e» w r « i . m m , Ml le im t, il
n i
, u : ( ' 4e asettre Ws rk o w s au pm at.
* | V n M s ir r - M i 4 e w e s r a p p eler , m e M r e . q w
|e ne sms p** a* rfcwnlwBt» de w is x t, dMM la
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d ’a cce p t e r l'in vit a t io n des I.a n d r a p u ct , il a u r a it
fa llu , je ne d is pas, r em a r q u e*-le, m ’en d em a n d er
l'a u t o r is a t io n , m ais p r en d r e m on a vis. C'e û t été la
m oin d r e d es ch oses. »
tl d éta ch a it les m ots «l’un e fa çon cou r t oise, m ais
fer m e. M igu e lin c, st u p é fa it e , n e put t r o u ve r un e
r ép on se im m éd iate. Au p r ix d 'u n effor t , elle p a r vin t
à r ir e. C ’ét a it léjrer. ch a r m a n t , p a s t r è s a ssu r é.
— J e su p p ose, d it -elle, q u ’ici je d e vr a is fa ir e la
r évér en ce, en r ép on d an t : « Vo u s ê t es le m a ît r e I >
Il rit k son t o u r ; m ais, ch ez lu i, c ’ét a it fr a n c ;
— Si vou s le d isie*. je ser a is su r p r is. Ce s m ots
d ésu et s, s o r t ir de vo t r e ltou ch e 1... M a is vou s d cvc*
fa ir e ad m ir a b lem en t la r évér en ce, je n ’en d ou te p as.
Il y eu t un silen ce. M igu elin c b a la n ça it en tr e sc
je t e r an cou de son m ar i ou q u it t e r la p ièce. E lle
r ega r d a it F r a n ço is à la d ér ob ée, sem blan t é va lu e r
son d egr é d e r ésista n ce. E lle l'a im a it a ve c p assion ,
m ais la cr a in t e de p a r a ît r e d isp osée à la sou m ission
com p lète, an r en on cem en t d e sa p er son n a lit é, l’em péch att d e lu i d on n er cet t e m ar qu e d e t en d r esse, en
d isa n t tou t de su ite : « Vo u s a ve * r a ison , j'a i eu
tor t . P ou r vou s p la ir e, je n ’ir a i p a s d a n ser à
C L t ir h r m . .
»
O iÿ, m a is a lo r s G lib er t é, Br igit t e , t« H 1« p etit
cer vle in tim e d evin e r a it |V>pp«»*HK>n d e »•>« m ar i,
d eva n t laqu elle M teste lin e a va it «W »‘in eltn er , elle.
riiMtéprffctaiite. d on t les fan tJ « » e* n 'a vo-en i ïam a**
été co n t r eca r r ée*. I-* j w « * (crorwe >e r e p -- «naît
par a r t n t le» a è n <<»**s*i»*nt n a vr és de «** ■■■ntl,
elle4« e» « ler Klr ^ fn l h u
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U | viil»e 4 m m . Itrfm » Mt s i i a i . "** é k n it ■i<reOr ••»*«1
U pin * M M n êM f 4 * kl w m a C w t n’éta it fie« Il f
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�LE
MARI
DK
LA
R E IN E
Alo r s elle m a r ch a ve r s la p or te, en d isa n t d ’un a ir
gr a cie u x et fr o id , son a ir « m on de » :
— J e va is t élép h on er à Gilh er t e de ne p as com p
t e r su r vou s d em ain soir . J ’ir a i seule... J e n e ve u x
p a s vo u s em p êch er de t r a va ille r . A tou t à l’h eu r e.
M. d e M on tb r u l, d em eu r é seu l, r e vin t m a ch in a le
m en t ve r s la toile d r essée su r le ch eva let . Co n t r e le
cyp r ès n o ir et les p ier r es b la n ch es du ch em in , la
je u n e Gr ecq u e fixa it l ’in con n u d e ses gr a n d s ye u x
d ’e n fa n t p en sive. Il r ega r d a lon gu em en t cette figu r e
d o u ce ; si p eu d ’in sta n ts a u p a r a va n t , il la t r o u va it
sem b la ble à celle de sa fem m e...
I ls se r et r o u vè r e n t seu lem en t à l’h eu r e du d în er .
M . de Ger la n d e, Vou la n t t r ou b ler le m oin s p ossib le
leu r in tim ité d ’a m ou r eu x, é t a it p a r t i le m atin , a ve c
son in sép a r a b le com p a gn on d ’étu d es, l’abbé M ou r r ou x, p ou r a ssist er à un co n gr è s a r ch éologiq u e, ten u
d an s le d ép a r t em en t voisin .
Ap r è s sa co n ver sa t io n r écen te a ve c sa fem m e, le
vico m t e d e M on tb r u l a u r a it pu se d ir e qu ’il n ’a va it
p eu t -êtr e p as a u t a n t d e ch a n ce qu ’il le cr oya it . Sa n s
d ou te a va it -il le ca r a ct è r e p a r t icu lièr em en t bien
fa it : il co n s e r va it le m êm e op tim ism e, et cette pen
sée m et ta it u n e ét in celle de ga ît é a u fon d de ses
p r u n elles bleu som br e.
M igu e lin e a ffe ct a it un a ir s e r e in ; p ou r t a n t elle
d écla r a s o u ffr ir d ’u n e a t r o ce m igr a in e qu i lui se r
r a it les tem p es et l’a ve u gla it . P r ob a b lem en t l’em p ê
ch a it -elle a u ssi lUen ten dre, ca r p lu sieu r s qu estion s
de son m a r i d em eu r èr en t san s r ép on se.
A l’or d in a ir e, lor sq u 'ils ét a ien t seuls, le vicom te
et la’ vicom tesse de M on tb r u l a ch eva ien t la soir ée
d an s le p etit salon qui sé p a r a it leu r s ch am bres,
F r a n ço is , qu i d étest a it le m on de, a u r a it vo u lu vo ir
se r e n o u ve le r ch a qu e soir ces in sta n t s de vé r it a b le
in tim ité. M igu e lin e le s a va it ; m ais, cet t e fois, elle
d it a u ssitôt, gla cia le :
— J e su is vr a im en t tr ès lasse, je vou s la isse. Ce la
vou s est éga l, je su pp ose, de ve ille r seu l?
I l com p r it t ou t d e su it e son in ten tion secr èt e : elle
vo u la it m a r q u er p a r de la fr o id e u r son m écon ten -
�LE
MARI
DE
LA
REINE
. 10 ?
tem en t d ’a vo ir été con t r a r iée. Il r ép on d it, a ve c u n e
om b r e d e sou r ir e :
— Ce la m ’en n u ier a , au co n t r a ir e, én or m ém en t.
Au s s i j ’ir a i au Ce r cle m ilit a ir e. Il doit y a vo ir u n e
r écep tion en l’h on n eu r d ’un a via t e u r de p a ssage. Le
colon el d ’Ar le m o n t m ’a in vit é à t it r e d ’officier de
r éser ve.
M igu e lin e r ou git à l’excès. E lle se d ir ige a ve r s sa
ch a m b r e d ’un a ir d e gr a n d e d ign ité, pu is s ’a r r ê t a .
T o u t e t r a ce d e fr o id eu r et de h a u t eu r d isp a r a issa it
de son vis a ge :
— F r a n kie ..., vou s vien d r ez m e d ir e b on soir ..., en
r en t r a n t ?
C ’ét a it in qu iet, d ou x... L a sou ver a in e sen tait d é
cr oît r e sa pu issan ce.
— Cer t a in em en t n on ! d it -il, l’a ccen t b r e f. J e n e
ve u x p as r isq u er d e vou s r éveiller . Bon n e n u it,
M igu elin e. A dem ain .
II
Le 'le n d e m a in de la su r p r ise-p a r t ie, M. d e Ger lan d e r eçu t, a va n t m idi, la vis it e de son gen d r e.
Le com te ten d it un e m ain cor d ia le. I l a im a it
b ea u cou p le m ar i de sa fille, le con sid ér a it a b solu
m en t com m e un fils, et la sym p a th ie en tr e eu x ét a it
r écip r oqu e.
F r a n ço is vit bien qu e son b ea u -p èr e ét a it a ssez
in t r igu é ; ceci l’a m u sa it p r od igieu sem en t. I l d ébu ta,
san s m a u va ise in ten tion , p a r ces m ots qu i a ccr u r en t
la p er p lexit é du p èr e de M igu elin e :
—
j e vien s vou s p r ier de m e r en d r e un ser vice.
Ce ser a un e co r vée p ou r vou s, je vou s en p r évien s.
« Ils on t dû se q u er eller . Se ign e u r , a id ez-n ou s ! »
p r ia m en ta lem en t M. de Ge r la n d e ; et, tou t h au t, il
affir m a :
�io 8
LE
MARI
DE
LA
R E IN E
— Com m en t d on c! J e su is à vo t r e d isp osition ,
m on ch er en fa n t . Q u e p u is-je fa ir e p ou r vou s... ou
p ou r M igu elin e, ca r vou s êt es t ellem en t « un » ! —
I l so u lign a le m ot. — Ce d on t je su is r a vi, du
r est e.
— Ce n ’est pas pou r M igu elin e, r ép on d it F r a n
çois, san s vo u lo ir r em a r q u er l’in ten tion de son t r em
b la n t bea u -p èr e. J ’ai un p r o je t , m ais il m e fa u t
vo t r e assen tim en t.
« I l ve u t tou t b o u lever ser d an s la m aison ?... Q u ’il
le fa ss e ! » son gea M. d e Ger la n d e, r assér én é. I l
affirm a, de t r è s bon n e h u m eu r :
— M on p etit, fa it e s ce qu e vou s vou d r ez, m ais
r esp ectez m a b iblioth èqu e !
— J e vo u d r a is fa ir e vo t r e p or t r a it , exp liq u a le
je u n e h om m e. Con sen t ez-vou s à p oser ? Si vou s
r e fu s e z, je le fe r a i tou t de m êm e, m ais j'a u r a i un
p eu p lu s de p ein e, éta n t fo r cé de t r a va ille r de m é
m oir e.
— Com m en t, c’est cela ?... M on ch er am i, cer t a i
n em en t ! s’écr ia le com te, su r p r is de fa çon très
a gr éa b le. J e p oser a i ta n t qu ’il fa u d r a . Ce la ne m e
coû ter a p as gr a n d effor t : je su is r en t r é fou r b u de
ce co n gr è s et vou s d em an d e seu lem en t de m e r ep r é
sen ter a s s is : a lor s j ’a u r a i tou te la p a tien ce n éces
sa ir e.
Il
ét a it ext r êm em en t fla tté, t r è s sen sib le à cette
a tten tion . Il su ffisait d ’un r ien p ou r lu i m on tr er
l’h u m a n it é sous un jo u r fa vo r a b le ; t ou t d e su ite, il
s’in fo r m a :
— Q u a n d vo u le z-vo u s com m en cer ?
— Au jo u r d 'h u i, si vou s êtes cer t a in de n ’a vo ir
p oin t d e vis it e u r s. J e ne p u is t r a va ille r sér ieu sem en t
a ve c d es cu r ie u x d an s m es en tou r n u r es. Il fa u d r a
con d a m n er vo t r e p orte, s’il vou s p laît. J e tien s à
vo u s p la cer d an s ce ca d r e-ci, com m e vou s l’êtes
m a in ten a n t . L ’é cla ir a ge de la b ib liot h èq u e est b on ;
je va is fa ir e d escen d r e m on ch eva let .
P a r a va n ce , M . de Ger la n d e s’effor ça de ga r d e r
son a tt it u d e p r ésen te, p u isqu ’elle p la isa it a u p ein tr e.
E n vé r it é , c’ét a it là un ga r ço n u n iq u e! T e n ir à
�LE
MARI
DE
LA
R E IN E
109
r ep r od u ir e les t r a it s d e son b ea u -p èr e, cela n e doit
p as se vo ir sou ven t !
Il fit cette r em a r q u e d ’un ton m oitié p laisan t,
m oitié ém u ; F r a n ço is r ép liq u a , t r ès sin cèr e, qu ’il
t en a it b ea u cou p , en effet , à p osséd er un p or t r a it du
p èr e de sa fem m e.
— C ’est p a r a ffection , vou s n ’en d ou tez pas,
a jo u t a -t -il, sé r ieu x, m ais au ssi p a r ce qu e vou s êtes,
si je p u is d ir e, un d ocu m en t ': la qu in tessen ce du
F r a n ça is d ’a n cien n e r ace, tel qu ’il ét a it a u t r e fo is.
Si cette toile n e d eva it êt r e un sou ven ir d estin é à
vos seu ls en fa n t s, je l’a p p eller a is : U n v i e u x g c u t ilh o m m e.
M . de Ger la n d e r ép on d it, tou ch é ju s q u ’a u fon d de
l’êt r e :
— Ah ! m on p etit ! qu e vou s m e fa it e s p la isir !
F r a n ço is sen tit qu ’il s 'ét a it a t t a ch é le vie il hom m e
p ou r t ou jou r s. Il r ép o n d it a ve c son ir r ésist ib le sou
r ir e, jeu n e, b r illa n t :
— T a n t m ieu x. J ’a im e b ea u cou p fa ir e p la isir .
M. de Ger la n d e se fé licit a d’a vo ir si bien m a r ié
sa fille. Com m en t l'id ée d 'u n e m ésen ten te en tr e ces
d eu x en fa n t s lui ét a it -elle ven u e à l’esp r it ? Ils ne
p ou va ien t m oin s fa ir e qu e s’a d o r e r ; F r a n ço is ét a it
un si ch a r m a n t ga r ço n !... Ta n cr è d e a va it r a ison de
va n t e r la p er fect io n de son ca r a ct èr e.
Le « ch a r m a n t ga r ço n » com m en ça it à s’em p ar er
de la b iblioth èqu e. I l fit ch a n ger p lu sieu r s m eu bles
de p la ce, p ou r m ettr e le b u r ea u et son b ea u -p èr e
d an s u n e lu m ièr e fa vo r a b le. M. d e Ger la n d e r e ga r
d ait le b ou lever sem en t de son sa n ctu a ir e san s se
r évolter . Il se r ép ét a it à lu i-m êm e les m ots de son
gen d r e. S ’en ten d r e d ir e qu e l ’on est la q u in tessen ce
du F r a n ça is d ’a n cien n e r a ce est fo r t a gr éa b le.
F r a n ço is , a ya n t t er m in é ses a r r a n gem en t s, in s
talla son m od èle et se m it à d essin er . M. d e Ge r
la n d e d em eu r a it m u et; il a d m ir a it à la fo is le talen t
et le profil du m ar i de sa fille.
I ,’esqu isse ét ait à peu p r ès ter m in ée lor sq u e Migu e lin e en tr a. E lle a va it l’a ir p r éoccu p é, un peu
in qu iet. D u seuil, elle in t er r ogea , l’a ccen t tr ou blé :
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LE
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DE
LA
R E IN E
— Sa ve z-vo u s, p apa , où est... — U n p et it cr i
scin d a la p h r ase. — Com m en t, vou s êtes ici, F r a n
ço is!... J e vou s ai ch er ch é p a r t o u t !...
— T r è s a im a ble, d it le jeu n e h om m e, san s b ou
ge r , ch ose tou t à fa it co n t r a ir e à sa cou r t oisie h a b i
tu elle... Vo u d r ie z-vo u s r e fe r m e r la p orte, m a ch è r e ?
Ce la fa it un fa u x jo u r t r ès d ésa gr éa b le.
M igu e lin e obéit m ach in a lem en t, p u is s’a p p r och a
de son p èr e et l’em br assa . M. de Ger la n d e n e r en d it
pas le b a is e r ; il cr a ign a it d e co n t r a r ie r son p ein tr e
en fa is a n t un seu l m ou vem en t.
— T u le vo is, ton m a r i est a ssez gen t il p ou r vo u
loir m e fa ir e p a sser à la p ost ér ité, d it-il, s ’effor ça n t
de n ’a vo ir p as l’a ir tr op glo r ie u x. La is s e -le t r a n
q u ille ! Il fa u t é vit e r les a ilées et ven u es a u t ou r de
lu i. Ça le d ér a n ge.
L ’a ver t issem en t n ’em p êch a p oin t M igu elin e de se
p en ch er p a r -d essu s l’ép a u le de F r a n ço is p ou r r e ga r
d er l’éba u ch e. E lle m u r m u r a t r ès d ou cem en t, afin de
n ’êt r e p oin t en ten d u e p a r son p èr e :
— F r a n k ie , j e n e v o u s a i p a s v u h ie r ..., et ce
m atin n o n p lu s . J ’esp ér a is v o u s t r o u v e r ...
— E h bien ! m ais la d écou ver t e ét a it fa cile , r é
p on d it-il, l’a ccen t d éta ch é. E ca r t e z-vo u s un peu , s’il
vou s p la ît ; je n ’ai p as les m ou vem en ts lib r es. H ie r ,
qu an d vou s êtes r en t r ée, j'é t a is cou ch é. Ce m atin , je
suis sor ti. J ’essa ya is un n ou vea u ch eva l.
— Vo u s a u r ie z pu ven ir m e d ir e b o n jo u r a va n t ,
m u r m u r a en cor e M igu elin e.
— A s ix h eu r es? C ’ét a it tr op t ô t ! Vo u s d eviez
d or m ir .
— Oh ! n on , je n e d or m a is pa s... J e... je n ’a u r a is
pas pu.
M. de Ger la n d e n ’en ten d a it p oin t les p h r ases
é ch a n gé e s ; il vo ya it seu lem en t sa fille in clin ée ve r s
F r a n çois . Il d it a ve c bon h om ie :
— Vo u s sa vez, si je su is de tr op , je p u is m ’en
a ller !
— Du tou t ! p r ot esta M. de M on tb r u l vivem en t .
M igu elin e m e cr o ya it p er d u , je ne sa is p ou r qu oi.
E lle a va it p eu t -êtr e d é jà p r om is u n e p etite som m e
�LE
M \RI
DE
LA
REINE
T II
à sa in t An t o in e de P a d o u e p ou r m e r et r o u ver . C'e s t
fa it . —• M a in ten a n t , je lui ser a i t r ès r econ n a issa n t
d e m e la isser t r a va ille r . Q u a n d je pein s, je n ’offr e
a u cu n a gr ém en t a u p oin t d e vu e con ver sa tion .
M igu e lin e fit t ou t ce qu ’elle p u t p ou r r ir e : •
— Vo u s m e r e n vo ye z? At t e n d e z. J ’a i bien en vie
d e vou s d em an d er q u elqu e ch ose a va n t .
I l h a u ssa les sou r cils p a r un m ou vem en t t r ès h a u
t a in . M . de Ger la n d e d it, in d u lgen t et ir on iq u e :
—'V o ilà les fem m es! To u t e s leu r s câ lin er ie s son t
à b a se d ’in tér êt. J ’ai l’exp ér ien ce... ch èr em en t a c
qu ise !
— J e vien s de vo ir d an s le stu d io u n ch e fd ’œ u vr e, r ep r it M igu e lin e a ve c un r e ga r d p r op r e à
fa ir e t ou r n er la t êt e la p lu s solid e. O h ! F r a n ço is !
c’est a d or a b lem en t jo li !
— Q u oi d on c? fit-il, san s r ele ver les ye u x ve r s
elle.
— Ce r a vissa n t p a ysa ge, a ve c u n e p etite Gr ecq u e
qu i m e r essem ble, vou s sa vez?... Vo u s a ve z r e fu sé
d e m e d on n er ce tab lea u p en d an t n os fia n ça illes, et
j ’en a va is tellem en t en vie !
— Ah ! d it -il a ve c in d iffér en ce, la p etite Gr ecqu e...
O u i, c’est un typ e cla ssiqu e com m e le vô t r e , en
effet . J e l'a i ter m in é récem m en t.
— J ’aim e cette toile, con tin u a M igu e lin e a ve c un
éla n r a r e ch ez elle. On la d ir a it p lein e de p en sées.
C ’est m er veilleu sem en t calm e, et si gr a n d ! L a figu r e
de la je u n e fille est a tt ir a n t e. — Elle^ sou r it. — Si
elle n e m e r essem b lait pas u n peu, j ’en ser a is ja
lou se!... Vo u s m e la d on n er ez, F r a n ço is ? A m oin s
qu e vou s n ’y ten iez p a r t r op ?
E lle é t a it d eva n t lu i, tou t e gr â ce et d ou ceu r . I l
com p r en a it bien p ou r q u oi et r ép liq u a , la vo ix r a il
leu se :
— Gr a n d D ie u ! m a c h è r e , qu e de q u a lit és vou s
m e d éco u vr e z ! « M er veilleu sem en t ca lm e, et si
gr a n d ! » J e va is m e p r en d r e p ou r un p ein tr e... Ce t t e
t oile vou s p la ît ? P r e n e z-la . C'e s t un sou ven ir de
.voyage. J ’e n a i t a n t d ’a u t r e s éq u iva le n t s! M et t ez-la
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l.l
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d an s vo t r e ch a m br e. J e n ’y tien s p as du tou t . P o u r
q u elle r aison y t ie n d r a is -je ?
M igu e lin e r ou git . D ’u n e fa çon d ésolée, cette fois,
elle r e ga r d a son m a r i. Ce je u de p h ysion om ie
éch a p p a au com te qu i sou p ir a p la isa m m en t :
— E t je m e ju ge a is le p lu s fa ib le d es h om m es!...
Vo u s m ’é ga le z, m on a m i, et b ien tôt m e d ép a sser ez,
san s d ou te.
M. d e M on tb r u l eu t un sou r ir e én igm atiq u e. Il se
r e je t a en a r r iè r e p ou r ju ge r de son oeuvre et d it, en
s ’ét ir a n t d ’un m ou vem en t sou p le de gr a n d fa u ve :
— Vo ilà u n e fa m eu se jo u r n é e ! Cela m a r ch er a
bien . Vo u s d evez êt r e fa t igu é d e r est er im m ob ile;
je vo u s d em an d e p a r d on : j ’a u r a is d û m ’a r r ê t e r plus
tôt.
I l ch a n gea de p lace, éca r t a n t d ou cem en t M igu e
lin e, et p r it u n e ciga r e t t e d an s la b oîte d e son bea u père. Celu i-ci m it son lor gn on pou r vo ir les d ébu ts
de son effigie. M igu elin e, h ésit a n t e, n e sa va it si elle
a lla it s o r t ir ou d em eu r er .
M . d e Ger la n d e, a u sep tièm e ciel d eva n t l’es
qu isse, n e p en sa it qu ’à u n e ch ose : Ta n cr è d e a va it
eu, en se lia n t a ve c F r a n ço is de M on tb r u l, la plus
gé n ia le des in sp ir a tion s.
Le com te d écid a q u ’il o ffr ir a it à son n eveu u n e
a u tom ob ile en ca d ea u d e n oces..., et pu is, san s
a tt en d r e, il l’in vit e r a it à fa ir e un n ou vea u sé jo u r à
P o n t a lr ic. Ta n cr è d e a va it l’esp r it de fa m ille : il se
r a it con ten t de vo ir le p or t r a it .
P a r a ssocia t ion d es pen sées, de son n eveu , auq uel
il d eva it le b on h eu r co n ju ga l de sa fille, il p a r vin t
à cette fille elle-m êm e. Ce ci le fit s’en q u ér ir , a vec
u n a ir de bon té in d u lgen t e :
— L a su r p r ise-p a r t ie d ’h ier ét a it r éu ss ie ? Vo u s
êt es-vou s a m u sés?
Un flot de sa n g m on ta a u vis a ge de M igu elin e.
F r a n ço is n e cilla poin t.
— N on , d it en fin la je u n e fem m e, em b a r r a ssée.
Com m e su r p r ise, elle a été com p lète, m ais en sens
in ver se. C ’est u n e p a r t ie m an qu ée. Le lieu t en a n t de
Cla ir lie u a va it ét é a p p elé p a r télép h on e à P a r is , le
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jo u r m êm e. N o u s a vo n s t r o u vé tou tes les p or tes
fer m ées.
— Ah ! d ia b le ! fit le com te, p a s a u tr em en t fâ ch é.
Vo ilà qui est d éceva n t.
— Gilb er te en r a gea it , p ou r su ivit M igu elin e. B r i
git t e a p r op osé d ’a ller boir e le ch a m p a gn e et m an
g e r les gâ t e a u x à B a v a s , m ais Ren é de Ba va s a p r is
p eu r . Son p èr e l’a u r a it t r ès m al r eçu . Alo r s n ou s
a von s éch ou é ch ez les La n d r a gu e t ; cela s’est un peu
p r o lo n gé ; p ou r ta n t ce n ’ét a it pas ga i du tout.
Il y eut un silen ce. M igu elin e ch er ch a it à r en con
t r e r les ye u x de son m ar i. M . de M on tb r u l d étou r
n a it obstin ém en t la tête.
Br a ve m e n t , elle a ch eva :
— J ’ai eu bien tor t de n e p as écou ter F r a n çois.
M . d e Ger la n d e cr u t a vo ir m al en ten d u : sa fille
r econ n a issa n t un tor t q u elcon q u e!...
M igu elin e ter m in a , la vo ix un peu fr ém issa n te?
— C ’est vr a i, F r a n ço is ; je... je le r egr et t e.
M. de Ger la n d e ou b lia la r a id eu r gên a n t e de ses
m em br es, occa sion n ée p a r l’a scen sion de d ix vie u x
cloch er s. Il se t r o u va a u ssitôt de l’a u t r e côté de la
p orte.
Il fa u t t o u jo u r s é vit e r de figu r er en t ie r s d an s
un je u n e m én a ge à l’in sta n t où l’u n e des p a r ties
com m en ce à s o r t ir son m ou ch oir : on n e sa it pas ce
qu i peu t a r r iver .
II!
Ave c un m écon ten tem en t in a vou é, M igu elin e
vo ya it son p èr e a cca p a r er F r a n çois.
C ’ét a it la r ésu lta n te des h eu r es d ’in tim ité am e
n ées p a r les séan ces de pose p ou r le fa m e u x por
t r a it , m ain ten a n t a ch evé.
L ’abbé M ou r r o u x, su r ces en tr efa it es, r evin t de
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Rom e, où l’u n de ses in n om b r a b les am is l’a va it
em m en é p ou r fa ir e des r ech er ch es d an s les a r ch ives
du Va t ica n . I l a p p r it d e la b ou ch e de son co n fr è r e ,
M g r Clo vis Ba n n elier , que « cela 11e m a r ch a it pas
t r è s bien ch ez les M on tb r u l ». Ce fu t d ’a illeu r s tou t
ce qu e l’abbé p u t ob t en ir en fa it d e d ocu m en ta tion .
M g r Clo vis Ba n n elier n ’a va it p oin t d ’in tim ité a ve c
les Ge r la n d e ; il r ép ét a it sim p lem en t ce « on m ’a
d it », m ais ne p ou va it se r a p p eler exa ct em en t qu 'elle
en ét a it la sou r ce.
Sa n s êt r e p a r t icu lièr em en t d isp osé à se m êler des
a ffa ir e s d ’a u t r u i, l’abbé M o u r r o u x se r en d it su r -lech am p à l’h ôtel d e Ger la n d e. L a n ou velle tr a n sm ise
p a r son collègu e ès h ist o ir e n e le su r p r en a it pas
ou t r e m esu r e. I l con n a issa it M m,,de M on tb r u l d ep u is
s a n a issa n ce. Si elle a va it ten té, com m e c’ét a it p r o
bable, d ’a s s e r vir M. de M on tb r u l, celu i-ci a va it dû
r e gim b e r ; d’où, fr ict io n s en tr e les d iver s m em br es
de la fa m ille.
E n se d ir ige a n t ve r s la b iblioth èqu e, l’am i du
com te, p r êt à jo u e r le r ôle d e m éd ia teu r , p ou r peu
qu ’on l’en p r iâ t , se com p osait u n e figu r e de cir co n s
tan ce, com p a tissa n te, gr a ve , et m êm e un peu affligée.
D è s l’en tr ée, tou t s ’en vola . So n p r em ier m ot fu t
celu i-ci :
— P ou r q u oi a ve z-vo u s ch a n gé les m eu bles dé
p la ce ?
O n a u r a it d it qu ’011 lui a r r a ch a it l’âm e. N e plu s
t r o u ve r le p etit bah u t, su p p or ta n t le pot à t a b a c, à
l ’en d r oit p r écis où d ep u is vin gt a n s on le vo ya it , ne
p o u va it s ’a d m ettr e. L e b u r ea u n ’é t a it p lu s en tr e les
d e u x fe n ê t r e s ; l’or d r e im m u able d es ch oses a va it
ét é b ou scu lé. Ce s in n ova t ion s p a r u r en t à l’abbé
M o u r r o u x qu asi su b ver sives.
M. de Ger la n d e, don t le vis a ge n ’ét a it p oin t celu i
d 'u n h om m e d évo r é p a r les sou cis d om estiqu es, r é
pon d it a ve c bon n e h u m eu r :
— D ’a b or d , vou s p o u r r iez m e d ir e b o n jo u r !
— E h b ie n ! b o n jo u r ! je t a l’abbé, gr o gn o n . D o n
n ez-m oi un e ciga r et t e . O11 n e sait p lu s t r o u ve r ce
flu c l’on ve u f, ch ez vo u s!
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— M on gen d r e, exp liq u a le com te d ’un a ir de
ju b ila t io n , a fa it qu elqu es m od ifica tion s d an s l’am eu
blem en t. C ’ét a it n écessa ir e. — U n tem ps, et, a ve c
m od estie : — I l a ten u à fa ir e m on p or t r a it . Sin
gu liè r e idée, n ’est-ce p a s?
L ’abbé M o u r r o u x a p p r écia it les effigies d ’a n cêtr es.
I l s’a d ou cit :
— Ah ! ah ! M. de M on tb r u l fa it vo lt ige r le m ob i
lier ! Il n e t a r d e r a p oin t à p r en d r e le com m a n d e
m en t de la m a ison !... M on p a u vr e am i, je cr a in s
qu e vo u s n ’a ye z bien m al m a r ié vo t r e fille!
Le co m t e'n e vou lu t pas r ir e. Il p r otesta , ve xé :
— P a r exem p le ! U n ga r ço n p a r fa it !... J ’ai p assé
a ve c lu i d es jo u r n é e s d élicieu ses. I l a bea u cou p de
fon d , sou s un a ir d e n e r ien p r en d r e au sé r ieu x. Il
a én or m ém en t vo ya g é ; il a tou t lu. Sa con ver sa tion
est d es plus in tér essa n tes.
— Alo r s , vou s vou s en ten d ez b ien ? in t er r o gea le
vis it eu r .
— Ad m ir a b lem en t . Le Cie l m ’a exa u cé, je p u is le
d ir e, au d elà de m es d ésir s. C ’est, en tr e n ous,
l’un ion la p lu s com p lète. — Il r it. — J e su is tou t
d isp osé à p r en d r e F r a n ço is p ou r m on fils et M igu elin e p ou r m a b elle-fille !
L ’abbé M o u r r o u x se p r om it d ’a lle r le soir m êm e
d em an d er à M gr Clo vis Ba n n e lie r qui a va it bien pu
le r en seign er au ssi m al.
— E n ch a n t é d ’a p p r en d r e qu e vou s a ve z un fils !
d it-il a ve c ga ît é. Vo u d r e z-vo u s p r ésen t er m es h om
m a ges à M "10 vo t r e b elle-fille? J e cr ois l’a vo ir con
n u e e n fa n t !... lit , d ites-m oi : p o u r r a is -je vo ir vo t r e
p o r t r a it ?
M. de Ger la n d e a tt en d a it cette p r ièr e. Il é t a it
t r ès con ten t de son im a ge don t il d isa it, en t â ch a n t
d ’a vo ir l’a ir d éta ch é : « F r a n ço is m ’a vu en b ea u ! »
Il affirm a vivem en t :
_ C ’est tr ès fa cile. M a is la toile est d an s l’a t e lier
de F r a n çois . J e va is lui fa ir e d em an d er si n ou s n e
le d é r a n g e r o n s p a s .
.
L ’a b b é m o n t r a u n e s u r p r is e m a n ife s t e . N e p o u -
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MARI
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va it -on se vis it e r eu fa m ille san s fa ir e t a n t de cér é
m on ies?
D e va n t 1 eion n em en t de son am i, le com te e xp li
qu a d ’u n t r è s gr a n d a ir :
— I l fa u t qu ’un je u n e m én a ge r ésid a n t sous le
t o it d e ses p a r en ts se sen te en com p lète in d ép en
d an ce. C'e s t le seu l m oyen d e vivr e en p a r fa it
a ccor d . M on gen d r e est m a ît r e ch ez lu i, com m e je
le su is ch ez m oi.
« E t m êm e u n peu plu s, san s d ou t e! » a ch eva
l’abbé M o u r r o u x en son fo r in t ér ieu r .
— E n su ite, d it M. de Ger la n d e a ve c u n sou r ir e
p lein d e bon té, il fa u t é vit e r de t r ou b ler les n ou
ve a u x m a r iés. Qu a n d on est t r ois, l’un est de trop.
C ’est bien con n u.
— P a r fa it e m e n t , dit l’abbé M ou r r o u x, écla ta n t de
r ir e . I l fa u t tou t p r évoir . Alo r s , vou s en tr er ez le
p r em ier , Ger la n d e !
M . de M on tb r u l a ccu eillit l'a b b é a ve c u n e a m a b i
lit é d on t le b én éficia ir e fu t ch a r m é. Le s fils de ses
a m is ét a ien t gén ér a lem en t bien élevés, m ais au cu n
n e p osséd a it la d ist in ct ion de F r a n ço is , cette p oli
tesse a isée, cette p er fect io n de m an ièr es, qu i le fa i
sa it d éfin ir a in si p a r Ta n cr è d e : « U n peu p r in ce, et
p ou r t a n t si sim p le ! »
M. de Ger la n d e la issa it p a r ler son gen d r e. Il r ap
p ela it, p a r son a ir d ’a ffectu eu se fier té, les p èr es, non
m ob ilisa b les p en d an t la gu e r r e, d eva n t leu r fils souslieu ten a n t.
L ’abbé M o u r r o u x se d em an d a it, con fon d u , com
m en t tou t P o n t a lr ic, san s excep t er M gr Clo vis Ba n n elier , p ou va it a d m et t r e cette h ist oir e, q u ’il y a va it
du fr o id ch ez les Ger la n d e.
M igu elin e su r vin t a u m om en t où l’abbé con tem
p la it le p o r t r a it de son a m i, sa n s p ou voir se d é
fe n d r e d e jo in d r e à son a d m ir a t ion u n e poin te
d ’en vie.
M . de M on tb r u l écou ta it les p h r a ses en th ou sia stes
du vis it e u r a ve c un a ir de p olitesse en n u yée. I l n ’a i
m a it p a s les lou a n ges exces sives, et D ie u sa it si le
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vo ca b u la ir e de l’abbé M o u r r o u x ét a it r ich e en fa it
d ’ép ith ètes la u d a t ives !
M igu elin e, en ten d an t son p èr e se m ettr e d e la
p a r t ie, s’é cr ia d an s un jo li r ir e cla ir , m u sica l :
— J e vou s en p r ie, n e fa it e s plus de com plim en ts
à F r a n ço is ! I l d éteste ça , et, qu an d on l’a ga ce, il
d evien t comnu- u n cr in . J e n ’ose plu s l’a p p r och e r !
L ’abbé M o u r r o u x fit un e volte su bite qui le m it
en fa ce de la je u n e fem m e. E lle ét a it d eb ou t à côté
du fa u t e u il de son m ar i. M . d e M on tb r u l r en ver sa
la tête p ou r m ieu x vo ir sa fem m e. I l in t er r ogea ,
a ve c un e om bre de sou r ir e :
— Vo u s n ’osez p as m 'a p p r och er ?
M. de Ger la n d e h a u ssa les ép au le* en affir m an t à
l’abbé :
— E lle le d it !... C ’est cu r ie u x ce b esoin qu ’on t les
fem m es de m e n t ir !
L ’abbé M o u r r o u x ab a n d on n a la toile p ou r étu d ier
M igu e lin e à la d ér obée. I l y a va it en elle un m yst é
r ie u x ch a n gem en t ; il n ’a u r a it su d ir e lequ el au
ju s t e . P e u t -ê t r e cela ve n a it -il de la fa çon don t elle
r e ga r d a it sou m ar i. A ch a qu e in sta n t, elle leva it les
ye u x su r lu i. Us ét a ien t ca r essa n ts, ces yeu x,
a u t r e fo is si h a u t a in s qu ’ils d even a ien t fa cilem en t
d ur s.
M . de M on tb r u l n e sem b la it p as s ’a p e r ce vo ir qu ’il
était l’o b je t de sem bla ble a tt en tion . P o u r sa t is fa ir e
u n d ésir du com te, il m on t r a it à l’abbé un e sér ie
d ’a q u a r elles du vie u x P o n t a lr ic. L ’a r ch ivis t e b én é
vole, qui ét a it fo u de sa ville n a t a le, a d m ir a it san s
r éser ve. F r a n ço is a ch eva de le con q u ér ir en m an i
fes t a n t l’in ten tion de le p r en d r e à son tou r p ou r
m od èle. II lui t r o u va it , et le d it d e fa ço n fo r t a i
m ab le, un e tête à ca r a ct èr e, u n t yp e in tér essa n t.
Ces m ots p lon gèr en t l’am i des fa m illes d an s une
sa t is fa ct io n in exp r im a b le. M. de Ger la n d e, p a r
con t r e, n e fu t p as tr ès con ten t. Q u elle ét r a n ge idée
a va it F r a n ço is de ch oisir p ou r m od èles de vie u x
bon sh om m es, au lieu de p ein d r e sa fem m e?
I l le fit r em ar qu er , en a ya n t l'a ir de p laisan ter .
M igu e lin e a tt en d it le p r em ier m ot do son m ar i, en
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fa isa n t tou s scs effor t s p ou r a vo ir l’a ir de u ’y a t t a
ch er a u cu n e im p or tan ce.
M. de Mojxtbru l r esta t r ois secon d es san s r é
pon d re, ce qu ’il fa is a it p a r fo is qu an d un e qu estion
le co n t r a r ia it , et ce silen ce ét a it h or r ib lem en t d ésa
gr éa b le p ou r l’in t er locu t eu r . Ap r è s , il la issa tom ber
du bou t des lè vr e s :
— M igu elin e n ’a pas l’h a b itu d e de r est er t r a n
qu ille ch ez elle. I l est fo r t en n u yeu x d ’êt r e im m o
bilisée qu an d on a en vie de r em u er .
M. de Ger la n d e, vo ya n t sa fille d even ir p ou r p r e,
se h â ta d ’a igu ille r la con ver sa t ion su r un a u t r e
su jet. L ’abbé M o u r r o u x y a id a . Il e xu lt a it à l’id ée
d ’a vo ir son p or t r a it et de le m on t r er à M gr Clôvis
T?an nelicr. Ce fu t u r m em br e de l’in s t it u t p osséd ait
son bu ste, œ u vr e d ’un je u n e scu lp t eu r don t l ’abbé
d it a ve c d éd ain : « C ’est un illu st r e in con n u ! » U n e
toile sign ée Ger la n d e -M on t b r u l ser a it bien a u t r e
ch ose !
M igu elin e l’écou ta it en sou r ia n t a ve c un m éla n ge
de con ster n a t ion et de défi. E lle com p r en a it p ou r
quoi F r a n ço is a gis sa it de la sor te et p en sa it : « Il le
fa it exp r ès. J ’a u r a is m ieu x fa it de céd er . » E lle
vo ya it tr op t a r d q u ’on n e p ou va it a gir a ve c lui
com m e a ve c son p èr e.
L ’abbé M o u r r o u x r en t r a ch ez lui r a d ieu x. To u t le
lon g du ch em in , il se r ép ét a it a ve c com p la isa n ce :
— J ’a i u n t yp e in tér essa n t... Q u el ch a r m a n t jeu n e
hotn m e !...
A p a r t soi, M. de Ger la n d e sen t a it sa fé licit é
d écr oît r e. Q u e F r a n ço is a it ten u à fixer son vis a ge
à lui, c’ét a it e xp lica b le : il vo u la it con t in u er la ga le
r ie fa m ilia le, et pu is c’ét a it gen t il de sa p a r t . M a is
l’abbé M ou r r o u x, à p r ésen t !
Ce ga r çon ne fa is a it r ien com m e les a u t r es. T o u t
le m on de s’ét on n er a it, ca r , n or m a lem en t, u n jeu n e
m ar i t r è s ép r is et p ein tr e d e ta len t d evr a it com
m en cer p a r r e t r a ce r les t r a it s de sa fem m e... M. d e
Ger la n d e r ed ou t a it p a r -d essu s tou t les com m ér a ges
et n e vou la it p oin t la isser a u x m ille vo ix an on ym es
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de P o n t a lr ic ¡’occa sion ü e p o r t er u n ju gem en t, ce r
t ain em en t peu b ien veilla n t , su r sa fille et son gen d r e.
Si F r a n ço is n e vo u la it p as d em an d er à sa fem m e
d e poser , ce n ’ét a it p oin t clans le bu t de lu i é vit er
u n e cor vée, m ais d an s celu i de m on t r er q u ’il n ’éta it
pa s t r ès s a t is fa it de vo ir M igu elin e a ffich er un e
d ésin vo lt u r e peu p r op r e à lu i p lair e. M igu elin e a va it
t or t , son p èr e le r eco n n a iss a it ; m a is il fa lla it cepen d an t d écid er F r a n ço is à fa ir e son p or t r a it ..., n e fû t ce qu e p ou r m u seler tou tes les b a va r d es de la ville.
P lu s le com te p r ép a r a it son en tr ée en m a t ièr e,
m oin s il osa it a b or d er le su jet . F r a n ço is ét a it de
sociét é fo r t a gr éa b le, m ais il ét a it fa cile de s ’a p er
ce vo ir qu ’on n e lu i fa is a it p as fa ir e ce qu ’on vou la it.
A vr a i d ir e, c’ét a it p lu tôt lu i qui le fa is a it fa ir e a u x
a u t r es.
M m' de M on tlir u l, du fa it d e l’h u m eu r lab or ieu se
de son m ar i, jo u is s a it de cette lib er té q u ’elle a im a it
tan t. E lle a u r a it dû êt r e r a vie de n ’êt r e co n t r eca r r ée
en r ien . P o u r u n em p ire, elle n ’eû t a vou é q u ’elle
s ’en n u ya it à m ou r ir , en d isa n t q u ’elle s’a m u sa it
beau cou p .
M ""“ de La n d r a gu e t , d on t l’in t elligen ce n ’ét a it
p a s des p lu s vives, vo ya n t leu r a m ie a ller et ve n ir
à sa gu ise, con t in u er à m en er a ve c'e lle s u n e e xis
ten ce de je u n e fille a ve c le p r est ige du m a r ia ge,
l’en via ien t fér ocem en t et r ép éta ien t à tou s les éch os :
— A-t -elle u n e vein e, M igu elin e !...
En effet, M m" de M on tb r u l, si ja lo u s e de son
in d ép en d a n ce, p ou va it se con sid ér er com m e s e r vie !
¿0 11 m a r i lu i la issa it t a n t de lib er t é qu ’elle eût,
fin alem en t, p r é fé r é en a vo ir u n peu m oin s.
E lh s ’a p p liq u a it à m on tr er d an s le m on de et
m êm e d eva n t son p èr e u n e figu r e de cr é a t u r e h eu
r eu se en tr e tou tes. C ’ét a it fa cile , ca r la cou r t oisie
r affin ée de F r a n ço is p ou va it le fa ir e cr oir e a u x
pied s de sa fem m e. D ep u is son m a r ia ge, M igu elin e
a va it en cor e ga gn é p h ysiqu em en t. Sa b ea u t é d eve
n a it r a d ieu se. E lle sem b la it a va n ce r d an s la vie en
t r iom p h a t r ice. C e u x qui vo ya ie n t cet t e su p er be
je u n e fem m e, com blée de tou s les don s, se d isaien t,
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com m e les a m ies en vieu ses de son b on h eu r con
ju ga l :
— A-t -e lle de la ch a n ce !
C ’ét a it vr a i, et p ou r t a n t M igu e lin e n e s’en r en d a it
pa s com pte. Su r t o u t , elle n ’a p p r écia it p oin t à sa
ju s t e va le u r la gr â ce in estim a ble qu e la P r o vid e n ce
lu i a va it a ccor d ée en lu i d on n a n t un m a r i p ou r
lequ el la fo i ju r é e au jo u r d es ép ou sa illes n ’ét a it
pa s un e va in e for m u le. C ’est cep en d an t u n bien
a p p r écia b le, n ’ét a n t p oin t t r è s com m u n .
A l’exem p le d e b ea u cou p de jeu n es fille s ,"e lle
n ’a va it p as su vo jr , d ès les fia n ça illes, qu e l’a m ou r
d ’un h on n ête h om m e est ch ose si p r écieu se qu ’il n e
fa u d r a it p oin t r isq u er de le p er d r e p a r ign or a n ce
ou m ala d r esse. I l lui a va it p a r u tou t sim ple d’e xige r
d e F r a n ço is m a r ié la sou m ission à ses fa n t a isies
con sen tie p a r F r a n ço is fian cé. E lle su p p or ta it à p r é
sen t le con t r e-cou p de cette in com p r éh en sion du
ca r a ct è r e m ascu lin et n e sa va it com m en t s’y p r en d r e
pou r em p êch er son m a r i de lui t en ir r igu eu r ..., san s
p ou r cela s’in clin er d eva n t sa volon té.
M igu elin e n e p ou va it d ir e : « J e r et ou r n e ch ez
m on p èr e ! » p u isqu ’elle a va it m is p ou r con d ition à
son m a r ia ge de vivr e ch ez ce p èr e, et, p ou r com ble
d’in for t u n e, le com te, en jôlé p a r son gen d r e, eû t
m a n ifest é u n e a im a b le in cr éd u lit é si sa fille ét a it
ven u e p leu r er d an s ses b r a s en se p la ign a n t de la
fr o id e u r de F r a n çois .
E t pu is, on a beau ch ér ir son p èr e, il y a des
gr ie fs qu e l’on ga r d e p ou r soi.
Le vicom te de M on tb r u l — p en d an t qu e la vico m
tesse fa is a it sem b la n t de b ea u cou p se r é cr é e r san s
lui — a ch eva it le p or t r a it de l’abbé M ou r r o u x. L e
m od èle ét a it r a vi. Si M igu elin e a va it con fié à ce
vie il am i qu e son b on h eu r n ’ét a it p oin t san s n u a ges,
le ch a p elain des fa m illes eû t fa it com m e le com te,
il l’eû t p r is p ou r u n e ch a r m a n te p la isa n ter ie : M. de
M on tb r u l, tou t P o n t a lr ic le sa va it , a d or a it sa fem m e.
Ave c u n e im p atien ce gr a n d issa n te, M igu elin e
a tten d a it le m om en t où, l’œ u vr e éta n t d ûm en t a ch e
vée, F r a n ço is con sen t ir a it à p r en d r e sa p a r t des
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d ist r a ct ion s m on d ain es. L ’in d ép en d an ce est u n e
b elle ch ose, m ais se la vo ir a ccor d ée au ssi la r ge
m en t lui en lève b ea u cou p d ’a t t r a it .
E t p u is c’ét a it tr op en n u yeu x de n e plus a vo ir
son m a r i tou t à elle. H eu r eu sem en t , F r a n ço is p ei
gn a it t r ès vit e : il a u r a it b ien tôt fini.
L a je u n e fem m e, escom p ta n t cette m in u te, d éci
d ait en elle-m êm e :
« Ap r è s, il p ein d r a m on p or t r a it , et pu is au cu n
a u tr e. C ’est tr op a ffr e u x de le vo ir n e p a s fa ir e
a tt en tion à m oi ! »
M . de M on tb r u l p a r a issa it se com p la ir e à p e r fe c
t ion n er l’im a ge de l’abbé M ou r r o u x. Celu i-ci ét a it
p r esq u e a u ssi im p atien t qu e M igu elin e de vo ir la
sign a t u r e t r a cé e au bas de la toile, t a n t il a va it h âte
d e la m on t r er à M g r C-lovis Ba n n elier , si fier de son
bu st e.
M. de Ger la n d e con t in u a it à se fé licit e r d ’a vo ir
r éu n i p a r un m a r ia ge les d eu x b r a n ch es de la fa
m ille. On le com p lim en ta it su r son gen d r e de tou s
les côtés. Son a m ou r -p r op r e, si a gr éa b lem en t flatté
qu ’il fû t, n e le r en d a it p as in gr a t . Ta n cr è d e s ’ét a it
m u lt ip lié p ou r a b ou t ir a u r ésu lta t p r ésen t. On lui
d eva it de n e p oin t le la isser tom ber d an s l’ou bli,
u n e fo is le su ccès obten u .
Le com te, m on tr a n t p a r là u n e d élica t esse et un e
gén ér o sit é qu e l’on n e sa u r a it tr op e n ga ge r les
on cles à im it er , é cr ivit à son n eveu de ve n ir le vo ir
sa n s t a r d er . Il ter m in a sa let tr e p a r cet t e b r ève
p h r ase, don t tou s les n e veu x eu ssen t a p p r écié les
ter m es : « J ’ai l’in ten tion de t ’o ffr ir , en cad eau de
n oces a n ticip é, u n e au tom obile. Vie n s la ch oisir . »
Ave c sa sign a t u r e au -d essou s,' cela va la it bien ,
p ou r le style, en bea u cou p plu s ga i, la célèb r e ép îtr e
de M ml> de Sé vign é su r la m or t de Tu r en n e.
Ta n cr è d e r ép on d it télégr a p h iq u em en t qu ’il a r
r iva it .
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Ta n cr è d e , a p r ès a vo ir e xécu t é un vir a ge sa va n t
et des essa is de m a r ch e a r r iè r e d eva n t le p er r on de
l’h ôtel d e Ger la n d e, s’a r r ê t a et, sa u t a n t à t er r e, r e
ga r d a sa jo lie m ach in e, tou t e lu isa n te et bien a s t i
qu ée, d ’un œ il p osit ivem en t a m ou r eu x.
F r a n ço is de M on tb r u l, a p p u yé à la b a lu str a d e de
l’esca lier , s u r ve illa it les évolu tion s du je u n e ch a u f
feu r . Am u sé p a r l’exp r ession ir r a d iée de son ca m a
rad e, il in t e r r o ge a :
— Ça t ou r n e r on d ?
T a n cr è d e con d en sa tou tes ses p en sées en un seul
m ot :
— Ep atan t !
Ap r ès, il a jo u t a :
— Qu a n d je te d isa is qu ’il fa u d r a it en ca d r er m on
on cle !
M. de M on t b r u l a cq u iesça , n on m oin s sin cèr e. Il
p osséd a it p er son n ellem en t p lu sieu r s on cles. Au cu n
n ’a u r a it ja m a is l'id ée de s o r t ir vin gt -cin q b illet s de
son p o r t e fe u ille p ou r fa ir e p la is ir à son n eveu .
— P o u r en t r o u ve r un a u t r e p a r eil, on peu t tou
jo u r s co u r ir ! p ou r su ivit Ta n cr è d e a ve c ch a leu r . Ri*
q u et te ser a con t en te en vo ya n t ce b ea u jou jou .
J ’ir a i ch ez le gé n ê ïa l cet a p r è s-m id i!
Sa m ain cla q u a le ca p ot, a m ica lem en t, com m e il
l’eût fa it de l’en colu r e d ’un ch eva l.
— En fin , tu es con t en t ? d it F r a n ço is , se m etta n t
à r ir e.
I l a jo u t a it à p a r t lu i : « Q u e l go s s e !... fit il ve u t
se m a r ie r ! »
— O h ! fit sim plem en t le p etit b a r on . D is don c,
m on vie u x, si vo u s .ve n ie z, M igu elin e et toi, ch ez
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M \R I
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m
Je gé n é r a l, p ou r a ch e ve r d’e s sa ye r la m a ch in e?...
F a it e s d on c ça , ce ser a it gen t il !
F r a n ço is d evin a it l’im m en se fier té qu ’a va it Ta n cr èd e à p osséd er en fin son a u to à lu i. Il r ép liq u a ,
t o u jo u r s sou r ia n t :
— Dem a n d e ¡1 M igu e lin e si ce p r ojet lui con vien t.
— T u n e p eu x p as le fa ir e , t o i? s’écr ia Ta n cr èd c,
o u vr a n t d es ye u x ron ds.
— J e le p ou r r a is, n a tu r ellem en t, r ép on d it le v i
com t e; m ais je ne ve u x pas a vo ir l’a ir de lui im po
ser m on p r op r e goû t, si le sien est d iffér en t.
St u p é fa it , Ta n cr è d e se dit :
« Ça , c’est tr ès ch ic! A la p r em ièr e occa sion , je
le r ép ét er a i à Riq u ette, com m e ven a n t de moi...
M a is il fa u t q u ’il soit jolim en t p r is p a r sa fem m e,
F r a n ço is ! E lle le fa it p a sser p a r le tr ou d ’un e a i
gu ille ! J e n ’a u r a is pas cr t f ça de lui. Si j ’a va is su,
je m e ser a is bien ga r d é de l’a m en er ici. M igu elin e
n ’en m ér it a it p a s tan t ! »
Il est vr a i que, s’il n ’a va it p as p r ésen té M on tb r u l
a u x Ger la n d e, il n ’a u r a it p oin t a ctu ellem en t de
6 C. V . R e n a u lt .. D on c il n e fa lla it p as r e gr e t t e r
d ’a vo ir a id é au b on h eu r de sa cou sin e... Ca r elle
d eva it n a ge r dan s la félicit é, M igu elin e ! Le com te
n ’a u r a it pas o ffe r t u n e con d u ite in t ér ieu r e « m odèle
de lu xe » à son n eveu , si le m a r i de sa fille s’éta it
m on tr é d éceva n t.
« F r a n ço is est un t yp e h or s con cou r s, soliloq u a it
Ta n cr è d e , en r ecom m en ça n t à d écr ir e d es ron ds
en tr e les ca isses d ’or a n ger s. Il a con qu is l’on cle
Léon ce, et j ’ai un e au to. C ’est un ch er vie u x g a r
ço n ; si ja m a is je p eu x lu i êt r e u tile, il n ’a u r a qu ’à
m e le d ir e ! »
Peu a p r ès, M igu elin e vin t r ejo in d r e son m ar i.
E lle d it a ve c un e ga ît é un peu d éd a ign eu se :
— Vo u s r e ga r d e z jo u e r l’e n fa n t ?
Le jeu n e hom m e se m it à r ir e :
— Vo u s n ’êtes p as t r ès bon n e, m ais c’est bien ça :
« l’en fa n t ». Il a l’a ir d ’un collégien , ce p a u vr e Ta r icr èd e. 11 m e sem ble le vo ir a ve c sa p etite fem m e,
d an s son p etit ca r r osse. I ls a u r on t l’a ir éch ap p és
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MAKI
!)!■.
I.A
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d ’u n e fé e r ie !... M es n e veu x on t un jo u e t d on t ils
r a ffo len t : d eu x bon sh om m es de bois, fa b r iq u és pa r
le vie u x b e r ge r de Se r r e - d e - Cla u x ; ils les ap p ellen t,
je ne sais p ou r q u oi: « les p etits Lu s t u cr u s ». Qu an d
je vois Ta n cr è d e et Riq u ette, je p en se qu ’ils son t,
eu x a u ssi, des petits Lu st u cr u s.
L e r ir e de M igu elin e r éson n a com m e les vib r a
tion s d ’u n e cloch e d ’a r ge n t :
— Vo u s êtes e ffr a ya n t ! J e n e vou s sa va is pas
m a u va is com m e cela !
— C ’est un d é fa u t de p lu s ; j ’en a i t a n t d ’a u t r es!
d it -il légèr em en t.
I l a p p u ya sa m a in su r celle d e sa fem m e, M igu e
lin e r ou git u n peu.
— Vo u s êt es tr ès m éch a n t, d it-elle.
I l sou r it en cor e :
— C ’est bien possib le, m a ch è r e ; l’h om m e, p a r
essen ce, n e va u t r ien . J e d is l’h om m e, p as la fem m e,
r em a r q u ez-le. Si je su is m éch a n t, je tien s du m oin s
à êt r e poli.
—• P ou r q u oi a ve z-vou s fa it le p or t r a it d e p a p a ?
in t er r o gea br u squ em en t M igu elin e.
— P o u r lui fa ir e p la isir , n a tu r ellem en t.
— E t l’abbé M o u r r o u x?... E s t -ce en cor e p ou r la
m êm e r a ison ? O h ! c’est le p ir e, cela, F r a n k ie ! je t a
la je u n e fem m e, essa ya n t de r ir e p ou r n e pas pleu
r er . Vo u s l’a ve z fa it exp r ès. Avo u e z-le !
Il la issa p a sser u n e secon d e a va n t de r ép on d r e
d’un ton m esu r é, t r ès d o u x :
— M a p etite am ie, je fa is ce qu e je ve u x, com m e
vou s-m êm e fa it e s ce qu e vou s vou lez. Le m eilleu r
m oyen p ou r r est er un is. J e r ép ète vos p r op r es p a
r oles. Vo u s ten ez à vo t r e lib er t é : je vou s la la is se;
m ais je r ése r ve la m ien n e. Ce la va d e soi.
A cet t e m in u te, Ta n cr è d e r even a it ve r s eu x. Les
vo ya n t si p r ès l’u n d e, l’a u t r e, il cr ia , la figu r e
ép a n ou ie :
— E h b ie n l m on vie u x, tu a s en levé le m or cea u ?
M igu e lin e con sen t à m e con fier sa p r écieu se p er
son n e et la tien n e, d on t la va le u r est p r esq u e au ssi
gr a n d e ? Vo u s venez..,avec m oi?
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— Où ça ? in t e r r o ge a M igu elin e, a ve c un effor t
p ou r r et r o u ve r so u a ccen t h a bitu el.
T u n e l a s pas d it à ta fem m e, F r a n ço is ? M a is
alor s, de qu oi lu i p a r les-t u ? s ’écr ia le p etit ba r on
a ve c u n e n a ïve t é p a r fa it e .
—• Oh ! d ’un t a s de ch oses ! r ép on d it M . de M on tb r u l, am u sé.
Ta n cr è d e , d on t le cer vea u ne con ten a it plu s q u e
d eu x id ées b loq u ées en u n e se u le : Riq u ette et l’auto,
exp liq u a son d ésir : Il se r a it en ch an té de fa ir e à
ses cou sin s les h on n eu r s d e sa n ou velle voitu r e.
L a r ép on se le p lon gea d an s un a h u r issem en t vé r i
tab le. M igu elin e dit, em b a r r a ssée :
— J e n e sais p as si F r a n ço is vou d r a .
E lle su b or d on n a it son a ccep t a tion à celle de son
m a r i ! T a n cr è d e o u vr it des ye u x com m e d es la n
t er n es ch in oises. I l ém it, go u a ille u r :
— T u te sou cies de l'o p in ion d ’u n e t ie r ce p er
son n e, t o i! T o i, la r e in e !... O h ! ! ! La isse-m oi
m ’a sseoir !
I l vit F r a n ço is se m or d r e les lèvr es p ou r r et en ir
un sou r ir e. I l n e sem b la it pas fâ ch é du tou t. M igu e
lin e, p a r con tr e, eut l’a ir d’êt r e p r ête à p leu r er .
Alo r s p er son n e n e su t quoi d ir e, et, fin alem en t,
Ta n cr è d e a lla tou t seul p r ésen t er la R e n a u lt à sa
fia n cée.
E n r even a n t ch ez son on cle, a p r ès a vo ir p assé la
jo u r n é e a ve c M 1"5 Riq u ette, Ta n cr è d e t r o u va dan s
le vest ib u le son cou sin fa isa n t les cen t pa s, de cet
a ir r é s ign é d es m a r is a u xq u els ou vien t d ’a ssu r er :
« J ’en ai p ou r cin q m in u tes ! »
I l est n écessa ir e, d an s ce cas, de sa vo ir m u lt ip lier
p a r d ix.
— Q u e fa is-t u là ? in t er r o gea P u ym ér a n , su r p r is.
— Ce qu e tu fe r a s toi-m êm e qu an d tu ser a s en
p u issa n ce de fem m e! r ép on d it M. d e M on tb r u l,
a ga cé . J ’a tten d s M igu e lin e ; cela d oit se vo ir !
—• E n e ffe t . T u c o m m e n c e s à m o n t r e r u n a ir
t r ès... c o n ju g a l : s o u r c ils fr o n c é s , b o u c h e s é v è r e :
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tou t p r êt à d ir e : « Sa ve z- vo u s qu elle h eu r e il est,
ch èr e a m ie ? » — E s t -ce qu e ça s’em p loie t ou jou r s,
« ch èr e a m ie » ?... Ren seign -e-m oi. J e va is êt r e bien
tôt ap p elé à figu r er d an s ce rôle.
F r a n ço is lui r ép on d it tou t n et qu ’il l’en n u ya it , en
se se r va n t d ’un a u t r e ver b e. Ta n cr è d e le r ega r d a
cu r ieu sem en t :
— T u ne p a r a is p as t r ès con ten t d ’a ller d a n ser
ch ez cet e xcellen t M . Le H ellee, a n cien co n s er va
teu r d es E a u x et F or ê t s. J e te cr o ya is socia b le.
Com m e on se tr om p e !
F r a n ço is r ép liq u a , s é r ie u x :
— J e n ’ai p as en cor e a ttein t l’â ge de la r et r a it e.
J ’a p p r écie la société de m es sem b la b les; n ia is cette
ba n d e d ’a m u seu r s qu i tou r n en t en ron d, com m e des
écu r eu ils d an s u n e ca ge , ch er ch a n t le m atin com
m en t ils p ou r r on t tu er le tem p s ju s q u ’au soir , a ve c
la p er sp ect ive de « r em ettr e ça » le len d em ain , vr a i
m en t, si je les a im a is, je ch o isir a is bien m al m es
a m is !... J e su is t o u jo u r s su r p r is de vo ir M igu elin e
se com p la ir e d an s cet en tou r a ge. E lle est in t elli
gen t e, cep en d an t.
— O u i, m ais il doit lui êt r e a ssez a gr é a b le de
fa ir e con st a t er sa su p ér ior it é p h ysiqu e et in t elle c
tu elle, glis s a Ta n cr è d e d’u n a ccen t d éta ch é. E lle
aim e r é gn e r d e tou tes fa çon s.
— Si elle p r en d du p la isir à r égn er su r un t r o u
peau d ’im béciles, elle a bien tor t ! N ’im p or te qu elle
in t elligen ce s’a tr op h ie au con t a ct p er m an en t d ’es
p r its é t r o it s ; et com m en t p eu t-on êt r e s a t is fa it d’im
p oser sa su p ér ior it é à des m éd iocr es?
Ta n cr è d e écou ta it a ve c p r esq u e du r esp ect. I l
r ép liq u a m od estem en t :
— O h ! m oi, je n e sa is pas. Com m e je n e possèd e
a u cu n e p a r t ie r em a r q u a b le, je n e ch er ch e p oin t à
m ’im p oser ... M a is, si ça t ’em bête d ’a lle r d an s le
m on d e, p ou rq u oi le fa is -t u ?
— P a r ce qu e je ne ve u x p as co n t r a r ie r m a
fem m e.
Ta n cr è d e , en ten d an t ces m ots, fu t d ésolé. Ce r t a i
n em en t, M igu elin e n e t en a it a u cu n com p te d es goû t s
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127,
d e son m a r i. E lle n e le r en d a it pas h eu r eu x, et cela
îu i ét a it bien é ga l, p ou r vu qu 'elle soit h eu r eu se,
e lle !... Com m en t F r a n ço is p ou va it -il se la isser a sser
vir de la so r t e ?
So u d a in t r ès r ou ge, le p etit b a r on com m en ça, en
h ésit a n t un peu :
— E cou t e, m on vie u x, je... voilà , je n e sa is pas
t r ès bien te d ir e... Com m e c’est p a r m oi qu e tu as
con n u M igu elin e, j ’a i un scr u p u le. Si tu ét a is m a l
h e u r e u x, ce se r a it m a fa u te...
M on tb r u l, stu péfié, d em eu r a la bou ch e o u ve r t e ;
en su ite, il se m it à r ir e :
— M a is tu es u n e m èr e p ou r m oi, Ta n cr è d e !...
E s t -ce qu e tu m e t r o u ves la tête d ’un m on sieu r à
p la in d r e?
— Oh ! n on . Seu lem en t..., si tu m e p er m etta is un
con seil...
— Com m en t d on c! dit F r a n çois, p r od igieu sem en t
d iver t i. Don n e le con seil, je le r ecu eiller a i a vec le
p lu s gr a n d soin .
Ta n cr è d e se t or t illa com m e un e a n gu ille dan s la
p oêle; il a lla it d ir e : « N e te la isse pas m an œ u
vr e r », lor sq u e M igu elin e a p p a r u t au som m et de
l'es ca lier .
E lle é t a it m er veilleu sem en t belle. Sa r obe tic satin
b la n c, t r ès lon gu e, a ju s t ée com m e un vé r it a b le fo u r
r eau , ét a it si p a r fa it em en t cou p ée qu ’elle sem blait
collée su r elle, d essin a n t les lign es im p ecca bles de
son corp s. L a t r a în e s’ét a la it su r le tap is. A l'e x
cep tion d e sa b a gu e de fian çailles, un gr o s b r illa n t
ca r r é, elle n e p or t a it au cu n b ijou .
— J e vou s ai fa it a tt en d r e? J e su is con fu se, dit
la vicom tesse, sou r ia n t à son m a r i d ’u n e fa çon
câjh’n e. Bo n s oir , Ta n cr è d e . Dit es-m oi tou s les d eu x
com m en t vou s t r o u ve z ma robe. 11 m e sem ble êt r e
en t r a ve st i.
E lle a va n ça et tou r n a len tem en t. L a lign e n a cr ée
du d os a p p a r u t d an s le co r sa ge fen d u ju s q u ’à la
cein tu r e.
P e r s o n n e en cor e, d an s le p etit cer cle éléga n t de
P o n t a lr ic, n ’a va it nr&oré ce .ge n r e de t oilette. Ta n -
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cr èd e d em eu r a p étr ifié de su r p r ise d eva n t sa cou
sin e. Il se d em an d a it ce q u ’en p en sa it F r a n çois .
Ce lu i-ci d on n a son a vis san s a tten d r e.
— Vo u s n ’a ve z ja m a is eu de r obe au ssi jo lie , d itil, t r è s ca lm e ; m ais, s ’il ét a it un peu m oin s tar d , je
vou s p r ier a is de vo u lo ir bien en ch a n ger . Ce d écol
leté du dos est d e ce u x qu e l’on n om m e ch a r it a b les.
J e n e p ou sse p a s l’a lt r u ism e a u ssi loin ... Vo u d r e zvo u s êt r e a ssez a im a b le p ou r fa ir e a r r a n ge r cela le
p lu s r ap id em en t p ossib le? D it e s à .Sylvie d e m et tr e
du tu lle, de la d en telle, n ’im p or te qu oi !... M a is je
n e ve u x p as vou s vo ir s o r t ir a in si.
I l a va it u n e fa ço n d ’a r t icu le r ceci tou t e p a r t icu
lièr e. C ’ét a it cou r t ois, m ais n et e t fer m e. Ta n cr è d e ,
ébah i, n ’en cr oya n t p as ses ye u x, vit M igu elin e se
d ir ige r d ocilem en t ve r s sa ch a m br e, sa n s u n e p r o
testa tion .
Alo r s le vicom te de M on tb r u l se tou r n a ve r s son
ca m a r a d e et dit, ch a n gea n t de ton :
— T u d eva is m e d on n er u n co n s eil? J e l’atten d s.
— Ou i..., b a lb u tia Ta n cr è d e , in t er d it . J e... — il
t ou r n a cou r t — j ’ai ou blié.
M igu elin e r evin t p r esq u e a u ssitôt. Le s r ect ifica
tion s in d iqu ées p a r son m ar i a va ien t ét é p r om p te
m en t fa it e s. F r a n ço is l’en velop p a d ’un r e ga r d in ves
t iga t e u r ; il d it seu lem en t :
— J e vou s r em er cie.
Ap r è s cela , p a r exem p le, il p r it d es m ain s de la
ca m ér iste le gr a n d m an teau b or d é d e r en a r d blan c,
p ou r en r e vê t ir lu i-m êm e sa fem m e.
Ta n cr è d e n e sut qu e p en ser . Le s m a n ièr es de
F r a n ço is a ve c M igu e lin e le d ér ou t a ien t. Il n e d eva it
p oin t êt r e fa ib le com m e son cou sin l’a va it cr u un
in s t a n t ; d ’a u t r e p ar t...
« M a foi ! c’est son a ffa ir e ! con clu t Ta n cr è d e en
lu i-m êm e. I l d oit bien sa vo ir ce qu ’il veu t . M oi,
je sa is qu e j ’a i u n e 6 C. V . R e n a u lt : c’est
l ’essen tiel. »
Ce t t e r éflexion , lu i m etta n t le n om du d on a t eu r à
l’esp r it, l’am en a ch ez son on cle, ca r , en bon ga r ço n 3
le fils de la b a r on n e son gea :
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« L ’on cle Lé on ce doit s’en n u yer tou t seu l... M oi
a u ssi, du r e st e ; a llon s lui t en ir com p agn ie. »
M. d e Ger la n d e fit un a ccu eil em p r essé à son
n eveu . Ta n cr è d e lu i d isa it à tou t p r op os : « Vo u s
êtes le d er n ier on cle d ign e de ce.n om . Ap r è s vou s,
il n ’en exist e r a plu s. » On a beau fa ir e la p a r t d e
l’e xa gé r a t io n , ces sor tes de ch oses vou s son t t r ès
d ou ces.
Selon sa cou tu m e, Ta n cr è d e m it l’en tr et ien su r
son a u tom ob ile et sa fian cée. Il a va it fa it , d an s
l’a p r ès-m id i, un e lon gu e p r om en ad e a ve c Riq u ette,
d an s la R e n a u lt . Ce t t e m ach in e p osséd ait, si l’on en
cr o ya it le p r op r iét a ir e, des q u a lités p r esq u e h u
m ain es. E vid em m en t , il ch ér issa it R iq u et t e p a r
d essu s tou t, m ais sa vo it u r e ve n a it im m éd ia tem en t
a p r ès d an s ses a ffection s. — Ceci p a r ce qu ’il é t a it
en cor e vie u x je u : un ga r ço n vr a im en t à la p a ge
p r é fè r e son a u to à n ’im p or te quoi.
— J e su is con ten t d ’a vo ir d evin é ce qu i p ou va it
te fa ir e le p lu s de p la isir , d it le com te, p r ofitan t du
m om en t où son n eveu s’a r r ê t a it p ou r r ep r en d r e h a
lein e. A ton tou r , vou d r a is-tu m e r en d r e un p et it
s e r vice ?
U n p etit se r vice, c’est tr ès gr o s, bea u cou p plus
q u ’un gr a n d . Ta n cr è d e pen sait à son m oteu r qui
t ou r n a it bien ron d, à sa Riq u ette tan t aim ée... I l
r ép on d it a ve c élan :
— Allcz- y !... P o u r vou s, je m e je t t e r a is d an s le
feu !
— N e le fa is pas, d it l’on cle : ta m èr e n e m e p a r
d on n er a it ja m a is. Vo ici : n ou s a llon s r e ce vo ir à la
m aison ... 11 fa u t bien s’y r ésou d r e.
—• M a is vou s n e fa it e s qu e ç a ! r em a r q u a T a n
cr èd e.
— J ’en ten d s p a r là, n on u n e r éu n ion in tim e, m ais
un bal, p ou r lequ el les in vit a t ion s ser on t plus n om
br eu ses. J e m e su is a p er çu d’un e ch ose : F r a n ço is
n ’a im e p as le m on de.
— J e sais. T! m ’a exp liq u é tou t à l’h eu r e p ou r
qu oi. C ’ét a it t r ès bien'..., du m oin s je cr ois qu e c’est
294-v
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tr ès bien . Le s d a n seu r s de M igu elin e d ép la isen t à
Fr a n çois...
— I l est ja lo u x ?
— N on . M a is, d ’a p r ès ce qu e j ’a i com p r is, il a i
m er a it bien êt r e un peu t r a n q u ille. E n se m a r ia n t , il
so u h a it a it u n fo ye r , m ais, là, u n fo ye r de st yle cla s
siqu e : u n vr a i fe u et un e vr a ie fem m e.
— I l a r a ison , sou p ir a le com te. C ’est le seul
m oyen d ’em p êch er l ’effr it em en t de la fa m ille. On
n ’y son ge p lu s, à la fa m ille ! C ’est d ém od é!... E lle
a va it cep en d an t bien des a va n t a ges .
— F r a n ço is est t r ès ch ic, p o u r s u ivit Ta n cr è d e . Il
n e ve u t pas em p êch er M igù e lin e de s’a m u ser ... A
m on a vis , m ieu x va u d r a it n e p as lu i d em an d er d ’êt r e
p a tien t tr op lon gtem p s.
M . de Ger la n d e .p a r u t fo r t en n u yé :
— J e p en se de m êm e. M igu e lin e a git com m e un e
e n fa n t gâ t ée, elle 11e com p r en d pas. M a is je n e p u is
m ’im m iscer d an s d es qu estion s qu i d oive n t r ester
st r ict e m e n t p er son n elles. D a n s un je u n e m én age,
l’in t er ven t ion d ’un t ier s, fû t -il a n im é des m eilleu r es
in ten tion s, est p r esq u e t ou jou r s n é fa s t e . — Il s’a git a
su r son fa u t e u il. — E t , d’a u t r e p a r t, je su is ob ligé
de d on n er ce ba l !
— D on n ez-le, m on on cle.
— M a is je n e sa is pas si F r a n ço is vo u d r a , d it le
b ea u -p èr e, t r è s décon fit.
Ce t t e p h r a se s’em p loya it d écid ém en t b ea u cou p , à
l’h ôtel de Ger la n d e.
— T1 m e se r a it d ésa gr éa b le de le co n t r a r ier , p ou r
su ivit le com te. P a r lc-lu i-en , tu m e fe r a s p la isir .
— Vo lo n t ie r s , fit Ta n cr è d e . Com m e se r vice , c’est
tou t p etit, en effet.
M. do Ger la n d e se m it à ét u d ier la ga r n it u r e de
ch em in ée d’u n a ir p r ofon d :
— T u p o u r r a is a u ssi lu i d ir e... h u m !... lu i fa ir e
com p r en d r e qu ’il se r a it p oli... ou con ven a b le... de...
Ta n cr è d e p a r u t estom aq u é :
— I l n ’est p as p oli, F r a n ço is ?.., O li! ça m ’éton n e !
— I l est ch a r m a n t , affir m a le com te, d ’u n e vo ix
tr iste. J e l’aim e com m e un vé r it a b le (ils: m ais
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voilà ... : il a fa it m on p or t r a it , en su ite celu i de
l’abbé M ou r r o u x. J e n e pu is m ’exp liq u er p ou rqu oi...
I l a p eu t -êtr e cr u m e fa ir e p laisir .
— Ça ne vou s a p a s fa it p la is ir ? in t er r ogea T a n cr èd e, ca n d id e.
— Vo yo n s ! fit le com te, il a u r a it dû com m en cer
p a r celu i d e M igu e lin e ! To u t le m on de s’éton n e, et
ta cou sin e est pein ée. Il suffit de bien p eu p ou r
- m ettr e du fr oid d an s un m én age.
— D it es-le à F r a n ço is , m on on cle, ém it Ta n cr èd e,
à p a r t soi t r ès d iver ti.
M. de Ger la n d e fit la tête du m on sieu r con vié à
m a n ier des ser p en ts cob r a s :
— N on ! non !... I l m e cr o ir a it d isp osé à m e fo u r
r er là où je n ’ai qu e fa ir e !... M a is, toi, m on p etit,
exp liq u e-lu i tou t ceci, n ’est-ce p a s?
— Il m ’e n ve r r a au bou t du qu ai ! o b je ct a T a n
cr èd e, r e fr o id i d an s son ob ligea n ce. Oh ! pa rd on !...
J ’ou b lie t o u jo u r s qu e ce n ’est pas le fr a n ça is du
m oyen â ge ! J e vo u la is d ir e : F r a n ço is m e p r ier a d e
m 'o ccu p er de m es a ffa ir e s.
T1 se r em ém or a la p r om en ad e d an s la R e n a u lt , la
jo ie de Riq u ette, et con clu t :
— En fin , ça n e fa it rien ! J e le lui d ir a i. M a is
p ou r qu oi M igu elin e n e le d em an d e-t-elle p as ellem êm e ? Ce se r a it bea u cou p plu s sim ple.
— E lle n ’ose pas, rép on d it M. de Ger lan d e.
— N o n ? s ’écr ia Ta n cr èd e, a ba sou r d i. Alor s... qui
gou ve r n e, ici? Ce n 'est p as elle?
_ j e cr ois qu e c’est lui, a vou a !e com te.
T r è s vit e, il a jo u t a :
— E t je n ’en su is pas fâ ch é !
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LA
R E IX K
V
— L ’un de vou s p o u r r a it -il m ’exp liq u e r la sign i
fication de ce t élégr a m m e?
M . de Ger la n d e en tr a it d an s l’a t e lier de son
gen d r e, u n p a p ier à la m ain . I l a va it l’a ir a ln ir i et
p a s con ten t du tout.
F r a n ço is , qui d essin a it le p r ofil de Ta n cr è d c, vit
son m od èle se le ve r d ’un bon d, en d even a n t tou t
p â le. L e com te, a ju s t a n t son lor gn on , lisa it d an s un
silen ce com p let :
—
R e ç u le t t r e T a n c r è d e . A r r ê t e s t o u s é v é n e
m e n t s , p a r t o u s m o y e n s . A r r i v e r a i c e s o ir . M a d e
le in e .
« Q u ’est-ce qu e cela sign ifie : tou s évén em en ts et
tou s m oyen s? Sa n s êt r e tr op cu r ie u x, je vou d r a is
p ou r t a n t bien sa vo ir ce qu i se p asse ch ez m oi ! »
Son a ccen t n ’a va it r ien d ’a bsolu m en t aim able.
So n d ép la isir de vo ir b ien tôt la b a r on n e se d ou blait
du fa it qu e, à p r ésen t, F r a n ço is im a gin a it d e r ep r o
d u ir e les t r a it s de son cou sin ... Vo ilà com m en t ce
p etit h u r lu b er lu de Ta n cr è d e a va it r em pli sa m is
sion !... F ie z-vo u s à vos n e veu x !
Ta n cr è d e s’a ssit n et, les ja m b es cou p ées. M on tbr u l lui a d r essa un r ega r d de sym p a th ie, don t il
fa u t d ir e q u ’elle ét a it t r è s n a r q u oise.
— Vo ilà , fit le p etit b a r on , en n u yé : j ’a va is un e
au to..., a lor s j ’ai eu en cor e plus en vie d 'a vo ir un e
fem m e. M e p r om en er tou t seul, cela n e m e d isa it
rien . J ’ai d ou e écr it à m a m èr e un e let tr e t r è s bien .
J e lui a i exp liq u é com m en t je m ’éta is e n ga gé san s
le lu i d ir e.
— E lle d oit êt r e fu r ie u s e ! r em ar qu a son cou sin ,
plu tôt ga i.
— N a t u r e lle m e n t ! E lle ch oisit m es cost u m es;
�L E
M A RI
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LA
R E I N E
a p p r en d r e qu e j'a i ch oisi sa belle-fille tou t seu l lui
est d em eu r é en t r a ve r s du gosier . En fin , ça y est !
L e plus d u r est fa it ! M a in ten a n t, je la isse le r este
a u gr a n d cœ u r et à la fin esse de m on on cle, et je
p r en d s le la r ge . Le s F r a yo l- La gu è ze m ’h osp itali se
r on t bien p en d an t un jo u r ou d eu x.
— M a is voyon s, Ta n cr è d e , c’est fou ! com m en ça
M on tb r u l. T u aim es t a fian cée, et tu fu is d eva n t ta
m è r e ? T u n ’a s pas le cou r a ge de...
— J ’en a i, m ais m am an en a en cor e plus qu e m oi;
je la con n ais. M on a bsen ce sim p lifier a les ch oses.
Ave c m on on cle, tou t se p a sser a t r è s bien ,
— M a is je n e ve u x p a s!... ten ta de p la cer le
com te, e ffr a yé à l’id ée de se m esu r er a ve c cette
m èr e en fu r ie .
— M oi, je file! r ép éta Ta n cr è d e , qu i a va it de la
su it e d an s les idées.
T o u s les a r gu m en t s vin r en t se b r iser con t r e sa
r ésolu t ion . A tou t ce que son on cle et son cou sin lui
d ir en t, il r ép on d it :
— C ’est t r ès ju s t e , je p a r t a ge en tièr em en t vo t r e
a vis ; m ais je p r é fè r e m ’en a ller .
L e com te, a u d ésesp oir , r elu t en cor e son t élé
gr a m m e, esp ér an t, à fo r ce d e r ech er ch es, lui t r o u
ve r un sen s d iffér en t . H é la s ! la ter m in a ison ét ait
cla ir e : M "”' de P u ym é r a n se r a it à P o n t a lr ic le soir
m êm e.
M. d e Ger la n d e eut a lor s u n e in sp ir a t ion de gén ie.
T1 se tou r n a ve r s son gen d r e et p r op osa :
— A vo t r e a vis , F r a n çois , n e se r a it -il p as m ieu x
gu é je m ’en a ille, m oi a u ssi, en vou s la issa n t le soin
d e r e ce vo ir vo t r e t a n t e ?
M. de M on tb r u l p a r vin t à n e p as r ir e ; p ou r ta n t
il en a va it bien en vit .
— Si vou s le p r é fé r e z, c’est fa cile (lu i n ’ét a it pas
e ffr a yé à l ’idée de se m esu r er a ve c la b a r on n e) ; .
m a is je la .co n n a is tr ès peu. In d iqu ez-m oi son poin i
sen sib le. Q u e lle cor d e d e vr a i-je fa ir e vib r er , p ou r
l ’a m en er à d on n er un con sen tem en t suffisam m en t
gr a cie u x ?
—- G r a cie u x oit n on , fit Ta n cr èd e. con va in cu ,
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a t t r a p e au vo l cc qu ’elle te d on n er a , m on v i e u x ! . . .
J e le p r en d r a i en d isa n t m er ci !
M. d e Ger la n d e a vou a son ign or a n ce. P e u t - ê t r e
q u elqu es lou a n ges ser a ien t -elles d ’un h e u r e u x e ffe t .
— T u p o u r r a is p r op oser à m a m èr e de fa ir e son
p o r t r a it ? s u ggé r a Ta n cr è d e . E lle ser a it fla tt ée et
lâ ch e r a it son sa p h ir a ve c son con sen tem en t.
M . de Ger la n d e eut u n h a u t-le-cor p s.
— T u n ’y son ges p a s! d it-il p r om p tem en t. T a
m èr e a t r è s gr a n d a ir ..., ou i, tr ès gr a n d a ir — il
ét a it con ten t d e sa p h r ase, — m ais elle n ’est plus
jeu n e. F r a n ço is peu t t r o u ve r un a u t r e m od èle fém i
n in — il r e ga r d a p a r la fe n ê t r e — p lu s jo li...
Ap r è s l’abbé et m oi, i! fin ir a it p a r n e p lu s sa vo ir
fa ir e qu e d es a n cêt r es !
M. de M on tb r u l sou r it sa n s m ot d ir e. Le com te
ju ge a ceci un peu cou r t, m ais il lui p a r u t p r éfér a b le
de n e p oin t le m on tr er : son gen d r e vo u la it bien
a ccep t er la co r vé e de r e ce vo ir M a d elein e, tan d is
qu e lu i-m êm e :r a it en ten d r e un e tr ès in t ér essa n t e
co n fé r e n ce de M gr Ba n n e lie r su r les fou illes
d ’Ale xa n d r ie .
... M. de Ger la n d e m it d an s son m ou vem en t de
'r etr aite u n e gr a n d e d ign it é, m ais Ta n cr è d e n e ch er
ch a p oin t à d issim u ler qu ’il fu ya it . Il le d it cr û m en t
à M igu elin e, lor sq u e celle-ci le cr oisa d an s l’esca lior , su ivi p a r le va le t de ch a m b r e p or t a n t u n e
m allette.
— T u p a r s ? in t e r r o ge a sa cou sin e, su r p r ise.
Le vo ya n t si d é fa it , elle cr o ya it
u n e r u p tu r e
a ve c Riq u ette.
— Ou i. M a m a n a r r ive . E lle vien t r écla m er m a
tête. J ’ai ch oisi F r a n ço is com m e a vo ca t . Vo u s m e
t é lé gr a p h ie r e z d es n ou velles ch ez les F r a yo l- La gu èze... M es h om m a ges, M igu elin e. A bien tôt, si je
p eu x.
A la d er n ièr e m in u te, il s’a r r ê t a p ou r cr ie r :
— Recom m an d e à ton m ar i de n e p as o u b lier le
sa p h ir !...
M 1"" de M on tb r u l r et in t seu lem en t les d eu x p r e
m ier s m ots : « M am an a r r ive. >: E lle a cco u r u t ch ez
�\.,E
MAKI
DE
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K E JN E
F r a n çois . Ce lu i-ci, extr êm em en t am u sé, su r veilla it ,
de la fen êt r e , la fu it e du fian cé de Riqu ette.
I l se r et ou r n a ve r s la je u n e fem m e et d it
ga im en t :
— Ce t a n im a l de gosse s’est fo u r r é d an s un gu ê
p ier ! S a m èr e a r r ive com m e l’a n ge ven geu r ...
— Cüest d on c v r a i? s ’écr ia M igu elin e, l’a ccen t
p r esq u e t r a giq u e . O h ! F r a n k ie , ça m ’en n u ie t r o p ;
je ve u x jn ’en a lle r !
I l se m it à r ir e :
;— M a ch èr e en fa n t , je vou s en su pp lie, jo ign e zvou s à m oi p ou r sa u ve r l’h on n eu r d e la fa m ille ! Si
vou s p a r t ez, cela fe r a t r ois. Vo t r e p èr e et Ta t icr èd e
on t p r é fé r é m e con fier le soin de r e ce vo ir le p r e
m ier ch oc et de r é gle r les q u estion s p en d an tes. J e
d ois ob t en ir le con sen tem en t de vo t r e t a n te a u m a
r ia ge de son fils, plu s m e fa ir e r em ett r e un sa p h ir
d estin é à M 11' Riq u ette.
M igu e lin e se r ep r ésen t a son m ar i a u x p r isés a ve c
ia ver b e u se b a r on n e :
— T a n t e M a d elein e lâ ch a n t un b ijo u !... Si vou s
r éu ssissez, j ’en ser a i su r p r ise !
—• Vr a im e n t ? Sa ve z-vo u s qu e j ’ai d ’a u t a n t plu s
en vie d ’a r r a ch e r à la fo is u n e b a gu e et sa b én éd ic
t ion 3 cette t e r r ib le m èr e? J e ser a is le p lu s fo r t , il
m e sem ble, si je vou la is bien .
— Vo u s êt es t o u jo u r s le p lu s fo r t , dit M igu elin e
in volon t a ir em en t . J e n e sais com m en t vou s fa ites...
E lle s ’a r r ê t a , con fu se, et se m or d it les lèvr es.
— C'e s t un r ep r och e ? d em an d a le je u n e hom m e,
très d ou cem en t.
Au lieu de r ép on d r e, elle ch u ch ota , p r essée con tr e
lui :
— F r a n k ie . a llon s-n ou s-en !
ïl r ép liq u a , san s ch er ch er à d issim u ler un r egr et :
— Vo u s vo ye z b ien qu e ce n ’est p as possible.
M m* d e P u y m é r a n n ’a v a i t p a s c o u t u m e d e m o n
t r e r u n v i s a g e g r a c ie u x a u x p a s s a n t s ; la c o n fo r m a
t i o n d e s e s t r a it s s ’y o p p o s a it : m a is , ce s o ir , en
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p én étr a n t d an s la m aison de son b e a u -fr è r e , son
exp r ession ét a it si m en a ça n te que le co n cier ge lu im êm e, an cien sou s-officier de l’a r m ée du Rh in , en
fu t ép ou va n té.
M igu elin e a va it a ban d on n é à son m a r i le soin
d ’a ccu e illir la b a r on n e; elle com m en ça it à se de
m an d er s’il n ’a lla it pas la fa ir e p r ie r de d escen d r e,
lor sq u e le je u n e h om m e en tr a vivem en t . Il a va it
l ’a ir s a t is fa it et t r è s am usé.
— Q u e vou s a -t -elle d it ? in t e r r o ge a M igu elin e,
cu r ieu se. Ave z- vo u s pu lu i p a r le r ? A-t -e lle été t r è s
d ésa gr éa b le ?
T1 r it :
— P a s du tou t. E lle .est p r esq u e a m ou r eu se de
m oi. M a is n e cr a ign e z r ien , je n e vou s em p oison n e
r ai p as p ou r a vo ir le d r oit de su ccéd er à M. de
P u ym ér a n ! Le p a u vr e d ia b le!... I l a dû s’a m u ser !
— 11 vo ya ge a it b ea u cou p , d it M igu elin e. M a is
exp liq u ez-m oi com m en t vou s l’a ve z a ve r t ie que
Ta n cr è d e ét a it p a r ti ?
— D ’un e fa ço n t r è s sim ple. J e lui ai d it : « T a n er èd e est ch ez le gén ér a l F r a yo l- La gu è ze . » Cela ne
so u ffr a it p as de difficu lté. Ap r è s u n e h eu r e de con
t r o ve r se, je l’ai am en ée à con sid ér er com m e p ossib le
d ’a ccep t er M "" Rjq u ct te p ou r belle-fille.
M igu elin e r ega r d a son m ar i a ve c a d m ir a t ion :
— Com m en t a ve z-vou s pu lu i fa ir e a va le r cette
co u le u vr e ? J e n ’a u r a is p as vou lu m ’en ch a r ge r !...
E lle .doit êt r e fu r ie u s e ?
— Co n t r e son fils? évid em m en t ; m ais elle m e
t r ou ve ch a r m a n t et se p r ép a r e à vou s d ir e qu e vou s
a ve z bien de la ch a n ce... J e d ois a jo u t e r qu e je lui
a i a d r essé le p r em ier u n e fo u le de com p lim en ts, et
ceci lui a b ea u cou p plu. E lle a bien vo u lu m e p a r le r
de ses m a lh eu r s co n ju ga u x et t r a cer , en tr e vo t r e
on cle et m oi, un p a r a llè le tou t à m on a va n t a ge. J ’ai
m is à p r ofit ces bon n es d isp osit ion s p ou r fa ir e a m
n istier Ta n cr è d e et p a r ler du sa p h ir .
— Vo u s a ve z au ssi obten u le sa p h ir ? s’écr ia M i
gu elin e. C'e s t sé r ie u x?
11 so u r it ; ses ye u x ga is sc fixèr en t su r sa fem m e :
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— Vo u s m ’a ve z d it vou s-m êm e qu e je su is tou
jo u r s le plus for t. J e n ’a lla is p as vou s in fliger un
dém en ti... Vo ici m a m ission ter m in ée, m ais cela ne
sign ifie pas la fin de n os ép r eu ves. Vo t r e tan te va
s’in cr u st er ici ju s q u ’au m om en t de r et ou r n er ch ez
elle p ou r essa ye r ses r ob es de ga la . P r ép a r ez-vou s
à la vo ir a ssist er au bal t r a vest i que vo t r e père
veu t , h élas ! d on n er en n ot r e hon n eu r .
M igu elin e com m en ça, em ba r r a ssée, p r esq u e ti
m ide :
— Ce la vou s en n u ie? P ou r ta n t n ou s som m es obli
gés de r en d r e les in vita tion s...
— J e sais, d it -il légèr em en t : ce son t les t r a va u x
de p la isir fo r cé à p er p étu ité. U n jo u r , je m ’éva d e
r a i : p r en ez-y ga r d e ! J e ga gn e r a i le m aquis.
— J ’ir a i a ve c vou s !
Il eut un p etit r ir e con d escen d an t :
— Com m en t fer ez-vou s , m a ch èr e, pou r vou s
co iffer san s fem m e de ch a m b r e? J e n e p ou r r a is
vou s o ffr ir de la r em p la cer . Vo u s m ’a ccu ser iez d e
vou s a r r a ch e r les ch eveu x.
— J e les fe r a i cou p er !
_ Ah ! ça, p a r exem p le, d it -il, cessa n t d e p la isa n
ter , je vou s le d é fe n d s !
Ce ter m e, qu ’il n ’em p loya it ja m a is, p r ovoq u a un
r é flexe in atten d u . M igu elin e lui m it au ssitôt un br as
a u t ou r du cou et m u rm u ra , tr ès d ou ce :
— T u es gen t il de t en ir à m es ch e ve u x !
M m" de P u ym ér a n t r ou va it, cep en d an t, qu e sa
n ièce 11e m etta it gu è r e d ’em p r essem en t à ve n ir la
salu er .
VI
P er son n e n e sut exa ct em en t de qu elle fa ço n T a n cr èd e fu t a ccu eilli p a r sa m èr e. On 11e ch er ch a p oin t
à le sa voir . Lu i-m êm e se born a, en r em er cia n t
F r a n çois , à d ir e, a ssez gên é :
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— J e n e m 'a t ten d a is p a s à de l'en th ou sia sm e,
le sa p h ir , c’est l’essen tiel.
M""' de P u ym é r a n r em p lit tou s ses d evo ir s m a t e r
n els : elle é cr ivit a u gé n é r a l F r a yo l- La gu è ze p ou r
lu i d em a n d er la m ain de sa fille. Ap r è s cela , elle dit
d ’un a ir t r a giq u e :
— J e su is cr u cifiée !
M . de Ger la n d e a u r a it bien vo u lu l’en ga ge r à se
fa ir e m a r t yr ise r a illeu r s. Il eu t en cor e u n e fois
r eco u r s à son gen d r e et l’a d ju r a de t r o u ve r un b ia is
p ou r le d éb a r r a sser de M a d elein e, ca r cette cr u ci
fixion m or a le ne l’em p êch a it p oin t de p a r ler , et lui
ét a it cer t a in d 'v su ccom ber .
M. de M on tb r u l ne vit q u 'u n m oyen p ou r r éd u ir e
la b a r on n e au silen ce : fa ir e sou p or t r a it . De cette
fa ço n , il a u r a it le d r oit de lu i in t er d ir e d ’o u vr ir la
bou ch e.
L e com te fu t a u x cen t co u p s! Q u ’a lla it d ir e M igu e lin e ? Il a llégu a , d ’un a ir de bon h om ie, le m an que
d e fr a îch e u r du m od èle. N e s e r a it -il pas plus h eu
r e u x d e r ep r od u ir e les t r a it s in gén u s de M " 0 Riq u ette?
F r a n ço is vit la r use et r ép on d it a ve c d ou ceu r :
— C ’est u n e cr u ch e. J e n ’a p p r écie pas les n a tu r es
m or tes.
M . d e Ge r la n d e ou b lia qu ’il n ’a u r a it en cor e pas
le p o r t r a it de s a fille. I l r it à se p â m er et r e gr e t t a
de n e p o u vo ir r ép ét er le m ot com m e ven a n t de
lui.
M n" de P u ym é r a n , ch a r m ée p a r la p olitesse de
>on n eveu , bloq u a M igu elin e d an s les coin s p ou r lui
fa ir e l’éloge de F r a n ço is . E lle d éb u ta it t o u jo u r s
a in si : « T u a s u n m ar i, m a ch è r e !...» Su iva it un
h och em en t d e t êt e don t la sign ifica t ion ét a it : « Tu
n e m ér it a is cer t es p as a u t a n t de b on h eu r ! »
M igu e lin e é p r o u va it u n e gr a n d e fier té à vo ir
F r a n ço is su p é r ieu r a u x a u t r es, m ais la r it ou r n elle
d e la 'b a r o n n e l’excéd a it . E lle coup a u n jo u r , b r u s
qu em en t, a ga cé e :
— O u i, ma ta n te, j'a i un m ar i. P er son n e ne
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l’ign or e, et je le sa is m ieu x qu e p er son n e, n a t u r el
lem en t.
M m" de P u ym ér a n , in ter loq u ée p a r l’ap ostr op h e,
m it un m om en t p ou r se r essa isir . Ap r è s elle a r t i
cu la, tr ès a igr e :
— Un m ar i, m on en fa n t , p eu t se p er d r e p a r im p r é
voya n ce. T u es or gu eilleu se de ton bon h eu r , com m e
tu l’es d e t a b ea u té. T u es jo lie , c’est vr a i (m on
Dieu ! com m e elle en ét a it fâ ch ée !), m ais c’est là un
don fr a gile , et le bon h eu r tou t au ta n t. Si F r a n ço is
t’aim e p ou r ta figu r e, d is-toi bien qu e ce n ’est pas
gr a n d ’eh ose !
— S ’il ine dit, lu i, qu e c’est beau cou p , je le cr o i
r ai de p r éfér en ce à vou s, m a tan te ! r ép liq u a M igu elin e.
— R et en ir un h om m e est difficile, con tin u a M "1* de
P u ym ér a n , sa isissa n t l’occa sion de p r êch er . Si l’on
m e d em an d ait un con seil..., eh b ien !... je n ’en d on
n er a is p as !
— Vo u s en d on n ez seu lem en t qu an d on s’a b stien t
de vou s en p r ie r ? ter m in a M igu elin e, im it a n t in
con sciem m en t l’a ccen t de F r a n çois.
— Si on en n u ie un m ar i, il s’en va , m a ch èr e, fit
M m0 d e P u ym ér a n , ve xé e .
— Mon on cle a va it visit é u n cer t a in n om br e de
p a ys ét r a n ger s, en effet, r ip osta la je u n e fem m e du
t a c au tac. F r a n ço is est la s de vo ya ge s ; m ais, s’il
vou la it r ecom m en cer à p a r cou r ir l’E u r op e, ce se r a it
a ve c m oi.
— Bien s û r ! in t e r je t a la ba r on n e, sa r ca st iq u e. De
tou t je u n e s ép o u x n e se qu itten t poin t. P ou r t a n t
vou s n 'êt es p as sou ven t en sem ble.
M igu e lin e r ed r essa la tête a ve c h a u t eu r :
— M on m ar i est bien lib r e d 'a vo ir d es goû t s d if
fér en t s des m ien s.
— N e p ou r r a is-t u m od eler les tien s su r les
sien s?... Ce ser a it, cr ois-le, in fin im en t p lu s sa ge. I l
est im p ru d en t d ’h a b itu er F r a n ço is à se p a sser de
toi. N e t ’im agin e pas qu e ta bea u té le r et ien d r a
lon gtem p s, si tu n e fa is rien qu ’êt r e jo lie p ou r lu i
p lair e. U n e fem m e la id e p ou r r a r éu ssir là où tu
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au r a s éch ou é... M éfie-toi des fem m es laid es, m ou
e n fa n t ; je p a r le ici p a r exp ér ien ce.
Ce t t e a sser t ion p o u va it p a r a ît r e su r p r en a n te. Si
les fem m es d ép ou r vu es d’a t t r a it s p h ysiq u es in sp ir en t
la con sta n ce, M . de P u ym é r a n a u r a it dû se m on tr er
le m eilleu r des m ar is. — La b a r on n e ter m in a très
vite :
— M a is ch a cu n a git à sa gu is e ! J e n ’in sist e pas.
E lle fit, su r ces m ots, u n e sor tie m a jestu eu se, la is
san t sa n ièce ou tr ée.
T o u t d ’a bor d . M igu e lin e se r ép éta, st u p éfa it e :
« M a is qu ’elle est m éch a n te ! » E t , se vo ya n t dan s
la gla ce , écla ta n t e de fr a îch e u r et de jeu n esse,
sou r it : Ve n ir lu i in sin u er ce la i... F r a n ço is p ou van t
se d ét a ch er d ’elle !... On ne vo ya it d on c p as à quel
poin t il ét a it ép r is?...
L a lu eu r or gu eilleu se s’é t eign it sou d ain d an s les
p r u n elles cla ir es de la je u n e fem m e.
O u i, F r a n ço is sa va it êt r e m agn ifiq u em en t a m ou
r eu x, t en d r e et d élica t a u d elà de tou te exp r ess ion ;
m ais com m e il s a va it a u ssi lvji fa ir e sen t ir p a r sa
fr o id eu r , lor sq u 'elle l’a va it pein é, qu ’il n e fa lla it
p oin t jo u e r a ve c un cœ u r d ’h om m e!
Alo r s , c’ét a it vr a i? Ce m e r ve ille u x a m ou r p ou r
r a it fin ir ? Ce bon h eu r êt r e éb r a n lé?...
M igu elin e se p r écip it a ch ez son m a r i, a ve c l’in
ten tion de se je t e r d an s ses b r a s en lu i d isan t que
la b a r on n e é t a it h a ïssa b le.
L a p ièce ét a it vid e. Le va le t de ch a m br e en tr a
p r esq u e a u ssitôt, a p p or ta n t le co u r r ier . A u x qu es
t ion s de la vicom tesse, il r ép on d it qu e M. le vicom te
ét a it sor ti à ch eva l. Il n ’a va it p as d it qu an d il r en
t r er a it.
J u sq u ’à ce jo u r , M igu elin e n ’a u r a it p as eu l’id ée
d ’a t t a ch e r u n e im p or t a n ce q u elcon qu e à ce fa it in
sign ifia n t ; m ais les p a r oles de sa t a n te lu i r e ve
n a ien t à l’esp r it, obséd an tes, t en a ces : « Il est im
p r u d en t d ’h a b itu er ton m ar i à se p a sser de toi... »
P o u r a ffir m er son in d ép en d a n ce, elle a va it dû
en ta sser m a la d r esses su r m ala d r esses, p u isqu e la
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bar on n e, tou t de su ite, a va it eu la p r escien ce d 'un
d ésa ccor d p ossib le en tr e eu x ?
M igu elin e se r ap p ela un m ot de F r a n çois, a va n t
ia su r p r ise-p a r t ie à C la i r li e u : « Le s r esp on sa b ilités
vou s a p p a r tien d r on t. » Com m e il é t a it sér ieu x, d i
sa n t cela !... E lle s’ét a it en têtée à n e p as vo u lo ir lui
fa ir e a ffectu eu sem en t le sa cr ifice de cette fa n t a isie,
en so n gea n t : « Si je cèd e u n e fois, il se cr oir a le
m a ît r e absolu . » T r è s peu d ’h eu r es a p r ès, elle vo ya it
le r ésu lt a t de son absu r d e br a va d e.
D ep u is cet in cid en t, les m an ièr es de F r a n ç o is
a va ien t ch a n gé. E n a p p a r en ce, c’ét a it t ou jou r s la
lu n e de m iel, m ais en r éalité...
... Ta n cr è d e , su r gissa n t à la m êm e secon d e, vit sa
cou sin e en fon cée dan s les cou ssin s du d iva n qu ’elle
a r r o sa it d e ses lar m es.
Vo ir p leu r er la fièr e M igu elin e stu péfia Ta n cr èd e
au p oin t qu e, san s r éfléch ir , il lu i d em an da ce
q u ’elle a va it . S ’il eû t p r is le tem ps de la r éflexion ,
il eu t ga gn é la p orte.
M igu elin e, m on tr a n t bien p a r là u n d ésa r r oi com
plet, n ’in vit a p oin t le jeu n e hom m e à qu itter la
p la ce. E lle b a lb u tia , en cor e h a leta n te :
— J e su is t r è s m alh eu r eu se...
— T o i? fit le bon ga r çon , abasou r d i. C ’est un e
b la gu e ?
— M a t a n te m ’a d it..., com m en ça la vicom tesse de
M on t b r u l, essa ya n t d ’ét a n ch er ses p leu r s a u m oyen
d ’un ca r r é d e lin on de la t a ille de sa m ain .
f — Allo n s , bon ! gém it Ta n cr è d e . Q u ’est-ce qu ’elle
t a r a eon té?... J e t ’en p r ie, n e te for m a lise pas, ju s q u ’à_ m on m a r ia ge ! J e te le d em an de com m e un
se r vice d ’am i.
■E lle m a don n é à com p r en d r e, p ou r su ivit M i
gu elin e, qu e F r a n ço is n ’est p as h eu r eu x a ve c moi...,
q u i! se la s ser a de m oi!... J e d evr a is p r en d r e tous
ses goû t s, et n on lu i im p oser les m iens... Dis-m oi
qu e ce n ’est pas vr a i !... J ’a i ta n t de p ein e !
— , ^ a m e ! fit Ta n cr èd e, em ba r r a ssé, ce serait
p eu t-êtr e gen t il de ch er ch er à lu i fa ir e plaisir ...
P o u r con seiller , je ne suis pas t r è s fo r t , m ais tu rrie '
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d em an d es m on a vis , je te le don n e. T u d o is s a v o ir
m ieu x qu e p er son n e si F r a n ço is est h e u r e u x a v e c
toi... N e p leu r e pas, M igu elin c, je t 'e n p r ie ! Ç a
m ’est -h or r ib le d ’êt r e en fa ce d ’u n e fe m m e en
la r m es!... M a m a n t’a d it ça com m e a u t r e ch o se;
elle a d or e p r op h étiser . P u isq u e ton m a r i d éteste le
m on de, n e lu i d em an d e p lu s san s cesse de t ’y m en er,
c’est t r è s sim p le. Il vo u la it a vo ir un vé r it a b le in té
r ie u r : n e lui o ffr e p as un e sa lle de bal. I l n ’a p a s
ch er ch é en toi M iss U n iver s , m a is u n e vé r it a b le
fem m e : ser s-le à son goû t. Ça n e d oit p as êt r e bien
d ifficile !
« J e su is t r è s con ten t de p o u vo ir te le d ir e. J e
l’a u r a is fa it d ep u is lon gtem p s si j ’a va is osé. F r a n
çois n ’est p as com m e m on o n cle ; en tr e un p èr e et
un m ar i, il y a u n e d iffér en ce. Il est p a tien t, m ais,
tu sa is, u n e fois qu e tu l’a u r a s d éçu à fon d , ce ser a
fin i. Ça se m èn e a ve c p r éca u tion , les hom m e? ! »
A p ein e eu t-il a r t icu lé ces d er n ier s m ots, a b a
sou r d i p a r son a u d a ce, il p en sa :
« M a is... com m en t a i- je eu l’aplom b de lu i lâ ch e r
t ou t ça ?... M a fo i! ta n t p is! Il fa lla it qu ’elle l’en
ten d e ! »
M igu elin e, à l’o r d in a ir e si m ép r isa n te p ou r son
cou sin , r ecu eilla it ses p a r oles com m e a u t a n t d ’o r a
cles. Ta n cr è d e , san s le sa voir , lu i fa is a it tou ch er du
d oigt la m a la d r esse de sa con d u it e a ve c F r a n çois .
Ii ne s’in clin a it p oin t, lu i, d eva n t les ca p r ices de
l’e n fa n t gâ t ée, a in si qu e le fa is a it le com te. L ’a m ou r
p a ter n e! est fa it d e d évou em en t : il n ’a tten d rien ;
m ais le m ar i, se vo ya n t a im é d ’o r gu e il — si l’on
p eu t d ir e — et n on d ’a m ou r , a va it su fa ir e com
p r en d r e sa volon té de p r ou ver sa ten d r esse d an s la
m esu r e où la jeu n e fem m e s’en m on t r er a it d ign e.
Ta n cr è d e , vo ya n t la d ésolation de M igu elin e, n ’en
cr o ya it p as ses ye u x. Q u ’ét a ien t d on c d even u es sa
h a u t eu r , son a ssu r a n ce, sa con fia n ce en soi?...
Il se d isa it, in t r igu é :
« M on on cle a va it r a ison : ce n ’est pas elle q u i
go u ve r n e . M a is com m en t F r a n ço is a -t-il p u s’y
p r en d r e p ou r la fa ir e p lier au p r em ier cou p ? I l
�LE
AIARI
[)]■;
LA
RE iN H
n/ étaic ja m a is son a u t o r it é ; p ou r ta n t, elle est d om p
tée, M igu e lin e ! Ça n e fa it p as de d ou te ! »
L e p etit b a r on de P u ym ér a n ét a it sen sib le; il se
r et ir a tou t ch a vir é. U n in sta n t, il eu t le p r o je t de
t r a h ir la con fia n ce de sa cou sin e a u p r ofit de son
cou sin . E n su it e il se d it que M igu elin e p r é fé r e r a it
cer ta in em en t r e fa ir e les m êm es a ve u x à son m ar i.
L e s ch oses s’a r r a n ge r a ie n t beau cou p plu s vite.
M ,n‘ de P u ym ér a n , a ya n t je t é l’a la r m e d an s le
cœ u r de sa n ièce, ne p en sa it p lu s d ep u is lon gtem p s
à ses p r op h éties. E lle ét a it bien tr op occu p ée à ch er
ch er n oise à la fu t u r e fa m ille de son fils, au su jet
du con t r a t , et à su r veiller les p r é p a r a t ifs du bal
t r a vest i qu ’a lla it d on n er sou b ea u -fr èr e.
Ce t t e fê t e d even a it le ca u ch em a r de M igu elin e.
E lle a u r a it d on n é ch er afin de p ou voir la su ppr im er.
A ch a q u e in sta n t, M. de Gcr la n d c ve n a it d ér a n ger
son gen d r e p ou r lu i sou m ettr e ses in sp ir ation s.
M . de M on tb r u l lie p ou va it p lu s t r a va iller , et sa
fem m e le sen ta it à bout de p atien ce.
F r a n ço is d it un jo u r , a vec un e séch er esse in a c
cou tu m ée :
— Si ces fê t e s p er p étu elles d oiven t se p r olon ger ,
je p a r s p ou r Se r r e -d e -Cla u x ! il est im p ossible de
fa ir e qu oi qu e ce soit de sér ieu x, ici. J e n e ve u x
pa s gr o s s ir d ’un e u n ité cette fou le d ’in u tiles et de
m éd iocr es. J ’ai un but. J e ve u x d even ir u n vr a i
p e in t r e ; r ien n e m e coû ter a p ou r y p a r ve n ir !
J a m a is en cor e ii n ’a va it p a r lé a in si. M igu elin e
n ’osa r ien r ép on d r e. E lle s'en fu t t r o u ver son p èr e
et lui d it. san s h ésit er :
— I l fa u t d écom m an d er le bal. Cela e n n u i e
F r an çois.
M . de Ger la n d e leva les b r a s a u ciel.
Décom m a n d er le bal, à l'h eu r e où tou tes les in vi
tation s éta ien t p a r t ies, où les t r a ve st is ét a ien t p r ê t s !
M a is c’é t a it im p ossib le! Il p r it à tém oin son n eveu
qu i m u sa it p a r là. Ta n cr è d e je t a des cr is d ’o r fr a ie .
Su p p r im er le b a l! E t Riq u ette, don t le costu m e
d ’a c c o r d é e (le v i lla g e ser a it u n e m er veille?
H n ’a va it que le m ot Riqu ette à la bottclie. M i-
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LE
MARI
DE
LA
R E IN E
gu elin e ju ge a les sien s d es p r od iges d ’égoïsm e. E lle
n e vo u lu t ja m a is r ép on d r e a u x qu estion s de son
p èr e, don t la su r p r ise, bien exp lica b le, n ’ét a it p oin t
calm ée. P o u r u n em p ire, elle n ’eût a vou é sa fr a ye u r
a t r o ce de vo ir F r a n ço is s’éloign er d’elle.
M. de M on tb r u l a p p r it le d er n ier qu e sa fem m e
n e vo u la it plus r ecevoir , et cela de la b ou ch e d e
Ta n cr è d e . Celu i-ci, bien cer t a in qu e sa R iq u et t e
p o u r r a it se vê t ir en a c c o r d é e d e v i lla g e , n e vit a u
cu n in con vén ien t à r é vé le r à son cou sin com m en t
M igu elin e iesp ér a it lui êt r e a gr é a b le en « r e fo u la n t
ses in vit é s ^ , p h r a séologie tou te p er son n elle.
Le vicom te, in cr éd u le, p r ia Ta n cr è d e de n e pas
r a con ter d ’a b su r d it és sem blables. M igu elin e r en on
ça n t à d on n er un e fê t e don t elle vo u la it fa ir e u n
tr iom p h e? Allo n s d on c!... E lle ét a it fa n t a sq u e, m ais
à ce p oin t-là ... !
— C ’est exa ct , ellô' est fa n t a sq u e, con céd a T a n
cr èd e, m ais cette fois, cer ta in em en t, elle cr o ya it t e
fa ir e p la isir . Com m e tu gr in ch es qu an d il fa u t la
con d u ir e au ba l...
— J e gr in ch e, m oi? r ép éta M on tb r u l, stu péfié.
E lle te l’a d it ?
— N on , je le su p p osais. D ep u is un e p a r t ie à
C la i r li e u , où elle s’est r en d u e sa n s toi, M igu elin e te
t r ou ve tou t ch a n gé... O h ! je n e ve u x p as m e m êler
de tes a ffa ir e s, tu s a is ! d it le je u n e h om m e p r om p
tem en t. '
— P en sée tr ès s a g e l J e n e su p p or te p a s qu e l’on
se m êle de m es a ffa ir e s, m êm e toi, d on t je d evin e
l'e xce lle n t e in ten tion . M a in ten a n t , afin d e n e p as te
la isser d an s l’e r r e u r de cr oir e qu e je cèd e à t ou tes
les fa n t a isie s de M igu elin e a p r ès a vo ir d it : n on ,
com m e le fa is a it ja d is m on exce lle n t b ea u -p èr e, je
va is te con fier ceci, en te p r ian t de le ga r d e r p ou r
toi :
« J ’ai la issé m a fem m e a ller à C la i r li e u , le soir
<le cet t e su r p r ise-p a r t ie, p a r ce qu e je sa va is qu e la
ban d e La n d r a gu e t se h eu r t er a it à un e p or te close.
La veille, le lieu ten a n t d e Cla ir lie u m ’a va it r évélé
son in ten tion de fa ir e à M " ' Gilb er te un e su r p r ise.,.
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MARI
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145
en sen s in ver se. I l con n a ît les m an ièr es de cette
je u n e p er son n e et s’est d ér ob é p a r la fu it e. L e cla s
siqu e ap pel d’u r gen ce au M in ist èr e ! Le s officier s en
jou en t beau cou p , du M in ist è r e !
« M igu elin e est r even u e ext r êm em en t co n fu s e ; la
leçon 11'a p as été p er d u e. Dep u is ce tem ps, elle n’a
plus r ecom m en cé à d écid er san s m on a ssen tim en t. »
— C ’est fo r m id a b le ! d écla r a Ta n cr è d e qu i écou
t a it d ’un a ir qu asi r esp ectu eu x. J e m e d isa is :
« Com m en t a -t-il pu la fa ir e p lier au p r em ier
cou p ?... Il fa u t a vo ir un a scen d an t e xt r a o r d in a ir e
su r u n e fe m m e ... » P ou r q u oi r is-tu ?
M on tb r u l voila son vis a ge d e r r ièr e la fu m ée de
sa ciga r e t t e :
— I l fa u t su r tou t a vo ir la ch a n ce de r en con tr er
u n e fem m e in t u it ive et t r è s a m ou r eu se. N e p r en d s
p oin t ceci p ou r de la fa t u it é. Il est n écessa ir e aussi
d e se r a p p eler qu e les je u n e s filles, a u jo u r du
m a r ia ge , 11e son t p a s p r ép a r ées à vivr e q u otid ien
n em en t a ve c un h om m e qui 11’est p as t ou jou r s un
vila in m on sieu r , m ais ja m a is un sain t. Ce ga r ço n
toi ou m oi — d oit m on t r er bea u cou p d e p atien ce,
m ais tou t a u t a n t d e fer m et é. Cela ne sign ifie poin t
q u ’il fa ille r ép ét er san s cesse : « J e n e ve u x p a s l »
ou : « J e d éfen d s ! »
— Ali !... On n ’a plu s le d r oit de d ir e : « J e
ve u x » ? in t e r r o ge a Ta n cr èd e, d ésor ien té et visib le
m en t d éçu .
— Léga lem en t , s i; m ais la loi per m et d ’a ccom p lir
1111 cer t a in n om br e de sottises. 11 e xist e d ’a u t r es
m oyen s d ’é t a b lir un e... su p ér ior ité.
— Le s q u e ls ? s’écr ia Ta n cr è d e , a ve c un e a r d eu r
<!e d iscip le d eva n t le m aîtr e.
M on tb r u l se m it à r ir e. .
_ M on p et it, je n e va is p as te fa ir e un cou r s su r
l'a r t d e vivr e en bon n e in t elligen ce a ve c sa fem m e !
T â ch e d ’é vit e r les ga ffe s au début, c’est tou t ce que
ir p u is te d ir e.
.
„ ,
„
‘ Ta n cr è d e a va n ça les !evr es. O n ! eu t cr u p r êt à
p leu r er .
�LE
-M ARI
D iv L A
R 1Ü N E
— M a is je cr oya is... E cou t e, m on vieu x..., c’est
a ffo la n t ! J e n ’a va is ja m a is r éfléch i à ta n t d e ch oses.
J e p en sa is seu lem en t com b ien je ser a is h e u r e u x
ch ez m oi, a ve c R iq u et t e, lib ér é d e la t yr a n n ie de
m am an . Com m en t fa ir e , a lo r s? C'e s t d ifficile à m a
n ier, les fem m es?
D e n ou vea u , F r a n ço is sou r it :
— Il n ’y a p a s de r ègles fixes a p p lica b les à n 'im
porte q u el ca s. J e p u is seu lem en t te d ir e : si n om br e
d’h om m es qtli a u r a ie n t pu êt r e h e u r e u x n e le son t
p as, ils d oiven t s’en p r en d r e à eu x-m êm es, à leu r
p r op r e m ala d r esse.
« Si, d e p a r t i p r is, j ’em p êch a is M igu elin e d ’a ller
d an s le m on de, sou s p r é t e xt e qu e c’est p ou r m oi un e
co r vée, je ser a is d ’ab or d t r è s égoïste, et en su ite
id iot. I l n e fa u t pas h eu r t er u n e fem m e en lu i m on
t r a n t sa n s cesse qu ’elle a p er d u son in d ép en d a n ce;
m ais, s’il est n é cessa ir e, il fa u t fa ir e sen t ir le pou
vo ir et su r t ou t la vo lon t é fe r m e qu i n e va r ie p as. ><
— T u es ép a t a n t ! a d m ir a Ta n cr è d e , qu i en r egis
t r a it les p a r oles de son am i p ou r les r ép ét er à R i
q u ette.
— J e n ’en sais r ien . J e cr ois êt r e d an s le vr a i en
sou h a it a n t a vo ir u n e fem m e t ou te à m oi. P o u r cela,
il m e p a r a ît s a ge 'd e n e pas, la co n t r e ca r r e r p ou r des
ch oses peu gr a ve s . Lo r s q u ’elle a u r a com p r is qu e je
vo ya is ju s t e en p r é fé r a n t un fo ye r à ce feu d ’a r t i
fice d on t elle r a ffole, com m e elle est t r è s d r oite, j ’en
suis cer t a in , elle m e d ir a : « Vo u s a ve z r aison , x
— S i tu le lu i exp liq u a is, cela va u d r a it p eu t-êtr e
en cor e m ie u x? s u ggé r a Ta n cr èd e.
— N on . M igu e lin e est e xcessivem e n t or gu eilleu se
et fiè r e ; elle cr o ir a it au d ésir d ’a n n ih iler sa person
n a lité, p ou r lu i im p oser m es p r op r es goû t s, et se
ca b r er a it . J e ve u x qu ’elle y vien n e d ’elle-m êm e... et
elle y vien d r a . Alo r s ce sera solid e et d u r able.
— E lle le fe r a , tu cr o is ? d it Ta n cr è d e , p r esq u e
tim id e, tan t il é t a it im p r ession n é. \ v e c les fem m es,
il est tellem en t d ifficile de sa voir ...
F r a n ço is r ép on d it sim plem en t :
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MARI
DE
LA
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—
J e le sup pose. — Il s o u r it , p u is s e s y e u x
s’a ssom b r ir en t. — Si je m e t r o m p a is , je .,, o u i... j e
se r a is tr ès m alh eu r eu x.
VI I
Le jo u r du bal ét a it ven u .
M igu elin e, à laqu elle, tr ès obligeam m en t, sa tan te
a va it p r éd it qu ’elle n e p ou r r a it cer ta in em en t pas
co n s er ver bien lon gtem p s l’am ou r d e son m ar i,
s ’h a b illa it a ve c l’im p ression a t r o ce qu e, ce soir,
E r a n ço is a lla it se d éta ch er d ’elle.
E lle r ega r d a sa n s jo ie la silh ou ette b la n ch e r eflé
tée p a r la p sych é. U n e su p erb e silh ou ette qui
a m èn er a it tou t à l’h eu r e, a u x lèvr es d es vie u x
m essieu r s, la cla ssiq u e com p ar a ison de D ia n e ch a s
seresse. Ce cost u m e D ir ect oir e, tr ès sim ple, a va it
été ch oisi p ou r s ’h a r m on iser a ve c le t r a ve st i 'de
F r a n ço is , m a lgr é les p r ot esta t ion s d e M. d e Ger lan d e. Celu i-ci a u r a it vou lu vo ir sa fille et son
gen d r e s’in sp ir er des p or t r a it s d e la Ren a issa n ce.
P en sivem en t, la belle vicom tesse d e M on tb ru I
fixa it son im age, et n ul sen tim en t de va n it é ne
l’a n im ait, ch ose a ssez su r p r en a n te. E lle se r ép était
les p a r oles de sa tan te : « Sa u r a s-t u m ieu x qu ’une
a u t r e le ga r d e r ? » — C ’ét a it vr a i : elle con n a issa it
d ès m én a ges d ’abor d u n is, où l’ép ou se a d m ir ée de
t ou s a va it vu som b r er son bon h eu r , à la s t u p é fa c
tion gén ér a le .
M igu elin e a va it p eu r . E lle se r ép ét a it : « J e su is
a b su r d e ! » E t tou t de su ite a p r ès : « Si cela m ’a r r i
va it , à m oi au ssi ?... »
... M "* Riq u ette se m on tr a, un peu ga u ch e et d éli
cieu se a ve c son p etit bon n et. Ce t t e je u n e p er son n e,
a ssim ilée p a r M. de Mon tbru I à u n e cr u ch e, ven a it
vo ir si sa fu t u r e cou sin e é t a it p r ête à d escen d r e.
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MAKI
Di'.
LA
R E Í N i.
E lle-m êm e n ’osa it s’a ve n t u r e r seu le d an s les salon s
où r ôd a it l’om n ip oten te ba r on n e.
Com m e elles a lla ien t s o r t ir tou tes d eu x, F r a n ço is
en tr a . I l p or t a it l’h a b it « à l’a n gla ise » de la fin du
x v m ' siècle, le célèb r e costu m e de W e r t h e r : fr a c
b leu à p a r em en ts ja u n es. Ain s i vê t u , il p a r a issa it
en cor e plu s m in ce et p lu s jeu n e.
I l s’a p p r och a . M igu e lin e a u r a it sou h a ité Y a c c o r
d é e d e v i lla g e à m ille lieu es. M "° R iq u et t e n e b ou
ge a it n on p lu s qu ’u n Te r m e . E lle a d m ir a it la d ésin
vo lt u r e du je u n e hom m e, la fa ço n d on t il b a isa la
m ain de sa fem m e, en d isa n t a ve c ga ît é :
—
Vo u s êtes u n e Ch a r lo t t e a d m ir a b le, m a ch èr e !...
J ’ai en vie de t r a d u ir e p ou r vou s des ve r s d ’O ssia n ;
p a r con tr e, je n e vou s d em an d er a i p as les pist olets
de vo t r e m ar i, ca r j ’a i la ch a n ce d ’êt r e ju st em e n t ce
m ar i... Si vou s êtes p r ête, d escen d on s. Vo t r e p èr e
est t ou t seu l en bas.
I l n e m on t r a it p oin t de d ép la isir en t r o u va n t ici
la fia n cée de Ta n cr è d e . M igu elin e sou r it d ’un a ir
con t r a in t. S ’il a va it eu seu lem en t l’id ée d e l’em
b r a sse r en tr e deu.x p or tes !...
Au p r em ier ét a ge, on r ecu eillit en cor e Ta n cr èd e.
Ce la fa is a it u n p er son n a ge en com b r a n t d e plu s. Les
p a u vr es p et its fia n cés a va ien t si p eu r de r en con tr er
seu ls la b a r on n e q u ’ils se colla ien t à leu r s cou sin s
com m e d es bébés. On n e p o u r r a it les sem er que
d an s la fou le .
... L e s d eu x y« u id s salon s et la ga le r ie r u isse
la ien t de lu m ièr es et de fle u r s; tou te la d écor a tion
é t a it en r oses r ou ges et b la n ch e s ; les ja r d in s, illu
m in és p a r des gu ir la n d es élect r iq u es tein tées, p r e
n a ien t cet a sp ect ir r éel et ch a r m a n t d es p a ysa ges
vu s en r êve. D a n s peu d ’in sta n ts, lor sq u e tou s les
in vit és se r a ien t assem blés, on p o u r r a it se cr oir e
d an s un e fé e r ie .
L e s en tr ées se su ccéd a ien t san s in ter r u p tion . Ce
flot san s cesse a ccr u r a vissa it M. de Ger lan d e. I l
ép r o u va it u n e jou issa n ce in d icib le à vo ir d éfiler d e
va n t lu i ces fa n t ôm es du p assé r essu scit é p ou r u n
soir .
�LE
MARI
. DE
l.,A
KLÎLNF
M. de Cla ir lie u , tui su p er be h u ssar d de La ssa lle,
t in t à e xp r im er a M""' de M on tb r u l m ille r egr et s de
n ’a vo ir p as été ch ez lui lor sq u ’elle lu i a va it fa it
l ’h on n eu r d ’y ve n ir a ve c ses am ies.
M igu e lin e n ’osa poin t r e ga r d e r F r a n ço is et se
* sen t it d even ir éca r la t e.
M " r de La n d r a gu e t , ch a n gée tem p or a ir em en t en
p a ysa n n e r ou m ain e, er r a it p a r là. M. de Cla ir lie u
in vit a su r -le-ch a m p M "' de M on tb r u l à d an ser . I!
r ed o u t a it extr êm em en t u n e o ffen sive La n d r a gu e t , ce
ca va lie r lé ge r !... La robe b la n ch e et la pelisse é ca r
la t e a t t ir a ie n t tou s les r ega r d s. M. de M on tb r u l, à
l’a u tr e bou t du salon , ca u sa it a ve c un e jeu n e fem m e
en costu m e Lo u is X I I I . Lor sq u e M igu elin e, en dan
sa n t, p a ssa it d eva n t son m ar i, elle le vo ya it t ou jou r s
a b sor b é d an s sa con ver sa tion , et ceci, secr ètem en t,
l’a ga ça it u n peu .
E lle ch er ch a it à se r em ém or er le n om de cette
in con n u e : U n e a m ie am en ée p a r M "1" Le H ellec...,
une je u n e ve u ve. Ou i. c’ét ait bien ça... Com m en t
s ’a p p ela it -e lle?
Cla ir lie u , in t e r r o gé su r ce point, r epon d it a ve c
em p r essem en t :
— M ,n* d ’Am b el. Com m en t la t r ou vez-vou s? P a s
jo lie , n 'est -ce p a s ? m ais tr ès a ttir a n te.
—
l ’a s jo lie ?
r ép éta M igu elin e, étu d ian t
M "1" d ’Am b el a ve c a tten tion . D it es : p r esq u e laid e.
— ( )ui ; p ou r t a n t , vou s le voyez, elle a tous les
h om m es a u t o u r d ’elle. — Il rit. — L a m ode est à la
Irfideur !
M igu elin e r essen tit un p etit ch oc. Ces m ots lui
p a r u r en t d ’a u t a n t p lu s m a len con t r eu x q u ’à cette m i
n ute le vicom te et M mo d ’Am b el se levèr en t pou r
d an ser . Le cer cle for m é a u t ou r de la jeu n e fem m e
se d isloqu a. M igu elin e n e p ou va it s’em p êch er de
ch er ch er d es ye u x la h a u t e silh ou ette de son m ar i.
M ,n" d ’Am b el éta it de ta ille tr ès m oyen n e, sa p etite
tête fr is é e a t t e ign a it à p ein e l ’ép a u le de F r a n çois.
C ét a it d é sa gr éa b le de vo ir cet t e p etite t ête fr isée
con t r e l’ép a u le de F r a n ço is !
Le s a ccor d és de villa ge , qu i p a ssèr en t en lu i
�150
LE
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DE
LA
R E IN E
sou r ia n t , n ’ob t in r en t pas un r e ga r d de le u r cou sin e.
... To u t e cette éléga n t e a ssem b lée ne m on t r a it qu e
d es vis a ge s h eu r eu x. On s’a m u sa it beau cou p . C ’é t a it
u n e fê t e r éu ssie. M “* de M on tb r u l ét a it p eu t-êtr e
seu le à sou h a it er d ’êt r e plus vie ille de qu elqu es
h eu r es, et ce qu ’elle le d é sir a it !... A h ! n ’êt r e plus*
ob ligée de sou r ir e, de ca u ser , d ’a vo ir d e l’esp r it,
d ’en ten d r e les m êm es p h r ases, les m êm es com p li
m en ts san s cesse r ép étés ; êt r e d élivr ée de l’en n u i
m or tel de m on t r er un e figu r e joyeu se, qu a n d elle
é p r o u va it si peu de jo ie !...
Le s sa lon s, peu à peu, se vid a ien t . Le s in vit és
s’égr e n a ie n t d an s le ja r d in ; M igu elin e vin t à son
t ou r su r la t er r a sse. Le sp ect a cle ét a it r a vissa n t.
Sou s les a r b r es illu m in és, de jeu n es cou p les er r a ien t
len t em en t ; les son s d e l’o r ch est r e a r r iva ie n t un peu
a ffa ib lis p a r la d istan ce. M. de Gcr la n d e n ’a va it pas
vou lu en ten d r e p a r ler de ja z z ; d es in str u m en ts à
cor d es ch a n t a ien t d an s le loin ta in . C ’ét a it joli,
ten d r e et n osta lgiq u e. U n soir sen tim en tal.
M igu elin e d ist in gu a , d an s un en tou r a ge d e ca va
lier s en costu m es d ’a p r ès Va n D yck , la r obe gr is
a r gen t à col de d en telle et la p etite têté* la id e et
sp ir it u elle de M ” * d’Am b el. E lle eu t h or r ib lem en t
p eu r de r econ n a ît r e au ssi l’h a b it bleu de ce W e r t h e r
q u ’ét a it son m ar i. — C ’ét a it a b su r d e, elle le sa va it ,
d ’êt r e ja lo u s e a ve c au ssi p eu d e r aison , m ais c’ét a it
plus fo r t que tout.
La jeu n e fem m e su r sa u ta en en ten d an t sou d ain la
vo ix de F r a n ço is a r t icu le r tou t p r ès d ’elle :
— Vo u s n ’êtes p as tr op fa t igu é e , ch ér ie ?
Ce s d eu x sylla b es p a r u r en t à la vicom tesse un e
m u siqu e d ivin e. E lle a u r a it vou lu êt r e seu le a vec
son m a r i pen dan t t r ois m in u tes, le tem ps de lui d ir e
qu ’elle l’a d or a it et n e vo u la it p as qu ’il r e ga r d â t
M " d ’Am b el.
A cet t e secon d e p r écise, M " ' de P tt ym ér a n , a ve c
tact, qu i la ca r a ct é r isa it , ju ge a con ven a b le d ’a p p a
r a îtr e. E lle d ît t ou t n a tu r ellem en t : « J e vou s d é
r a n ge ? » ce qu i ét a it vr a im en t oiseu x, et, s’éta n t
>icn co n va in cu e qtVelle h - <k-ran geait, en effet,
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:\JA R 1
DE
LA
R EIA ÍE
d em eu r a su r p la ce p ou r jo u ir du cou p d 'œ il, en
d a ign a n t r em a r q u er :
—
C'e s t vr a im en t t r è s bien , cet t e fêt e, t r ès bien .
J e vou s fa is tou s m es com plim en ts.
E lle n e com p r it p oin t p ou rq u oi son n eveu et sa
n ièce fu r e n t a ssez p eu p olis p ou r se r et ir er , san s
m êm e lui d ir e qu 'elle ét ait tr ès bon n e.
VI I I
Le.-< len d em ain s dé fê t e son t gén ér a lem en t tristes.
L a m a ison est en d ésor d r e, les fem m es en la id ies, les
h om m es m or oses, p a r ce qu ’ils p en sen t a u x ch èq u es
q u ’il a fa llu sign er .
L e bal de l'h ôt el de Ger la n d e n ’am en a p oin t de
m od ifica tion s sen sib les d an s l’h u m eu r h a b itu elle de
ses h a b ita n ts. Le com te ét a it h a r a ssé, ca r les veilles
p r olon gées com m en ça ien t à n ’êt r e plus de son â ge ;
m a is, com m e, d ’a u t r e pa rt, M m" de P u ym ér a n lui
a va it ob ligea m m en t d it qu ’il a va it un e m in e de d é
t er r é, il s ’eft’or ça it de m on tr er qu ’on n e l'e n t e r r e r a it
pas en cor e.
Ta n cr è d e viva it su r les sou ven ir s très d ou x de
cette soir ée, il n e d em an d ait r ien à p er son n e. Son
excellen t e m èr e l ’a r r a ch a in op in ém en t à cet é t a t de
q u iétu d e en r et ou r n a n t ch ez elle, a u m om en t où son'
b ea u -fr è r e se d em an d a it si M a d elein e esp ér a it se
d é ch a r ge r su r lu i du soin d e d on n er u n e soir ée de
con t r a t , p ou r é vit e r tou s n o u ve a u x in cid en t s a ve c
les E r a yo l-La gu è ze .
11 r ed ou t a it cette éven t u a lité, ca r son gen d r e ne
ca ch a it p as son d ésir de con n a ît r e en fin un e èr e de
p a ix, fa vo r a b le à l'étu d e. M igu clin c le vo ya it m ieu x
en cor e; elle éta it extr êm em en t in qu iète. P o u r sa t is
fa ir e F r a n ço is , su ffir ait-il de r e fu s e r tou tes les in vi-
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t â t ion s p r é vu e s ? E lle d evin a it qu ’il n e t r o u va it pas
ch e z lui ce qu ’il a va it sou h aité. Alor s... fe r a it -il
u n p a r a llèle en tr e sa fem m e et d ’a u t r es fem m es
p lu s h a b iles à r en d r e leu r in t ér ieu r a gr éa b le?...
M ” “ d ’Am b el a va it d it in cid em m en t qu ’elle a im a it
son hom e.
E n r éfléch issa n t, elle p â lissa it. N e se r a it -il pas
d é jà d éçu à fon d , co m m e .le d isa it Ta n cr è d e , qui
a va it a jo u t é : « ce ser a fini » ?
Ce m ot b r e f r éson n ait en cor e a u x or eilles de la
je u n e fem m e. E lle se r ép ét a it sa n s t r ê ve les m oin
d r es p a r oles un peu s è ch e i d e son m ar i, et les t r a n s
fo r m a it en r ep r och es n ettem en t fo r m u lé s; en su ite
elle r em a r q u a it — et c’ét a it le p ir e — qu e F r a n ço is
n e sem b la it p r êt er au cu n e a tten tion à ses fa it s et
gest es. Ce t t e in sou cia n ce ne p ou va it êt r e que l’e x
p r ession d u d éta ch em en t total.
Il se d ép r en a it. M a is p ou r qu oi?... I l fa lla it bien ,
p ou r êt r e fr a n ch e a ve c soi-m êm e, r econ n a ît r e :
« Q u ’a i-je fa it , sin on tou t e xige r sa n s ja m a is
r en d r e? E t p ou r t a n t je l’aim e u n iqu em en t. »
Ce t éta t de ch oses se p r olon gea qu elqu es jou r s.
F r a n ço is n e s ’en a p er ceva it pas. Il ét a it lui-m êm e
p r éoccu p é et , con t r a ir em en t à son h abitu d e, ou b lia n t
son é ga lit é d ’h u m eu r cou tu m ièr e, se m on tr a it n er
ve u x a ve c sa fem m e.
Ce ci d u r a ju s q u ’à la visite, d ’un scu lp t eu r tr ès
con n u , in tim em en t lié a ve c M. de M on tb r u l. L ’a r
t iste, au h a sa r d d’un d ép lacem en t, se t r o u va n t tou t
p r ès de P o n t a lr ic, vin t p a sser un e fin d e sem ain e
ch ez son am i. M m0 d e M on tb r u l se m on t r a fo r t
a im a b le et gr a cieu se. Le vo ya ge u r , ch a r m é, n e ca
ch a it p oin t son a d m ir a tion .
F r a n ço is , t r è s h e u r e u x de vo ir son a m i, de p ou
vo ir p a r le r a ve c lu i des ch oses qui les in tér essa ien t
tou s d eu x, r ep r en a it son éq u ilib r e. La r éu n ion eût
é t é a gr éa b le, m ais le scu lp teu r qu estion n a M on tb r u l
su r ses t r a va u x et ses p r ojet s p ou r le p r och a in
Sa loti, s ’ét on n a n t qu ’il n ’eû t r ien exp osé cet t e an n ée.
Alo r s F r a n ço is s’assom b r it a u s s it ô t .
La fa ço n a ga cé e d on t il r ép on d it : « J e n ’ai r ien
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pu fa ir e d ep u is s ix m o i s ! » a r r ê t a n et le vis it e u r et
con ster n a M igu elin e.
E lle vit qu e l’am ou r n ’est pas tou t p ou r un
h om m e : il lu i fa u t, en plus, l’am bition sa t isfa it e.
F r a n ço is l’a im a it ; ceci n e l’em p êch ait p oin t de sou
h a it er a rd em m en t p a r ven ir à la gloir e. Il vo u la it
bien fa ir e p la isir à sa fem m e, m ais il n ’en ten d ait
pas r en on cer au t r a va il.
... Ap r è s le d ép a r t du scu lp teu r , M igu elin e évit a
de p én ét r er dan s l’a tolier de son m ar i. E lle a va it
l ’im p r ession d ’êtr e de trop. F r a n çois vou la it r est er
un peu seul a ve c lui-m êm e. Com m e il a va it eu l’a ir
d ésolé, en rép on d an t à son ca m ar a d e : « J e n ’ai pu
exp oser ce pr in tem p s » ! M igu elin e n e s’ét a it p oin t
d ou tée, a lor s, que ce fû t p ou r lui un sa cr ifice.
F r a n çois ten a it à qu elqu e chose de plus qu ’ellem êm e! E lle a va it beau cou p de p ein e à ne pas pleu
r er , m ais il fa lla it m on tr er à son m ar i qu ’elle le
ch ér issa it tr op p ou r ne pas le fa ir e p a sser a va n t
tout..., oui, tou t : a va n t elle, a va n t son or gu eil.
Le vicom te vin t la r et r ou ver . Il ét ait plus gr a ve
qu e de cou tu m e, m ais aussi m a îtr e de lui. E lle le
r ega r d a lon gu em en t, p en sivem en t, et dit la p r e
m ièr e :
— Vo u s a vez qu elqu e ch ose, I'r an çoi's. P a r lezm oi, je vou s en su p p lie! J e su is tr op in q u iète de
vou s sen tir en n u yé et de ne sa voir p ou rqu oi.
Il h ésit a un peu a va n t de r ép on d r e :
— O u i. Dep u is lon gtem p s je... E cou tez, M igu elin e, il fa u t absolu m en t que j ’a ille à Se r r e -d e -Cla u x.
L à seu lem en t je p ou r r a i t r a va iller , et je ne p eu x
plus m e p a sser de t r a va ille r ! Con t in u er cotte e xis
t en ce vi^ e est au -d essu s de m es for ces... J e sais
bien , vou s ne com p r en ez pas. Vo u s n e p ou vez vou s
exp liq u er ceci : qu e je pu isse d ésir er a u t r e ch ose à
côté de vou s. J e vou s fa is de la pein e, et ça m ’est
h or r ib le !...
I l s’a r r êt a . M igu elin e dit a ve c d ou ceu r :
—
N on . C ’est m oi qui vou s en fa is. J ’a u r a is dû
com p r en d r e plu s vite. Vo u s a ve z r a ison — elle
a p p u ya : — vou s a vez t o u jo u r s eu r aison . Il fa u t
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a lle r à Se r r e -d e -Cla u x..., il le f a u t , vo u s en ten d ez,
F r a n ço is ? C ’est m oi q u i vou s le d em an d e, qu i vou s
en p r ie ! M oi, je ve u x a lle r ch ez m on m a r i, d an s sa
m aison . — E lle se p r essa it con t r e lu i, d ’un gest e
ép er d u . — J e ve u x êt r e a ve c t o i!... r ien que t o i!.,.
So u s l’excè s de la su r p r ise, le je u n e h om m e d e
m eu r a m u et, d étou r n a n t la tête p ou r ca ch er son
ém otion .
M igu e lin e a t t en d a it u n gest e, u n e excla m a t ion de
jo ie . E lle d evin t p â le et gém it , d ésolée :
— O h ! tu n e m e cr ois p lu s ?... T u n e vo is p a s que
je ve u x d e ve n ir ta vr a ie fem m e?...
I l n e r ép on d it r ie n en cor e, m a is l’en velop p a de ses
b r a s, la se r r a su r sa p oitr in e, si fo r t qu ’elle eut
p r esq u e m al. I l d it en fin, la vo ix tou t e ch a n gée,
ba sse, fr é m iss a n t e :
— S i tu sa va is qu el b on h eu r tu vie n s de m e
d on n er !...
... I ls p a r t ir e n t le len d em ain , à la stu p eu r de
M . de Ger la n d e q u i, n e com p r en a n t r ien du tou t à
ce b r u sq u e d ép a r t , r ép ét a it , a h u r i :
— Q u e lle ét r a n ge id é e ! C ’est in sen sé! Vo u s m a n
q u er ez la soir ée d es Ba va s et le b a l d es La n d r a gu et..., et, d an s qu elqu es jo u r s , vou s se r e z ob ligés
d e r e ve n ir p ou r le m a r ia ge de Ta n cr è d e !
I l le d it , ju s q u ’a u m om en t où l’abbé M o u r r o u x
r ép liq u a sa n s a m b a ges :
— Vo t r e fille s’est d écid ée à vo ir ce qu ’il fa lla it
fa ir e ? E h b ie n ! m on ch er , ce n ’est pas t r op t ô t !
I l va san s d ir e qu e le m a r ia ge de Ta n cÆ d e fa illit
r om p r e en tièr em en t d eu x jo u r s a va n t la sign a t u r e
du con t r a t , gr â ce a u zè le qu ’a p p o r t a M"' d e F u ym éran à se r en d r e in su p p or tab le. M a is en fin, p a r un e
•fa ve u r in sign e de la P r o vid en ce, la p ièce, dûm cn i
éta b lie p a r le n ot a ir e, put ê t r e en r ich ie d es n om s et
p r én om s d u b a r on Ta n cr è d e de P tt ym ér a n et de
M 11" H e n r ie t t e E r a yo l- La gu è zc, et le jo u r des n oces
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se leva . — Ceci m on tr e bien qu ’il ne fa u t ja m a is
p er d r e Courage.
E » p r en a n t la d ir ection de la m aison n u p tiale,
M. de Ger la n d e d it à ses en fa n t s :
— Ta n cr è d e a u r a un e fièr e ch a n ce, s’il p a r vien t à
se m a r ier a u jo u r d ’hu i !
M igu elin e, don t le vis a ge r esp ir a it un bon h eu r
r a d ieu x, r ép liq u a vivem en t :
*
— Oh ! m ais, qu ’il 11’a ille p as n ou s fa ir e fa u xbon d !... N ou s a von s qu itté n otr e m on tagn e pou r
r ep r en d r e la vie des gen s civilis é s ; je m e suis m ise
en gr a n d h a r n ois ; si ce d eva it êt r e p ou r rien , je ne
lui p a r d on n er a is ja m a is !
M . de Ger la n d e se m it à r ir e :
— So is a ssu r ée qu e ton cou sin sou h aite com m e
toi fa ir e s e r vir tou tes ces sp len d eu r s à qu elqu e
ch ose!... En fin , ils son t d é jà liés p a r le m air e. M a
d elein e 11e fe r a pas un u ltim e effor t p ou r les am en er
à d ivo r ce r a va n t la m esse !
\.
... Ch e z le gé n é r a l et M"1" E r a yo l-La gu è ze , tou t
le m on de ét a it r assem blé. C ’ét a it tr ès éléga n t, tr ès
fleu r i. S ix d em oiselles d ’h on n eu r , sem bla bles à des
bou qu ets, en tou r a ien t la fian cée qui a va it l’a ir d ’un e
vé r it a b le p ou p ée costu m ée en m ar iée.
L ’en tr ée des M on tb r u l p r od u isit un p etit rem ous.
On s’em p r essa b ea u cou p a u t ou r de M igu elin e. P e r
son n e n e l’a va it vu e d ep u is le br u squ e d ép a r t pou r
Se r r e -d e -Cla u x. Le s esp r its ch a gr in s su p p osaien t
cette d écision d u c à un a ccès de ja lo u s ie du vieom tc,
et l’on se p r ép a r a it à p r en d r e d es a ir s a p itoyés. On
vit p r om p tem en t qu e la com p assion n ’ét a it poin t
u tile : ja m a is F r a n ço is et M igu elin e n ’a va ien t paru
plu s h eu r eu x.
Un des fils du gén ér a l vin t p r éve n ir son p èr e que
M de P tiym ér a n n ’a r r iva it t ou jou r s pas. et le p u blic
eu t réellem en t p eu r qu ’il n e vîn t pas du tout. On
l’a tt en d a it d ep u is u n e h eu r e.
I
a o -é n ë r a lc e s s a y a it d e s o u r ir e en com plim en tan t
M ” d r M o n t b r u l su r s o n c h a p e a u ; ce s o u r ir e é t a it
un peu ten d u, n r elle p en sa it à M ” ' de P itym er a n
�LE
M ari
. 1 ) 1'. L A
Kl-,UN E
Ce s d eu x b elles-m èr es se h a ïssa ien t , m ais le con
t r a ir e eû t été su r p r en a n t.
- M. de Ger la n d e son gea it, con ster n é :
« M a d elein e est u n flé a u ! u n e p la ie d ’E gyp t e !...
J e l’a va is d it à l’abbé M o u r r o u x! »
Il y eu t un cer t a in b r ou h a h a d an s le vest ib u le, et
ch a cu n r ep r it cou r a ge. Ce n ’é t a it p oin t en cor e le
m arié* m ais un e n fa n t d e ch œ u r, en voyé en esta
fe t t e p a r le cu r é. — M . l’abbé M ou r r o u x, am i des
fa m illes, ch a r gé d’u n ir les d eu x con join t s, fa isa it
d em a n d er s’il fa u d r a it a tt en d r e en cor e lon gtem p s.
M . de Ger la n d e d evin a l’â p r e t é de l’a ccen t d e son
am i, en en ten d an t le ga m in r écit er cet t e sim ple
p h r ase.
O n a va it d e'p lu s en plu s p eu r . Q u elq u ’un p a r la de
p a n n e p ossible. Alo r s un ga r ço n d ’h on n eu r se d é
vou a et p a r t it p ou r secou r ir Ta n cr è d e .
L a p r évisio n é t a it ju s t e : le b a r on de P u ym ér a n ,
jo u a n t de m alh eu r , a va it vu tou tes les ca t a str op h es
s’a b a t t r e su r lui. Le ch a u ffeu r se d ésesp ér a it d evan t
la m a gn éto gr illée , tan d is qu ’un tr ès vie u x et tr ès
r ich e cou sin , ap p elé, de p a r sa vie ille ss e et sa fo r
tun e, à t en ir l’em p loi de tém oin , céléb r a it d ’un ton
p oin tu le bon tem ps des d iligen ces. I l cr o ya it à un
m an qu e d ’é ga r d s vou lu de son je u n e p a r e n t ; cela
le r en d a it fo r t â p r e.
M™ d e P u ym é r a n no r est a it p oin t in a ct ive. D r
bou t, sa t r a în e r elevée su r le b r a s, elle p r op h étisait,
t elle Ca ssa n d r e, et, com m e elle é t a it ch a u ssée de
sou lier s p lu s p etits qu e scs pied s, son débit d even a it
d ’un e a cid it é su p ér ieu r e à celle du cou sin , qui n ’éta it
cep en d an t p as a im a ble. P o u r Ta n cr è d e , il ét a it su r
le p oin t d e p leu r er .
L ’a p p a r it ion du jeu n e hom m e secou r a b le p r o d u i
sit, su r tou s ces gen s a ffolés, un effet con t r a d ict oir e.
Le s un s ét a ien t p r êts à l’em b r a sse r ; les a u tr es
eu ssen t ten u à lu i exp liq u e r leu r s m alh eu r s.
O n p r it la r ou te. Br u sq u em en t, le m oteu r ca la.
Ce t t e fo is, c'é t a il la p an n e d ’essen ce. Il fa lla it que
l’un d es gen t lem e n sc d évou â t et r et ou r n â t ve r s la
voit u r e d e Ta n cr è d e .
r a vit a ille r . A m oin s de
�LF
MAKI
DE
LA
R FJN K
ga gn e r le villa ge le p lu s p r och e ; hu it kilom ètr e? à
p ied , c ’est un peu . lon g.
L e cou sin r ich e fit un cou p let su r ses ch eva u x
d é fu n t s et sa jeu n esse. Ta n cr è d e en ten d it con n u e
dan s un son ge sa m èr e lu i r a p p eler « qu ’il p ou va it
en cor e r om p r e, n ’éta n t p oin t lié d eva n t D ieu ». P a r
b on h eu r , l'u n des fr è r e s de R iq u et t e vin t vo ir ce qui
se p a ssait. I l t r ou va le p etit ba r on si d é fa it q u ’il
r egr et t a de n ’a vo ir p oin t de cor d ia l à lu i o ffr ir .
Ce fu t le d er n ier "épisod e fâ ch e u x. Le m a r ié et
son escor t e r a lliè r en t san s a u t r e in cid en t le poin t
de r en d ez-vou s. Il ét a it tem ps.
Ap r ès, ce fu t t r ès beau. L ’abbé M o u r r o u x p r o
n on ça un su perbe d iscou r s, d on t Ta n cr è d e n e com
p r it pas un m ot, tan t il ét a it a ffolé p a r la cr a in te
d ’a vo ir p er d u les a llia n ces su r la r ou te, et ceci en
les t ou ch a n t d an s la poch e de son gilet . Ce m or cea u
o r a t oir e con ten ait, en tr e qu elqu es sa ges con seils,
u n e p a r t ie de la gén éa logie des P u ym ér a n et des
F r a yo l- La gu è ze , san s ou b lier un r ap p el de tou tes
les ve r t u s des d eu x m èr es, qui, a u ssitôt, se m esu
r èr en t de l ’œ il a ve c défi. P o u r feu M. de P u ym ér a n ,
sa ve u ve a va it d éfen d u d ’en p a r ler . Alo r s on n e d it
r ien des étoiles du gén ér a l, au q u el ce silen ce fu t
n ettem en t d ésa gr éa b le.
Sa n s d ou te d an s le bu t p r u d en t d 'é vit e r les
con flits de p r éséa n ce, qu estion t er r ib le qu i r isqu e
d ’en sa n gla n ter les fa m illes, le classiqu e « gr a n d d é
je u n e r », en cor e p r a t iq u é en p r ovin ce a u x jou r s
d ’ép ou sa illes,' a va it ét é r em p la cé p a r un lu n ch
debout.
L e côt é P u ym é r a n m on t r a san s t a r d er q u ’il r é
p r ou va it cette in n ova tion p u r em en t F r a yo l-La gu è ze .
... Le d écor ét a it réu ssi, m ais on n e se r esta u r e
pas sim p lem en t p a r la vu e. Com m e t ou jou r s en
p a r eil cas, les fem m es les plus je u n e s et les plus
jolie s se t r ou vèr en t les m ieu x in sta llées, du fa it du
zè le d e leu r s flir ts. L ’éq u ip e La n d r a gu e t se fit r e
m ar qu er p a r sa m éth od e et son a ct ivité. Ces ga r çon s
d éb r ou illa r d s eu r en t p r om ptem en t r ep ér é le coin le
p lu s t r a n q u ille et vin r en t y In n ch er a vr e l-u r s
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am ies, a lo r s qu e les vie u x p a r en ts, ch a r gé s d ’es
co r t er les tan tes et cou sin es â gées, n ’osa ien t bou s
cu ler p er son n e p ou r a t t r a p e r le m oin d r e sa n d wich .
Us d ir en t a ve c a m er t u m e qu ’a u t r e fo is on n ’ét a it pas
o b ligé de fa ir e le cou p de p oin g, un jo u r d e fê t e de
fa m ille.
M. de Ger la n d e, m a lgr é son p en ch a n t à l’in d u l
gen ce, é t a it t ou t p r êt à se jo in d r e a u x p r ot est a
ta ir es. E n d ép it d e son t it r e d ’on cle fa isa n t fon ction
de p èr e, il n ’a va it pu sa isir qu’un bol de con som m é
et d eu x p etites m er in gu es. N on loin , cep en d an t, les
s ix d em oiselles d ’h on n eu r et leu r s com p a gn on s m an
gea ien t com m e d es lou p s et b u va ien t in d ivid u elle
m en t com m e q u a tr e.
M. de Ger la n d e ju ge a in u tile de p ou sser p lu s loin
l'a ccom p lissem en t de scs d evo ir s so cia u x. Il vin t
t r o u ve r sa fille et son gen d r e et leu r d it, m i-p la isan t,
m i-b ou r r u :
— Ave z- vo u s l’in ten tion de r est er là ju s q u ’à la
n u it ? M oi, j ’en a i a ssez : je m ’en va is. Bo n s o ir !..,
N e fa it e s pas tr op de b r u it qu an d vou s r en t r er ez.
C ’ét a it la for m u le ch èr e à M mo de La n d r a gu e t .
E lle p a ssa it en p r over b e d an s le m on d e p on t a lr icien .
— Vo u s n e n ou s en ten d r ez pa s, je vou s le cer
tifie, a ssu r a M igu e lin e en r ia n t, p a r ce qu e n ou s
a llon s r et ou r n er ch ez n ou s.
Le com te s ’a r r ê t a :
— C ’est sé r ieu x ?... Vo u s r e p a r t e z p ou r Se r r e -d cCla u x ?
— M igu elin e le veu t , r ép on d it le vicom te, en r e
ga r d a n t ten d r em en t sa fem m e.
— J e ve u x ce qu e vou s vo u le z ! r ectifia M igu elin e
a ve c son b ea u sou r ir e.
F r a n ço is d it ga îm en t , sou lign a n t le m ot :
— Y o la r c y n a f ...
Le s ye u x b r illa n t s de la jeu n e fem m e d evin r en t
p lu s d o u x en cor e, en se p osan t su r son m ar i. E lle
r ép liq u a :
— N on . C ’est fini : il n ’y a p lu s d e r ein e. Il y a u n
r oi !...
�LK
M AKI
DE
LA
REINE
A l’in sta n t où F r a n çois et M igu elin e p r en a ien t la
r ou te d e Se r r e -d c-Cla u x, le b a r on et la bar on n e
T a n cr è d e de P u ym ér a n , éch ap p és a u x u ltim es em
b r a ssa d es fa m ilia les, r ega r d a ien t les p otea u x télé
gr a p h iq u es d éfiler de ch a qu e côté d e leu r wa gon
Ils éta ien t p r ob a b lem en t t r ès h eu r eu x et non
m oin s in tim id és. Alo r s ils p a r a issa ien t , m on D ieu 1
tr ès ga u ch e s !
M ” P iq u e t t e fixa it sa jo lie m a llette itou te n eu ve
t im br ée d e ses n ou velles in it ia les et d e son récen t
t or t il. E n d essou s de la m allette, M. de P u ym ér a n
s ’e xh o r t a it à la fin esse et a u tact, en m êm e tem ps
q u 'à l'éloq u en ce. I l essa ya it d e se r em ém or er les
con seils a r r a ch é s à son cou sin . F r a n ço is éta it p a r
ven u à fa ir e a ccep t er à M igu elin e l'id ée qu 'elle ne
com m a n d er a it p a s et d evr a it m êm e êt r e en ch an tée
de lui obéir . P a r m alh eu r , il n 'a va it pas vou lu exp li
q u er com m en t on peut t r a n sfor m er un e fem m e alt iè r e en fem m e d ocile. Cet t e p h r ase su r n a gea it seu le
d an s l ’esp r it de Ta n cr èd e : « T â ch e d ’é vit er les
ga ffe s, a u début. » I l a va it dit^ a u ssi un e fo u le de
ch oses sen sées et r aison n ables. Ta n cr è d e , n a t u r elle
m en t, se r ap p ela it su r tou t celle qui lui p a r a issa it le
m ieu x con ven ir à ses ap titu d es. F r a n ço is con seilla it
la fer m et é?... M a is il m etta it au ssi la p a tien ce su r
un tr ès bon pied. — La p atien ce, c éta it d an s les
cor d es d e Ta n cr èd e. Sa m èr e l'a va it en tr a în é.
« Com m en t F r a n çois a -t -il pu obten ir de Aligu elin e qu ’elle veu ille tout ce que lui-m êm e d ésir e? so li
loqu a it le ba r on d e P u ym ér a n , a ssis en fa ce de la
bar on n e. — Il fa u t é vit e r la b r u ta lit é m or ale, ne pah e u r t e r sa fem m e san s r aison . — Com m e si j ’a va is
en vie d e h eu r ter R iq u et t e!... Am ou r , va !... J e
su is sû r q u ’elle n ’a u r a pas d 'a u tr e volon té qu e la
m ien n e ! »
I l s e p a s s a u n p eu d e t e m p s . Ap r ès, com m e M. d e
P u y m é r a n t e n a it M “ f de P u y m é r a n d an s ses b r a s, il
d it , c h o is is s a n t t o u t c e q u i lu i s e m b la it le p lu s r e
m a r q u a b le d an s le s a v i s d e s o n c o u s in :
— Ch é r ie , je ser a i vo t r e escla ve... J e ser ai t o u
j o u r s à vos p ie d s . Q u a n d v o u s v o u d r e z q u e lq u e
�i6o
LE
MARI
DE
LA
R E IN E
ch ose, d it es-le-m oi : je vou s le d on n er a i. Vo u s ve r
r e z qu el b on h eu r n ou s a u r o n s ! D ’a bor d , je fe r a i
tou t ce qu e vou s vo u d r e z !
C ’est ce qu i s’a p p elle exp oser son p r ogr a m m e.
M "’° R iq u et t e r ép on d it a u ssitôt p a r le sien et le fit
t r è s sim p lem en t, a ve c un d é licieu x sou r ir e.
— M a is, d it-elle en o u vr a n t tou t gr a n d s ses ye u x
ca n d id es, j ’y com p te bien . J ’a i t o u jo u r s p en sé qu e
ce se r a it com m e cela !
— Ch é r ie ! s’écr ia en cor e Ta n cr è d e , tr a n sp or t é,
ca r ces vu es p olitiq u es p a r a issa ien t s’a cco r d e r à
m er veille a ve c les sien n es p r op r es.
Il
p a ssa son b r a s a u t ou r d e la t a ille de la b a r on n e
et m u r m u r a :
— N o u s ser on s si h eu r eu x... D it es qu e vou s
m ’a im ez !
M m0 Riq u ette le lu i d it, et t r è s bien . Ta n cr è d e
in sista p ou r l’en ten d r e un e fo is en cor e. I l fu t en
ch a n té, au p oin t d ’ou b lier sa d écla r a t io n p r écé
d en t e; il a r t icu la d an s l’or eille de sa fem m e :
— Vo u s fe r e z tou t ce qu e je vo u d r a i, n ’est-cc
p a s?
M m° de P u ym ér a n r ép liq u a tr ès gen t im en t :
— Qu a n d cela m e p la ir a , oui, je vou s le p r om ets.
Ta n cr è d e lu i b a isa la m ain . C ’é t a it u n e a ccep t a
tion t a cit e du p r ogr a m m e co n ju ga l..., et la b a r on n e
lui sou r it a ve c tan t de gr â ce qu 'il vit bien p a r là à
qu el p oin t il lui p la ir a it d ’êt r e em br assée.
A p a r t ir de cet in sta n t, les p o t e a u x t élégr a p h iq u es
eu r en t b ea u fa ir e ce qu ’ils p u r en t, on n e le u r
a cco r d a plu s au cu n e a tten tion .
FIN
�\
ALBUMS DE BRODERIE
ET D’OUVRAGES DE DAMES I
-------------- ■■■■---------------
M o d è le s e n g r a n d e u r d ’e x é c u t i o n
A L B U M
N° 1.
A m e u b le m e n t, L a y e tte , B la n c h is s a g e ,
R e p a s s a g e . E x p licatio n s d e s différen ts T rav au x
d e D a m e s. 1 0 0 pages. F o rm a t 3 7 X 2 7 % .
A lp h a b e ts e t M o n o g ra m m e s
A L B U M
N °2 .
p ou r d ra p s,
1 0 8 pages.
t a ie s , s e r v ie t t e s , n a p p e s , m o u ch o ir s , e t c .
F o rm a t 4 4 X 3 0 % .
A L B U M
N »3.
B r o d e r i e a n g la i s e , p l u m é t i s , p a s s é ,
r ic h e l i e u e t a p p l i c a t i o n s u r t u l l e , d e n t e l l e
e n f i l e t , etc. 1 0 8 pages. F o rm a t 4 4 X 3 0 X .
L e s F a b le s d e L a
A L B U M
N° 4 .
a n g la is e .
A L B U M
N° S.
m o d e r n e s .)
L e
F o n ta in e
en
b r o d e r ie
3 6 pages. F o rm a t 3 7 X 2 7 S .
F ile t
b ro d é.
300
(
F i l et s
m odèles.
76
a n cie n s ,
pages.
f ile t s
F o rm ai
4 4 X 3 0 ', 2 .
L e T ro u ssea u m o d ern e.
A L B U M
N° 6 .
37X 57 ,^ .
A m e u b le m e n t e t
A LB U M
N° 8 .
19 m odèles
d e b ro d e rie .
B r o d e r ie .
d ’am e u b le m e n t, 1 7 6 m o d è l e s
1 0 0 pages. F o rm a t 3 7 X 2 7 V2.
A lb u m
A LB U M
c h a s u b le s ,
N° 9 .
litu r g iq u e .
n a p p es
42
d ’a u t e l ,
m o d èles
p a le s ,
etc.
d ’a u ie s ,
3 6 pages.
F o rm a t 3 7 X 2 8 , 1*».
a l bu m
N°
( L i n g e d e co r p s,
5 6 d o u b le s pages. F o rm a t
d e t a b le , d e m a i s o n .)
V ê t e m e n t s d e l a i n e e t d e s o ie a u c r o c h e t
e t a u t r i c o t . 1 5 0 m o d ., 1 0 0 p. F o rm a t 3 7 X 2 8 X .
lO .
a l bu m
C rochet
N° 1 1.
200
a l bu m
d ’a r t
m odèles. 8 4
C rochet
d 'a r t
pour
pages.
pour
a m e u b le m e n t.
F o rm a t
3 7 X 2 8 Mi.
a m e u b le m e n t.
N ° 1 1 b is .
1 0 0 pages d e m o d èles variés. F o rm a t 3 7 X 2 8 , ) i .
a lb u m
V ê te m e n ts d e la in e a u c ro c h e t e t a u
t r i c o t . 1 5 0 m odèles, 1 0 0 pages. F o rm ai 3 7 X 2 8 > i .
N ° 1 2 .
Ch a q u e album, en ven te partout : 8 fr-; fr an co: 8 fr 7 5 .
T O U T
EN
L A I N E (A lb u m n ° 1 d e la Collection Aurore).
3 6 p ages, 31 m odèles. F o rm a i 3 7 2 5 .
3 fr. 7 5 : franco : 4 fr. 2 5 .
Éditions du “ P etit Écho de la M o d e", 1, ru e G azan, PARIS (XIVe) .
?
(S e r v ic e d e s O u v ra g e s d e D a m e s .)
204 .
�H“zo4. * Collection STELLA
1
*
10 juin 1932
1
I^a Collection “ S T E L L A ” 1
e s t la c o lle c t io n
et
p our
le s
E lle
id é a le
des
je u n e s
fille s
et sa
q u a lité
p u b lie
J eu x
r o m a n s p o u r la
par
sa
q u a lité
fa m ille
m o r a le
litté r a ir e .
v o lu m e s
ch aq u e
m o is .
C ollection “ S T E L L A ”
L a
c o n s titu e
d on c
p u b lic a tio n
P o u r
la
r e c e v o ir
ch ez
une
v é r ita b le
p é r io d iq u e .
vou s,
san s
vou s
d éranger,
A B O N N E Z -V O U S
S IX
lîr a n c e .
..
18
F ia n c e .
..
3o
M O IS
fr a n c s.
U N
A N
fr a n c s.
( i a rom an s) :
—
E tr a n g e r ..
3o
fr a n c s.
5o
fr a n c s.
( 2 4 rom an s) :
—
E tr a n g e r ..
A d r e s s e z v o s d e m a i . t l e s , a c c o m p a g n é e s cl t i n m a 11d a t - p ô s f e
011 c T u n c h è q u e p o s t a l ( C o m p t e C l i . p ô s t a l P a r i s a 8 ' o y ) ,
à M o n s i e u r l e D i r e c t e u r d u P e t i t E c h o t ic l a M o d e ,
1 , r u e G a z a n , P a r is
t
•
x.
........
.................... ..................
I
Le g é r a n t: je a n
4
.............. . —
•
I
Lvoaho. — I m p .
d o M o n tB O u ris , P o rls-1 4 * . — R . C . S c i n o .r>387J
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Collection Stella
Relation
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Description
An account of the resource
La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
Le mari de la reine
roman inédit
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cys, Éric de (1889-1956)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1932]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
160 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 294
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_294_C92727_1111047
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
A related resource
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/10/44882/BCU_Bastaire_Stella_294_C92727_1111047.jpg
-
https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/original/10/44854/BCU_Bastaire_Stella_248_C92691_1110913.pdf
d85b924786e357f1a5d312b5348fe69e
PDF Text
Text
�Publications périodigues de la Société Anonyme du “ Petit Écho de la Mode "
\ , rue Caian, PARIS (XIV0).
L e P E T I T É C H O d e la M O D E
p a ra î t
32
to u s
les
m e rc re d i s .
4
pages, iG grand format (dont
en couleurs) par numéro
D e u x g ra n d s ro m a n s p a r a i s s a n t e n m ê m e
te m p s . A rti c l e s d e m o d e .
: : C h ro n iq u e s v a ri é e s . C o n te s e t n o u v e l l e s . M o n o l o g u e s , p o é s i e s . : :
C a u s e ri e s
et
re c e tte s
p ra ti q u e s .
C o u rri e rs
trè s
b ie n
o rg a n i s é s .
R U STICA
R e v u e u n i v e r s e lle i llu s t r é e J e la c a m p a g n e
p a ra î t to u s
32
les
p a g e s i l l u s tr é e s e n
sam e d is.
n o ir e t e n c o u le u rs .
Q u e s tio n s ru ra le s , C o u rs d e s d e n ré e s . E le v a g e , B a s s c - c o u r , C u is in e ,
A r t v é té r i n a i r e , Ja r d i n a g e , C h a s s e , P ê c h e , B r i c o l a g e , 1 . S . F . , e tc .
LA M O D E F R AN ÇAISE
p a r a î t to u s
C 'e s t
le
m
1 6
i
p ag es,
de
U n
a g a z in e
ro m a n
ro m a n ,
d e
l 'é l é g a n c e
d o n '.
en
6
les
f é m
en
m e rc re d i s .
i n i n e
s u p p l é m e n t,
d es
e l
d e
c o u l e u rs ,
n o u v e lle s ,
su r
d es
l ’in t é rie u r
p lu s
4
p ap ie r
c h ro n iq u e s ,
de
d es
m
o d e rn e .
p ag es
lu xe.
r e c e tt e s .
L I S E T T E , Journal des Petites Filles
p a r a î t to u s
1 6
p ag es
les
dont
m e rc re d i s .
4
en
c o u l e u rs .
P I E R R O T , Journal des Garçons
p a ra î t
1 6
p ag es
to u s
dont
les
je u d is.
4
en
c o u l e u rs .
G U I G N O L , Cinéma de la Jeunesse
M
a g a z i n e
i
b im
e n s u e l
p o u r
fille t t e s
e t
g a rç o n s .
M ON O U VR AG E
Jo u r n a l d ’ O u v r a g e * d e D a m e s p a r a is s a n t le 1' 1 e t le 1 5 d e c h a q u e m o is .
La Co
l l e c t io n
P R IN TE M P S
R o m a n s d ’ a v e n t u re s p o u r l a j e u n e s s e .
^
X
P a r a î t
l e
2
*
e t
l e
4 " '
d i m
a n c h e
d e
c h a q u e
L e p e tit v o lu m e d e 6 4 p a g e s s o u s c o u v e r tu r e e n c o u l e u r s : 0
<?-oo<xxx>o
m
o i s .
f r. 5 0 .
�e 9 2 C 9 dL
L IS T E D ES P R I N CI P A U X V O LU M ES
P A RU S D AN S LA CO LL ECT I O N
‘S T E H
M . A IG U EPER 5E :
M a th i l d e
M .
d es
A LA N IC :
L u cy
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134.
AUGÉ :
S alv a
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BRA D A : 91.
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B ra n c h e
B R U Y ER E
3.
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:
E. CA RO
C o m te s i e d e
:
103.
:
C o m te s i e C L O
de
P rt n c e
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70.
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152.
:
M a rth e F I E L
L e
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:
JU N K A :
:
187.
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—
S c c re t
209.
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M a ro u s s ia .
V œ u
d ’A n d r é .
190.
—
L 'A m o u r q u a n d
170. L a
M
a is o n
s u r
m êm e.
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v ie n t ...
a rie ~ A n g * .
In ép o u s ées .
s ile n c e
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l ’i n c o n n u e .
D é c is io n .
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136. P e t it e
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148.
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L a
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B e lle .
L e q u e l
177.
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Ce
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F id è le
100.
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—
D e rn ie r
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140.
C o m m e
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t e rre
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A c c u s é e I
47.
—
P a rd o n n e r.
—
s ’é c r o u l e n t .
192.
37.
Derniers RameaiiA.
L e
58.
166.
—
S u p rê m e
L e
R u s s e
C œ u r
et
n o u b lie
p as.
F ra n ça is e .
A m o u r.
: 207. C h lo é .
C œ u r
131.
—
d 'é p re u v e .
b le u e .
T h y rz a .
d e
186. P e t it e
K ÉR A N Y :
M
a rg a .
83.
T rô n e s
H A R C O ET :
JÉ G O
de
M
R ic h e
197.
M rs H U N G E R FO R D
L.
—
L u d iv in e .
B o n h e u r
a ld o n n e .
Paal
p o u r
L o y a u té .
G RA N D CHA M P :
Je a n
S o u jfrir
’
d e
d u
d e
III.
des G A C H O N S :
M
191.
•—
90. L e
l ’a m o u r
L es
Ja r d i n
175.
G 0U R D 0N
176.
des
A m o u r.
M is s io n
v a in cu .
G e o rg e s G IS S IN G
1 10.
F ie rt é .
d ’o r .
d é ch iré .
Q u a n d
213.
9.
142.
O rg u e il
:
—
:
M .- E . F R A N C I S :
—
C h â t ea u
m e rv e ille u s e .
et
A n ce lis e .
: 2 1 5 . L ’A u d a c i e u s e
V ieu x .
—
L e
p iin c a s c .
113.
L ’A l g u e
C œ u r
FL E U R IO T
A to u t.
179.
n u p t ia le .
d e
—
L a
L e
C a rm e n c it a .
P i e rre
- -
m a s c u lin e .
A m o u r ?
V o ile
: 206.
127.
FL 0 R A N
Ja c q u e s
Iliu s to n
p o rt e .
re v a n c h e
1. L ' H é r o ï q u e
:
p a u v re
à
C œ u r c h e m in e .
L e
132.
V icto r F E U
Ja c q u e t
25.
d 'O m b re .
A m o u r
G e n e v iè v e D U H A M E L E T : 2 0 8 .
173.
—
b le u .
L a
171.
C O U LO M B : 6 0 .
D U BA RRY :
63.
Ü u p re y .
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H . A . D O U R LIÀ C
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125. P o rt e
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216. P é ril
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C A S T EL L A N A -A C Q U A V IV A :
C H A M PO I. : 6 7 .
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A .- E . C A S T L E : 9 3 .
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C rn t U n n e .
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—
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161. L e
223. L e
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A n d a C A N T EG R IV E : 2 2 0 .
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160. A u t o u r d ’Y v ette.
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157. C 'e s t l 'A m o u r
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154. L a M a is o n
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188. M a rg u e rit e .
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M
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V e s c o d e K F.R ÉV E N
: 214. O ù
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L e
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B o n h e u r
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S ccre t
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( S u i t e art v e r m o . )
248-1
—
�Prin cipaux volâm es paru t dans la Collection (Suite).
M . LA
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B R U Y ÈR E :
165. L e
LES C O T : 9 5 .
A ude LU SY : 2 0 1 .
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M A G A LI : 2 0 3 .
141. L e
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168.
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147.
M A T H ER S :
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17.
M A LT R A V ER S :
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S u z an n e M ER C EY
169.
M a f a l i M IC H E L E !* :
217.
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122. L e
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d 'a rg e n t .
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178. L 'I rré s o l u e .
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C o n q u ête
138.
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T . T R IL B Y
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lu t t e .
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s a v o ir.
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M A R T IA L
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1 1. C y f a n e t t e .
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1 1 5 . L ’E m b a r d é e .
S C H U LT Z : 6 9 .
J. T H I É R Y ^ e t
Je a n
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V e a u
123.
N o rb e rt S E V E S T R E :
212. L a
m a g iq u e.
195. L 'A m o u r e n
SA N D Y : 4 9 .
de
—
l ’a m o u r.
R o u t e .
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S A IN T -R O M A IN :
P i e rre
H é rit a g e .
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C o m m e
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P ro c o p e l e R O U X :
Je a n
b la n c h e .
b ris é s .
C om m e ja d is .
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L 'A u t r e
PR A D E1X :
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V é rit é .
C o lo m b a .
R A M IE : 2 2 2 . D ’u n
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153. S a n s
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1 9 4 . Jo c e l y n e .
P ro s p e r M E R I M E E :
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B o n h e u r- d u - jo u r.
193. L e s
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2 0 2 . C o n jlils
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135.
b o n h e u r.
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Je a n M A U C L È R E
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M A f .N A Y :
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R a c h a t
a ria g e s
V A v e n t u re
G e o rg e s d e L Y S
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et J e a n R O S M E R
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C o m te sse E d ith
C o l l e c t io n
S T ELLA
Éd itio n « d u “ P e tit Éc h o d e la M o d o *
1 R u e G a z a n , ( P a r i * X I V 0. )
��L a c o m te s s e E d i t h
A N i co l i ' eie I .ci Ru el l e,
af f ect ueusem ent .
— La d élicieu se m aison ! Y en a-t-il beau
cou p de cette sor te d an s le p a ys?
Cet t e q u estion posée, J acqu es Sor clle con
tin u a :
— J ’ai en vie d ’y en t r er ! La visite-t-on ?
Vo ye z, tou tes les fen êtr es on t l ’a ir d e sou rire.
Cer ta in em en t ses h ab ita n ts son t d es gen s h eu
r eu x. J 'a d or e voir vivr e en b on h eu r ...
Le d octeu r P a u l de Com barou sse, les m ain s
au vola n t de sa tor p éd o, les ye u x fixés su r la
r ou te, r ép on d it, ir on iqu e :
— Si vou s goû t ez u n p la isir sin cère à la joie
d ’a u tr u i, vou s d evez facilem en t vou s laisser d u
p er. Est-ce u n d e vos sn ob ism es?...
— N on , c ’est sin cèr e, je vou s l ’assu re ! La is
sez-m oi m ’e xp liq u e r ...
�6
I,A
C O M T ESSE
E D IT H
— Ce ser ait tr op lon g ! cou p a le m éd ecin r a il
leu r . Vo u s a llez essayer su r m oi votr e ver ve de
litt ér a teu r en h er b e... et m e d ire le su jet de votre
p r och ain a r t icle ... Eh bien ! je vou s en r em ercie
d ’a va n ce... J ’aim e m ieu x atten d r e la p u b lica tion
d e votr e p ap ier.
J acqu es Sor elle éta it u n ch ar m an t ga r çon , un
p eu trop disposé à p oser au r om an cier, m ais
d ’e xcellen t car actèr e. La rép on se de son am i lie
l ’irr ita p oin t, au con tr air e, elle le fit sou r ir e :
— Vr a im en t , m on vie u x, vou s n ’êtes pas a i
m ab le, d it-il; j ’ai tou t q u itté, p ou r vou s su ivr e
d an s votr e ran d on n ée; j ’ai ab an d on n é P a r is, m es
am is et m es h ab itu d es p ou r vou s accom p agn er
d an s le Ve la y et le Viva r a is ... A vos côtés j ’âi
fr a n ch i les r ou tes im p ossibles où vou s a vez p ro
m en é m a d ép ou ille m ortelle. J ’ai ad m ir é le p a y
sage a vec u n en th ou siasm e in lassable, e t ...
— P eu h ! in ter r om p it Com barou sse, cela vou s
a d istr ait ! E t p u is la m od e est à la d écou ver te.
On p a r cou r t la F r a n ce en s ’exta sia n t su r ses
b eau tés n a tu r elles. L ’an n ée d er n ièr e 011 t r ou va it
tou t a ffr eu x, a u jo u r d ’h u i on ad m ir e a veu glé
m e n t !... C ’est tr ès bien p orté.
Ces m ots tom baien t des lèvr es m in ces d u d oc
teu r , p resqu e m éch am m en t. J acqu es r it d e n ou
vea u . Son am i P a u l éta it classé p arm i les o r i
gin a u x m isan th r op es, n u l 11e s’éton n a it de scs
r ep ar ties cin gla n t e s... Com b arou sse éta it t elle
m en t r e m a r q u a b le!... On lu i p a ssait tou t p ou r
a voir le p la isir d e l ’en ten d r e d iscou r ir , lor sq u e
l ’e n vie lu i p r en a it d e s ’in tér esser à u n su jet
d e con ver sa tion .
— J e 11e p erd rai p as m on tem p s à d iscu ter
a vec u n êtr e p a r a d oxa l com m e vou s, r ép on d it
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
7
Sor elle a vec b on n e h u m eu r . Ad m et t ez seu lem en t
ceci : j ’ai le sn obism e a im a b le, p u isq u e sn obism e
il y a. Vo u s m ’a vez ca h oté p en d an t d eu x se
m ain es, et d a n s d es ch em in s d on t l ’en tretien a
p ris fin sou s Lou is X I V ; je n ’ai pas gr in ch é.
J e n ’ai p oin t r egr etté le b ou leva r d u n e seu le
fois. E n com p en sation , t r ou vez d on c le m oyen
¡de m e fair e visit er cet am ou r d e castel. J ’y r en
con tr er ai cer tain em en t u n e jo lie fem m e. J ’ai le
don de r econ n a îtr e, au p r em ier a b or d , si 1111c
m aison est h ab itée p ar u n e d ou a ir ièr e m au ssad e
011 p ar u n e de ces b ea u tés en sor celeu ses et ign o
rées com m e cer t a in es p r ovin ces en p ossèd en t
en cor e, et je su is sû r d e 11e p oin t m e trom p er
q u a n t à celle-ci : la ch â tela in e est ad orable.
—
Vo u s ser iez d élicieu x, cou p a le d octeu r ,
si vou s 11’étiez assom m an t ! E n vér ité je ...
I l s ’in ter r om p it p ou r pren d re sa d r oite. Un e
voitu r e d em a n d a it la r ou te d er r ière lu i.
Un e secon d e lim ou sin e lu i su ccéd a im m éd ia
tem en t. Les d eu x au tos d ép assèr en t la tor p éd o
et p r ir en t la d ir ection d u m an oir , ob jet de l ’a d
m ir ation d e J acqu es.
C ’éta it u n r avissan t logis d an s le go û t du
x v m " siècle. Bâ t i à m i-côte su r les p en tes b oi
sées qu i d om in en t la va llée de Sain t-J ean -d eM u zols, il m on tr a it d es p or tes-fen êtr es r on d es,
ou vr a n t su r u n e lon gu e terrasse, bor d ée de la u
r ier s-r oses et d e gér a n iu m s. Un p arc a u x lu xu
ria n tes fron d aison s s ’éten d a it su r tou te la m on
ta gn e, ju s q u ’à la r ivièr e b leu et a r gen t qu i
ser p en ta it len tem en t en tr e d es sau les n ain s.
La lu m ièr e blon d e d es fin s d ’a p rès-m id i de
ju in en velop p a it la cam p a gn e d e sa bru m e dorée,
au tr a ver s de laq u elle les p eu p lier s d r essaien t
�8
LA
C O M T ESSE
E D IT H
leu r s p oin tes à ver d u r e som bre. Su r ce p a ysa ge
e xq u is, les t illeu ls géa n t s secou a ien t leu r p ou s
sière p ar fu m ée et r ép an d a ien t d an s l ’atm osp h èr e
leu r od eu r gr isa n te et m iellée.
U n e tr oisièm e a u tom ob ile p r it en cor e le ch e
m in su ivi p ar les p r écéd en tes.
P a u l de Com barou sse r em ar qu a :
— C ’est san s d ou te le p r em ier m ar d i de
M ,no d ’E s t r a n ge !
Sor elle se r etou r n a b r u sq u em en t ver s son com
p a gn on .
Ces m ots tou t sim p les lu i p a r a issa ien t con te
n ir un m on d e d e p en sées cach ées.
I l r ép éta a vec u n e em ph ase am u sée :
— C ’est le p r em ier m ar d i d e M mcd ’E s t r a n ge ? ...
m ais, si je n e su is p as in d iscr et , d ites-m oi, s ’il
vou s p la ît, qu i est cette n oble p erson n e?
L e d octeu r r ép liq u a , san s bon n e gr â ce :
— U n e n ou velle m ariée. E lle fait a u jo u r d ’h u i,
je su p p ose, ses d éb u ts de m aîtr esse de m aison .
La p etite com tesse a su ivi les tr a d ition s fam i
lia les. I l y eu t de tou t tem p s un th é-b r id ge à
Cla r cv islc, le m ard i.
— Cla r ev isle? r ép éta J acqu es, in ter r oga teu r .
C ’est le nom de cette su p er be d em eu r e?
— Ou i ! L ’a p p ella tion est ju stifiée. La vu e est
lon gu e et cla ir e. P a r les b elles jou r n ées 011 d is
t in gu e les Alp e s du Ver cor s.
— Ce d oit êtr e m er veilleu x !... s ’excla m a le
litt ér a teu r en h erbe.
D ’u n e vo ix su p p lia n te, il con tin u a :
— Vr a im en t , P a u l, si vou s êtes en r ela tion s
a vec ces ch â tela in s, obten ez-m oi la fa veu r de
p r ésen ter m es h om m ages à la jeu n e ép ou sée...
J e ser ais désesp éré d e 11e p oin t la co n n a ît r e...
�■
L A CO M T E S S E E D I T H
■
M
M
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Si j ’en ju ge p ar sa m aison , elle d oit êtr e jolie.
— E lle l ’est, affirm a le d octeu r d ’u n ton sec.
— Vo u s la con n aissez?
— J e l ’ai a p er çu e u n e fois a va n t son m ar iage.
Son m ari et m oi avon s été en sem ble au collège.
— E t vou s p assez d evan t sa p orte san s en tr er ?
C ’est in a d m issib le, m on ch er . M"lc d ’E st r a n ge
sera sû r em en t en ch a n tée d ’a voir b eau cou p de
m on d e à sa p r em ièr e r écep tion . Allo n s gr ossir
la fou le. J e n ’ai jam a is assisté à u n t h é-b r id ge
en p r ovin ce. P r ocu r ez-m oi le p la isir d e cette
n ou vea u té. E n r econ n a issa n ce, je vou s r éser
ver ai un exem p la ir e n u m ér oté d e m on p rem ier
r o m a n ... si je p a r vien s à l ’écr ir e...
I ls a tteign a ien t l ’a ven u e de Cla r ev ist e. Le
D r d e Com b arou sse h ésita u n e secon d e.
— P u isq u e vou s le vo u lez, d it -il, a llon s !
D e u x secon d es ap rès, la voitu r e, con tou r n a n t
les p elou ses, stop p ait d eva n t la faça d e. U n va let
de p ied se p r écip ita .
Dan s l ’im m en se sa lle à m an ger ten d u e de
ver d u r es des F la n d r es, u n e vin gt a in e de p er
son n es goû ta ien t.
Q u elq u es jeu n es filles, d ésir eu ses d e se r en d r e
u tiles, ver sa ien t le th é ou le p or to, en r ia n t des
r éflexion s aim ab les des q u elq u es h om m es em
pressés a u tou r d ’elles.
C ’éta it u n e r éu n ion éléga n te, raffin ée et d is
tin gu ée au p ossib le.
J acqu es Sor elle, favor a b lem en t im p r ession n é,
séd u it p ar le cad r e lu xu e u x, p en sa :
« E lle est vr a im en t tr ès ch ic, la r écep tion de
M ”° d ’E st r a n ge ! »
I l atten d ait a u x côtés de son com p a gn on , a vec
le d ésir a m u sé d ’id en tifier les p er son n a ges a va n t
k
�10
LA
C O M T ESSE
E D IT H
les p r ésen tation s. M a is com m e bea u cou p de
fem m es éta ien t n u -tête, il n e sa va it où éta it la
com tesse; n i p arm i ta n t de jeu n es gen s assem
blés lequ el éta it M. d ’E st r a n ge.
Pr esq u e a u ssitôt u n h om m e, gr a n d , m in ce,
b r u n , tr ès b eau , a vec cette éléga n ce u n
peu r aid e, p a r ticu lièr e a u x a n cien s officiers,
s ’a va n ça .
To u t de su ite J acqu es le d éfin it.
— U n h u ssard de La ssa lle d on t le tr isaïeu l
a u r a it été gen tilh om m e d e la Ch a m b r e de
Lou is X I V . Si c ’est le m aîtr e de m aison , je fé li
cit e sa fem m e... E lle a eu vr a im en t d u goû t.
Son ép ou x est racé ju s q u ’au b ou t des on gles.
L'ii sou r ir e écla ir a le visa ge d u ch â tela in .
— Com m en t, P a u l! c ’est toi? d it-il, ten d an t
u n e m ain cor d iale au m éd ecin . N ou s n e t ’avion s
l»as vu d ep u is n otre r etou r . M a fem m e et ma
gr a n d ’m ère ser on t en ch an tées.
Com barou sse r ép on d it san s b ea u cou p d ’en
th ou siasm e :
— Moi aussi ! Perm ets-m oi de te p r ésen ter
m on am i, J acqu es Sor elle. N ou s vêtion s d e tr a
ver ser en sem ble la H a u t e Ar d ôch e. Il ad m ir e
p assion n ém en t ton p ays.
— J e su is ch ar m é, M on sieu r , p r on on ça le
com te d ’E st r a u ge.
Le n ou vea u ven u a va it l’in ten tion de r ép on d r e
q u elq u es p h rases r econ n aissan tes et sp ir itu elles.
Il fu t clou é par le gr a n d a ir d u m aîtr e d e la
m aison . M a igr e son a isa n ce m on d ain e, il se sen
t it p r esqu e in tim id é.
A cen t lieu es de sou p çon n er l ’effet p r od u it
p ar son a llu r e, M. d ’E st r a n ge se d ir igea it ver s
un p etit gr ou p e au m ilieu d u q u el se d étach ait
�■
LA
C O M T ESSE
F .n iT Il
it
la silh ou et te d ’u n e fem m e vê t u e d e rose, et
a n n on ça it :
—- E d it h , n otre am i Com b arou sse n ou s fait 1a
su r p r ise de sa ven u e, et le p la isir d e n ou s am e
n er son cam arad e, M . J acqu es Sor elle.
La com tesse éta it d eb ou t. E lle se retou rn a
com p lètem en t ver s son m ari. Le r om an cier put
la r ega r d er d e face.
« La jolie fem m e », pen sa-t-il ém er veillé, en
d ét a illa n t d ’u n cou p d ’œ il r a p id e les tr a its fin s,
la p etite tête a u x ch e ve u x b ou clés et a u x ye u x
b leu s im m en ses om br és d e cils som bres et frisés.
To u t en l ’a d m ir a n t, le n ou vea u ven u son gea it :
ii E lle est tou t bon n em en t d élicieu se ! »
Selon l ’u sage des jeu n es m ar iées ép r ises, E d it h
d ’E st r a n ge sou r it à son ép o u x, r ou git un peu et
p r on on ça d ’u n e vo ix m u sicale, m ais d ’u n ton
légèr em en t d ista n t :
— Soyez les b ien ven u s, Messieu r s.
E lle ten d it la m ain a u x d eu x visit eu r s. Com
barou sse la serra en se m ord an t les lèvr es, J ac
qu es baisa les d oigts fin s a vec u n r espect ch ar m é.
P u is la com tesse leu r offr it d u th é. E lle a va it
de jo lis gestes, len ts, h ar m on ieu x à l ’extr êm e.
Le r om an cier fu t en th ou sia sm é de sa gr â ce. Il
vo u lu t le lu i d ire en ter m es ch oisis. E n co r e u n e
fois les p aroles lu i fir en t d éfa u t. Il se sen tit
b lêm ir . Sa n iaiser ie le ve xa it . 11 se ser ait b a ttu .
Cep en d a n t, com m e il s ’in ju r ia it in tér ieu r e
m en t, u n or ga n e fém in in , cassa n t, a u tor ita ir e,
a r t icu la non loin d e lu i :
— Ch r istia n , ser ez-vou s assez gén ér eu x p ou r
m e laisser P a u l? ...
Cette vo ix sèch e fit su r sa u ter tou t le m on de.
Assise à q u elq u es p as d u m aîtr e d e la m aison .
�12
LA
C O M T ESSE
E D IT H
u n e fem m e en core b elle, au profil d u r de Vén u s
d ’Ar le s vie illie , d r ap ée de cr êp e de Ch in e vio
let, fixa it son -regard som bre et tr a giq u e, p resqu e
h aga r d , su r le gr ou p e in sou cieu x de sa p r ésen ce.
Le com te r etin t m al u n gest e d ’im p atien ce.
Sa fem m e r ou git en core; m ais, tr ès vit e, d e
m an d a, u n e p r ièr e d an s la vo ix :
— Vo u lez-vo u s au ssi p r ésen ter M. J acqu es
Sor elle à n otre gr a n d ’m ère, Ch r istia n ?
« Ah ! vr a i ! son gea le r om an cier éton n é, p ou r
rien a u m on d e je ne coh ab iter ais a vec cette res
p ectab le aïeu le. E lle a dû êtr e d ia b lem en t belle
d an s sa jeu n esse... m ais scs ye u x son t ter r ib les...
J e m e r ep r ésen te ain si ce u x d es E r in n ye s ...
Com m e voisin a ge, elle d oit êtr e p é n ib le ... »
Il s ’in clin a d eva n t la vieille dam e. E lle lui
ten d it sa m ain
baiser d ’un gest e m écan iqu e,
et san s lu i ad resser u n seu l m ot, se r etou r n a
ver s le d octeu r en sou r ian t d ’u n air d even u sou
d ain tou t à fa it aim ab le.
— Dîn ez-vou s ici, ce soir ? d em an d a-t-elle.
— N on , M a d a m e, r ép on d it Com barou sse d ’un
ton n et. Cela ne m ’est p as p ossib le... J e ne com p
ta is m êm e p oin t m ’arr êter à Cla r ev ist e... Un
con cou r s d e cir con sta n ces im p r évu es m ’a con
d u it à votr e p or t e... san s ce la ... !
Cet t e fois le sou rire de la d ou air ièr e fit p lace
à l’exp r ession la p lu s d ésolée. E lle in sista, b a is
san t la vo ix :
— Vo u s savez bien , cep en d a n t ... j ’ai ab solu
m en t besoin de vou s p a r ler ... J e vou s en ai
é cr it ... je ...
— Ne com p tez p as su r m oi, cou p a l’am i du
rom an cier .
L e m asqu e tr a giq u e se tor d it. Le s d oigts ch a r
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
13
gés d e d ia m a n t s s ’a b a ttir en t su r le p oign et du
jeu n e h om m e.
— Il le fa u t, a p p u ya -t-élle. J e 11e p u is p lu s
a t t en d r e... vou s en ten d ez, F a it 1.!... Vo u s seu l
êtes en m esu r e...
— J ’ai d it n on , Mad am e, r ép éta Com barou sse,
gla cia l. J e 11’a u r a is pas dû ven ir à Cla r ev isle.
J ’ai céd é, j ’ai eu tort. Xe m e faites p oin t re
gr et ter cette visit e ...
F or tem en t in t r igu é p ar ce d ia logu e, J acqu es
Sor elle b a la n ça u n m om en t en tr e le d ésir de
com p r en d r e le sen s de cette b iza r r e con ver sa
tion et celu i d ’ob éir a u x lois les p lu s élém en
taires d e la d iscr étion . M a is il fu t sép ar é d e son
cam arad e p ar l’en tr ée de n o u vea u x visiteu r s.
Il y eu t en cor e les in évita b les a llées et ven u es
a u tou r d u sam ovar . P u is, d an s le léger b r ou h a h a
d es ch aises d ép la cées au p r ès de la ta b le, la je u
nesse sor tit su r la ter r asse p ou r b a va r d er loin des
p aren ts. Qu elq u es b r id geu r s fa n atiq u es se gr o u
p èr en t d an s le h all.
La h a u te ta ille du m aîtr e d e m aison d om in a it
scs h ôtes. Ch r ist ia n d ’E st r a n ge a llait de l ’un
à l ’a u tr e, cau sa n t a im a b lem en t san s q u itter sa
fem m e d es ye u x. La com tesse éta it, elle au ssi,
très en tou r ée. Visib lem en t fier d ’elle, de sa p a r
fa ite scien ce m on d ain e, de sa gr â ce r ayon n an te,
son m ari p a r a issa it au com b le de la félicité.
Ch a q u e fois qu e son r ega r d cr oisa it celu i
d ’E d it h , les p r u n elles b leu es d e l ’exq u ise cr éa
t u r e sem b laien t sou rire.
Vr a im en t , Cla r ev isle éta it l ’asile du b on h eu r
p a r fa it.
De son coin , le r om an cier s ’a m u sait à étu d ier
les p er son n a ges r éu n is là p ou r le p lu s b an al des
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LA
C O M T ESSE
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d iver tissem en ts : u n th é-b r id ge ii la cam p a gn e.
To u s lu i éta ien t p a r fa item en t in con n u s. Selon
tou te vr a isem b la n ce il n e les r ever r a it jam ais,
à com m en cer p ar les ch â tela in s eu x-m êm es.
D ’a illeu r s P a u l de Com barou sse ne sem b lait pas
d u *tou t d isp osé à m ettr e son am i en r ela tion s
p lu s in tim es a vec la fa m ille d e son a n cien con
d iscip le.
Cep en d a n t le m aîtr e d e m aison p r ésen ta it le
jeu n e écr ivain à ses in vités. Les n om s p r on on
cés par le com te réson n aien t a u x or eilles de
J acqu es com m e a u ta n t de voca b les étr a n ger s.
P ou r t a n t les p er son n es p r ésen tes a p p ar ten aien t
à l ’élite de la société p r ovin cia le, viva r oise ou
d a u p h in oise. Les h om m es éta ien t cou r tois, ai
m ab les, les fem m es b ien h ab illées, jolies p ou r
la p lu p a r t, m ais a u cu n d e ces visiteu r s n e p ossé
d ait u n e ca r a ctér istiq u e cap a b le d e cap ter l ’a tten
tion d ’u n ob ser vateu r a ve r t i... Les E st r a n ge
seu ls éta ien t in tér essan ts. T o u t en p araissan t
ab solu m en t sem b lab les a u x au tr es, ils les d ép as
saien t de tou te leu r p er son n alité.
La com tesse se leva .
Le s p erson n es p ou r lesq u elles le b r id ge est un
fléau d e p lu s p ou r l ’h u m a n ité la su ivir en t à
t r a ver s d eu x salon s con ver tis en m usée.
Am a teu r de b ib elots, J acqu es se sen tait ga
gn é par l ’en vie d ’in ven tor ier les m er veilles
am on celées d an s le m an oir , m ais les m aîtr es du
lo gis le p assion n aien t tellem en t ! Il ne p ou va it
étu d ier a u tr e ch ose, et il passa rap id em en t d e
va n t les vit r in es où s ’éta la ien t les trésors d ’art,
sou ven ir s des siècles p assés.
Silen cieu sem en t, il exa m in a it ses h ôtes. Su r
p r ise d e ce m u tism e, la b elle E d it h ch er ch a it
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
15
en vain u n su jet de con ver sa tion cap a b le d e le
r en d r e loq u ace, et Sor elle, qu i d evin a it les effor ts
de la jeu n e fem m e, se sen ta it p r is de l ’en vie de
cr ier :
—
P ar gr â ce, Mad am e, p a r lez a u t a n t q u ’il
vou s p la ir a, m ais p er m ettez-m oi de m e born er
à vou s écou ter . Cela m ’est tellem en t a gr éa b le.
Il lu i fa llu t u n effor t réel p ou r se m êler à l ’en
t r et ien . Il éta it le seu l étr a n ger au m ilieu d ’u n
cer cle in tim e, il ign or a it les h istoir es a u xq u elles
011 faisait a llu sion au p r ès de lu i. P ou r com b le
d ’in for t u n e, le d octeu r d em eu r a it in visib le.
« Cet a n im a l de P a u l ! son gea it le jeu n e
h om m e en n u yé tou t en p a r aissa n t p r êter une
or eille a tten tive au r écit d ’u n e fête à laq u elle
tou te la p r ovin ce a va it assisté. Il m e p r ésen te et
111c p lan te là ... J e 11e sais com m en t fa ir e ... Ces
in con n u s assis au p r ès de m oi sont aim a b les, m ais
p eu lia n t s !... Si je p ou va is r even ir u n jou r d if
féren t du m ar d i, je serais b ea u cou p p lu s h eu
r eu x ! E lle est d élicieu se, M "" d ’E st r a n ge ! Par
qu el sor tilège Com barou sse s ’en fer m e-t-il a vec
cette effr a ya n te d ou a ir ièr e? au lieu d e d em eu
rer à d eviser a vec cette ch ar m an te p etite com
tesse? »
U n gr ou p e de b r id geu r s r en tr a it d an s le
salon , la p artie a ch evée. Us p r ir en t con gé p res
qu e a u ssitôt, J acqu es com p r it q u ’ils a va ien t tr a
ver sé les d eu x tiers du d ép ar tem en t en au to,
p ou r p ren d re le th é ch ez leu r s am is. E11 p r o
vin ce, vr a im en t , on est in tr ép id e.
Ap r è s e u x, d eu x dam es se levèr en t. Ce fu t
com m e le sign al de la r etr aite. Les in vit é s
s ’égr en èr en t ... m ais Com barou sse p er sista it à
d em eu r er in visib le.
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I,A
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J acqu es vo ya it a r r iver a vec u n e gèn e cr ois
san te le m om en t où il se t r ou ver a it fin alem en t
en tier s en tr e M. et M “° d ’E st r a n ge.
Sou d a in le d octeu r r éap p a r u t. San s façon il
en tr a p ar u n e p etite p orte au fon d du secon d
e.alon, com m e s ’il eû t été u n fa m ilier du lieu . 11
a va it u n e exp r ession b iza r r e, m élan ge de r age
froid e et de satisfaction .
Ave c ses façon s raid es et gla cia les h ab itu elles
il p rit con gé de la com tesse.
Sor ellc eu t à p ein e le tem p s de p r on on cer q u el
qu es p aroles d ’h om m a ges et d e r em er ciem en ts
p ou r l'a ccu e il ch ar m an t q u ’a va ien t bien vou lu
lu i r éser ver les am is d e son cam arad e.
— Ven ez d on c, m on ch er , il est h or rib lem en t
t a r d ,.in t er r om p it p ér em p toir em en t le d octeu r en
l ’en tr a în a n t ver s la p orte.
Ah u r i, le r om an cier le su ivit en b ou gon n a n t :
— C ’est bien sa fa u te, ap rès tou t ! Qu el d rôle
de b on h om m e ! Su r q u elle h er be a-t-il d on c m ar
ch é? I l a p ositivem en t l ’a ir de fu ir cette m ai
so n ... Au r a it -il été a m ou r eu x de la com tesse,
par h asar d ?
Cette id ée le r en d it m u et p en d an t un qu art
d ’h eu re.
L ’a u tom ob ile d escen d ait en silen ce, l’a llu
m age cou p é ver s le fon d d e la va llée, Com barou sse ne d esser rait p as les d en ts. Ar r ivé s su r
la r ou te de Va len ce, Sor elle r isq u a :
— Vo u s m ’a vez p la cé d an s un cr u el em bar r as
en d isp ar aissan t a in si, m on vie u x. J ’éta is seul
au m ilieu d ’u n flot d ’in con n u s. J ’ign or ais tou t
d u p etit m on d e où je m e t r o u va is ... Oh !... d ites
d on c, p as si vit e ... n ou s voilà à 80 ! n e m e tu ez
p as !...
�m
LA
Ük,
m
CO M TE SSE
E D ITH
17
— Vo u s ten ez à la vie ? in ter r ogea le m éd ecin
froid em en t.
— Dam e ! je ch ér is l ’exist en ce de tou tes m es
forces. N ’en faites-vou s p as a u ta n t ?
— N on , fu t la b r ève rép on se.
J acqu es r eçu t le m ot com m e u n ca illou . Il
recom m en ça à p en ser , h or r ib lem en t gên é :
« Cer ta in em en t, il a p rofessé u n e ad m ir ation
san s b or n es p ou r M mo d ’E st r a n ge. Au t r e fo is ...
Son con d iscip le la lu i a soufflée, et il en r a ge. »
M a lgr é lu i cette qu estion ja illit d e scs lèvr es :
— Vo u s êtes tr ès lié a vec le ch â t ela in de
Cla r ev ist e?
— C ’est m on p lu s a n cien cam arad e, r ép on d it
P au l san s au cu n en th ou siasm e.
— Ah ! ou i !... o u i..., b a fou illa So r elle... je
com p r en d s... I l est tr ès b ien . L e voyez-vo u s
sou ven t?
Sèch em en t le d octeu r e xp liq u a :
— J e n ’éta is p as r even u ch ez lui d ep u is la
m ort de la p rem ière m ad am e d ’E st r a n ge.
— Com m en t? s ’écria J acqu es fort in tér essé.
Vo t r e am i éta it d on c veu f?
— J e m e tu e à vou s l ’a p p r en d r e, fit Com barou sse iinj>atienté.
Il d em eu ra u n lon g m om en t s ilen cieu x, p u is
t ou r n a n t ver s son com p a gn on u n visa ge ferm é,
h ostile, il p r on on ça :
— P a r lo n s 'd ’a u tr e ch ose, Sor elle, si cela ous
est éga l.
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LA
C O M T ESSE
E D IT H
II
M m° d ’E st r a n ge, assise d evan t u n e coiffeu se
ch a r gée d e m u ltip les u sten siles d ’a r gen t ciselé,
p olissait ses on gles, a vec u n soin extr êm e.
E lle ét a it si a tt en t ive à son t r a va il q u ’elle
n ’en ten d it pas s ’o u vr ir la p or te d e sa ch am bre
sou s la m ain d e son m ari.
Ch r istia n d em eu ra u n in sta n t im m ob ile su r le
seu il.
U n e b ou ffée d e ven t tièd e gon fla les r id ea u x
d e d am as m a u ve étein t, d r ap és a u tou r du lit
e t d es fen êtr es; les ch e ve u x d ’E d it h s ’en vo
lèr en t. Alo r s, elle r eleva la tête, et p ou ssa un
p et it cr i.
— Vo u s m ’a vez fa it p e u r !
E e com te s ’a p p r och a, m it un baiser d an s les
fr ison s de sa fem m e, et m u rm u ra tr ès ten d re :
— Vo ilà un bien vila in m ot ... Si je vou s
effr aie m a in t en a n t ... c ’est le p ire d es m a lh eu r s!
I,a jeu n e fem m e fit la m oue :
— Vo u s êtes en tr é com m e un voleu r , san s
b r u it . C ’est tr ès m al, d it-elle.
Son m ar i sou r it et ses p r u n elles de flam m es
d evin r en t d ’u n e car essan te d ou ceu r .
— N e m e.r en voyez p oin t, E d it h , m u rm u r a-t-il,
u n e su p p lication d an s la vo ix, je ne vou s d é
r an ger a i p a s... je serai bien s a ge ... J e vien s
�LA C O M TESSE ED IT II
iq
«l’avoir u n e séan ce d ésa gr éab le a vec gr a n d ’m èr e... j ’ai besoin de m e r essaisir .
La com tesse lâch a im m éd iatem en t son polissoir et, d ’u n gest e câ lin , in clin a son fr o n t ver s
son m ari.
— Com m e c ’est e n n u ye u x, d it-elle, d ésolée.
J e vou s p la in s de tou t m on cœ u r . Qu e vou s
a-t-elle fa it en cor e?...
Le s ye u x b leu s, lim p id es, se p osèren t ten d r e
m en t su r l’ép ou x ir r ité. Au ssit ô t la m au va ise
h u m eu r de Ch r istia n se d issip a . U n e félicité
sou d ain e l ’en va h it d eva n t le d élicie u x visa ge
tou rn é ver s lu i.
*
— Com m en t votr e a ïeu le p eu t-elle se m on tr er
au ssi p eu a im a b le en vers vou s? p ou r su ivit la
p etite com tesse.
— E lle est exécr a b le ! cor r igea le ch âtela in .
— U n e gr a n d ’m ère, c ’est in con ceva b le ! d it
la jeu n e fem m e. J e n e la com p r en d s p as. Vo u s
b ou scu ler , vou s, si b o n !...
— Vo u s ou b liez u n léger d ét a il, m on am ie,
rem ar qu a le com te en car essan t les ch e ve u x d e
sa com p a gn e. J e su is u n étr a n ger p ou r la d ou a i
r ièr e. E lle éta it seu lem en t la secon d e fem m e de
m ou a ïeu l. J am ais elle n ’a ép r ou vé le m oin d r e
sen tim en t de ten d resse en vers m on p è r e ... E lle
m ’a éga lem en t t ou jou r s d ét esté...
« De p lu s, elle a d û se d éfa ir e, à m on profit,
d e la for tu n e de n otre fam ille d on t elle con ser va
la jou issa n ce ju s q u ’à m a m a jor ité, et se con
ten ter d e r even u s su ffisan ts, certes, m ais d on t
elle ne p eu t disp oser à sou gr é, p u isq u ’ils d oi
ven t m e fa ir e r etou r ap rès e lle ... Ce d on t elle
en r a ge. E n ou tr e, elle a été ob ligée de r em ettre
en tr e m es m ain s les p ierr er ies de m a m ère, dont
�20
LA
C O M T ESSE
E D IT H
e lle éta it si fière (le se p arer et q u ’elle sou ffr e d e
vou s voir p o r t er ... To u s ces fa its on t a ccr u son
a n tip a t h ie n a tu r elle à m on en d r oit ... E lle m ’a
t o r t u r é ... m or a lem en t ... j ’ai bien de la p ein e à
n e p oin t la h a ïr ...
— Vou s êtes la bon té m êm e, m u r m u r a E d it h ,
u n e a d m ir ation d an s la vo ix.
— N on , m a is... je su is ch r étien , et je p r a
tiq u e l ’ou bli d es p r éju d ices ca u sés... Si j ’étais
p a r fa it je m e m on tr er ais san s d ou te p lu s p a
t ie n t ... M a is su b ir ch ez m oi la p r ésen ce de
cette fem m e a ch a r n ée ja d is à e xcit e r mon
gr a n d -p èr e con tr e son fils, à* r en d r e la vie im
p ossible à m on p ère et à s ’effor cer d e m e b r o u il
ler a vec les m ien s, est p a r fois a u -d essu s d e m es
fo r ce s... De p lu s, vou s im p oser sa sociét é...
— Cela n e ser ait r ien , in ter r om p it vivem en t
la jeu n e fem m e, si vou s n ’en étiez pas m alh eu
r e u x. M ais aussi p ou r qu oi s ’obstin e-t-elle à ré
sid er ici, p u isq u ’elle ju ge , com m e n ou s, cette
situ a tion im p ossib le ?
Ch r istia n écla ta :
— P ou r m e r en d r e en r a gé, p r obab lem en t !
E lle abu se d es éga r d s d u s p ar tou t h om m e bien
élevé a u x fem m es d ’u n â ge ... a va n cé. D ’ap rès
le testa m en t de bon -p ap a, sa veu ve a le d r oit
d ’h ab iter l'a p p a r tem en t du n ord de ce m an oir .
P o u r rien au m on d e elle ne r en on cer a it à ce p r i
vilè ge , sach a n t com bien je serais r avi d e la voir
p a r t ir ...
Les ye u x som br es flam bèr en t. Il p ou r su ivit
sou r d em en t :
— Cette fem m e s ’est t ou jou r s m on trée notre
m a u va is gé n ie ... T e n e z... il m ’est p én ib le de
fair e a llu sion d eva n t vou s à m on p rem ier m a-
�L A CO M T E S S E E D I T H
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lia g e ... J e vou s en p r ie, m a ch ér ie, -11e vou s
éloign ez p as, restez au p r ès d e m oi. Vou s êtes
l ’u n iqu e b ien -a im ée, p our m a vie en tièr e. P ar ce
que je con n a is à p r ésen t la sign ifica tion d u m ot
« bon h eu r je p u is tou t d ir e ... Si j ’ai vécu avan t
vou s d es an n ées in fer n a les, c ’est gr â ce a u x
lion s offices d e celle q u e, p ar cou r toisie, je su is
forcé de n om m er « gr a n d ’m ère ». Cette fem m e
a fait m on m alh eu r . E lle a m is tou t en œ u vr e
pour m e lier , lorsqu e j ’éta is en core u n en fa n t,
à p ein e éch ap p é d e Sa in t -Cyr , à la cr éa tu r e la
m oin s cap a b le de m e r en d r e h e u r e u x... J e ne
vou s p arler ai ja m a is p lu s d e ces p én ib les évén e
m en ts. M a is je p r éfèr e vou s ap p r en d r e l ’en
tière vér ité. Ma car r ièr e brisée, u n e p artie de
m a vie gâ ch ée, son t l ’œ u vr e d e la d ou air ière.
P ou r ta n t, elle a u r a it dû rem p lir au p r ès de m oi
le r ôle d ’u n e vér ita b le m èr e... H é la s ! elle ne l’a
p oin t vou lu .
Les ye u x de M"10 d ’E st r a n ge se r em p lir en t
de lar m es. D ’u n élan p assion n é, e lle cn td lir a de
scs br as le cou de son m ar i, et ce cri ja illit de
ses lèvr es :
— Oh ! m on p a u vr e p etit !
E lle se jeta d an s ses br as. Ch r istia n sen tait
le cœ u r d ’E d it h b a ttr e à gr a n d s cou p s p r éci
p it és... Il posa d ou cem en t scs lèvr es su r la
tem p e de sa fem m e, san s p r on on cer un m ot de
plu s.
— P ar d on u ez-m oi, m u r m u r a-t-il en fin , je
n ’au r ais p oin t d û vou s r évéler ce s ... d ét a ils...
Te vou s ai a ttr istée.
E d ith en fou it son fron t au cr e u x d e l’ép au le
de son m ar i.
— Vo u s a vez bien fa it , et je vou s rem ercie
�'22
LA
C O M T ESSE
E D IT H
de cette p r eu ve d e con fia n ce. J e vou s aim e d a
va n t a ge d ep u is qu e je sais vos ch a gr in s p assés.
J e cr o ya is...
E lle s ’in ter r om p it.
— N e vou s moque/ , p as, Ch r ist ia n , su p p liat-elle, m a is... je vou s l ’assu r e, je su p p osa is être
p ou r vou s u n b ib elot, u n e p ou p ée... q u elqu e
ch ose de ge n t il... am u san t à voir , m a is... p r es
qu e san s âm e. Vo u s êtes tellem en t sér ieu x et
p r éoccu p é de ch oses si h a u t e s !... et bien tr op
im p or ta n tes p ou r m oi...
— R ien 11e p ou r r a it l ’êtr e trop p ou r vou s,
r ép on d it le jeu n e h om m e. Vo u s m e com p r en ez
si b ien ! J am ais a va n t ce jou r p er son n e n ’a va it
sen ti com m e m o i... J ’ai en a ver sion l ’ép ou seen fa n t , ca p r icieu se et légèr e, d on t l ’u n iq u e d é
sir est d ’êtr e tr a itée en ob jet de lu xe . J e sou h a i
tais r en con tr er u n e fem m e q u i, tou t en se
m on tr an t p ou r m oi u n e vr a ie com p a gn e et u n
a p p u i m oral, fû t en m êm e tem p s le ch ar m e de
m on r e ga r d ... Lon gtem p s j ’ai cru ce r êve im
p ossible.
Il s ’in clin a , baisa la m ain ab an d on n ée su r la
sien n e et con clu t, sou r ia n t :
— H eu r eu sem en t, j ’ai r en con tr é un jou r E d it h
de La u sier . Cela m ’a u r a it fait cr oir e en la P r o
vid en ce si je n ’a va is d éjà été ch r ét ien ...
La com tesse le r ega r d a m alicieu sem en t en tr e
la fr a n ge d e ses cils.
— Vo u s sa vez, ch ér i, d it-elle, m oi, je fa i
sais des n eu va in es p ou r êtr e ch oisie p ar vou s.
N e le d ites à p er son n e, s u r t o u t ... c ’est t elle
m en t, ..
— F o u , de vou loir se lier p ou r ja m a is à u n
Être in su p p or ta b le, ter m in a gaîm en t le co m t e...
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
23
Ah ! m on am ie, vou s a u r ez vot r e vie en tièr e
p our d ép lor er d ’a voir été exa u cée. Com m e quoi
les vœ u x h u m ain s son t p arfois im p r u d en ts.
— Si vou s êtes d an s l ’in ten tion de m e dire
«les p a r oles d ésob ligea n tes, r ép liq u a M m” d 'E st r a n ge, vou s p ou vez vou s r et ir er ...
Ch r istia n eu t sou d ain u n e exp r ession sou
cieu se.
— J e n ’éta is p as en tr é ch ez vou s p ou r
cela, E d it h , cr ovez-le bien . J e ven a is vou s
a p p r en d r e...
I l sou p ir a.
—• ... U n e n ou velle in ven tion de gr a n d ’nièrc.
—- U11 en n u i p ou r vou s? s ’in q u iéta Ed ¿h,
cessan t d e sou rire.
— P as tou t il fa it , m ais u n e vive con tr a r iété.
M""' mon a ïeu le, 11c sach a n t san s d ou te de q u elle
façon m ’exa sp ér er , veu t ab solu m en t in vit er
Com barou sse à séjou r n er à Cla r ev tSle.
— E h b ien ? fit la jeu n e fem m e su r p r ise, n ’estil p oin t vot r e a m i?
— E m p lo yer ce m ot en p a r lan t de P a u l ser ait
du ga sp illa ge. C ’est un cam arad e, u n e a n cien n e
r ela t ion ... Il ven ait b ea u cou p à la m aison , a u
t r efois... P eu t-êtr e ép r ou va it-il d e la sym p a t h ie
p ou r m oi ; la m ien n e à son en d r oit est des plu s
m od érées. Cep en d a n t, com m e n ou s n ’a von s ja
m a is cessé d ’êtr e en r ap p or t, les a p p a r en ces...
— Alo r s ? ... cou p a la jeu n e fem m e.
— Alo r s, la veu ve d e m on a ïeu l n ’a ya n t pas
1« d r oit de r ecevoir san s m on au tor isation m ’a
fa it ap p eler ce m atin et n ou s a von s d iscu té p en
d a n t p lu s d ’u n e h eu r e... Ah ! q u elle for ce est la
b on n e éd u cation ! r éellem en t, cela em p êch e des
�------ _ _
24
.-
----- r
L A CO M T E S S E E D I T H
d ram es. L ’en tr etien en tr e la d ou a ir ièr e et m oi
n ’a va it rien d ’u n m a r iva u d a ge, je vou s le ga
r a n t is...
— Q u ’a vez-vou s d écid é? in ter r ogea la com
tesse.
— Rien en cor e... J e ne sais com m en t r ésou d r e
la q u estion . P ou r de m u ltip les r aison s, il m e d é
p la ir a it fort d ’in sta ller Com barou sse au p r ès de
n ou s. D ’a u tr e p a r t, si je r efu se n et, la b ien veil
lan te veu ve de m on gr a n d -p èr e colp or ter a, d an s
tou te la r égion , des p la in tes am ères, d isan t qu e
je ve u x la tu er en l’em p êch a n t de r ecevoir les
soin s de l’u n iqu e m éd ecin ca p a b le d e sou la ger
ses d ou leu r s, e t c., e t c... E lle a brod é su r ce
th èm e p en d an t vin gt m in u tes. E lle ch er ch a it vi
sib lem en t à m e m ettr e h or s d e m oi. J ’ai pu m e
con ten ir , Dieu sait p ar qu el m ir a cle : ca r je
ne com p te p as la p a tien ce au n om bre de m es
ve r t u s ... J e l ’ai q u ittée fou de colèr e. U n e p a
r eille d ép en se d e p olitesse ép u ise u n h om m e !...
J e 11’en p u is p lu s !
E d it h le r ega r d a , com p a tissa n te et n a vr ée.
Un in stan t elle r éfléch it, les cou d es su r les gen ou s, le m en ton a p p u yé a u x p au m es de scs
m ain s.
E lle vo ya it son m ari fu r ie u x, et son gea it a u x
d ifficu ltés de la situ a tion . La vieille com tesse
a va it en visa gé san s com p laisa n ce l’a p p a r ition
d ’u n e n ou velle ch â tela in e à Cla r ev ist e.
Refu ser tou t n et un p er m is de séjou r , c ’éta it
la b r ou ille d éclar ée. Alo r s, la d ou air ièr e s ’in gé
n ier ait à r en d re l ’exist en ce im p ossib le à son
b ea u -p etit-fils. Le com te éta it d ’u n e violen ce
extr êm e sou s u n e a p p a r en te fr oid eu r . Il su ffir ait
d ’un m ot im p r u d en t p ou r am en er la r u p tu r e
�LA
C O M T ESSE
E D IT P I
25
a vec la vie ille dam e. E n ce cas, le reten tissem en t
d ’u n p areil écla t ser ait ter r ib le. Cet t e p er sp ec
tive ép ou va n ta la jeu n e ch â tela in e.
— P ou r q u oi ne céd ez-vou s p a s? d it-elle d ou
cem en t.
— Cela m e d ép la ir a it, r ép liq u a n ettem en t
Ch r ist ia n ... J e su is le m aîtr e ici. J ’ai tr op sou f
fert ja d is, d e su b ir tou s les ca p r ices de cette co
q u ette. So n gez d on c, ch ér ie, j ’ai vu m on père
éloign é d e la m aison p a ter n elle gr â ce a u x m a
n œ u vr es de sa belle-m ère. Il est m ort san s oser
com m an d er sou s son toit. M oi, je ve u x le fa ir e ...
J e d on n er ais la m oitié d e m a for tu n e p ou r tr ou
ver le m oyen d e m e d éb a r ra sser de M '”' d ’Estr an ge d ou a ir ièr e...
— E lle p orte votr e n om , r isqu a E d it h .
— Ah ! je le sais b ien ! cria le com te e xa s
péré. E lle m e l ’a assez jet é à la face !
I l se m it à m ar ch er de lon g en la r ge d an s la
ch am bre. La com tesse, d ésolée, d em eu r a it m u ette.
Son ép ou x l ’effr a ya it u n p eu . E n d eu x m ois de
m ar iage, elle n ’a va it ja m a is eu l ’occasion de le
voir au ssi cou r r ou cé. Com m en t p ou va it-il se
m on trer a lter n a tivem en t si d u r ou si ten d r e?
Cep en d a n t Ch r ist ia n b r oya it r ageu sem en t les
fleu rs d u ta p is sou s ses t a lon s, com m e s ’il eû t
ten u à leu r p lace la veu ve de son aïeu l et l’in n o
cen t Com barou sse.
— Le d ia b le em p or te les a m itiés de collège !
fin it-il p ar ém ettr e, en s ’effor çan t d e se calm er .
Si je n ’a va is p as a m en é P a u l à la m aison , a u t r e
fois, 011 11e m e l ’im p oser a it p as, a u jo u r d ’h u i.
Il éta it u n p eu calm é. E d it h se leva , posa ln
m ain su r le b r as de son m ari et im p lor a , gr a
cieu se :
�-6
LA
C O M T ESSE
E D IT H
.
— Me soyez p lu s m au ssad e, ch er , p er m et
tez u n e visit e d u d octeu r . Si M . de Com bar ou sse vou s en n u ie, vou s ne r en ou veller ez pas
n otre in vit a t io n !...
— S ’il se b or n a it à m ’im p or tu n er ce ne ser ait
rien , r ép liq u a le com te, m a is...
Il n ’a ch eva p oin t.
— M a is?... in ter r ogea la com tesse, cu r ieu se.
— I l m e p a r a ît êtr e d even u b iza r r e. Il n ’a ja
m ais été a im a b le; au collège, d éjà , il se m on
t r a it u n p eu o u r s ... du m oin s, il n ’a va it pas
l ’a ir h a in eu x.
— Com m en t ! se r écr ia la p etite M""' d ’Est r a n ge ou vr a n t tou tes gr a n d es scs p r u n elles de
sap h ir .
— O u i, d it Ch r istia n p en sif. J e serais fort
su r p r is si P au l ne m e d étesta it pas.
— P ou r q u oi le fer a it -il? d em an d a la com tesse
de p lu s en p lu s éton n ée.
— J e n ’en sais rien ! a vou a son m ari.
Deva n t la figu r e st u p éfa it e de sa fem m e il
co r r igea , se for ça n t à sou r ir e :
— J e p la isa n te. Le d octeu r ne d ésire p oin t
m a m ort, r assu r ez-vou s.
Ch a n gea n t de con ver sa tion , il a jou ta :
— Si vou s étiez tou t à fa it gen t ille, E d it h ,
vou s p asser iez vit e u n costu m e de ch eva l, et
vou s m ’a ccom p a gn er iez d an s la forêt.
D éjà , la jeu n e com tesse éta it d a n s son ca b in et
de toilette.
— J e su is à vou s d an s cin q m in u tes, cria sa
vo ix joyeu se. Vou lez-vou s son n er F é licie , j ’a i
besoin d ’elle.
Le com te ob éit, s ’a ssit d an s u n e ch a u ffeu se
et son gea à p a r t lu i :
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
z^
—
G r a n d ’m ère n ’est p as m alad e. E lle se
p orte com m e un ch ar m e. P ou r q u oi d ésir e-t-elle
si fort la ven u e d e Com b arou sse?
III
Dep u is le jou r où Ch r istia n a va it sou levé un
coin du voile et p er m is à sa fem m e d ’ap ercevoir
un peu du tr iste p assé, E d it h sou h a ita it de n ou
velles con fid en ces. Cep en d a n t, elle n ’a im a it pas
en ten d r e p r on on cer le nom de la p rem ière
M " d ’E st r a n ge; elle r essen tait m êm e u n e se
crète ter r eu r en fa n tin e à l ’idée d ’ap p r en d r e
d ’au tr es d étails su r la vie in tim e de son
m ar i.
A l ’exem p le de b ea u cou p de ses sem b lab les,
la com tesse éta it p a r ta gée en tr e u n e in vin cib le
cu r iosité et u n e non m oin s in d én ia b le ja lou sie.
E lle d ésir ait voir le com te r en on cer à sa ré
ser ve h a b it u elle su r ce su jet afin de p ou voir en
core le p la in d r e d ’a voir été au ssi m a lh eu r eu x.
E lle eû t vo u lu r ép éter à son or eille les m ots
con sola teu r s et lu i d ire ten d r em en t :
« Ra ssu r ez-vou s, les p ein es d ’a u t r efois son t
é lo ign ées... J e d em eu r e à vos côtés, p ou r vou s
ch ér ir ju s q u ’à la m or t ... »
Cep en d a n t elle ne ' p ou va it s ’em p êch er de
son ger :
« E lle l’a eu la p r em ièr e. I l l ’a a im ée, il a
�28
LA
C O M T ESSE
E D IT H
vécu a vec elle com m e il le fa it a vec m o i... Il lu i
a d it les m êm es p a r oles... »
De cette ■ devancière, E d it h ign or a it tou t. Au
cu n p or tr a it, au cu n e tr ace d e son p a ssa ge ne
su b sistait d an s la m aison . Sa n s d ou te, le com te
a va it fa it d isp ar a îtr e tou s les sou ven ir s de la
m or te... P a r d élica tesse en ver s sa secon d e
fem m e, il n ’a va it con ser vé au cu n de scs ob jets
fa m ilier s...
La d ou a ir ièr e, si d ésa gr éab le q u 'elle fû t p our
le p etit-fils de son m ar i, ne faisait jam a is d ’a llu
sion au passé con ju ga l de Ch r ist ia n ... q u elqu es
m ots, su r p r is au h asar d d ’u n e con ver sa tion ,
a va ien t ap p r is à la p etite com tesse qu e l’aïeu le
elle-m êm e a va it p r ép a r é cette u n ion .
E d it h a u r a it bea u cou p d on n é p ou r con n a îtr e
exa ctem en t le r ôle jou é p ar la vieille com tesse
d an s le jeu n e m én age. P eu t-êtr e u ’a va it-elle p as
eu tou s les tor ts. Le com te ét a it a u tor ita ir e,
cassa n t, il ne p er d ait a u cu n e occasion de faire
sen tir son au tor ité ab solu e. In flu en cé par son
p èr e d ès l ’en fa n ce, il ne p ou va it sou ffr ir .son
a ïeu le. Br u sq u em en t d ép osséd ée, la d ou air ière
m a n ifesta it u n e a igr eu r cr oissa n te, et s ’a p p li
q u a it à lu i créer, san s t r êve, d es d ifficu ltés.
N éa n m oin s son m au va is vou loir ne s ’éten d a it
p as ju s q u ’à !a n ou velle ch â tela in e. E d it h sem
b la it êtr e, p ou r elle, u n e en fa n t in sign ifia n te,
d estin ée à com p ter p en d an t fort p eu de tem ps
a u x ve u x d e son m ar i. E lle éta it d on c u n e q u a n
tité n égligea b le.
Les d eu x fem m es a va ien t d es r ap p or ts offi
ciels tr ès su ffisan ts p our êtr e ju gé s , p ar leu r s
r ela tion s, de p a r fa ite en ten te. Leu r vie in tim e,
tr ès cérém on ieu se, a id a it en core à m ain ten ir
�LA
CO M TE SSE
E D ITH
29
m ie a p p a r en ce d ’u n ion , in exist a n t e réellem en t.
E d it h a gissait en ver s Ta vieille d am e com m e
une p etite-fille vér ita b le. Ch r istia n tém oign a it à
son a ïeu le la d éfér en ce ob liga t oir e d u e à une
fennne âgée. P eu t-êtr e se m on tr a it-il p lu s froid
a vec elle, m ais ses m an ièr es 11’éta ien t pas e xp a n
sives et p er son n e 11e le tr ou va it éton n an t.
Dan s la fer veu r d e ses p r em ièr es illu sion s, la
p etite com tesse s ’ét a it flattée d ’op ér er u n r a p p r o
ch em en t en tr e l ’a ïeu le et le p etit-fils. E lle com
m en çait à se r en d re com p te de la d ifficu lté de
sa tâch e. Cep en d a n t, elle ne se d écou r a gea it pas
et ten tait p ar tou s les m oyen s d e r am en er la
con cor d e d an s cet in tér ieu r d ivisé, de ga gn er
l ’affection d e la gr a n d ’m ère de son m ar i et
d ’am en er le com te à p lu s d e d ou ceu r .
Dan s ce b u t, clic s ’a st r eign a it à p a sser , ch aq u e
jo u r , u n e h eu r e d an s le salon de l ’a ile d u N or d ,
d ’où la d ou a ir ièr e 11c sor tait gu èr e.
Cela 11’éta it p as d iver tissa n t. La vieille d am e,
coq u ette im p én iten te, viva it d an s u n e quasiob scu r it é. E lle 11e vo u la it m on tr er à p erson n e
son tein t a ltér é p ar les an s n i les r id es creu sées
su r son visa ge. De p lu s il r égn a it d an s l ’a p p a r
tem en t d e l ’a ïeu le u n p ar fu m ét r a n ge fait d ’éth er
c t d ’am bre, p r esqu e ir r esp ir a b le.
Au cou r s d ’u n e de ces visites, iron iqu em en t
q u alifiées « ch a r it a b les » p ar Ch r ist ia n , l ’en tr e
tien ob liq u a ver s le passé.
La veille, la p etite com tesse, im m ob ilisée par
u n e n évr a lgie, n ’a va it pu q u itter son a p p a r te
m en t. La gr a n d ’m ère s ’en m on tra attr istée.
—
Ma ch èr e en fa n t , d it-elle en se sou leva n t
d e la ch a ise lo n gu e où elle b â illa it su r un r o
m an , je su is bien aise d e vou s voir . Ce m atin
�30 ,
LA
C O M T ESSE
E D IT H
on m ’a va it d on n é les m eilleu r es n ou velles d e
votr e san té, m ais je ne m ’a tten d a is pas à r ece
vo ir vot r e visit e a u ssitôt. C ’est gen t il de ven ir
à m oi !
Ce d isa n t, elle p osa ses lèvr es p ein tes su r la
jo u e n a cr ée d e la jeu n e fem m e.
Le geste p araissait sin cère.
E d it h p en sa :
« Com m en t p eu t-elle se m on tr er si b on n e
a vec m oi, lor sq u ’elle est tellem en t r evêch e en
ver s son p etit-fils? E lle n ’a certain em en t ja m a is
em brassé Ch r istia n a vec a u ta n t d ’affection ! »
— Asseyez-vou s au p r ès de m oi, con t in u a it la
vieille d am e a vec u n e a m a b ilité u n p eu exces
sive. Racon tez-m oi les n ou velles. J e ne vois per
son n e ici, et je m ’en n u ie. Ave z-vo u s eu b ea u
cou p de m on d e m ard i d er n ier ?
E d it h ch er ch a d an s sa m ém oire :
— M a is 110s h a b itu és, d it-elle. Le s b r id geu r s
or d in a ir es. Le s Sa h u n e, M mo d ’Ar n a c, les p etits
Sa in t-R em èze.
— P er son n e de Va len ce? qu estion n a la d ou a i
r ièr e en fa isa n t fiévr eu sem en t tou rn er ses b a gu es
a u tou r des d oigts.
— J e ne m e sou vien s p a s !... A h ! s i.,, m on
cou sin , le gén ér al d e La u sicr , et sa fille Ch ou
ch ou . Ils m ’on t a m en é ce jeu n e écr iva in ,
vou s s a ve z? ... l ’am i du D 1' d e Com barou sse.
M on sieu r ...
E lle h ésita :
— M on sieu r So r e llc... o u i... je n e m e tr om p e
p a s... J acqu es Sor elle.
E lle sou r it :
— C ’est u n êtr e ch ar m a n t, p a r a ît -il., d ’ap r ès
Ch o u d io u . du m oin s...
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
3*
La vieille dam e p a r u t se sou cier for t peu de
l ’opin ion de la jeu n e fille q u an t à l ’éléga n t ro
m an cier. Tr è s vite, d ’un ton m écon ten t, elle d e
m anda :
— E t P a u l? est-il ven u ? P ou r q u oi ne m ’avezvou s p oin t fait a ver t ir ? Ce n ’est vr a im en t p as
aim able à vou s ! J e ne com p te p lu s, je le sais
b ien ...
— Oli ! gr a n d ’m ère, q u elle id ée a vez-vou s là?
protesta E d it h su r p r ise d e l ’âp reté de l ’accen t.
M. de Com b arou ssc n ’a ccom p agn a it p oin t son
cam arad e. J e n e sais s ’il est en cor e d an s n os pa
r a ges... et p u is, s ’il fa u t tou t vou s d ir e ... je
vou s co n fier a i... il ne p la ît p as bea u cou p à
Ch r istia n , je cr ois !
La d ou a ir ièr e serra les d en ts :
— Vo ilà le gr a n d m ot lâ ch é, d it -elle... To u t
le m on d e d oit se p lier a u x go û t s d e ce m on
sieu r ... Il con n a ît p ou r ta n t m on d ésir de voir
P a u l, J ’ai a b solu m en t besoin de lu i... J e n ’ai
con fia n ce en a u cu n a u tr e m éd ecin .
— M a is, Dieu m erci, vou s êtes bien p or tan te,
gr a n d ’m ère ! s ’écria la jeu n e fem m e a vec ge n
tillesse.
Au fon d elle se sen tait h or rib lem en t em bar
rassée.
— Cer ta in em en t, fit la vieille dam e, sèch e
m en t. J ’a i la m eilleu r e san té du in on d e. A
m oin s d e m e tu er , vot r e m ari n ’en tr er a pas de
sitôt en possession de m on u su fr u it . C ’est r e
gr et ta b le p ou r lu i... J e lu i en fais m ille excu ses...
D ’un ton r esp ect u eu x, m ais ferm e, E d ith
cou p a ?
— Ch r istia n n e m érite p as d e telles p aroles.
Vr a im en t, vou s le ju ge z a vec une sévér ité saur
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
n om . Cep en d a n t n u l êtr e ici-b a s n ’est p lu s d é
sin tér essé, n ’a l ’âm e p lu s h au te. Au r iez-vo u s
su p p or té, jad is, d ’en ten d r e u n sim p le b lâ m e su r
vot r e m ar i? N on , n ’est-ce p a s? Vo u s ne tr ou
ver ez d on c p as m a u va is de m e voir vou s im iter .
La d ou air ièr e fit un effor t ter r ib le p ou r r efr é
n er son ir r ita tion . D eva n t l ’a ir résolu d ’E d it h ,
elle se ca lm a , et d it, a m u sée, con d escen d an te :
— Dieu , le ch ar m an t a voca t ! C ’est d élicieu x
d ’êtr e au ssi ép r ise de ce vila in ga r çon . Vo u s
a vez raison , m ign on n e, m ais n e m e cr oyez pas
sem b lab le à vou s su r ce p o in t ... J e n ’ai jam a is
été d an s l ’ad m ir ation ab solu e de m on m ar i, et
j ’eu sse fort bien laissé d ir e de m on p a u vr e G u y
q u ’il éta it p a r fa item en t t yr a n n iq u e et peu
a gr éa b le d an s le com m er ce q u otid ien .
E lle écla ta de r ir e. Ses d en ts b la n ch es b r il
lan tes, ir r ép r och a b les, écla ir èr en t le visa ge au r e
ga r d tr a giq u e.
— J ’ai fa it com m e vou s, a u tr efois, p ou r su i
vit-elle. J e m e su is laissé p r en d r e au ch ar m e
des b ea u x ye u x n oir s, a u x p rom esses m u r m u
r ées p ar u n e vo ix de ve lo u r s... je cr o ya is le
com te u n êtr e su p r a -ter r estr e. To u s les E st r a n ge
son t a in si. Us on t des p h ysiq u es sp len d id es, m ais
d es âm es a n tiq u es, im p ér ieu ses, et d ’u n d esp o
tism e in cr oya b le d an s le p r ivé.
« Com m e elle est m éch a n te » ! p en sa E d it h
ou trée.
T o u t h au t, a vec son p lu s joli sou r ir e, elle d é
clar a :
— Vou s a vez r aison , gr a n d ’m ère, les h om m es
de cette r ace son t e xq u is ... Cep en d a n t, je ne
m e su is jam a is ap er çu e en cor e de le u r ... vila in
ca r a ctèr e, r i je le d ép lore. Ce d oit êtr e ad or able
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d ’êtr e tyr a n n isée p ar u n m ar i aim é en tr e t o u s...
Mais Ch r ist ia n n e p eu t se d écid er à m e con
tr arier . Il m e p asse tou tes m es fan taisies.
La vieille d am e lisa it d an s cette âm e si d r oite
com m e d an s u n cr ista l. E lle vo ya it la n a ïve b r a
vad e, et se p r it à écla ter d ’un r ir e a igu .
— P a r fa it ! C ’est le m ir a cle de vos ye u x b leu s.
P ou r la p r em ièr e fois, u n E st r a n ge est d om p té.
P u isq u e vou s êtes assez p u issan te p ou r le m en er
Par u n fil d e soie, ob ten ez d on c le r etou r de m on
E scu la p e. J e su is u n e p a u vr e m an iaqu e; ne r a il
lez p as. Un jou r , vou s vieillir e z m oin s soli
t a ir e ... je le sou h a ite d e tou t m on cœ u r ... à ce
m om en t-là, vou s com p r en d r ez com b ien il est
d ou lou r eu x de m od ifier scs h ab itu d es, d e voir
ses am is écar tés de vo u s...
— P er son n e 11c son ge à vou s isoler , gr a n d ’m ere, s ’écria la jeu n e fem m e. Vo u s êtes lib r e
d ’a gir à votr e gu is e ... J e su is cer t a in e...
E lle s ’arr êta n et et r o u git ... La m an su étu d e
de Ch r istia n lu i sem b lait d ou teu se, q u a n t au re
tou r d u D r d e Com barou sse.
L ’a ïeu le l ’ob ser va it, ir on iq u e. E lle sem b lait
Pren dre u n e sor te d ’âcre p la isir à la vu e de cet
em barras.
La isson s cela , d it -elle en fin . J e su is sû re,
m oi, de votr e p ou voir su r votr e ter r ib le ép ou x.
J e m ain tien s m on q u a lifica t if. Ch r istia n est fé
r oce, m a ch èr e en fa n t. Son gr a n d -p èr e a con n u
les p ires sou cis à cau se d e lu i. Son p ère était
m ort tr op tôt. D ’a illeu r s, il n ’a va it p as su le
d ir iger , ni le co r r ige r ... C ’éta it un gar çon b i
za r r e, sen sit if, m a la d if...
— Com m en t? cou p a E d it h su r p r ise.
— Ou i, m on b eau -fils, R ob er t, éta it un êtr e
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d ’im a gin a t ion . Il se cr éa it des ch im èr es. Il
in ven t a it d es p er sécu tion s e xt r a va ga n t e s... P a r
exem p le, il s ’éta it figu r é tou t un r om a n ... Soid isa n t, je l ’éloign a is d e son p ère, de Cla r ev isle
où il se p la isa it ... d e sa fa m ille ... J am ais il n ’a
con sen ti à r en tr er ici ap rès sa m a jor ité. Il a
élevé Ch r istia n en d ép it d u sen s com m u n , et ce
fu t u n e tâ ch e vr a im en t a rd u e, d e tr an sfor m er
cet en fa n t gâ t é en h om m e r aison n ab le.
— Vo u s m ’éton n ez, r ép liq u a la com tesse très
r ou ge. Mon m ari ne p arle p as volon tier s du
p assé, m ais, d ’ap rès le p eu q u ’il m ’a d it, il n ’a
ja m a is dfi êtr e en tou r é de b ea u cou p de ten
dresse.
— Il vou s a r acon té, san s d ou te, la sévér ité
d e son gr a n d -p èr e â son éga r d ? H é la s ! la fer
m eté de m on m ari éta it n écessair e. Il vou lait
attén u er les m a u va is p en ch an ts d e ce gar çon
in d ép en d a n t. Alo r s 011 n ou s a ju gé s d u r s. Qu an t
à m oi, je tr ou va is p a r fa ite la d iscip lin e im posée
à cette n a tu r e r eb e lle ... Alo r s, le m on d e a con
clu à m on h ostilité p our ce beau -p etit-fils.
Ed ith l ’écou ta it, stu p éfa ite. La d ou a ir ièr e
r ap p elait les sou ven ir s d éjà évoq u és par le
com te, m ais tr an sp osait h ab ilem en t le t ext e.
C ’éta ien t exa ctem en t les m êm es d ét ails, et p ou r
ta n t cela p ar a issa it tou t d iffér en t.
— Ap r ès cela , p ou r su iva it la d ou air ièr e, a vec
u n e exp r ession d ’ab solu e sin cér ité, Ch r istia n a
son gé à se m ar ier. P a r m a lh eu r , il a ren con tré
ch ez m oi Ch a r lott e d e R ip er s, la n ièce d e mon
am ie la p lu s in t im e ... Ah ! j ’en ai sou ven t fait
111011 m ea cu l fia ! S ’ils on t été m is en p résen ce
ce fu t b ien m a fa u te. M a is com m en t a u r a is-je
p u con n a îtr e tr ès exa ctem en t l ’éta t de san té de
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cette p etite? Ta n t de jeu n es filles sont d élica tes
a va n t le m ar iage et se p or ten t ad m ir a b lem en t
ap r ès ! Ch a r lott e éta it frêle, c ’est évid en t, il a u
rait fallu la m én ager .
Son r ir e sar d ón iqu e réson n a de n ou vea u .
— M a is a llez d em an d er cela à u n E st r a n ge,
p ou r su ivit-elle. E n t r e un m ar i so u cieu x' d e la
tr a n q u illité de sa fem m e et Ch r istia n , il y a u n
abîm e. L ’égoïsm e est la q u a lité d om in a n te de sa
race.
— J e n e sau r ais p a r ta ger votr e op in ion , in
t er r om p it la com tesse. J e su is su jette a u x n é
vr a lgies. J ’en sou ffr e p en d an t p lu sieu r s jou r s
con sécu tifs. J am ais m on m ari ne s ’est m on tr é
aussi p a tien t, au ssi a t t en t if, qu e p en d an t ces p é
riod es. Il ne m ’a p as q u ittée u n e m in u te, m ’a
soign ée lu i-m êm e...
— Ma ch èr e p etite, cou p a l ’aïeu le a vcc u n e
ir on iqu e bon té, vou s êtes m ariée d ep u is tr ès p eu
de tem p s... Vo u s êtes en lu n e d e m ie l... Cep en
d an t, je m e b or n er ai à vou s don n er u n con seil.
N e soyez pas m alad e sou ven t. I l en a coû té ch er
à la ¡)auvre Ch a r lott e de n ’êtr e p as con sta m
m en t d isp osée à r ecevoir , à s ’h a b iller p ou r aller
au b al; à su p p or ter d es cou r ses folles à ch eva l
qu an d son m ari, le vôtr e à p r ésen t, a va it la fa n
taisie d ’a voir u n e am a zon e à ses cô t és... Cette
p a u vr e p etite a p a yé d e son b on h eu r ses r efu s
d ’êtr e p rête h t o u t p ou r com p lair e a u x ca p r ices
de ce d u r Ch r istia n : P ou r ta n t, elle l ’aim a it.
E lle s ’éta it u n ie à lu i d an s la fer veu r de sa
p rem ière a ffect io n ... E lle escom p ta it u n e fid é
lité com p lèt e... J e l ’en ten d s en cor e m e d ire au
soir d e ses fia n ça illes : « Com m e je serai h eu
r eu se et gâ t é e ... »
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— Le jo u r de nos a ccor d a illes, in ter r om p it
E d it li su b item en t d even u e cr a m oisie en en ten
d a n t ces sou ven ir s si m éch am m en t évoq u és, je
p en sais :
« Com m e je va is le r en d re h e u r e u x ! » J e ne
son gea is pas du tou t a u x atten tion s p ossib les de
m on bi'en -aim é, je vou s l ’a ssu r e... et seu lem en t
à m on d évou em en t, à m a sou m ission , à m on
a b n éga t io n ...
— Vo u s êtes u n rare trésor, m ign on n e, in ter
ca la p r om p tem en t la d ou a ir ièr e. P r en ez gar d e à
n e p oin t d ép lor er vot r e gén ér osité. M a is cela ne
111e r ega r d e p oin t. J ’a jou ter a i seu lem en t ceci :
Si Ch r istia n vou s voit p rête au ser va ge, il sau ra
m ettr e votr e ob éissan ce à l ’é p r e u ve ... m ais cela
vou s agr éer a san s d ou te et vou s le r em er cier ez...
d ’a voir l'o b ligea n ce d e se ser vir d e vou s com m e
d ’u n e es cla ve ... J e le con n a is à fon d . I l le sait.
P ou r cette raison , san s d ou te, il ne p eu t m e sen
tir . Com m en t a u r a is-je p u a ccep ter , san s lu i en
fair e des r ep r och es, l ’in sen sib ilité a vec laq u elle
il t r a ita it Ch a r lot t e?
— P ou r t a n t , in ter r om p it b r u sq u em en t E d it h ,
il a d on n é sa d ém ission d ’officier p ou r lu i êtr e
a gr éa b le.
La vie ille d am e h au ssa les ép a u les.
— Il le lu i a tellem en t r e p r o ch é !... A h ! il
lu i en a fa it d es scèn es à ce su jet. Ch a r lott e
t r em b la it en cor e en m e les r acon tan t, p lu sieu r s
m ois p lu s tard .
— Vo u s ign or ez san s d ou te com bien un
h om m e p eu t sou ffr ir en voya n t sa oarr iôre b r i
sée, ses r êves d ’a ven ir a n éan tis !
Da n s u n sou ven ir l ’a ïeu le r ip osta :
— E t vou s, m on en fa n t, félicit ez-vou s d ’ign o
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r er "tes sou ffr a n ces d ’u n e fem m e d élaissée. J e
n ’ai rien de m eilleu r à vou s so u h a it er ...
E lle leva les ye u x a u ciel :
— Il m ’est extr êm em en t p én ib le d e vou s p ar
ler a in si, m ais je vou s vois si jeu n e, si ch a r
m a n te...
Sa vo ix tr a în a su r les m ots :
— Si com p lètem en t a veu glée par votr e ten
d r esse... et j ’ai p eu r.
— P ou r q u oi d on c? in ter r ogea la jeu n e fem m e
de très h au t.
— J e p en se à l ’a u t r e ... votr e d eva n cièr e... J e
l ’ai vu e si m a lh eu r eu se! E lle a ver sé ta n t de
la r m es...
E d it h s ’éta it levée, le cœ u r b on d issa n t. U n e
seu le p en sée lu i ven a it : Cou r ir ver s Ch r istia n ,
se jet er d an s ses br as, jie rien lu i d ir e, m ais
sen tir son a ffection ch a u d e, p r otectr ice, effacer
la d u re im p r ession cau sée par la vieille fée
cr u elle et m éd isan te.
La d ou a ir ièr e a ch eva , com p a tissa n te :
' — J e sou h a ite p lu s d e b on h eu r à la secon d e
M'"® d ’E st r a n ge.
— Merci-, d it fr oid em en t la com tesse... Com m e
m a félicité d ép en d u n iq u em en t de m on m ari,
vou s serez e xa u cée !
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C O M T ESSE
E D J i'H
IV
A l ’om bre cles tilleu ls cen ten air es t a illés en
q u in con ce, la com tesse d ’E st r a n ge b a la n ça it,
dan s u n r ockin g-ch a ir con for tab lem en t b ou r r é de
cou ssin s, son éléga n te p er son n e et ses r êver ies.
Ces d er n ièr es étaien t gr ises. Ch r istia n éta it
p arti d ep u is la veille, il d em eu r er a it absen t
qu a r an te-h u it h eu r es en cor e, et la jeu n e fem m e
tr ou va it le tem p s lon g.
La p r em ièr e sép ar ation est tou jou r s p én ib le
au-c êtr es ten d r em en t u n is.
— Si vou s p a r tez, je p leu r e r a i..., a va it m u r m u n m tr é d ou cem en t E d it h en p osan t sa jolie
tête au cr eu x de l ’ép a u le d u voya geu r .
M ais, in sen sib le à cette p r ièr e, le m ari a va it
r ép on d u :
— J e su is forcé d e m ’ab sen ter , vou s ne l ’ign o
re/ , pas. N ’a u gm en tez p as m a p ein e, en vou s
m on tr an t si peu r aison n able.
Il était m on té en au to d eu x h eu res p lu s tar d .
Dep u is cette m in u te E d it h se la m en ta it su r la
séch eresse de cœ u r d es E st r a n ge !
« E n som m e, p en sa it-elle, rien n ’o b ligea it p o
sitivem en t Ch r istia n à cette cor vée. Certes, il
a u n e h au te id ée de ses d evoir s s o cia u x_ P o u r
r em p lir l ’un d ’e u x, il est p a r t i... P eu t-êtr e eû til p u s ’en d isp en ser ... M a is il a vou lu m on tr er
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q u ’il ne se p lier a it ja m a is a u x ca p r ices d ’u n e
fem m e... et il a fu i... »
La d ou a ir ièr e a va it p r ofité d u ve u va ge m o
m en tan é de sa p etite-fille p ar a llia n ce p ou r la
con vier à d éjeu n er . E d it h a va it fa it ap p el à tou te
sa force de .caractère p ou r arbor er u n a ir serein
quasi jo yeu x.
E lle exp r im a m êm e, à p lu sieu r s r ep rises, sa
joie de r etr ou ver u n peu de sa lib er té d ’an tan .
E lle le d it trop h au t; cela sen ta it les lar m es r é
cen tes.
I<a vie ille dam e lu i fit m ille ca joler ies, l’a cca
bla de com p lim en ts su r sa gr â ce, su r son tein t,
su r sa r o b e... p u is in cid em m en t d éclar a qu e
Ch r istian a va it l’h ab itu d e de s ’absen ter de
tem p s à a u tr e p ou r d eu x ou tr ois jou r s.
I l an n on çait u n e p a r tie de ch asse su scep
tib le de le r eten ir an d eh or s p en d an t q u ar an teh u it h eu res, et il r estait u n e sem ain e îl va ga b o n
der a tr a ver s b o is... P en d a n t ce tem p s, l ’in for
tu n ée Ch a r lott e a tten d a it vain em en t u n e lettr e
du vo ya ge u r ...
L ’a ïeu le n a r r a it volon tier s les d éboir es con
ju ga u x de la p r em ièr e M"'° d ’E st r a n ge, p our
en ga ger p eu t-êtr e la jeu n e E d it h à m on tr er
p lu s d ’h ab ileté d an s sa façon d ’a gir avec
Ch r istian .
I.e r ep as, in d iscu ta b lem en t sa vou r eu x, fu t un
su p p lice p ou r la p etite com tesse. E lle se r etira
le p lu s tôt p ossible sou s le p r ét ext e d ’aller faire
des em p lettes à Tou r n on . Ce n ’était p as tou t à
f«it 1111 m en son ge. La jeu n e fem m e était d évo
rée d u d ésir d ’en voyer , su r -le-ch am p , un t élé
gr a m m e à son m ar i, l ’a d ju r a n t de ne pas la la is
ser san s n ou velles.
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E lle p a r vin t à r en on cer à son p r ojet en
son gea n t :
« Ch r ist ia n sera effr a yé d ’abord , et sû r em en t
tr ès én er vé en su it e si je le r ela n ce d e la sor te.
Sa p r em ièr e fem m e éta it cou tu m ièr e de ces
r ap p els à l ’ord re, et elle l ’a ga ça it . »
Là -d essu s le r o ckin g-ch a ir cessa d e b a la n
cer. E d it h p leu r a it tou t à fa it.
Un r on flem en t d ’a u tom ob ile m on ta n t l ’a ve
n u e la fit su r sa u ter . E lle eu t u n in sta n t cette
id ée folle :
« Il r evien t !... »
— Bon jou r , ch ér ie ! cria u n e joyeu se vo ix fé
m in in e. J e vien s te p r ésen ter m a n ou velle m a
ch in e ! E lle est ch ic, n ’est-ce p as?
— Ah ! fit la com tesse à la fois d éçu e et r assé
r én ée. C ’est toi, Ch ou ch ou ? Qu elle bon n e idée
tu as eu e en ven a n t m e voir !
M"" J a n in e d e La u sier , Ch ou ch ou p ou r scs
in tim es, b on d issait d e la p etite .5 H . P . tou te
n eu ve et d on t elle éta it tr ès fière, cou r a it ver s
sa cou sin e et l ’em br assait fou gu eu sem en t.
C ’ét a it u n e gen t ille p etite p er son n e, assez
sem b lab le à M mo d ’E st r a n ge , en m oin s' b r u n ,
et su r tou t p lu s m od ern e. T r è s sp or t ive, bien
d écou p lée, sou p le com m e u n e fem m e p a n th èr e,
elle a va it d ’a d or a b les ye u x cla ir s, r ieu r s et ca n
did es.
M a lgr é leu r d iffér en ce de goû t s et d e ca r a c
tère, les d eu x cou sin es sym p a t h isa ien t fort.
Ch ou ch ou ju ge a it la com tesse pas assez « à la
p a ge ». Celle-ci t r ou va it la jeu n e fille tr op d é
sin volte d an s ses m an ières.
— Alo r s? fit ga îm en t la fem m e de Ch r istia n ,
h eu r eu se de voir ce visa ge a m i, t u vien s
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m ’éb lou ir p ar ton lu xe ? Mon on cle est d écid é
m en t u n p ère bien g é n é r e u x!... Il t ’a fa it là
un su p er be cad eau !
A p art soi, elle b én issa it le Ciel qu e Ch ou
ch ou , tr ès a b sor b ée p ar le p laisir d e se m on tr er
en ch a u ffeu r , n ’eû t p as e ii le tem p s de d evin er
son ch a gr in .
— Oh ! r ép on d it M n° d e La u sier en s ’asseya n t,
il a d ’abord cr ié p ou r le t r ip le d u p r ix, m on
ch er p apa ! H eu r eu sem en t, je sais com m en t a r r i
ver' à l ’a p a iser ... D ep u is h ier, j ’ai m on p er m is
de con d u ir e.
E lle écla ta it d ’or gu eil :
— J e n ’ai pas vou lu atten d r e u n e h eu r e de
p lu s p ou r ven ir te m on tr er le jo u jo u ... A côté d e
tes belles voitu r es, elle fa it u n peu ft p aren te
p a u vr e », m ais tou t le m on d e n ’a pas la ve in e d e
faire la con q u ête du n ab ab Ch r istia n d ’E st r a n ge.
J e ne su is p as ja lou se, t u sais. Il est su p er b e,
ton m ari, m ais il n ’est p as d u t o u t m on id éal.
J e lu i tr ou ve u n a ir ... sévèr e... p as com m od e et
Su rtou t trop vie u x jeu .
E lle s ’in ter r om p it n et, p ou r in ter r oger d r ô
lem en t :
— D is d on c, il n ’est p as ca ch é d er r ièr e un
arbr e ? .
— N on , fit E d it h , s'effor ça n t de rir e au ssi.
Il est p arti h ier , et r en tr er a a p r ès-d em a in ... j ’es
père !
-— O ù est-il a llé?
— Cu r ie u s e !... M on m ari s ’occu p e b eau cou p
des œ u vr es socia les d e n otre r égion . Ou lu i a va it
d em an d é u n e con fér en ce su r les Caisses a gr i
co les...
— C ’est tr ès beau ! s ’excla m a Ch ou ch ou .
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C O M T ESSE
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P en ser à des ch oses aussi gr a ve s a p r ès d eu x
m ois de m a r ia ge est m er veilleu x. I l est à m ettr e
sou s cloch e, n ion co u s in ... M a is p u isq u e te
voilà veu ve, je t ’em m èn e à la m aison . Mam an
n ’y est pas; elle or ga n ise les fêtes d u bap têm e
d e m ou tr oisièm e ne\ ?eu...
E d it h se m it à r ir e.
— T u t ’exp r im es a ler tem en t, fit-elle.
— Ou i ! je d éteste la b a n a lité. M. Sor eile
p r ét en d ...
E lle r ou git , b a fou illa , et se m it à tr acer des
cer cles su r le sol, a u m oyen d ’u n e b r in d ille de
b o is...
— E h b ien ? fit la com tesse, ta q u in e, tu
n ’a ch èves p oin t?
— Ma m od estie en sou ffr ir ait ! r ip osta d éli
b ér ém en t l ’in ter p ellée. C ’est un gar çon tr ès a i
m ab le, tu sais, ce jeu n e écr iva in . N ou s n ou s
som m es d écou ver t u n e quasi-par cn .té. Il est u n
p eu cou sin d e m on b ea u -fr èr e. Mam an est en
ch a n tée de con n a îtr e ce P a r isien . E lle com p te
le r eten ir d an s la r égion ju s q u ’à l’ar r ivée de la
fa m ille de m a sœ u r. Com m e cela , il ver r a R o
bert et r ap p eller a a vec lui de com m u n s sou ve
n irs de collège.
— Vr a im en t ? fit E d ith légèr em en t r ailleu se.
La fille ca d ette du gén ér a l de La u sier p ossé
d ait au p lu s h au t p oin t l ’art d e .se d érober lorsq u ’on ten tait d e lui a r r a ch er ses con fid en ces.
E lle r ép liq u a , gr a vem en t :
— M . Sor eile t r a va ille à un rom an . Il est,
d it-on , a d m ir a b lem en t d ou é p ou r les lettr es, et
011 lui p r éd it un glo r ie u x a ven ir . Il d em eu r e à
Va len ce q u elq u es sem ain es en cor e p ou r bien étu
d ier la con tr ée. Il com p te loger son in t r igu e
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d an s la r égio n ... Il d oit m e d on n er u n r ôle d an s
son h istoir e, m ais cela ne m e p la ît p a s. Il tien t
à m e d ép ein d r e com m e je su is exa ct em en t ... et
j ’a u r a is d ésiré êtr e rou sse a vec des ye u x ve r t s...
il s ’y op p ose, je n e su is p as con ten te !
— Si les tien s lu i p la isen t, p ou rqu oi ch a n ger ?
r ép liq u a E d it h de p lu s en p lu s a m u sée... T e
voilà d even u e u n e in sp ir a tr ice, u n e m u se ! M es
com p lim en ts.
Ch ou ch ou eu t le tr iom p h e m odeste.
— T u in tér esses éga lem en t le r om a n cier , fite lle ... Ch r istia n au ssi. M. Sor elle p r éten d
n ’avoir jam a is vu u n e m aison com m e la vôtr e,
n i d es p assion n an ts p er son n a ges tels q u e vou s
tou s ici. Il n i’a con fié l ’au tr e soir :
« Cer ta in em en t, Cla r ev ist c et ses h ab ita n ts
on t une h istoir e. »
Q u ’as-tu r ép on d u ? d em an d a E d it h in fin i
m en t d iver tie.
J ’ai d it : M ais ou i, M on sieu r , ils en on t
u n e, la p lu s sim p le et la p lu s jolie. I ls se vir en t
au b a l, ch ez n ou s; m a cou sin e éta it en rose.
E lle p lu t au com te; il la ch ar m a; ils se le d ir en t
et on les fian ça. Un m ois p lu s ta r d , m on père
con d u isa it E d it h à l ’a u t e l... et d ep u is ils
s ’a im en t ...
La com tesse a ttir a ver s elle la t êt e éb ou r iffée
de sa p etite cou sin e et l’em brassa.
— Vin gt ! p ou r la r ép on se de l ’élève Ch o u
ch ou , cria gaîm en t M 11" de La u sicr . Cette en fa n t
est 1111 p h én om èn e d e ta ct et de bon sen s ! il ’estce jias?
— Cer tes ! assu ra la jeu n e fem m e d ’un air
n a vr é.
Sa con fid en te la d é visa ge a ...
�44
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— Com m en t, tu sou p ir es?... Q u ’y a -t -il?...
tu m e p a r a is bien con tr istée? P a u vr e Ar ia n e,
te voilà seu le et d ésem p ar ée. A qu oi p ou r r ais-tu
bien em p loyer ta s o lit u d e ?... Vo yo n s, ch er ch on s
ensem ble.-.. A r an ger les a r m oir es?... N o n ! cela
est d u ressor t d e la h o u sek èep er . T u lis des
r o m a n s?... P a s d a va n t a ge ! le tien est t elle
m en t p lu s beau ! T u p ian otes, a lo r s?... P a r
don , tu jou es d u p ian o? Non p lu s !... A qu oi
b on , d ’a illeu r s, le bien -aim é est en vo ya ge ! ce
ser ait r id icu le d e d ép loyer tes talen ts p our les
m u r a illes... Alor s tu écou tes ch ar ita b lem en t le
r écit d es fêtes m ir ob olan tes où b r illa ..., sous
l’E m p ir e, ta ch èr e m ère-gr an d ?
— A p eu p r ès, con fia E d it h . J ’ai d éjeu n é ch ez
elle a u jo u r d ’h u i.
Ch ou ch ou la con sid ér a d ’un a ir cu r ieu x.
— Le rôti éta it b r û lé? La crèm e tou rn ée?
le vin a igr e ?... C ’est d on c ce la ... J e me d isais
a iu i&... T u fais u n e m in e d é co n fit e !...
— M a is ..., in ter cala sa cou sin e.
— Ah ! je t ’ad m ir e d e p ou voir d em eu r er en
tête à tête a vec ton a ïe u le ... T u sais, elle a P air
r éfr igér a n t en d ia b le ... C ’est bien sim p le, elle
m e gla ce ... E lle a été d ét esta b le en ver s ton
m ar i, ja d is...
— Com m en t le sais-tu ? in ter r ogea vivem en t
la com tesse.
— Le Dr d e Com b arou sse l ’a d it à p apa.
Il p araît un p eu b ou led ogu e, ce m éd ecin , m ais
c ’est u n am i d évou é. Il a b ea u cou p va n t é Ch r is
tian à M. So r elle... Alo r s, J a cq u es...
— Tie n s , tien s, te voilà bien fa m ilièr e.
Ch ou ch ou baissa la tête.
— J e p ou rrai le n om m er a in si... b ien tôt, je
�LA CO M TE SSE E D I T H
45
crois, con fessa -t-elle, d ’u n a ir co n fu s... N ou s
n ou s p laison s; du m oin s je le trou ve tr ès à m on
goû t. J e p en se n e p as lu i êtr e in d iffér en te, m ais
il ne m ’a rien d it ... Il n ’y a d on c rien d 'offi
cie u x... n éan m oin s j ’esp èr e...
E lle r ou git d e p lu s b elle.
— T u ne lâ ch er a s pas m on secr et? con clu telle, d ’u n p etit ton su p p lia n t.
— Sois t r a n q u ille, je ga r d er a i tou esp oir p ou r
m oi se u le ... en sou h a ita n t le voir d even ir u n e
belle r éalité. J ’ai r en con tr é d eu x fois M . Sol'elle; il n i’a p aru tr ès sym p a t h iq u e.
— Vr a i? .,, o h ! a lor s tu serais u n am ou r de
l ’in vit er . Il m eu r t d ’en vie de r even ir à Cla r cv is t e ... et n ’ose pas se p r ésen ter à ta p orte. Il
vou s con n a ît à p ein e. Ch r istia n a l ’air de vo u
loir esp acer son am i Com b a r ou sse p ar lequ el J a c
qu es fu t am en é céan s, p ou r la p r em ièr e fo is...
I l lui est d on c d ifficile de vou s fair e u n e n ou
velle visite.
Gen t ille , elle in sista :
— J e t ’en p rie, m a p etite E d it h , vie-us d în er
à la m aison . T u es seu le, tu t ’en n u ies, tu ver
r a s... M. Sor elle. T u d ir a s b ea u cou p de bien
de lu i à p ap a. Dem ain tu souffler as à ton m ar i
de va n ter le r om a n cier en h er be p ou r lequ el je
n ou r ris un ten d r e p en ch a n t ... Il gob e én or m é
m en t ton é p o u x, 1110« gén ér a l d e p èr e... Il tr ou ve
n a vr a n t q u ’il ait d on n é sa d ém ission ...
Ta com tesse in ter r om p it b r u sq u em en t :
— P a r lon s d ’au tr e ch ose, ve u x-t u ?
La jeu n e fille se m or d it la la n gu e. E lle son
gea , con fu se :
« J e su is p ar tr op stu p id e d ’a voir r ap p elé cette
b elle m a n œ u vr e d u e à la p r em ièr e fem m e de
�46
LA
C O M T ESSE
E D IT H
Ch r istia n . Cela froisse E d it h sû r em en t... J e su is
a b su r d e... »
Dan s l ’esp oir d e cr éer u n e d iver sion , l’éccrvelée r ep ar tit sa n s tr a n sition :
— J ’a llais ou b lier de te tr a n sm ettre u n e re
q u ête de papa. C ’éta it ad ressé à ton m ar i, m ais
tu p ou r r a s p eu t-êtr e le r em p lacer . Vou d r iezr vou s
n ou s con fier , tem p o-ai r em en t, u n bou q u in d ’h is
t o ir e ?... a t ten d s... J ’ai écr it le titr e su r un p a
p ier ... E h b ien , q u ’ai-je fait d e m on s a c? ... je
l ’ai sû r em en t em p or té.
E d it h sou p çon n a le r ét icu le de se p rom en er
d an s la p och e de J acqu es. Cela lu i r ap p ela it
q u elq u es p ér ip éties de ses fia n ça illes. U n flot
d ’a tten d rissem en t serra sa go r ge. Ch ou ch ou lu i
p a r u t d élicieu se, u n peu tr op p u ér ile, m ais si
gen tille. P ou r un r ien , e lle *l’eû t em brassée.
— N e ch er ch e p as d a va n t a ge, dit la com tesse
en r ép r im an t un sou r ir e. E n lisa n t les titr es des
volu m es tu te r ap p eller as celu i q u i t ’in tér esse.
— J ’ava is m on sac, je t ’assu r e, r ép éta la jeu n e
fille, extr êm em en t gên ée.
— T u le r etr ou ver a s cer t a in em en t ... Vie n s
à la m aison .
E lle s p én étr èr en t d an s la b ib lioth èq u e, san c
tu a ir e p erson n el d u com te d ’E st r a n ge. Des li
vr es, a u x r eliu r es p r écieu ses, m etta ien t des
lu eu r s d orées su r les m u r s. Un im m en se bu r eau
Lo u is X I V a u x lign es m a gn ifiq u es occu p ait le
cen tr e de la p ièce. Au m ilieu des p a p ier s am on
celés, u n e gr a n d e p h otogr a p h ie d ’E d it h se d r es
sait au p r ès d ’u n e b u ir e d e Ven ise dan s la q u elle
u n e rose r ou ge a ch eva it de s ’effeu iller .
— T u es h eu r eu se, m u r m u r a Ch ou ch ou d ’nne
vo ix r ecu eillie.
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
47
E lle p en sait à J acqu es.
M"'° d ’E st r a n ge r ép on d it « oui » et b r u sq u e
m ent eu t d e n ou veau d es lar m es a u bor d d es
p a u p ièr es.
— Vo ici n os collection s h istor iq u es, d it-elle
en s ’effor çan t de con ser ver u n ton in d iffér en t.
Ve u x-t u r ega r d er si tu t r o u ves q u elq u e ch ose?
M llc de La u sier com m en ça ses r ech er ch es, en
se r ép étan t à p a r t soi : « Si je su is u n jo u r la
fem m e de J acqu es, il aura au ssi m on p ortrait
su r son b u r ea u ».
Cep en d a n t, E d it h er r a it d an s la va ste p ièce
en p r om en an t a u tou r d ’elle u n r ega r d d istr a it.
P ou r q u oi la vieille com tesse a va it-elle d it :
« Ces vo ya ge s de Ch r ist ia n d ésolaien t Ch a r
lotte, p ar leu r im p r évu . »
— Vou s a vez u n e m asse (le b ou q u in s, d éclar a
sou d ain le sop ran o a igu de Ch ou ch ou . La p lu
part des r a yon s d e ces vit r in es son t d ou bles.
T ie n s ! Q u ’est-ce là ? ... U n livr e de sou ven ir s...
1! est ferm é à cle f... Oh ! la m er veilleu se r eliu r e !
Celt e excla m a tion a ttir a sa cou sin e. Cach é
d er r ière u n e r a n gée d e volu m es de V H is t o ir e du
t ^ n t iu ed o c, M "c d e La u sier a va it d éco u ver t une
sorte d ’a lb u m r elié en m ar oq u in rose étein t,
clos p ar u n e m in u scu le ser ru r e d ’or. Su r la
p la q u e étaien t gr a vé s ces m ots, en m an ière de
d evise :
D u p a y s d u r êv e. E t r a n g èr e ici.
— Vo yo n s, lit M “"’ d ’E st r a n ge.
Sou s ses d oigts, le secret d e la fer m etu r e jou a .
Des p a ges cou ver t es d ’u n e écr it u r e m en u e, h a
ch ée, a p p a r u r en t . E lle lu t les p r em ièr es lign es,
d evin t éca r la t e, p u is t ou te p âle.
— Q u ’est-ce? q u estion n a Ch ou ch ou .
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LA
C O M T ESSE
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—
R ie n ... d e s... d es... p oésies co p iées... san s
in t é r ê t ... M a is je t ’en p r ie, ch er ch e ton livr e.
I l est ta r d , le th é d oit n ou s a tten d r e.
La jeu n e fille s ’em p r essa. U n e b ou ffée de sa n g
a u x jou es, la com tesse se r em it à feu illeter le
ca h ier . Des n om s fa m ilier s d éfilèr en t d eva n t ses
ye u x :
« Ch r ist ia n , gr a n d ’m èr e... Cla r e v is lc... Com barou sse. »
Le cœ u r b a t t a n t , E d ith d éch iffr a ces m ots :
« Mon m ari est p a r t i... I l ne sait p as tou t le
m al q u ’il m e ca u se ... »
C ’éta it le jou r n a l de la p r em ièr e M ,no d ’Est r a n ge !
P ou r p r e d e h on te, m a is in ca p a b le à p r ésen t
d e r efr én er le d ésir de sa voir , la secon d e fem m e
de Ch r istia n l ’em p or t a ...
V
La su r p r ise d u com te fu t in d icib le, lorsq u e,
r en tr a n t à Cla r ev ist e a ve c la sa t isfa ction du d e
voir accom p li et la p er sp ective d ’êtr e a ccu eilli
p ar le p lu s e xq u is d es sou r ir es, il se tr ou va fa ce
à fa ce a vec P a u l d e Com b arou sse.
Da n s tou te la m aison r égn a it ce d ésar roi
cau sé p ar u n e m alad ie sou d ain e. E t r e in t par
u n e fr a yeu r atr oce, le jeu n e h om m e b a lb u t ia
— E d it h ! M on Dieu ! q u e lu i est-il a r r ivé?
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
44
Ave c u n e sér én ité p a r fa it e, le d octeu r a r t i
cu la :
—■Bon soir , Ch r ist ia n ! On ne t ’a tten d ait pas
aussi t ô t ... M a is r assu re-toi, m on ch er , tu ea
livid e. T a fem m e se p orte p a r fa item en t. E llo
m ’a fait ap p eler p ou r ta gr a n d ’m ère, b r u sq u e
m en t r ep rise p ar ses crises» h ép a tiq u es. Ce 11’cst
Pas gr a ve cette fois, m ais extr êm em en t d ou
lou r eu x.
— Bien ! fit le com te, tou t à fa it rassérén é,
san s m êm e son ger com bien son excla m a t ion était
d ésob ligea n te p ou r la d ou a ir ièr e... J ’ai eu vr a i
m en t p eu r.
Son con d iscip le le r ega r d a , u n e cer t ain e iro
n ie d an s ses p r u n elles ch an gea n tes.
— J e n e t ’a u r a is p as cr u au ssi ém otif. T u éta is
t r ès d iffér en t, a u tr efois. Le s h om m es va r ie n t ...
c est ext r a o r d in a ir e...
Il eu t u n p etit r ir e m éch a n t.
Qu oi q u ’il en soit, p o u r su ivit -il, m e voici
o b ligé a t ’im p oser m a p r ésen ce... ce so ir ... d e
m ain p eu t-êtr e. La com tesse E d ith m ’a d em an d é
de rester ju s q u ’à la fin d e la crise. E lle 11’a va it
jam a is vu de m alad e. To n a ïeu le l ’a ép ou va n tée.
In t ér ieu r em en t, Ch r ist ia n s ’acca b la de r ep ro
ch es, en p en san t :
« P a u vr e p e t it e ! Si j ’a va is p u d evin er , je ne
serais p oin t p a r t i... »
l'ou t h a u t , il p r on on ça le p lu s a im a b lem en t
p o s s ib le :
— J e te su is tr ès r econ n aissan t d e t ’êtr e d é
r an gé, m on ch er. Ave c toi, n otre m alad e sera
vite r éta blie.
— D a m e ! fit l ’a u tr e de son tou ir on iq u e. J e
n e p u is la tu er p ou r te fa ir e p la isir . E lle est so-
�50
LA
C O M T ESSE
E D IT H
«»
lid e m a lgr é son h ygiè n e d ép lor a b le... T u n ’es
pas en cor e eu p ossession de tou t ton h ér it a ge ...
D ’u n p eu h a u t, Ch r istia n r ép liq u a :
— C ’est u n gen r e d e p laisan ter ie d on t je ne
su is p as fa n a tiq u e. P er m ets-m oi d e te p rier de
l ’é vit e r ... désorm ais.
— J e ne m ’am u se pas du tou t, je m ’exp r im e
sér ieu sem en t, r ep ar tit Com b arou sse gr a vem en t .
N ou s som m es d ’a n cien s cam arad es, m on vie u x,
je con n ais ta fa m ille d ep u is t o u jo u r s... et au ssi
tes d ifficu ltés a vec les tien s. .Si tu sou h a ita is la
d isp ar ition de t a p seu d o-gr a n d ’m ère, tu en a u
r a is le d r oit. E lle t ’a cau sé bien d u m a l... e t ...
Il cessa de p a r ler , E d it h tr a ver sa n t le h all.
E lle eu t u n m ou vem en t in st in ct if p ou r cou r ir
à son m ar i, m ais le r ép rim a so u d a in ... s ’arr êta
et p âlit.
P a u l de Com barou sse l’ob ser vait ’ a vec u n e
a tten tion in ten se. Un sou r ir e n ar q u ois plissa
im p er cep t ib lem en t sa lèvr e. Sa n s m ot d ir e, il
s ’in clin a d evan t la com tesse et q u itta la p ièce.
Ch r ist ia n s ’a tten d a it à r ecevoir sa fem m e d an s
ses bras. Un sou r ir e h eu r eu x illu m in a it tou t son
visa ge.
11 p loya sa h au te ta ille svelte p ou r b a iser la
p etite m ain in erte posée su r la robe cla ir e, et vit
la figu r e d ’E d it h se con tr a ct er .
— M a ch ér ie, d it-il a vec u n e in fin ie ten d resse.
Com m e je su is d ésolé d e n ’a voir p as été là au
m om en t d e la cr is e... Vo u s a vez eu gr a n d ’p e u r ?...
E lle fixa su r lu i d es ye u x a n goissés, et se
r a id it en sen ta n t la m ain de son m ari se poser
su r son ép a u le.
— O u i, d it-elle en fin . J ’ai été tou te secou ée.
�I
LA
C O M T ESSE
E D IT H
5*
E t , fon d an t en sa n glot s, elle gém it :
— P ou r q u oi ctes-vou s p a r ti? p ou r q u oi m ’avez*
vou s laissée? Si vou s a viez été là ...
Il la cr u t b ou lever sée p ar la m alad ie de la
vieille dam e, m ais cet en fa n t illa ge n e lu i cau sa
p oin t d ’im p a tien ce, au con tr a ir e. E lle lu i p a r u t
si d élicieu sem en t tou ch a n te, cette n ou velle
E d it h , p ressée con tr e lu i...
Dou cem en t, il s ’effor ça d e la ca lm er , san s
tou tefois p ar ven ir à com p r en d re p ou r q u elles
raison s elle a va it p u êtr e au ssi t r ou b lée. La
d ou air ièr e n ’éta it pas assez affab le p our p r ovo
qu er u n e telle com p assion .
La jeu n e fem m e se laissait b er cer d an s les
b r as ten d r es et forts de -son m ari en se r ép étan t
in tér ieu r em en t, d ésesp érée, im p u issa n te à r eten ir
son ch agr in :
« Ce n ’est pas vr a i... j ’ai m al lu ... oh ! p ou r
quoi ai-je ou ver t ce ca h ier ! s ’il éta it d em eu r é
au p r ès de m oi !... »
— Ma p a u vr e ch ér ie, m u r m u r a it le com te à
bou t de p aroles con solan tes, je n e vou d r a is p as
vou s tou r m en ter p a r m es q u estion s, cep en d a n t
votr e éta t m e ren d fou. M a gr a n d ’m ère est-elle
seu le cau se d e vot r e d étresse?
— Oh ! n on , l>albutia E d it h . C ’e st -à -d u e... je
su is p ein ée d e la voir so u ffr ir ... m a is...
— Alo r s , je su is le seu l cou p a b le?
De n ou vea u les tr a its de la jeu n e fem m e se
cr isp èr en t d ’an goisse. E lle lu i ser ra le p oign et
a vec violen ce.
— N o n ! n o n !... p as vo u s ... m on a m ou r ...
mon seul b ien ...
Dan:, u n d élu ge d e larm es, elle e xh a la :
— Ce n ’est p as p o ssib le...
i
�52
LA
C O M T E SSE
E D IT H
Le com te eu t sou d ain cette idée :
« E n m on absen ce, gr a n d ’m èr c lu i a d it du
m al de m oi. E lle s ’éta it h a b itu ée A cela ja d is,
a vec Ch a r lott e ! »
Les ye u x b r u n s si d ou x u n e m in u te a u p a r a
va n t r ed evin r en t b r illa n t s et d u r s com m e des
d ia m a n ts n oirs. F u r ie u x, il son gea :
« Ah ! m ais, je ferai cesser cette façon d ’a gir .
On a br isé m a car r ièr e, je ne laisser a i pas d é
tr u ir e m on bon h eu r. »
Il r éfléch it en core.
E d it h ta m p on n a it ses p a u p ièr es de son m in u s
cu le m ou ch oir d e soie. E lle vo u la it ch asser
l ’h or rib le p en sée d on t son esp r it d em eu r ait
h a n té d ep u is la d écou ver te d u car n et rose. Cer
ta in em en t elle s ’éta it t r om p ée... E lle a va it m al
com p r is les ter m es de la con fession jou r n a lièr e
d e la p r em ièr e M m* d ’E s t r a n ge ... Ch r istia n
n ’ét a it p as cr u e l... E t p u is il éta it r e ve n u ... il
ét a it là ... elle se r ép éta it :
« Il est b on , fid èle, loya l en tr e t o u s... p ou r
q u oi m e tou r m en ter a is-je? »
E lle se laissa a ller con tr e lu i a vec le geste
du n a u fr a gé a ccr och é à u n e bou ée et b r u sq u e
m en t t r essa illit en en ten d a n t la vo ix m u sica le
et p ou r ta n t im p ér ieu se d u com te in ter r oger :
— Q u e lq u ’u n vou s a fa it du ch a gr in , E d it h ? ...
Q u i est-ce?
De n ou vea u l ’affr eu se vision p assa d eva n t les
ye u x d e la jeu n e fem m e. Les car a ctèr es tracés
su r la p a ge b la n ch e d u ca h ier m yst ér ieu x
d an sèr en t d an s sa m ém oir e. E lle se d éga gea ,
p â lissa n t d e n ou vea u .
— J e ne m e su is p as tr om p é, r ep r it M . d ’E s
tr a n ge a vec l ’im p r ession p én ib le q u ’u n évén e-
»
�LA
C O M T ESSE
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53
m en t gr a ve s ’ét a ii accom p li p en d an t son ab
sence.
E d ith su p p lia , l ’a ccen t d étim b ré :
— Ta isez-vou s, par gr â ce !
— Rép on d ez-m oi, je le ve u x, ord on n a le
com te, d ’u n ton en core ign or é d ’elle. Com p r e
nez-m oi bien . J ’ai la sen sation atr oce qu e notre
bon h eu r d ép en d r a de vo t r e... sin cér ité. Ditesm oi tou t, a yez con fia n ce... On vou s a p eu t-êtr e
débité d es m en son ges?...
E a p etite com tesse serra les lèvr es et ne r é
pon d it p oin t.
— Vo yo n s? q u estion n a de n ou vea u le m alh eu
r eu x Ch r ist ia n ... êtes-vou s cer tain e de m a ten
dresse? Sen tez-vou s à qu el p oin t vou s rem p lissez
m on cceu r ? E tes-vou s sftrc d e m a con sta n ce?
Oh ! oui ! s ’écria la jeu n e fem m e a vec une
con viction absolu e.
Le com te, éton n é, ne com p r en a n t p lu s rien à
1 a ffolem en t de sa com p a gn e, ne posa a u cu n e
qu estion .
A part lu i, il son gea :
(< Mais alor s, d ’oül vien t son éloign em en t ...
sa r ép u lsion p r esq u e?... »
La d ou a ir ièr e tr iom p h a it, Sa volon té a va it
su p p lan té celle de son in flexib le p etit-fils. P au l
(lc Com barou sse était m ain ten an t l’h ôte de Clare v is le .
A la vér ité, il se m on tr a it le m oin s en com
br an t, le p lu s d iscret d es com m en sa u x. Il ne sor
tait gu èr e de sa ch am b r e, tr a va illa it du m atin au
soir et cir cu la it d an s le ch âteau seu lem en t a u x
h eu res où sa m alad e le r éclam ait il sou ch evet.
U ne rech ci v.f'it en rien la société d e Ch r is
�si
LA
C O M T ESSE
E D IT H
tia n et p a r a issa it p r esqu e d ésir eu x de fu ir le
ch âtclr .iu . Vo ya n t ceci, le com te r ed ou bla d e
cou r toisie à son en d r oit, s ’effor ça d e se m on tr er
a im a b le et s ’ap p liq u a à lu i r en d r e le séjou r d e
sa m aison le p lu s a gr éa b le p ossib le. P ou r ta n t
Dieu sait s’il ép r ou va it p eu d e sym p at h ie p ou r
son an cien cam arad e.
De «on côté, Com b arou sse affich ait des air s
r ogu es, s ’exp r im a it san s a ffa b ilité, et se m on
t r a it en tou tes ch oses p a r fa item en t d ésa gr éa b le.
Si les d eu x h om m es n ’a va ien t ap p ar ten u au
m êm e r a n g social on a u r a it p u cr oir e le m éd ecin
secrètem en t ja lo u x de so n 'ca m a r a d e d ’en fan ce.
Ch r istia n éta it si r ich e, si éléga n t , si p h ysiq u e
m en t p a r fa it; il a va it eu tellem en t de su ccès \
m on d a in s, Com b arou sse a u r a it pu en p ren d re
om br age. M a is, com m e le d octeu r , éta it é ga le
m en t favor isé p ar les don s de la for tu n e; p u is
q u ’il p ou vait vivr e san s exer cer sa profession
et t r a va iller d an s son lab or atoir e à d es r ech er
ch es coû teu ses, on était ob ligé d ’écar ter tou te
id ée d ’en vie et d ’exp liq u er p ar u n e fâ ch eu se d is
p osition de ca r a ctèr e les h u m eu r s m au ssad es
d on t il Taisait p r eu ve à tou t m om en t.
Dan s le m êm e tem p s, J acqu es Sor ellc a va it
été in vit é à Cla r ev isle a vec le gén ér al d e La u sicr et la ch ar m an te Ch ou ch ou . Le r om an cier
eu t la su r p r ise d e p er cevoir u n ch an gem en t vé
r it a b le d an s cette dem eu re q u a lifiée ja d is par
lu i : « l ’asile du b on h eu r ».
Cep en d a n t rien n ’éta it m od ifié d ep u is la p r e
m ière visite. La p etite com tesse m on tr a it tou
jou r s sa gr â ce sou r ia n te; m ais lor sq u e ses ye u x
se p osaien t su r son m ar i, c ’éta it a vec u n e lu eu r
étr a n ge, faite de cr a in te et de d ou leu r .
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
55
De son côt é, le com te p araissait éton n é. Il
r ega r d a it E d it h a vec u n e su r p r ise a n goissée,
et sem blait d ire :
" Q u ’y a-t-il d on c, ch ez m o i?... je vis p arm i
les m ystèr es !... »
Au m ilieu de ce m alaise m oral, visib le seu le
m en t ppur u n ob ser va t eu r a t t en t if, la d ou air ièr e
éta la it son sou r ir e de sp h in x, sa t isfa it et cr u el.
Le gén ér al de La u sier ne s'a p er ceva it de rien .
• ’ou r lu i, la com tesse ne p ou va it m an qu er d ’êtr e
h eu reu se. Le vieil officier a d m ir a it Ch r istia n ,
le tr ou va it ép a tan t. Cla r ev isle éta it u n e m aison •
.bien ten u e, la ta ble d e sa n ièce fin em en t servie
ct Wen p ou r vu e; les p a r ties de b r id ge q u oti
d ien n es extr êm em en t in tér essan tes. To u t a llait
don c au m ieu x.
Qu a n t à Ch ou ch ou , elle a d m ir a it les tr ois
r a "g s de p erles de sa cou sin e. U n e fem m e gât ée
11e sau rait êtr e m alh eu r eu se; ct d an s son cœ u r
la jeu n e lille sou h a ita it a rd em m en t u n e félicité
Pareille
c e lle - d ’E d ith .
Cep en d a n t, Sofetle vo ya it le fossé s ’éla r gir
Cl>tre M . et M u,° d ’E st r a n ge. Un in sta n t il eu t
1in ten tion d ’in ter r oger le D r de Com b a r ou sse a
Ce su jet. Mais, ap rès r éflexion , il s ’a b stin t.
1 n jou r , il con fia à M 110 de La u sier :
~ Vos cou sin s sont ch a r m a n t s... m ais ne vou s
Sem ble-t-il pas n a vr a n t de voir leu r lu n e de m iel
0,1 tr ain de fon d re?
Ch ou ch ou o u vr it de gr a n d s ye u x.
E n voilà u n e id ée ! s ’écria -t-elle. Si vou s
*viez pu le voir a tta ch er le collier d e sa fem m e,
vou s le lr<» iveriez ge n t il... P ou r m a p a r t, je le
ju ge d élicieu x.
- Ta n t m ieu x si je m e tr om p e, r étor qu a le
�56
I ,A
C O M T lîv SSR
E D IT H
iittéra'.on r J e ju r er a is p ou r tan t qu e M""’ d ’Est r a n gj n ’a pas la m êm e exp r ession d e p h ysio
nom ie. E lle p araît com m e effr a yée.
Chotu'Vion écla ta de r ir e.
— Ch r istia n est ja lo u x com m e un t igr e, ditelle, et '.-’est la fa u te de la d ou a ir ièr e. E lle a fait
se m b la a I d 'a vo ir u n e cr ise p en d an t le vo ya ge
de m on cou sin , p ou r ap p eler son ch er d oct eu r ...
Cet t e m alad ie éta it u n e frim e, p a r a ît-il; les d o
m estiq u es l’on t d it à m a fem m e d e ch am b r e,
m ais Ch r istia n ne s ’en d ou te p as; n ’a llez p as le
lu i r ép éter a u m oin s...
E lle s ’arr êta u n e secon d e, se r ega r d a d an s la
gla ce, se sou r it et con tin u a :
— Mon ter r ib le cou sin est e xclu s if au d elà d u
p er m is. Il n e p eu t su p p or ter la p r ésen ce de
t ier s en tr e sa fem m e et lu i... Alo r s vou s com
p r en ez l ’éta t de ses n er fs en r en con tr a n t à
ch a q u e m in u te le D r P a u l d an s cette m a ison ...
I ! d evien t p resqu e en r agé.
Ob ! s ’écria J acqu es, in cr éd u le, c ’est à ce
p oin t ?
— Ou i ! rit la p etite. Il pren d om b r a ge d e ce
sa va n t d ist r a it ... u n gr ogn on , et tou t à fa it
in ca p a b le de d istin gu er u n e fem m e b r u n e d ’u ile
blon d e. E d it h a d ’abord t r ou vé cela tr ès fla t
t eu r . M a in ten a n t, san s d ou te, elle en est lasse.
C ’est p ou r q u oi elle p a r a issa it tr iste ce soir ...
E t r e ad orée, cela va bien un m om en t, m ais tou s
les jou r s de la vie, cela d evien t fa s t id ie u x!...
JL,e jeu n e h om m e n ’in sist a p lu s. M lle d e I ,a li
sier d evait con n aîtr e à fon d les tr ois p er son
n a ges d on t elle p a r la it.. Il d it seu lem en t :
— Coin bar ou sse n ’a rien d e p ositivem en t en
ch a n t eu r , je le r econ n a is. Il a im e l ’étu d e, m ais
�L A CO M T E S S E E D I T H
57
croyez-m oi, cela ne l ’em p êch e p oin t de vivr e sut
la terre. Il cou r tise volon tier s la d am e d e p iq u e...
— Il est jou eu r ! s ’excla m a la jeu n e fille. J e ne
l’au r ais ja m a is su p p osé !... Il n ’assiste p as à nos
brid ges; papa le voit d ’u n m a u va is œ il à cau se
de cela.
— La p artie m on d ain e l ’assom m e, exp liq u a
J acques. Il n ’aim e p as jou er d a n s les salon s,
m ais il goû te fu r ieu sem en t le p oker . Il est
r ich e... et p eu t se p er m ettr e ce la ...
— J e ne le cr o ya is p oin t d an s u n e situ a tion
aisée. Il m èn e un tou t p etit t r a in ...
— Il a subi d ’én orm es p er tes à la r ou lette.
Der n ièrem en t en cor e, il a fa it u n e d iffér en ce
de vin gt-cin q m ille fr a n cs. P lu sieu r s ép r eu ves
sem b lab les... et la p a u vr eté a r r ive...
R êveu r , le r om an cier con clu t :
J e m e su is sou ven t d em an d é com m en t il
s y P r en a it p ou r vivr e à P a r is, san s rien fa ir e...
Car , vou s le sa vez, il ne d on n e p oin t de con su l
tation s et n ’a a u cu n e clien tèle.
M"°- de La u sie r r ip osta , gaîm en t :
— U fa it com m e il lu i p la ît, cela ne n ou s
in téresse p oin t. I\ e vou s o ccu p ez p as tou jou r s
de votre p r o ch a in ... a vec u n cu r ie u x com m e
v°u s, la vie n ’est p as p ossible. Vo u s ad orez conn aître l ’exist en ce des gen s. E st -ce p ou r leu r
fen d r e ser vice, au m oin s?
Qu a n d c ’est en m on p ou voir , je n ’y m an qu e
jam ais, affirm a J acqu es d ’un a ir sér ieu x.
— P a r fa it . Alo r s, q u an d E d it h et son ép ou x
seron t fa t igu és l ’u n de l ’a u tr e, je vou s a p p el
lerai p our les r écon cilier ; vou lez-vou s?
— A n ou s d e u x, volon tier s, p r om it Sor elle.
11 sou r ia it, m ais son op in ion d em eu r ait in va-
�r8
L A CO M T E S S E E D I T H
d a b le . Il en éta it sû r : il se p a ssa it a u ch â tea u
des ch oses m ystér ieu ses et in q u iét a n t es... Ces
gen s d on t il a d m ir a it jad is le b on h eu r tr iom
p h an t sou ffr a ien t d ’u n m al in visib le, m ais t er r i
blem en t cr u e l...
Le com te d ’E st r a n ge éta it fort m a lh eu r eu x.
I l ne p ou va it se le d issim u ler . E d it h s ’éloi
gn a it d e lu i. E lle saisissait les m oin d r es p r é
t e xt e s p our r efu ser de l ’a ccom p agn er qu an d il
sor tait. Ch a q u e fois q u ’il p én étr a it il l ’im p rovist e ch ez sa fem m e il la su r p r en a it s ’essu ya n t
les ye u x.
D ’abord in q u iet, il r ed ou bla d ’a ffection , lu i
m on tr a n t tou te la b on té q u ’u n êtr e fort p eu t
r éser ver a u x faib les. E n su it e, il s ’ir r ita.
Cet t e façon q u ’a va it E d it h d ’en fou ir p r éci
p itam m en t u n livr e d a n s son b u r ea u en le
vo ya n t en tr er l ’exa sp ér a it en lu i r ap p ela n t un
sou ven ir du passé.
Sa p r em ièr e fem m e a va it au ssi la m an ie d e
d em eu r er en fer m ée d es h eu r es en tièr es, en
tête à tête a vec un ca h ier d on t elle n oir cis
sait a vid em en t les p a ges. M a is en tr e cette
n eu r asth én iq u e d étr a q u ée, in su p p or ta b le et do
len te, et la b elle cr éa tu r e r em p lie de san té et
d ’éq u ilib r e, a u cu n e com p ar aison n ’ét a it pos
sib le,
Alo r s il p r it p atien ce, toléra cet en fa n t illa ge
a vec le secret esp oir de le voir cesser au bou t de
p eu de jou r s. Mais la jeu n e fem m e n e p a r u t pas
s ’a p er cevoir de la con tr a in te q u ’il s ’im p osait
p ou r m aîtr iser son ir r ita tion , et le r ecu l s ’a ccen
tu a de jou r en jou r .
J acqu es Sor elle a va it r aison .
�L A CO M TE SSE E D I T H
59
La lu n e de m iel de M. et M wo d ’E st r a n go tou
ch a it à son d er n ier q u a r tier.
L n m atin , le com te, d écid é à ob ten ir de
sa fem m e u n e exp lica t ion sin cèr e, en tr a
dan s le b ou d oir d ép en d a n t de l ’a p p ar tem en t
d ’E d ith .
Celle-ci ne l ’en ten d it p as s ’a p p r och er. Ave c
terreu r, elle vit la m ain d e son m ari s ’ab attr e
sur le livr e secret.
Dressée d ’u n seu l éla n , les ye u x fou s, la com
tesse lu i arr ach a le car n et. E lle ét a it exsa n gu e.
Ch r istian tr em bla d e cr a in te en la vo ya n t blêm e.
11 cr u t q u ’elle a lla it s ’éva n ou ir , et son m écon
ten tem en t tom ba, d ’u n seu l cou p .
■ Vo u s jou ez a vec m on cœ u r , d it-il, d an s un
gr a ve et p oign an t r ep roch e. C ’est m al ! Vo u s
voilà tou te ch a n gée en ver s m oi. Ai- je d on c
com m is qu elqu e a ction r ép r éh en sib le? Vo u s a i
le d ép lu ? J e n e sa u r a is su p p or ter vot r e a t t i
tu de p ]u s lon gtem p s. Mon a m ie, je vou s en
su p p lie, cessez ce jeu . Cer tes, je n ’ai p as le
m oins du m on d e l ’âm e tyr a n n iq u e, m ais, souven ez-vou s-en , j ’ai le d r oit de vou s p r ier d e m e
('ir e ... ce qu e vou s é cr ive z... et à q u elle de vo s ...
relation s s ’ad r essen t vos m issives.
—• J e n ’en voie p as d e lettr es, b a lb u t ia la jeu n e
fem m e, ser ran t le cah ier d an s ses m ain s tr em
blan tes.
— Alo r s? Qu el est ce ... m a n u scr it? d em an d a
le com te, à cen t lieu es de sou p çon n er la vér ité.
E lle le r ega r d a , d ’u n air de b ich e t r a q u ée, et
m u rm u ra :
— Ce n ’est p as à m oi... u n e... a m ie...
E lle sem b lait im p lor er la p itié. Bru squ em en t
al>aisé, il d it , a vec p lu s de d ou ceu r :
�‘ 6c
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— P ou r q u oi a vez-vou s p eu r de m oi? Vo u s ne
m ’aim ez d on c p lu s?
Un cri ja illit d es lèvr es de la m alh eu r eu se :
— ... Oh ! vou s voyez b ien qu e si ! J e ne p u is
p as m ’en em p êch er . J e ne sais p a s... J e...
c ’est vr a i, j ’a i... je su is ter r ifiée d evan t vo u s !
VI
M. et M mt' d ’E st r a n ge a ch eva ien t de d éjeu n er
d an s la sa lle à m an ger a u x ten tu r es flam an d es.
Le soleil filtr a it à tr a ver s les p er siem ies closes
et car essait de ses r ayon s le p arq u et m osaïqu é,
les p ièces d ’or fèvr er ie su r les d r essoir s et les
roses p ou r p r es d on t le cou ver t éta it jon ch é.
C ’ét a it d iscr ètem en t lu xu e u x, éléga n t , un peu
tr op r ech er ch é, m ais a gr éa b le à con tem p ler .
Assis eu lace l’un d e l’a u tr e, les ch â tela in s p a
r aissaien t m au ssades.
La com tesse ga r d a it ob stin ém en t ses ye u x
fixés su r la d en telle du n ap p eron , et son m ar i
étu d ia it les fleu rs de son assiette a vec u n e m in e
d ’en r a gé p r êt à m ord re.
« Q u ’ai-je fait p our cau ser 1111 p areil a ffole
m ent à cette m a lh eu r eu se? son gea it-il san s cesse.
C ’est o d ieu x d e voir con sta m m en t ce visa ge
ferm é. »
N éa n m oin s, et p a r h a b itu d e m on d ain e, ils
s ’a p p liq u a ien t à ém ettr e q u elq u es r éflexion s.
�—
éêb
ib s b
LA CO M T E S S E E D I T H
—
6
M a is, les r ép liq u es éch a n gées, l ’en tr etien retom
bait vite. Les d eu x ép o u x, absorbés p ar leur.,
pen sées in tim es, ne son gea ien t p oin t à rom p re le
silen ce.
Le d essert gr ign o t é, la jeu n e fem m e se leva.
Im p assible, m ais secrètem en t in t r igu é par l’a t t i
tu de n ou velle de ses m aîtr es, le m ajord om e
écarta le fa u t eu il.
Ch r istia n a tten d it u n e secon d e p ou r laisser
passer sa com p a gn e, p u is com m an d a :
— Ser vez le ca fé ch ez M a d a m e !
E d it h r ép r im a d e son m ie u x un m ou vem en t de
su r p r ise con tr ariée. Ave c u n e froid eu r d even u e
fréq u en te ch ez lu i, M. d ’E st r a n ge a jou t a , p oli :
— Vo u s p er m ettez, n ’est-ce p as?
Cer ta in em en t, r ép on d it-elle, san s le m oin
d re en th ou siasm e.
Un m ois p lu s tôt, elle a u r a it été r a vie d e ces
in sta n ts d ’in t im it é...
Les ch âtela in s p assèren t d a n s le bou d oir. E n
leu r ab sen ce, on a va it d ép osé le cou r r ier de la
com tesse su r u n gu ér id on .
E d ith ver sa le ca fé d an s la tasse de son m ari.
Deb ou t, u n e ciga r et t e a u x d oigts, le com te fixa it
d un œ il in q u isiteu r le p aqu et de cor r esp on
dan ce.
— J e vou s en p r ie, m a ch èr e, d it-il, ne vou s
occu p ez p as de m oi. Lise z vos let t r es... elles
son t p eu t-êtr e p ressées.
Ave c u n e p a r fa ite in d iffér en ce, d e cet air
reven u de tou t qui lu i éta it h a b it u el, E d ith
ép a r p illa ses en velop p es.
— Rien de p a ssion n an t, fit-elle... Qu elq u es
r éclam es de fou r n isseu r s... A h ! si, u n b illet de
Ch ou ch ou .
�62
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— C ’est u n d ocu m en t à p la cer d an s n os ar
ch ives, rem ar qu a Ch r istia n , les ye u x d ir igés
ver s les arb r es d u p a r c. Cette jeu n e p erson n e ne
me p a r a ît p oin t d isp osée à b r igu er le s lau rier s
de M"'° de Sé vigu é . E lle p r atiq u e de p r éfér en ce
les cou p s de télép h on e. E lle d éteste écr ir e, je
cr o is... E n cela, elle n e vou s r essem ble gu èr e.
— E n effet, a vou a M “e d ’E st r a n ge, gla cia le.
D ’u n œ il d istr a it, elle p a r cou r u t le m essage
de sa cou sin e. Au ssit ô t , u n e excla m a tion joyeu se
fu sa de ses lèvr es. Le com te se r etou r n a.
— Devin ez la m er veilleu se n ou velle? fit-elle
a vec u n e ga îté d on t il s ’éta it d ésaccou tu m é.
I l la r ega r d a , les ye u x in ter r oga teu r s, p u is,
sou r ia n t sou d ain :
— Ch ou ch ou est fian cée, d it-il.
— Com m en t le savez-vou s?
— Vo t r e in ton ation r a vie m e l ’a ap p ris.
Tou t es les fem m es son t en effer vescen ce à
l ’an n on ce d ’u n m ar iage. P ou r ta n t, n om bre
d ’en tr e elles ne tar d en t p oin t à r egr etter d ’avoir
a lién é tou te leu r lib er té.
I l sou p ir a, et d em an d a, aim able
— A quel h eu r eu x m ortel cette gen t ille en
fan t con sen t-elle le sacr ifice de son in d ép en
d an ce?
— Mon Dieu , m a cou sin e n ’a r ien d ’u n e vic
tim e, r ép liq u a la com tesse, au con tr a ir e, elle
n a ge d an s la joie. L ’élu est M . J acqu es Sor elle.
— L ’am i d e P a u l? C ’est u n ch a r m a n t ga r yon ,
et m a foi, j ’a p p r ou ve t o u t à fait M 11“ d e La u sier .
Us form er on t en sem ble 1111 cou p le d es m ieu x
assor tis. Ils s ’en ten d en t d éjà for t b ien , com m e
j ’ai pu m ’en r e n d r e . com p te à leu r d er n ièr e
visit e. Ils on t les m êm es goû t s, u n e m en ta lité
�I ,A CO M T E S S E E D I T H
63
id en tiq u e et u ltr a -m od er n e... I ls feron t uti
exce lle n t m én a ge.
J e su is con ten te de vou s en ten d r e parler
ain si, Ch r ist ia n , d it la jeu n e fem m e. J ’aim e énorm ém en t m a p etite cou sin e; son s scs allu r es ecervelées, elle a u n fon d tr ès sér ieu x. Si son fian cé
vou s a va it d ép lu , j ’en a u r a is été n a vr ée.
il se r ap p r och a vivem en t , aban d on n an t son
m asque de fr oid eu r d ista n te, et d em an d a, a d ou
cissan t la vo ix :
— Vo u s a vez d on c q u elq u efois en core en vie
d e nie faire p la isir ? J e n e m ’en a p er çois gu è r e ...
Ch ér ie ... a sseyez-vou s au p r ès de m oi, là, su r le
d iva n ... et d ites-m oi, d ou cem en t... tou t b a s...
qu elq u e ch ose de tr ès gen til.
E lle ne p u t résister d a va n t age a u x ye u x en
sor celeu r s de son m ari. En r ou gissa n t un p eu ,
elle ob éit et dem an da :
—- Qu e d ois-je d ire?
— Sim p lem en t ceci :
« J e 11’ai p lu s p eu r de vou s ! »
La jeu n e fem m e se r ecu la.
E d it h , m a ch ér ie, p ou r su ivit le com te,
q u ’est -ce?... vou s voilà b lêm e...
— Rien , b a lb u t ia la ch â t ela in e... rien d u t o u t ...
E lle se leva .
— O11 a frap p é à la p orte, je crois?
Il n ’eut pas le tem p s de rép on d r e; la d ou a i
rière a p p ar aissait sou s la p or tièr e de b r oca r t à
fleu rs d ’a r gen t . Cet t e figu re far d ée, im m ob ile,
où les p r u n elles lu isa ien t com m e des br aises,
était qu asi effr a ya n te.
M d ’E st r a n ge sen tit cr oîtr e son ir r ita tion .
N éa n m oin s, il m arch a cou r toisem en t a u -d evan t
de la visiteu se.
�64
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— J e vou s p r ésen te m es h om m ages,, gr a n d ’m ère, d it-il en tâ ch a n t de ne p oin t m on tr er son
d ép laisir.
U n sou r ir e crisp é lu i r ép on d it. La vieille
d am e lu i ten d it la m ain et d em an d a :
— J e vou s d ér a n ge p eu t -êtr e? J e m ’en excu se,
m ais j ’ai u n m ot à d ir e à vot r e fem m e.
— Su is-je de tr op ? d em an d a le com te, en
faisa n t un p as ver s la porte.
— P a s d u tou t ! C ’est in sign ifia n t . J e vou la is
sa voir si E d it h se p r op osait d ’a ller à Va len ce
ta n tôt. J e l ’au r ais a ccom p a gn ée p ou r offr ir m es
félicit a t ion s à la d élicieu se Ch ou ch ou . J e vien s
d e r ecevoir la com m u n ica tion officielle d e cet
h eu r eu x évén em en t.
E lle s ’a p p r och a d ’E d it h et con tin u a :
— M . Sor elle est le m ari sou h a ité p ou r vot r e
-.co u s in e. Il est fort bien . Il est l ’am i d e Com b a r o u sse... c ’est tou t d ir e.
«
— C ’est for t peu p ou r m oi, au con tr a ir e, cor r i
gea M . d ’E st r a n ge d u r em en t.
L ’atm osp h èr e éta it d éjà or a geu se, cette, ré
flexion a ccélér a la catastr op h e.
— Vo u s m e p er m ettr ez de p en ser com m e il
m e p la ît, j ’esp ère, ém it la d ou a ir ièr e d ’u n ton
a cer b e. Cette lib er té, d u m oin s, vou s n e p ou vez
m e l ’en lever .
C ’éta it u n e a llu sion a u x d iam an ts d on t la
d ou a ir ièr e a va it été d ép osséd ée au m om en t du
m ar iage de son b ea u -p etit-fils.
U n e flam m e p ou r p r e in cen d ia le visa ge du
com te. I l se m or d it les lèvr es, m ais ne r ép li
qu a rien .
Em b a r r a ssée, E d it h ten t a de p la cer u n e
p h r ase :
�'
LA
C O M T ESSE
E D IT H
65
— J e vien s m oi-m êm e d ’a p p r en d r e la n ou
velle, com m en ça -t-elle, Ch ou ch ou est folle d e
joie.
L ’a ïeu le in ter ca la , d ist illa n t ses m ots :
— Cela m e cau se u n réel p la isir . Il est si’ rare
de voir d es gen s h eu r eu x.
Le s ye u x m éch a n ts fixé s su r la p et it e com
tesse sem b laien t a jou ter : « J e p a r le p ou r M"° de
La u sier . »
E xa sp ér é, in ca p a b le de se con ten ir , Ch r ist ia n
lan ça d u r em en t :
— E t lor sq u ’on en r en con tr e, on s ’am u se sou
ven t à les tor tu r er . J e sou h a ite à Sor elle et à sa
fian cée d e ne ja m a is con n a îtr e ce gen r e d ’am is
d évou és, h a b iles.à d ésu n ir les m én ages.
— Vo u s p a r lez p ou r le vôt r e? in ter r ogea la
gr a n d m ère a vec u n rir e in solen t.
Ave c 1111 r egar d cr u el, elle a jou ta :
— Leq u el?
Le com te p â lit ju s q u ’a u x lèvr es. I l crisp a
sa m ain su r le rebord d e la ta b le p ou r r eten ir
un geste de violen ce. Au p r ix d ’u n effor t ter
r ib le, il p a r vin t à p r on on cer fr oid em en t :
— Qu i a vez-vou s l ’in ten tion d e fair e sou ffr ir
en én on çan t cette q u estion ? M a fem m e ou m oi?
Si c ’est m oi, cela est d e p eu d ’im p or ta n ce. Si
c est elle, je n e le su p p or ter a i pas.
— Vo u s vo ilà d even u bien sen sible ! jeta la
veu ve du com te G u y, jou issa n t a ve c vo lu p t é
des d r oits con fér és p ar son â ge et son sexe_
Du tem p s d e Ch a r lo t t e ...
E d it h d evin t éca r la t e. E lle a u r a it d on n é tou t
au m on d e p ou r a r r êter le d éb a t, et sen ta it
d ’a va n ce l ’in u t ilit é d ’essayer .
Qu a n t i\ Ch r ist ia n , il com p r it q u ’il n e p ou r 2 4 8 -111
�66
LA
C O M T ESSE
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r a it sc m a îtr iser p lu s lon gtem p s. D u ton dont
011 tr a n sm et u n or d r e, il a r t icu la :
— J e vou s sau r ais u n gr é in fin i de ch a n ger de
con ver sa tion . Ce n ’est p as m on tr er b ea u cou p de
ta ct q u ’évoq u er d eva n t m a fem m e 1111 sou ven ir
qu i lu i est cer tain em en t d ésa gr éa b le... E n ou tre,
ce th èm e est for t d ou lou r eu x p ou r m oi. Cela 11e
vou s tou ch e gu èr e, je le sais; je vou s prie ce
p en d an t d e ga r d er vo s ... in sin u a tion s p ar d ever s
vo u s ... Un e p r em ièr e fois, vou s a vez or ien té
m on exist en ce en m e leu r r a n t d e prom esses
fau sses. Soi-d isa n t, si je con sen ta is à ch oisir
vot r e jeu n e am ie, m on aïeu l m e r en d r a it tou te
sa ten d r esse... d isp ar u e gr â ce à votr e in flu en ce...
je l’a p p r is d ep u is... J ’étais u n en fa n t com p lè
tem en t seu l d an s le m on d e, a vid e de p osséd er
en fin 1111 foyer . J ’ai céd é. H éla s ! je 111e su is vit e
r ep en ti de m a faiblesse.
Il s ’ar r êta , passa la m ain su r son fr on t com m e
p ou r éloign er un sou ven ir im p or tu n , p u is, fa i
san t d eu x pas ver s le fa u t eu il où tr ôn a it son
a ïeu le, il d éclar a :
— Au jo u r d ’h u i, u n e seu le fem m e exist e p ou r
m oi. J am ais je n ’en ai vr a im en t aim é d ’a u tr e.
Sa ch ez-le bien . J e l ’ai ch oisie lib r em en t p ou r
ses q u a lités de b on té, de d r oitu r e et d e loya u t é,
et je lu i ai con sacr é m a vie ... Si je con n a is en fin
le bon h eu r, c ’est bien m a lgr é vou s. M a is je vou s
le jui;e, je ne p er m ettr ai p as à vos in sin u a tion s
m en son gères de le d étr u ir e.
P r éten d ez-vou s d on c qu e je m e m etta is
en tr e Ch a r lot t e et vou s?
—
Ce r t e s! s ’écria le com te, et j ’ai bien r a i
son . Vo s p aroles à d ou b le en ten te on t sim p le
m en t a ggr a vé u n e situ a tion d éjà su ffisam m en t
�LA
C O M T ESSE
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67
p én ib le. Vo u s m ’a vez n u i de tou t vot r e p ou voir .
11 éta it im p ossib le de m e su p p r im er , n ’est-cc
p as? J ’exist a is; m on gra n d -p èr e a va it u n h ér i
tier léga l, il' fa lla it l ’a ccep t er ... a lo r s...
Blêm e de r a ge, la com tesse G u y jet a :
— Osez exp r im er vot r e p en sée in tim e : J e
vou la is d ép ou iller le p etit-fils de m on m ar i,
n ’est-ce p as?
Ch r istia n eu t u n gest e va gu e.
— Si vou s l ’a vie z p u , d it-il, vou s eu ssiez cer
tain em en t ten té d e m ’e xp é d ie r ... au b ou t du
m o n d e !... M a is je vou s en p r ie, laisson s cela. A
côté du r este, ce n ’éta it rien . I l est ch ose p ire.
— J e cr o ya is, cou p a la vie ille fem m e a vec u n e
h au ta in e im p er tin en ce, q u e n ou s ne d evion s p lu s
fair e a llu sion à la p r em ièr e M rac d ’E st r a n ge.
Ch r istia n se r etou r n a ver s E d it h . L a m a l
h eu reu se cr éa tu r e éta it livid e et fr isson n a n te.
E lle assistait à cette scèn e h or r ib le, san s oser
ém ettre u n e sylla b e.
— J e n e p ou va is p r évoir u n in cid en t p a r eil,
d it-il. P ou r m on m alh eu r , je su is assez bien
élevé p ou r n e p as p r ier la veu ve d e m on a ïeu l
de q u itter à l ’in sta n t vot r e salon . J e vou s denm nd e cette gr â ce d e ne pas d em eu rer u n e m i
n u te d e p lu s en tr e n ou s. So ye z a ssez b on n e,
m on am ie, p ou r r en tr er d an s votr e ch am b r e.
D e u x id ées se croisèr en t d an s l ’esp r it de la
com tesse. E lle son gea :
« Il n ’est p lu s m aîtr e de lu i... Si je m ’en va is,
il lu i fera les p ires r ep roch es; si elle a le m a l
h eu r de p r on on cer u n m ot d ép la isa n t, il la
t u er a ... Mon D ieu , cette fem m e est bien m é
ch a n te. I l a d û jo lim en t sou ffr ir p a r e lle ... »
— M er ci, fit-elle, p r ête à s ’in ter p oser si la
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d iscu ssion p r en a it u n e tou r n u r e m en açan te.
Cer tes, je p r éfér er ais n e pas en ten d r e, m ais je
n e ve u x p as vou s laisser seu l, Ch r istia n .
La vieille fem m e eu t u n sou r ir e ‘à d on n er le
frisson .
— Vr a im en t ? fit-elle, vou s semble/ , m e croir e
b ien r ed ou tab le. J e con te sim p lem en t les fa its
com m e ils se son t p r o d u it s... P a r am itié p ou r
vou s, je passe sou s silen ce u n e fou le d e d ét a ils...
sa vo u r eu x. Vo t r e ch ar m e a d éjà fortem en t a m é
lior é le ca r a ctèr e d e m on p etit-fils. J e l ’ai con n u
d ’h u m eu r m oin s fa cile ja d is ... Cer tes, Ch a r lott e
n e b én éficia it pas d ’a u ta n t d ’in d u lgen ce... On
n e la m én a gea it gu è r e ... M a is ... à cette ép oqu e,
Ch r ist ia n ét a it si je u n e !...
E lle eu t u n r ega r d p erfid e à l ’ad resse de son
p et it -fils...
— Dieu m er ci, fit-elle, votr e fem m e p r ofite
d ’u n e exp ér ien ce ch èr em en t a cq u ise, je le r econ
n ais. Vou s sa vez, à p r ésen t, q u ’il ne fau t p oin t
ou b lier d ’écr ir e à sa com p a gn e, lor sq u ’on est ab
sen t d u logis. Vo u s n ’y son giez pas t ou jou r s, au
t r e fo is... p en d an t les m a n œ u vr es, par exem p le.
H o r s d e lui d eva n t ce r affin em en t d e m éch a n
ceté, le jeu n e h om m e ou b lia tou te r éserve. La
p r ésen ce d ’E d it h , elle-m êm e, sor tit d e sa m é
m oir e.
Il s ’écr ia , la vo ix r au q u e de colèr e :
Qu a n d , su r votr e con seil, elle ven a it m e r e
join d r e à l ’éta p e, j ’éta is bien forcé de p en ser à ...
Un cri étou ffé br isa les m ots su r ses lèvr es.
E d it h se leva it , d es lar m es au bord d es ye u x.
— Vo u s a viez r aison , Ch r ist ia n , fit-elle a vec
u n e d ou ceu r tr iste; j ’a u r a is d û vou s ob éir et
m e r etir er p lu s tôt.
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
6g
— Restez ! ord on n a le com te en r eten an t le
b r a s tr em b lan t. On a vo u lu n ou s fair e d u m al à
tou s les d eu x. J e le p r en d s p ou r m oi seu l.
Il se tou rn a ver s la d ou a ir ièr e et, d ’u n très
gr a n d air :
— Vo u s le r econ n a îtr ez, Mad am e, d it-il, j ’a i
fait des effor ts su r h u m a in s p ou r vou s écou ter
ju sq u ’au b ou t san s m an qu er au r esp ect dft à
vos ch e ve u x b la n cs. M a in ten a n t, je vou s p r ie de
m e p er m ettr e de vou s r econ d u ir e ch ez vou s.
Vo u s a vez vou lu la gu er r e. C ’est b ien . Désor
m ais, vou s d a ign er ez, j ’esp ère, con sid ér er n os
rap p or ts com m e rom p u s.
Ver t e de fu r eu r , la d ou a ir ièr e se dressa :
—
N e vou s fla ttez p as trop vit e d e m ’a voir
éloign ée de vou s, d it-elle. J e n e vou s ai pas en
core d éb ar rassé de m a p er son n e. Viva n t e , je d e
m eu re u n e gên e p ou r vo u s ... M or te, je serai
le cau ch em a r de vos n u it s ... et je vou s n u irai
bien d a va n t a ge en core.
E lle sor tit . Ch r ist ia n s ’a p p r och a de la fen êtr e,
h a leta n t. Il lu i fa llu t p lu sieu r s m in u tes p ou r
r ep ren d r e u n p eu d ’em p ir e su r lu i-m êm e.
E n a p er ceva n t les ye u x d ésolés d ’E d it h p osés
sur lu i, il p a r vin t à se calm er .
— Com b arou sse a recon n u u n jo u r , vou s vou s
; en sou ven ez, q u e je ser ais en d r oit d e sou
h aiter la m ort de cette h or r ib le m ar âtr e !
— Ch r ist ia n ! s ’écria la com tesse, ter r ifiée,
ne d ites p oin t ce la ... 11e...
Il serra les d en ts; 1111 écla ir fit flam ber ses
p r u n elles d e jais.
— Oh ! cette fem m e, gron d a-t-i .1 sou r d em en t,
si j ’éta is p aïen , je la t u e r a is !
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LA
C O M T ESSE
E D IT H
VI I
Le gén ér al d e La n sier som m eillait su r une
p a ge de la R ev u e d es D eu x -M o n d es . La tem p é
r atu r e sén éga lien n e a cca b la it l ’an cien officier,
et sa sieste q u otid ien n e se p r olon gea it u n peu
p lu s ch aq u e jou r .
Le p as v if d e J acqu es Sor elle l ’arr a ch a à sa
béate qu iétu d e.
— Bon soir, m on gén ér al ! jeta l ’or ga n e d éfé
r en t e t jo via l du fu t u r gen d r e, Ch ou ch ou estelle p r ête?
— Vo u s ne le vou d r iez p a s! r ép liq u a l ’in ter
p e llé ... E lle ign or e l ’exa ct it u d e , cette en fa n t !
Ah ! si vou s vou lez êtr e à l ’h eu r e, vou s au rez
fort à fair e p ou r la d r esser ... E n l ’a tten d a n t,
a sseyez-vo u s... et d ites-in oi com m en t vou s tr aite
n otre soleil ?
— Le m ieu x du m on d e ! r ép on d it l ’a m ou r eu x,
en se laissan t a ller su r u n siège.
— C ’est tan t m ie u x... ca r vou s a vez traversé
la ville p ar u n e ch a leu r tr op ica le afin d ’être
ici au m om en t fixé p ar n ia fille ... et elle est en
cor e d an s son ca b in et d e t o ilet t e ... P r en ez p a
tien ce, m on am i.
— J e su is a u x or d r es d e m a fian cée, p roféra
J acqu es en a r r on d issa n t son sou rire.
M . d e La u sier se r ed ressa d an s son fauteuil»
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
71
ôta ses lu n et tes, r ep lia sa r evu e et r it , am ical :
— So n t -ils assez stu p id es, ces jeu n es g e n s !...
01 ne vou s fâ ch ez pas, m on ch e r ... J e fu s p a
reil à vou s, jad is. La gén ér ale éta it alors la
Plus d élicieu se des jeu n es filles, d ou ce, a ven a n te;
,!
depuis...
Il fit la gr im a ce...
— Dep u is, elle est m a fem m e. Rien 11e m od i
fie a u ta n t le p oin t de vu e.
J acqu es lan ça u n r ega r d p er sista n t ver s la
Porte d u h all.
—- Ch ou ch ou m et son ch ap ea u . E lle 111’a
qu itté voilà vin gt m in u t es... elle n e vou la it
Pas vou s fa ir e a t t en d r e... M a is je la con n ais,
nous en avon s en cor e p our d eu x bon s .q u a r ts
d ’h eu re. Vou lez-vo u s u n e ■ cigarette?...
J acqu es accep ta.
— Vo u s a vez un fa m eu x cou r a ge d e fair e des
visites par un tem p s p ar eil, p ou r su ivit le gé n é
ral. P ou r m a p a r t, je m e sen s in ca p a b le d ’u n tel
h ér oïsm e, et n e vou s a ccom p agn er a i p oin t. Par
bon h eu r, les h ab ita n ts de n otre p r ovin ce on t
l’esp rit la r ge. M a fille p eu t tr ès bien sor tir seu le
a vec son fia n cé... su r tou t p ou r se r en d r e ch ez
des p aren ts.
P ou r 1111 rien , J acqu es eû t rem er cié son fu tu r
beau-p èr e de red ou ter la ch a leu r et de le laisser
c°n r ir les r ou tes a vec sa fille. Il d it , tâ ch a n t de
Prendre 1111 a ir n a vr é :
— Nou s r egr etter on s votr e société, m on gé
néral, et les E st r a n ge ser on t d éçu s.
M. de La u sier se p r it à r ir e.
— Allo n s, a llon s, m on ga r çon , ne vou s cr o ye z
Pas ob ligé d e fair e d u b on im en t. Vo u s êtes r a vi
de vou s p r om en er san s m oi, et n os cou sin s se
�72
LA
C O M T ESSE
E D IT H
m oqu en t tou t à fait d e m a visit e. A ce p ropos,
vou s con n a issez les d er n ier s évén em en ts? ‘
— Non ! d it J acqu es, saisi p ar le ton d even u
sér ieu x. R ien d e fâ ch e u x ne s ’est p r od u it, je
pen se ?
— Ch r istia n a rom p u ca t égor iq u em en t a vec
sa gr a n d ’m ère !
— Oh !
— I l a u r a it fa llu êtr e u n sain t p ou r su p p or ter
cette esp èce d e fo lle ... ca r la m éch a n ceté, d ép as
san t u n e cer tain e lim ite, d evien t u n e form e d e
la d ém en ce. M a n ièce, tr ès r éser vée su r ses
a ffair es p er son n elles, n e n ou s a fait a u cu n e con
fid en ce. Cep en d a n t, elle a laissé en tr evoir u n e
p a r tie d e la vér it é à m a fille. La d ou a ir ièr e a u
r ait fait d es a lju sion s d ép lacées au su jet de l’a t t i
tu d e d u com te en ver s sa p r em ièr e fem m e... ceci
d eva n t E d it h . E st r a n ge est en tr é en fu r eu r . Br ef,
il y a eu un gr a n d écla t. A la su ite d e ce t t e scèn e
violen t e, la vieille d am e s ’est p r éten d u e for t
sou ffr a n te, et Com b ar ou sse a été a p p elé en core
u n e fo is...
— A h ! P a u l est il Cla r e v is t e ! in ter r om p it le
r om a n cier d ’u n ton r ê ve u r ... Vo ilà un bien sin
gu lie r in d ivid u ... Qu el r ôle jou e-t-il au ju st e
a u p r ès d e la d o u a ir ièr e?... L e sa vez-vou s, gé
n éral ?
— Non , fit M . d e La u sier , su r p r is... Ce
p a u vr e « tou b ib » est l’am i d es d e u x p a r t is ... Il
t â ch e d e calm er l ’a ïeu le et de tém oign er sa sym
p a th ie au p e t it -fils... d u m oin s je le p r ésu m e...
m ais son in flu en ce est san s e ffe t ... et c ’est re
gr et t a b le; m a p a u vr e n ièce est for t secou ée par
cet éta t d e ch oses. E d it h est u n e p er fection , vou s
a ye z dft le r em a r qu er d ep u is le p r em ier jou r .
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
73
E n ép ou san t Ch r istia n , elle esp ér a it r em p lir
Poflîee cle t r a it d ’u n ion , r am en er la p a ix au
ch â t ea u ... E lle a p er d u son t e m p s !... Alo r s, elle
est d even u e n er veu se, ir r ita b le, im p r ession n able !
E st r a n ge s ’en est ap erçu et il va l ’ob liger à
ch a n ger d ’air. Il com p te p a r tir en vo ya ge , ces
jo u r s -ci... a ve c elle, bien en ten d u .
— P ou r q u oi cèd en t -ils la p la ce à la d ou a i
rièr e ?
— Mon p etit am i, cette vieille d am e est u n
sim p le...
Le gén ér a l tou ssa.
— Un e d étesta b le h ar p ie, r ep r it-il, p ou r r es
ter cor rect. E lle se cr a m p on n e à la m aison p ou r
h or r ip iler ce m a lh eu r eu x Ch r istia n et le fair e
sor tir de ses gon d s ! Il est a u tor ita ir e en d ia b le
et n ’a céd é de sa vie. Il n ’au r a it ja m a is a b a n
d on n é u n p ou ce de t er r a in s ’il n ’a va it cr a in t de
vo ir sa fem m e tom ber m alad e. Ah ! m on n eveu
est le m eilleu r d es m a r is... De p lu s, il est ép a
tan t en tou tes ch oses... J am ais il n ’au r a it dû
q u itter l ’arm ée. C ’est la ga ffe irr ép a r ab le de sa
- vie.
— On l ’y a con tr a in t, m ’a d it Ch ou ch ou , r e
m ar qu a J acqu es en lor gn a n t la p orte de la
m aison .
— H éla s ou i ! sa p r em ièr e fem m e éta it od ieu
sem en t ja lo u s e !... Sou s u n air a n géliq u e, elle
a va it un ca r a ctèr e d e d ém on . Ah ! elle a été h a
b ile à tr om p er son m on d e, celle-là ! M a is n ’en
p ar lon s p lu s ... Dieu a it son û m ç...
Il d em eu r a u n in sta n t son geu r , p u is, p ou ssan t
u n e excla m a tion joyeu se, il a n n on ça :
— En fin ! voici tua fille. E lle a réu ssi à se
coiffer , ce 11’est p as m a lh eu r eu x ! I\ e p er d ez pas
�74
LA
C O M T ESSE
E D IT H
u n in sta n t à d éb iter des fa d eu r s... elle m érite
des r ep roch es, ne les lu i m én a gez pas.
J acqu es eu t u n a ir éton n é.
— P ou r q u oi d on c, m on gén ér a l? Vo t r e con
versation est si in tér essan te, p rotesta-t-il du ton
r a vi d es fu t u r s gen d r es.
M. d e La u sier ne p a r u t pas lu i en sa voir gr é.
Il gr on d a :
— J an in e, sais-tu q u elle h eu r e il est? Ton
fian cé pose d ep u is u n e h eu r e!
Ch ou ch ou d égr in gola le p er ron en d eu x sau ts.
E lle éta it con ten te d e sa toilet te, de sortir en
au to a vec J acqu es, d u beau tem p s, d e tou t.
— Bo n jo u r ! cr ia la vo ix cla ir e ... J e su is en
r et a r d ... m ais ne m ’excu s e p oin t. C ’est votre
fau te. J e m e p om p on n ais p ou r vou s fair e
h on n eu r !
E lle lui ten d it ses m ain s en com br ées p ar ses
ga n t s, son p etit sac et son éven t a il. Il les baisa
sou s le r ega r d n ar q u ois du gén ér a l.
— M es p etits, je vou s ai a ssez vu s, d it le
vie u x m ilitair e en sou r ia n t. F ile z! il est gr a n d
tem p s. E d ith d oit n ou s cr oir e au fon d d u ra
vin ... et je vou s en p r ie, n e faites pas de vitesse.
Cet t e,d er n ièr e r ecom m an d ation se p er d it d a n s
le r on flem en t du m oteu r m is en m ar ch e. D eu x
m in u t e^ a p r è s, la voitu r e d isp ar a issa it au tou r
n an t d e. la 'r o u t e .
Au r isqu e de cau ser d e fâ ch eu ses d istr a ction s
à sa h a n t ée, J acqu es ne p u t se t en ir d e rép éter
les a p p r écia tion s p a ter n elles su r les ch â tela in s
de Gla r ev isle. Con tr e son h ab itu d e, Ch ou ch ou
n e rit p oin t en en ten d a n t les p aroles d u jeu n e
h om m e. Au con tr a ir e, elle leva ver s lu i son re
gar d d even u su b item en t so u cieu x.
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
75
— J e con n aissais tou t cela , d it -elle... et j ’en
su is fort en n u yée. L ’ou r a ga n souffle ch ez m es
cou sin s. J ’ai été lo n gu e à m ’en ap er cevoir . Vo u s
vou s en sou ven ez, je 11’ai p as vou lu en ten d r e
vos r éflexion s à ce su jet , le m ois d er n ier ... Vo u s
a viez vu ju st e cep en d a n t, et j ’a i été bien sotte
de ne p as com p r en d re p lu s tôt ce qu i se p a ssa it ...
Im a gin ez-vou s, m on am i, E d it h a p r is su b ite
m en t p eu r ...
— De q u oi? cou p a J acqu es.
— De son m ari. E lle le fu it , c ’est p ossib le, ce
d ép a r t a vec lu i l’ép ou va n te. E lle m ’a p r iée de
p ou sser Ch r istia n à r en on cer à ce p r ojet. M ais
c ’est t r ès d ifficile, cela ; je ne sais com m en t m ’y
p ren d re.
— A vot r e p la ce, je ne m e m êler ais de rien ,
s ’écria le jeu n e h om m e. U n e lon gu e a bsen ce
leu r fera du bien à tou s d e u x. Us se cr oir on t de
n ou vea u en vo ya ge de n ocesr et je vou s con seille
d ’u ser d e tou te vot r e in flu en ce p ou r d éterm in er
M mo d ’E st r a n ge à se m ettr e en rou te.
— J e t â ch er a i, r ép on d it la jeu n e fian cée.
E lle sou p ir a, p u is, r ega r d a n t son com p a gn on ,
elle r ep r it :
— Dites-m oi, J acqu es, sa vez-vou s p ou r q u oi
m a cou sin e red ou te son m ar i?
Sor elle r ega r d a le ciel, p u is les arbr es d e la
r ou le e t , fin alem en t, ém it, à dem i em bar r assé :
— Vo u s m ’a vez p ar lé u n jou r de l ’ext r a o r d i
n air e ten d an ce d u com te à se m on tr er ja lo u x.
11 r ed ou b le de r igu e u r en ce m om en t p eu t -êtr e,
et c ’est r egr etta b le. Cet h om m e a ccom p li au m o
r al com m e au p h ysiq u e n e d evr a it a voir a u cu n
d éfa u t.
— J e su is con ten te q u e m on cou sin vou s
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C O M T ESSE
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p laise. Car c ’est r écip r oq u e. E d it h m ’a con fié
la bon n e op in ion et la sym p a t h ie d e son ép ou x
p ou r vo u s... C ’est p ou r qu oi je vou s passe la
con sign e. Ch a p it r ez m on cou sin . E n t r e h om m es
tou t d evien t facile.
— Vo u s en p a r lez à vot r e aise, se r écr ia le
rom an cier . M . d ’E st r a n ge n ’est p as u n p er son
n a ge su scep tib le de r ecevoir des con seils. D ’au tr e
p a r t je le con n a is for t p eu et ne le cr ois pas
ca p a b le d e tolér er l ’in tr u sion d ’u n étr a n ger d an s
sa vie in tim e.
— O u i, a p p r ou va la jeu n e fille. Ch r ist ia n
est fr oid , d ista n t, m ais p eu t-êtr e est-ce seu le
m en t u n e a p p a r en ce? Qu i sait, il ser ait p r o
b a blem en t r avi de se d éten d r e et d e con ter à
un étr a n ger le su jet de sa m a u va ise h u m eu r .
— Vo u s êtes d ign e de colla b or er à m es œ u vr es
co m p lèt es! s ’écria ga îm en t l ’écr ivain ; vou s vou s
r évélez u n e r em ar q u a b le ob ser va t r ice du cœ u r
h u m ain .
Il s ’in ter r om p it p ou r con seiller :
— At t en t io n au tou r n an t ! vou s a vez rasé la
bor n e !
Le d a n ger p assé, il con tin u a :
— Cep en d a n t je veu x bien p r en d r e ma part
d es... a vis à d istr ib u er au m én a ge E st r a n ge.
Ch a cu n d e n ou s au ra son p r otégé. Mais, je vou s
en a ver tis, je sou h a ite le tr iom p h e du m ien ...
— Com m e vou s vou d r ez, fit la jeu n e fille,
sou d ain p h ilosop h e. Cela m ’est tou t à fait éga l.
S ’ils son t h eu r eu x, je serai sat isfa ite..v le r este
n ’est rien .
A leu r a r r ivée à Cla r ev isle, ils eu ren t la d é
cep tion d ’en ten d r e la com tesse leu r d ir e q u e sou
m ari éta it à Tou r n on .
�LA
C O M T ESSE
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77
■
— On l ’a ap p elé p ar télép h on e, exp liq u a it elle. Il r evien d r a p eu t-êtr e a va n t la fin d e la
jou r n ée, m ais rien n ’est m oin s s û r !
Le s ye u x éta ien t cern és, le visa ge cr eu sé,
p â li. Cep en d a n t, sa b ou ch e sou r ia it, m ais c ’était
a vec u n e exp r ession tellem en t d ésolée !
E n sem b le, les fian cés son gèr en t, con ster n és :
« Cela m ar ch e r u d em en t m al, ici ! »
Ave c u n e b on n e gr â ce u n p eu féb r ile,
d ’E st r a n ge con tin u a :
— C ’est d ’a u ta n t p lu s gen t il à vou s d ’êtr e
Venus. Ch ou ch ou , ve u x-t u en lever t on ch a
p eau ?
La jeu n e fille n ’a va it p as la m oin d r e en vie d e
r etir er le ch e f-d ’œ u vr e d e sa m od iste. E lle cr u t
à un d ésir d e sa cou sin e d e lu i p arler san s té
m oin s, et r ép on d it :
— Vo lo n t ier s, m es ch e ve u x son t assez jo lis
p ou r les m on trer.
E lle sou r it à son fian cé.
— E xcu sez-m o i, J acqu es, con tin u a -t-elle, je
r evien s d an s l ’in stan t.
Le s d eu x fem m es d isp a r u r en t et le jeu n e
h om m e d escen d it d an s les p arter r es. Le jar d in
lui éta it peu fa m ilier . Il s ’éga r a d a n s les ch a r
m illes, r evin t su r ses pas, con tou r n a la m aison
et fin alem en t se tr ou va d eva n t l ’ap p a r tem en t de
la d ou a ir ièr e.
U11 îm ir m u r c sem b lab le à l ’éch o d ’u n e q u e
r elle con ten u e frap p a son or eille. Au m om en t
oii, p ar d iscr ét ion , il se r ecu la it , u n e vo ix m as
cu lin e form u la b r u ta lem en t :
— C ’est m on d er n ier m ot. Vou s l ’a u r ez ce
soir, si vou s r em p lissez les con d ition s e xigé e s.
Sin on p lu s d e ...
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C O M T ESSE
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— J e ne p u is m ’en passer ! gém it l ’or ga n e de
la com tesse G u y.
Un silen ce se fit.
— Au p oin t où j ’en su is, c ’est im p ossible, rep r it-elle, su p p lia n te.
J e vou s d on n e tr en te secon d es p ou r vou s
d écid er, r ép liq u a l ’in visib le in ter locu teu r .
J acqu es fit en core d e u x p as en arr ièr e. Un
m a ssif d ’h or ten sias géa n t s cach a it a u x o ccu
p an ts d u ja r d in la vu e d u salon .
Il se r ép était, in t r igu é à l ’excès :
— On d ir a it la vo ix de Com b arou sse. Ma
foi, ce n ’est pas tr ès ch ic, m ais j ’a tten d s, .moi
au ssi, u n e d em i-m in u te. I l p araît la m en er san s
am én ité, sa clien te ! Certes, il est l ’am i d u com te
d ’E st r a n ge et p ren d fa it, et cau se p ou r lu i...
Cep en d a n t, cette vieille p erson n e est si m a
lad e !...
Le dém on d e la cu r iosité le p ou ssa n t, il se
h au ssa d a va n t a ge à tr a ver s les h or ten sias. A sa
vive stu p eu r , il a p er çu t la com tesse d ebou t d e
va n t la ch em in ée, offr a n t u n e liasse de p ap ier s
au d octeu r .
C ’étaien t des b illet s de ban qu e.
D ’u n gest e p r om p t, P au l lés en fon ça d an s sa
p och e, en p r ofér a n t en tr e ses d en ts u n m erci
des m oin s r econ n aissan ts.
E h b ien , c ’est d u p r o p r e! fa illit cr ier J ac
qu es Sor elle, con fon d u . I l fait p a yer sa scien ce
au p r ix for t, le bon « tou b ib », com m e d it le gé
n ér a l... Vr a i! je ne m ’a tten d a is pas à celle-là.
L ’esp èce h u m a in e est vr a im en t vé n a le ... J ’a u
r ais rép on d u du d ésin tér essem en t de Com b a
r ou sse. A P a r is, il passe p ou r 1111 t yp e tr ès ch ic.
I l est tou t bon n em en t r ép u gn a n t !
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70
P u is, cette r éflexion cor r igea le ju gem en t sé
vèr e :
— Ap r ès tou t, elle a, d it-on , suffisam m en t
p illé son op u len t m ari et son non m oin s r ich e
p etit-fils, la ch èr e d am e ! Le d octeu r a git san s
d ou te p ar m an ière de r ep résailles. I l n ’im p or te,
ce n ’est pas a b solu m en t p r op r e!
Le s cr is d ’ap p el de M"" d e La u sier l ’a r r a
ch èr en t à son p oste d ’ob ser vation . D ’u n a ir se
rein , le rom an cier , in tér ieu r em en t a h u r i, vin t
r ejoin d r e sa fian cée et la ch âtela in e. Il se m u lt i
p lia p our êtr e a im a b le, d ép en sa des trésors d ’es
p r it. Ch ou ch ou le b u va it d es ye u x, en r egistr a n t
p ieu sem en t scs m oin d res paroles.
En la voya n t ain si a d m ir a tivc, M mo d ’E st r a n gc
sou r ia it, u n , peu tr iste.
A p art soi, elle son gea it :
— J ’ai été de® m êm e, ja d is, au ssi p lein em en t
h eu r eu se. Com m e cela s ’est d issip é... m on
Dieu !...
Au Heu de d on n er la r ép liq u e à scs visiteu r s,
elle a u r a it sou h aité d isp ar a îtr e, se r éfu gier d an s
la p et it c^ h a p elle, et y p leu r er lon gtem p s en im
p lor an t le secou r s d ’en h au t !
... Les?h eu r es p assèren t. Ch r istia n n e r en tr ait
pas. Alor s, d iscr ètem en t, Sor elle et Ch ou ch ou
p r ir en t con gé.
Ils su ivir en t silen cieu sem en t la va llée du
Rh ôn e. Il éta it tar d . Sou s le soleil d éclin a n t, le
ciel ver d issa it, les ciga les cr issaien t ép er d u m en t;
d a n s l ’air su r ch a u ffé, 1111 n u a ge de p ou ssière
b lon d e en velop p a it la ca m p a gn e d ’u n m an teau
r oya l.
T o u t à cou p , Ch ou ch ou rem ar qu a d a n s 1111 lé
s e r sou p ir ;
�So
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— C ’est tr iste d e vo ir d es êtr es m a lh eu r eu x
lor sq u ’il fa it b ea u tem p s !
La b ou ch e ron d e, a rq u ée com m e celle d ’u n
b éb é ch a gr in , elle con clu t , a ve c sa lib r e façon
d e s ’exp r im er :
— E t n otre p a u vr e éloqu en ce, J acqu es,
com m e il a fa llu la r ep lier !
— O u i, a p p r ou va le jeu n e h om m e, sér ieu x.
Cela m e p a r a ît vr a im en t bien in u t ile d e ten ter
d e r écon cilier vos co u sin s... Le u r b on h eu r est,
h éla s ! bien m ort !...
Le soir m êm e, le com te d ’E st r a n ge r en tr a au
logis. Sou s p r ét ext e de m igr ain e sa fem m e s ’était
en fer m ée ch ez elle. Il ne p u t la voir . Ch r istia n
n e p a r u t p as en êtr é con tr a r ié; il n e se p er m it
a u cu n e r éflexion .
La com tesse s ’en d orm it d ’un som m eil lou r d ,
cou p é d e r êves étr a n ges. A l ’au b e, elle cr u t
p er cevoir d es a llées et ven u es p r écip itées d an s
la ch a m b r e de son m ari.
Dr essée su r ses or eiller s, elle écou ta . E lle n ’en
ten d it rien . To u t ét a it r etom bé d a n s le silen ce.
Alo r s elle som bra de n ou vea u d a n s la m êm e tor
p eu r a cca b la n te et t r essa illit sou d ain en vo ya n t
la lu m ièr e d u m atin p én étr er à flots par ses
fen êtr es.
E lle o u vr it la r gem en t ses ye u x et su r sau ta.
Ch r istia n , d eb ou t à son ch evet, la r ega r d a it
s ’éveiller .
Le com te éta it livid e. Scs ye u x p arais
saien t p lu s n oir s en cor e, et ses lèvr es p lu s
r ou ges.
Ava n t qu e sa fem m e eû t pu p oser u n e que»-
�b o b b h k b m b h m h
I ,A C O M T E S S E E D I T H
■■■■■■■
81
t ion , il p r on on ça d ’u n a ccen t con ten u et m a lgr é
lu i tr ou b lé :
— E d it h , m a gr a n d ’m ère est m orte cette n u it !
VI I I
Le s m ots p r on on cés p ar le com te b r u issa ien t
com m e un bou r d on n em en t d e cloch es loin tain es
d a n s le cer vea u en fiévr é d e la jeu n e fem m e.
To u jo u r s a p p u yé con tr e le lit , Ch r ist ia n se
m or d a it les lèvr es n er veu sem en t. E d it h a tten
d a it ses exp lica t io n s, a vec le d ésir p assion n é de
savoir et la cr a in te ép er d u e d e con n a îtr e les
m aca b res d étails.
— Ch r is t ia n ..., b a lb u t ia -t-elle, tim id e.
La tête b r u n e se r etou r n a ver s elle.
— Com m en t le m alh eu r s ’est-il p r od u it?
M . d ’E st r a n ge p a r u t h ésiter a va n t d e r é
p on d r e, p u is, se d écid a n t :
— C ’est là u n su jet bien d ou lou r eu x, d it-il.
Vo u s con n a issez m es sen tim en ts à l ’en d r oit de
la veu ve de m on gr a n d -p èr e, p ou r rien au
m on d e je n e p ou r r a is sim u ler u n ch a gr in d on t
je n ’ép r ou ve p as la m oin d r e p a r celle. M a is, cette
fin , d an s d es con d ition s p a r eilles, m ’ép ou va n te
lit t ér a lem en t ... Com b arou sse a fait u n e d écla
r ation d e m ort n a tu r elle, m ais il cr oit à un s u i
cid e ... Gar d ez-m oi le s ecr et ... je vou s en p r ie ...
— Com m en t? s ’écria la jeu n e fem m e, en de«
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E D IT H
ven an t b la n ch e com m e les d en telles de son
o r eiller ... Mais c ’est a ffr e u x!
— Ou i ! la m a lh eu r eu se a va it u n e r esp on
sa b ilité fort attén u ée. P a u l assu r e q u ’elle pre
n a it de la m orp h in e, de l ’éth er , des st u p éfia n t s...
J e l ’ign or ais a b solu m en t... E lle a dû se faire u n e
p iqû r e à dose tr op for te e t ...
Il s ’in ter r om p it, saisit la m ain d e sa fem m e
et su p p lia :
— J e vou s en con ju r e, E d it h , calm ezvou s. J ’étais forcé de vou s con fier ces ch oses...
Vo u s d eviez êtr e in for m ée... On a u r a it pu vou s
fair e les p ires r a con t a r s... La vér ité est lam en
ta b le, certes, m ais tr ès sim p le.
— M ou r ir ain si, san s r ep en tir , san s sacr e
m en ts, m u r m u r a E d it h , les m ain s join tes.
— E lle éta it irr esp on sab le ! je le rép ète, in ter
jet a le com te vivem en t . N ’a lle z pas vou s tor
tu r er l’esp r it à p laisir . Qu i d e n ou s p eu t savoir ?
I! suffit d ’u n e secon d e p our im p lorer la m isér i
cor d e d ivin e.
— E lle était si peu r eligieu se ! Oli ! Ch r istia n ,
c ’est h or r ib le ! Cer tes, elle a été b ien m au va ise
p ou r vo u s... p ou r moi a u ssi, d ’a illeu r s; p ou r
tan t je ne p u is m ’em p êch er d e la p la in d r e... J ’ai
p it ié d ’elle, je vou s a ssu r e...
— Devan t u n e tom be ou ver te, 011 ou b lie bien
des ch oses, d it M. d ’E st r a n ge len tem en t. J ’es
saier ai d e p a r d on n er ... cela 111e sera d ifficile...
Il se t u t . E d it h r esp ecta ce silène«* p lein
d ’am èr es p en sées. Il r ep r it, ch a n gea n t de
ton :
— Dois-je son n er F élicie p ou r vot r e toilet te?
— S ’il vou s p la ît.
Deven u e sou d ain p lu s sou cieu se, elle a jou ta :
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C O M T ESSE
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83
— D evr a i-je a ller tou t d e su ite au p r ès d e ...
d e ... gr a n d ’m ère?
Visib lem en t , cette p er sp ective l’a n goissa it .
Son m ar i r ép liq u a , tr ès vit e :
— P a s a va n t m on r etou r . J e d ois sor tir p ou r
r égler m ille d étails in d isp en sables. Lor sq u e j ’a u
rai ter m in é, je vien d r a i vou s ch er ch er .
« N e d escen d ez p as san s m oi. Il est in u t ile de
vou s én er ver à l ’a va n ce ... S ’il m ’a va it été p os
sible d e vou s ép a r gn er celle-ci, je l ’au r a is fa it ,
m ais cela est h ors d e m on p ou voir ! »
Il se p en ch a a vec l’in ten tion de m ettre 1111
baiser su r ces ch e ve u x, a u x r eflets d ’or b r u n i;
p u is se red r essan t br u sq u em en t, il lu i p rit la
m ain , san s u n e p arole, l ’éleva ju s q u ’à ses lèvr es,
d an s u n gest e d e p olitesse b a n a le, et sor tit.
Un in sta n t p lu s ta r d , la cam ér iste a p p a r u t.
Discr ète et em pressée, elle ar b or a it u n a ir que
l ’on a u r a it pu q u a lifier « m i-p arti ». C ’éta it un
com p osé sa va n t d e tr istesse et de sou la gem en t,
com m e si elle eû t vo u lu exp r im er p ar cette m i
m iqu e la p a r t prise au d eu il, par la d om esticité,
et le con ten tem en t de voir sa m aîtresse d ébar
r assée d ’u n e aussi d ésa gr éa b le paren te.
— H a b illez-m oi, F é licie , com m an d a la com
tesse. Vo u s a vez san s d ou te a p p r is n otre
m alh eu r ?
— Mad am e p en se si cela n ou s a d on n é u n
cou p !
E lle p r ép ar a les lin ger ies, en p salm od ian t
qu elq u es r éflexion s su r u n m ode r esp ect u eu x e t
con ven a b lem en t a ttr isté.
— M'nt' la Com tesse m ère n ’éta it
\ ’.,n e,
d isa it-elle, m ais pas tellem en t f.g<le non p lu s.
M ou r ir com m " c ; ’ ’, ci v it e !... h eu r eu sem en t
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LA
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M . le d octeu r se tr ou va it en cor e au ch âtea u .
— Com m en t s ’est-on ap erçu d e ... d e ... la fin ?
in ter r ogea E d it h , p r ise d ’u n e cu r iosité sou d ain e.
— M a d am e la com tesse l ’ign or e d on c? ne p u t
s ’em p êch er d e r em ar qu er la s e r va n t e... M a is
c ’est ce m atin à l’a u b e ... E lle éta it m alad e h ier
soir d éjà . Com m e Mad am e la com tesse ven ait
d e se m ettr e au lit , M 1“0 la d ou a ir ièr e a fait d e
m an d er M. le com te p ou r lu i « cau ser » d e scs
a ffair es. M . le com te éta it fa t igu é, il l’a exp liq u é
à son va let d e ch am b r e; m ais on a en voyé Au gu st in e r ép éter q u e c ’ét a it u r ge n t ... Alor s,
M on sieu r s ’est d écid é. M a d a m e la com tesse m e
p a r d on n er a , m ais, en r en tr a n t à l ’office, J oseph
n ou s a d it :
* « — J e n e sais p as au ju s t e ce qu i se passe
d an s l ’a ile du N or d , m ais ça d oit « bard er ».
« M a d a m e la com tesse sait com b ien cc ga r
çon est a tta ch é à son m aîtr e; il l ’a s u ivi au fr on t,
et se jet t er a it au feu p ou r M on sieu r !
— J e ne l ’ign or e p oin t, fit E d it h . Con tin u ez.
— L'e xp lica t io n n ’a pas con ven u à M ”10 la
com tesse m ère, ca r , a p r ès la sor tie d e M . le
com te, elle éta it fort a git ée. Au gu st in e m e l ’a
d it ... P o u r t a n t , elle a va it p ris u n r em èd e qu e le
d octeu r éta it a llé ch er ch er p our elle à Va le n ce ...
Ah ! c ’est un m éd ecin d évou é, celu i-là !
. E lle fit cou ler le b a in ...
— Bien sû r , Au gu st in e n ’a p as en ten d u tou t
cc qu e d isa it M. le com te, m ais, ju st e ap rès son
d ép ar t, M ‘“° la d ou a ir ièr e a com m en cé à se
p lain d r e. E lle r ép éta it :
« — J e ne su is p as b ie n ... Vit e , a p p elez le
d octeu r !
« Il lu i a r r iva it sou ven t d ’êtr e p r ise d ’in q u ié
�LA
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tu d es... E lle a va it p eu r de m ou r ir. H ier soir,
cep en d an t, elle s ’est r assu r ée a u ssitôt. Mais c ’est
drôle, au lieu d e se cou ch er com m e d ’h ab itu d e,
elle n ’a pas vou lu se fair e d ésh a b iller et s ’est
éten d u e a vec sa robe d e soie, su r son lit. On
l ’a tr ou vée a in si, ce m a t in I ... A h ! si Mad am e
la com tesse l ’a va it vu e ! Il y a va it d e quoi tom
ber raido» O11 a u r a it d it u n e figu r e d e cir e, tou te
droite d an s sa toilette de satin p er lé de jais, a vec
des d iam an ts p a r t o u t !...»
F élicie r essen tait sim u lta n ém en t lin e fr a yeu r
in d icib le et u n e glo ir e én orm e d ’a voir jou i l ’une
des p r em ièr es cTun au ssi im p r ession n an t sp ec
tacle. D ’un ton p lu s gr a ve, elle p ou r su ivit :
— Qu a n d Au gu st in e est en tr ée à la p oin te du
jou r p ou r d on n er la potion q u otid ien n e à sa
m aîtresse, elle a fa illi s ’éva n ou ir . Cep en d a n t,
elle a eu La for ce de cou r ir ju s q u ’au vestib u le
et d 'a p p eler au secou rs. J oseph se tr ou va it p ar
là. Il est a llé r éveiller M. le com te et le d octeu r .
.Celui-ci a d it tou t h au t qu e cela d evait ar r iver .
M mo la com tesse m ère éta it usé«, p araît-il.
— C ’est ép ou va n ta b le ! m u r m u r a la jeu n e
fem m e.
La carriériste prit ce^ te r éflexion p ou r u n e au
torisation à d on n er son avis.
— Sû r em en t ! Cela d on n era bea u cou p de sou
cis et nous a llon s a voir 1111 gr os t r a ca s... et p u is
M. le con itü cr a in t d ’effr a yer Mad am e; il 11e sa
vait com m en t lui an n on cer la p én ib le n ou velle.
11 a d em an d é trois fois si Mad am e était r éveillée; fin alem en t, il est en tré.
Un frisson secou a E d it h . Il lui sem b lait en
core voir la figu r e b ou lever sée de son m ar i, les
som bres ye u x p lein s de r an cu n e.
�86
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— Dois-jc p r ép ar er u n e robe n oir e? in ter r o
gea la can iériste.
— Ou i ! la p lu s sim p le... à m an ch es lon gu es,
n a tu r ellem en t ... la iss ez... j ’ach èver a i seu le.
F é licie se r etira. E lle ju ge a it sa m aîtr esse
b ea u cou p trop b on n e d e m on trer u n e tr ist esse
q u elcon q u e, en voya n t d isp ar a îtr e d e son h or i
zon u n e b elle-m ère du gen r e d e ce lle -là !...
San s d élai elle con fia son im p ression au ch a u f
feu r et con clu t :
— Si la d ou a ir ièr e a va it d u ré q u elq u es m ois
de p lu s, les p a tron s éta ien t b r ou illés !
— C ’est cou r u ! affirm a le m éca n icien , non
m oin s cat égor iq u e.
Cep en d a n t, E d ith a tten d ait son m ar i, r ed ou
tan t et d ésir an t à la fois d e le voir r even ir .
E lle éta it for t im p r ession n a ble, et la n ou velle
tr a giq u e l ’a va it atter r ée. E lle a u r a it aim é à con
fier son a n goisse à q u elq u ’un. Si elle a va it pu
s ’a p p u yer su r son m ar i, elle a u r a it été p r esq u e
a p a isée... M a is elle se sen ta it in ca p a b le d e h ji
d ir e ses p en sées in tim es.
De n ou vea u , le sou ven ir du ca h ier secret d e
Ch a r lot t e h an ta son esp rit. Son a git a t ion in t é
r ieu r e s ’a ccr u t. N éa n m oin s, elle p a r vin t à poser
un m asqu e de gr a vit é ca lm e su r ses tr a its. Si
bien q u e lorsq u e le com te r en tr a, il t r ou va u n e
n o u velle fem m e, d ign e, ser ein e et sévèr e d an s
sa lon gu e robe n oir e, d on t les p lis lo u r d s la
tr an sfor m aien t.
— Si vou s êtes sû r e de vos n er fs, d it -il, san s
le m oin d r e gest e a ffect u eu x ver s e lle, vou lezvou s me su ivr e? J e vou s im p ose u n e b ien p én ib le
cor vée. Vo u s n ’a vez p oin t d e r aison s d e r egr et
ter la d isp ar u e, m ais la vie est p eu p lée d e de-
�LA
-
;
;
i
1
C O M T ESSE
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S7
voir s... A cau se de l ’op in ion p u blii| u e, il est
n écessair e de vou s m on tr er u n in sta n t d an s la
ch am bre m ortu air e.
— J ’ai tou jou r s eu l ’in ten tion d e p r ier su r sa
d ép ou ille, r ip osta E d it h , secrètem en t irr itée. J e
,le su is p as u n e en fa n t n er veu se.
Il la r ega r d a fixem en t.
— P ar d on , fit -il... je l ’a va is cru !
La d ou a ir ièr e r ep osait su r son lit , d r ap é de
brocart violet lam é d ’or. Celle d on t la vie s ’était
écou lée à sem er le m al a u tou r d ’elle d orm ait
Pour tou jou r s, én igm a tiq u e, su p er bem en t p âtée,
et fard ée c'omme a u x gr a n d s jo u r s...
Pieu sem en t, on a va it en r ou lé, au tou r d e scs
d oigts join ts, un ch ap elet d on t les én orm es
gr a in s d ’am br e r u issela ien t su r la ju p e a u x ca s
sures b r illa n tes.
Un e od eu r su ffoca n te d e fleu r s am on celées
r em p lissait la ch am b re.
Ch r istia n d em eu ra d eb ou t, les b r as croisés,
k p h ysion om ie volon tair em en t ferm ée. Qu elles
peusées l’a git a ien t en ce m om en t? Au p li creu sé
en tr e ses sou r cils, E d ith d evin a it u n e lu tte in
térieu re. E ssa ya it-il de p ard on n er ? Son gea it -il
à la p h rase lan cée com m e une su p rêm e m en ace
Par l’a ïeu le :
« M or te, je vou s n u irai en core ! »
La p etite com tesse s ’a gen ou illa , en fou it son
Iron t d an s ses u ia ip s et pria p ou r la p a u vr e âm e
som brée d an s la n u it éter n elle.
Des for m es d iscr ètes em p lir en t l’a p p ar tem en t.
Selon l ’u sa ge, les ferm iers, les voisin s, les p a y
san s du villa ge p roch e étaien t a ccou r u s. I ls en*
tr aien t un à u n , sin cèr em en t a ffectés, em b ar
rassés et ga u ch es, à la p en sée de fou ler les tapis.
�88
LA
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Su r cette fem m e qu i s ’éta it p eu t-êtr e d on n é
la m ort, ils r écita ien t, d e leu r vo ix fer ven te, les
u ltim es p rières.
Su r ven u à son tou r , Com b a r ou sse s ’a p p r och a
d u com te.
— F a is sor tir ta fem m e, or d on n a-t-il, les ém o
tion s ne lu i va len t rien .
Ch r istia n
s ’a p p r och a,
tou ch a
d ou cem en t
l ’ép a u le d ’E d it h et m u r m u r a :
— N e d em eu r ez p as d a va n t a ge, m a ch èr e
am ie. J e vou s rem er cie d ’êtr e ven u e, m ais c'e st
su ffisan t. P a u l vou s r econ d u ir a au salon . Il
sau ra écar ter les im p or tu n s.
Le m éd ecin a cq u iesça . I l ét a it , d an s le fon d,
a ssez a tta ch é à la d ou a ir ièr e, il sem b lait e xt r ê
m em en t im p ression n é.
— Vo u s êtes tr ès bon , d octeu r , fit la jeu n e
fem m e, en core m al r em ise d u ch oc. Vo t r e p r é
sen ce ici, en ce m om en t, est un réel a p p u i p ou r
m on m ari; u n vieil a m i...
t— J e vou s en p r ie, Mad am e, ne p a r lez pas
d e cela , cou p a sèch em en t Com b arou sse.
C ’éta it sa façon de se m on tr er aim ab le.
— Si, si, je sa is... Ch r istia n m ’a p r esqu e tou t
d it. G r a n d ’m ère n e p osséd ait p lu s tou s ses
m oyen s... in t ellect u els... La tête se d ér a n gea it.
E lle n ’ét a it p lu s r esp on sa b le... M a is, san s
vo u s... à q u elles d ifficu ltés n ou s serion s-n ou s
h eu rtés !
E lle lu i ten d it la m ain , d an s un éla n de gr a t i
tu d e. P a u l n e la p r it p as; il r ega r d a it en l ’air
en tir a illa n t sa m ou sta ch e.
« Com m e il est sen sible, sou s son ap p ar en ce
m au ssad e, son gea M “ * d ’E st r a n ge. Ch r istia n
l’a va it m al ju gé . »
�LA
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8g
To u t h au t, elle p ou r su ivit :
— C ’est ter r ib le, cette h ab itu d e d ’u ser de
stu p éfian ts ! J e ne in c d ou ta is p as d u tou t, en
vo ya n t n otr e a ïeu le, si r obu ste m a lgr é ses d ir es,
q u ’elle éta it sou s l ’em p ir e d u p oison . M a is u n
d ét ail m e p r éoccu p e. Où se p r ocu r a it-elle ses
d r ogu es? E lle ne sor ta it p resqu e ja m a is... et les
p h ar m acien s n ’on t, je cr ois, a u cu n d r oit de
ven d r e ces sor tes de r em èd es... san s or d on n an ce
d e m éd ecin , du m oin s...
Com barou sse fit u n p as en arr ièr e :
— J e m e p er m ets d e vou s en ga ger , Mad am e,
d it-il d ’u n a ir r o gu e, à son ger le m oin s p ossible
à tou t ceci. Vo u s êtes d ep u is q u elq u es sem ain es
d an s u n fâ ch eu x éta t d e d ép ression n er veu se.
Ch a ssez de vot r e esp r it tou tes les p en sées su s
cep tib les de vou s im p r ession n er .
I l a p p u ya :
— T o u t e s ! vou s en ten d ez? J u sq u ’à ce jou r , je
n ’ai p oin t vou lu p a rler de m es cr a in tes à votr e
m ari; m ain ten a n t, je com p r en d s com bien j ’ai
eu tor t. I l est d e m on d evoir d e l ’a ver tir . Vo u s ...
E d it h l ’in ter r om p it, a lar m ée :
— J e vou s en p r ie ! laissez-le en r ep os, ditelle. J e ne su is p as m alad e, je vou s l’affirm e !
Da n s u n sou r ir e t r em b la n t, elle ter m in a :
— I l ne ser ait pas d u tou t p atien t a vec u n e
fem m e m alad e.
E lle ne com p r it pas p ou r qu oi ces sim p les m ots
allu m èr en t u n e lu eu r far ou ch e d an s les p r u
n elles d u m éd ecin .
— Vo u s aim ez vot r e m ar i, M ad am e? in terrogea -t-il sou d ain .
— Ou i ! r ép on d it E d it h , in ter loq u ée ou poin t
d e n e p as s ’éton n er d e la q u estion .
�go
LA
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L ’am i d u com te h au ssa les ép a u les, p u is, se
d ir igea n t ver s la p orte, il jet a b r u ta lem en t :
— C ’est u n gr a n d m alh eu r p ou r vou s !
IX
/
/
f
P en d a n t tou te la jou r n ée, la com tesse fu t d is
tr a ite d e ses p en sées par les a llées et ven u es
in cessa n tes d ’am is et de p aren ts éloign és, a ccou
r u s à Cla r ev ist e p ou r tém oign er a u x ch â t ela in s
leu r d ou lou r eu se sym p a t h ie.
Ar r ivé l ’un d es p r em ier s, J a cq u es Sor elle
s ’éta it m is à la d isp osition d e M . d ’E st r a n ge.
I l m on tra u n tact in fin i en r em p lissa n t scs d e
voir s d e fu tu r cou sin , ne p ron on ça p as u n e p a
role in u tile et, d evin a n t com b ien la situ a tion ét a it
ten d u e, s ’effor ça d e n e p oin t se m on tr er in d iscr et .
E d it h r essen tit un sou la gem en t eu le voya n t
cir cu ler d an s la m aison . Cer tes, elle n ’ép r ou vait
p oin t le d ésir de s ’ép a n ch er a vec lu i; n éan m oin s,
sa p r ésen ce au ch âteau p en d an t ces h eu r es tr a
giq u es l ’a id a it à les su p p or ter .
E n d ép it de la p a r fa ite scien ce m on d ain e, qui
p er m et de d issim u ler ses sen tim en ts, lorsq u e
cela est n écessair e, la com tesse éta it trop jeu n e
p ou r se m aîtr iser p lein em en t. Sa n s s ’en d ou ter ,
elle laissa su p p oser u n e p a r tie d e la vér ité au
fian cé d e sa cou sin e, et J a cqu es com p r it de qu el
dr am e tr ou b la n t la m aison éta it le th éâtre.
�LA
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91
Le jeu n e h om m e n ’a va it p oin t l’in ten tion
d ’exer cer su r les E st r a n ge son esp r it d ’ob ser
va tion . Il vou la it sim p lem en t aid er le com te à
r em p lir les m u ltip les cor vées in h ér en tes a u x
fu n ér a illes. E n cela , il ob éissait à la dem an de
de son fu tu r beau -p èr e. Le gén ér al de La u sier
et Ch ou ch ou , absen ts d e Va len ce p ou r d es r ai
son s d e fam ille, a va ien t p r ié le r om an cier d e les
r em p lacer au p r ès d e Ch r istia n .
Il
a va it été fort aim ablem en t a ccu eilli p ar
le m aîtr e du logis, m ais il ne r eçu t au cu n e con
fid en ce. Sou s sa cou r toisie a ffa b le, le com te
m on tr ait u n e figu r e im p én étr a b le et u n e r éserve
telle q u ’a u cu n e qu estion n ’éta it perm ise. Qu a n t
à Com b arou sse, il ne p r on on çait pas u n e p arole.
Selon sa cou tu m e, il ou vr a it u n iqu em en t la
b ou ch e p ou r r écr im in er. Il d em eu ra in visib le,
d ’a illeu r s, la p lu s gr a n d e p artie de la jou r n ée,
a ffectan t un air r ogu e, lorsq u e p ar h asard il
cr oisa it son a n cien con d iscip le d an s u n e des
p ièces d e la m aison .
T r è s éton n é p ar ces a ttitu d es b iza r r es, le
jeu n e r om a n cier ne cessa it de ch er ch er la clef
de l ’én igm e, m ais il n ’y p a r ven a it pas.
Cep en d a n t, il le vo ya it clairem en t : un d r am e
p la n a it su r le ch â tea u . P ou r en êtr e assu r é, il
su ffisait d e r en con tr er le r ega r d affolé d e la
com tesse...
#
... Selon les d er n ièr es volon tés d e la d éfu n te,
on d eva it r am en er son cor p s d an s le Ga r d , son
d ép ar tem en t d ’or igin e.
Ap r è s u n e cérém on ie à l’église d e Sain t-J ean d e-M u zols, le cor tège se d ir igea ver s la ga r e de
Tou r n on .
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E D IT H
M . d ’E st r a n ge vou lu t escorter les restes de sa
p seu d o-gr a n d ’m ère ju s q u ’au ca vea u d e sa fa
m ille. Ob ligea m m en t, J acqu es s ’offr it à l ’a ccom
p agn er .
E d it h vit d isp ar a îtr e l ’a u tom ob ile em m en an t
les d eu x h om m es. To u s les am is s ’étaien t re
tir és. E lle d em eu r a it seu le d a n s la m aison d é
serte.
Le s d om estiqu es s ’éta ien t ép a r p illés d an s le
villa ge a p r ès l ’office m ortu air e. La fem m e de
ch a r ge et le secon d ch a u ffeu r assu r aien t le ser
vice in tér ieu r .
Ap p u yé e à la fen êtr e, M'"° d ’E st r a n ge r ega r
d a it le soleil filtrer à tr a ver s les h êtr es d u p arc.
P â le, les ye u x b r û la n ts d ’un écla t fiévr eu x, elle
fixa it l ’h orizon d ’u n a ir m en a ça n t ... Sou d a in ,
elle passa d an s sa ch am b re et sc m it à em p lir
u n e valise.
E lle ch oisit d eu x robes tr ès sim p les, du
lin ge, q u elqu es sou ven ir s p er son n els, p h otogr a
p h ies, b ibelots. A ses d oigts, d es b r illa n ts, un
r u b is én orm e scin t illa ien t . E lle les ôta tr an q u il
lem en t, les d ép osa d an s u n e cou p e su r son b u
reau et a ch eva ses p r ép a r a tifs.
Lo r s q u ’ils fu r en t a ch evés, elle son n a.
La fem m e de ch a r ge, gr a n d e et m aigr e per
sonne, tr ès d ign e d an s sa robe d e soie n oir e, se
présen ta.
'— Ma b on n e M a r gu er it e, an n on ça la com
tesse, je pars.
E n d ép it de sa cor rection h a b it u elle, la fid èle
in ten d a n te ob jecta :
—
Mad am e la com tesse ser a-t-elle lon gtem p s '
a bsen te? M. le com te n ’a p a s d on n é d ’ordres
p ou r la voitu r e.
�LA
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93
Visib lem en t , elle éta it in t r igu ée. E d ith lui
répondit h â tivem en t :
— J e ne ve u x p oin t d em eu r er seu le !
M a r gu er ite com p r it. M a d a m e éta it p cw e u s e.
L ’idée de cou ch er d an s la m aison où er rait cn c°ie l ’om br e d e l ’a ïeu le l’ép ou va n ta it .
E lle r etin t m al un sou r ir e et d it :
— Bien , Mad am e. P ou r le cou r r ier , q u elle
P r e sse d evr a i-je m ettr e?
Ap r ès u n e im p er cep t ib le h ésita tion , E d it h ré
pondit :
— J e n ’atten d s a u cu n e co m m u n ica t io n , im
portan te. S ’il a r r ive d es lettr es, r em ettez-les à
Monsieur.
— Si je r eçois des télégr a m m es?...
— RéeXp éd iez-les ch ez le gén ér al d e La u sier ,
cQUpa la com tesse pressée d ’en fin ir . Dites à
Jules d ’am en er l’auto... je su is...
La fem m e de ch a r ge ob éit, tou t en rem ar
quant, a vec la d éfér en ce em pressée des an cien s
ser viteu r s, com bien il éta it r egr etta b le q u e 111011•Slour a it p r is la lim ou sin e. Mad am e la com tesse
d evrait Sortir 011 tor p éd o.
Al'"" d ’E st r a n ge ne l ’écou ta it p oin t. Ave c u n e
Précip itation vér it a b le, elle m it son ch ap eau ,
*e ga n ta 'f ch er ch a son p etit sac. Ava n t d e fr a n
ch ir le seuil d e son ap p a r tem en t, ellq en tr a dan s
la ch am b re du son m ar i, prom en a un regar d a u
tour d ’elle* com m e si elle n e d eva it jam a is y r en
i e r , et, d ’un gest e d ésesp ér é, referm a la p or t e...
... Au bas du perron la voitu r e atten d a it. La
feiinne de ch a r ge o u vr it la p or tièr e.
J e me p er m ets d e sou h a iter un h eu r eu x
v°.vage à M ad am e la com tesse, p r on on ça-t-elle,
Cérém onieuse et gou r m ée.
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LA
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■
— M er ci, p a r vin t à p r on on cer la jeu n e fem m e.
Ah ! j ’ou b liais, voici la clef de m a ch am b re. J e
n ’ai p as en fer m é les b ijo u x, vou s p r évien d r ez
m on sieu r d ès son r etou r .
— Mad am e p eu t y com p ter , affirm a l ’in ten
d an te, solen n elle et de p lu s en p lu s a h u r ie.
E d ith in clin a la tête gen tim en t. E lle n ’a u r a it
pu a r t icu ler un son.
Im m ob ile au vo la n t , le ch au ffeu r in ter r ogea :
— Qu elle d ir ection Mad am e la com tesse
p r en d -elle?
— N ou s a llon s à Va len ce. F a it es u n peu de
vitesse.
La voitu r e d escen d it la p en te om br eu se len
tem en t.
To u t le lon g du tr a jet, E d it h , en fiévr ée p ar la
résolu tion p r ise, n e son gea p lu s à r ien . E lle
vou la it éviter d e r éfléch ir . Son cer vea u éta it
com p lètem en t vid e. Au cu n e tr a ce du passé n ’y
su b sistait. T o u t éta it effacé. Ch r istia n , la m ai
son , la d éfu n te d isp ar a issa ien t au ven t de sa
r an d on n ée r a p id e...
Les arbres s ’en fu ya ien t d e ch aq u e côté d e la
r ou te. A t r a ver s les sau les et les p eu p lier s, le
Rh ôn e b r illa it com m e u n e éch ar p e m ou van te
et azu r ée; d es forter esses d ém an telées sem b laien t
su r veiller fid èlem en t le fle u ve ... La tor p éd o tr a
ver sa it d es a gglom ér a tion s p lu s ou m oin s im
portan tes: Les b â tim en ts en gu ir la n d és d e
lier r e de Ch â t ea u b ou r g a ttir èr en t l ’atten tion
d ’E d it h .
Qu elq u es m ois p lu s tôt, Ch r istia n , lu i faisan t
con n aîtr e le passé h istor iq u e de la p r ovin ce et
ses m on u m en ts célèb r es, a va it com m en té le p as
sage de sain t Lo u is d an s ce caste! m éd iéva l.
�LA
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q5
Coiiu n e elle éta it h eu r eu se, a lo r s !...
C ’éta it bien loin d éjà !... E lle serra les lèvr es.
— A com bien m ar ch ez-vou s? d it-elle au
ch au ffeu r .
— Nou s faison s d u soixa n t e-d ix, Mad am e la
com tesse, n ou s n e p ou von s d ép a sser ... J e vais
m êm e r alen tir , c ’est jou r de m arch é.
— Qu el en n u i ! sou p ir a la voya geu se.
Les r u in es de Cru ssol se d r essèren t su r le
ciel. En face, d an s la ver d u r e de la p lain e, Va
len ce éten d a it ses gr a n d es lign es blan ch es. Dieu
m erci, cette cou rse ser ait b ien tôt term in ée.
Peu ap rès, la voitu r e s ’arrêta d evan t la m aison
d u gén ér a l.
Ave c 1111 san g-fr oid d on t elle ne se ser ait
ja m a is cr u e cap a b le, M'"° d ’E st r a n ge don n a scs
in str u ction s. Le ch au ffeu r r eçu t l’or d r e de r ega
gn er a u ssitôt -Çla r ev istc.
L ’a u tom ob ile tou rn a su r -le-ch am p et d isp ar u t
à l ’a n gle de l ’aven u e. Alor s, la jeu n e fem m e
p ou ssa la p orte et p én étr a d an s la cou r . E m
p ressé, le con cier ge a ccou r u t a u -d eva n t d ’elle.
La m aison éta it déserte.
Au ssit ô t E d it h se sou vin t d u vo ya ge d e ses
p aren ts. Dan s l ’a gita tion de la jou r n ée, elle a va it
com p lètem en t ou b lié les raison s q u i a va ien t em
p êch é s^ ii on cle d ’assister a u x .obsèques de la
d ou air ièr e.
E lle dem eura un in stan t d ésem p arée, m ais
elle se r essaisit tr ès vile , ord on n a q u ’on a llât
lu i<ch er ch er u n e voitu r e de lou a ge et r ep ar tit
im m éd iatem en t.
Le p er son n el des de La u sier cr u t qu e la com
tesse r en tr a it ch ez elle. M a is, lorsqu e la lim ou
�g6
l a
C O M TESSE ED ITH
sin e fu t h ors du ja r d in , le ch a u ffeu r r eçu t cet
or d r e p ér em p toir e :
— Con d u isez-m oi a u ch â îea u de P léza e, p r ès
d e Ve r n o u x. Si j ’y su is a r r ivée a va n t sep t
h eu r es, vou s a u r ez cen t fr a n cs de p ou r b oire !
E d it h a va it m û r i son p la n au cou r s d e la
n u it p r écéd en te.
E lle n e p ou va it d em eu r er à Cla r ev ist e. Il lu i
sem b lait im p ossib le d e vivr e d ésor m ais dan s
cette m aison d r a m a t iq u e... E lle fin ir a it p ar y
p er d r e la raison . Alo r s, elle a va it p en sé à ch er
ch er u n e aid e au p r ès d e son u n iqu e p a r en t, le
gén ér a l. P a r m alh eu r , celu i-ci éta it ab sen t. Da n s
son d ésar roi, elle n ’a va it p lu s son gé à ce d ét a il,
d on t J a cq u es Sor elle l ’a va it in fo r m ée... Où port er a it-elle ses p as?
La com tesse n ’h ésita p as lon gtem p s; im m é
d ia tem en t le sou ven ir d e sa m ar r ain e r evin t à sa
m ém oire et elle d on n a l ’ord re au ch a u ffeu r de
la con d u ir e ver s la vie ille fille.
Celle-ci éta it u n e a n cien n e com p a gn e de cou
ven t de la m ère d e M 1"® d ’E st r a n ge , et sen sib le
m en t son aîn ée: E lle a va it con stam m en t tém oi
gn é u n e a ffection qu asi m ater n elle à son am ie
et, à la n aissan ce d ’E d it h , a va it d ésiré ten ir le
b éb é su r les fon ts d u bap têm e.
A la vér it é, la com tesse p osséd ait d eu x m ar
r ain es au lieu d ’u n e. M 11" Ch loé de P léza c éta it
d ou b lée d ’u n e sœ u r a vid e d e tou t p a r ta ger , non
p eu t-êtr e par sen tim en ta lité, m ais par besoin d e
se fou r r er p a r tou t, su r tou t 1;\ où elle n ’a va it qu e
fair e.
Le gén ér a l de La u sier n e p ou va it sou ffr ir les
vieilles d em oiselles. Il d isait volon tier s :
— Ces Plézric son t d eu x fa m eu x typ es. E lles
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d étesten t les h om m es, cou p a b les d e les a voir
laissées m oisir d an s leu r célib a t . C ’cist u n e
p r eu ve de bon sen s p ou r ta n t. Si j ’a va is ép ou sé
la b a va r d e Ch loé, je l ’a u r a is n oyée d eu x h eu r es
a p r ès la cérém on ie. Si le m alh eu r m ’a va it a cca
b lé de Zén a ïd e ver ju s, je m e serais p en d u à la
p or te d e sa m aison !
P eu t-êtr e e xa gér a it -il. Dan s le cas con tr a ir e,
on com p r en a it p ou r q u oi M "M d e P léza c éta ien t
d em eu r ées célib a ta ir es.
E n d ’a u tr es cir con sta n ces, M ,M d ’E st r a n ge eû t
h ésité à leu r fa ir e u n e visit e. A p r ésen t, elle
se sen ta it tr op h eu r eu se d ’a vo ir cette m aison h os
p it a lièr e où se r éfu gier .
A cet in sta n t, Ch r istia n son gea it en su iva n t
la d ép ou ille ter r estre de son a ïeu le :
« Cet t e fois, c ’en est bien fini d e ses m éch a n
cetés ! elle 11e p ou r r a p lu s m e fa ir e d u m al ! »
X
M "<'" d e P léza c ju st ifia ien t p lein em en t le q u a
lifica t if de « typ es » gén ér eu sem en t o ct r oyé par
le gén ér a l.
Dan s cette p r ovin ce r ecu lée, les o r igin a u x ne
son t p as r ar es. Les m ar r ain es d ’E d it h r essem
b la ien t d es p er son n a ges de rom an . Cer tes, elles
n ’étaien t p oin t d ép ou r vu es d e q u a lit és sér ieu ses,
m ais elles les a n n ih ila ien t p ar un r id icu le a ch evé.
2 .)8 - I V
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M ,,M Zén a ïd e et Cliloé d e P lé za c a t t eign a ien t
le u r soixa n t a in e. L ’a în ée, gr a n d e, d esséch ée, au
p r ofil ch eva lin m ais fort a r istocr a tiq u e, p osait
p ou r l ’am a zon e et s ’h a b illa it à la ca va lièr e d e
vestes il b r an d eb ou r gs et de ch a p ea u x em p an a
ch és, p r op r es à r a vir , tr ois siècles a u p a r a va n t,
la p lu s éléga n te d es F r o n d eu ses... Ve r s tr en te
an s, elle a va it car essé l ’esp oir de con q u ér ir u n
jeu n e cou sin , for t r ich e et d e d ix an s son ca d et.
M '1“' de P lé za c a va it ser vi d e m ère à l ’or p h elin .
E lle eû t été ch ar m ée de le n om m er son gen d r e...
M a is le p u p ille, effr a yé san s d ou te p ar les p a
n ach es d e sa p a r en te, a va it p r is le la r ge san s
esp oir d e r etou r .
Lo r s q u ’u n e p er son n e ign or a n te d e cette p a r t i
cu la r it é p a r la it du baron Sim on , M 11" Zén a ïd e
r ép éta it û crem en t cette p h rase in va r ia b le :
Ma m ère se m on tr a p a r fa ite en ver s lu i. P a r
su ite, il fu t in gr a t !
Cer tes, il a va it été bien excu sa b le : Cliloé, la
ca d ette, ét a it ron d e com m e une b ou le a vec u n e
la r ge ligu r e trou ée de d eu x ye u x p er ça n t s et
so u r ia n t s... E lle r egr etta it au ssi de ne p oin t
s ’êtr e m ariée; m ais, au lieu d e se con fin er d an s
un o r gu e ille u x silen ce, elle p a r la it ! p a r lait !...
On eftt d it un r ob in et, d éver san t un n om bre
éga l de lit r es d e liq u id e en tr e d ix h eu r es et
m in u it.
Si ses in ter locu teu r s éta ien t p olis, ils a ttei
gn a ien t tou s u n d egr é d ’h éb étu d e in q u iéta n t;
q u a n t a u x a u tr es, ils ne l ’écou ta ien t pas.
C ’éta ien t les p lu s sages.
M"' Ch loé ch oisissa it ses vict im es d an s tou s
les r a n gs d e la société. Le cle r gé p aroissial la
fu ya it com m e la gr êle; les m ar m ots p r en a ien t
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leu r s ja m b es à leu r cou d ès q u ’ils la voya ien t
a p p a r a îtr e, ca r , s ’ils r eceva ien t p a r fois un bon
b on , c ’éta it a vec des con sid ér an ts ca p a b les de
les ten ir su r p la ce ju s q u ’à la n u it. Tou t es ses
ser va n tes a va ien t cru d even ir folles, sa u f la
d er n ièr e, sou rd e com m e u n e p ioch e.
U n e cr éa tu r e au ssi gén ér eu sem en t d ou ée d e
fa cu lt és or atoir es s ’en n u ya it fata lem en t à p ér ir
d an s cet t e gen tilh om m ièr e, où les visiteu r s
éta ien t rares. Ch er ch a n t d es d istr action s et des
a u d iteu r s, la vie ille fille eu t u n e in sp ir a tion d e
gén ie : il fa lla it tr a n sfor m er P lé za c en m aison
d e fa m ille.
A ch eva l su r ses p a r ch em in s, fa u te d ’a u tr e
m on tu r e, M"*' Zén a ïd e p ou ssa d es cr is d ’or fr a ie.
P lé za c d even a n t u n e a u b er ge ! Sa sœ u r p er d aitelle le se n s?...
L a ca d ette p er sista . Sa d er n ièr e va ch èr e ve
nait de lu i filer en tr e les d oigts, p r éfér a n t la so
litu d e d e ses p â t u r a ges à la vie au ch âtea u .
Ch loé se tr ou va it san s d om estiqu e et a ccu m u la
les a r gu m en ts p ou r d écid er son aîn ée. H a b ile
m en t, elle fit va lo ir q u ’il n ’y a va it a u cu n d és
h on n eu r à m ar ch er a vec son tem p s. E lle p arla
de la vie ch èr e, et au ssi d e leu r b isa ïeu le o b li
gée à p ein d r e d es écr a n s en p a p ier j>our vivr e,
a u x h eu r es tr ou b lées d e Im m igration , et en leva
le con sen tem en t sou h aité.
M"° Zén a ïd e m it u n e seu le con d ition à la r éa
lisation d es p r ojets fra ter n els. On r ecevr a it seu
lem en t au ch â tea u d es d am es et d es a b b és, st r ic
tem en t tr iés su r le volet.
P r ises d ’u n beau zèle, les vieilles filles em
p lir en t u n e a ile d u ch â tea u d e m açon s et de
p ein tr es. P en d a n t p lu sieu r s m ois 011 b u ta su r d
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sacs de p lâ t r e et d es p ots d e cou leu r s. C ’éta it
e n n u ye u x... Les électr icien s con voq u és en su it e
éta ien t vu lga ir es; ils sifflaien t la V iolet er r a tou t
le lo n g du jo u r , san s va r ier . M ll<! Zén aïd e eû t
tolér é u n e a u d ition con tin u e d e V A d es t e fid è
les, m ais cet air p r ofan e la ch oq u a it.
P a r con tr e, la sœ u r b én issa it le Ciel de l ’a voir
si m er veilleu sem en t écla ir ée. E lle p o u va it b a va r
d er d u m atin au soir.
La n ote à p a yer fu t con sid ér a b le, m a is on ne
p eu t a ller a vec son tem p s san s b ou r se d élier.
P lê za c, cu r e d ’a ir , fu t sign a lé à l ’a tten tion d es
p er son n es d istin gu ées, sou cieu ses de tr ou ver u n e
villé gia t u r e p a isib le.
La S em a in e r elig ieu se de Vivie r s lu i con sacr a
m êm e u n e p etite n ote et les p r em ier s h ôtes
p a ya n t s a n n on cèr en t leu r ar r ivée.
Da n s la joie de son âm e, M"° Ch loé h ar cela it
la cu isin ièr e. M"° Zén a ïd e, enfin con ver tie, ne
ca ch a it pas sa joie. To u t es d eu x se r éjou issa ien t
d ’a voir p r is cet exce lle n t p a r ti. P a r exem p le,
com m e n i l ’u n e ni l ’a u tr e n ’en ten d a ien t rien a u x
a ffa ir es, cet t e façon d ’a u gm en ter leu r s r even u s
leu r coû ta fort ch e r ... M a is c ’était un d ét a il.
M mc d ’E st r a n ge a va it com p lètem en t ou blié
l ’in tr u sion d ’h ôtes p a ya n t s d an s la vie d e ses
vieilles am ies.
E n d éb a r q u a n t ù P léza c, a p r ès sa cou r se folle,
elle fu t su r p r ise d e tr ou ver le lo gis en va h i par
des in con n u s. Sa m ar r ain e, p r éven u e, in ter r om
p it u n e d isser tation su r la m eilleu r e m an ièr e de
con ser ver les r aisin s en b r an ch e et vin t lui sou
h aiter la b ien ven u e.
— C ’est tr op ge n t il à vou s, m a ch èr e p etite,
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s ’écr ia -t-elle en em br assan t la n ou velle ven u e
su r les d e u x jou es.
— Vou s ôtes tr ès bon n es d e ..., ten ta d e p la
cer M'"‘ d ’E st r a n ge.
— Allo n s d on c ! in ter jeta Ch loé, a ccélér a n t
son d éb it. Vo u s n ou s faites u n si gr a n d p la isir
en ven a n t â n o u s !... Ain si, vot r e gr a n d ’m ère est
m or te? J e su is fâch ée de n ’a voir p u voler à
Cla r e v is le ... m ais n ou s som m es tellem en t o ccu
p é e s !... Qu e vo u le z-vo u s! il fau t êtr e de son
ép o q u e ... Alo r s , n ou s avon s in sta llé u n e p en sion
de fa m ille d a n s le p a villon d es P en d u s.
E lle écla ta de rir e :
— Bien en ten d u 011 n ’a jam a is b r an ch é p er
son n e d an s cette m aison , m ais a u tr efois, à cette
p la ce, s ’éleva it la tou r qui n ou s d on n a it d r oit de
h au te et basse ju st ice .
E lle r ep r it h alein e et r ep ar tit :
— C ’éta it le p r ivilège d e P léza c. Cer ta in s
ign or a n ts n ou s d én ien t ce d r oit, m a is...
E lle éta it lan cée, au cu n e p u issan ce h u m ain e
n e ser ait ca p a b le de l ’arr êter . E d it h , étou r d ie,
l ’écou ta it a vec u n e im pression de ver t ige,
— Qu e d isa is-je? r ep r it la vie ille fille en se
d ir igea n t ver s l ’ap p a r tem en t exclu sivem en t ré
ser vé a u x p r op r iétair es.
— J e ne sais pas ! a vou a M"1" d ’E st r a n ge.
— Cela ne fa it r ie n ... o u i... n ou s a von s ici
q u elq u es am is à d em eu re. Les d ifficu ltés m a
tér ielles d e la vie n ou s on t p ou ssées à p ren d r e
cette d éter m in a tion ; m ais ce son t d es h ôtes de
ch o ix...
E lle s ’in ter r om p it, regar d a la jeu n e fem m e
et s ’écr ia :
— Que l am ou r d e ch ap eau ! m a ch èr e en
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fa n t , vou s a vez en core em b e lli... M a is, d itesm oi, com m en t va vot r e m a r i? Il est for t a im ab le
d e vou s p r êter à n ou s p ou r q u elq u e tem p s...
C ’est u n ch ar m an t h om m e... J e l ’ai vu u n e
seiile fois, c ’est vr a i, m ais cela m ’a suffi !... Il
est tr ès b ea u , vr a im en t. I l m e r a p p elle, en b ea u
cou p p h is gr a n d , m on cou sin Sosth èn e Sim o n ...
vou s s a ve z... Ah ! à ce p r op os, je vou s r ecom
m an d e de ne p oin t p a rler d u b aron d eva n t Zén a ïd e. Vo u s sa vez com bien ce ga r çon fu t in
gr a t !... E h b ien , M . d ’E st r a n ge lu i r essem b le...
cep en d a n t, m on cou sin est p et it et b lon d !
E d it h ten ta d e s ’e xcu ser su r son in d iscr étion
et d ’e xp liq u e r p ou r q u oi son m ari éta it absen t.
— J ’ai p r ofité d e l’occasion p ou r fair e u n e
cu r e d e rep os d an s la m on ta gn e, d it-elle.
E lle - fu t d e n ou veau in ter r om p u e i>ar u n d é
lu ge de p r otestation s a ffectu eu ses. Scs m arrain es
ser aien t tr op h eu r eu ses d e p osséd er u n p eu leu r
jolie filleu le.
Là -d essu s, M 11“ Ch loé con sen tit à se r etirer
et à p er m ettr e à la com tesse de se reposer q u el
q u es h eu res.
La b a va r d e cou r u t r acon ter au gr ou p e fém i
n in assem b lé a u salon le rom an d e la ch a r m a n te
cr éa tu r e, d on t le m ar i ét a it u n h om m e in com
p a r a b le, d ’u n e in t elligen ce h or s de p a ir , et p ou r
fin ir , u n e sp len d eu r , ce q u i n e gâ t a it rien .
M "0 Zén a ïd e s ’était m on tr ée tou t au ssi a ffec
tu eu se p ou r l ’a r r iva n t e , q u oiq u e m oin s loqu ace.
E lle in ter r om p it sa sœ u r p ou r d écla r er d ’un ton
cassa n t :
— Le s jeu n es filles son t bien a u d a cieu ses de
se m ar ier. Le s h om m es, m êm e les m eilleu r s, ne
va len t r ie n ... Ch a cu n le s a it !
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103
Dès le len d em ain , E d it h fit la con n a issa n ce
des h ôtesses de ses m ar r ain es; m ais, tou t en se
m on tr a n t fort gr a cieu se, elle ne ch er ch a p oin t
ù lier p lu s am p le con n aissan ce a vec ces étr a n
gèr es. Cep en d a n t, ces dam es t r ou va ien t e xt r ê
m em en t a t tir a n te cette éléga n te jeu n e fem m e
a u x gr a n d s ve u x d o u x, un peu tr istes, d on t les
loisir s s ’écou la ien t d an s la solitu d e et le silen ce
d es b ois en vir on n a n ts.
M. d ’E st r a n gc d eva it séjou r n er q u ar an te-h u it
h eu r es d an s le Ga r d . Le p r em ier jo u r , la com
tesse sc m on tra fort calm e. Le secon d , u n e n er
vosité in solite l ’a gita .
« Il d oit r even ir ce soir, p en sa it-elle. I l t r ou
ver a la m aison vid e. Vien d r a -t-il m e ch er ch er ?
Au r a -t -il l ’idée de m e su p p oser à P lé za c? ... Non ,
i1 ne s ’en d ou ter a m êm e p a s... Alo r s ? ... Où irat -il? Oh ! p ou r qu oi n ’ai-je jam ais eu le cou r a ge
de lui a vo u e r ... J e d evr a is bien m e r ésou d r e à
lu i d ir e... C ’est im p ossib le, je 11’oserai jam a is. »
Le len d em ain , elle ne cessa d ’errer a u tou r de
la m aison p ou r gu et t er le cou r r ier . Il y au r ait
cer tain em en t un m ot d e Ch r istia n .
r,e fa ct eu r r u r al a r r iva it . En le vo ya n t fo u il
ler d an s son sac, la jeu n e fem m e n e p u t s ’em p ê
ch er d e r ou gir . H éla s ! il n ’y a va it r ien 'p ou r e lle ...
E lle rem on ta d an s sa ch a m b r e et s ’y en fer m a .
Un peu a van t le d éjeu n er , M"' Zén a ïd c vin t la
tr ou ver .
—
Vou lez-vou s n ou s r ejoin d r e au salon ? ditelle. Il vien t de n ou s a r r iver u n e ch ar m an te
fem m e don t la fam ille est tr ès liée a vec celle de
votr e m ar i, M"” Du p r a t. E lle est ve u ve et p lu s
tou te je u n e ...
La com tesse eu t bon n e en vie de r ép on d r e :
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— J ’ai m al à la tête. J e p r éfèr e n e p oin t m e
m on tr er !
M a is cela eû t été d ésob ligea n t p ou r ses m ar
r a in es. E lle d escen d it.
La n ou velle a r r ivée a va it d û êtr e tr ès jo lie.
E lle ga r d a it seu lem en t d e b ea u x ye u x in t elli
gen t s et bon s. Sa b ou ch e se cr eu sa it sou s u n p li
d ou lou r eu x. Tr è s sim p lem en t vêt u e, elle éta it
p a r fa item en t d ist in gu ée et, d ’em b lée, séd u isit
E d it h .
Au m om en t où M m' d ’E st r a n ge s ’a p p r och ait,
l ’a ccen t h a r m on ieu x, u n peu voilé, de la vo ya
geu se p r on on ça it, r ép on d an t à u n e q u estion de
Cliloé :
— Ou i, M a d em oiselle, m erci, j ’ai p r éven u
m on fr èr e. Vo u s êtes m ille fois a im a b le de fair e
n n e excep t ion en sa fa veu r . J e vou s su is tr ès
r econ n a issa n te de l ’ad m ettr e à P léza c !
— J e vou s en p r ie, s ’écr ia la vieille fille,
a vid e d e r em u er sa la n gu e. N ou s som m es ch a r
m ées, m a sœ u r et m oi, d e vou s êtr e a gr éa b les et
de fair e la con n a issan ce d ’u n sava n t com m e le ...
E lle a p er çu t E d it h et se p r écip ita p ou r les
p r ésen ta tion s d ’u sa ge.
Au nom d e la com tesse, M ” “ Du p r a t r ép on
d it, un séd u isa n t sou r ir e au coin d es lèvr es :
— J ’ai b ea u cou p en ten d u p a r ler d e vou s,
M a d a m e. Mon fr èr e est u n cam a r a d e d ’en fa n ce
d u com te d ’E st r a n ge. Vo u s le con n a issez san s
d ou te? Le D r d e Com b a r ou ssc.
Ap r è s tr ois jo u r s d e solitu d e m orale ab solu e,
E d it h ép r ou va it la sen sation d ’êt r e sép ar ée du
r este du m on d e. Le nom de l ’am i de son m ari
fu t com m e u n e lu m ièr e d an s la n u it où elle se
d ébattais.
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Un élan sou d ain la p ou ssa à r ép liq u er :
— Cer tes, c ’est l ’u n d e n os p lu s fid èles com
m en sa u x. Il vien t d e n ou s m on tr er u n d évou e
m en t ab solu à l ’occasion de la m ort d e n otre
b elle-gr an d ’m ère.
— Ou i ! cla m a l ’or ga n e tr iom p h a n t d e Ch loé
d e P léza c. La d ou a ir ièr e d ’E st r a n ge est tr ép a s
sée su b item en t.
E t , tr ès vit e, p r écip it a n t les m ots, elle a jou ta :
— C ’ét a it seu lem en t la secon d e fem m e de
l ’aïeu l d u com te Ch r ist ia n . E lle 11e sera pas
lon gtem p s p leu r ée... J e p u is le con fier à la sœ u r
d e son m éd ecin , n ’est-ce p as?
G ên ée, M mc D u p r a t éb a u ch a .un gest e. M a is,
d éjà , M 11’ Ch loé con t in u a it , les p a r oles p arais
saien t se h eu r ter su r ses lèvr es, ta n t elle se
h â t a it :
— Ah ! M . et M"'c d ’E st r a n ge on t m on tr é u n e
fam eu se p a tien ce ! La situ a tion n ’éta it cer t a in e
m en t pas ga ie p ou r e u x. P a r bon h eu r , le com te
est u n e p er fection .
E lle se tou r n a ver s sa filleu le :
— O u i, 111011 en fa n t, je le p r ocla m e, il est
p a r fa it ! Vo u s le con n a issez, n ’est-ce p as, ch èr e
M a d a m e?... Il est le p or t r a it fr a p p a n t d e n otre
cou sin le baron Sim on , en tr ès gr a n d , et b r u n ...
E lle tou ssa tr ès fort.
— Ch u t ! con scilla -t -elle. Vo ici m a sœ u r !
In ca p a b le de se con ten ir , la b a va r d e glissa à
l ’or eille d e M n" D u p r a t , st u p éfa it e, et en m êm e
tem p s d iver t ie :
— Il ne fau t p oin t n om m er Sosth èn e d evan t
Zén a ïd e, il a r efu sé sa m ain . Ga r d ez-n ou s le se
cr et , 11’est-ce pas?
P en d a n t le d éjeu n er , E d it h n ’eu t a u cu n e d é
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LA .
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p en se de p aroles à fair e. Sa m ar r ain e, r a vie dé
tr ou ver u n e a u d it r ice n on en core ép u isée p ar
ses d iscou r s, n e cessa d e b a va r d er su r les su jets
les p lu s d iver s.
On ne p u t se d ébar rasser d ’elle q u ’en lu i r e
m ém or an t l ’ob liga t ion où elle éta it d e se r en d re
à l ’a ssem b lée gén ér a le d e l’Œ îu vre des Ta b e r
n a cles q u i se ten a it à Vern ou ^ c.
M "1'' D u p r a t p assa l ’ap rès-m id i a vec M""' d ’Estr a n ge. E n sem b le, les d e u x fem m es fir en t le
tou r du p arc, p u is sor tir en t u n p eu d an s la ca m
p a gn e. To u t en m ar ch a n t, la sœ u r de P a u l de
Com b a r ou sse é t u d ia it la com tesse. Cet t e jo lie
jeu n e fem m e ne. p a r a issa it pas tr ès h eu r eu se.
P ou r q u oi viva it -elle à P léza c au lieu d ’êtr e a u
près de son m ar i?
M"‘° d ’E st r a n ge n e se cr o ya it p as ob servée.
E lle p a r la it de ch oses in d iffér en tes en s ’effor ça n t
d e m on tr er u n e p a r fa ite lib er té d ’esp r it.
A p lu sieu r s rep rises, elle p r on on ça le nom du
d octeu r . M"10 Du p r a t n e p a r a issa it p as l ’en
ten d r e, et se con ten ta it d e sou p ir er en leva n t
les ye u x au ciel.
Lor sq u e les d e u x p r om en eu ses r ega gn èr en t le
ch â t ea u , elles étaien t d even u es fort b on n es am ies.
Le q u atr ièm e jou r de la cu r e d ’E d it h se passa
com m e les p r écéd en ts. La jeu n e fem m e a tten d it
en vain un m ot de son m ari.
L ’a p rès-m id i s ’a ch eva it lor sq u e P a u l d e Com
b arou sse a r r iva . En le vo ya n t d escen d re d e vo i
tu re, M"" d ’E st r a n ge eu t cette p en sée sou d ain e :
« Il q u itte Ch r ist ia n , il m e dira com m en t il se
p o r t e ... et m e co n seiller a ... »
De p lu s en p lu s d ém or alisée par la solitu d e,
elle ch er ch a it u n e m ain am ie, secou r a b le, un
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
107
d ir ecteu r d e con scien ce su scep tib le d e l ’aid er
à sor tir de l ’im p asse où elle s ’éta it en ga gée.
Com m en t 11’a va it-elle p as son gé à lui d éjà ?
P a u l éta it le cam arad e de collège d u com te; il
con n a issa it les d ifficu ltés d e sa situ a tion , ja d is
si p én ib le au p r ès d e la d ou a ir ièr e; il éta it tou t
q u a lifié p ou r cet em p loi de con fid en t d iscr et et
s(\ r, p u isq u ’il éta it m éd ecin et a ccou tu m é à ne
rien r ép ét er ...
Cer tes, il fa u d r a it a voir d u cou r a ge p ou r ré
véler l ’h or r ib le sou p çon à un tier s, m êm e in tim e.
M a is, si elle s ’éta it tr om p ée, si elle a va it fau s
sem en t ju g é les faits, p er son n e m ieu x qu e le
d octeu r 11e ser ait ca p a b le de l’éclairer .
C ’est p ou r q u oi M "‘° d ’E st r a n ge sou h a ita de
p a r ler im m éd ia tem en t à P a u l... M a is celu i-ci
ét a it en fer m é a vec sa sœ u r.
Ava n t le d în er , seu lem en t, ils fu r en t rassem
b lés au salon . Com b a r ou sse m on tr a u n e extr êm e
su r p r ise en tr ou va n t la com tesse à P léza c. Il
ign or a it q u ’elle fû t la filleu le de M "0 Ch loé.
Celle-ci le r en seign a abon d am m en t su r ce p oin t
et p r ofita d e la cir con sta n ce p ou r d évid er u n e
p a r tie d e sa gén éa logie. Cela d u ra tou t le tem p s
du repas.
E t a it -ce l ’in flu en ce d e sa sœ u r 011 la p u r eté
d e l ’a ir m on tagn ar d q u i a gissa it su r l'âp r e
n a tu r e du m éd ecin ? m ais il se m on tr a aim able,
ca u seu r d iser t, et p a r ticu lièr em en t cou r tois a vec
la com tesse. Peu à p eu , la con ver sa tion se fa i
san t p lu s in tim e, il affecta de p r en d r e vis-à -vis
d ’E d it h l ’a ttitu d e d ’un frèr e a în é, tr ès r esp ec
t u e u x, cer t es, m ais b ien veilla n t à l ’excès.
I.a jeu n e fem m e en ressen tit un b ien -êtr e in
fin i. Déjà rassér én ée, elle ch er ch a le m oyen de
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r en con tr er , tête à tête, l ’am i de son m ar i. M a is
M'"° D u p r a t , d ésir eu se san s d ou te d e jo u ir de la
p r ésen ce de son fr èr e, ne les lâ ch a it p as d ’u n e
sem elle.
D e u x jou r s a p r ès l ’a r r ivée du d octeu r ,
M “ d ’È st r a n ge l ’a p er çu t su r la terrasse. Il fa i
sait les cen t p as tou t seu l, le fr on t b a issé... E lle
cou r u t le r ejoin d r e.
— Mes h om m ages, M a d a m e, fit Gom barou sse,
en l’a p er ceva n t . Com m e vou s voilà m a t in a le!
Ce n ’est p a s tr ès bon p ou r vou s. Le som m eil
p r olon gé vou s ser ait tou t à fa it p r ofitab le.
Il
p r on on ça it cela a ffectu eu sem en t, de sa n ou
velle façon fr a ter n elle.
D ’un ton d ét a ch é, la com tesse r ép liq u a :
— Dor m ir ! c ’est fa cile à d ir e ... Il faudrait,
p ou r cela n e p en ser à rien . E st -ce p ossib le?
— J e ne cr ois p as ! a vou a le d octeu r .
Il se r em it à m arch er.
— Mad am e votre sœ u r ? com m en ça E d it h , ne
sa ch a n t d e q u elle façon ren ou er l ’en tr etien .
— E lle est sou ffr a n te et ne d escen d ra pas
a va n t le d éjeu n er . Vo u s la ch e r ch ie z? ,., d em ati'
d a-t-il.
U n e d er n ièr e fois la jeu n e fem m e h ésita , p u is,
b r a vem en t :
— N on , c ’est à vou s, n otre a m i...
E lle a p p u ya :
— ...Q u e je vou d r a is d em a n d er con seil.
— Qu estion p r ofession n elle? sou r it a vec b ien
veilla n ce le m éd ecin .
— P a s du tou t. C ’est ...
P lu s gr a ve , la vo ix frém issa n te, elle a ch eva
d ’un tr ait :
— C ’est ter r ib le et j ’en m eu rs. J ’ai ap p r is u n e
�■
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10 9
ch ose ép ou va n ta b le. Ce n ’est sû r em en t p as vr a i,
m ais, je vou s en p r ie, d ites-m oi la vér ité. Vou s
a vez con n u la prem ière M"H' d ’E s t r an ge?
Il tr essa illit, sa b ou ch e se cr isp a , p u is, très
ca lm e, il r ép on d it :
— O u i, M a d a m e !
— E lle vou s p r en a it p ou r con fid en t?
Com h arou sse in clin a la t êt e affirm ativem en t.
D ’un gest e sec, il se m it à effeu iller u n e b r an ch e
d e sap in .
— P ou r m on m alh eu r , p ou r su ivit la com tesse,
j ’a i... j ’ai tr ou vé son jou r n a l in tim e. J ’a i lu ...
d es fa it s... oh ! si je p ou vais les o u b lie r !...
— Il ne fa u t p oin t ja lou ser u n e m orte, m u r
m u r a P au l a vec effort.
— Dieu me ga r d e de n ou r r ir pareil sen tim en t,
p r otesta la com tesse. C ’est-à -d ir e... je sou ffre
u n p e u ... d e ... ce p assé, m ais cela n ’est rien
à côté du r est e... E lle a ccu se ... mon m ar i,
d ’a voir vou lu s e ... d ébar rasser d ’elle, l ’ép ou se
m alad e d on t il 11e p ou va it esp érer d es en fa n t s...
E lle le sou p çon n e d e l ’em poison n er peu à p e u ...
Ces m ots p r on on cés d an s un sou ffle, elle
s ’a r r êta , écrasan t son m ou ch oir su r ses lèvr es.
Com b a r ou sse ne r ép on d it rien . Au cu n e s yl
lab e n e sor tit d e ses lèvres.
— Ce n ’est pafj vr a i, n ’est-ce p a s? im plora
l ’in for t u n ée, p r ête à s ’éva n ou ir .
— Com m en t p ou vez-vou s a jou ter foi à des
a lléga t ion s p a r eilles? b a fou illa le d octeu r , les
ye u x fixés su r la t er r e... C ’est bien gr a ve ...
Ch a r lo t t e sou ffr ait d ’u n e n évr ite car a ctér isée.
E lle a d or a it son m a r i... Il l ’a va it p eu t-êtr e a i
m ée au d é b u t ... p en d an t 1111 m ois... m ais il a pu
q u elq u efois l’effr a yer p ar la violen ce d e son ca
�n o
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r a ct èr e... Les ce r ve a u x fém in in s son t p r om p ts
à s ’ala r m er .
Il p a t a u gea it , ne d ém en ta n t rien .
— Com m en t est-elle m or te? in ter r ogea E d it h ,
en cor e p lu s a ffolée p ar ses r éticen ces.
— Su b it em en t ! la issa tom ber P a u l.
Le s d o igt s de la com tesse se cr isp èr en t su r la
m an ch e d u d octeu r .
— Com m e sa gr a n d ’m èr e... a lor s? b a lb u t ia la
jeu n e, fem m e. E lle s ’est s u icid é e ?...
— N on , je le ju r e ! s ’écr ia Com b a r ou sse,
Ch a r lott e n ’a pas h âté sa fin ... L ’a u tr e, la d ou a i
r iè r e ... je n e sais p a s...
— Cep en d a n t, m on m ar i m ’a d it ...
— Si Ch r istia n a p a r lé, je n ’a i rien à a jou ter ,
d éclar a le d octeu r n ettem en t. Ra p p or t ez-vou s-en
a u x p aroles de votr e m ar i. Cr o yez en sa sin cé
r ité. N e ch er ch ez p as à sa vo ir ... C ’est le p lu s
sage.
— P a r gr â ce, M on sieu r , r assu r ez-m oi, gém it
la m a lh eu r eu se, b lêm e d ’h o r r eu r ... J e m e su is
tr om p ée... Dites-le-m oi.
Au lieu de r ép on d r e, il q u estion n a :
— Le jou r n a l secr et, ces n otes, où les avez
vou s p la cées... ap r ès? Vo u s les a vez d étr u ites,
san s d o u t e ?...
— N on , fit-elle m ach in a lem en t; le ca h ier est
en fer m é d a n s m on b u r eau .
U n e lu eu r étr a n ge b r illa d an s les ye u x de
Com b a r ou sse, p u is s ’ét eign it . D ’un ton r a d ou ci,
com m e s ’il eû t été r a vi d u r en seign em en t, il d é
cla r a :
— Vo u s d ésir iez u n con seil, M a d a m e, su ivez
d on c celu i-ci : Cou ch ez-vou s d e b on n e h eu r e. Ne
lisez p lu s d e r om a n s... su r tou t n ’en im a gin ez
�r
L A CO M T E S S E E D I T H
it i
p as. La issez r ep oser votre cer vea u , cela sera
de b ea u cou p p r éfér a b le p our votr e sau té à
la lectu r e de m a n u scr it s... p eu t-êtr e fa n t a i
sistes.
— Vo u s p la isa n tez, d octeu r , sou p ir a la com
tesse. C ’est m al, vou s n e vo ye z d on c p as l ’éta t
d an s lequ el je su is? Il y a de quoi p er d r e la
r aison . Avo ir p ou r m ari l ’êtr e le p lu s d o u x, le
m eilleu r , l ’a im er ... a h ! tellem en t ! e t d ou ter de
lu i... c ’est la p ire tor tu re.
— Vo u s vou s cr éez d es ch im èr es, Mad am e,
et cr o yez votr e m a lh eu r in fin i. Il est cep en d an t
bien or d in a ir e. T a n t d ’êtr es h u m a in s sou ffr en t
m ille fois d a va n t a ge ... Cr oyez-m oi, il e xist e des
su p p lices b ea u cou p p lu s ter r ib les; p a r exem p le,
t e n e z...
Son accen t ch an gea bru sq u em en t :
— Vo ir la fem m e ch ér ie en tr e tou tes vou s d é
d a ign er , et ch oisir , d eva n t vos ye u x, le ...
Il n ’a ch eva p as sa p h rase. M""’ D u p r a t ap p a
r aissait au tou r n a n t de l ’a ven u e. E lle m ar ch ait
r a p id em en t, l ’a ir sou cieu x.
— Voici ma sœ u r , an n on ça P a u l a vec aisan ce.
Il m arch a ver s elle.
— 'l'a m igr a in e est calm ée? d em an d a-t-il avec
sollicitu d e.
— P as tou t à fait ! J e n e sa va is p as M"” d ’Est r a n ge d éjà sor tie. M"° Zén a ïd e vien t d e m e
l ’a p p r en d r e. J ’ai été à sa r ech er ch e d an s le
p a r c...
_ Le cou r r ier est a r r ivé? cou p a vivem en t
E d it h .
— O u i, à l ’in stan t.
— Ai-je d es lettr es?
— Non !
y
�u à
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C O M T ESSE
E D IT H
D e u x lar m es m on tèr en t a u x ye u x d e la com
tesse. La p r em ièr e M mo d ’E st r a n ge a va it -elle
raison lor sq u ’elle affirm ait l’in con sta n ce d e son
m a r i?...
XI
L ’a u tom ob ile de Ch r ist ia n d ’E st r a n ge tr a
ver sa To u r n on com m e u n écla ir et p r it la rou te
de Cla r ev ist c.
Cet t e b r ève ab sen ce a va it p a r u in ter m in ab le
au vo ya geu r . Loin d ’E d it h , il ou b lia it l ’a ttitu d e
in e xp lica b le d e la jeu n e fem m e et r ejet a it tou s
les t or t s su r lu i-m êm e : « J e l ’a i effr a yée, se
r ép éta it-il. J ’a u r a is dû m e m on tr er p lu s p a tien t.
P a r o r gu eil, je n ’ai p a s vo u lu p lier le p r em ier et
lu i d em an d er p ou r q u oi elle p araissait tr iste.
J ’a va is u n e sin gu lièr e façon de la r em er cier de
su p p or ter a vec tan t de b on n e gr â ce la p r ésen ce
d ’u n e d ét esta b le m a r â t r e... P a u vr e p e t it e...
Com m e j ’ai été m éch an t ! »
Ave c u n e sat isfaction in d icib le, Ch r ist ia n vit
en fin a p p a r a îtr e les toits d e sa m aison .
D u bas de l’a ven u e, u n cou p de cloch e sign a la
l ’a r r ivée d u m aîtr e. M . d ’E st r a n ge escom p ta it
d éjà la m in u te oit sa fem m e a cco u r r a it ver s lu i,
les m ain s ten d u es.
Sa n s laisser au va let d e p ied le tem p s m até
riel d ’ou vr ir la p or tièr e, il b on d it à t er r e et p é
n étr a d an s le h all.
�L A CO M T E S S E E D I T H
113
P er son n e n e se m on tra.
Il r essen tit u n e p oign an te d écep tion . S3113
d ou te, E d it h , 11e l ’a tten d an t pas au ssi tôt, était
sortie.
A cette m in u te, la fem m e d e ch a r ge a p p a r u t.
M on sieu r le com te a fa it bon vo ya ge ? ditelle a vec u n e r évér en ce. Il n ’a p as été in com
m odé p ar la ch a leu r ? J e p en sais qu e M on sieu r
p r en d r a it M mo la com tesse au p assage.
St u p é fa it , Ch r istia n in ter r ogea :
— M ad am e n 'est p as il la m aison ?
— M a is ... M on sieu r n ’éta it d on c pas p r éven u ?
M""’ la com tesse est p a r tie le jo u r m êm e d e
l ’en terr em en t. J ’ai reçu l ’ord re d e fair e s u ivr e
les télégr a m m es, s ’il y a va it lieu , ch ez M . le
gén ér a l d e La u sier et de r em ettre les lettres!
a d r essées à M ad am e à M. le com te a vec
ce ci...
E lle p r ésen ta , d ’u n gest e arr on d i, u n e cle f iï
son m aîtr e, p étr ifié de su r p r ise.
— Q u ’est-ce? fit-il d ’un ton sec, p ou r cach er
son tr ou b le.
— La clef de la ch am bre de Mad am e; les
b ijo u x son t r estés su r le b u r ea u . M 1"* la com
tesse m ’a d it de p r ier M on sieu r le com te de les
ser rer.
E lle a jou ta :
— Madam e a va it p eu r ici san s Mon sieu r .
M a lgr é l ’im p a ssib ilité vou lu e de la ser va n te,
M d ’E st r a n ge d evin a it u n e cu r iosité in ten se. »
11 r ép on d it, h au tain con tr e son h ab itu d e :
— C ’est bien . E n voyez-m oi J oseph tou t de
su ite. Dites-lu i de p r ép ar er mon b a in ... et p u is
p r éven ez
l’office, je 11e dîn erai p as ! O11 me
ser vir a d u th é d a n s la b iblioth èqu e.
�« 4
LA
C O M T ESSE
E D IT H
L a fem m e de ch a r ge ob éit, éton n ée du ton
cassan t.
Affo lé à l ’id ée de tr ou ver u n m essa ge de r u p
t u r e d an s le b ou d oir de sa fem m e, Ch r istia n se
d ir igea ver s son ap p a r tem en t p er son n el. La
p or te de com m u n ica tion en tr e sa ch am b re et
celle d ’E d it h éta it ou ver te, il p én étr a ch ez la
com tesse.
L ’ob scu r it é com p lète r égn a it d an s la p ièce.
U n e od eu r tr ès d ou ce, m éla n gée d e rose et
d ’a m b r e, y flotta it en core. Les tem p es b a ttan tes,
le cœ u r b on d issan t, Ch r istia n o u vr it u n e fen êtr e
p ou r d on n er u n peu de cla r té. U n r ayon d a n
san t, fu r t if et d oré, caressa les m eu b les de bois
scu lp t é, la cou r tep oin te de vie u x ven ise, les p or
tièr es de la m é... Dan s u n e cou p e d ’o n yx, su r le
b u r ea u , les b r illa n t s et les r u b is la n ça ien t des
fe u x. Il s ’ap p r och a.
Oh ! ces a n n ea u x fr a giles et si étr oits ! p o u r
qu oi éta ien t-ils là et non a u x d oigts de l ’a bsen te?
A côté du vid e-p och e, sa p h ot ogr a p h ie à lui
¡dem eurait d an s son cad r e d ’a r gen t n iellé. Au Üessous du p or tr a it, la m in u scu le cle f du secré
ta ir e était posée.
Il r ega r d a a u tou r de lu i. Au cu n e lettr e ne
(traînait. Rien n ’in d iq u a it le d ésir d ’u n e e xp lica
tion de ce d ép art r a p id e... et si sem b lab le à une
fu ite.
M a lgr é sa for ce, le m a lh eu r eu x ch a n cela . Il
d u t s ’a p p u yer à la ch em in ée.
P ou r q u oi a va it-elle a gi de la sor te?
Il essaya a u ssitôt de se rassu rer.
—
J e su is fou de m e t or tu r er a in si, fit-il à m ivo ix, la p a u vr e en fa n t fr isson n a it de cr a in t e,
elle n ’a p as osé d em eu r er ici, san s m oi. M a i-
�LA C O M TESSE ED ITH
iij
gu é r it e s ’en est r en d u com p te. E lle a cou ru ch ez
son on cle. J e va is la ch er ch er !
Il son gea it d éjà a u x ten d r es r ép rim an d es p on c
tu ées d e b a iser s q u ’il ad r esser a it à la fu git ive ,
p ou r lu i a voir gâ t é la joie d u r etou r .
D 1111 gest e m a ch in a l, il saisit la cle f m in u s
cu le et l ’in tr od u isit d an s la serru re.
—
J e ne l ’a u r a is p as cr u e im p r ession n able à ce
p oin t, p o u r su ivit -il. P a u l m e le d isa it. J e su p
p osais q u ’il e xa gé r a it
Le m eu b le s ’o u vr it en gr in ça n t 1111 p eu . M a l
gr é lu i, le com te tr essa illit, com m e s ’il eû t re
d ou té u n m alh eu r .
Au m om en t d e ch er ch er le coffr et à b ijo u x,
il h ésita. Il r ép u gn a it à sa d élica tesse d ’ou vr ir
les tir oir s d e sa fem m e. M a is cette p en sée lu i
vin t , ch assan t ses scr u p u les :
« E lle m ’a fa it p rier d ’en fer m er ses b ègu es.
E lle ne sera p as su r p r ise en les r etr ou va n t à
leu r p la ce... »
Com m e la p lu p a r t d es m eu bles a n cien s, le
b u r eau d e M mu d ’E st r a n ge con ten ait u n e ca
ch ette h ab ilem en t d issim u lée. E d ith a va it logé,
d a n s ce r éd u it secret, scs p ierr er ies con stam m en t
p or tées, les lettr es d e son fian cé et q u elq u es
sou ven ir s d a ta n t des p r em ier s jou r s d e son m a
r ia ge: Ch r istia n 11e l ’ign or a it p oin t, et sa gèn e
r ed ou b la it à l ’idée d e d ér a n ger ces ch oses si
soign eu sem en t con ser vées. Un in sta n t il son gea
à r efer m er le m eu b le, à r ep ren d r e les jo ya u x et
les en fer m er d an s son secrétair e.
P a r m alh eu r , il h eu r ta b r u sq u em en t le r essort
in visib le, la p la q u e d e m ar q u eter ie s ’éca r ta , d é
m asq u an t le com p a r tim en t d e sû r eté.
U n p etit livr e r elié d e m aroqu in rose, posé su r
�ti6
LA
C O M T ESSE
E D IT H
la boite à b ijo u x, a ttir a son a tten tion . P en d a n t
les sem ain es qu i ven aien t d e s ’écou ler , il a va it
b ien sou ven t a p er çu ce car n et à ser r u r e d ’or
en t r e les d oigt s de sa fem m e. Qu e p ou va it-il
con t en ir de p a ssion n an t? Tr o p ga la n t h om m e
p o u r a voir m êm e l ’id ée d e fou iller d an s les
p a p ier s d e l ’absen te, il a lla it écar ter le cah ier
m ys t é r ie u x, lor sq u e, p ou r a ttein d r e le coffr e,
il sou leva l ’alb u m . La d evise gr a vée su r la ser
rure apparut :
Du p a y f du rêve. Etrangère ici.
— 0 !; ! s ’écr ia -t-il, le jou r n a l de Ch a r lo t t e...
¡entre les m ain s d ’E d it h ! Qu elle catastr op h e !
Con ster n é, car il n ’ign or a it p oin t com b ien sa
p r em ièr e fem m e a va it la p lu m e exp a n sive , il
p o u r su ivit :
— Vo ilà p ou r q u oi E d it h p r en a it a vec moi
Ce t t e a t t it u d e r a id ie... p ou r q u oi elle éta it tr a n s
for m ée, cr a in t ive, fu ya n t e, gên ée. Il y a va it de
q u oi, cer tes ! M a is vr a im en t je n e p ou va is me
d ou ter . Qu el m a lh eu r ! Com m en t ét a it-elle en
p ossession d e ce m au d it gr iffo n n a ge?
Un écla ir sa u va ge illu m in a son r ega r d . To u t e
t r a ce de d ou ceu r en d isp ar u t.
— La d ou a ir ièr e le lu i'a u r a it -e lle d on n é, par
h a sa r d ? Oh !... ce ser ait trop é p o u va n t a b le !...
Sa n s r éfléch ir d a va n t a ge, d ésir an t seu lem en t
sou str a ir e ce fu n este ca h ier a u x ye u x d e sa
fem m e, lo r sq u ’elle r en tr er a it, M . d ’E st r a n ge
s ’em p ar a d u livr e r ose et p a r tit.
Il n ’a va it poin t le d ésir d e p r en d r e con n a is
san ce de la prose de Ch a r lot t e, m ais il vou la it
d ét r u ir e le m a n u scr it ... Son cer vea u a ffolé éta it
en va h i p ar u n e u n iq u e p en sée :
�L A CO M TE SSE
E D ITH
ir ;
« E d it h a dû ter r ib lem en t sou ffr ir ; elle est
tr ès e xclu s ive ..., la p a u vr e ch é r ie ! E lle a dû
m e ju ge r b r u t a l. J e m e su is m on tr é p a r fa ite
m en t d ésa gr éa b le... »
Le s pas d u va let cle ch a m b r e cir cu la n t dan s
la p ièce voisin e in ter r om p ir en t ses m éd ita tion s.
Le p lu s pressé n ’ét a it p oin t de se d ér ober , m ais
de voler su r -le-ch am p à Va len ce, de r etr ou ver
E d it h et d e la r am en er au p lu s tôt. Ave c une
h âte féb r ile, il p r écip ita sa toilet te et com
m an da :
— L ’a u tom ob ile im m éd ia tem en t. J e ve u x êtr e
ch ez le gén ér a l d e La u sicr a va n t le d în er ...
J osep h tr a n sm it l ’or d r e au ch a u ffeu r . Celu i-ci
éta it fa t igu é , il b ou gon n a :
J e su is é r ein t é... n ou s a von s fa it du cen t
de m oyen n e d ep u is N îm es... Ce n ’est p lu s un
m étier !...
— T u te p la in d r a s p lu s ta r d , mon vie u x,
r ip osta le d om estiqu e. M on sieu r est p r essé... et
''d e m au vaise h u m eu r ! J e ne sais p ou r q u oi, m ais
il n ’est pas sa t isfa it ... a h ! certes n o n !
Qu a r a n te m in u tes p lu s tar d , le com te d ’Est r a n ge en tr a it ch ez l ’on cle d ’E d ith .
Le gén ér a l et sa fille étaien t de retou r
d ep u is q u elq u es h eu r es à p ein e. Ce fu t u n e st u
p eu r p ou r e u x de voir a p p a r a îtr e Ch r istia n , p âle,
u n e a n goisse d an s le regar d .
_ E n qu el h on n eu r ? s ’écria l ’on cle d e sa vo ix
joyeu se, san s r em ar qu er le tr ou b le d e son n eveu .
Vou s voilii d éjà r en tré d u G a r d ? ... E h bien ,
elle est en fin casée d éfin itivem en t, votre d éli
cieu se a ïe u le !...
Le jeu n e h om m e esqu issa un gest e éva sif.
�j i 8
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— J e vien s ch er ch er m a fem m e, com m en çat-il.
— M a is elle n ’est p as ici, cou p a le vieilla r d .
E lle est ven u e, p a r a ît-il, p u is r ep ar tie com m e
u n b olid e a vec u n e au to d e lou a ge.
— H e in ? s ’écria le com te en ch a n gea n t d e
cou leu r . E lle n ’est p as a vec vou s?
— Vo u s le vo ye z !
— M a is alor s, où est-elle?
— A Cla r ev ist e, p r ob a b lem en t !
— C ’est a ffola n t ! b a lb u t ia le m a lh eu r eu x
m a r i, p er d a n t tou t em p ir e su r lu i-m êm e.
Le gén ér a l cessa de p la isan ter .
— Allo n s, m on am i, fit-il, su b item en t p a ter
n el, con fessez-vou s. Vo u s vou s êtes q u er ellés?
— J a m a is! p r otesta Ch r istia n . J e n e com
p r en d s rien à ... je ...
— D ia b le ! m a u gr éa l ’on cle, p er p lexe. Où
p eu t -elle êtr e p assée? E lle n ’a a u cu n e fa m ille...
D ’a illeu r s, p u isq u e son escap ad e n ’est p as la
con clu sion d ’u n e b ou d er ie d estin ée à vou s ob li
ger à d em a n d er p ard on de fa u t e s... im a gin a ir es,
elle eu t u n e id ée sin gu lièr e de vo ya ge r san s vou s
a ver tir .
— Bien ét r a n ge, en effet, r ép éta le com te
d ’u n e vo ix san s tim bre.
— E lle n ’a la issé a u cu n e exp lica t io n ?
M. d ’E st r a n ge refit en d eu x m ots le récit d e
la fem m e de ch a r ge. P u is 011 t in t con seil. To u t
d ’abord effa r ée, Ch ou ch ou su ggér a :
— E lle est p eu t-êtr e ch ez ses m ar r ain es.
Le gén ér al a b h or r a it M 11** d e P lé za c; il h au ssa
les ép au les.
— Tu es d én u ée de sen s com m u n , m a p etite,
gr ogn a -t -il. On va ch ez ces d e u x d étr a q u ées lors-
�LA
C O M TESSE ED ITH
tto
q u ’on a le goû t d u m eu r t r e... san s cela , ja m a is !
La je u n e fille n ’in sista pas. Qu elq u es m inute-,
s ’écou lèr en t en con ject u r es d iver ses, p u is Ch r is
tian p r it con gé.
M a lgr é les p r ièr es du gén ér a l, 1e com te r ep rit
le ch em in d e Cla r cv ist e.
En lu i-m êm e, il se d isa it :
—
Cet t e p etite est la seu le à y voir cla ir . Ch ou
ch ou con n a ît bien sa cou sin e, elle a cer tain em en t
d écou ver t la r etr a ite de ma p a u vr e E d it h !
Il éta it trop tar d p ou r se p r ésen ter à P léza c.
M a is le len d em ain , d ès l ’a u b e, il se m ettr ait en
r ou te !
E t cette pen sée r ad ieu se illu m in a it les tr a its
de M . d ’E st r a n ge.
M in u it ven a it de son n er. Un e seu le lam p e voi
lée de soie ver te écla ir a it la b ib lioth èq u e. P en
ch é su r un m an u scr it, Ch r istia n lisa it ...
Si un êtr e in visib le était p arven u à se glisser
d a n s la vaste salle, il a u r a it pu voir l’an cien lieu
ten an t d e d r a gon s, cet h om m e follem en t b r ave,
p â lir , tr em bler , r elever la tête et r ega r d er au
tou r de lui d ’un œ il égar é.
Les lign es gr iffon n ées com m e par saccad es
p ar la m ain n er veu se de Ch a r lot t e d an saien t de
va n t scs ye u x.
Les p rem ières con ta ien t les m en u s faits d e
leu r vo ya ge de noces.
Mai 192...
Je suis heureuse! J 'ai peur de l ’être trop, d ’out repasser ma pari île bonheur. Il 11e peut y avoir
au inonde rien de comparable ü mon mari. Sa
gr a n d ’mère avait bien raison de le répéter avan t
nos fiançailles. Il m ’aim e! Com m ent ai-je pu
craind re de n ’être point ch oisie?
�f 20
LA
C O M T ESSE
E D IT H
Cela d u r a it su r ce m od e en th ou sia ste p en d an t
des p a ges et d es p ages.
E d it h a va it lu cela . I l con tin u a .
Ch ristian ne conn aît pas le m al dont je souffre
par «a faute... Il gâch e notre bon h eur... si d ou x...
Su iva it u n r ésu m é d e la m en ta tion s et d e re
p r och es.
Aoû t 192...
Ch ristian est au x m anoeuvres. Il n ’aur ait pas
dû me laisser. J e suis m alade. Il n ’a pas cédé à
m es prières. Je lu i ai fait jurer de m ’écrire chaque
Lu n d i.
Pas de lettre... Je 11e sais que deven ir!
•
J eu d i.
-
Rien encore.
Dim an ch e.
J ’ai trop de ch agr in ... je ne puis p lu s... Combarousse est ven u. C ’est un ami sincère. Je lui ai
tou t raconte. Il m ’a dém ontré combien j ’étais folle!
J an vier 102...
Une nouvelle année commence. Sera-t-elle m eil
leure pour m oi? C ’est peu probable. Ch ristian ne
m e pardonne pas de l ’avoir con train t à dém ission
ner. Il aim ait son m étier... Je ne le vois presque
p lu s... 11 voyage san s cesse... Ce n 'est pourtant
pas de ma faute si je suis m al portan te, et inca
pable de m ener la vie des autres femmes de notre
société...
Paul ine con seille de résister. J ’ai peur. Ch ristian
me déteste. Il vou drait me voir m orte... J e le sen s...
Si je d isparaissais, je serais vite rem placée... Je
veu x vivre... je suis jeun e, je puis gu ér ir ... Je 11c
perm ettrai poin t à une autre femme d ’entrer dans
sa vie... 11 est à m oi... à m oi... seu le 1
�LA
C O M T ESSE
E D IT H
i 2ï
U n e an n ée en tièr e s ’éta it écou lée. L ’écritu r e
d even a it illisib le.
Ch r is t ia n est p lu s p a t ie n t . I l m e s o ign e . Co m
m en t a i-je p u r e s s e n t ir d e l ’effr o i en sa p r ésen ce,
il e s t s i bon !
Qu elq u es lign es p lu s loin :
J e so u ffr e com m e u n e d a m n ée. D e p u is le r et ou r
d e m on m a r i, m es cr ise s se fon t p lu s d o u lo u r eu se s.
'Se r a is -je d on c co n d a m n ée à p a r t ir ? ...
S i je m eu r s e m p o is o n n é e ? Q u i m e ve n g e r a ? ...
J e p er d s m es for ces d ’h eu r e en h e u r e ... Ch r is
t ia n p r o vo q u e l ’a d m ir a t io n d e n o t r e e n t o u r a ge . I l
n e cesse d e m ’e n vir o n n e r d e sa s o llicit u d e ...
La comédie touche à son dénouement. Le rideau
se baissera su r le drame de ma vie... et nul ne
s ’en doutera... sau f m oi... Car je sais... Il me
t u e !... ■
Mon bourreau n ’a rien à redouter. Depuis lon g
tem ps je traîne. On dira : Cette pauvre comtesse
d ’Kstr an ge n ’avait aucun e santé. Son mari a été
p arfait pour elle!
En effet. Il m ’aura débarrassée de l ’existence.
Je l 'en remercie !
D'avan ce je vois une autre jeune fille, belle, con
fiante, comme je l ’étais, prendre ma place. «Si elle
lit 1111 jou r ces pages, elle comprendra combien
un cœ ur de femme aim ante peut être broyé
par un mari volage et cru el... Elle se rendra
compte du sort réservé à sa ten dresse... Comme
moi, la m alheureuse pleurera devan t son idole
brisée.
D eu x tach es r on d es, d es larm es san s d ou te,
p on ctu a ien t la d er n ièr e lign e. Ch r istia n n ’eu t
pas u n e h ésita tion . E d ith a va it lu . Ces p leu r s
éta ien t les sien s.
Les ye u x a gr a n d is d ’h or reu r , il p r on on ça tou t
h a u t, l ’a ccen t r au q u e :
�122
LA
C O M T ESSE
ED 1T K
—
E lle a cr u ! E lle a c m !.. . Vo ilà p ou r q u oi •
elle est p artie.
Le b u ste écr ou lé su r la ta b le, il p leu r a lo n g
tem p s, les ép a u les secou ées de sa n glot s lo u r d s...
Da n s la n u it m er veilleu se les gr illo n s ch a n
t a ie n t ...
x ir
E n lisa n t les n otes q u otid ien n es d e la p rem ière
M"" d ’E st r a n gc, E d it h a va it cr u vivr e les p lu s
cr u elles h eu r es de son exist en ce. Il n ’eu était
r ien . D ep u is la m ort d e sou a ïeu le, ses tor tu r es
éta ien t p ires. Au p r em ier sou p çon s ’a jou ta ien t
d es d ou tes su r la fin r ap id e de la d ou a ir ièr e...
J,e d octeu r éca r ta it d éfin itivem en t la p r em ièr e
h yp oth èse d e su icid e. Ch r istia n a va it d on c
m en ti? Da n s quel b u t ?
Da n s le cer vea u tor tu r é d e la p a u vr e p etite,
cer t a in es p h rases, p ron on cées p ar son m ar i, r e
ten tissaien t :
« P ou r l ’op in ion p u b liq u e, il est n écessair e
de vou s m on tr er d an s la ch am b r e d e gr a n d ’m ère ! »
«■Je n o u s rem er cie d ’êtr e ve n u e ... C ’est .suf
fisan t com m e ce la .,. »
O u i, t ou s les p a ysan s a va ien t p u voir M. et
Mmo d ’E s t ia n ge au p r ès du lit fu n èb r e. Le s con
ven an ces éta ien t sau vegar d ées.
�IvA CO M T E S S E E D I l'H
123
D ’a u tr es la m b ea u x d e p h rases r even a ien t à sa
m ém oir e :
« Si j ’éta is p aïen , je la tu erais », ava it-il d it
un jou r .
II en éta it d on c ca p a b le?
P au l de Com b a r ou sse lisait com m e d an s un
livr e su r le visa ge m obile de la jeu n e fem m e. A
m ain tes rep rises, il évoq u a le sou ven ir de son
a m i, van ta son ca r a ctèr e loya l, sa d r oitu re.
M
Du p r a t l ’écou ta it, u n e su r p r ise m al d égu i
sée d an s le r ega r d . La b ien veilla n ce n ’éta it
p r ob a b lem en t p oin t le fait or d in aire de son
fr è r e ...
L e d octeu r se p la isait à évoq u er cer tain s sou
ven ir s d ’en fa n ce. Il d isa it l’affection id olâtr e de
Ch r istian p ou r son p èr e, m on tran t ain si la n a
tu re p a ssion n ée de l ’a d olescen t, la sen sibilité
frém issan te si sou ven t m eu r tr ie...
De là, il p assait au gr a n d -p èr e, in flexib le et
d u r , com m e un seign eu r d e l ’an cien r égim e;
p u is, d iscret, tr op bien élevé p ou r d én igr er u n e
fem m e, il in sin u a it qu e les r igu eu r s du vieu x
com te en vers l ’or p h elin p ou va ien t a voir été in s
p irées par la com tesse.
Ave c u n e con viction sin cère, P a u l con clu t :
Com m en t Ch r istia n a u r a it-il pu ép r ou ver
la m oin d re ém otion d evan t la tom be de cette
cr éa tu r e cr u elle? On ne p eu t d em an d er à
l ’h om m e p lu s q u ’il ne p eu t d on n er. En vér ité,
c ’est tr iste à con stater ; m ais cer tain s êtr es h u
m ain s son t p lu s m alfa isan ts que les a n im a u x
n u isib les. Ce u x-ci, au m oin s, 011 p eu t les d é
tr u ir e san s com m ettr e de cr im e...
•— Q u els ter r ib les com p tes des gen s sem blables
a u r on t à r en d r e un jo u r , ém it M"1' Du p r a t, en
�124
LA
C O M T ESSE
E D IT H
jeta n t un r ega r d sym p a t h iq u e à 1a fem m e de
ce Ch r istia n ci d éfa vor isé au p oin t de vu e fa
m ille.
M""? d ’E st r a n ge in clin a la tête san s rép on d r e;
se r ép étan t san s t r êve les p a r oles du m éd ecin ,
elle ch er ch a it à é t a b lir son op in ion .
Com b a r ou sse n ’a va it rien d ém en ti, m ais il
a va it b ea u cou p in sin u é. D ’a u tr e p a r t, il sem b lait
ép r ou ver u n e r éelle a ffection p ou r son an cien
con d iscip le.
Com m e il ét a it d ifficile à com p r en d r e, ce m é
d ecin ! Ses p h r a ses con ten a ien t u n e som m e égale
d e con t r a d ict ion s et d e r ét icen ces...
L'a p r ès-m id i se tr a în a it. Il p leu va it . To u t e
p r om en ad e d even a it im p ossib le. U n e od eu r
fr a îch e de ter r e m ou illée en tr a it p ar les fen êtres
ou ver tes.
P en ch ée a u d eh or s, E d it h r esp ir a it a vid em en t
P a ir h u m id e et r ega r d a it le b r ou illa r d éten d r e
son éch ar p e gr is e su r les r och es en vir on n a n tes.
A l'a u t r e b ou t du salon , Pau l lisait.
P lu s loin , d a n s la ch am b r e d ’u n e d es loca
ta ir es, on faisait d e la m u siqu e. U n e vo ix de
jeu n e fille s ’éleva . La com tesse r econ n u t l ’une
des r om an ces d e la Sa m a r it a in e :
J ’ai dit, mais je fus vite ouvrir...
Un e tr om p e d ’a u to d éch ir a l ’a ir , cou vr a n t le
fr a gile sop ran o.
Cep en d a n t la ca n t a t r ice p ou r su iva it :
Il avait fui... t j ’ai cru tnonrii :
Iît quand j ’eus refermé la porte,
Mes doigts avaient, sur les verrous.
Lnissi de la myrrhe sauvage.
M “ ' d ’E st r a n ge su r sa u ta. U n e a u tom ob ile dé*
�I/ A
COM 1E SSE
ED i i H
125
b ou ch a it d e l ’a ven u e, com m e u n e tr om b e lon
ge a it le p erron et st op p a it d eva n t la p or te p r in
cip a le.
J a cq u es Sor elle, b on d issa n t h ors d e sa voitu r e,
cou r a it d evan t la m aison .
On en ten d it dan s le vestib u le u n e vo ix m as
cu lin e p arlem en ter a ve c les ser van tes; d eu x se
con d es pin s ta r d , le fia n cé d e Ch ou ch ou ap p a
raissait.
Sa n s r em ar qu er la p résen ce d ’E d it h , il se
p r écip ita ver s le d octeu r :
— Ah ! je vou s tr ou ve en fin , m on vie u x,
s écr ia -t-il. Su ivez-m oi su r -le -ch a m p !... Nou s
étion s tous a ffolés là -b a s... J ’ai pen sé à vou s;
a Va len ce on m ’a d on n é vo t r e adresse.
— Q u ’y a-t-il d on c? in ter r ogea le d octeu r ,
abasou rd i par ce flot de p aroles. Où d ois-je vou s
a ccom p a gn er ?
— A Cln r ev is lc. Ce p a u vr e Ch r istia n e st ...
Un cr i cou p a la d er n ièr e sylla b e :
— Mon m a r i?...
I.a m ain d ’E d ith s ’a b a ttit su r le p oign et de
J a cq u es...
— Qu e lui est-il a r r ivé ? ... P a r gr â ce, r ép on
d e z- m o i... j e . . .
E lle ne p u t en p r on on cer d a va n t a ge. Son
cor p s frêle b ascu la d an s les br as de M""’ D u p r a t,
a ccou r u e p ou r la sou ten ir.
_ Vou s au r iez pu fair e a tten tion , q u e d ia b le 1
gr on d a Com barou sse en aid an t sa sceui a tr an s
p or ter la com tesse su r le d iva n . Ce ne sera lien ,
h eu r eu sem en t, une sim p le faiblesse. E lle ou vr e
d éjà les ye u x. Don n ez vite une exp lica t ion q u el
con q u e, rassu ran te si c ’est n écessaire.
�126
LA
C O M T ESSE
E D IT H
— J e su is d ésolé, M a d a m e, b r ed ou illa J acqu es
en s ’a p p r och a n t. M . d ’E st r a n ge est sou ffr an t.
Il est tr ès bien soign é, r a ssu r ez-vou s...
Il p a ta u gea it ter r ib lem en t :
—■ E n vot r e abseftee, j ’ai ju gé p lu s sage der ecou r ir a u x lu m ièr es de n otre am i P a u l. J e
ven ais le ch er ch er san s m e d ou ter d e votr e p r é
sen ce ici... N ou s n e sa vion s où vou s a ver tir .
P er son n e n ’a va it vot r e a d r esse... C ’est u n m alen
ten d u d ép lo r a b le ... m ais h eu r eu sem en t rép ar é
p u isq u e vou s êtes là ...
M " ' e d ’E st r a n ge rassem bla tou t son cou r a ge
p ou r d om p ter son ém oi.
— J e p ars a vec vou s, d it-elle. J ’a tten d a is à
ch a q u e cou r r ier u n m essage d e m on m ar i. J ’étais
in q u iète, tou rm en tée.
E lle o u b lia it q u e n u l ne sa va it où la p ren d r e.
E lle p ou r su ivit :
— Ah ! voilà p ou r q u oi il ne m ’écr iva it p as !
Il était m a la d e... m ais pas gr a vem en t , n ’cst-ce
p a s?... Son ca s n ’a rien d ’in q u iéta n t?
E lle éta it p r ête à fon d r e en larm es.
— N on , n on , affirm a Sor elle en d ét ou r n an t
son r ega r d . N e p r évo yez pas le p ir e. P u is-je
vou s p r ie r .d e vou s h âter et d e laisser ici vot r e
b a ga ge ? J e vou d r a is rei>artir a u ssit ôt ...
— J e vou s a ccom p a gn er a i, m on en fa n t , p r o
n on ça d ’u n ton tr ès d o u x M “ " Du p r a t.
Sa n s s ’éton n er de cette p r op osition ca va liè r e
m en t exp r im ée, la p etite com tesse a ccep ta . E lle
était ab solu m en t a b a sou r d ie. E lle ne sa va it ni
où elle éta it n i com m en t elle a gissait.
En en ten d a n t sa sœ u r s ’in vit er à Cla r ev isle,
P au l r ou git, fron ça les sou r cils, n iais ne d it
�LA
C O M T ESSE
H D IT H
la 7
Le s d eu x fem m es sor tir en t.
En sc d ir igea n t ver s la voit u r e, Com barou sse
in t er r ogea it J acqu es :
— Q u ’y a-t-il au ju st e ? E st r a n ge n ’est p a s en
d a n ger , j ’esp ère?
— N on , p lu s m ain ten a n t, m ais n ou s a von s eu
bien p e u r ... Il a p r is u n e in sola tion ... J e m ’e x
p liq u e. La com tesse éta it p a r tie san s cr ier gar e.
E lle a va it p eu r seu le au ch âteau . A son r etou r ,
E st r a n ge , tr ou va n t la m aison vid e, a cou r u ch ez
les La u sicr . Il éta it com m e fou , p a r a ît-il, en
a p p r en a n t qu e sa fem m e n ’éta it p as au p rès
(1 e u x. Hn q u a tr ièm e vitesse, il est r en tré ch ez
lu i. D ’ap rès son d om estiqu e, il ne s ’est pas cou
ch é, a lu tou te la n u it ...
Ah ! cou p a P au l, 1111 écla ir d an s le r ega r d ...
M a is, je vou s en p r ie, a ch evez.
— Le len d em ain , il faisait u n e ch a leu r éq u a
tor ia le. M a lgr é cela E st r a n ge est sorti n u -tête,
com m e 1111 in sen sé, A tr a ver s la cam p agn e. On
l ’a tr ou vé d an s u n e vign e, assez loin de sa m ai
son . Il éta it cou ch é la face con tr e ter r e, san s
con n a issa n ce. P ar bon h eu r , u n e d e ses ferm es
se tr ou va it tout au p r ès; un m édecin de Tou r n on
fu t a p p elé, 011 a sa ign é le m a lh eu r eu x tou t de
su ite. La con gestion s ’est d issip ée, 011 a 1>11 le
r ap p or ter ch ez lui. La fem m e de ch a r ge a télé
p h on é au gén ér a l, m ais celu i-ci était cou ch é
a vec un ter r ib le accès de gou tt e. Il m ’a d élégu é
A sa p lace. N a tu r ellem en t, j ’ai pris la rou te san s
a t t en d r e 1111 in st a n t ... J ’ai tan t de sym p ath ie
p ou r Ch r is t ia n ! C ’est un si ch ic t yp e ! A li!
si vou s l ’a viez vu à ce m om en t-là !... J ’en avais
le cœ u r fen d u .
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LA
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E D IT H
— Leq u el d e m es con fr èr es de To u r n on a-t-on
été ch er ch er ?
Sor elle d on n a les r en seign em en ts e xigé s, e t
co n clu t :
— On m ’a p rom is de l ’en t ir e r ... M a is je
vo u s assu r e, p en d an t tr ois jou r s, je n ’en ai pas
m en é la r ge. J ’éta is seu l à Cla r ev isle. La com
tesse a va it d isp ar u ; vou s ét iez in t r ou va b le. Vr a i
m en t, j ’a va is u n e bien lou r d e r esp on sa b ilit é...
E lle a fa it u n joli cou p , la p etite M mo d ’E st r a n ge, en ven a n t em br asser ses m ar r ain es, san s
le d ir e à son m a r i!...
E d it h fr a n ch it le seu il de P léza c, sou ten u e
p ar M 1'” Cliloé, si éton n ée q u ’elle a va it p erd u
l ’u sa ge d e la p arole.
Der r ièr e elle, M 1"' D u p r a t su iva it , escortée par
M 11* Zén a ïd e, extr êm em en t ch oqu ée p ar ce
b r u sq u e d ép a r t.
Da n s son for in tér ieu r , elle en glob a it Ch r is
tia n d an s son m ép r is p ou r le sexe fort. A ses
ye u x , la gen t m a scu lin e, d ép ou r vu e de sen si
b ilit é, ign or a it la d ou leu r p h ysiq u e et le ch a
gr in . Les fem m es éta ien t vr a im en t bien sottes
d e les p la in d r e !
J acqu es Sor elle éta it p er su a d é qu e la vu e de
la com tesse a llait p r od u ir e un effet m ir a cu leu x
su r le m alad e. De son côté, la jeu n e fem m e
sen ta it d isp a r a îtr e scs p r éven t ion s et ses d ou tes.
D e tou te sa for ce, elle a sp ir a it à l ’in sta n t où
elle p ou r r a it se jet er su r la p oitr in e d e son m ari
et lu i d em an d er p a r d on , d an s un b aiser.
E lle n e se d isa it m êm e p lu s :
« J ’ai été folle d ’a ccu e illir u n e secon d e cette
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id ée co u p a b le... Mon m ar i n e sau r ait êtr e un
cr im in el ! »
Le sou ven ir d es h eu r es su p p licia n tes éta it
d issip é.
E lle ju ge a Com b a r ou sse barbar e de lu i in t i
m er, d ès l ’a r r ivée, l ’or d r e form el d ’a tten d r e sa
lwrm ission p ou r en tr er d an s la ch am bre du
com te.
— Vo t r e p r ésen ce sou d ain e p ou r r a it le tu er,
d it-il sèch em en t. Laissez-m oi le tem p s d e voir
où il en e s t ...
Il m on ta ch ez le m alad e en com p a gn ie de
Sor elle. Au b ou t d ’u n e d em i-h eu r e, celu i-ci r e
vin t seu l.
— Vo u s p ou vez en tr er , Mad am e, d it-il, m ais
il vou s est for m ellem en t in ter d it de p arler .
M . d ’E st r a n ge est extr êm em en t fa ib le ... N e
p leu r ez p as su r tou t. Il est tr ès d ifficile d e d e
m eu rer ca lm e d eva n t 1111 m alad e ch ér i; cep en
d a n t , il est n écessair e d ’êtr e cou r a geu se...
E d it h ne l ’écou ta it p lu s. E lle a tteign a it d éjà
le p alier du p r em ier éta ge. San s b r u it, les m ain s
a p p u yées su r sa p oitr in e p ou r con ten ir les b atte
m en ts t u m u lt u eu x de son cœ u r , elle se glissa
d an s la ch a m b r e et se jet a à gen o u x d eva n t le
lit.
Ch r istia n éta it éten d u , la tête en tou r ée d e
gla ce. Im m ob ile, les ye u x clos, il r essem blait
au « gisa n t » d ’1111 tom b eau m éd iéva l.
Dou cem en t, a vec m ille p r éca u tion s, elle
a p p u ya son fron t su r la m ain du m alad e. A ce
con t a ct , le com te tr essa illit. Ses p a u p ièr es se
sou levèr en t , il r econ n u t le visa ge exsa n gu e
tou r n é ver s lu i... Le rayon de feu de scs prun elles som b r es en velop p a la form e im p loran te
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p r ostern ée à son ch evet . Il n e ,d it r ie n ... Ses
y e u x se ferm èr en t. I l r ep r it son im p a ssib ilité.
D ep u is l’in sta lla t ion d u d octeu r au ch â tea u ,
J a cq u es Sor elle a va it r ega gn e Va le n ce , laissan t
son fu t u r cou sin a u x soin s d e sa fem m e et d u
p lu s d évou é d es am is.
E p er d u e d e r econ n a issa n ce, M"" d ’E st r a n ge
ne sa va it com m en t r em er cier Com b a r ou ssc. Cen t
fois p ar jo u r , elle r ed isait à M"‘c Du p r a t tou te
la gr a t it u d e q u ’elle é p r o u va it en ver s son fr èr e.
Ca r P a u l, d étesta n t les lou a n ges, l ’a va it p r iée,
u n e fois p ou r tou tes et san s a u cu n e bon n e gr â ce,
d ’a illeu r s, de 11e p lu s l ’en a cca b ler .
Ch r ist ia n sem b lait h or s de d a n ger , n éan m oin s
il sou ffr a it en cor e, et sa fem m e s ’en d ésolait.
E lle a u r a it vou lu d em eu r er san s cesse au ch evet
d u m alad e. M a is le m éd ecin 11e le p er m etta it
pas.
M"“' d ’E st r a n ge éta it a cca b lée d e rem ord s.
E lle fr isson n a it en core au sou ven ir de la m in u te
où les ye u x tr istes et sévèr es d u com te s ’éta ien t
posés su r elle d a n s u n p oign a n t r ep roch e.
H u m b lem en t , elle p en sa it : « C ’est m a fau te.
J ’a ccep ter a is tou t, p ou r vu q u ’il m e p ard on n e.
J ’a u r a is d û m e m on tr er con fia n t e, b r û ler le
ca h ier , et su r tou t 11c p as m ’en fu ir . »
Cep en d a n t M . d ’E st r a n ge ne p r on on ça it pas
les m ots in d u lgen t s et con sola teu r s. 11 p araissait
in sen sib le à la m u ette p r ièr e d u r ega r d bleu
con sta m m en t levé ver s lu i. N éa n m oin s, E d ith
ép r ou va it un b on h eu r in effa b le à le soign er ,
p r éven ir ses m oin d r es d ésir s et à le r ega r d er
d or m ir , com m e elle eû t veillé su r le som m eil
d ’un ch er p etit en fa n t.
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P au l de Com b arou sse d eva it u ser de tou te son
a u tor ité p ou r o b liger la com tesse à p ren d r e q u el
q u es in sta n ts de r ep os. L a seu le p er sp ective
d ’ou trep asser ses forces et d ’êtr e éloign ée, m a
lad e à son tou r , d écid a it seu le M mo d ’E st r a n ge
à se sép ar er d e son m ari.
Da n s ces m om en ts-là, M mo D u p r a t ou la
fem m e d e ch a r ge la r em p laça ien t. O11 eû t d it
q u ’elles se d on n aien t le m ot p ou r su r gir d ès qu e
le d octeu r se tr ou va it seu l a vec son am i.
A l ’exem p le de b ea u cou p de ser viteu r s fid èle
m ent a tta ch és à leu r m aîtr e, l ’in ten d a n te vo ya it
d ’u n m au va is œ il l’in tr u sion de cet étr a n ger dan s
le ch â tea u en en ten d an t la com tesse va n t er le
d évou em en t d u d octeu r . Qu a n t ;\ M'"e D u p r a t,
elle p araissait p lon gée d an s u n abîm e d e p er
p lexit é; m ais E d it h éta it trop ab sor b ée p ar l ’état
de Ch r istia n p ou r r em a r qu er ces d étails.
P lu sieu r s jou r s s ’écou lèr en t. M . d ’E st r a n ge
a lla it m ieu x. Cep en d a n t, il ne p ou va it q u itter
son lit. Il com m en ça it à se désesp érer d e se sen
tir si fa ib le, et cette con tr a r iété lu i d on n ait
ch aq u e soir un peu de fièvre.
_ J e ne sais p ou r qu oi je n ’a r r ive p oin t à
r ep r en d r e le dessus, r ép était-il san s cesse â son
am i. J ’ai les m em br es en coton ; p ou r ta n t, je
vou d r a is m e lever ; j ’en ai assez d e rester cou ch é
d es jou r n ées en tièr es. N ’cxiste-t-il a u cu n m oyen
d e m e r en d re m es for ces?
P a u l r ép liq u a it :
—
P r en d s d on c p a tien ce, m on vie u x. Tu es
las, c ’est n or m al. Tu vien s de vivr e des h eu res
si d ép r im a n tes ! U n e r ech u te ser ait gr a ve. Eu
. t ’én er va n t , tu h au sses ta tem p ératu re.
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Ch r ist ia n in sist a it, d ér a ison n a b le com m e tou s
les m alad es. A l ’issu e de ces en tr etien s, sa
fem m e le tr ou va it a git é, ir r ita b le. E lle n ’osait
rien d ir e, d e p eu r d e l ’exa sp ér er d a va n t a ge, m ais
elle p r ia it le d octeu r de p er m ettr e a u com te de
s ’éten d r e su r la terrasse.
Com b a r ou sse r efu sa tou t n et. I l p a r la b r u s
q u em en t, in vit a la jeu n e fem m e à lu i laisser
la p a ix a vec u n e viva cit é voisin e d e l ’im p oli
tesse.
M'"c d ’E st r a n ge se r etir a , p r ête à p leu r er . Un e
h eu r e p lu s ta r d , elle ét a it ap p elée p ar M '“c Du p r a t : le m alad e ven a it d ’a voir u n e faib lesse.
E d it h s ’a ffola , p a r la de p asser la n u it au ch e
vet d e Ch r ist ia n . M a is le d octeu r , r ed even u a i
m ab le, n e vo u lu t p oin t en ten d r e.
E t com m e elle in sist a it , il d écla r a :
— P o u r vou s r assu r er , je veiller a i d a n s la
ch a m b r e d e n otr e m alad e et vou s ap p eller a i s ’il
y a lieu !
Le soir ven u , la com tesse a b an d on n a à r egr et
le ch evet de son m ari. P ou r la p r em ièr e fois d e
p u is le r etou r d e sa fem m e, M . d ’E st r a n ge a va it
con sen ti à écou ter les e xcu se s d ’E d it h . Ave c
u n e bon té san s p a r eille, il a va it arr êté les p a
r oles d e sa com p a gn e.
— Vo u s a b u sez d e m a situ a tion d ’im p oten t,
lu i d isa it -il. C ’est t r ès m al ! Vo u s m e fa ites de
la p ein e en r éveilla n t le p a ssé... D ’a illeu r s, j ’ai
eu bien d es tor ts, et vou s m e for cez à en con
ven ir , c ’est un vér ita b le m a r tyr e p ou r u n o r
gu e ille u x tel qu e m o i...
— N e d ites p as ce la ..., p r otesta it E d it h , je
su is seu le co u p a b le !...
Com b ar ou sse su r vin t à cette m in u te. D ’un
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t
.-,3
ton p ér cm p toire, il in vita la com tesse à lui
laisser la p lace. E lle d u t sc r ésign er à ob éir .
Ave c ten d resse, Ch r istia n m u r m u r a :
—
Alle z vou s rep oser, m on a m ie... N ou s d e
von s n ou s sou m ettre a u x d écision s d e ce ter r ib le
P a u l.
M"" d E st r a n ge se cou ch a , l ’âm e r em p lie de
joie. E lle s ’en d orm it en r em er cian t le Ciel de
lu i a voir con ser vé le b on h eu r , ta n d is qu e le
D de Com b arou sse s ’in sta lla it d an s un fa u teu il
ou ch evet d e son am i.
I,n ch am b r e était gr a n d e, l ue seu le veilleu se
e n lo u ié e il u n t r ip le voile d e soie b leu e r ép a n
d ait a len tou r u n e lu eu r d iffu se. P a u l n ’a p er çu t
p oin t sa sœ u r , éten d u e su r un d iva n au fon d
de la p ièce... Les h eu r es p a ssa ien t. La r esp ir a
tion du com te d 'E s t r a n ge m on tr ait au m édecin
qu e son m alad e d orm ait p a isib lem en t.
To u t à cou p , la p en d u le son n a un cou p .
C'é t a it la d em ie d e m in u it.
Le d octeu r posa son livr e et se leva . Son vi
sa ge e xp r im a it u n e vér ita b le fér ocité. ¿Vu m êm e
in stan t, M"" Du p r a t se redressa. Ave c m ille
p r écau tion s, reten an t son sou ffle, elle se m it d e
bout et, glissa n t com m e u n e om bre su r l ’ép a is
tap is, se d ir igea ver s le lit.
Co m b a r o u s se ne l’en ten d it p as. D ’a illeu r s, il
était à m ille lieu es de sou p çon n er sa présen ce.
D o u ce m e n t , il s ’in clin a it ver s le com te. Celu i-ci
r ep osa it, la tête ren versée, les tr aits d éten d u s.
Son profil d e m éd aille se d écou p ait en bru n sur
la b la n ch eu r de l ’or eiller ...
Légèr em en t , Pau l écarta le d r a p , ch eich a
d an s sa p och e p en d an t d eu x secon d es, tira uu
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ob jet m in u scu le et b r illa n t . Un écla ir d ’acier
s cin t illa ...
P â le com m e u n sp ectr e, M '“” D u p r a t a va it
b on d i; ses d o igt s fin s s ’in cr u stèr en t d an s le p oi
gn et de son fr èr e, elle b a lb u t ia :
— P a u l... o h !... m is é r a b le !... q u ’a llais-tu
fair e?
La p en d u le r ép éta la son n erie. Cep en d a n t
Com b a r ou sse et sa sœ u r lu t t a ien t d ésesp ér é
m en t. Le u r souffle op p ressé r om p ait seu l le si
len ce.
— T u vou la is le tu er ! h a leta it la veu ve; je
m ’en d o u t a is! J e te su r veilla is d ep u is...
Il gr in ça , la vo ix a ssou r d ie :
— Lâch e-m oi ! Ve u x-t u m e laisser en rep os !...
Q u ’il p a ye d on c, u n e b on n e fois, tou tes les tor
tu r es d on t j ’ai sou ffer t p ar sa fau te. U Nm ’a
tou t a r r a ch é, ce beau ga r çon !... je ...
— P a u l, cou p a la p a u vr e fem m e, je t ’en su p
p lie ... je ...
H or s de lu i, sem b lab le à un forcen é, le visa ge
con vu lsé d e h a in e, le d octeu r saisit u n lou r d
ta b ou r et d e ch ên e et le lan ça à la volée.
M'"° Du p r a t s ’écr ou la com m e u n e niasse.
Br u sq u em en t r éveillé, le com te se d r essait su r
son séan t, ne com p r en a n t p as p ou r q u oi ce b r u it *
se faisait d an s sa ch am b r e, su b item en t r em p lie
d e m on de.
Le s ye u x gon flés de som m eil, E d it h a p p a r u t
la p r em ièr e... En s ’en fu ya n t , u n h om m e la b ou s
cu la .
Déjà les d om estiqu es r eleva ien t M “’c Du p r a t.
E lle éta it éva n ou ie, une la r ge ecch ym ose m ar
q u a it sa tem p e. Le p er son n el, a h u r i, se d em an
d a it qu el n ou vea u d ram e se p a ssa it d an s la m ai'
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son . Bien vite, la fem m e d e ch a r ge les r en vo ya ,
p u is fou r n it à ses m aîtr es u n e e xp lica t io n p la u
sib le. '
— M "" Du p r a t se sen tait sou fïr a n t e, elle est
ven u e ch er ch er M . P au l, d éclar a -t-elle. M a is il
faisait som bre d a n s la ch am b r e d e M . le com te,
où le d octeu r ve illa it seu l; elle a b u té con tr e 1111
b a h u t et s ’est b lessée à la tête. Au ss it ô t , M . d e
Com b a tou sse est parti p ou r ch er ch er d es r e
m èdes.
Cela p aru t tr ès cla ir
la com tesse.
... E lle s ’occu p a de fair e tr a n sp or ter la veu ve
d an s son a p p ar tem en t san s ém ettr e le m oin d r e
com m en tair e.
D ’a illeu r s, E d ith n ’éta it a u cu n em en t tr ou
b lée. E lle d ép lor a it seu lem en t q u e cet in cid en t
eû t éveillé son m ar i en su r sau t, alor s q u e le p lu s
gr a n d calm e lu i ét a it ord on n é. Ch r istia n la r a s
su ra tr ès vite.
— J e su is n a vr é d ’êtr e la cau se d e ces tr acas,
d it-il. Si P a u l n ’efit p as d ésir é d em eu r er à m on
ch evet cette n u it, rien d e cela ne fû t a r r ivé ..
J e n ’a va is au cu n besoin d ’êtr e veillé. Votr e
sollicitu d e il m on égar d est vr a im en t trop
gr a n d e ... Cou r ez vit e p r en d r e d es n ou velles de
la b lessée, et r even ez me d ire com m en t vou s
l ’a vez tr ou vée.
E d ith d u t le satisfair e. E lle n ’eu t p as le tem p s
d ’a ller ju sq u e ch ez M “ " Du p r a t. M a r gu er ite
l ’a tten d ait d an s la p ièce voisin e. Sa n s a u t r e
p r éam b u le, la fem m e de ch a r ge d éclar a , l ’a ccen t
p ein é :
— Mad am e la com tesse voit, m ain ten a n t, com
bien M. le d octeu r éta it d évou é à son a m i? Il ne
m ’en a va it p as fait a ccr oir e, à m oi !... J e m e su is
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m éfiée d ès le p r em ier jo u r ... Sa p a u vr e sœ u r
éga lem en t. E lle con n a issa it bien les sen tim en ts
d e m on sieu r son frèr e !
Su r le m om en t, M rae d ’E st r a n ge n e com p r it
pas.
— Qu e vou lez-vou s d ir e? fit-elle.
D ’u n ton m esu r é, im p la ca b le, la ser va n e ré
p on d it :
— M ad am e la com tesse ne vo it d on c p as? Le
d octeu r vo u la it fair e la d er n ièr e p iq û r e à M on
sieu r . Celle d on t on ne r evien t p a s... Il y a tan t
d e h ain e d an s le cœ u r d e cet h om m e... et d ep u is
si lon gtem p s.
P it ô ya b le , d eva n t le visa ge ter r ifié tou r n é ver s
elle, la b r a ve fem m e con clu t :
— Mad am e est jeu n e, elle n e sait pas com
m en t on p eu t êtr e m éch a n t !
XI TI
— Vr a im en t , s'é cr ia J a cq u es Sor elle en lnissan t retom b er ses m ain s d an s u n gest e a cca b lé,
je lie m e ser ais ja m a is d ou té d e cela lorsq u e j ’ni
eu la fa n ta isie d ’a ssister au p r em ier m ardi d e '
M ...d ’E st r a n ge !
11 ét a it effon d r é d an s l ’un d es fa u t eu ils d u
ca b in et d e tr a va il de son fu t u r b eau -p èr e. Assis
en face de lu i, le gén ér a l de La u sier b ou r r a
m éth od iq u em en t sa p ip e, l ’a llu m a et d it :
— Q u elle ép ou va n ta b le h istoir e I
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Le s d eu x h om m es se tu r en t lon gtem p s. P u is,
vo ya n t Sor elle o u vr ir la b ou ch e d e n ou vea u ,
M . d e La u sier r ep r it :
— Allo n s , m on ch er , vou s n ’a llez p as r ecom
m en cer à ch a n ter la m êm e a n tien n e, et à vou s
d ésesp ér er d ’a voir été le cam arad e d e cet h or
r ib le P a u l !... Qu el m on stre, ce ga r çon !
— S i ! s ’en têta le r om a n cier ... je su is vr a i
m en t n a vr é d ’a voir con n u ce m isér a b le... cep en
d a n t je ne p u is le r egr etter , ca r , en som m e,
san s lu i, je n e ser ais ja m a is ven u d an s le p a ys ...
je 11 a u r a is p oin t con n u Ch o u ch o u ... et de cela
je 11e m e con soler a is pas.
I l so u r it ...
— Qu a n d j ’y p en se, p ou r su ivit -il, je d ésir ais
111e m êler à la société d e p r ovin ce. Ce ch âteau
en gu ir la n d é d e lier r e m e p la isait. J e vou la is
p a r ler à ses h a b it a n t s... J e m ’a tten d ais à r écol
ter au p r ès d ’e u x q u elq u es id ées n eu ves.
— Vo u s voilà ser vi ! cou p a le vieil officier,
gogu en a r d .
— Au d elà d e m es d ésir s! E vid em m en t, ce
ca p r ice m ’a p er m is d e r en con tr er J an in e et d ’êtr e
a u jo u r d ’h u i son fia n cé... r a d ieu x, je le r ép ète,
m a is...
P u isq u e cela vou s r a vit d ’ép ou ser m a fille,
(1 q u oi vou s p la ign ez-vou s? E t p u is, m on clier ,
vot r e cam a rad erie a vec Coin bar ou sse 11’a rien
fait à l’h istoire. I l soign ait la d ou a ir ièr e d ep u is
d es an n ées.
, _ C ’est é ga l, m u rm u ra Sor elle, qu an d
M ’"'- d ’E st r a n ge m ’a télép h on é, h ier, de ven ir
su r -le-ch am p p ou r u n e affair e u r gen te, je 11e
su p p osa is p o in t !... A h ! il éta it en via b le, cet
am i sû r , com p la isa n t, au d évou em en t in lassa b le,
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d on t tou te la sollicitu d e se b or n a it à gu et t er
l ’h eu r e oit son m alad e d or m ait p ou r l ’en voyer
ad patres.
— M a is p ou r q u oi d ésir ait-il la m ort de Ch r is
tia n ? in ter r ogea le gén ér a l, cessan t d e fu m er.
J e le cr o ya is u n b r ave h om m e, ce P a u l sile n cieu x
et gr ogn on ; or d in a ir em en t les gen s b ou r r u s
com m e lui m ’en n u ien t
p ér ir , m ais ils m ’in s
p ir en t con fian ce.
— J ’ép r ou va is u n sen tim en t sem b lab le à son
éga r d , affirm a J acqu es. Son seu l d éfa u t , à m es
ye u x, éta it sou am ou r im m od éré p ou r la d am e
de p iqu e.
— E st r a n ge con n a ît-il le gen r e d e soin s p a r t i
cu lie r s qu e vou la it lu i r en d re so it ...?
— N on , in ter r om p it l ’écr iva in . Il d or m ait et
s ’est éve illé seu lem en t en en ten d a n t du fracas.
O11 a bien m a q u illé l ’a ven t u r e. O11 d evra
a tten d r e sa gu ér ison p ou r lui r évéler la vé r it é ...
U n e r ech u te est à cr a in d r e...
— M"“' Du p r a t a q u itté Cla r ev ist e?
— Ou i ! La p a u vr e fem m e faisait p itié. E lle se
d éfiait d ep u is l ’a r r ivée do son frèr e au ch âteau et
ne le laissait p as u n in stan t seul a vec le com te.
Il se t u t , b ou lever sé p ar son r écit.
— Cela va faire un scan d a le de tou s les
d ia b les, ém it tou t
cou p le gén ér a l. L ’a ffair e
ser a-t-elle étou ffée?
— Non ! E lle su ivr a son cou r s. P a u l s ’est
co n st it u é p r ison n ier ce m atin .
— C ’est in fin im en t d ésa gr éa b le, con clu t le
gén ér a l en tr e d eu x b ou ffées. Cer tes, ce b an d it
de Cottibar ou sse d oit êtr e un peu fou . On ne
su p p r im e p as un h om m e san s r a ison s... ca r il
n ’en a va it a u cu n e, n ’cst-ce p a s?
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C O M T ESSE
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130
P e n s if, J acqu es r ép on d it :
.■>— J e l ’ign or e, en tou t cas je les ch er ch e en
va in . Cep en d a n t je m ’étais ap erçu de la h ain e
d e P a u l p ou r M. d ’E st r a n ge , et cela d ès le p r e
m ier jou r . D ep u is, le voya n t si d évou é à cette
fa m ille, je cr u s m ’êtr e tr om p é. Au jo u r d ’h u i,
m on im p ression p r em ièr e r ep ar a ît : P a u l ja lo u
sait Ch r istia n .
— Si tou tes les fois q u ’u n êtr e vou s écr ase de
sa su p ér ior ité p h ysiq u e ou fin an cièr e, 011 d ési
r ait le r a yer d u n om bre d es viva n t s, ce serait un
ca r n a ge p er p étu el, fit M . d e La u sier , a vec sa
b on h om ie n arqu oise.
*— J e m e su is d em an d é, p ou r su ivit J acqu es,
si, p ar h asar d , le d octeu r 11’a va it p a s été r efu sé
ja d is p ar la com t esse?...
— Ma n ièce vit Com b arou sse le jou r de son
con tr a t. E lle n e l ’a va it jam a is ap erçu a u p a r a
va n t ... D ’a illeu r s ce garçon -lA n ’aim ait p er
son n e !
—■J e m ain tien s, m a lgr é tou t, l ’h yp oth èse d ’u n e
r iva lit é. Su r quel p oin t p ou va it-elle p or ter ? Est r a n ge ne su iva it p as la m êm e car r ièr e. Il u ’étalait ja m a is su for tu n e d evan t son cam arad e.
Le gén ér a l r éfléch it.
_ Ch r istia n est l ’êtr e le m oin s fat d e la terre,
d it-il; m ais, p eu t -êtr e, P a u l s ’éta it ad ressé à
m on n eveu p ou r r égler u n e grosse p erte de je u ...
E st r a n ge n ’a u r a it pas vou lu ou vr ir sa b ou r se...
Cela 111’éton n er ait p ou r ta n t : il est si gé
n ér eu x !...
— J am ais Com barou sse n ’a u r a it eu recou r s
à lu i, affirm a J acqu es.
— Da n s ce cas, fit le gén ér al il bou t d im a gi
n a tion , je 11e vois pas d u t o u t !...
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Un silen ce p lein d e lou r d es p en sées tom ba
en tr e les d eu x h om m es. A p a r t lu i, ch a cu n d ’eu x
son gea it :
« Qu a n d on fa it des cou p s p a r eils, 011 d isp a
r a ît. La légion est là. M a is 011 11e s ’in scrit pas
p ou r la cou r d ’assises ! »
A ce m om en t, la p or te d u fu m oir s ’otivr it,
p ou ssée p ar u n e m ain im p a tien te, et Ch ou ch ou ,
h ors d ’h a lein e, se p r écip it a :
— P a p a , cr ia sa vo ix h aleta n te, 011 a vou lu
em p oison n er Ch r istia n ! Le D r de Combaro11s.se
est en p r ison !
E lle ét a it r ou ge com m e u n e p ivoin e. Ses ye u x
b r illa ien t , sem b lab les à d es p ierr er ies. J acqu es
a t t r ib u a cet écla t a u x lar m es p r êtes à ja illir .
Il s ’em p r essa :
— Ma ch èr e J an in e, m u r m u r a-t-il.
M oin s ém otif, le gén ér a l gr on d a ;
— N e t ’occu p e d on c p oin t d e ch oses in d iffé
ren tes.
— Par e xe m p le ! p r ofér a Ch o u ch o u ... m ais
elles 111c p assion n en t. J ’ai l ’esp rit d e fam ille,
m oi... Com m en t? vou s m e ca ch ez u n évén e
m en t p a r e il... et j ’en ten d s r acon ter tou te l ’a ven
tu re p ar 111a m od iste?
— M isér icor d e ! gém it M . de La u sier . Cette
m au d ite
h istoir e
cou r t
d éjà
les
salon s
d ’essa ya ge !...
— J ’ava is l’a ir id iot, m u r m u r a l ’en fa n t , b ou
deu se. En sor ta n t, je tom be su r M im i d ’Ar n a c.
Ils sa va ien t tou s cette h or r ib le a ven t u r e. J ’étais
fu r ieu se et h u m iliée... Alo r s , j ’ai m is ma voitu r e
en q u a tr ièm e vitesse et j ’ai filé su r Cla r ev ist e.
J ’a r r ive. E d ith éta it en con fér en ce a vec je ne
:; ais q u el p er son n a ge im p or ta n t. On m ’in tr od u it
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141
ciicz m on cou sin . Cr oya n t fair e m er veille, je lui
d is :
« — E h b ien ? êtes-vou s r em is d e vos ém o
tio n s?.. Dieu m erci, je n ’ai p as cr u un m ot de
ces fu m ister ies...
« Tê t e d e Ch r istia n . J oseph m e fa isa it des si
gn a u x d ésesp érés. J e 11e com p r en ais pas.
— Sa cr eb leu ! in ter jeta le gén ér a l. Vo ilà bien
la ter r ib le ga ffe ! Qu el n ou vea u d ésastr e as-tu
am en é, p etite m a lh eu r eu se?
— M a is, d it-elle, em bar r assée, a u cu n . J e lu i
ai dit sim p lem en t :
(< —
V o u s
a vcz u n e m in e su p er b e p ou r un
a ssa ssin é...
« Il a p aru tou t à fait a h u r i. Le va let de
ch a m b r e p r écip it a it ses s ign a u x. Il faisait la
p â le figu r e. Vo ya n t cela , mon cou sin l ’a p r ié
d e sor tir , p u is il m ’a som m ée d e m ’e xp liq u e r
p lu s cla ir em en t. »
— E lle lui a u r a tout d it ! cria le gén ér a l. P o u r
quoi a i-je d on c u n e fille, Seign eu r !
— P o u r le b o n h eu r ... d ’a u tr u i, r ip o s ij allég em en t Ch ou ch ou , a vec un r ega r d m a licieu x
ver s Sor elle. M ais p ou r r ép on d r e à votr e in ter
r o ga t io n , je d ir ai : je n ’ai p u lui r évéler gr a n d ’ch ose, j ’ign or ais tou t, m ais Ch r istia n a com
p lété m es va gu es in form ation s.
•— Il sa va it d on c?
— La h ain e de l ’am i Com b arou sse en ver s lu i?
m ais cer tain em en t. J e 11c m ’en d ou ta is pas.
Alo r s, j ’ai r efa it le topo offer t p r écéd em m en t
p a r Mi mi d ’Ar n a c.
— T u as r acon té à ce m alad e à p ein e h ors
d e d a n ger les in ten tion s de son d octeu r ?
cla m a le gén ér a l, a ffr eu sem en t con gest ion n é...
�n-tfTi
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Il y a va it d e q u oi lu i d on n er u n e m én in git e !
— Vo u s ne con n aissez p as Ch r ist ia n , il est
én er giq u e ! S ’il a été m al en p oin t, c ’est à la
su ite d ’un gr a n d ch a gr in . D ’a illeu r s, il 11’a p oin t
p aru su r p r is par m on r écit. Ca r il m ’a r ép on d u
a vec u n beau sa n g-fr oid :
« — H eu r eu sem en t, P a u l a d û a voir u n e m i
n u te d ’h ésitation a va n t d ’en fon cer l ’a igu ille ,
san s cela j ’éta is p e r d u ... J e ne le cr o ya is p as
ca p a b le d ’en a r r iver là , cep en d a n t.
Ch ou ch ou s ’ar r êta p ou r r ep r en d r e h alein e,
p u is con tin u a :
— J ’éta is ver te. J e 11e com p r en ais p as com
m en t le d octeu r d étestait Ch r ist ia n . Il est si
ge n t il, q u oiq u e tr op au torit lir e, à m on gr é. J e
lu i ai exp r im é, de m on m ie u x m a sym p a t h ie et
m a stu p eu r . J e cr o ya is le d octeu r d even u fou.
J e l ’ai d it. Ch r ist ia n m ’a r ép on d u :
11 — Vo u s vou s tr om p ez. Il a va it tou te sa r a i
son . .Si vou s m e ju r ez d e ga r d er ce secr et ... en
fa m ille, je vou s a p p r en d r ai la vér ité. N u l 11e la
con n a ît. J e l ’ign or ais m oi-m êm e. E lle m e fu t
r évélée r écem m en t, et gr â ce à d es cir con sta n ces
for tu ites. Com b a r ou sse n e in ’a ja m a is p ard on n é
d ’a voir ép ou sé la jeu n e fille d on t il éta it p as
sion n ém en t ép r is.
— La com tesse? s ’écr ia Sor elle. J e le d isais
il y a cin q m in u tes !
Ch ou ch ou r ectifia :
— P a s E d it h , l ’a u tr e, Ch a r lott e.
Ce fu t com m e u n cou p d e ton n er r e, écla ta n t
sou d ain .
La p r em ièr e? fit J a cq u es con fon d u . Si je
m ’en d ou ta is ! C ’est for m id a b le !
— Ou i ! a p p r ou va J an in e.
%
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Au bou t d ’u n e m in u te le gén ér a l, r etr ou va n t
à la fois sa p ip e et son sa n g-fr oid , rem ar qu a :
1
u a va is p r om is d e te ta ir e, et tu ba va r d es.
Ma p a u vr e en fa n t , tu 11e ser as ja m a is sér ieu se !
Ave c u n e ca n d eu r e xq u ise, la p etite fiancée
r ép liq u a :
C est vr a i, m ais Ch r istia n a va it d it « en
fa m ille » ... O r , vou s n ’êtes p as des étr a n ger s, je
su p p ose?
En d ép it du t r a giq u e d e l ’h eu r e, Sor elle ne
p u t s ’em p êch er de r ir e.
XIV
Les d r am atiq u es évén em en ts d on t Cla r ev ist e
ven ait d ’êtr e le th éâtre se r ép an d iren t a vec fr a
ca s d an s la r égion .
M . et M""' d ’E st r a n ge p r ir en t le p r ét ext e de
la san té du com te p ou r ferm er leu r p orte a u x
sim p les r ela tion s et a u x cu r ie u x. Les La u sier
a gir en t de m êm e, si bien qu e les im p or tu n s en
fu r en t p ou r leu rs frais.
Au fon d , la société d a u p h in oise et viva r oisc
éta it r avie. Cette h istoir e m ettait un peu de
n ou vea u té d an s les r écep tion s estiva les; de p lu s,
elle cor ser a it la p r och ain e session des assises.
Cep en d a n t, cette affaire con ser va it un cach et
d e m ystèr e des p lu s a lléch a n ts. On en p a r la it.
— Cet t e h istoir e est des plu s b iza r r es, r em ar
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q u ait le vicom t e de Sa in t-R em èze en tr e d eu x
p ar ties d e ten n is. On n ’a p as a r r êté Coin bar ou sse. I l est ven u d e lu i-m êm e se livr e r : son
ca s est b iza r r e; il n ’a ni tu é, ni vo lé ... On n e
tr a în e p as u n h om m e d eva n t les t r ib u n a u x
su r d e sim p les in ten tion s. Les fa it s son t n éces
saires.
— C ’est e xa ct ! r econ n u r en t les jou eu r s.
U n a u tr e su ggér a :
— On n ou s ca ch e san s d ou te q u elq u es d étails
sa vou r eu x.
— Qu oi d on c? in ter r ogea u n ép h èb e au b la zer
écu sson n é d ’u n e licor n e écar late.
J e n ’en sais rien , jet a le p r em ier b a va r d ,
a u com b le d e l ’a ga cem en t. J e d is ce la ...
Mon frèr e a vu Sor elle, h ier, au th é de la
gén ér a le, in sin u a son cad et. -Il est d ocu m en té,
m ais il t ie n t à se fair e p r ier .
Im m éd ia tem en t Sa in t-R em èze fu t en tou r é
d ’u n e b a n d e h a r cela n te com m e fr elon s su r t a r
tin e d e m iel.
— J e vou s le r ép ète, je ne sais rien ! h u r la le
jeu n e h om m e. Sor elle m ’a d it sim p lem en t ...
— Ah ! tu vois b ien , tu sais q u elq u e ch ose,
clam a le ch œ u r .
— Seu lem en t ceci : L ’a voca t du d octeu r a
écr it au com te d ’E st r a n ge. Son clien t sollicite
la fa veu r d e voir la com tesse.
Il y eu t u n silen ce.
— J e n ’a im er a is p as à r en d r e d es visit es d e
p olitesse d an s les p r ison s, r em ar qu a le jeu n e
h om m e
la licor n e.
— Sois tr a n q u ille, tu n e ser as p a s con voq u é,
r ip osta un d e ses cam a r a d es.
— M “ d ’E st r a n ge r ép on d r a -t-elle fa vor a
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b lem en t? q u estion n a l ’u n des in ter locu teu r s.
— E lle 11e sau r ait r efu ser .
— A la p la ce de Ch r ist ia n , je n ’a u r ais pas
p orté p la in te, p ou r su ivit Sa in t-Rem èze.
— M a is il ne l ’a pas fa it , protesta son frèr e
aîn é. Com barou sse s ’est con stitu é p r ison n ier de
lu i-m êm e, sim p lem en t et san s com m en tair es. J e
111e tu e à vou s le r ép ét er ...
M. d ’E st r a n ge r essen ta it u n e sou rd e colèr e à'
la p en sée de voir sa fem m e s ’en tr eten ir a vec
Com barou sse. La lettr e d e l’a voca t ét a it p r es
san te. Son clien t p a r a issa it d an s u n éta t de
san té in q u iéta n t. I l im p lor ait cette en tr evu e
a vec M"'° d ’E st r a n ge, com p ta n t su r la p r ésen ce
de la jeu n e fem m e p ou r fair e p a rler le p r ison
n ier d on t le m u tism e absolu r eta r d ait l ’in s
tr u ction .
Ch r istia n r ed ou ta it tou t d e la m or a lité d e
P a u l. Com b a r ou sse a ccu lé au p ir e d ésh on n eu r
ch er ch er a it p eu t -êtr e u n e n ou velle ven gea n ce et
calom n ier a it son a m i, afin de d étach er E d it h de
son m ar i. Cep en d a n t, il ne p ou va it se d ér ober
la p rière d u p r ison n ier et tr an sm it la requ ête
à sa fem m e.
Mais, t\ ses p r em ièr es p aroles, celle-ci r ecu la ,
su b item en t livid e.
— J e 11c ve u x p as voir cet h om m e. Cela 111e
ser ait im p ossib le. J e m ’effor cerai d e .lu i pardon-.
11er son cr im e ... m ais m e tr ou ver en face de lu i,
ja m a is !
E lle tr em b la it. Le com te jwssa son br as a u
tou r d es ép a u les de sa fem m e.
— R efu ser iez-vou s la ch a r ité à u n p a u vr eü
d it-il. Celle-ci est u n peu p lu s d ifficile p ou r n o u j
d e u x... Cep en d a n t, n ou s d evon s l ’a ccom p lir .
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Ed ith leva su r son m ar i un r ega r d r esp ec
t u e u x.
— J e vou s ad m ir e, d it-elle. Vo u s êtes le m eil
leu r d es h om m es.
— N on , fit-il, je su is au con tr a ir e r em p li de
fa ib lesses... Bien d es... d ifficu ltés eu ssen t été
évit ées si j ’a va is su m e d om p ter , si je m ’éta is
m on tr é p lu s p atien t et m oin s o r gu e ille u x. J ’ai
fa it sou ffr ir les a u t r e s... et, lor sq u e je m ’en suis
a p er çu , j ’ai con tin u é. Ali ! il est ter r ib lem en t
d ifficile d e r en d re le bien p ou r le m a l...
E n car essan t les ch e ve u x de la jeu n e fem m e,
il con tin u a :
— Cr oyez-m oi, m a ch ér ie. E ssa yez de p ar
d on n er à ce m a lh eu r eu x, et d e le lu i dire
p u isq u e c ’est vou s q u ’il r écla m e... M a is, je vou s
en con ju r e, ne m e r ega r d ez p as a vec u n e pa
r e ille a d m ir a t io n ... Si vou s sa viez com bien il
m ’en a coû té d e vou s p er m ettr e cette d ém arch e.
J ’ai fa illi r ép on d r e n on . J e ne m e ser ais jam a is
cr u aussi lâ ch e !
— Ah ! ch u ch ota la p etite com tesse en se
b lot t issa n t con tr e l ’ép a u le d e son m ar i. J e ne
sa va is p oin t en cor e com b ien je vou s a im a is !
L ’a u tom ob ile du com te d ’E st r a n ge s ’arrêta
d eva n t la m aison d ’a r r êt où P au l d e Com bar ou sse a va it été in car cér é.
Il faisait un tem p s a igr e et froid . Les h ir on
d elles, p r êtes à p a r tir , d écr iva ien t d es cer cles aud essu s des toits de la p etite ville silen cieu se. La
p la ce ét a it d éser te, lor sq u e la com tesse et l’a vo
cat p én étr èr en t d a n s le lu gu b r e b â tim en t.
De l ’in tér ieu r de la voitu r e où il éta it d em eu r é,
Ch r ist ia n vit la lou r d e p or te d e la p r ison se re
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147
ferm er su r sa fem m e. Un e sou ffr an ce atr oce
com p r im a son cœ u r ... Si P a u l a lla it en core m en
t ir ? ... M a is il se r a id it, essaya d ’éloign er d e
lu i la vision p én ib le, ferm a les ye u x et ten ta
de p en ser à au tr e ch ose...
E d ith r essen tit un ch oc en vo ya n t a p p a r a îtr e
le p r ison n ier. Com m e il éta it d iffér en t du com
m en sal de Cla r e v is t e! L ’aim ab le com p agn on de
P léza c avait vieilli de vin gt an s. Le r ega r d aton e,
les ép a u les cou r b ées, l ’a llu r e alou r d ie, le d oc
teu r était m ain ten a n t p r esq u e u n vieilla r d .
La jeu n e fem m e fu t p r esqu e su r p r ise, en l ’en
ten d an t p arler , de r etr ou ver les in ton a tion s h a b i
tu elles. Cep en d a n t, le tim b r e s ’éta it a ffa ib li, le
d ébit éta it d even u m on oton e.
—
J e vou s r em er cie d ’êtr e ven u e, M a d a m e,
d it -il, en s ’in clin a n t d eva n t la visiteu se.
C ’éta it b r ef, m ais il ne p ou va it d ir e a u tr e
ch ose.
Le cœ u r serré a u sou ven ir d es h eu r es tr a
giq u es, m ais sou cieu se d ’ob éir à Ch r ist ia n , la
com tesse b a lb u t ia :
M on m ari l ’a vo u lu . I l m ’a r ecom m an d é
de vou s d ir e q u ’il vou s p ard on n e.
Red ou b la n t d ’ém otion , elle a jou ta :
— E t m oi a u ssi, je ... je ...
Les ye u x su b item en t n oyés d e lar m es, elle
gém it :
— Oli ! com m en t a vez-vou s pu lu i faire tan t
de m a l... Il ne vou s a va it ja m a is ca u sé d e p ein e,
lu i...
Com b a r ou sse sc redressa.
— Cr oyez-vou s, M a d am e? fit-il d ’u n ton r em
pli d ’am er tu m e. E h b ien , vou s vou s tiom p cz.
Ch r istia n d ’Erftr an ge a été la cau se de m es pire?,
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tor tu r es. J e le h a is ! Il ne m e ga r d e a u cu n e r an
cu n e, d ites-vou s? Cela se p eu t. Il est ch r étien
e t sa r eligio n l ’ob lige à ne p as m ’en vo u lo ir ...
M a is je n ’ai p as ses cr o ya n ces... je n ’ai a u cu n e
foi en D ie u ... Cela m ’a p er m is de m e ve n ge r ...
Dès n otre a d olescen ce, je l ’ai jalou sé. Il était
beau et r ich e. J e le sava is m a lh eu r eu x, isolé,
p r ivé d ’affection s. Ch o yé p ar m es p r och es, je m e
r éjou issa is d e le voir r a b r ou é p ar les sien s. E n
m oi-m êm e, je p en sais : « C ’est ju st e ! Du m oin s
il n ’a p as tou tes les joies d e la terre ! »
« P lu s ta r d , j ’ai r en con tr é Ch a r lott e de R ip er s. Dès la p r em ièr e m in u te, je lu i d on n ai m on
cœ u r , san s esp r it de r etou r . E lle a u r a it rép on d u
à m a ten d r esse p eu t-êtr e, m ais le lieu ten a n t
d ’E st r a n ge est ven u et il m e l ’a p r ise. E lle s ’est
jetée à sa tête, a con q u is l ’a p p u i de la d ou a i
r ièr e et , folle d e Ch r istia n , n ’a p lu s pen sé q u ’à
J u i... Da n s la cou lisse, j ’a ssistais à tou te la co
m éd ie; je vo ya is mon id ole d éd a ign ée par mon
cam a r a d e et j ’esp érais.
« Un jo u r , je d em an d ai à M. d e R ip er s la
m ain d e sa fille. On r efu sa. J e n ’éta is p as assez,
r ich e ... et p u is on m e savait jou eu r . E st r a n ge
n e p assait pas ses n u its au cer cle, il a va it une
gr osse for tu n e, 011 a d m ir ait scs p er fection s. J e
n e cessais d ’en ten d r e ch a n ter ses lo u a n ges...
j ’en r a gea is! Cer tes, m on con d iscip le ne faisait
r ien p ou r m e voler l ’am ou r de ma bien -aim ée.
E lle ne faisait a u cu n e a tten tion à m a p erson n e,
et Ch r istia n ne la r em ar qu ait pas. M ais 1111 jou r ,
la s d ’êtr e tou rm en té au su jet d e cette jeu n e fille,
il a céd é... De ce jou r , Ch a r lott e étala un b on
h eu r o r gu e ille u x. Ar r ivé e à ses fin s, elle m e prit
n ou i 'xs fid o n t d e sa fé licit é ... P lu s ta r d , lors-
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q u ’elle se vit aban d on n ée, elle tr ou va tou t n a
tu rel de m e d ir e sa p ein e. N ’éta is-je p as son am i
fid èle, celu i qui ne com p te p a s? ... »
U n îlot de sa n g em p ou r p ra le visa ge d e la
com tesse. E lle se r ap p ela it le livr e rose.
— J e 11e vou s d issim u ler ai r ien , M a d a m e,
p ou r su ivit P a u l de sa vo ix m orn e. J ’a va is form é
le p r ojet de d étach er Ch a r lott e de son m ari et
d e la p ou sser au d ivo r ce ... J ’ai vit e recon n u
l ’in a n ité de m es effor ts. M a lgr é les p ires ve xa
tion s, la m alh eu r eu se d em eu r a it en sor celée par
Ch r ist ia n ... To u t en lu i fa isa n t u n e vie in fer
n ale, sem ée d e r ep roch es et d e lam en ta tion s, elle
d em eu r a it a tta ch ée à lu i com m e le lier r e au m ur
q u ’il r ecou vr e.
« C ’était u n e n er veu se, d étr a q u ée, désaxée*
im p ossib le à r aison n er.
« P a r l ’exist en ce q u otid ien n e de m on cam a
r ad e, par sa colèr e d e 11e p ou voir ob ten ir un fils
de cette m alad e in a p te à la m ater n ité, j ’au rais
d û m e ten ir p ou r ven gé. Cela n e m e su ffisait
p ou r ta n t pas. Non seu lem en t j ’ai e xcit é
M m” d ’E st r a n ge con tr e son m ar i, m ais je l’ai
am en ée à a ccu ser son m ar i de la t u er . »
Il s ’arr êta p ou r resp ir er .
Tr em b la n t e, b lêm e d ’ém otion , E d ith r eceva it
scs con fid en ces com m e u n e gr êle de p ierr es.
— Ch a r lott e ép r ou va it le besoin d e s ’ép a n ch er ,
r ep r it le d octeu r . E lle écr iva it son jou r n a l in
tim e. J e lu i su ggér a i de tou t d ir e ap rès lu i a voir
p er m is de su p p oser le d ésir où était Ch r istia n
d e se d éb ar rasser d ’elle p ar tou s les m oyen s...
m êm e par le poison .
— Oh ! s ’écr ia la p etite com tesse, les ye u x
d ila t és d ’efïr oi. Vo u s a vez fa it ce la ? ...
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E lle se leva et se d ir igea ver s la p or te. E lle
vo u la it fu ir , ou b lier le ca u ch em a r , r ejoin d r e
Ch r ist ia n . Le p r ison n ier la r ap p ela.
J e n ’ai p as fin i, d it -il... E co u t ez la su it e...
Au bou t de d ix-h u it m ois de m a r ia ge, Ch a r lott e
m o u r u t ... Ra ssu r ez-vou s. P er son n e n ’y fu t p ou r
r ie n ... E lle su ccom ba a u x su ites d ’u n e em bolie.
P eu ap rès, Ch r istia n se r em ar ia. J e vou s vis
h eu r eu se a vec lu i. J e con sta ta i sa joie de vou s
p osséd er; je n e p u s tolérer ce sp ectacle. De
n ou vea u , le dém on s'em p a r a de m oi, et, la d ou a i
r ièr e a id a n t, je p u s sem er le tr ou b le d a n s votre
m én a ge.
« La com tesse G u y su ffoq u ait de colèr e devant:
le b on h eu r de son b eau -p etit-fils. E lle a va it es
p ér é am en er le vie u x com te à faire un testa
m en t en sa fa veu r . A la d er n ièr e m in u te, ses
p r évision s ne s ’éta ien t p as réalisées. Dep u is q u e
Ch r istia n éta it en p ossession d e la for tu n e con
voitée par elle, la r a ge d e cette vieille fem m e ne
cessa it pas. E lle ne p a rd on n ait pas à vot r e m ari
d ’êtr e le m aîtr e et de le lu i fair e sen t ir ... Sa
m alad ie de foie su p p or ta it m al ces a ccès p er p é
tu els de fu r eu r . De p lu s, elle éta it m or p h in o
m an e. J ’eu s la com p la isa n ce cou p a b le d e lu i
fou r n ir la d r ogu e n écessair e à son bon h eu r . E lle
la p a ya it fort ch e r ... Qu e vou lez-vou s? le jeu
m e m in ait !...
« P a r fois, p ar u n r etou r de m on h on n êteté
n a t ive, je r efu sa is d e lu i d on n er la p ou d re b ien
h eu r eu se. Alo r s, elle m e su p p lia it , m e p r om et
ta it sa for tu n e en tièr e, et je céd a is. J ’a va is
besoin d ’a r ge n t ! San s cesse ta lon n é par les r écla
m a 1,ions t:-_ m es cr éa n cier s, je r ed ou tais le scan J nlo. Déjà , m a sœ u r a va it fait l ’im p ossib le p our
�m ’aid er. E lle ne p ou va it p lu s rien p ou r m oi. »
— J e vou s p la in s! d it la com tesse tr ès bas.
— La veille d e sa m or t, p o u r su ivit Com b arou sse d ’u n e vo ix en cor e a ssou r d ie, elle
m ’a va it rem is cin q m ille fran cs. A la su ite
d e ce d on , je m ’éta is ju r é de n e p lu s r ecevoir un
sou et d ’a ver t ir Ch r is t ia n ... H éla s ! le soir m êm e
je p er d ais, au cer cle, vin gt -cin q b ille t s ... Il me
les fa lla it tou t de su ite. J e r evin s d on c à Cla rev ist e et m is de n ou vea u vot r e gr a n d ’m ère à
con tr ib u tion . E lle n ’a va it pas la som m e e xigé e
p ar m oi. J e n ’a ccep ta i a u cu n e de scs excu ses
et l ’en ga gea i à d em an d er cet a r gen t à son p etitfils. .Sous la m en ace d ’êtr e à ja m a is p r ivée d e
m or p h in e, elle con sen tit à p a rler à Ch r istia n .
J e ne sais ce q u i se passa en tr e e u x, m ais san s
d ou te votr e m ari m it un p r ix e xo r b it a n t à ce
ser vice, car la vieille fem m e ren on ça à le lu i
r éclam er de n ou vea u . « J ’aim e m ieu x m ou r ir
cen t fois, m e d it-elle, m ais je ne p a r tir a i jam a is
d e cette m aison , où j ’ai tou jou r s vécu . »
h J ’éta is h ors de m oi.
L ’effon d r em en t de
m es esp ér a n ces m ’a ffo la it ... e t ... p u isq u e cette
o r gu eilleu se r écla m a it la m or t ... je lui fis
la p iqû r e d on t elle ne d eva it ja m a is se r é
ve ille r ... »
P étr ifiée d ’h or reu r , E d ith r etin t un geste
ép ou van té.
— Qu elq u es m ots en cor e, con tin u a P a u l. J ’ai
tu é, je su is ven u me livr er à la ju st ice, rien
n ’éta it p lu s éq u ita b le. M a is là n ’est pas mon
p lu s gr a n d crim e. J e vou s ai laissée sou p çon n er
un in n ocen t. V'ous a vez cru E st r a n ge cap ab le
d ’a voir em p oison n é une fem m e... la m alh eu
r eu se Ch a r lott e. D eva n t le ca d a vr e de la d ou a i
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r ièr e, vou s a vez su p p osé le p ir e ... et vou s vou s
ê t e s e n fu ie . Ces d ou tes, je lé s a i en tr eten u s sciem
m en t d an s vot r e e sp r it ... J e su is u n d ém on ,
n ’est-ce p a s?... C ’est p ossib le, m ais je crois
êtr e su r tou t u n m a lh e u r e u x... J e som brerai b ien
tôt d a n s le n éan t. Ava n t d e p a r tir , je vou la is
vou s d em an d er p a r d on ... Vo u s a ve z été la p lu s
in n ocen te d e m es vict im e s... Aye z p it ié de
m oi !
Vin gt fois E d it h a va it fa illi jeter son m ép r is
à la face du m isér a b le, m ais elle se r ap p ela les
p a r oles de son m ar i. E lle d eva it p r en d r e m od èle
su r lu i... Alo r s, tr ès d ou cem en t, la vo ix va cil
lan te d ’ém otion , elle d it :
—
J e ne t r ou ve pas d e m ots assez forts n i
assez p itoya b les p ou r vou s exp r im er m a p itié. J e
p r ier ai p ou r vou s !
Ra p id em en t, elle q u itta le p a r loir , fr a n ch it
la gr a n d e p or te r éb a r b a tive, et se d ir igea vers
l ’au to.
Ch r istia n b on d it a u -d eva n t d ’elle, les tr a its
cr isp és p ar l ’an goisse.
I l eu t à p ein e le tem p s d ’o u vr ir les bras pour
y r ecevoir sa fem m e.
A bou t d e r ésistan ce n er veu se, la p a u vr e E d it h
s ’éva n ou issa it.
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XV
E n r ép on se a u x in ter r oga tion s île son m a r i,
M mo d ’E st r a n ge a va it ain si résu m é son en tr e
tien a vec Com barou sse :
— Il p r ocu r a it la m or p h in e à vot r e aïeu le;
en r etou r , elle se d ép ou illa it de sa for tu n e à .son
p r ofit. Com m e elle lu i r efu sa it u n e forte som m e,
il lu i a fait u n e p iq û r e tr op for te et l ’a en d orm ie
p ou r tou jou r s.
P u is elle a va it in sisté p ou r q u ’on ne lu i p ar lât
ja m a is p lu s de cette d r a m atiq u e h istoir e.
E lle éta it d ’a illeu r s d even u e d ’u n e im pression n a b ilité excessive, ch a n gea it de cou leu r
vin gt fois p ar h eu r e et ne tolér a it pas q u e son
m ar i s ’éloign â t d ’elle u n seul in stan t.
— J ’ai p eu r , lorsqu e vou s n ’êtes pas là, d isaite lle ...
E t Ch r istia n , com p r en a n t com bien elle a va it
été secou ée, céd a it a u x d ésir s d e la jeu n e fem m e.
P ou r t a n t , il eû t bien vou lu con n a îtr e les dé"
ta ils d e l ’en tr etien d ’E d it h a vec le d octeu r . Con
fu sém en t, il sen ta it q u ’elle ne lu i a va it pas tout
d it, et en son cœ u r u n e in q u iétu d e sou rd e gr a n
dissait.
H u it jou r s s ’éta ien t écou lés d ep u is la visite
de M mo d ’E st r a n ge à la p r ison , lo r sq u ’u n soir,
com m e la com tesse s ’h a b illa it p ou r assister à
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LA COM TES S E E D ITH
u n d în er en l ’h on n eu r d es fia n ça illes officielles
de Ch ou ch ou et de J acqu es, son m ar i en tra d an s
le b ou d oir , 1111 télégr am m e à la m ain .
Il p a r a issa it en p roie à u n e ém otion p r ofon d e.
Au ssit ô t la com tesse r en voya la sou b r ette et cou
r u t ver s lu i.
— Mon Dieu , Ch r ist ia n , fit-elle, com m e vou s
*_*tcs b o u lever sé! Vo u s voilà p âle com m e u n
lin ge. Ave z-vo u s r eçu u n e m au va ise n o u velle?...
— J e ne sais com m en t l ’a p p eler ... p eu t-êtr e
est-ce 1111 bien p o u r ... tou s. J u gez vou s-m êm e :
Com b a r ou ssc est m ort su b item en t, a u jo u r d ’h u i.
— A h !...
L ’excla m a tion étou ffée ja illit d es lèvr es de la
jeu n e fem m e. Le com te lu t à la fois l ’h orreu r
et la com p assion d an s les p r u n elles azu r ées le
vées ver s lu i.
— Ma b ien -a im ée, d it-il a vec u n e ten d resse
in fin ie, 11e tr em blez p a s... Vo u s vo yez, c ’est
fin i... le cau ch em a r d isp a r a ît ... T a n t m ieu x
p ou r vo u s... p ou r n ou s t o u s... p ou r ce m isé
r ab le et su r tou t p ou r sa p a u vr e sœ u r ... L ’a ffair e
est cla ssée... le silen ce se fera.
— J e ne p en sais p as à elle, avou a la com tesse
en r ou gissa n t. J e son gea is seu lem en t à nous.
J ’ai vécu , gr â ce à lu i, tan t d ’h eu r es a b om i
n a b les. Il m ’a ap p r is la p er ver sit é... J e n e sa
va is p oin t qu e d es sen tim en ts sem b lab les p ou
va ien t h ab iter l ’âm e h u m ain e.
— Vo u s n ’a viez ja m a is vu le m al, vou s 11c le
cr oyiez pas p ossib le? in ter r ogea Ch r istia n a vec
gr a vit é ...
E lle h och a la tête.
Il la r ega r d a silen cieu sem en t et r ep r it .
— J ’ai a tten d u lon gtem p s a va n t de vou s par-
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1er d e ces ch oses, m ais p u isq u e vou s voilà r ed e
ven u e m a p etite com p a gn e ad orée et con fian te
d es p r em ier s jou r s, p ou r qu oi m e ca ch ez-vo u s...
cer tain es ch oses?... N ’à vez-vou s p as u n e con fes
sion à m e fa ir e, m a ch érie?.
E lle d evin t p ou r p r e. Son r ega r d im p lor a son
m ari.
— P ou r q u oi étiez-vou s p a r tie? d em an d a le
com te.
E lle r ecu la , cach a son visa ge d an s ses m ain s,
m ais il d ét a ch a d ou cem en t les d oigts fin s ch a r
gés de b a gu es.
— Vo u s a viez lu le livr e rose, n ’est-ce p as?
J e l ’ai p arcou ru d e m êm e...
U11 cri ja illit de la go r ge con tr a ct ée de la
jeu n e fem m e. E lle en tou r a son m ari d e ses bras
sou p les, a vec un d ésesp oir sa u va ge.
— Ne m e d ites p as cela , Ch r istia n , cela m e
tu e. Si je n ’ai p oin t p a r lé a va n t, c ’éta it p our
vou s évit er d e la p ein e...
Il in sista :
— Vo u s a viez lu cette in fam ie? et vou s
m ’a b an d on n iez? Com m e vou s m ’a vez fait du
m al ! J ’a u r ais cen t fois p r éfér é la m ort !
A ces m ots, elle ou blia tou t. M a lgr é sa vo
lon té de 11e poin t p r on on cer d e p aroles m é
ch an tes, elle cria :
— J e 11’ai pas d ou té de vou s u n e m in u t e... m ais
j ’éta is h or rib lem en t ja lo u se ... E lle d écr iva it vos
jo ie s... cette Ch a r lo t t e... vot r e p r em ièr e ép ou se,
et j ’en so u ffr a is... A m on r etou r d e P léza c, j ’ai
ch er ch é le m an u scr it fatal p our le d éch ir er ...
je ne l ’ai p lu s t r o u vé ... Alo r s j ’ai eu p eu r . Vo u s
seu l con n a issiez le secr et de mon b u r e a u ... J ou r
et n u it, d ep u is, cette id ée m e tor tu r a it. J e vou*
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lais bien sou ffr ir , m ais vou s sa voir m a lh eu r eu x
éta it au -d essu s d e m es fo r ces... Ah ! com b ien do
fois d ep u is j ’ai sou h a ité u n e e xp lica t io n en tr e
n ou s !...
E lle in sist a it, p ressée con tr e lu i :
— Ces folles m éch a n cetés d oiven t êtr e o u
b liées et aussi le sou ven ir d e la p r em ièr e...
d e Ch a r lott e. Ah ! j ’ai été folle d e lir e ce ca
h ier ! J e l ’ai d écou ver t un jo u r par h asar d , en
ch er ch a n t un livr e p ou r Ch o u ch o u ... et je l ’ai
em p or té. Dep u is je ne p ou vais ou b lier les
p h r ases lu i*. E lles cor r ob or a ien t si bien les p a
r oles d e gr a n d ’m ère !... Dep u is q u elq u es jou r s,
vou s étiez p lu s fr o id ... j ’ai cr u à 1111 ch an gem en t
d e ten d resse de vot r e p a r t ... et je m e su is sau
vée com m e u n e folle san s r éflé ch ir ... P ou r q u oi
n e m ’a voir p as p er m is de vou s d em an d er p a r
d on , à m on r etou r ?
— J e t ’a va is d éjà p ard on n é ! m u r m u r a le
com te d an s un b a iser ... Ah ! si tu savais com m e
j ’a va is d es r em ord s d e te laisser à ge n o u x d e
va n t m oi ! J e faisais u n effor t su r h u m a in p ou r
ga r d er m es p a u p ièr es a b a is sé e s!... J ’a va is telle
m en t en vie de te ten d r e les b r a s...
U11 d élicieu x sou r ir e éclaira le visa ge sou d ai
n em en t rosé d e la com tesse.
— Ap r ès l ’a veu d es fa u tes, la p én iten ce, dite lle ... Vo u s serez p eu t-êtr e ob ligé d e vou s m on
tr er p a t ien t ... d ésorm ais.
T o u t bas, r ou gissa n t bien for t, elle a jou ta :
— E co u t e z, ch ér i, je cr ois q u e vou s a u r ez un
fils»
Qu a n d M. et M'"e d ’E st r a n ge a p p a r u r en t dan s
le salon du gén ér a l de La u sier , ils éta ien t e»
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r eta r d de d ix-sep t m in u tes, et le vie u x sold at
ne cessait de b ou gon n er con tr e la d ésin voltu r e
de la jeu n e gén ér at ion .
M a is lo r sq u ’il a p er çu t sa n ièce, r ad ieu se dan s
sa robe b la n ch e, il ou b lia sa fu r eu r p ou r la re
ga r d er a vec ad m ir ation . J am ais la jeu n e fem m e
11’a va it été au ssi jolie.
Assis à côté de sa ch ar m an te fian cée, J acqu es
Sor elle r ega r d a it le com te d ’E st r a n ge. Les ye u x
fixé s su r sa fem m e, Ch r istia n l ’en velop p a it
d ’un sou r ir e fait d e d ou ceu r ard en te et con te
nu e d on t elle d eva it se sen tir em brasée.
E n lu i-m êm e, le r om an cier son gea it :
« J oie et d ou leu r , tou t a passé su r e u x, com m e
un ou r a ga n . M a in ten a n t l ’or age est calm é. Ils
son t a n cr és d éfin itivem en t au p or t. »
P u is, se tou rn an t ver s sa fian cée, il con clu t
p ou r lu i seu l :
« J ’ai eu la p lu s excellen t e id ée du m on d e, en
111e fa isa n t p r ésen ter à M 1"' d ’E st r a n ge. »
Il éta it p r ès de m in u it lorsq u e la gr a n d e por te
d e Cla r ev isle s ’ou vr it d evan t les ch â tela in s.
Selon la cou tu m e, 1111 sou p er les a t t en d a it
d an s la b ib lioth èq u e. E d it h se laissa tom ber
su r un ca n a p é, au coin de la ch em in ée oii flam
bait un feu d e p om m es de p in . Il faisait tièd e.
Des fleu rs em bau m aien t la p ièce...
— Ch r ist ia n , fit sou d ain la vo ix câ lin e de la
com tesse, p ou r qu oi ne vou s a sseyez-vou s pas :u>
p r ès d e moi ?
Il sou r it et p r it p la ce â ses côtés.
— Si vou s étiez tou t â fa it r aison n ab le, d it-il,
vou s ir iez vou s r ep oser. Vou s ne d evez pas ve il
le r ... et m in u it est son n é...
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— N e soyez p as t yr a n n iq u e ... su p p lia la p e
tit e com tesse, j ’ob éir a i d em a in ... ce soir , je su is
h eu r eu se, laissez-m oi vivr e cette jou r n ée ju s
q u ’au b o u t ...
— M a ch ér ie ! m u r m u r a-t-il, en p r en an t ses
d eu x m ain s.
E lle l ’in ter r om p it, la jo lie tête em p er léc frôla
5011 visa ge.
— N e d ites r ie n ... p as u n m ot, fit -e lle ... C ’est
trop d élicieu x d ’êtr e a in si, tou s d e u x... d an s le
silen ce. P ou r des joies sem b lab les, il n ’exist e
pas de m ots. Il fa u t tellem en t s ’aim er p ou r oser
sc taire en sem b le...
P lu s b as, elle r ép éta : en sem b le...
E t les d er n ier s fan tôm es du passé s ’en fu ir en t
pour n e ja m a is r even ir .
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Su r les cot ea u x d e Sa in t -Cyr d évala u t ver s te
L o ifc, la p r op r iété du Te r t r e sem ble posée en
éq u ilib r e.
D 'im m en ses ja r d in s en terrasses su ccessives
s ’éten d en t p ar d er r ière ju s q u ’en h au t de la col.lin e cou r on n ée d ’un bois tou ffu . Uu m u r t n cer cle ces ja r d in s, qui com m u n iq u en t a vec la
forêt par u n e p etite p orte basse.
Deva n t la vieille d em eu r e, le p arc fleu ri d es
cen d ju s q u ’au bord de la route.
To u t au p rès d e la gr ille qui d on n e a ccès au
Ter t r e, un p etit p a villon est là, com m e un vi
gila n t gar d ien . C ’est la m aison occu p ée p ar les
La m b er t , les bon s et fid èles ser viteu r s du com te
d u P u ivr a y.
�LE S CŒ U R S DORRS
On é t a it au m o is d ’octob r e. C ’é t a it p ar u n de
ces m agn ifiq u es cr ép u scu les où le soleil cou
ch a n t in cen d ie les e a u x len tes du fleu ve.
Sou d a in , u n cou p de fu sil tr ou b la le silen ce
d e la cam p a gn e. Au b r u it de la d éton a tion , u n e
jeu n e fille sor tit d e la cu isin e du ch âtea u ,
s ’élan ça ver s le b ois, gr a vit r ap id em en t les
a llées en p en te et a r r iva à la p etite p or te, ju ste
au m om en t où le com te du P u ivr a y l ’ou vr a it,
son fu sil su r l ’ép au le.
— Vo u s l ’a vez m a n q u é,’ M on sieu r le com te?
q u estion n a-t-elle p laisam m en t.
—• N e te m oqu e pas de m oi, m âtin e ! T u a u
r ais bien vo u lu p a r ta ger m on c iv e t !... Tie n s
p lu t ô t la ch ien n e. Oh ! là ! Cora, tien s-toi tr a n
q u ille, a jou ta -t-il en flattan t îa su p er b e ép a
gn e u le qu i m an ifesta it u n e joie désordonnée, à
l ’ad resse d e la jeu n e fille.
— Cor a , d on n ez-m oi vot r e p etite p atte et t a i
sez-vou s ! L à ! Vo u s êtes la p lu s b elle des
ch ien n es, m a is... vou s m e sem b le/ d even u e m au
va ise ch asseu se !
— Ces p aroles d evr a ien t p lu tôt s ’ad resser à
m ui, M a d elein e, d it m éla n coliq u em en t le com te
Mon b r as tr em b le d ep u is q u elq u e t em p s... je
vise m al.
Ah ! le ch a gr in ne r a jeu n it pas,
vois-tu !...
— M on sieu r le com te !
M a d elein e éta it la fille d e M . et M"" La m b e ;t.
E lle a va it vou é u n vér it a b le cu lt e à M . du P ’.'ivr a y et , ch a q u e fois q u e celu i-ci éta it em po té
par l ’ém otio» , elle ép r ou va it u n e im m en se p itié.
E lle eû t vou lu con soler les gr a n d es p ein es don t
elle a va it été tém oin .
( A sui v r e. )
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Collection Stella
Relation
A related resource
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Description
An account of the resource
La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
La comtesse Edith
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cys, Éric de (1889-1956)
Ichard, Jeanne Louise Marie (1876 -1951)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1930]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
158 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 248
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_248_C92691_1110913
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
A related resource
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P ub lic a tio ns pé riodigue s de la Soc ié té Anony m e du “ P e tit Écho de la Mode ”
1 , rue Ga za n, P A RIS (X IV ).
Le P E T IT É C H O de la M O D E
p a r a ît t o u s le s m e r c r e d is .
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32 pages, 1G grand format (dont 4 en couleurs) par numéro
Deux gra nds roma ns pa r ais s ant en mê me temps . Ar tic le s de mode.
:: Chronique s variées. Conte s et nouve lle s . Monologue s , poésies. ::
Causerie s et recettes pr atique s . Cour rie r s tr ès bie n organisés .
R U S T IC A
R eo u e un iverselle illu strée de la ca m p a gn e
p a r a ît t o u s le s s a m e d is .
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3 2 p a g e s illu stré es e n n o ir e t e n c o u le u r s .
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Q u e s t io n s r ur a le s . C o u r s d e s d e n r é e s , E le v a g e , Ba s s e - c our , C u is in e ,
A r t v é t é r in a ir e , Ja r d in a g e , Ch a s s e , P ê c h e , Br ic o la g e , T . S . F . , e tc.
L A M O D E F R A N Ç A IS E
p a r a it t o u s le s m e r c r e d is .
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C 'es t l e m a g a z i n e c/c l 'él ég a n c e f ém i n i n e et Je l ’i n t ér i eu r m o d er n e,
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d e r o m a n e n s u p p lé m e n t , s u r p a p ie r d e lu x e .
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no u v e lle s ,
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c h r o n iq u e s ,
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| L IS E T T E , Journal des Petites Filles f
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1 6
p a r a ît t o u s le s m e r c r e d is .
p a g e s d o n t 4 e n c o u le u r s .
P IE R R O T , Journal des Garçons
1 6
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I
p a r a ît t o u s le s je u d is .
page s d o nt 4
e n c o u le u r s .
G U IG N O L , Cinéma de la Jeunesse
M a g a z i n e b i m en su el p o u r f i l l el l es c l g a r ço n s.
f.
MON OU VRAGE
Jo u r n a l d ’Ouvr a g c s de Da m e s p a r a is s a n t le 1' 1 e t le 1 5 de c ha que moi».
La Co l l e c t i o n
P R IN T E M P S
Rom an s d 'aven t u r es p ou r l a jeun esse.
P a r a ît le 2 " ' e t le 4 " d i m a n c h e d e c h a q u e m o iii.
^
L e pe tit v o lu m e d e 6 4 p a g e » s ou* c o u v e r t u r e e n c o u le u r s : 0 Ir. 5 0 .
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L I ST E
D ES
P A R U S
P R I N C I P A U X
D A N S
B 9BO KBBE9 K 209CSI 4 &¡S
M. A1GUEPFRSE : 188.
Ma tkilde Ai ANIC : 4.
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E s p éran ce s .
G. d' ARVOR : 134.
M a r ia g e
Lya ÎJERGER : 157.
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M a r ia g e
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— 56.
M o n e lle .
G r a lie n n e .
Rose
D up re y .
L a M a i s o n d a n s l e b o is .
Sa lva du BEAL : 160.
B RADA: 9 1.
V O LU M ES
C O L L E C T IO N
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Le
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M a r g u e r it e .
M. des ARN E AU X: 8 2.
Lucy AUGE : 154.
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A u t o u r d 'Y c e t t e .
C e n t l'A m o u r
B ran c h e
Je a n de la BRF.TE : 3.
3 4. U n R c v e l l .
de
q u i gagne !
ro m a rin .
R êv e r et
V io r e .
— 25.
Illu s io n
Andr é BRUYÈRE : 161. L e P r i n c e ( T O m b r e . — 179. L e
t e m p ê t e s . — 2 23 . L e J a r d i n b l e u .
C W L m ie e BURNHAM : 125. P o r t e à p o r t e .
Anda CANT EGRIVE : 2 20. L a r e v a n c h e m e r v e i l l e u s e .
Rosa- Nonchette CAREY : 171. A m o u r e t F i e r t é . — 191.
v a i n c r e . — 199. A m i t i é o u A m o u r ?
Mm e E. C ARO : 1 0 3 . I d y l l e
m a s c u li n e .
—
C h âte au
de s
S o u f f r ir
pour
n u p t ia le .
A.- E. CAST LE : 9 3. C o e u r d e p r in c e s s e .
Comtesse de CAST ELLANA- ACQUAVIVA ï 9 0 . L e S e c r e t d e M a r o u s s i a .
CHAMP OL : 6 7. N o ë l l e . — 113. A n c e l i s e . — 2 09 . L e V œ u d ’A r . d r é .
“ 2 16 . P é r i l d ’a m o u r .
Comtois e CL0 : 137. L e C œ u r c h e m i n e . — 190. L ' A m o u r q u a n d m ê m e .
Je a nne de COULOMB : 6 0 . L ' A l g u e d ’o r . — 170. L a M a i s o n s u r l e r o c .
Edmond COZ : 7 0. L e V o i l e d é c h i r é .
Je a n DEMAI5 : I. L ’H é r o ï q u e A m o u r .
H . A. DOU RLIAC : 2 0 6 . Q u a n d l ' a m o u r v i e n t . . .
A. DUBARRY : 132. L a M i s s i o n d e M a r i e - A n g e .
Ge neviève DUHAMEJ.ET : 2 08 . L e s In é p o u s é e s .
Vic tor FÉLI : 127. L e J a r d i n d u s i l e n c e . — 1 %. L ’A p p e l à l ’i n c o n n u e .
Je an F1D : 152. L e C œ u r d e L u d i o i n e .
Mnr lbe FiEL : 215 . L ’A u d a c i e u s e D é c i s i o n .
F LE URI0 T : I I I . M a r g a . - 136. P e t i t e B e l l e . —
177. C e
p a u v r e V i e u x . — 213 . L o y a u t é .
Ma r y F L0 RAN : 9. R i c h e o u A i m é e ? — 3 2. L e q u e l / *a i m a i t J —
6 3 . C a r m e n c l t a . — 8 3 . M e u r t r i e p a t l a v i e I — 100. D e r n i e r
A to u t.
142. r i o n h e u r m é c o n n u . — 159. F i d è l e à » o n r i t e . ■"
173. O r g u e i l v a i n c u .
2 00. U n a n d ' é p r e u v e .
M.- E. F RANCIS : 175. L a R o s e b l e u e .
Jacques des GACH ON S : 148. C o m m e u n e t e r r e s a n s e a u . . .
Georges GISSING : 197. T h y r x a .
Pierre GO’J RDON : 140. A c c u s e I
Jacques GRANDCHAMP : 4 7. P a r d o n n e r . — 58. L e C c u r n * o u b li e p a s .
110. l . e s T r ô n e s s ' é c r o u l e n t . — 166. R u s s e e t F r a n ç a i s e . __
176. M a l d o n n e . — 192. L e S u p r ê m e A m o u r
M . de HARC0 ET : 37. D e r n i e r s R a m e a u x .
M r . HUNGERFORD : 207. C h l o ê .
Je a n JE G0 : 197. C œ u r d e p o u p é e .
P aul JUNKA : 186. P e t l l e M a l s o n , G r a n d
L. de KF.R^NY : 131. P i g n o n s u r r u e .
Ve .r o de KKRÉVEN : 214 . O ù e s t - i l >
Je a n de KERLECQ : 139. L e S e c r e t d e l a f o r ê t .
(Smiti
236-1
�F r i a ci p a n x
ir o l n m ei p a r u t
d an t
l a Co l l ect i o n
( Su llt ) .
M. 1<\ BRUYERE : 165. L e R a c h a t d u b o n h e u r .
Mme LESwOl 9 5 . M a r i a g e s d ’a u j o u r d ’h u i .
Aude LUSY ; ¿0 1 . 1 - A v e n t u r e a u b o r d d e l ’e a u .
Georges de LYS : M . . L e L o g i s .
2 02 . C o n j U l s d ' â m e .
MAGALI : 203. L e J a r d i n a u x g l y c i n e s .— 2 21 . L e c t s u r d e l a n l c M i c h e .
Willia m MAGNAY : 168. L e C o u p d e f o u d r e .
P hilippe MAQUET ; 147. L e B o n h e u r - d u - j o u r .
HéJèn* MAT HERS : 17. A t r a v e r s le s s e ig le s .
R a o u I MALT RAVERS : 135. C h i m i r e e t V i r i l e .
Et c PAUL- MAP.GUERITTE î 172. L a P r i s o n b l a n c h e .
Je t a MAUCLLRF. : 193» L e s l i e n s b r i s é s .
Suzanne MERCEY : 194. J o c e l y n e .
Proape r MF.R1MEE : 169. C o l o m b a .
Ma *«li MICH'cLET : 2 17 . C o m m e j a d i s .
Ja a n de MON T HE AS : 143. U n H é r i t a g e .
R. NEULLIÈS : 128. L a V o i e d e l ’a m o u r . — 2 12 . L a M a r q u h c C h o o t û l »
Claude N1SSON : 8 5. L ’A u t r e H a u t e .
Ba r r y P AIN : 211. L ’A n n e a u m a g i q u e .
F r . M. P EARD : 153. S a n s l e s a v o i r . — 178, L ' I r r é s o l u e
Pie rr e P ERRAULT : 8 . C o m m e u n e é p a v e .
Alfr e d du P RADEIX : 9 9 . L a F o r ê t d ' a r g e n t .
Alice P UJO : 2. P o u r l u t / ( A d a p t é do l o n g liii.’
Et r RAMIE : 222 . D ’u n a u t r e s i è c l e .
P ie rr e RÉGIS : 2 24 . L e V e a u c T O r .
Cla ude RENAUDY : 219 . C e u x q u i v i v e n t .
Procopc le ROUX : 195. I . ’A m o u r e n p é r i l .
J«Mn SAINT ROMAIN : 115. L ’E m b a r d é e .
Isabe lle SANDY : 4 9. M a r y l a .
P ie rr e do SAXEL : 123. G e o r g e s e t M o t .
Yv a ia e SCHULT Z : 6 9. L e M a r i d e V i o l a n t
Narbe rt SEVEST RE : 11. C y r a n e t t e .
Re «é ST AR : 5. L a C o n q u i t * d ‘u n e m u r . — 8 7 . L ’A m o u r a t t e n d " '
J. T HIÉRY et H. MART IAL : 183. U n e H e u r e s o n n e r a . . .
Je t a T HIÉRY : 138. A g r a n d e v it e s s e . — 158. L ’I d é e d e S a t l t •
2 10 . E n l u t t e .
*
Ma r ie T HIERY : 57. R i v e e t R é a l i t é . — 133. L ’O m b r e d u p a s s é .
Lio a de 1 INSEAU : 117. L e F i n a l e d e l a t y m p h o n l e .
T . TR1LKY : 21. R i v e
d ’a m o u r . — 29. P r i n t e m p s p e r d u . — 5 6 . L a
P e t i o t e . — 42. O d e t t e d e L y m ê l l l e . — 5 0. L e M a u v a i s A t n o u f .
6 1 . L ’I n u t i l e S a c r i f i c e . — 8 0. L a T r a n s j u g e . — 9 7 . A r f t t t i , j t u n o
f i l l e m o d e r n e . — 122. L e D r o i t d ’a i m e r . — 144. L a R o u e d u m o u l i n .
— 163. L e R e t o u r . — 189. U n e t o u t e p e t i t e a v e n t u r e ,
A.d r é a .VE RT IOL : 150. M a d e m o i s e l l e P r i n t e m p s .
Je a a VEZÈRE : 155. N o u v e a u x P a u v r e s .
Je a a V!DOUZE : 2 IH. L a F t l l e d u C o n t r e b a n d i e r .
M. de WAILLY : 149. C o e u r d ’m r. — 204 . L ’O i s e a u b l a n c .
A.- M. et C.- N WILMAMS ON : 2 05 . L e S o t r d e » o n m a r i a g e .
Ife a r y WOOD : 198. A n n e H e r e f o r d .
===== I L PA RA I T D EU X VO LU M ES PA R M OIS = =
L a ▼ •la iM« : 1 fr . 5 0 : fr a n c o : 1 fr . 7 5 .
C in q v e lu M M a n c h o ix , fr a n c o : 8 fr a nc s .
L e c a t a l o g u e e a m p le l J e
l a c a lle e t t o n e s t e n v o y é f r a n c o c o n t r e O f r . 2 6 .
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A m i ss R. ftl. A. Ois; en.
PREM IÈRE
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A g n ès ar r o sai t scs f l eu r s en ch an t an t .
D an s l e so i r d 'ét é l u m i n eu x , l a v o i x c l ai r e au
t i m b r e v i b r an t , r éso n n an t e co m m e un c r i st al , l an
çai t av ec al l ég r esse l es m ot s de sa ch an so n :
J ’ni lm île ln p luie
A l ’o m lir c île s h o u x .
Ma m ic e s t jo lie
E t HtH ye ux s ont d o u x !
L e s go u t t el et t es, o p al i sécs p ar l e r ef l et f l am b o yan t
d es n u ages d e p o u r p r e et d ’o r am o n cel és d an s l e
ci el , t o m b èr en t en p l u i e p r essée su r l es œi l l et s,
o r gu ei l d u p et i t j ar d i n . U n e o d eu r f r aî c h e et sai n e
d e t er r e m o u i l l ée m o n t ai t d es p l at es- b an d es.
P l u s l o i n , co n t r e l a m ai so n n et t e l o n gu e et b asse,
t o u t e b l an ch e, ég ay ée p ar l e b l eu cr u d es v o l et s
au t o u r d esq u el s gr i m p ai en t l es t r aîn es l ég èr es d es
cap u ci n es et d es v o l u b i l i s, d eu x f i l l et t es et ut i p et i t
g ar ç o n j o u ai en t au v o l an t .
C ’ét ai t d él i ci eu sem en t t r an q u i l l e et f am i l i a l ; t ou t
p ar l ai t d ’u n e v i e si m p l e, j o y eu se.
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L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
A g n ès so u r i t d e l o i n à scs sœu r s et à son f r èr e,
p u i s s’ap p r o ch a d e l a ci t er n e r o n d e o m b r agée p ar
l es l au r i er s et l es f i gu i er s au x l ar g es f eu i l l es v eh
;•
el l e p l o n gea ses b r as n u s d an s l e r éser v o i r et
r et i r a l a cr u ch e p l ei n e en r ai d i ssan t ses p o i gn et s
m i n ces.
L ’ eau r ef l ét a l a f i gu r e am b r ée d ev en u e r o se so u s
l ’ef f o r t . A g n ès d ’ Et r u c h at ét ai t u n e r av i ssan t e j eu n e
fi l l e, p as t r ès gr an d e, m ai s si b i en f ai t e. D an s
l ’o v al e t r ès p u r dt i v i sag e, d eu x b eau x y eu x n o i r s,
t r ès l o n gs, sp i r i t u el s et g ai s, b r i l l ai en t , et l e so u r i r e
d es d en t s ét i n cel an t es, en t r e l es l c v r es p o u r p r es
com m e un
f r u i t , d ev ai t
êt r e i r r ési st i b l e.
Il
ét ai t
i m p o ssi b l e, en l a v o y an t , de n ’êt r e p o i n t éb l o u i p ar
sa b eau t é et séd u i t p ar sa g r âc e p i q u an t e.
A g n ès se r eg ar d a, n on san s u n e cer t ai n e co m p l ai
san ce, p u i s, se r ed r essan t t ou t à co u p , ab an d o n n a
son t r av ai l de j ar d i n i èr e, c ar , de l a m ai so n , l es v o i x
d ’en f an t s ap p el ai en t :
—
A g n ès! O ù es- t u ? V i en s d on c, v o i l à M " ' Ro ch cb el l e !
A u m êm e i n st an t , u n v ac ar m e af f r eu x , so r t e de
r o n f l em en t saccad é, co u p é de d ét o n at i o n s, d éch i r a
l ’ai r . O n eû t d i t l a t o u x d ’u n e t ar asq u e, r en f o r c ée
d ’ex p l o si o n s sem b l ab l es à u n e sér i e d e co u p s d e r e
v o l v er . U n m u gi ssem en t d e k l ax o n , d o m i n an t l a
m i t r ai l l e, r év él a q u ’il s’ag i ssai t t o u t si m p l em en t d e
l ’ar r i v ée d ’u n e au t o m o b i l e, de m o d èl e san s d o u t e
an t éd i l u v i en .
V i v em en t , l a j eu n e fi l le ar r ac h a l e gr an d t r i b l i er de
f o u l ar d m u l t i co l o r e j et é su r sa r o b e b l an ch e p ei n t e
de t o u f f es d e b o u t o n s d ’o r . E l l e acco u r u t , g r ac i eu se,
u n so u r i r e au x l èv r es, à l a r en co n t r e d es v i si t eu r s.
L a v o i t u r e ét ai t ar r êt ée d ev an t l a b ar r i èr e en
g u i r l an d ée de b i gn o n cs et d e v i g n e v i er g e.
D e ce v éh i cu l e so r t i t t ou t d ’ab o r d un m o n si eu r
d ’u n cer t ai n âg e, d on t l e p h y si q u e r ap p el ai t assez
�T /IN FAN T
A
L ’E S C A R B O U C L E
7
ex act em en t cel u i d ’u n ch at en f u r i e. C el a v en ai t
p eu t - êt r e d ’u n e én o r m e m o u st ach e, p l an t ée t o u t e
d r o i t e au - d essu s d ’u n e b o u ch e d ém esu r ée. Sc s y eu x
r o n d s sc f i x ai en t t o u j o u r s av ec t er r eu r su r ses m ei l
l eu r s am i », co m m e s’i l sc f û t t r o u v é en p r ésen ce
d ’u n sp ect r e ou d ’u n e n o u v el l e f eu i l l e d ’ i m p ôt .
C ’ ét ai t M . P au l i n Ro ch eb el l e, ex c el l en t v o i si n d e
M '
d ’ Et r u c h at .
I l p r o n o n ça d ’un a i r af f o l e, b i en q u ’ét an t p a r f a i
t em en t cal m e :
— M es h o m m ages, A g n ès. V o t r e t an t e est ch ez
el l e?
A p r ès q u o i , san s éco u t er son i n t er l o c u t r i ce l u t
af f i r m er t ou t l e p l ai si r q u ’ au r ai t M “ * F él i c i c d ’ E t r u
ch at , sa p ar en t e, à r ec ev o i r ses am i s, M . Ro ch eb el l e
se d ét o u r n a, p ar v i n t , au p r i x d e m i l l e ef f o r t s, à e x
t r ai r e, san s d o m m age p o u r l eu r s ch ap eau x , d eu x
d am es en f o n cées so u s l a cap o t e d e l a t o r p éd o .
L ’ u n e, g r an d e, « r o sse, m au ssad e co m m e u n r ei t r e,
ét ai t M “" R o c h eb el l e; l a seco n d e, p l u s p et i t e, f o n
d u e en so u r i r es, ét ai t l a b ar o n n e D u p o n t d e Go n sen h ei m , sa soeur.
Si M . Ro ch eb el l e av ai t d es m an i èr es u n p eu
sau v ag es, cel l e- ci , p ar co n t r e, au r ai t p u êt r e d écl a
r ée g r i m ac i èr e, si cc q u al i f i c at i f n e f û t , d ep u i s
p l u si eu r s an n ées, t om b é _cn d ésu ét u d e.
Sa d i st i n ct i v e d ev ai t êt r e l ’am ab i l i t é et l e go û t
d es l o u an ges, c ar c e •: j et a i m m éd i at em en t su r
A g n ès, T em b r as: 1 n s’ex t asi an t su r sa r o b e, sa
c o i f f u r e, so n él égan ce* en su i t e el l e r ép ét a l e m êm e
j e u de scèn e av ec l es d eu x p et i t es, su c c essi v em en t ;
ap r ès v i n t l e t o u r d u gar ço n n et , et l a f aço n d o n t
cel u i - ci b ai sa l a m ai n d es d eu x d am es fit p r o cl am er
p ar l a l au d at i v e b ar o n n e :
— Ren é c>t t ou t b o n n em en t ad o r ab l e! Si j ’ét ai s
v o u s, A g n ès, j e l ’ i d o l ât r er ai s!
•— Je n e s uis p as f ét i ch i st e, r ép l i q u a gai m en t l a
�8
1/ I N F A N T
A
I / E SC A R n o y C T .E
g r an d e sœ u r ; m ai s j e l e g ât e t o u t d e m êm e... et j ’ ai
t o r t , c ar i l d ev i en d r a, so u s p eu , i n su p p o r t ab l e !
M ' " D u p o n t d e Go n sen h ei m r ép ét a t r o i s f o i s :
— F ét i c h i st e ! a h ! a h ! v o u s av ez d es t r o u v ai l l es,
m a c h èr e! V o u s av ez h ér i t é d e l ’ esp r i t o r i g i n al de
v o t r e t an t e.
M m” Ro ch cb cl l e, d on t le- c ar ac t èr e d ev ai t êt r e
d ’t t ne âp r et é ég al e à cel l e d e son v i sag e, r em ar q u a
d ’u n t on g r i n c h eu x :
— Si v o u s n o u s l ai ssi ez en t r er , L éo n i e? Je n ’ai
p as l ’ i n t en t i o n d e f ai r e m a v i si t e d eb o u t !
— C ’ est v r ai , ça ! fit l e m ar i q u i sem b l ai t gu et t er
l ’o p i n i o n de sa f em m e p o u r l u i em b o ît er l e p as.
M m* d e Go n sen h ei m s'ex c u sa, ce f u t en co r e
l ’o ccasi o n d ’u n e n o u v el l e d ép en se d e so u r i r es et de
co m p l i m en t s.
A g n ès o u v r i t l a p o r t e- f en êt r e d u sal o n et , s’ef f a
çan t d ev an t l a b ar o n n e, an n o n ça :
— M a t an t e, M m" d e Go n sen h ei m , M . et M ” Ro ch eb el l e n o u s on t f ai t l a b on n e su r p r i se d e...
U n p et i t cr i co u p a l a p h r ase. M " * F él i c i e d 'K t r a
ch at , u n e ai m ab l e v i ei l l e f i l l e, au x y eu x sp i r i t u el s
co m m e ceu x d e sa n i èce, au v i sag e san s b eau t é et
n éan m o i n s ag r éab l e, se l ev a d ’u n j et , l âch an t son
p o r t e- p l u m e qu i r o u l a su r u n t as d e p ap i er s co u
v er t s de gr i f f o n n ag es. E l l e t jr aq u a son f ace- à- m ai n
d ’o r ci sel é su r l a si l h o u et t e t r ap u e d e M " Ro ch eb el l e et l ’o n d u l cu sc p er so n n e d e sa b el l e- sœu r , r es
p l en d i ssan t e d e n œu d s, d e p om p o n s, de b o u f f et t es.
P o u r at t én u er l a b r u sq u er i e d e son
f r èr e,
M ” * D u p on t d e Go n sen h ei m m i n au d ai t san s cesse
et p r o n o n çai t l es n i n t s l es p l u s u su el s d 'u n e f aço n
af f ect ée, co m m e l e f o n t l es M ér i d i o n al es so u ci eu ses
de ch an ger l eu r accen t .
E l l e ét ai t t r ès co n t en t e d e son
t or t il, dû à la
b r av o u r e d ’u n gr an d - p èr e, gén ér al du r r Em p i r e.
So n n om al l em an d , p ar co n t r e, l a gên ai t b eau co u p ;
�lyixr . w 'T a i.’rr. cAr^ orci. r:
f au t e
de
p ou voir
l ’ar t i c u l er
co r r ect em en t ,
9
el l e
l 'ém et t ai t à l a f r an ç ai se. C el a p r o d u i sai t un eff et
a î 'c z cu r i eu x .
— M a ch èr e F él i c i e, d i t cet t e b ar o n n e g er m a
n i q u e en se f en d an t l a b o u ch e j u sq u ’a u x o r ei l l es,
n o u s v o i ci en co r e. V r ai m en t , n o u s f i n i r o n s p ar v o u s
p ar aî t r e en co m b r an t s!
— P o u r q u o i ? fit san s b ar g u i g n er l a m aît r esse du
l o gi s. B o n so i r , L éo n i e. V o u s al l ez b i en , P h i l i p p a?
E t v o u s, P au l i n ?
Ph i l i p p a Ro ch eb el l c g r i n ç a :
— B o n so i r , m a ch èr e. N o n , j e v ai s co m m e d ’h a
b i t u d e.
P u i s el l e s’assi t .
— N ’est - ce p o i n t i n d i scr et d ’ êt r e t o u j o u r s ch ez
v o u s? m i n au d a M * * de Go n sen h ei m en ét al an t scs
v o l an t s et scs r u ch és d an s son f au t eu i l .
E l l e p r o n o n çai t : « i n d i scr o êt », en go n f l an t l e
co u com m e u n p i geo n . C ’ét ai t u n e p et i t e m an i e,
m ai s cl i c sc m o n t r ai t , à p ar t ses l ég er s t r av er s, u n e
si b o n n e fem m e !
So n
f r èr e i n t er cal a d ’u n accen t
f ar o u ch e :
— Je t en ai s, F él i c i e, à v o u s r em er ci er d es
p o i r es qu e v o u s m ’ en v o y ât es. E l l es ét ai en t f o r t
bo n n es.
— N e m e r em er ci ez p as, j e v o u s
M " " d ’ Et r u ch at av ec sa b o n h o m i e
E n t r e n o u s, cel a n ’est p as de m i se...
cér ém o n i es d e v o t r e sccu r ! C ’ est t r ès
en p r i e, fit
co u t u m i èr c.
com m e l es
ai m ab l e de
n e p as co m p t er av ec m o i ... J ’ au r ai s d u al l er ch ez
v o u s, m ai s j e su i s si o ccu p ée.
— C ’est v r ai , d i t l a b ar o n n e, se t o u r n an t v er s
A g n è s; d ep u i s v o t r e r et o u r d ’ Esp ag n e, on n e v o u s
vo i t p l u s. Q u ’av ez - v o u s f ai t de b eau en A n d al o u si e?
Raco n t ez - m o i cel a, m a p et i t e am i e, j ’ ad o r e l es r é
ci t s d e v o y ag es.
L e s p r u n el l es d e j a i s d e l a j eu n e fi l l e b r i l l èr en t ,
�T .’ I N F A N T
A
L ’E SC A R T Î O U C L E
u n e l u eu r d e m al i ce et t ic p l ai si r sem b l ai t y al l u m er
d es ét i n cel l es.
M " ' F él i c i c , so u d ai n cr am o i si e, r ép l i q u a :
— E l l e n ’a r i en f ai t d e b eau ! et l es v o y ag es, on
p eu t l es f ai r e... si l ’on t i en t à co m m et t r e u n e so t
t i se... en t o u t cas, on n e l es r aco n t e p a s!
— P o u r q u o i ? fit Pau l i n , en o u v r an t d es y eu x d e
d o gu e.
— P ar c e qu e c’ est en n u y eu x !
C ec i t o m b a co m m e u n d écr et . M m* d e Go n sen - h ei m p r o t est a :
— F él i c i c , n ’em p êch cz p oi n t v o t r e n i èce d e n o u s
f a i r e p ar t ag er scs so u v en i r s. Je m e r éj o u i s de co n
n aît r e scs i m p r essi o n s su r l ’A n d al o u si e.
— Je n ’ai p as v i si t é cet t e p r o v i n c e, d i t A gn ès,
p ai si b l e. Je co n n ai s v r ai m en t b i en seu l em en t u n e
p ar t i e de l ’ Est r em ad u r a.
L e v o cab l e ét r an g er fit p r esq u e p âm er l a b ar o n n e.
E l l e d i t d eu x f o i s : « E st r c m ad u r a » et sem b l a s’en
g a r g ar i se r .
— Co m m e v o u s p r o n o n cez b i en ! O n c r o i r ai t en
t en d r e u n e v ér i t ab l e Esp ag n o l e.
— Sa m èr e ét ai t B asq u ai se, co u p a F él i c i c b r u s
q u em en t . Q u o i d ’ét o n n an t à ce q u ’A g n c s sach e c o r
r ect em en t p ar l er d eu x l an g u es?
— E n som m e, r ep r i t M " 1' d e Go n scn h ei m , n ég l i
gean t l ’agacem en t d e son h ô t esse, q u el l e i m p r essi o n
r ap p o r t ez - v o u s d ’ E sp ag n e, A g n ès?
L e r i r e d él i ci eu x v i b r a. L es y eu x n o i r s se f o n
d i r en t d e d o u ceu r :
— O h ! m er v ei l l eu se ! Je r ev i en s en r i ch i e d e so u
v en i r s d e j o i e, d e r êv es acco m p l i s, d e... en fi n j e n e
d o n n er ai s p as l es d eu x m o i s d e m on séj o u r p o u r
t o u s l es t r éso r s d e Go l co n d e !
— Et m oi j e l es d o n n er ai s p o u r p as c h er ! g r o m
m el a M “ * F él i c i c d ’u n a i r f u r i eu x .
�L ’I N F A N T
M "'"
A
d e Go n sen h ei m
L ’E S C A R B O U C L E
r eg ar d a
n
gr aci eu sem en t
d r o i t e et à gau ch e :
— V o y ez d o n c co m m e l es go û t s p eu v en t
à
êt r e
d i f f ér en t s!... V o u s, F él i c i e, av ec t o u t e v o t r e o r i g i
n al i t é, êt es au f o n d u n e casan i èr e. V o t r e m ai so n ,
v o s f l eu r s, v o s an i m au x ap p r i v o i sés v o u s su ff i sen t ...
O h ! j e l e r eco n n ai s, il y a u n b i en g r an d ch ar m e
d an s cet t e v i e si t r an q u i l l e, si u n i e...
— Je v o u s t r o u v e su p er b e ! i n t er c al a ai gr em en t
Ph i l i p p a. V o u s av ez t o u j o u r s ét é f o l l e d u m on d e,
L éo n i e.
— P u i s m ai n t en an t , r ep r i t l a b ar o n n e, i n sen si b l e
à l ’o b l i gean t e r em ar q u e, v o u s av ez t o u s ces gen t i l s
en f an t s p o u r v o u s r écr éer . V o u s av ez u n cœu r d ’o r ,
F él i c i e. I l n e v o u s su f f i sai t p oi n t d ’av o i r , en l a p er
son n e d ’A g n ès, l a p l u s ch ar m an t e d es fi l l es ad o p
t i v es, v o u s y av ez j o i n t scs p et i t es sœu r s et Ren é.
— U n cœu r d ’o r , m oi ? v o u s p l ai san t ez ! fit l a
V i ei l l e fi l l e av ec sa si m p l i ci t é ab so l u e. Je su i s m on
i n sp i r at i o n du m om en t , v o i l à t ou t .
« Q u an d j ’ ai vu m on f r èr e et sa fem m e m o u r i r
à h u i t j o u r s d ’i n t er v al l e, l ai ssan t t o u t e cet t e p au v r e
co u v ée ab an d o n n ée, u n e seu l e p en sée m ’est v en u e :
f a i r e d 'eu x m es en f an t s, co m m e j ’av ai s f ai t d ’ A g n ès
m a fi l l e à l a m o r t d e sa m èr e. — E l l e so u r i t . — A u
f o n d , c ’est u n ser v i c e q u ’ i l s m ’on t r en d u . Je ser ai s
d ev en u e u n e v ér i t ab l e m an i aq u e d an s m on M a s du
C a v a l i er , u n e v i ei l l e fi l l e sel o n l a f o r m u l e cl assi q u e.
J ’ai en h o r r eu r l e co n ven u et l e b an al ; en su i t e,
A g n ès ét ai t v r ai m en t t r o p gr an d e... L es en f an t s,
c ’est gen t i l q u an d c’ est p et i t !... A p r ès, il n ’y a p l u s
m o yen d ’en v en i r à bout !
—
O h ! p r o t est a l a b ar o n n e.
—
Si , M ad am e, c ’ est
r i an t . Je
t r ès v r a i , d i t
A g n ès en
su i s com m e t an t e F él i c i e, j e d ét est e l e
co n v en u , j ’ai u n cu l t e p o u r l a f an t ai si e, et , m on
D i eu ! q u el q u ef o i s m es i n v en t i o n s n e p l ai sen t p as
�L ’I N F A N T
A
L ’E v SC A R B O U C L E
t o u t es à m o n ex c el l en t e m ar r ai n e» , q u o i q u 'el l em êm e ai t ét é m on p r o f esseu r d ’o r i g i n al i t é. Je l a
d ép asse, p ar ai t - i l .
— A h ! cer t es o u i ! fit M " * d ’ E t r u c h at , l ev an t l es
y e u x v e r s l e p l af o n d . E l l e v i t u n e ar ai g n ée se
p r o m en an t su r l a co r n i ch e. C ec i n e ch o q u a p o i n t
sc s i n st i n ct s m én ager s, c ar i l s ét ai en t n u l s. E l l e
p en sa seu l em en t : « A r ai g n ée d u so i r , esp o i r . »
C et t e i d ée l a r assér én a.
E l l e p r o n o n ça, p h i l o so p h e, san s ex p l i q u er au t r e
m en t cet t e én i gm e :
— En f i n , q u e v o u l ez - v o u s, j e m e r ep o se su r l a
Pr o v i d en ce... p o u r t o u t . Q u an d on est d an s u n
g u êp i er , j e v eu x d i r e : d an s u n e si t u at i o n d i ff i ci l e,
i l f au t s’en r em et t r e à D i eu et d o r m i r su r scs d eu x
o r ei l l es.
L e s b on s v o i si n s n e co m p r i r en t p as g r an d ’eh o se à
ce d i sco u r s. I l s co n n ai ssai en t l e p eu d e f o r t u n e d es
E t r u c h at et j u g eai en t , co m m e F él i c i c , l e seco u r s
d u C i el i n d i sp en sab l e p o u r p er m et t r e l ’ét ab l i sse
m en t d ’u n e p ar ei l l e co h o r t e d e n i èefcs, car , o u t r e
M ad y et Jac q u el i n e, A g n ès av ai t en co r e îl eu x ca
d et t es, j u m el l es d e sei z e an s, co n f i ées a u x so i n s
d ’u n e p ar en t e d e l eu r m èr e.
Po u r m ar i er t o u t es ces f i l l es, f u ssen t - el l es j o l i es
et sp i r i t u el l es co m m e l ’aîn ée, l a m ai n d u Sei g n eu r
ét ai t bi en n écessai r e.
I l s d i r en t q u el q u es p h r ases v ag u es et si b y l l i n es
su r l es su r p r i ses d e l ’av en i r , l es m ar i ag es éc r i t s
d an s l e c i el , et , d ’u n co m m u n acco r d , p assèr en t à
u n au t r e su j et , l eq u el p o u v ai t bi en av o i r q u el q u es
r ap p o r t s av ec l e p r em i er .
M ’" ' d e Go n sen h ei m l ’am o r ça en p ar l an t t i cs r éu
n i o n s m o n d ai n es p r o j et ées à R o u r g - Sai n t - A u l e, l a
v i l l e v o i si n e. D ’u n a i r af f ab l e, el l e ém i t :
— V o u s al l ez san s d o u t e v o u s am u ser , m a p et i t e
A g n è s? O n p ar l e d e p l u si eu r s m at i n ées et d’ u n e
�L ’I N F A N T
A
13
L ’E S C A R B O U C L E
sér i e d e t h és d an san t s ch ez l es B o i r éat et l es A r n au d y . Si cel a v o u s en n u i e d e so r t i r , F él i c i e, j e
su i s t o u t e p r êt e à ch ap er o n n er v o t r e n i èce.
— M e r c i ! m er ci !... b o u go n n a M " ' d ’ Et r u c h at
san s en t h o u si asm e. N o u s v er r o n s ça.
— L e s j eu n es gen s so n t n o m b r eu x cet t e an n ée,
a j o u t a P au l i n . O n m ’a d i t ce m at i n q u e l e l i eu t e
n an t d e V al m o r d an e v i en t d ’a r r i v e r au ch ât eau .
— H u g u es d e V al m o r d an e, m on cam ar ad e d ’ au
t r e f o i s? fit A g n ès, t o u r n an t l a t êt e v er s M . Ro ch eb el l e. O h ! q u el l e c h an c e!... j e ser ai co n t en t e d e l e
r ev o i r , il ét ai t si gen t i l . Je n e l ’ ai p as r en co n t r é i ci
d ep u i s d es an n ées; l o r sq u ’i l r ev en ai t en v acan ces
d e Sai n t - C y r , m oi j ’ét ai s ch ez m es p ar en t s. F u i s il
a f ai t u n e cam p agn e, j e c r o i s?...
— O u i , en Sy r i e , i n t er cal a p r o m p t em en t M ’"” d e
Go n sen h ei m . 11 est en
m es co u si n s l ’a v u à
av ai t t ou s l es su ccès.
— C ’est 1111 b i en j o l i
l i p p a av ec l ’ a i r d e l e
p er m i ssi o n ch ez l u i . U n d e
B ey r o u t h l ’h i v er d er n i er , i l
g ar ç o n , r em ar q u a M " Ph i d ép l o r er .
— O u i , d i t A g n ès, p ar f ai t em en t c al m e; en f an t ,
d éj à, il ét ai t t r ès b eau , m ai s i l est t r o p bl on d et
p u i s t el l em en t f r o i d !
C e 11’cst p as v o t r e i d éal ? fit l a b ar o n n e. V o u s
p r éf ér ez l es b r u n s?
A g n ès r i t de t o u t es ses d en t s. Sa t an t e p ar u t au
su p p l i ce.
— En ef f et , d i t - el l e, j e p r éf èr e,.., j e d i r ai p l u s :
j ’ad o r e l es b r u n s.
I n t ér i eu r em en t , M '"* d e Go n sen h ei m
f u t d éçu e.
E l l e v en ai t j u st em en t d ’av o i r u n e i d ée lumineuse.
A g n ès d ’E t r u c h at ét ai t b i en j o l i e ; l e j eu n e co m t e
d e V al m o r d an e, ex t r êm em en t r i ch e, au r ai t f ai t u n
m ar i p ar f ai t p o u r el l e.
E l l e i n si st a, s’ef f o r çan t
p l ai san t er i e :
d e p r en d r e
un
ai r
de
�I , ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O I I C L E
— M . d e V al m o r d an e est
i l a l es y eu x n o i r s. C el a n e
D e n o u v eau , M 11' F él i c i e
p l af o n d en so n gean t : «
l ’o f f r e ! »
b l p n d , c’ est v r ai , m ai a
v o u s su ff i t p as?
d ’E t r u c h at r eg ar d a l e
M o n D i eu , j e v o u s
E l l e essay ai t d e r ep ér er l ’ar ai g n ée, m ai s cet i n
sect e av ai t
—
La
d i sp ar u . N er v eu se, el l e co u p a :
co m t esse
est - el l e
au ssi
i n st al l ée
au
ch ât eau ?
— O u i . E l l e a p r écéd é son fi l s d ’u n j o u r et at t en d
d em ai n , m ’ a- t - o n d i t , l e r est e de l a f am i l l e : M " d es
F a r g e s et B er n ar d .
—
Q u el l e
i d ée
on t -ils
de
s’ en co m b r er
d’un e
f em m e asso m m an t e co m m e G i sèl e et d e son o d i eu x
égo ïst e d e f i l s! s ’éc r i a M " ' d ’ Et r u c h at cr û m en t . A u
t r e f o i s l es d eu x co u si n s n e p o u v ai en t p as se so u f
f r i r . C ’est co m p r éh en si b l e, c e r t es; ce p et i t B er n ar d
a t o u j o u r s ét é ex écr ab l e,... l e t y p e d e l ’en f an t g ât é,
c ’est t ou t d i r e !
— U n e p est e !
co n cl u t
M.
Ro ch eb cl l c
av ec
én er gi e.
— L a co m t esse est t r ès b o n n e, r ep r i t M "“ d e
Go n sen h ei m c o n c i l i an t e; el l e d ési r e l ’ u n i on d an s
l a f am i l l e. C ’est p o u r q u o i el l e i n v i t e sa b el l esœu r .
D éci d ém cu i d e m éch an t e h u m eu r , M 11* F él i c i e
d écl ar a :
— Si son fi l s l a l ai sse f ai r e, il a b i en t o r t . G i sèl e
d es F ar g es a t o u j o u r s d ét est é son n ev eu ; el l e n e
p ar d o n n e p oi n t à cel u i - ci d ’av o i r ét é t el l em en t
av an t ag é p ar so n . g r an d - p èr e,... el l e- m êm e ay an t
m u l t i p l i é l es ef f o r t s p o u r essay er d e f ai r e d e B e r
n ar d l e f av o r i du v i e u x co m t e. V o i r H u g u es m aît r e
ab so l u d e V al m o r d an e est u n su p p l i ce p o u r cet t e
m èr e i d o l ât r e. C ’est d éj à assez d u r d e co n st at er l a
d i f f ér en ce p h y si q u e en t r e l es d eu x : B e r n a r d t o u t
p et i t , à cô t é d e cet h om m e su p er b e 1
�L ’I N F A N T
M * "'
de
A
I / E SC A R B O U C L E
Go n sen h ei m ,
l ’éco u t an t ,
se
dit,
15
co n
v ai n c u e :
— C er t ai n em en t F él i c i c r êv e d e f ai r e d e sa n i èce
l a co m t esse d e V al m o r d an e. C et t e p et i t e so t t e est
d an s l e c as d e 11’ en r i en v o i r .
E l l e al l ai t o u v r i r l a b o u ch e. M . Ro ch eb el l e
l ’ar r êt a en s’ écr i an t d an s u n r i r e à f ai r e t r em b l er
l es v i t r es :
—
E t B er n ar d , A g n ès? V o i l à u n j o l i b r u n ! C e
ser a en co r e u n d an seu r d e p l u s.
L a j eu n e f i l l e n e p ar u t p o i n t t r o u b l ée l e m o i n 3
d u m on d e. E l l e r ép o n d i t , j o y eu se t
— C ’est v r a i , n o u s al l o n s êt r e r éu n i s co m m e il y
a d i x an s. T an t m i e u x ! J ’ai en v i e d e m ’am u ser u n
p eu . Ju sq u ’à p r ésen t , t o u t es l es m ai so n s d e cam
p agn e d e n o s v o i si n s ét ai en t i n h ab i t ées. C ’ est t r i st e
d e v o i r t an t d e p o r t es cl o ses.
— U n e n o u v el l e v a s’o u v r i r , p r o n o n ça M * ’ P h i l i p p a d e cet accen t d e v e r j u s q u i l u i ét ai t p r o p r e.
L u T h u i l i c r c , v o u s sav ez ? cet t e an ci en n e m ai so n
d e r et r ai t e co n f i sq u ée au x P èr es Jésu i t es.
M " ' d ’ Et r u c h at , ét o n n ée, l a r eg ar d a :
—
O u i , j e sai s. Eh b i en ?
— Eh b i en ! m a ch èr e, ce d o m ai n e, ap r ès av o i r
ét é ach et é et d él ai ssé, v i en t d ’êt r e v en d u à d es gen s
f o r t r i ch es, qu i h ab i t en t L y o n l a m aj eu r e p ar t i e
d e l ’ an n ée. U s s’ap p el l en t ...
— T ast av o i n c , i n t er cal a Pau l i n .
M " * F él i c i c éc l at a d e r i r e :
— I l n ’y a p as d e so t s m ét i er s, m ai s v o ilà u n e
b i en so t t e ap p el l at i o n ... T a st av o i n c ! ... I l s n e l ’on t
j am ai s go û t ée eu x - m êm es, j ’esp èr e?
—
A h ! ah !... r i t Pau l i n av ec v i o l en ce.
— I l s v en d ai en t de l ’av o i n e, ces C r ést i s? i n t er r o
gea A g n ès.
— N o n . I l s o n t fai t f o r t u n e d an s... j e n e sai s q u oi
au j u st e. O 11 a p ar l é de b eau co u p de m i l l i o n s.
�L ’I N F A N T
i6
A
L ’E S C A R B O U C L E
— Si n g u l i èr e f aço n d e l es em p l o y er , fit m ad e
m o i sel l e d ’ Et r u c h at . A c h et er d u b i en d ’ E g l i se ! S ’ i l s
n ’on t p as l ’ i n t en t i o n d ’êt r e r eçu s, i l s n ’ au r o n t p oi n t
d e d écep t i o n en v o y an t t o u t es n o s d em eu r es f e r
m ées d ev an t l eu r s r i ch esses. D an s n o t r e p ay s on en
est en co r e au x v i eu x et b o n s p r i n ci p es.
M 1” ' d e G o n sen h ei m r o u gi t , se t o r t i l l a su r son
si èg e com m e m i e an g u i l l e d an s l a f r i t u r e.
— O h I cer t es,... j e p ar t ag e v o t r e op i n i o n . O n est
f er m e... en gén ér al ... m ai s q u el q u es- u n s, cep en d an t ,
ch er ch en t u n d i s t i n g u o .
— V o u s l ’av ez t r o u v e, L éo n i e? i n t er r o g ea l a
v i ei l l e f i l l e, m o q u eu se.
— M o i ? oh ! D i eu ! y p en sez - v o u s ? D es T ast av o i t i e ! C ’ est u n e h o r r eu r , m a ch èr e !
— C e n e ser ai t p as u n e h o r r eu r s’ i l s ét ai en t
h o n o r ab l es. M ai s s’ i l s co m p t en t m e v o i r à l a T h u i l i c r c i l s n ’au r o n t p as cet t e j o i e.
— Je su i s cio v o t r e a v i s! fit M m” Ro c h c b r l l c.
L éo n i e est en r ag ée d e n o u v el l es r el at i o n s. E l l e agi t
à sa gu i se,... cel a l a
r egar d e. M ai s Pau l i n
n ’i r a
PasM . Ro cb eb el l e j u r a q u ’ il n ’av ai t p oi n t en v i e d ’o r n c r l e sal o n d e M " " T ast av o i n e d e sa p er so n n e.
Ph i l i p p a t en ai t son ép o u x so u s un j o u g q u i av ai t
p eu t - êt r e co n t r i b u é à l u i d o n n er cet t e ex p r essi o n
d ’an go i sse i n d i ci b l e.
A
cet i n st an t , Ren é se p r éci p i t a d an s l e sal o n ,
b r an d i ssan t u n t él égr am m e :
— A g n ès ! u n e d ép êch e p o u r t oi . O n l ’a ap p o r t ée
d u v i l l ag e ap r ès l ’h eu r e p ar ce q u e, a di t l e gam i n du
b u r eau : « C ’ est p o u r l a j eu n e d em o i sel l e si gen
tille ! »
M 11* F él i c i e eu t u n e m i n e d e cr u ci f i ée. A gn ès
s’ en f u i t d an s l e V est i b u l e et r ev i n t u n e seco n d e
ap r ès. M al g r é scs ef f o r t s p o u r gar d er
u n v i sag e
i m p assi b l e, u n e j o i e i n t en se f l o t t ai t d an s son r egar d .
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
T7
— C e n ’est p u s u n e m au v ai se n o u v el l e? s’en q u i t
M " ,r d e Go n sen h ei m .
— O h ! d u t o u t . C ’ est ... c’ est u n e su r p r i se... d on t
j e n ’ai p as d e r ai so n d ’êt r e m éco n t en t e.
I l y eut u n i n st an t d e si l en ce t r ès l o u r d . L es
v i si t eu r s av ai en t l a p r esci en ce de q u el q u e ch o se
d ’ i n so l i t e.
— T an t m i eu x , fit l a b ar o n n e, b i en v ei l l an t e. U n e
p et i t e am i e d on t v o u s at t en d ez l a v i si t e, san s d o u t e?
L e s y eu x n o i r s b r i l l èr en t :
— O h ! u n e am i e... n on . M ai s j e su i s b i en con
t en t e t o u t de m êm e.
M " ’° d e Go n sen h ei m o u b l i a, d an s sa cu r i o si t é, l e
bu t d e sa v i si t e : sav o i r co m m en t M " " d ’ Et r u ch at
p r en d r ai t
l ’ad m i ssi o n
d es
T ast av o i n e
d an s
l eu r
cer cl e.
Q u e p o u v ai t b i en av o i r A g n ès, p o u r êt r e ai n si
d éb o r d an t e d ’ al l ég r esse? C ar , v i si b l em en t , l a j o i e
l a t r an sp o r t ai t .
L e s b on s v o i si n s ad m i r ai en t cet t e g aît é j u v én i l e,
— Q u el l e o r i g i n al e v o u s êt es, m a ch èr e en f an t ,
d i t M m' L éo n i e av ec b on t é. V r ai m en t , F él i c i e, v o u s
qu i av ez t o u j o u r s so u h ai t é êt r e l ’ esp r i t l e p l u s
p i q u an t d u si ècl e, êt es écl i p sée p ar v o t r e n i èc e!
— A h ! c’est b i en v r ai , fit r ageu sem en t l a t an t e,
l es y eu x f i xés su r l e p ap i er bl eu cach é au c r eu x d e
l a m ai n d ’ A g n ès. F.n f ai t d e f o l i es, j e n e su i s j am ai s
al l ée au ssi l o i n ,... m ai s, cr o y c z - l c , j e n e r eg r et t e
p as de l u i êt r e i n f ér i e u r e!
�.8
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
II
Su r l a r o u t e d éser t e, où l es om b r e« d es p eu p l i er s
s’ét en d ai en t , t r ès l o n gu es d an s l a l u m i èr e d u so l ei l
d écl i n an t , A g n ès d ’ Et r u c h at , en t o u r ée d e scs t r o i s
cad et s, m ar ch ai t de son al l u r e l ég èr e d e d an seu se.
M ad y r em ar q u a so u d ai n :
— C ’est d r ô l e, A g n è s; q u an d t u m ar ch es, t u as
l ’a i r d e v o u l o i r d an ser ,... q u an d t u r i s, d e ch an t er .
T u es...
— T r è s co n t en t e d e v i v r e ! t er m i n a gaîm en t l a
s a u r aîn ée. Po u r q u o i n e l e ser ai s- j e p as?
— C ’est p ar ce qu e n o u i al l o n s au c h ât eau ? i n
t er r o g ea n aïv em en t Jac q u el i n e. M o i , t u sai s, cel a
m e gên e u n p eu de v o i r l a co m t esse.
« E st - el l e i n t i m i d an t e com m e son fi l s ? H i er ,
l o r sq u e l e l i eu t en an t est v en u r en d r e v i si t e à t an t e
F él i c i e, — j u st e au m om en t où t u v en ai s d e p ar t i r
p o u r al l er p o r t er t es l et t r es à l a p o st e — j 'a v a i s
en v i e d e m e sau v er ... M ad y l e t r o u v e su p er b e d an s
son u n i f o r m e r o u ge.
— I l a d e si b eau x y eu x ! m u r m u r a M ad y d 'u n
t on sen t i m en t al .
— E n v o i l à u n e i d ée! s’ éc r i a A g n ès ét o n n ée.
H u g u es est l e g ar ç o n l e p l u s si m p l e de l a t e r r e ; il
n ’est p as i n t i m i d an t du t ou t .
Jac q u el i n e n 'i n si st a p o i n t . M ad y r ep r i t , su i v an t l e
fil d e s e s p en sées :
— A g n ès, p o u r q u o i t an t e F él i c i e a- t - el l e l ’ ai r u n
p eu f âch ée co n t r e t o i ?... et t oi , d i s,... p o u r q u o i es- t u
si co n t en t e? t u as l ’a i r d 'av o i r g ag n é l e g r o s l o t ...
ou d ’êt r e fi an cée.
,
�L ’I N F A N T
A
L ’E SC A R R O U C L E
10
D an s u n v i b r an t écl at d e r i r e, l a j eu n e f i l l e r é
pon d it :
—
Je n ’ai p as d e f i an cé, en co r e m o i n s d e b i l l et d e
l o t er i e. Je p o ssèd e seu l em en t , en f ai t d 'esp o i r d e
r i ch esse, u n gr an d - o n cl e au Pér o u , m ai s j ai p eu
d e ch an ces d e r éal i ser
son
h ér i t ag e. C ec i , j e l e
r eg r et t e, l es* * on ces d ’o r de l ’o n cl e Jo ac h i m
ar r an
ger ai en t b i en d es ch o ses...
... L e s p r o m en eu r s f r an c h i ssai en t l a g r i l l e d u
p ar c. A g n ès so u r i t gen t i m en t au co n ci er ge, u n
v i eu x ch ev r o n n é qu i s’em p r essai t d e t él ép h o n er au
ch ât eau p o u r l ’an n o n cer .
U n v al et d e p i ed i n t r o d u i si t M " ” d ’ Et r u ch at .
A g n ès se p o u d r a d ev an t u n d es p an n eau x d e g l ac e
et se t r o u v a f o r t à son gr é. Sa r o b e b l an ch e l u i
al l ai t b i en
et l e p et i t
ch ap eau c er i se f ai t
d e scs
m ai n s av ai t u n ch i c i n d én i ab l e.
M "'" de V al m o r d an e, ét en d u e su r u n * ch ai se
l o n gu e d an s son p et i t sal o n , t r i c o t ai t p o u r l es
p au v r es, en éco u t an t l a l ect u r e f ai t e p ar sa d am e
d e co m p agn i e. En v o y an t l a p o r t i èr e se so u l ev er ,
el l e se r ed r essa v i v em en t , l es m ai n s t en d u es v er s
A g n ès.
—
M a ch èr e p et i t e, d i t - el l e av ec u n so u r i r e ab so
l u m en t ex q u i s, q u el p l ai si r j ’ ai à v o u s v o i r en fi n !
« Po u r q u o i n ’ êt es- v o u s p as v en u e p l u s t ô t ?...
v o u s n ’o si ez pj*s, m ’a d i t v o t r e t an t e.
D an s u n e r év ér en ce â l a f o i s p r est e et r esp ec
t u eu se, A g n ès d ’ E t r u c h at r ép o n d i t gaîm en t :
C est t r ès v r ai , M ad am e, j e n ’o sai s p as.
M '” d e V al m o r d an e 1 em b r assa et so u r i t , am u sée.
El l e r et r o u v ai t 1 en f an t d e j ad i s, sp o n t an ée, f r an c h e
av ec g aît é, m ai s d ev en u e b i en j o l i e, p ar ex em p l e.
L a p et i t e m o r i cau d e m al h ab i l l ée, él ev ée
la
d i ab l e p ar l ’o r i g i n al e F él i c i c , s’ét ai t t r an sf o r m ée. I l
eu t ét é d i ff i ci l e d e r eco n n aît r e l e sau v ageo n au x
m ai n s ég r at i g n ées, d an s cet t e éb l o u i ssan t e c r éat u r e.
�I . ’I N F A N T
A
L ’E S C A R I i O U C L E
A g n es cau sai t gaîm en t , av ec cet t e t o u r n u r e d ’ es
p r i t p i q u an t e, i n i m i t ab l e, qu i ét ai t u n e d e ses
séd u ct i o n s. M rac d e V al m o r d an e l ’éco u t ai t , d i v er t i e
p ar cct t c f a n t a i si e ; cl i c cr o y ai t êt r e r ev en u e à d i x
an s en ar r i èr e, q u an d A g n ès l ’ég ay ai t p ar scs i n
v en t i o n s b ar o q u es d ’en f an t l i v r ée à el l e- m êm e et à
son i m agi n at i o n .
L a d am e d e co m p agn i e v en ai t d e so r t i r , em m e
n an t l es t r o i s p et i t s d ’E t r u c h at au j ar d i n . D an s un
m o m en t où l ’en t r et i en b r u sq u em en t t o m b ai t , com m e
i l ar r i v e en t r e p er so n n es sép ar ées d ep u i s l o n gt em p s,
l a p o r t e s’o u v r i t so u s l a m ai n d ’u n j o l i gar ç o n ,
b r u n , d e t ai l l e au - d esso u s d e l a m o yen n e.
Il
f ai sai t u n p eu so m b r e d an s l a p i èce, c ar l a
m aît r esse d u l o g i s r ed o u t ai t l a l u m i èr e t r o p v i v e
p o u r sa v u e f at i g u ée.
L e n o u v eau v en u d i st i n gu a v agu em en t u n e si l
h o u et t e f ém i n i n e au p r ès d e l à ch ai se l o n gu e. I l m u r
m u r a : « O h ! p ar d o n ...» et fit m i n e d e se r et i r er .
— B e r n a r d ! v en ez d o n c ! d i t M '" ' d e V al m o r d an e,
am i cal e. N o u s al l o n s v o i r si v o u s av e/ l e so u v en i r
f i d èl e.
A i n si accu ei l l i , l e j eu n e h om m e av an ç a d e
q u el q u es p as, f i xan t u n r eg ar d i n q u i si t eu r su r l ’i n
co n n u e.
M " * d ’ E t r u c h at r el ev a u n p eu l a t êt e, scs p r u
n el l es so m b r es, m o q u eu ses, l u i sai en t .
A g n è s! s’éc r i a B er n ar d d es F ar g c s.
— V o u s m ’av ez r eco n n u e? d i t l a j eu n e fi l l e av ec
r eg r et . Je n ’ai d on c p as t el l em en t ch an ge... J ’ét ai s
si l ai d e a u t r e f o i s!
( — O h ! M " " d e C o n sei i h ci m m ’av ai t ap p r i s
co m m e v o u s ét i ez j o l i e à p r ésen t . — I l s'i n cl i n a,
so u d ai n ai m ab l e. — C el a n e v o u s c o n t r ar i e p as de
jn e l 'en t en d r e d i r e?
A g n ès n e se d ém o n t ai t j am a i s :
— O ù av ea- v o u s vu u n e fem m e f âch ée îl e r ece
�T .’ I N F A N T
A
L ’E S C A R H O U C L E
21
v o i r u n co m p l i m en t ? L e v ô t r e est u n p eu b r u t al ,
m ai s j e l e p r en d s t o u t d e m êm e. V o u s n e p o u v ez
r i en f a i r e d e m i eu x , san s d o u t e.
L e j eu n e h om m e s'assi t et ch er ch a q u el q u e ch o se
d ’ex t r êm em en t sp i r i t u el à r ép o n d r e. A g n ès l e r e
g ar d ai t en so n gean t :
« T ô u j o u r s p ar ei l : j o l i , i n f at u é d e l u i - m êm e,
r ag eu r , cer t ai n em en t m éch an t ... et p u i s, i l est t o u t
à f ai t t r o p p et i t ! »
L a co m t esse, r ep r en an t
l ’ en t r et i en
i n t er r o m p u ,
q u est i o n n a l a j eu n e fi l l e su r son r écen t séj o u r en
E sp ag n e et l a cau se d e ce v o y ag e. A g n ès ét ai t al l ée
av ec sa t an t e p asser d eu x m o i s ch ez u n e v i ei l l e
am i e d e sa m èr e, B asq u ai se d ’o r i g i n e, co m m e l a
p r em i èr e M m" d ’Et r u c h at .
— Q u ’av ez - v o u s f ai t d e b eau en E st r em ad u r a?
i n t er r o g ea B er n ar d , l assé d e son r ô l e m u et .
D u t ac au t ac, A g n ès r ép l i q u a :
— P as m al d e ch o ses... Je n e sai s si el l es
so n t t o u t es b el l es, m ai s l es v o y ag es, c ’est com m e
l es m al h eu r s ou l es b o n h eu r s, on n e l es r aco n t e
p as.
— P o u r q u o i ? fit B er n ar d éb ah i .
— P ar c e q u e l es r éci t s d e cat ast r o p h es en n u i en t
l es au t r es, et l e b o n h eu r , — el l e d ev i n t so u d ai n
sér i eu se
l e v r ai .... c ’est q u el q u e ch o se d e si d o u x ,
de si gr an d ... c ’ est u n secr et .
L e m ot t om b a d e cet t e b o u ch e r o u ge, u n peu
en f an t i n e, av ec u n e so r t e d e f er v eu r .
E n f ai t t ic so u v en i r s d 'E sp ag n e, v o u s en r ap
p o r t ez u n , d e ces sec r et s? d em an d a l e j eu n e h om m e
d ’un t on l éger .
A g n ès l e r eg ar d a d u n e f aço n
m al i ci eu se :
i n d éf i n i ssab l e et
— Si j ’en av ai s u n , il ser ai t à m o i seu l e!... J ’ai
r ap p o r t é u n e f o u l e d e ch o ses : m on c h â l e ,__ad m i
r ez - l e — d u ch o co l at — j e l 'ai m an gé —- t r o i s
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
év en t ai l s, d eu x m an t i l l es et l e p o r t r ai t d ’ un i n f an ?
i n co n n u !
— V o u s êt es am u san t e, A g n ès, d i t M " 1' d e V a l m o r d an e, ég ay ée. A v ec v o u s, c’ est t o u j o u r s l ’i m
p r év u .
— M ai s v r ai m en t , M ad am e, j e p o ssèd e t in p o r
t r ai t d ’i n f an t . O n l ’at t r i b u e à V él asq u ez ... Je n e
sai s s’il est au t h en t i q u e.
— I l d oi t av o i r u n e én o r m e v al eu r ! s’éc r i a B e r
n ar d , d r essan t l ’o r ei l l e.
• — P c u t - c l r e. C eci m ’est i n d i f f ér en t . J ’ai m e ce
t ab l eau p o u r l e v i sag e q u ’il r ep r ésen t e et p o u r l es
so u v en i r s su r l u i at t ach és. M a v i ei l l e am i e d on a
I sab el D i az m e l ’a d o n n é afi n d e m ’em p êch er d ’o u
b l i er l es j o u r s p assés ch ez el l e. Je n ’au r ai s eu
g ar d e, cr o y ez - l e, d e m an q u er d e m ém o i r e, m ai s
j 'é t a i s r av i e d ’em p o r t er l ’i n f an t .
A v ec un p ar d eu r d e fi l l et t e d écr i v an t sa p ou p ée
n eu v e,, el l e co n t i n u a :
— I l est t el l em en t b eau , si v o u s sav i ez ! b r u n , l es
y eu x so m b r es, p as t ou t à f ai t n o i r s, si fi er s et si
d o u x ,... et u n e al l u r e !... I l est v êt u d ’un p o u r p o i n t
( i r v el o u r s à col d e d en t el l e. A son f o u r r eau d ’ép ée
c r i n cr u st ée u n e én o r m e p i er r e r o u ge. O n l e d ési
gn ai t so u s l e t i t r e : L 'I n f a n t à l ’esc a r b o u cl c. M o i j e
l 'ap p el l e l ’i n f an t d on ...
— Po si t i v em en t v o u s en êt es am o u r eu se ! i n t er
cal a M " " d e V al m o r d an e, i n d u l gen t e, en car essan t
l a j o u e am b r ée d e l ’en t h o u si ast e j eu n e p er so n n e.
— M ai s o u i , M ad am e! j ’en su i s ép r i se p assi o n n é
m en t . Je l u i d i s l es ch o ses l es p l u s j o l i es et l es p l u s
f o l l es d u m on d e...
— Q u an d v o u s v o u s m ar i er ez ce ser a un o b st acl e,
co n t i n u a l a co m t esse d u m êm e t on .
A g n ès se m i t à r i r e :
—
O h ! n on , m on m ar i n e p o u r r a p as en êt r e
j al o u x I
�r .’I N F A N T
—
A
L ’ E SC A R B O U C L E
E u ef f et , r eco n n u t B er n ar d , i l f au d r ai t t o m b er
su r u n t i g r e p eu o r d i n ai r e, p o u r p r en d r e o m b r age
d ’u n p o r t r ai t .
Su r ce d er n i er m ot on ap p o r t a l e p l at eau d u t b é
et , p r esq u e au ssi t ô t , l e m aît r e de m ai so n en t r a.
Il ét ai t en co st u m e d e ch asse. Sa h au t e t ai l l e
m i n ce éc r asai t B er n ar d et l a j o l i e f i gu r e d e
cel u i - ci p assai t au seco n d p l an d ev an t l e v i sag e
r ég u l i er co m m e cel u i d 'u n e st at u e gr ecq u e d e son
c o us in.
I l d em eu r a u n e seco n d e i m m o b i l e, f asc i n é p ar
l ’éb l o u i ssan t e A g n ès. C el l e- ci d i t g aîm en t , l a m ai n
t en d u e, p r esq u e f r at er n el l e :
— B o n so i r , H u gu es. Je su i s t r ès co n t en t e d e
v o u s r ev o i r .
— Je v o u s p r ésen t e m es h o m m ages, A g n ès, p r o
n o n ça l e l i eu t en an t , r ep r en an t su r - l e- ch am p son
san g - f r o i d .
I l so n geai t :
« E l l e est d ev en u e d i ab l em en t b el l e! Q u el s y eu x
d e fl am m e ! E l l e a q u el q u e ch o se d ’en so r cel an t . »
Sa m èr e l ’ar r ac h a à ses p en sées en d i san t av ec
u n so u r i r e t en d r e :
— N o u s al l i o n s g o û t er san s v o u s !
— Je v o u s d em an d e m i l l e p ar d o n s, m am an , et à
v o u s, A g n è s; j ’ai r en co n t r é d an s l e p ar c un Pet i t
Po u cet en b l o u se b l an ch e qu i m ’a d em an d é d e l u i
ap p r en d r e £ t i r er .
— C ’est R en é! fit A g n ès, j o u an t l a co n f u si o n .
E x c u sez - l e, H u g u es, j e v o u s en p r i e, il est si m al
él ev é !
— M ai s n on . 11 m ’a p ar u su r t o u t t r ès d r ô l e l o r s
q u 'i l m ’a d i t av ec l e p l u s g r an d sér i eu x : « F ai t esm oi t u er u n t r ès g r o s o i seau , m ai s b o u ch ez- m o i l es
o r ei l l es av an t . J ’ai p eu r d u b r u i t ! »
I l v i n t s’asseo i r su r
l o n gu e en d écl ar an t :
l e t ab o u r et
d e l a ch ai se
�24
L ’I N F A W T
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L ’E SC A R B O U C T . E
— J ’ad o r e l es en f an t s. C ’est ex q u i s, ces p et i t s
êt r es p as en co r e d éf o r m és p ar l a v i e.
— M o i , l es go sses, j e t r o u v e cel a r asan t , d i t B e r
n ar d en ad m i r an t ses o n gl es.
A g n ès r em ar q u a i n n o cem m en t , s’ad r essan t au x
d eu x co u si n s :
— V o u s av ez t o u j o u r s ét é t r ès d i ssem b l ab l es.
— En ef f et , d i t H u g u es, t r ès sec.
I l s p ar l èr en t d ’au t r es ch o ses. A g n ès i n si st a p o u r
se f ai r e n ar r er p ar l e co m t e l es f êt es au x q u el l es
i l av ai t assi st é à B ey r o u t h l ’h i v er p r écéd en t et
t r ou va
son
so r t
t r ès en v i ab l e.
Elle
r af f o l ai t
du
m o n d e et l e d i sai t v o l o n t i er s. H u g u es d e V al m o r d an e j u g ea i n u t i l e d e l u i ap p r en d r e q u e l a v i e d ’u n
o f f i ci er de sp ah i s n e s’éco u l e p as t ou t en t i èr e en
p ar t i es d e p l a i si r ; l es d ev o i r s av ai en t l 'a i r d e
l ai sser A g n ès d e gl ace.
E l l e s’ i n f o r m a d e l a n o u v el l e gar n i so n d u l i eu
t en an t , ap p r i t av ec un v i f p l ai si r q u ’i l ét ai t af f ect é
au x sp ah i s de V i en n e.
— J ’en su i s h eu r eu se, d i t l a co m t esse. C e n ’est
p as t r o p l o i n d e V al m o r d an e et l e col o n el est
j u st em en t n o t r e co u si n du Ch an d o l .
— L e p èr e d ’ I l se ? i n t er r o gea A g n ès en cu ei l l an t ,
d u bou t d es d o i gt s, u n e t ar t el et t e d an s l e p l at d e
Jap o n bl eu .
— O u i . di t H u g u es b r i èv em en t .
— C ’ est u n e v ei n e p o u r v o u s! r ep r i t son am i e
d ’en f an ce. C e ser a t r ès agr éab l e.
— O u i , d i t - i l en co r e d u m êm e t on b r ef .
Cet t e f o i s, u n e co n t r act i o n i m p er cep t i b l e r ap p r o
ch a l es so u r ci l s d o r és.
A g n ès, l ’o b ser v an t , eut cet t e r éf l ex i o n m en t al e :
« M . d u C h an d o l p o u v ai t êt r e ch ar m an t en t an t
q u e p ar en t et d ét est ab l e com m e c h ef d e co r p s. San s
d o u t e, l e sach an t , H u g u es n e v o u l ai t
p as l ai sser
so u p ço n n er cet t e en n u y eu se v ér i t é à sa m èr e. C ’est
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25
p ou r qu oi il av ai t p r i s so u d ai n cct t e f i gu r e gl acée. »
, L o r sq u e l a j eu n e f i l l e se l ev a p o u r p r en d r e co n gé,
l i er n ar d se p r éci p i t a afi n de l u i o f f r i r son esco r t e.
H u gu es l e l ai ssa ach ev er sa p h r ase, en su i t e i l
ar t i cu l a, d ’u n g r an d a i r de co u r t o i si e :
j — M am an , v o u l ez - v o u s a v er t i r A g n ès q u e l e
ch au f f eu r at t en d ses o r d r es? L ’au t o m o b i l e est à sa
d i sp o si t i o n .
I B er n ar d , écu m an t d e r ag e, d u t céd er à son co u
si n l e d r o i t de m et t r e l es j eu n es fi l l es en v o i t u r e.
F u r i eu x , i l ch er ch a co m m en t se v en g er d e cet t e
f aço n d ’ ét al er l a p r ép o n d ér an ce d u r an g.
A u bou t d e q u el q u es m i n u t es, i l cr u t l ’av o i r
t r o u v é et d i t , p er fi d e :
!
— A g n ès est ab so l u m en t d él i ci eu se. E l l e a t el
l em en t
em b el l i !
et
puis
b eau co u p
d ’ esp r i t
av ec
c e l a ! E l l e s’est m o n t r ée ch ar m an t e p o u r m o i , t an
t ô t ,... et m oi , v r ai m en t ... j e m e sen s p r i s.
H u g u es n e b r o n ch a p oi n t . B er n ar d i n si st a :
— E l l e m ’a ex p l i q u é ses go û t s et ses i d ées av ec
u n e v er v e ! E l l e p en ch e v er s l es b r u n s au x y eu x
■m or dorés. F i g u r e- t o i — c’ est u n e co ïn ci d en ce, —
el l e r af f o l e d ’ u n p o r t r ai t qu i est j u st e m on t yp e.
— 1 an t m i eu x p o u r t oi ! d i t f r o i d em en t M . d e
( V al m o r d an c.
.
Il
s’él o i gn a. B er n ar d r eg ar d a d i sp ar aît r e l a h au t e
si l h o u et t e él égan t e en t r e l es ar b r es et , r ag eu r , m u r
m ura :
— V o i l à, m on v i eu x ! C ’est p o u r t a l i m o u si n e !
�L ’I N F A N T
{6
A
L ’E S C A R B O Ü C L E
i
III
— A h ! v o u s m ’ av ez f ar t p eu r !
C et t e p h r ase, su i v i e d u { ¡est e b r u sq u e d ’en f o n cer ,
n n e l et t r e d an s so n co r sag e, j a i l l i t d es l èv r es I
d ’A g n ès en v o y an t su r g i r d ev an t el l e, u n so i r ap r ès 1
d i t i cr , H u g u es d e V al m o r d an e et son co u si n .
M lle c o r r i g ea sa r em ar q u e p ar u n so u r i r e am i c al '
et co n t i n u a, m agn an i m e :
'
— C el a n e f ai t r i en . B o n so i r , t o u s l es d eu x . 1 '
A ssey ez - v o u s et n ’écr asez p u l es co u ssi n s d e M ad y . '
I l s so n t a f f r e u x p o u r m on go û t , ces P i er r o t s et
ces P i er r et t es, m ai s l ’au t eu r d e ces ab o m i n at i o n s i !
n e v o u s p ar d o n n er ai t p as d e l es en d o m m ager .
M . d e V al m o r d an e fit l e g est e d e l u i av an c er u n
f au t eu i l ; l a j eu n e fi l l e co n t i n u a :
*
— M o i , j e p r éf èr e l e m u r d u p o t ager ... j ’ai m e '
b eau co u p l es m u r s ou l es t r o n cs d ’ a r b r e s; l es f au
t eu i l s, c ’ est t r o p < v i ei l l e d am e» . M ai s v o u s, n at u - 1
Tel l em en t , il v o u s f au t t o u s l es l u x es d e l a c î v i l i - j
sat i on !
H u g u es se m i t
r i r e. I l t r o u v ai t d él i c i eu x cet '
accu ei l d ési n v o l t e, cet t e p et i t e m ai so n t o u t e si m p l e, ;
cet t e i n t i m i t é f am i l i al e. C el a f ai sai t u n t el co u - /
t r ast e av ec l a f r o i d eu r cér ém o n i eu se de V ai m o r d an e, l ’ét i q u et t e i n f l ex i b l e à l aq u el l e il av ai t t o u - 1
j o u r s ét é p l i é.
— N e m ’en v eu i l l ez p as, «lit -il " ai m en t , si j e m e]
m o n t r e so u s un j o u r au ssi tur ab l c. P r : ’ n u ées j .
de séj o u r en Sy r i e m ’on t f ai t ap p r éc i er l e c o n f o r t .] .
—
O u i , d i t A g n ès av ec u n r egar d 1 i en v ci l l ;.:r t ,
un pou p r o t ect eu r , v o u s n 'êt es p as du t ou t o r i g i - j
n al ...
Co m m e
n ou s
so m m es
d i f f ér en t s!
N ous
�I/IN FAN T
A
L ’E S C A R B O U C L E
27
n ’ av o n s p as ét é él ev és d e m êm e, i l est v r ai .
— O h ! n on , p as d u t ou t . J ’ai en t en d u t o u t e m a
v i e l e m ot : « d i sci p l i n e » et v o u s « f an t ai si e ».
L ’él èv e de M " * F él i c i e n o u a l es m ai n s d er r i èr e
sa n u qu e et sc m i t à se b al an cer d ’ av an t en ar r i èr e
av ec u n m ép r i s ab so l u d es l o i s d e l ’éq u i l i b r e.
— Je p r éf èr e l e m i en , d i t - el l e.
— Po u r v o u s c ’ét ai t ch ar m an t , en ef f et , m ai s
i p o u r un h om m e, su i v r e t o u s ses c ap r i c es, où cel a
I p eu t - i l l e m en er ?
— Je n ’ en sai s r i e n ! S ’ il f al l ai t r éf l éc h i r à t an t
| : d e ch o ses !... O h ! B er n ar d , v o u s ser i ez gen t i l d ’ al l er
d i r e à Ren é de n e p l u s m an ger d e f i gu es. Je T 'ap er
ço i s l à- b as... v o y ez - v o u s, co n t r e l a ci t er n e? I l est
i d an s l 'ar b r e... C ’ est u n t el d éso b éi ssan t !
A v ec u n e co m p l ai san ce i n u si t ée, B er n ar d s’él o i I I gn a p o u r sat i sf a i r e ce d ési r . A g n ès l e su i v i t d es y eu x
u n m om en t et , r ev en an t à l a co n v er sat i o n , r ep r i t :
,
— L es en f an t s d o i v en t êt r e h eu r eu x , au ssi j e
f a i s t o u t l e p o ssi b l e p o u r l ai sser à m es p et i t es
; sœu r s et à m on f r èr e u n e i m p r essi o n ag r éab l e de
\ ! l eu r j eu n e t em p s !
.j
E l l e r i ai t d e t o u t es scs d en t s l u i san t es. H u g u es
d em eu r a sér i eu x :
O u i , l es en f an t s n e d ev r ai en t p as so u f f r i r .
C ’est .u n e an o m al i e. Cep en d an t il est d i f f i ci l e
; d ’ap p r en d r e à d ev en i r u n c ar ac t èr e si t o u s l es ch a[ | g r i n s v o u s son t ép ar gn és.
11
1
— O h ! fit A g n ès l égèr em en t . L es d ésesp o i r s de
gam i n , q u ’est - cc qu e c el a?
j
— C ’ est t r ès gr an d , d i t l e j eu n e h om m e.
;t
I I n e !a r eg ar d ai t
p l u s, secr èt em en t b l essé p ar
c e tte i n so u ci an ce. L ’ csp èce d ’éb l o u i ssem en t cau sé
'
l i e p r em i er j o u r p ar l a b eau t é de sa p et i t e am i e
d ’ an t an s’ at t én u ai t .
fI
#
Je v o u s ai f ai t de l u p ei n e? i n t er r o g ea v i v em en t A g n ès
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
— Po u r q u o i d o n c? r ép o n d i t l e co m t e de so n a i r
-le f r o i d eu r i n d i f f ér en t e. I l est bi en p er m i s, j e su p
p o se, d e n ’êt r e p oi n t d u m êm e av i s su r u n su j et
au ssi g r av e... et p ar f ai t em en t en n u y eu x p o u r v o u s.
— I l so u r i t . — Je v o u s d em an d e p ar d o n , A g n ès. I l
est t r ès i m p ol i de co n t r ed i r e u n e f em m e.
— Je sai s, d i t - el l e d an s u n j o l i r i r e. V o t r e g r an d - l
p èr e,
en
bon
M ér i d i o n al ,
co u r t o i s et
m ëp r i sn n t ,!
v o u s ap p r en ai t ceci ; « O n n e d i scu t e p as av ec u n e!
f em m e, d ’ab o r d ce n ’est p as p o l i , en su i t e cel a n e
v au t p as l a p ei n e. »
« I l ét ai t t o u t d e m êm e ch ar m an t , M . de V a l m o r d an e. T o u r m o i , il r ep r ésen t ai t l ’ aïeu l i d éal .
— O h ! i d éal !... V o u s l ’ap er cev i ez d e l o i n . M o i i
j e l e v o y ai s d e t o u t p r ès. I l m ’a f al l u b i en l o n g
t em p s p o u r co m p r en d r e q u el l e sag esse se cach ai t
so u s sa r i g u eu r .
— A l i ! o u i , j ’o u b l i ai s, d i t - el l e, gen t i m en t
l eu se. V o u s ét i ez u n en f an t m a r t y r !
r ai l - ,
I l r i t au ssi :
— E t i ez - v o u s assez b o n n e p o u r m e p l ai n d r e?
A g n ès r éf l éch i t u n e seco n d e, p u i s r ép o n d i t av ec
u n e f r an c h i se ab so l u e :
— N o n . Je t r o u v ai s v o t r e so r t p l u t ô t en v i ab l e.
V o u s av i ez u n ch ev al à v o u s, u n can o t , u n t as
d e j o l i es b ab i o l es d ev an t l esq u el l es j e d em eu r ai s
t n ex t ase. L e s f em m es, gén ér al em en t , ai m en t co n
so l e r ; m o i , p as d u t ou t .
— V o u s p r éf ér ez êt r e t er r i f i ée? d i t - i l d u m êm e
t on l éger . C e son t l es d eu x r êv es f ém i n i n s, d i t - o n ,
— P a r ex em p l e n o n ! s’éc r i a M ' " d 'Et r u ch at ,»
f r o n çan t ses n o i r s so u r ci l s. Je n e su i s p as d u t out
v i eu x j e u ! ... l a so u m i ssi o n et m o i !... v o u s sav ez , il
f au t s’ad r esser ai l l eu r s.
« E l l e n ’ a p as d e cœu r », d éci d a m en t al em en t
H u g u es.
- Je n e v eu x p as p l ai n d r e, r ep r i t A g n ès, p ar ce
�L ’I N F A N T
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I / E SC A R B O U C L E
29
q u e j e p r éf èr e sav o i r m es am i s h eu r eu x . C e d o i t
êt r e a f f r e u x d e so u f f r i r ; j e n e v o u d r ai s p as v o i r
cel a. Su i s- j e t r ès ég o ïst e?
I l r ép o n d i t , sér i eu x :
— Je 11c l e cr o i s p as. T r o p f an t ai si st e seu l em en t ,
et san s d o u t e n ’av ez - v o u s j am ai s eu l ’o ccasi o n de
v o u s d év o u er p o u r d es êt r es ai m és.
— V o u s v o u s t r o m p ez ! d i t - el l e en r ep o u ssan t scs
ch ev eu x f r i sés d ’ un gest e p u ér i l . J ’ ai p r i s u n e d é
ci si o n ... oh ! cel a m ’a co û t é b eau co u p ... Seu l em en t
j e n e p en sai s p as q u e c’ét ai t u n sacr i f i ce. Je n ’ em
p l o i e p as d ’au ssi g r an d s m o t s.
11 l a r eg ar d a, su r p r i s. E l l e ach ev a t r ès v i t e :
— O h ! j e d o i s l e d i r e, à ce m o m en t - l à j e n e
sav ai s p as... t r ès ex act em en t , l a... d i ff i cu l t é d e cet t e
çh o sc. N e m e p r en ez p as p o u r u n an ge. Je cr o i s
av o i r
f ai t
u n e act i o n
u t i l e et , si
cel a
r en d
l es
au t r es h ey r eu x et m oi h eu r eu se u n j o u r , t an t
m i eu x . M ai s j e n ’ai p as d u t o u t en v i e d ’acco m p l i r
j a m a i s d es act i o n s d ’écl at . Je su i s m on i n sp i r at i o n
d u m o m en t , co m m e t an t e Eél i ei e, et p u i s ap r ès... !
U n g est e r e j et a l es co n séq u en ces d an s l e v ag u e.
A ce m om en t B er n ar d r ev i n t v er s eu x , ay an t
ar r ac h é Ren é au x d él i ces du f i gu i er .
— J i n t er r o m p s u n f l i r t ? d i t - i l l ’acccn t p i n cé.
— O h ! p as du t ou t , r ep ar t i t A g n ès av ec u n p et i t
r i r e. H u g u es 11c se so u ci e p as assez d e m oi p o u r
cel a... C el a v au t m i eu x , d u r est e. J ’ai d éj à d on n é
m on cœu r .
•— A
q u i ? i n t er r o gea B er n ar d p r o m p t em en t .
— M ai s j e v o u s l ’ai d i t ! A v ez - v o u s o u b l i é l ’ i n
f an t à l ’c sc ar b o u cl c?
— U 11 p o r t r a it ! fit le p e t it de s I'a r g e s , a g a c é
p a r la p la is a n t e r ie .
— Po u r q u o i p as? C ’est t r ès o r i g i n al . J ’ai su i v i
l es l eço n s d e t an t e F é l i n e ; el l e a p r i s assez d e
p ei n e p o u r m e d o n n er 1 esp r i t l e p l u s p i q u an t d e
�T /IN FAN T
A
L ’E S C A R R O I T C L E
n o t r e p au v r e si ècl e si b êt e. Je n e su i s p as « en
sér i e », m oi ! O u i , j e su i s f o l l e d ’u n e i m age, m on
ch er , ap p r en ez - l e!
— Si l e p o r t r ai t n ’ ex i st ai t p as, r em ar q u a H u g u es,
co ser ai t en co r e b eau co u p p l u s o r i g i n al .
So n co u si n f u t sai si p ar cet t e r éf l ex i o n :
—
C ’est v r a i , c e l a !
V o u s n ou s av ez co l l é u n e
b l agu e f o r m i d ab l e !
—
B er n ar d , qu el l an g ag e est l e v ô t r e? fi t
M " ° d ’ Et r u ch at , so l en n el l e. V o u s m et t ez en d ou t e
l ’ ex i st en ce d». m on i n f an t ?... A t t en d ez - m o i , j e v ai s
l e ch er ch er .
E l l e s’en f u i t d ’u n t r ai t
d an s l a m ai so n . R est és
seu l s, l es d eu x h om m es se
— A g n ès est am u san t e,
— E l l e est co m p l èt em en t
n ar d , au q u el ces j e u x n e
t an t e av ai t d es i n v en t i o n s
r egar d èr en t .
d i t H u g u es.
p i q u ée ! gr o m m el a B e r
co n v en ai en t p oi n t . Sa
su ff i sam m en t b ar o q u es,
m ai s A g n ès l ’en f o n ce.
Réel l em en t , à cet t e m i n u t e, il
n ’av ai t
p r esq u e
p l u s en v i e d ’em p êch er H u g u es d e s’o ccu p er d e l eu r
am i e en aff i ch an t u n e p assi o n su b i t e p o u r el l e. 11
av ai t , p ar co n t r e, b i en en v i e d ’ am o r cer l a q u est i o n
d ’un p et i t em p r u n t d e t r o i s m i l l e f r an c s p o u r ach e
t er u n e m o t o cy cl et t e. M ai s, co m m e il ét ai t d i f f i ci l e
d ’en t am er ce ch ap i t r e d ev an t l es t o m at es et l es m e
l o n s de M " ' F él i c i c , i l r em i t sa co m m u n i cat i o n à
u n e d at e u l t ér i eu r e. D u r est e, A g n ès r ev en ai t .
— T en ez ! d i t - el l e, l a v o i x t r i o m p h an t e, en el ev an t A b ou t de b r as u n e t o i l e assez p et i t e d an s u n
cad r e an ci en . N ’ est - i l p as l e p l u s b eau d u m on d e,
m on ch er et b i en - ai m é ép o u x ...
— F u t u r ! t er m i n a B er n ar d , essay an t de r i r e.
M ai s j e n e v o i s r i en .
Il
f ai t p r esq u e n u i t . V o u s
au r i ez d û ap p o r t er u n e b o u g i e!
A g n ès r i t à se p âm er . L e m ot n ’av ai t cep en d an t
r i en d e b i en sp i r i t u el .
i
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A
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31
F a u t e de m ei l l eu r l u m i n ai r e, H u g u es p r om en r .
l a f l am m e d e son b r i q u et d ev an t l a t o i l e.
O n v i t u n e f i gu r e u n p eu b i st r ée, d es y eu x
so m b r es, à l ’ ex p r essi o n car essan t e et h au t ai n e. L a
m ai n ap p u yée su r l a g ar d e de l ’ ép ée en r i ch i e de
l 'escar b o u c l e ét ai t l o n gu e et b l an ch e.
C ’ét ai t l e p o r t r ai t d 'u n h om m e t r ès j eu n e
t r ès b eau .
et
— M es co m p l i m en t s, A g n ès, d i t l e co m t e. C 'est
u n f o r t j o l i gar ço n .
— O u i . m ai s u n e si m p l e co p i e, d éci d a B er n ar d
av ec su f f i san ce.
— Peu m ’i m p o r t e; c ’est m on i n f an t à m o i , r i
p o st a A g n ès, san s se l ai sser i n t i m i d er p ar l e c r i
t i q u e d ’ar t .
— U n e r ép l i q u e, san s d o u t e, d ’u n v ér i t ab l e V e
l asq u ez et u n m o d èl e d e t y p e t o u t à f ai t co n v en u ,
p o u r su i v i t B er n ar d d es F a r g c s, v e x é au p oi n t
d 'o u b l i er t o u t e p o l i t esse.
A g n ès, au l i eu d e sc f âc h er , r i t d e p l u s b el l e :
— M o i , j e l e t r o u v e ad m i r ab l e! C el a su ffi t ,
n 'est - cc p as?
E x a sp ér é p ar l a co n t r ad i ct i o n , B er n ar d al l ai t
ém et t r e u n n o u v eau j u gem en t , l o r sq u e Jac q u el i n e
ap p ar u t su r l a p o r t e du v est i b u l e.
— A g n ès ! so u f f l a sa v o i x u n p eu h al et an t e. Em
p o r t e v i t e t on p r i n c e! V o i l à t an t e F él i c i c !
C et t e an n o n ce su ffi t à f ai r e d e n o u v eau p r éci
p i t er l a j eu n e f i l l e d an s l a m ai so n .
— Q u ’cst - ce q u i l u i p r en d ? fit l e p et i t d es F a r g c s,
i n t er l o q u é.
Jac q u el i n e r ép o n d i t , t r ès cal m e :
— T an t e F él i c i c d ét est e l e p o r t r ai t d e l ’i n f an t à
l ’ escar b o u cl e. A g n es l 'ap p el l e son m ar i , cel a r en d
m a t an t e f u r i eu se. A l o r s, s’ i l v o u s p l aît , M o n si eu r ,
n ’en p ar l ez p as.
« A j j n ès p er d 1 esp r i t ! se d i t l e j eu n e h om m e,
�3;
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v e x é à l ’ i d ée q u ’ il f û t p o ssi b l e d e se m o q u er d e
l u i . P u i s il r éf l éch i t :
« E l l e n e se j o u e p as d e m o i , m ai s d ’ H u g u es.
C ’ est p o si t i f , cet i n f an t m e r essem b l e... m êm e
co u p e d e f i gu r e, l a co u l eu r d es y eu x , l a b o u ch e... »
I l r eg r et t a d e l ’av o i r t r o u v é l ai d .
En éco u t an t son co u si n t r an sm et t r e u n e i n v i t a
t i on p o u r un p i q u e- n i q u e, B er n ar d se d i sai t :
« J ’ai co m m i s l a g a f f e n o i r e.. M ai s... au f ai t ,
p eu t - êt r e cel a m e ser v i r a- t - i l . H u g u es m e c r o i r a
b r o u i l l é av ec A g n ès... al o r s i l m ar ch er a p o u r l es
t r o i s m i l l e f r a n c s; j ’en ai u n b eso i n u r gen t et i l
est p ar f o i s t el l em en t d ésag r éab l e... »
I l s’ef f o r ç a d e m en er à b i en scs d eu x co m b i n ai
so n s : m o n t r er , en p r en an t l a p ose d e l ’ i n f an t , u n e
g r an d e si m i l i t u d e d e t r ai t s en t r e l e p r i n ce d éf u n t
et l u i , l ’ ad m i r ab l e B er n ar d d es F ar g es, et n e p oi n t
p o r t er o m b r age à son co u si n .
M " ‘ F él i c i e, l e r egar d an t , n e co m p r i t p as
p o u r q u o i il f ai sai t u n e m i n e si ex t r a o r d i n a i r e ;
l u i t r o u v an t l ’ a i r ab so l u m en t ab r u t i , el l e l e cr u t
en p r o i e à u n e v i o l en t e m i g r ai n e et l u i o f f r i t de
l ’asp i r i n e.
L o r sq u e
l es d eu x
v i si t eu r s p r i r en t
co n gé,
M “ ' d ’ Ët r u c h at en v o y a l ’aîn ée de scs n i èces f er
m er d er r i èr e eu x l a b ar r i èr e d u j ar d i n . A l o r s, l e
co m t e d e V al m o r d an e o u ït cet t e p h r ase i n co m p r é
h en si b l e :
— H u g u es, s’ il v o u s p l aît , r en d ez- m o i un gr an d
ser v i c e. D i t es à m a t an t e d e m e p er m et t r e d e v o i r
l es T ast av o i n e.
St u p éf i é p ar cet t e ét r an g e r eq u êt e, il n ’eu t p as
l e t em p s d ’ar t i c u l er u n e sy l l ab e. L a v i ei l l e fi l l e
ap p el ai t t r ès h au t :
,
— V i cn s- t i t , A g n ès? I l est assez t ar d .
— T u sai s, d i t , u n q u ar t d ’h eu r e ap r ès, B er n ar d ,
�L ’I N F A N T
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33
t o u j o u r s g r ac i eu x , so n gean t à scs o p ér at i o n s f i n an
c i è r e s; cet t e t o i l e, c’ est u n f au x V él a sq n ca .
I l f u t t o u t su r p r i s d e n e p as o b t en i r de r ép o n se.
IV
Su r l a m ai so n n et t e au x v o l et s b l eu s, u n ven t de
t em p êt e so u f f l ai t . C et o u r ag an d o m est i q u e sem b l ai t
c i r co n scr i t en t r e M IU F él i c i c et l ’ aîn ée d e ses p u
p i l l es.
A g n ès, r en t r an t r av i e d ’u n e ex c u r si o n où el l e av ai t
t en u l a p r em i èr e p l ace, t r o u v a sa t an t e f u r i b o n d e.
L a j eu n e fi l l e se p r ép ar ai t à co n t er sa j o u r n ée,
p en d an t l aq u el l e on s’ét ai t t an t am u sé, et H u gu es
d e V al m o r d an c av ai t ét é ch ar m an t . L e v i sag e r é
v u l sé d e 'f u r e u r d e sa m ar r ai n e ar r êt a l e r éci t su r
scs l èv r es.
— Q u ’a d on c t an t e F é l i c i c ? d em an d a- t - el l e à ses
p et i t es soeu r s q u i , l ’ay an t su i v i e d an s sa ch am b r e,
l a r egar d ai en t en l ev er son ch ap eau d ev an t l e m i r o i r
un p eu v er d i p l ace en f ac e d u p o r t r ai t esp agn o l .
M ad y ex p l i q u a t r ès v i t e :
— C est à cau se d e M m" d e Go n sen h ei m et d es
T ast av o i n e.
D an s l a gl ^ ce, A ^ n ès fit
l ’i m age du p r i n ce i n con n u .
— Q u ’o n t - i l s f a i t ?
un
b eau
so u r i r e
à
— Je n e sai s p as. L a b ar o n n e est v en u e cct
ap r ès- m i d i . T an t e F él i c i c éc r i v ai t , c el a seu l a d é
b u t é p ar l a m et t r e d e m au v ai se h u m eu r . E l l e d é
t est e êt r e t r o u b l ée d an s son t r av ai l .
« M 1”* d e Go n sen h ei m s’est m i se t o u t d e su i t e à
p ar l er d es p r o p r i ét ai r es d e lit T h u i l i èr e. E l l e a d i t
q u ’ i l s n ’ét ai en t p as si m al q u e ç a ; M . l e cu r é l u i
a ffir m a it q u ’ils é t a ie n t bons p a r o is s ie ns , tr è s géné236-11
�3-1
L ’I N F A N T
r eu x , q u ’ il
A
L ’E SC A R B O U C L E
f al l ai t l es accu ei l l i r ... en fi n u n t as d e
ch o ses. T an t e F él i c i e a g r o g n e :
« — V o t r e cu r é a q u at r e- v i n g t s an s et c’cst un
sai n t ! A l l ez ch ec v o s v o i si n s si v o u s v o u l ez , m o i , j e
n e l eu r o u v r e p as m a p o r t e !
« V o i l à M " " de G o n sen h ei m b i en en n u y ée. E l l e
a f ai t t o u t es sc s p et i t es m i n es, t u sa i s? com m e
p o u r s’ ex c u se r ; m ai s el l e ét ai t b i en dé c idé e à v o i r
l es T ast av o i n e et m êm e co m p t ai t su r t an t e F él i c i e
p o u r l es i n t r o d u i r e au ch ât eau .
'
« F.l l c a i n si st é :
« — I l s n e son t p as au ssi v u l g ai r es q u e v o u s sem b le z le c r o i r ç . A Ly o n , i l s co m m i ssen t q u el q u es
p er so n n es
du
m e ille u r
mondé,
en t r e
au t r es
un
h om m e d e m es r el at i o n s, l e co n sei l l er d ’ K t ch eb ar r am - C o u z an ee. L e p et i t T a ! av o i n e a ét é au co l
l ège av ec l e n eveu d u co n sei l l er , un j eu n e H .i squ e
d ’ ex c el l en t e f am i l l e. T1 est at t en d u i n cessam m en t à
l a T h u i l i cr c...
« Je n e sai s p o u r q u o i 1 e n om d ’ K t cb eb ar r am a
f ai t
voir
r o u ge à t a nt e
F é lic ie . E lle est d ev en u e
p r esq u e v i o l et t e d e co l èr e en d i san t ( el l e r éci t a,
i m i t an t av ec u n r ar e b o n h eu r l ’accen t d e M " * Fé-„
l i ci e) : « L é o n i c ! qu i f ai t u n 'm en so n g e se v er r a
« f o r cé d ’ en aj o u t er d i x ; q u i f ai t ,1111c f o l i e ci l
« co m m et t r a q u at r e. L es g ar ç o n s l es p l u s i n t el l i « gen t s ch er ch en t à f ai r e d es so t t i ses et l es fi l l es...
<? eh b i en ! l es f i l l es son t p i r es q u e t ou t . V o i l à ! ...
« Q u an t à v o s vf ast av o i n e, m a ch èr e, n e m e l es
« p r ésen t ez j am ai s, c ar j e m e sen s cap ab l e d ’en
« v en i r af l x d er n i èr es ex t r ém i t és.» Q u ’ est - ce qu e
cç l a veu t d i r e?
— Ri en du t o u t , fit A g n ès en éc l at an t du r i r e.
C ’est u n em b l èm e. M a ch èr e m ar r ai n e p ar l e v o l o n
t i er s p ar p ar ab o l es.
— A h ! ... Jac q u el i n e et m oi av o n s cr u qu e cel a
si g n i f i ai t ; « A g n ès est d an s l e cas d e s’en t i ch er
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
35
d ’u n d es p et i t s T ast av o i n e... * N at u r el l em en t , cel a
au r ai t d ép l u à n o t r e t an t e.
A g n ès r i t d e n o u v eau :
*— E l l e n ’ a p as c e m al h eu r à cr ai n d r e... D i s
d o n c, M ad y , j e n ’av ai s p as d e l et t r es, au co u r r i er ?
— N o n ... C ’ est v r a i , c ’est ét o n n an t . T u en as u n e
t r ès r égu l i èr em en t ch aq u e m at i n ... u n e t r ès ép ai sse.
Q u e p eu t -o n t r o u v er à d i r e q u an d on éc r i t t o u s
l es j o u r s? Ç a m ’ en n u i er ai t d e n o i r c i r h u i t p ages
co m m e t o i . Je p r éf è r e b r o d er et p r ép ar er l es co n
f i t u r es.
— V a d i r e cel a à t an t e F él i c i e,
gr an d e sœu r . T u l u i f er a s p l ai si r .
co n sei l l a l a
L e l en d em ai n , com m e p ar h asar d , A g n ès, v en an t
p o r t er u n e l et t r e à i a g ar e, r en co n t r a l a b on n e
L éo n i e, l aq u el l e se p r éci p i t a p o u r d em an d er à sa
j eu n e am i e l a r ai so n d e l 'h u m eu r h ar g n eu se d e sa.
p ar en t e.
M ”
D u p o n t d e Go n scn h ei m d ét est ai t l es f r o i sse
m en t s et l es m al en t en d u s en t r e i n t i m es. V o l o n t i er s
el l e f ai sai t d es co n cessi o n s. L ’ex asp ér at i o n d e
M 11" d ’ Et r u c h at , ai t seu l n om d u cam ar ad e d es
j eu n es l 'ast av o i n e, d em eu r ai t p o u r el l e i n ex p l i
cab l e. D é j à t r ès co n f u se à l ’ i d ée d ’av o i r co m m i s
u n e m al ad r esse en p ar ai ssan t v o u l o i r i m p o ser l es
n o u v eau x v en u s, M "” L éo n i e s’ em p r essa d 'af f i r m er :
— Si cet t e f am i l l e d ép l aît à v o t r e l am e, j e m e
g ar d er ai b i en d e v o u s m et t r a en r el at i o n s.
A g n ès r ép l i q u a, saois h ési t er , av ec u n gen t i l so u
rire :
— M ai s c ’est i n si gn i f i an t , M ad am e. T an t e Fél i ci e, v o u s i e sav ez , est 1111 p eu f an t asq u e. E l l e a
p r i s en
gr i p p e l es p r o p r i ét ai r es d e l a
T h u i l i èr c
«a ns le s a v o ir ja m a is vus . M o i, c e la m ’e s t t o u t à
�36
T /IN FAN T
A
I / E SC A R B O U C L E
f a i t c g al . Si j e l es r en co n t r e ch ez v o u s... eu x et
l eu r am i ... cel a m ’am u ser a b eau co u p .
C et t e p er sp ect i v e sem b l ai t m êm e l 'en ch an t er . C e
so i r - l à, el l e n ag eai t clan s l a j o i e.
M “ ' d e Go n sen h ei m l ’ad m i r a, si él égan t e d an s sa
t en u e d e p r o m en ad e, j u p e b l an ch e,' p u l l - o v er cer i se,
c o i f f ée d ’u n t r ès j o l i ch ap eau p i q u é d ’u n e a g r a f e
en p o u ssi èr e d e d i am an t s.
A g n ès r ay o n n ai t . L a v ei l l e, d u r an t l a p r o m en ad e,
l e l i eu t en an t d e V al m o r d an e l u i av ai t d ém o n t r é
l ’i m p o ssi b i l i t é d e f a i r e ad m et t r e l es T ast av o i n e au
M u s d u C a v a l i er , q u an d l u i - m êm e n e l eu r o u v r ai t
p as sa p o r t e. L a d ém ar ch e d e M " “’ d e Go n sen h ei m
a r r i v a i t à p oi n t p o u r p er m et t r e’ à l a j eu n e fi n e d e
sat i sf a i r e ce c ap r i c e d e v o i r d e n o u v eau x v i sag es.
K n cau san t , M " * d e Go n sen h ei m su i v i t m ach i n a
l em en t A g n ès su r l e q u ai d e l a p et i t e st at i o n .
M “ ’ d ’ Et r u c h at t en ai t à l a m ai n un p aqu et d e
car t es p o st al es q u ’ el l e af f i r m ai t êt r e d an s l ’o b l i ga
t i o n d e f ai r e p ar t i r l e so i r m êm e.
L a b ar o n n e, san s r éf l éc h i r q u ’il n ’est p as f o r t
d i st r ay an t d ’ar p en t er u n t r o t t o i r en co m b r é de co l i s
p o st au x et d e p asser d i x f o i s d ev an t l es r ar es
af f i ch es en co u l eu r s, se m i t à se p r o m en er au x
cô t és d e l a j eu n e fi l le.
So u d ai n , M “ " L éo n i c sai si t l e b r as d ’A g n ès.
—
T t n ez, d i t - el l e, m o n t r an t u n gr o u p e assez
co m p act su r g i ssan t d e l a b ar r i èr e so i - d i san t f e r
m ée et t o u j o u r s o b l i geam m en t o u v er t e au p u b l i c,
v o i l à j u st em en t l es p r o p r i ét ai r es d e l a T h i i i l l èr e..,
M a ch èr e, j e n e v o u s l es p r ésen t e p as ce so i r ,
F é l i c i c m ’en v o u d r ai t à m o r t I
A g n ès, cu r i eu se, t o u r n a l a t êt e v e r s l ’en d r o i t i n
d i q u é. L es T ast av o i n e ét ai en t l à au g r an d com p l et .
L a m èr e, su r c h ar g ée d e j a i s et co i f f ée d e p l u m es
d ’au t r u ch es. L a f i l l e, p et i t e, l es y eu x u n p eu r o n d s,
en co st u m e d e t en n i s, t en ai t , on n e sai t p o u r q u o i ,
�L ’I N F A N T
A
L ’E SC A R B O U C L E
37
u n e r aq u et t e à l a m ai n . E l l e 'au r ai t I r ès Dien pu
l a l ai sser d an s l ’au t o , u n e U o c h k i s s ar r êt ée d an s
l a co u r .
C es d am es g l ap i ssai en t co m m e d eu x p er r u ch es,
et l e p èr e, u n bel h o m m e t r o p m assi f , au v i sag e co
l o r é en t o u r é d ’ u n e g r an d e b ar b e b l an ch e, d o u é d ’u n e
p u i ssan ce v o cal e su p ér i eu r e, p o u ssai t d es b ar r i sse
m en t s cap ab l es d e c o u v r i r l e b r u i t d 'u n e t em p êt e.
L e s d eu x h ér i t i er s m âl es su i v ai en t l eu r s p ar en t s.
L ’aîn é, L éo n , ex am i n a t o u s l es co l i s ab an d o n n és
su r l e q u ai c l d i t , d ’u n a i r c h ag r i n , q u ’o n av ai t
g asp i l l é t r o p d e f i cel l e p o u r l es em b al l er et t r o p
d e co l l e p o u r l es ét i q u et t es.
Il
d e v a it êt r e d ’ un n at u r el n i ct i cu l cu x , t at i l l o n ,
i n su p p o r t ab l e- ; il r ep ér a, au p r em i er co u p d ’ceil , l a
p er t e d ’un b o u t o n à l a r ed i n go t e d u c h ef d e g ar e.
D u r an t p l u si eu r s .secon des, i l sem b l a d i sp o se
p r é
v en i r cet h o n o r ab l e f o n ct i o n n ai r e d e l 'ét at f âc h eu x
ç)ù se t r o u v ai t son v êt em en t .
L e fi l s cad et , M ar c , t en ai t ch ez l u i l a p l ace d ’a r b i t r e du bon go û t et d es él égan ces. I l ét ai t au ssi
en t en u e M an ch e d e t en n i s et p o r t ai t u n e r aq u et t e
so u s l e b r as. So n
p l u s v i f d ési r ét ai t d 'êt r e p r i s
p o u r u n j eu n e A n g l ai s d e b on n e n ai ssan ce et , p o u r
cel a ‘-.ans d o u t e, il ex h i b ai t à t ou t i n st an t u n ét u i à
c i g a r e t ' S t i m b r é «les ar m es d ’O x f o r d , bie>n qu e
n ’ay an t p oi n t ét é u n O x o n i a n , m ai s c ’ét ai t t r ès
b r i t an n i q u e.
I l s r eg ar d èr en t t o u s b eau co u p A ^ n ès, et cel l e- ci
en t en d i t M " ° T ast av o i n e p r o n o n cer t r ès d i st i n c
t em en t :
— C et t e je u n e f i l l e, c ’est M " * d ’E t r u c h a t .
L a m èr e r ép o n d i t :
— Je n e d i st i n gu e r i en san s 111011 l o r gn o n . D é
t ach e- l e, il s'est em b r o u i l l é d an s m o i ^ sau t o i r .
— Pr ésen t ez - l es- m o i , d i t A g n ès, t r ès am u sée, à
l a b ar o n n e assez em b ar r assée el l e- m êm e. I l s so n t
�38
T / I N FA N T
d i v er t i ssan t s,
q u et t es !
ces
A
L ’ ESC A RBO I T C T .F.
• •
p er so n n ages,
av ec
l eu r s
r a
M "'" d e Go n scn h ei m , ef f r ay ée à l ’i d ée d es c l a
m eu r s d e F él i c i e, r ef u sa n et .
L e t i m b r e si g n al a, j u st e à cet t e m i n u t e, l ’a r r i v é e
du t r ai n et l e p èr e d u j eu n e M ar c r eco m m en ça à
m u gi r :
— J ’esp èr e bi en qu e M . d ’ Et ch eb ar r am n ’au r a
p as m an q u é l a co r r esp o n d an ce.
L e n om b asq u e d e cet i n v i t é d on t il ét ai t g l o
r i eu x r éso n n a so u s l a m ar q u i se d e z i n c av ec m a
gn i f i cen ce.
— V o i l à j u st em en t M i gu el ! an n o n ça l e cad et d es
T ast av o i n c
en
ad r essan t
un
co r d i al
h el l o !
v er s
l ’u n e d es p o r t i èr es.
M . T ast av o i n c v o l a su r l es p as de son fi l s,
M 1” " T ast av o i n c . au l i eu de se t en i r t r an q u i l l es,
su i v i r en t l e go u v er n eu r , co m m e l ’ap p el ai t M ar c ,
sel o n l es u sag es an gl ai s... de l a C i t é.
M i gu el d ’Et ch eb ar r am , u n g r an d gar ço n t ou t
j eu n e, m i n ce et so u p l e, t r &
jo li, t r è s r a ce , v é r i
t ab l e t y p e b asq u e au v i sag e r ég u l i er de m éd ai l l e
éc l ai r é p ar d es y eu x so m b r es, p ar u t su r p r i s. Il n e
co m p t ai t cer t ai n em en t p as su r u n accu ei l au ssi
en t h o u si ast e.
Il
sem b l a en co r e p l u s ét o n n é — m ai s qu el ét o n
n em en t ch ar m é ! — en ap er cev an t l a r av i ssan t e
A g n ès d ’E t r u c h at , o ccu p ée à f ai r e p ar t i r son co u r
r i er . L a j eu n e fi l l e ét ai t ar r êt ée t ou t p r ès du v o y a
g e u r ; en sau t an t à t er r e, cel u i - ci f ai l l i t l a h eu r t er .
C o u r t o i sem en t , en h om m e t r ès bi en
él ev é,
M . d ’ Et c h eb ar r am sal u a ; il p ar u t se co u r b er d ev an t
u n e so u v er ai n e. A g n ès r ed r essa u n p eu l a t êt e,
ses b eau x y eu x so u r i an t s ef f l eu r èr en t l ’ i n con n u .
P u i s el l e s’él ( * i gn a, u n e l ég èr e r o u geu r au x j o u es.
M ar c T ast av o i n c p r o f i t a d e l ’i n ci d en t p o u r s’i n
cl i n er d ev an t M " * d ’ Et r u ch at . 11 av ai t , d e l a so r t e,
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C T .E
39
l ’ ai r d ’ av o i r d e b el l es r el at i o n s. 11 p r ésen t a en su i t e
so v ^ eam ar ad e à sa f am i l l e et cel a d ’un accen t m a d e
i n E n g l a n d t el l em en t n asal qu e p er so n n e n e co m
p r i t r i en .
L e p èr e se m i t à b a r r i r d an s l a f i gu r e d u j eu n e
h om m e :
—
M o n si e u r ! ! ! ( u n t em p s) j e su i s en ch an t é de
v o u s co n n aît r e !
L a m èr e av ai t p r ép ar é l a m êm e en t r ée en m a
t i èr e. N e p o u van t i m p r o v i ser assez v i t e u n e
d eu x i èm e p h r ase, el l e r eçu t à l a m u et t e l es h o m
m ages de l ’an ci en co n d i sci p l e d e son fi l s et f u t si
f i cr e l o r sq u e cel u i - ci l u i b ai sa l a m ai n q u ’el l e n e
put si t en i r d ’ esq u i sser , u n n o u v eau sal u t en m a
n i èr e d e r em er ci em en t .
M . T ast av o i n c p o sséd ai t de n o m b r eu x m i l l i o n s,
m ai s i l n ’av ai t p o i n t so n gé q u 'i l f au d r ai t p eu t êt r e ap p o i n t er u n v al et d e p i ed . I l m o b i l i sa t o u s
l es gam i n s d i sp o n i b l es p o u r t r an sp o r t er l es m al
l et t es d e son h ôt e.
O n r al l i a l a l i m o u si n e, d ev an t l aq u el l e un c h au f
f eu r m éd i o cr em en t st y l é at t en d ai t , et , g r âc e à l 'o b s
t i n at i o n d es T ast av o i n c à v en i r acc u ei l l i r en co r p s
l e v i si t eu r , i l s y f u r en t ser r és com m e d es an ch o i s
d an s u n b ar i l .
M i gu el d ’ Et eh eb ar r am , ah u r i , m ai s t r ès am u sé
au s^ i de I av en t u r e, sr d em an d ai t où i l av ai t p u
t o m b er . M ar c n ’ ét ai t p as m al , assez b i en él ev é,
m êm e, m ai s l e r est e d e l a f am i l l e 111
Ils
ét ai en t
h o sp i t al i er s,
ces
T ast av o i n c ,
d ’u n e
t r ès g r an d e o b l i gean ce, en v ér i t é, et l eu r in v it a t io n ,
su r v en an t au m o m en t où M i gu el av ai t en v i e d é
co n n aît r e cet t e p ar t i e d es r i v es du Rh ô n e m ér i d i o
n al , ét ai t f o r t ag r éab l e, m ai s q u el s d r ô l es d e t y p es!
L a H o c h k i ss d ém ar r a ap r ès av o i r r ef u sé d eu x
f o i s l e d ép ar t . E l l e co m p t ai t p as m al d ’an n ées d e
ser v i c e et co m m en çai t à f er r a i l l er u n p eu . M al g r é
�L ’I N F A N T
40
A
L ’E S C A R B O U C L E
l e b r u i t , M . T ast av o i n c , q u i eû t co u v er t l e f r ac as
d 'u n e b at t er i e d e m i t r ai l l eu ses, p ar v i n t à sc f ai x e
en t en d r e et n o m m a l es aggl o m ér at i o n s t r av er sées.
Co m m e l ’au t o m o b i l » f i l ai t en éc l ai r d ev an t u n e
p et i t e m ai so n b l an ch e en f o u i e so u s l a v er d u r e et
l es f l eu r s, i l si g n al a :
—
L e M a s d u C a v a l i er . L a p r o p r i ét é d e
M " * d 'E t r u c h at , u n e v i ei l l e fille t r ès a im a b le ; cl i c
y h ab i t e av ec ses n i èces, d on t l ’u n e, l ’aîn ée, est
n n e b eau t é. V o u s l 'av ez v u e en d escen d an t d e
w ago n ... C et t e j o l i e b r u n e...
Sa fi l l e aj o u t a p r o m p t em en t cet t e p h r ase m ai n t es
f o i s en t en d u e d an s l e p ay s :
— C e so n t d es o r i g i n al es.
M i g u el so u r i t :
— V o u s l es v o y ez b eau co u p ?
C r u el em b ar r as d es T ast av o i n c !... O n sc r cg af d a.
— M ar t i n e l a r en co n t r e, fit l a m èr e av ec co u r a; c. M o i , j e n ’ai p as en co r e eu l e t em p s d e so n ger
au x v i si t es. M o n i n st al l at i o n ...
M 11* M ar t i n e
T ast av o i n c
ap er c ev ai t
A g n ès
d ’ E t r u c h at l e d i m an ch e à l a m esse; ce n ’ét ai t p as
én o r m e. E l l e r ep r i t i m m éd i at em en t :
— N o u s av o n s d es am i s co m m u n s : l a b ar o n n e
d e Go n sen h ei m ... V o u s l a co n n ai ssez , j e c r o i s?
—
M oi
n on , m ai s m on
on c le est en r el at i o n s
av ec el l e, r ép l i q u a M . d ’E t c h e b a r r a m , san s al l o n ger .
O n co n t o u r n ai t , à cet i n st an t , l e p ar c d e V al m o r d an c. A t r av er s l a g r i l l e de f er f o r g é m o n u m en t al e,
on d i st i n gu ai t l a m asse i m p o san t e du ch ât eau au
b ou t d ’ u n e t r ès l o n gu e av en u e. L es j ar d i n s à * l a
f r an ç ai se, au x m assi f s de f l eu r s ad m i r ab l es, s e m
b l ai en t d e p r éc i eu x ém au x ; p l u s l o i n , l es b o i s, l es
p r ai r i es où p ai ssai en t d e j eu n es p o u l ai n s. L a r i
v i èr e, en d écr i v an t d e cap r i c i eu x co n t o u r s, en t o u
r ai t d es i l es.
�L ’I N F A N T
—
A
L ’E SC A R B O U C L E
41
V o i c i V al m o r d an e, p r ésen t a M . T ast av o i n e,
i n l assab l e d an s son o b l i gean ce.
— C ’est «n e r ési d en ce p r i n ci èr e, d écl ar a M . d ’E t ch eb ar r am , ad m i r at i f .
— O u i , m ai s cel a m an q u e d e v i e, aj o u t a M ar c.
L e co m t e n ’ est p as m ar i é. Sa m èr e est m al p o r
t an t e. I l n ’y a j am ai s d e g r an d es r écep t i o n s. I l ,
f au d r ai t u n e j eu n e f em m e...
— Je n e p eu x cr o i r e, i n t er r o m p i t M ar t i n e d ’u n
t on p o i n t u , q u e M . d e V al m o r d an e p en se r éel l em en t
à M 11' d ’ Et r u c h at , com m e on l e d i t .
M i g u el d ’Et c h eb ar r am t o u r n a v i v em en t l a t êt e :
— V o u s p ar l ez , M ad em o i sel l e, d e cet t e t r ès j o l i e
f em m e b r u n e ?...
— O u i ! ou i ! ou i ! m u gi t l e g o u v er n eu r , en n u yé
d e j o u er l es r ô l es m u et s. C ’ est u n e am i e d ’en f an ce
du l i eu t en an t . M " " d e G o n sen h ei m — i l se r ep r i t , —
l a b ar o n n e d e Go n sen h ei m af f i r m e q u e n o u s ap p r en
d r o n s b i en t ô t l eu r s f i an çai l l es.
— Je n 'en cr o i s r i en ! co u p a M ar t i n e, t o u j o u r s
acer b e. M " ’” Ro ch eb el l e, l a b el l e- sœu r d e l a b a
r o n n e, a d i t av an t - h i er d ev an t m oi : « H u g u es d e
V al m o r d an e f er a l e m ar i ag e q u ’ il v o u d r a. Ri ch e
com m e i l est , av ec sa f i gu r e, i l p eu t p r ét en d r e à
t ou t . I l n ’ i r ai t p as s’ en t i ch er d e cet t e p et i t e A gn ès.
E l l e est séd u i san t e, j e v o u s l ’ acco r d e, p ét r i e d 'es
p r i t , m ai s t el l em en t cap r i c i eu se 1 C e n ’est p as u n e
f em m e p o u r u n gar ço n v i eu x j eu co m m e l u i ! »
Su r ces m ot s, l a H o ch k i ss ay an t gr i m p e san s r e
gi m b er , m al g r é scs an s, u n e p en t e assez r ai d e et
en fi l é un p o r t ai l d e f e r t ou t à f ai t si m p l e, on
p én ét r a d an s l a p r o p r i ét é acq u i se à p et i t s f r ai s
p ar M . T ast av o i n e.
Le p r é c é d e nt s e ig ne ur , u n lim o n a d ie r fr a ncm a ç o n , s ’y é t a it r u in é , o n d is a it m ê m e pe nd u. Ce c i
a v a it d is c r é d it é l’im m e u b le . M . T a s t a v o in e l ’a y a n t
a c h e té de ce fa it s a ns t r o p d é g o n fle r s a bo ur s e ,
�a v ai t r aco n t é p ar t o u t q u ’i l s’ét ai t m i s en r ègl e av ec
l 'E g l i se . M ai s l es v o i si n s, d éf i an t s, n e se p r essai en t
p oi n t en f o u l e clan s l es sal o n s de l a T l i u i l i èr c .
M " 1" de Go n scn h ei m seu l e, av i d e de se d i st r ai r e,
c a r el l e s’ en n u y ai t à l a cam p agn e en t r e l ’o u r s P au
l i n et l a gr i n ch eu se Ph i l i p p a f| ui v i v ai en t f o r t si m
p l em en t , av ai t accep t é l es ex p l i c at i o n s d u cu r é d e
l a p ar o i sse. C el u i - ci , ém er v ei l l é p ar l es o f f r an d es
d es T ast av o i n c , a v ai t co n sen i i à l es p at r o n n er au
p r ès d es v i ei l l es f am i l l es d u p ays.
... M ar c T ast av o i n c et M i gu el d ’ K t ch eb ar r am
av ai en t su i v i l es co u r s d u m êm e co l l ège. L e p r e
m i er , t r ès sn ob, accab l ai t l e seco n d d e p r év en an ces.
Et c h eb ar r am , bon g ar ç o n , d ési r eu x , en o u t r e, d e
c o n n aît r e cet t e p ar t i e d es C év en n es, accep t a l ’iin
v i t at i o n f ai t e p ar son an ci en co n d i sci p l e d e séj o u r
n er q u el q u es sem ai n es à ht T h u i t i i r c .
A L y o n , M . T ast av o i n c ^ p assai t p o u r êt r e q u el
q u ’u n , c a r sa f o r t u n e ét ai t co n si d ér ab l e, ce q u i ,
d an s son m i l i eu , t en ai t l i eu d e t ou t , et M i gu «J, j u
gean t cet t e f am i l l e d ’a p r è s M a r c et scs so u v en i r s
d 'éeo l i er , n ’av ai t p as ch er ch é à sav o i r d an s q u el l e
so ci ét é il se 't r o u v a i t .
D ès l ’en t r ée, il f u t su r p r i s p ar l ’i n t ér i eu r d e l a
v i l l a.; l ’ ex t ér i eu r , u n e gr an d e b ât i sse su r u n e t er
r asse, au cen t r e d ’u n j ar d i n b i en p ei gn é, av ai t assez
bo n n e ap p ar en c e: m ai s l e m o b i l i er l e ¡vi dera.
L<i v est i b u l e ét ai t u n si m p l e p assag e d ’où p ar t ai t
don
t u t e s c a l i e r san s t a p i s. L es t r en t e c h a m b r e s
n er b r i l l ai en t p ar l eu r i n él égan ce. M i gu el , en p én é
t r an t , so u s l ’esco r t e d es fil s d e l a m ai so n , d an s l a
p i èce r éser v ée a son u sag e p er so n n el , n ’au r ai t j a
m ai s pu se d o u t er q u ’on l u i o ffr a it la p l u s l i ci t e.
P r o b a b l e m e n t l e s T ast av o i n c v o u l ai en t év i t er l ’o st co t at i o n et r éd u i sai en t l es m ar q u es ex t ér i eu r es d u
l u x e au st r i c t n éc essai r e. O n n e pouva it, en v o y an t
ce s ap p ar t em en t s p r i v és, accu ser l es p r o p r ié t a ir e s
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
43
d e v o u l o i r éc r aser l a m asse so u s l eu r s r i ch esses.
M i g u el eu t à p ei n e l e t em p s d ’en f i l er son sm o k i n g.
D é j à M ar c , égal em en t r ev êt u d e Y ev en i n g - d r ess, se
m on t ra :
— V o u l ez - v o u s d escen d r e? L a m ai so n
p eu t - êt r e, seu l , v o u s égar er i ez - v o u s.
M . d’ Et c h eb ar r am f u t su r l e p o i n t d e
« M e p r en ez - v o u s p o u r l e Pet i t Po u c et ?
su i v an t son gu i d e, il v i t com bi en cet t e
ét ai t n écessai r e.
est v a st e;
r ép o n d r e :
» m ai s, en
p r écau t i o n
I l s t r av er sèr en t u n c o r r i d o r , p u i s u n e sal l e à
m an ger .
L e co u v er t n ’ét ai t p as m i s. Et ch cb ar r am av ai t
t r è s ^ i m , il se d em an d a si l ’on d în er ai t ou n on .
D eu x i èm e co r r i d o r . N o u v el l e sal l e a m an ger .
D an s l a p i èce ccm t i gu ë, i l y av ai t en co r e u n e t ab l e
d e f am i l l e et d es b u f f et s.
L es T ast av o i n e d ev ai en t av o i r , en f ai t d ’ am eu
b l em en t , d es i d ées t o u t à f ai t p er so n n el l es et f o r t
ét r an ges. D u m o i n s l e j eu n e h om m e en j u g ea- t - i l
ai n si , l o r sq u e son co m p agn o n , en f i l an t l a t r o i si èm e
d i n w g - r o o t n , ex p l i q u a :
—
C eci est l e cab i n et d e t r av ai l d e p ap a.
Po u r q u o i l e p èr e ser r ai t - i l scs p ap i er s d an s u n
m eu b l e gén ér al em en t d est i n é à co n t en i r de l a v a i s
sel l e? M y st èr e.
i on t d e su i t e ap r ès c el a l es d eu x g ar ç o n s p én é
t r èr en t d an s l e sal o n .
Ah!
d an s cel u i - l à, p ar
ex em p l e, on - av ai t
« é t a l é » ! T o u t ét ai t d o r é, scu l p t é, g a u f r é, m o u
l u r é...; on n e sav ai t p oi n t si l es si èges, r eco u v er t s
d e v el o u r s à p er so n n ages, ap p ar t en ai en t au st y l e
L o u i s X I V ou L o u i s X V I ; i l s eu sseo t d éco n cer t é
l es ch er ch eu r s.
L e s co n so l es — d ép o u i l l es d u l i m o n ad i er p en d u
—
d éf i ai en t
t o u t e co n cu r r en ce et , l à- d essu s, u n e
p r o f u si o n d e v ases : d es G a l l e g éan t s, d ’au t r es i n i -
�L ’I N F A N T
A
I / E SC A R B O U C L E
n u scu l cs. L'u p l af o n n i er d ’o n y x , sem b l ab l e à u n
n o u gat b ar d é d e p i st ach es, h ér i ssé d em an d es, éc l ai
r ai t cet t e d o r u r e g én ér al e; et d an s u n co i n , p r ès
d u p i an o , l ’ i n év i t ab l e p o st e d e T . S. F.
T o u t e l a f am i l l e, au « g ar d e à v o u s », at t en d ai t
l ’h ô t e. M ar c , au co u r an t d es u sages» d e l a bon n e
so ci ét é, av ai t f ai t h ab i l l er ses p ar en t s com m e p o u r
u n e so i r ée d e co n t r at — seu l e oc c a s io n où c eu x - c i
r ev êt i ssen t l a t en u e d u so i r .
L éo n en r ag eai t , c ar il ai m ai t l e n égl i gé. C el u i - ci
n e p ar t ag eai t p o i n t l e sn o b i sm e d e sa f am i l l e.
Ses i n t i m es d i sai en t d e l u i : « I l est i m p o ssi b l e de
sav o i r s’i l est su r t o u t b êt e ou en co r e p l u s m éch an t . :>
O n at t r i b u ai t l a p r em i er * d i sp o si t i o n
ed r ai n e
ch u t e d e d o u ze m èt r es su r l a t èt e, f ai t e d an s son
en f an ce. P o u r l a seco n d e, el l e d ev ai t d at er de sa
n ai ssan ce, c ar l e b r u sq u e co n t act av ec l es d al l es
d e m ar b r e n e r en d p o i n t d ési r eu x d e n u i r e à son
p r o ch ai n .
—
Q u el ; d r ô l es d e t y p es, ces T a sl a v o i n e ! se
r ép ét ai t , i n l assab l e et t o u j o u r s ah u r i , M i g u el d ’ K t ch eb ar r am , en p ar ai ssan t éco u t er l a co n v er sat i o n
d ’ u n ai r d 'i n t ér êt p o l i . C e son t d es n u m ér o s t o u t à
f ai t cu r i eu x . M ai s m a f o i t an t p i s! l ’av ai s b eso i n
d e v en i r p ar i ci , m ’ i n st al l er
B o u r g - Sai n t - A u l e
n ’ eût p as ét é p r at i q u e... I l s m ’on t f o u r n i l e m o yen
d e sa t i sf a i r e m on d ési r , j e n e v ai s p as m e m o q u er ,
ce n e ser ai t p as ch i c.
S u r - cet t e r éso l u t i o n il su i v i t M '"" T ast av o i n e à
l a sal l e
m ai .ger ... J 1 y en av ai t u n e v r ai e, av ec
un co u v er t et du p o t age d an s l es assi et t es.
L e go u v er n eu r p l ast r o n n ai t , m ai s, s ’ il p ar l ai t f o r t ,
cau sai t p eu . M ar t i n e l an çai t d es p h r ases h ach ées
en seco u an t ses p en d el o q u es d ’o r e i l l e s; l a m aît r esse
d e m ai so n su r v ei l l ai t l e ser v i c e et L éo n d év o r ai t .
M ar c lit t o u t l e p o ssi b l e p o u r se m o n t r er g en
t l em an et d i sco u r u t su r l ’A n g l et er r e.
�sa—
L ’I N F A N T
A
L ’F .SC A R B O U C L E
—
■■
45
C e ch an gem en t co m p l et d 'h ab i t u d es et d e m i l i eu
co m m en ça p ar am u ser M i g u el ; en su i t e i l se sen t i t
p r êt à m o u r i r d e so m m ei l . Ja m a i s so i r ée n e l u i
p ar u t p l u s l o n gu e et en co r e, h eu r eu sem en t , l a
T . S. F . r ef u sa o b st i n ém en t d e m ar ch er . C ’ eû t et c
t r o p p o u r u n e p r em i èr e f o i s.
A v an t d e se r et i r er , E t c h eb ar r am an n o n ça son
i n t en t i o n de so r t i r d e t r ès b o n n e h eu r e l e l en d e
m ai n p o u r al l er p ei n d r e f l an s l a cam p agn e.
M ar c s’ em p r essa d e l u i d i r e q u e, à Ut T U m l i èr c ,
ch acu n j o u i ssai t d e l a p l u s g r an d e l i b er t é, su i v an t
l ’ex c el l en t e co u t u m e an g l ai se. A p r ès, il aj o u t a :
— M ""- d e Go n scn h ei m v i en d r a g o û t er à l a m ai
son à ci n q h eu r es. Si v o u s v o u l ez l u i êt r e p r ésen t é,
el l e ci l ser a cer t ai n em en t ch ar m ée.
— Je ser ai l à, p r o m i t l e j eu n e B asq u e. Je p ei n s
sai l er .u n t en t r e sep t et d i x h eu r es d u m at i n . C ’est
u n p r i n ci p e.
M . i 'ast av o i n c j u g ea, à p ar t so i , l 'am i d e son
fii.î u n f i ef ïé p ar esseu x ! I l f ai sai t b i ei r d ’av o i r eu
d es p ar en t s f o r t u n és, car , d e ec t r ai n , il n e r i sq u ai t
p oin t d e s’ en r i c h i r p ar son t r av ai l .
i 'n e f o i s en f er m é d an s sa ch am b r e, M i g u el d 'E t ch eb ar r ai n , : çco u é p ar u n v i o l en t f o u r i r e, se l ai ssa
ch o i r d an s u n f au t eu i l en m u r m u r an t :
— M e v o i ci en g ag é d an s u n e av en t u r e I... F asse
l e C i el qu e j e p u i sse t en i r j u sq u ’au b ou t ... L e b u t
en v au t l a p ei n e. M ai s com m e j e v o u d r ai s êt r e
p l u s v i eu x de q u el q u es m o i s)
*
V
E n se le v a n t ce m a t in - là, Ag n è s e ut l'im p r e s s io n
bie n ne tte q u e r ie n, d a n s l a jo u r n é e , u e r éu ssi r ai t
co m m e el l e l e so u h ai t ai t .
�L ’I N F A N T
46
A
L ’E S C A R B O U C T . F ,
T o u t d ’ab o r d , el l e co n st at a l a p r éscn ce d ’u n m i
n u scu l e b ou t on d e f i èv r e au co i n gau ch e d e sa
l èv r e i n f ér i eu r e. C ’ét ai t l e r ésu l t at d ’u n e i n so m n i e
p r o l o n gée. A g n ès se j u g ea en l ai d i e et ceci l 'i n d i s
p o sa. N er v eu se, el l e p r éci p i t a sa t o i l et t e, cassa u n
f l aco n , ch an gea d eu x f o i s d e r o b e et , fi n al em en t ,
d éci d a, en r ef ai san t l e p l i d e ses ch ev eu x , d e c al
m er scs n er f s i r r i t és p ar u n e p r o m en ad e à t r av er s
l a cam p agn e.
O r d i n ai r em en t , l a n i èce d e M " “ F él i c i c ét ai t
assez p ar esseu se et n e so r t ai t p as d e sa ch am b r e
av an t l e m i l i eu d e l a m at i n ée. C et t e f o i s, Ren é,
t o u j o u r s l ev é av ec l e so l ei l , v i t , n on san s su r p r i se,
sa g r an d e sœu r d escen d r e l ’esc al i er à p as d e v e
l o u r s, p u i s o u v r i r l a p o r t e d u v est i b u l e.
— O h !... t u es j o l i e au j o u r d ’h u i , A g n ès ! d i t l e
gar ço n n et , ém er v ei l l é p ar l ’ él égan ce d e l a j eu n e
f i l l e. T u as l ’a i r d égu i sée en f l eu r p o u r u n bal t r a
v est i et t es y eu x b r i l l en t co m m e ceu x d ’u n c h at !
O ù v as- t u , si b el l e?
A g n ès t ap o t a co m p l ai sam m en t l es v o l an t s d ’o r
gan d i r o se d e sa j u p e :
— M e p r o m en er .
*— O ù ç a?
— Je n e sai s p as... où j e v o u d r ai . — E l l e r éf l é
ch i t u n e seco n d e. — Si t u as d éj eu n é j e t ’em m èn e...
V i en s, al l o n s n o u s p er d r e, ce ser a t r ès am u san t .
Ren é, en ch an t é, accep t a l ’o f f r e. I ! d em an d a t r o i s
m i n u t es potft- f ai r e scs p r o v i si o n s et r ev i n t av ec
d eu x b r i o ch es, d u ch o co l at , u n e p o i gn ée d e f i gu es,
ap r ès av o i r p o u ssé l a p r év o y an c e j u sq u ’à l ai sser ,
b i en ép i n gl e au d o ssi er d u can ap é, ce bel av er t i s
sem en t :
N ous
al l on s noiiH p er d r e. N e n ou s ch er ch e/
I l s p ar t i r en t t o u s l es d eu x , le p et i t
pus.
f r èr e et la
g r an d e sœu r , au ssi co n t en t s l ’ u n q u e l ’au t r e.
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A
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47
Il
f ai sai t bon m ar ch er p ar ce t em p s f r ai s, d é
l i c i eu x . D an s l e ci el b l eu t r ès d o u x , cet az u r d 'au
t o m n e d éj à p âl i , d es n u ag es co u r ai en t , p o u ssés
v e r s l e su d . L e s d er n i èr es h i r o n d el l es ,v o l et ai en t
t r ès h au t . A u l o i n , v er s l es b o i s d e V al m o r d an c,
d es p er d r i x s’él ev èr en t av ec u n c r i b r ef .
A g n ès, t o u t e sa b o n n e h u m eu r r ev en u e, f r ed o n n a
sa ch an so n f av o r i t e :
J' a i b u l a r o sc e
U n i ] '' l e c œ u r d e s l i s.
I ,a n o c e e st i m - y - r ,
C h an t en t
l e s co u r l U .
— R eg ar d e, d i t Ren é t ou t à co u p , ce m o n si eu r
l à- b as... v er s l e sen t i er d u t ai l l i s. N 'est - ce p as
M . d es F a r g e s?
— N o n , d it Ag n è s e n c o n t in u a n t d ’a va nc e r .
— I l t e p l ai t , à t o i , d i s? i n si st a l e gam i n .
l ’ai m e p as.
Je
ne
— M o i n on p l u s! f u t l a peu ai m ab l e r ép o n se.
— E t l ’au t r e... l ’o f f i c i er ?... M o i . j e l e t r o u v e t r è ;
b i en , m ai s il a l 'a i r r ai d e. I l d o i t f al l o i r l u i o b éi r
t ou t do su i t e et cel a m ’ en n u i e... T u ét ai s o b éi ssan t e,
A g n ès, qu an d t u ét ai s p et i t e?
— Je n e sai s p as, d i t l a j eu n e fd l c d i st r ai t em en t .
F.l l c ex am i n ai t l e p ay sage av ec u n e at t en t i o n
s o ute nu e .
L a si l h o u et t e m ascu l i n e si g n al ée p ar Ren é av an
çai t à g r an d s p as so u p l es so u s l e co u v er t d es
ar b r es. C e n ’ét ai t , en ef f et , n i B er n ar d , d on t l .i
t ai l l e n e d ép assai t p o i n t cel l e d ’ u n ad o l escci !
H u g u es, b eau co u p p l u s g r an d et t r ès b l on d .
\
qui ?
A g n ès se r et o u r n a v e r s so n f r èr e.
— V i en s, f i t - el l e, al l o n s- n o u s- en .
La
d er n i èr e sy l l ab e n ’ét ai t
p as t o m b ée d e
r-s
l èv r es q u an d , so u d ai n , u n c a v a l f l r d éb o u ch a du e n
t i er c o m m e p ar m agi c.
�48
L 'I N F A N T
A
I , 'E S C A R B O U C L E
— T i e n s! l e v o i l à j u st em en t , l ’o f f i ci er , ch u ch o t a
Ren d en se r an gean t , c ar i l r ed o u t ai t l es ch ev au x .
T u n e l ’ ai m es p as n on p l u s, cel u i - ci , A g n ès?
— T u t n ’en n u i es ! j e t a M " " d ’Et r u c h at , d ev en an t
t r ès r o u ge.
L e l i eu t en an t , d e so n cô t é, p ar u t st u p éf ai t c.i l a
v o y an t au ssi l o i n d e ch ez el l e à cet t e h eu r e. Q u el l e
n o u v el l e l u b i e p r en ai t à l a f an t asq u e j eu n e f i l l e :
c o u r i r l es b o i s d ès l e m at i n en t o i l et t e d e gar d en p ar t y ?
Il
n e d i t p o i n t , à l ’ex em p l e d e Ren é : « Co m m e
v o u s êt es j o l i e au j o u r d ’h u i !... » m ai s il eu t d e l a
p ei n e à r et en i r u n co m p l i m en t .
J1 sau t a à t er r e et sc d éco u v r i t .
— Je m e d em an d ai s si c ’ét ai t b i en v o u s, co m
m en ça- t - i l , m al r ev en u d e sa su r p r i se.
A g n ès r i t , m al i ci eu se, m ai s san s au cu n e esp èce
d e co q u et t er i e :
— Et m o i , j e i n c d em an d ai s com bi en d e t em p s il
v o u s f au d r ai t , H u g u es, p o u r v o i r q u e c ’ét ai t v o t r e
ser v an t e et n on u n e d r y ad e. O u i , c ’est o u t r ecu i d an t
de m a p ar t , ce m o t - l à, n ’est - ec p as? M ai s c ’est
p o u r v o u s év i t er l a p ei n e d 'ém et t r e u n e b an al i t é...
c ar 'ÿot i s l 'av i ez su r l es l èv r es.
« Je p r éf èr e v o u s c o n ser v er m on am i t i é et v o u s
l ’eu ssi ez cer t ai n em en t p er d u e en m ’o f f r an t cet t e
ép i t h èt e !
— Q u an d cesser ez - v o u s d ’êt r e m o q u eu se? d i t - i l ,
p ar t ag é en t r e l e p l ai si r d e l a r en co n t r e f o r t u i t e et
!; v ex at i o n q u 'eû t r essen t i e t o u t h om m e d e son âge
en co n st at an t l a d ési n v o l t u r e d ’A g n ès à son en d r o i t .
— Je n e p eu x p as m ’en em p êch er ! C el a m e v i en t
à l a b ou ch e com m e l es p er l es à cel l e d e l a p r i n cesse
du co n t e d e P er r au l t . I l f au t v o u s d éci d er à
m ’accep t er com m e j e su i s.
E l l e ar t i c u l ai t c# t i av ec u n e g en t i l l esse d e p et i t e
fi l l e d ép o u r v u e d e t o u t e ar r i èr e- p en sée d e f l i r t , en
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
49
al l o n gean t l a m ai n p o u r f l at t er l ’ en co l u r e du ch evaL,
— Pr en ez g a r d e! fit v i v em en t k co m t e. V er
v ei n e est q u i n t eu se, el l e a ses n er f s, au j o u r d ’h u i .
— A h !... C ’ est co m m e m o i . Je m e sen t ai s t r ès
m al d i sp o sée; c ’ est p o u r q u o i j e m e p r o m èn e. N o u s
n o u s so m m es ég ar és ch ez vo u s... O h ! j e v o u s en
p r i e, n ’ en p r o f i t ez p as p o u r m e d i r e q u el q u e ch o se
d 'ai m ab l e... Je su i s d ét est ab l e ce m at i n . Si j ’av ai s
su v o u s r en co n t r er , j ’au r ai s p r i s u n au t r e ch em i n I
— M er ci ! d i t - i l en r i an t .
— A u j o u r d ’h u i , l e gen r e h u m ai n est p o u r m oi
u n fl éau . — C eci n ’ est p as u n i q u em en t p o u r vo u s.
— Je su i s en f r o i d av ec m a t an t e; l e ch at d e M ad y
m ’ a g r i f f é e ; j ’ai cassé m on v ap o r i sat eu r . J ’ ét ai s
én er v ée à m o r t , al o r s j e su i s so r t i e p o u r n ’êt r e
p as o b l i gée d e p ar l er ... et v o u s m e f ai t es d ép en ser
u n e f o u l e de p ar o l es o i seu ses, au m om en t où j ’ es
p ér ai s- v o i r seu l em en t v o s l ap i n s et v o s f ai san s,
p o u r l esq u el s i l eû t ét é i n u t i l e d ’êt r e p o l i e !
E l l e d éb i t ai t t o u t e cet t e t i r ad e d ’u n ai r b o u d eu r
et d r ô l e i r r ési st i b l e. H u gu es n e p u t co m p r en d r e si
el l e p l ai san t ai t o u n on .
— Je su i s au r egr et d ’ êt r e i m p o r t u n , d i t - i l , m ai s
il f au t cep en d an t m e p er m et t r e d e v o u s acco m p a
gn er , c ar j e v i en s d e r en co n t r er u n ét r an g er , u n
p ei n t r e...
A ces m o t s, A g n ès m o n t r a u n i n t ér êt so u d ai n ,
— 11 m ’a d em an d é l ’au t o r i sat i o n d e t r a v ai l l e/
d an s l a c l ai r i èr e du g r o s ch ên e. Co m m e vo u s ser ej(
o b l i gés d e p asser p ar l à p o u r r eg ag n er l a g r an d ®
r o u t e, j e p r éf èr e n e p as v o u s v o i r seu l e av ec cet
en f an t p o u r t o u t e p r o t ect i o n .
U n éc l ai r r ag eu r j a i l l i t d es p r u n el l es n o i r e»
d ’ A g n ès, p u i s s’ ét ei gn i t . E l l e r ép o n d i t , cér ém ®«
n i cu sc ;
i
— V o u s êt es m i l l e f o i s ai m ab l e d e v o u s d ér an ge*
p ou r m oi.
�5°
L ’I N F A N T
A
T .’E S C A R B O U C L E
A v e c u n a i r de r ei n e el l e se r em i t en m ar c h e;
l e co m t e av an ç ai t à ses cô t és, l a b r i d e d e sa j u m en t
p assée au b r as. Ren é co u r ai t d ev an t eu x , ef f ar o u
ch an t l e g i b i er , q u i s’en v o l ai t d an s l es t ai l l i s av ec
u n b r u i ssem en t ép er d u .
A g n ès r el ev ai t l a t êt e d ’ u n a i r d e d éf i ; H u g u es
l ’ o b ser v ai t , cu r i eu x , san s m ot d i r e... Q u e p o u v ai t el l e b i en a v o i r ? E l l e ét ai t si b i z ar r e et d éco n
cer t an t e, cel t e p et i t e am i e d e l a co m t esse, p é
t r i e d e co n t r ast es at t i r an t s et au ssi p ar f o i s e x a s
p ér an t s...
L e v en t f r ai s seco u a l a ci m e d es ar b r es. U n vol
d e f eu i l l es co u l eu r d ’o r p âl e se d ét ach a d es p eu
p l i er s, r et o m b a en p l u i e su r l a t er r e m o l l e d u
sen t i er .
— V o i c i d éj à l 'au t o m n e, d i t A g n ès j u sq u 'al o r s
si l en ci eu se. Je d ét est e cet t e sai so n ... ( " est t r i st e,1
n o st al gi q u e...
— I l y a, d i t l i j eu n e h om m e l en t em en t , u n e
d o u ceu r i n f i n i e d an s cer t ai n es t r i st esses. T o u t t e
qu i est t r ès b eau n 'est p as j o y eu x . V o y ez l a m u
si q u e! p ar ex em p l e : l a p l u s p ar f ai t e est en m i n ct l r .
M o i , j ’ai m e l a j o i e ! d écl ar a l a j eu n e f i l l e av ec
u n e so r t e d e v i o l en ce. J'ai m e l a g aît é, j e...
L e m ot se c assa n et . D ’u n gei j t c d i sc r et , H u gu es
l u i m o n t r a l e p ei n t r e i n st al l é d an s l a c l ai r i èr e.
U n e f l am b ée so u d ai n e co u r u t su r l es j o u es
d 'A g n ès. L 'a r t i st e, en t en d an t m ar ch er , r ed r essa l e
i r o n t . H se l ev a en v o y an t l e ch ât el ai n acco m p a
gn an t u n t f fem m e et sal u a. Sc s y eu x ad m i r at i f s se
p o sèr en t u n i n st an t su r l a p r o m en eu se, d ev en u e
r o:;e com m e sa r o b e, à l 'o m b r e d u gr an d ch ap eau
t r an sp ar en t .
M . d e V ah n o r d an c r en d i t l e sal u t ; A g n ès i n cl i n ,
l a t êt e. Il:- p as ¡èr en t .
— C est t r ès c u r i eu x , d i t H u g u es, j ’ai l 'i m p r es
si o n d 'av o i r v u ce g ar ç o n l à q u el q u e p a r t .. San s
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
5*
d o u t e est - ce u n e i l l u si o n d ’o p t i q u e : i l r essem b l e
b eau co u p à v o t r e i n f an t à l 'escar b o u c l e.
— Je n e l ’ ai p as r eg ar d é, d i t A g n ès, t r ès r ai d e.
I l s ét ai en t m ai n t en an t su r l a g r an d e r o u t e, t o u t
p r ès d e l a g r i l l e d u p ar c.
— P u i s- j e v o u s o f f r i r d e v o u s r ep o ser à l a m ai
so n ? d i t l e ch ât el ai n . M a m èr e d o i t d o r m i r en co r e,
m ai s m a t an t e et M u " Y v o n n e d es F a r g c s, qu i est
i ci d ep u i s h i er , ser ai en t ch ar m ées...
— M er c i n o n ! r ép l i q u a M ,11' d ’Et r u c h at d ’u n
accen t assez âp r e. Je r en t r e. A l l o n s, Ren é, v i e n s!
d i s ad i eu à M . d e V al m o r d an e.
C ér ém o n i eu se, p r esq u e go u r m ée, el l e t en d i t l a
m ai n au j eu n e h om m e* * | i i c1qu e p eu su r p r i s et s’en
fu t .
H u g u es se r em i t en sel l e et fit v o l t er sa m o n t u r e.
A g n ès l e r eg ar d a sc d i r i g er au gal o p v er s l e p ad
d o ck , p u i s el l e m u r m u r a, r an cu n i èr e :
— C e q u ’i l peut êt r e d ésagr éab l e, c el u i - l à!
Ren é n e co m p r i t p as d u t o u t et v r ai m en t i l ét ai t
e x c ü Sa b l e .
M i g u el d ’Et c h eb ar r am av ai t v u s’ él o i g n er l e l i eu
t en an t et M " ' d’E t r uc h a t av ec l a p en sée i n év i t ab l e
ch ez t o u t h om m e ap er c ev an t u n e au ssi r av i ssan t e
p er so n n e esco r t ée p ar u n b eau c av al i er : « P o u r
qu oi l u i et p as m oi ? »
So n ar d eu r au t r av ai l t om b a su r - l e- ch am p . I l est
d ésag r éab l e d ’êt r e t r o u b l é en p l ei n e i n sp i r at i o n . M i
gu el j u g e a t ou t à co u p son aq u ar el l e l am en t ab l e;
i l co n si d ér a d ’ u n œi l i r r i t é l e ch ên e q u ’ i l s’ ef f o r c ai t
d e r ep r o d u i r e et , d ’ un gest e sec, f er m a son b l o c.
A p r ès cel a, ch o se i n ex p l i c ab l e, il so u r i t , al l u m a
u n e. c i g ar et t e et r éf l éch i t l o n gu em en t en ap p u y an t
l a t êt e co n t r e u n t r o n c d ’ ar b r e.
V r ai m en t , l ’ ex i st en ce ét ai t t i ssée d ’ i m p r év u ... U n
an p l u s t ô t , si on l u i av ai t p r éd i t ce q u i al l ai t
a r r i v e r , i l n e l ’au r ai t p as c r u ; et m ai n t en an t , ù
�52
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
o n l u i av ai t an n o n cé q u 'i l r en co n t r er ai t , à Sai n t Jean - d e- L u z , M ar c T ast av o i n e, son an ci en « co
p ai n » d u co l l ège, et v i en d r ai t v i l l ég i at u r er ch ez
cet an gl o m an c i n v ét ér é, i l eû t ét é b i en su r p r i s.
... En v ér i t é, c’ ét ai t u n bon cam ar ad e, ce v i eu x
M ar c !... O u i , u n t r ès b o n et o b l i gean t g ar ç o n ...
p eu t - êt r e ser ai t - i l p o ssi b l e d ’em p l o y er o r t t e d i sp o
si t i o n n at u r el l e à l a co m p l ai san ce p o u r (Obtenir
d ’êt r e i n t r o d u i t eb ez l a t an t e d e cet t e ex q u i se
M " p d 'Et r u ch at qu i sc p r o m en ai t d an s 1r s b oi s
av ec son p et i t f r èr e, j u st e au m o m en t où l u i - m èi n e,
M i g u el , t en t ai t d e f ai r e u n e a i i t ar el l e d u Ch ên e
d u T èm p l i cr .
C e ser ai t d él i c i eu x d e t r av ai l l er av ec u n p ar ei l
m o d èl e.
•T
Su r cet t e p en sée, l e p ei n t r e- am at eu r se r el ev a
r .t „ san s h ési t er , au cr o i sem en t ’ d es al l ées i o r c si ' t . s , p r i t l a d i r ect i o n de» l a r o u t e. Rel i é av ai t
é i " r p i l l é l e p ap i er d ’ét ai n d e so n ch o co l at t o u t l e
l o n g d u sen t i er . L ’ i n d i v i d u l e p l u s ‘ b o r n é au r ai t
r eco n n u l e ; t r ac es du p assad e de ce p et i t g ar ç o n ,
p ar co n séq u en t "îl e l a b eau t é en r o b e r o se.
... A u t an t A ; n è s av ai t m i s d ’en t r ai n à f ai r e l e
t r a j e t d u d ép ar t , au t an t el l e r al en t i t l ’al l u r e p o u r
c el u i d u r et o u r . I .a p er sp ec t i v e d e r et r o u v er ch o ses
et gen s, l es f l eu r s, l es l i v r e - l es co u ssi n ; p ou pé . et
t an t e F él i c i e à l eu r p l ace, l u i m et t ai t l e n er f s à
f l eq r d e p eau .
M i gu el d r .t ch eb ar r at j j , au co n t r ai r e, m ar ch ai t
g r an d s p as. r ap i d es. C eci am en a u n e n o u v el l e r en
c o n t r e en t r e l a j o l i e sccur , l e p et i t f r èr e et l e p ei n t r e,
j u :.t c av an t l es p r em i èr es m ai so n s du v i l l ag e.
En v o y an t en co r e l 'i n co n n u cr o i sé p r écéd em
m en t , Ren é p r o n o n ça d ’u n e v o i x c l ai r e et d i st i n c t e:
A ;;n ès ! C ’est l e m o n si eu r d e ¿oui à l ’ h eu r e...
C 'est v r ai , M . do V al m o r d an e -/ <i r ai so n , il est
p r esq u e p ar ei l à t on i n f an t .
�L ’ I N F A N T A L ’ E SC A R B O U C L F
53 *
♦
L e m o n si eu r ai n si d ési gn é n e p u t r et en i r u n
so u r i r e et se cr u t au t o r i sé à u n d eu x i èm e sal u t .
A g n ès so u r i t au ssi , ch o se t r ès i n c o r r ec t e. So n
v i sag e sem b l a s’ i l l u m i n er ; ses y eu x , t o u t à l ’h eu r e
m au ssad es, d ev i n r en t i n f i n i m en t d o u x .
T r è s d i gn e, t ou t à f ai t m at er n el l e, el l e sai si t l a
m ai f l d e son f r èr e ut s’él o i gn a.
Et c h eb ar r am r ev i n t à l a T l t i i i l i èr c d an s u n ét at
d ’ ex c i t at i o n ex t r ao r d i n ai r e. 11 t r o u v a M . T ast av o i n c l e p èr e, ses l u n et t es su r l c n ez , cu ei l l an t dos
p o i r es p o u r l e d esser t .
D an s l 'esp r i t d e ce d i gn e h om m e, cel a f ai sai t
p ar t i e d es p l ai si r s d e l a cam p agn e.
M i g u el éch ap p a au x m ai n s d e M m* T ast av o i n e,
(1v i r e u se d e l ui o f f r i r u n r ég al d e 1 '. S. F . I l m o n t a
d an s sa ch am b r e so u s p r ét ex t e d e co r r esp o n d an ce,
et , en f ai t , i l n e m en t ai t p as. C ar , o u t r e u n e l et t r e
assez b r èv e ad r essée à M . d ’Et ch eb ar r am - C o u z an c c,
r u e d e C ast r i es à L y o n , i l en r éd i g ea u n e au t r e,
t r ès l o n gu e, et l ’en f er m a av ec so i n d an s l a p o ch e
i n t ér i eu r e d e so n v est o n , com m e s’il n ’ eû t p as v o u l u
l ai sser v o i r au d o m est i q u e c h ar g é d u c o u r r i er l e
n om t r acé su r l ’ en vel o p p e.
L a cl o ch e d u d éj eu n er , so n n an t à t o u t e v o l ée, l e
r am en a au p r ès d e ses am p h i t r y o n s. C eu x - c i
n ’ o sèr en t p oi n t l ui d em an d er de qu el cô t é il av ai t
p l an t é son c h ev al et ,«de p eu r d e m an q u er au co d e
- Je r éser v e b r i t an n i q u e ch er au j eu n e M ar c . M i gt t cl
l eu r fit b i en ' p l ai si r en p ar l an t d e l ’am ab i l i t é av ec
l aq u el l e l e com t e de V al m o r d an e l ’ av ai t au t o r i t é
à p ei n d r e su r ses t er r es. I l s cr u r en t êt r e i n t r o d u i t s
eu x - m êm es au ch ât eau .
—
I l se p r o m en ai t , co n t i n u a E t c h eb ar r am , av ec
M " " d ’ E t r u c h at et u n p et i t gar ço n ... || cst j r ,] ^ cc
m i o ch e, m ai s el l e, su r t o u t , est r av i ssan t e. E l l e a u n
t y p e t r ès m ar q u é. Si v o u s l a co n n ai ssez , p o u r r i e?.v o u s m ’o b t en i r l a f av eu r d e f ai r e d ’el l e u n e ét u d e?
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T / I N F A N T A T / F.SC A R B O U C L E
%
Po u r u n r i en l es T ast av o i n e l ’eu ssen t r em er ci é.
M ai s l e v o i l à, l e m o yen d ’êt r e r eçu au M a s d u
C a v a l i er !
— I l f au d r a, d i t l e g o u v er n eu r , en p ar l er t an t ô t à
l a b ar o n n e de Go n sen h ei m . C es d am es son t i n t i m es.
— B o n ! d i t Et ch cb ar r am gaîm en t . Je m ’«n r ap
p o r t e à v o u s, M ar c. A r r an g c a- m o i ça, v o u s ser ez
gen t i l ... Je n e v o u s o u b l i er ai p as su r m on t est am en t !
L e r i r e d e M . T ast av o i n e éc l at a com m e u n e f an
f ar e. M ar c eut u n p et i t r i can em en t sec q u ’il cr o y ai t
t r ès d i st i n gu é. L éo n , i n sen si b l e, se p l o n gea d an s
scs œ u f s à l a n ei ge. M 1" T ast av o i n e av ai t t en u à
co n f ect i o n n er el l e- m êm e ce p l at d o u x . E l l e l e
t r o u v a m an q u é et , p o u r un r i en , en eû t v er sé d es
l ar m es.
A ci n q h eu r es, l a b ar o n n e D u p o n t d e G o n sen
h ei m d ai g n a v en i r b o i r e l e t h é d e scs v o i si n s.
E l l e av ai t r éu ssi à en t r aîn er d eu x am i es. L ’u n e
n e d i sai t p as u n m ot . I / a u t r e r éd u i sai t t out l e
m on d e au si l en ce.
L l l c co n n ai ssai t l a t er r e en t i èr e et sc p r en ai t
p o u r u n e gr an d e v o y ag eu se, ay an t p assé un h i v er
à T u n i s. Er . l ’en t en d an t p r o n o n c e r : « L o r sq u e
n o u s f û m es en T u n i si e ...» scs m ei l l eu r s am i s Se
ser ai en t co t i sés p o u r l u i o f f r i r u n n o u v eau b i l l et d e
p aqu eb ot .
M " ’ d e Go n sen h ei m n ’a v ai t , r i en p u t r o u v er de
m i eu x à d o n n er au x T ast av o i n e. C eu x - c i , c o m m e.,
d es gl o u t o n s, s’en r égal èr en t .
Pen d an t l e r éci t du séj o u r en A f r i q u e d u N o r d ,
l a b ar o n n e d ép l o ya t o u t es ses g r âc es en f av eu r d e
l ’am i du fi l s d e l a m ai so n .
M i gu el d L t eh eb ar r am l u i f u t , su r - l e- ch am p , i n
fi n i m en t sym p at h i q u e. E l l e l e t r o u v a i n t el l i gen t ,
t r ès d i st i n gu é et si j o l i gar ç o n !...
h l l c l u i [ M i s a d i s c r è t e m e n t p l u si eu r s q u est i o n s
su r sa f am i l l e, ap p r i t qu e l e j eu n e h om m e, s’i l av ai t
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C I / E
5S
p er d u scs p ar en t s, p o sséd ai t en co r e sa g r an d ’m èr e
m at er n el l e. C el l e- c i h ab i t ai t l 'E sp ag n e, où h t im êm e f ai sai t de l o n gs sé j o u r s; l e r est e d e son
t em p s s’éco u l ai t d an s l e G u i p u z co a, où il co n ser
v ai t p i eu sem en t sa v i ei l l e m ai so n an cest r al e. D e l à,
i l s p assèr en t au co n sei l l er d ’ Et ch eb ar r am - C o t i z an ce,
d on t M i gu el p ar t ai t av ec u n en t h o u si asm e q u i t en d
à se r ar éf i er ch ez l es n ev eu x . M ""' de Go n sen h ci m
fit ch o r u s et d écl ar a l e m ag i st r at u n h om m e v r a i
m e n t ch ar m an t .
L ’i n t er v i ew su r l es al l i an ces ay an t p r i s fin, l a
b ar o n n e i n t er r o g ea M i gu el su r ses go û t s et ses
ap t i t u d es. Il se d écl ar a sp o r t i f et t r ès m au v ai s
p ei n t r e. L à- d essu s, M ar c se m êl a à l a co n v er sat i o n :
— M o n am i t i îose p a s,v o u s d i r e, M ad am e, son
d ési r
de
t en t er
une
ét u d e
d ’ ap r ès
M "”
A g n ès
d ’I ît r u ch at . I l l ’a .r en co n t r ée ce m at i n au co u r s
d ’ u n e p r o m en ad e.
— M ai s cer t ai n em en t ! s’ ex c l am a l a b ar o n n e. M a
p et i t e am i e n e r ef u ser a p oi n t d e p o ser . — E l l e m i
n au d a. — Je m et s u n e co n d i t i o n . M o n si eu r : V o u s
m e r éser v er ez u n e r ép l i q u e d e son p o r t r ai t .
— M ad am e, d i t M . d ’E t c h eb ar r am av ec u n t r ès
gr an d ai r , l ’o r i g i n al ser a p o u r v o u s... Je v o u s d e
m an d er ai seu l em en t l a p er m i ssi o n d 'en p r en d r e
u n e co p i e.
S ’ il ét ai t sat i sf ai t , M m” d e Go n sen h ci m l e f u t
b i en d av an t ag e. E l l e ét ai t f o r t m ar i eu se, ét an t ab
sol u m en t i n o ccu p ée. C et t e i n sp i r at i o n l u m i n eu se l u i
vi n t :
— M ai s v o i l à u n m ar i t o u t i n d i q u é p o u r A g n ès !
F él i c i e, l ’ i m p r év o y an ce m êm e, n e v er r ai t p as v i ei l
l i r sa f i l l eu l e, el l e l a l ai sser ai t m o n t er en g r ai n e si
j e n ’ y v ei l l ai s p as... C e j eu n e h om m e est f ai t p o u r
cl i c. A v an t si x m oi s j e v eu x l e ; av o i r m ar i és 1
�56
L ’I N F A N T
A
I .’E SC A R B O U C L F
VI
G r âc e au b i en v ei l l an t p at r o n ag e de M ""- d e Go n sen h ei m , M i gu el d 'Et c h eb ar r am d ev i n t , en m o i n s
d ’u n e sem ai n e, l ’u n d es p l u s b eau x o r n em en t s du
p et i t cer cl e j eu n e d e B o u r g - Sai n t - A u l e.
O n l e d écl ar a san s t ar d er un ch ar m an t gar ço n .
I l ét ai t p ar f ai t em en t b i en él ev é, g ai , ex cel l en t e
r aq u et t e au t en n i s, d an seu r i n co m p ar ab l e com m e
t o u s scs co m p at r i o t es. A son ex t ér i eu r séd u i san t
il j o i g n ai t d es q u al i t és m o r al es so l i d es et m o n t r a,
p ar q u el q u es p h r ases i n ci d en t es, q u ’i l p r en ai t l a v i e
au sér i eu x et n e co n si d ér ai t p oi n t l ’ex i st en ce
com m e d ev an t êt r e u n i q u em en t v o u ée au p l ai si r .
L es T ast av o i n e assi st ai en t au t r i o m p h e d e l eu r
h ôt e com m e au t r av er s d ’ un t él esco p e. C e sp ec
t acl e l eu r ét ai t f o u r n i d e l o i n , m ai s, ch o se cu r i eu se,
i l s n e s’ap er c ev ai en t p oi n t q u e M . d ’ Et ch eb ar r am *
au l i eu d ’êt r e l an cé p ar eu x d an s l a b on n e so ci ét é
l o cal e, s’ét ai t i n t r o d u i t t o u t seu l et n e l es p r ésen
t ai t p as.
L es p r o p r i ét ai r es de l a T h u i l i èr e eu ssen t ét é
bi en em p êch és d ’ex p l i q u er p ar qu el so r t i l ège ce
p h én om èn e s’ét ai t p r o d u i t , car , t ou t ét o u r d i s p ar
l a d ési n v o l t u r e gai e de M i g u el , éb l o u i s, f asci n és
p ar so n ai san ce m o n d ai n e, scs m an i èr es r af f i n ées;
an n i h i l és, en o u t r e, p ar l a v o l o n t é d e f er cach ée
so u s l es al l u r es n o n ch al an t es d u Basq u e, l es T ast av o i n es, d o ci l cs co m m e au t an t d ’ag n eau x , au r ai en t
p assé p ar l e t r o u d ’ u n e ai g u i l l e en d i san t m er ci .
I ît ch cb ar r am ét ai t d e ces êt r es p r i v i l ég i és qu i ,
d ès l es p r em i er s i n st an t s, i n sp i r en t l a sym p at h i e.
11
n ’av ai t p as eu b eso i n d e p r i er M ""' de Go n seu -
�I . ’T N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C ï / E
57
l i ei m d e l e m et t r e en r el at i o n s «ivcc ses am i s. L ’ex [ ccl l en t e b ar o n n e ét ai t t r o p f i èr c d ’a v o i r cet ad m i
r ab l e gar ço n à m o n t r er .
I San s at t en d r e, el l e l e p r ésen t a à l a co m t esse de
V al m o r d an e com m e el l e l ’ eû t f ai t d ’u n p ar en t , en
.aj o u t an t en t r e d eu x p o r t es son d ési r d e l u i f ai r e
l ep o u ser A g n ès d ’ Et r u c l i at .
M " ”’ de V al m o r d an e se m o n t r a i n f i n i m en t g r a
ci eu se. M i gu el l u i av ai t p l u su r - l e- c h am p ; en su i t e,
n i ai s ceci ét ai t d ’ u n e r ai so n d ’o r d r e p l u s i n t i m e,
¡el l e r ed o u t ai t p ar - d essu s t o u t d e v o i r H u g u es p r i s
à f o n d p ar l a sp i r i t u el l e A g n ès.
V o y an t sou fi l s ch er ch er t o u t es l es o ccasi o n s de
so r t i r , cl i c p en sai t , t r ès ef f r ay ée :
> — I l veu t r en co n t r er A gn ès. S ’ il s’en ép r en d , ce
r scr a l e m al h eu r d e sa v i e.
C et t e p en sée l u i fit ac c u ei l l i r M i gu el d ’ Et ch cj b ar r am co m m e u n en v o y é de l a Pr o v i d en ce, i L a
»com t esse su t am en er l a co n v er sat i o n su r A g n ès
I d ’E t r u eh at et l a v an t a d ’u n coeur si n cèr e.
M m* d e Go n sen h ei m n a¿£ai t d an s l a f él i ci t é, c ar
i c l l c se p r en ai t p o u r u n e t an t e d e son can d i d at ... 11
l a v a i t de si b eau x y eu x , u n e co u p e d e f i gu r e p n r I f ai t e et t an t d ’ég ar d s p o u r l es f em m es âg ées!
En u n m ot , u n e p er f ect i o n .
A u r et o u r d e cet t e p r em i èr e v i si t e, M ""' D u p o n t
I d c . Go n sen h ei m av er t i t son j eu n e co m p agn o n q u ’ il
•av ai t f ai t l a co n q u êt e de t o u s l es V al m o r d an e, en
l aj o u i a n t , ai m ab l e :
— C el a n e m e su r p r en d p as.
M . d ’ E t c h eb ar r am n e d ev ai t p as co m p t er l a f a
t u i t é au n o m b r e d e scs i m p er f ect i o n s. I l r ép l i q u a
t r ès si m p l e :
— O n est f o r t accu ei l l an t p o u r m o i i ci , m ai s
5 c’ cst g r âc e à v o t r e bon t é, M ad am e; j e v o u s en su i s
m i l l e f o i s r eco n n ai ssan t .
L,es T ast av o i n c , si d ér és, ap p r i r en t p ar l a r u m eu r
�a B M
5S
L ’I N F A N T
A
r .’ F.SC A 'R B O l T C L E
1
p u b l i q u e l ’ i n t r o d u ct i o n d e l eu r am i au ch ât eau .
I l s en r essen t i r en t p r esq u e d e l ’o r gu ei l .
M ’"* T ast av o i n e l e d i t à scs b o n n es, cel l es- ci d e
m eu r èr en t i n d i f f ér en t es; M ar t i n e l ’ éc r i v i t à d eu x
ar fi i es m o i n s f av o r i sées au p o i n t d e v u e r el at i o n s;
l e go u v er n eu r l ’ ap p r i t à so n j a r d i n i e r en cu ei l l an t
d es ch assel as.
C e r u st r e se b o r n a à r d p o n d r c : « C el a se p eu t »,
m ai s, v i si b l em en t , il n ’ ét ai t p as t o u ch é.
M ar e, p l u s affi n é q u e sa f am i l l e, t r o u v a l a ch o se
t ou t d e m êm e un p eu su r p r en an t e : M '”* d e G o n sen h ei m au r ai t pu l e co n v o q u er au ssi .
Il fit p ar t de cet t e r em ar q u e à M i gu el l u i - m êm e.
Cel u i - ci r ép o n d i t av ec cal m e :
—
O u i , j ’ ai f ai t u n e v i si t e à M mc d e V al m o r d an e.
K l lu av ai t d em an d é qu e j e l u i -sois p r ésen t é... l i n
qu oi cel a m ér i t e- t - i l d 'êt r e m en t i o n n é, m on c h er ?
M ;} r c n ’ i n si st a p o i n t . I l se r et i r a en b r ed o u i l l an t
u n e v agu e ex cu se.
... l .a co m t esse m i t à p r ofi t u n e co u r t e ab sen ce]
d e son fil s p o u r co n v i er en m êm e t em p s A g n ès
d 'K l r u c h at et M . d T .t ch eh ar r am à v en i r can o t er
su r l a r i v i èr e.
A g n è s co n n ai ssai t t o u t es l es cu r i o si t és d u d o
m ai n e p o u r y av o i r j o u é p et i t e fi l l e et lit l es h o n
n eu r s d u t er r ai n de g o l f , du t en n i s, d es t r o i s il c i
h M i g u el d ’ K t ch eb ar r am .
I l s p assèr en t ^ d es h eu r es d él i ci eu ses su r lu.’>
ét an gs. L a b ar o n n e, cr ai n t i v e, r ef u sai t d 'em b ar
q u er . L e j eu n e h om m e et son ai m ab l e gu i d e se di *j
f i g eai en t seu l s v er s l es îl es de l a r o ser ai e, dtf
v e r g er ou d es ch ar m i l l es en d i san t f o i m en t , con n u «
d es en f an t s, q u ’ i l s al l ai en t se p er d r e; M "‘* d e 0 .>nsen h ei m ét ai t t ou t h eu r eu se, m ai s eu x b i en da*
v an t ag e.
O u b l i an t
l a f u i t e d u t em p s, i l s d em eu r ai en t
p l u s t ar d p o ssi b l e et
r ev en ai en t
i
r egr et
le
v er » 1°
�L ’I N F A N T
A
T / E SC A R B O U C L E
59
ch ât eau , en r em ar q u an t l e so l ei l p r êt à d i sp ar aît r e
d an s l e p o u d r o i em en t d ’o r d u co u ch an t .
M " " de V al m o r d an e, l es v o y an t en sem b l e, sou r >ait d e son d él i ci eu x so u r i r e u n p eu t r i st e, m ai s
s> d o u x. V r ai m en t , ces d eu x êt r es- l à av ai en t ét é
Créés et m i s au m on d e l ’ un p o u r l ’au t r e.
M "” d e Go n sen h ei m , en h ar d i e p ar ce p r em i er
su ccès, c ar l 'ap p u i de l a co m t esse ét ai t u n e gr an d e
ch ose, v o u l u t p r esser l e m o u vem en t . F él i c i c d ’ E t r u chat r ef u sai t , av ec u n e o b st i n at i o n i n co m p r éh en
si bl e, d e r ecev o i r M . d ’ Et ch cb ar r am ; ch b i en ! on
al l ai t l e l u i i m p o ser . E l l e au r ai t cep en d an t assez
de sav o i r - v i v r e p o u r n e p as j e t er l e j eu n e h om m e
“
hi p o r t e !
I -éon ie sou m i t son p r o j et à son
f r èr e et à sa
b el l e-sœu r . Pau l i n se t u t sel o n sa co u t u m e; Ph i ü p p a d o n n a son ap p r o b at i o n san s m au gr éer . C ’ét ai t
Un v ér i t ab l e t r i o m p h e.
L a b ar o n n e en v o y a un
b i l l ot
p ar
ex p r ès à l a
T h u i l i ïr c .
M . d ’ Et ch eb ar r am
l u t l es q u at r e l i gn es t r acées
su r K- car t o n p ar f u m é et d i t :
—
Je v ai s ce so i r au M a s d u * C a v a l i er
av ec
M " ” d e Go n sen h ei m et son f r èr e.
L es T ast av o i n e, d r essés à l ’o b éi ssan ce, n e b r o n
ch èr en t p as, et M ar c fit co m m e l es au t r es.
M . d 'Et ch eb ar r am p r i t d o n c p l ace t ou t seu l d an s
l a v o i t u r e an t éd i l u v i en n e d e M . Ro ch eb el l e. A u
m i l i eu d es i n f er n al es ex p l o si o n s p r o d u i t es p ar cet
en gi n , M ”“ d e Go n sen h ei m t en t a d ’ex p l i q u er co m
m en t M " * d ’ Et r u ch at r ec ev ai t p a r f o i s l e sam ed i ,
ap r ès l e d în er , q u el q u es i n t i m es. O n cau sai t , on
f ai sai t d e l a m u si q u e.
M i j îu cl n e com pr i t p as d u t ou t a q u el g en r e d e
su p p l i ce il ét ai t r éser v é, p eu l u i i m p o r t ai t ; l ’essen
t i el ét ai t de p r en d r e p i ed d an s l a p l ace, de se f ai r e
ad m et t r e p ar l a t an t e d ’A g n ès, c ar i l g ar d ai t u n
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6o
so u v en i r
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L ’E SC A R Ü O U C L E
i m p ér i ssab l e d e sa p r o m en ad e d an s l es
ïl cs^ d c V al m o r d an c.
A h ! l es h eu r es d i v i n es p assées so u s l es c h ar
m i l l es, gr âc e à l a b i en v ei l l an ce d e l a co m t esse!...
M i g u el d ’ Et ch cb ar r am so u h ai t ai t à cet t e sai n t e
f em m e t o u s l es b o n h eu r s d e l a t er r e et d u ci el .
... L a v o i t u r e p r éh i st o r i q u e d e P au l i n Ro ch cb cl l c
co n sen t i t à s’ar r êt er j u st e d evan t " l a m ai so n n et t e
au x cap u ci n es. Q u el q u ef o i s, p r i se d e l u b i e, el l e
r ef u sai t de cesser sa co u r se.
M "" d e Go n sen h ei m m i t p i ed à t er r e, l e cœu r un
p eu b at t an t . A v an t d e f r an c h i r l e seu i l , el l e ch u
ch o t a cet av er t i ssem en t :
— F él i c i e est assez ... l u n at i q u e... J ’esp èr e q u ’ el l e
ser a ai m ab l e. M ai s si el l e v o u s p ar ai ssai t ... b r u sq u e,
n e v o u s f o r m al i sez p as. A u t o n d , el l e est t r ès
bon n e.
F.t ch eb ar r am
i n cl i n a l a t êt e san s r ép o n d r e.
M . R o c h c b c l l c ,'ef f ar é co m m e t o u j o u r s, l e p o u ssa
d evan t l u i en d i san t :
—
L n t r c z l e p r em i er .
M oi j ’ai t o u t l e t em p s!
A v ec u n e ai san ce p ar f ai t e, M i gu el p én ét r a d an s
l e sal o n : u n e assez v ast e p i èce t r ès si m p l e, d al l ée
d e c ar r eau x r o u ges à l a m an i èr e du p ay s, m eu b l ée
d e si èg es Rest au r at i o n en cr i n n o i r p ei n t de ( l eu r s
d es ch am p .;, d ev en u s ch ar m an t s p ar u n c ap r i c e îl e
l a m od e. Su r l a ch em i n ée, en t r e d eu x ger b es de
d ah l i as f u l g u r an t s, u n e p en d u l e m o n u m en t al e t r ô
n ai t . U n e l \ i r q u c en co st u m e L o u i s X I V , c o i l f f c
en f o n t an ges et ser r ée d an s u n co r ; cl et à r u b an s,
f i l ai t sa q u en o u i l l e d es d est i n ées h u m ai n es au - d e . mis
du cad r an d cm it il bl eu . C e r ap p el d e l a b r i èv et "
de l a v i e au r ai t pu êt r e d ésag r éab l e; M " * d ’ U t r u ch at ai m ai t bi en sa L 'a r q u e et l a r eg ar d ai t t o u j o u r s
am i cal em en t l o r sq u e l es h eu r es so n n ai en t .
D ev an t M i gu el , l a b ar o n n e, h al et an t e, s’a^ m ça.
K l l e r ed o u t ai t u n e cer t ai n e f r aî c h eu r d 'a c c u e i l
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I l y a v ai t d éj à t r o i s d am es. L a m u et t e, l a T u n i
si en n e et u n e t r o i si èm e, d ép o u r v u e d e t o u s si gn es
Par t i cu l i er s. C ’ét ai t l a t an t e d e B er n ar d d es F ar g c s,
v en u e l à av ec so n ch er n ev eu .
L ’ai m ab l e en f an t « m o n t a i t » u n e n o u v el l e co m
b i n ai so n . A u m o yen d e l ’ar g en t ex t o r q u é à son
co u si n , i l av ai t acq u i s u n e m o t o cy cl et t e a v ec ce
r ai so n n em en t su b t i l : « C ’est u n i n st r u m en t d an ge
r eu x . P o u r em p êch er ma. m o r t , t an t e Y v o n n e v a
r em p l acer cet o u t i l p ar u n e co n d u i t e i n t ér i eu r e. »
A l ’en t r ée d es n o u v eau x v en u s, l es co n v er sat i o n s
cessèr en t . A g n ès o u b l i a d e t aq u i n er B er n ar d ; l es
d ai n es se l ev èr en t p o u r l a b ar o n n e et M " * F él i c i e
sai si t son f ac e- à- m ai n p o u r ex am i n er M i gu el av ec
un«: st u p eu r v ér i t ab l e.
M 1" ' D u p o n t d e Go n scn h ei m ar t i c u l a l e p l u s b r a
vem en t p o ssi b l e :
.
— B o n so i r , m a ch èr e.
— O u i . B o n so i r 1 j e t a l a t an t e d ’ A g n ès av ec u n
cer t ai n c o u r r o u x .
— N o t r e ch ar m an t ai f l i , M . d ’ Et c h eb ar r am , a
d ési r é... il so u h ai t ai t ... n ou s...
—' J e v o u ü p r ésen t e m es h o m m ages, M ad em o i
sel l e, p r o n o n ça l e j eu n e h om m e en s'i n cl i n an t
Com m e u n f g r an d d ’ E sp ag n e d ev an t l a r ei n e.
— M o n s i e u r ! c o m m e n ç a M " * d ’ E t r u c h at — 'e l l e
s ’ a r r ê t a , d ém o n t ée p o u r l a p r e m i è r e f o i s t i c sa
v i e. — j e su i s e n c h a n t é e ... c ’est - à- d i r e : j e su i s
Su r p r i se !... A s s e y e z - v o u s !
M ig u e l s o u r it :
— Je vou s d em an d er ai au p ar av an t l a p er m i s
si o n d e m et t r e m es r esp ect s a u x p i ed s d e ces d am es.
— I l a u n ap l o m b ! p en sa F él i c i e su f f o q u ée. —
E l l e co n cl u t , t r ès b r u sq u e : — F a i t e s co n n u e v o u s
V ou d r ez !
A i l l eu r s, l ’assi st an ce eû t ét é p ét r i f i ée d 'et o n n e« îen t , m ai s l a b on n e d em o i sel l e ét ai t co n n u e p o u r
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6a
n e r i en
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f ai r e co m m e t o u t l e m o n d e. O n se r em i t
à p ar l er l e p l u s v i t e p o ssi b l e.
M m” d e Go n sen h ei m v i t av ec d él i ces M i gu el s’ i n s
t al l er san s h ési t er au p r ès d ’ A g n ès. C et t e f o i s,
c ’ ét ai t f ai t , F él i c i e av ai t av al é l a p r ésen ce d e l ’ ad
m i r at eu r d e sa n i èce.
B er n ar d ét ai t f o r t m éco n t en t . I l v o u l ai t t en i r l e
p r em i er r an g p ar t o u t . C e so i r , H u g u es l es av ai t
d éb ar r assés d e sa p r ésen ce, i l f a l l a i t v o i r su r g i r
cet ét r an g er d o n t t ou t B o u r g - Sai n t - A u l e s’ét ai t
en t i ch é. Q u el l e m al ch an ce !
I l l an ç a i i n co u p d ’œi l f o r t p eu am èn e à M i g u e l ;
ccl u i - ci n e p ar u t m êm e p as s’en a p er c ev o i r ; il ét ai t
t r o p occu p é à r eg ar d er A g n ès.
« F él i c i e v a l e r em ar q u er » , p en sa M " ' d e Go n
sen h ei m e f f r a y é e ; et , p r o m p t em en t , p o u r o b l i g er
l e j eu n e h om m e à ch an g er de p l ace, el l e d em an d a :
— A u r o n s- n o u s u n p eu d e m u si q u e ce so i r ?
— C ’ est cel a, fit B er n ar d , d ’u n t o n t r ès cam a
r ad e. Jo u ez q u el q u e ch o se, A g n ès. L e G a z o u i l l e
m en t d u P r i n t em p s qu i e^ t p o u r m o i seu l .
L e s so u r ci l s b r u n s d e M i g u el se r ap p r o ch èr en t .
A g n ès r ép l i q u a, d an s u n so u r i r e i m p er t i n en t :
— • Q u an d i l n ’ y a p o i n t d ’au t r es p er so n n es, v o u s
êt es seu l à j o u i r d e m on i m m en se t al en t , m ai s
c e l a 'n e v eu t p as d i r e p l u s, v o u s sav ez !... M o i , j e
p r éf èr e en t en d r e M . Ro ch eb el l e.
C ’ ét ai t b i en p o l i , en v ér i t é.
M . Ro ch eb el l e j o u ai t d u v i o l o n d an s ses h eu r es
d e l o i si r et t o u j o u r s l e m êm e m o r ceau , u n cer t ai n
p assag e d e M a î t r e P a t h el i n , a u x p ar o l es si m p l es
au t an t q u ’ex p r essi v es :
V o i l à, v o i là ce q u e je v eu x vo u s d ir e.
M a i s, h é l a s ! j ’a i t r o p p e u r d e v o u s.
C h acu n , i c i , co n n ai ssai t l a f r ay eu r i n v i :: îb l e i n s
p i r ée p ar M “ * P h i l i p p a à so n d o ci l e ép o u x . M ai «
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63
011 n ’av ai t p l u s l e co u r ag e d e r i r e, t an t on ét ai t
ex céd é p ar M a ît r e P a t h el i n .
— Jo u ez m on p et i t ai r , A g n ès, i n si st a B er n ar d .
V o u s n e v o u l ez p as m e f a i r e p l ai si r ?
—
N o n , d i t - el l e, j e
n ’ ai
ab so l u m en t
p as en v i e
de v o u s f ai r e p l ai si r .
11 se r ap p r o ch a, essay an t d e l u i p r en d r e l a m ai n .
A g n ès r ecu l a su r l e can ap é.
— V o u s êt es en co r e f âc h ée p ar ce q u e j e n ’ ai
Pas v o u l u ad m i r er v o t r e t o i l e d e l ’éco l e esp ag n o l e?
— A h ! c’est v r a i ! i n t er r o m p i t M " ° d es l / ar g es,
j u g ean t à p r o p o s d e se m êl er à l a co n v er sat i o n .
C ’ est t o u t à f ai t am u san t , cet t e h i st o i r e, q u e m ’a
c°n t ée B er n ar d , d ’u n p o r t r ai t q u i l u i r essem b l e.
— A l u i ! s’éc r i a A g n ès, l es y eu x c h ar g és
^ ’écl ai r s. O h ! m ai s l i o n !
L a t an t e i d o l ât r e co n t i n u a :
■— C ec i m ’a r ap p el é ces j o l i s v er s... t u l es d i s si
b i en ... t u sai s?...
B er n a r d d es F a r g e s, r av i d e m o n t r er ses p er
f ec t i o n s’ s'ex éc u t a. F au t e d e m i eu x , i l av ai t cu l t i v é
l a d i ct i o n . D ’u i ^ ac c en t sav am m en t co n t en u , i l co m
m en ça, au m i l i eu d u cer cl e at t en t i f :
SrR
On
On
V S PORTRA I T
QV l
O n r et r o u v e se s, > e u x dans»
So u
U 't
l ’.ESSEMBl.K
il)
c r o i t t o u j o u r s q u 'o n r e c o n n a î t l ’ ê t r e q u ’ o n
l e c h e r c h e « t â t o n s d a n s l e s ‘ i d o l es p a ssé s,
nom
d an s Un
r o m an ,
s y e u x ef f ac és,
so n
c c eu r
d an s
un
ai m e,
p o èm e .
O n v eu t t o u jo u r s l e r at t ach er p ar q u el q u es t r a i t s
A u x c h o se s q u ’o n c h é r i t d e l ’a r t o u d e l ’ h i st o i r e .
V o i c i q u ’o n l e r e t r o u v e a u f o n d d e sa m é m o i r e :
I l r e sse m b l e à q u e l q u ’ u n q u i n e m o u r r a j a m a i s .
E t l ’o n v o u d r a i t q u ’ i l so i t p l u s a n c i e n q u e l u i - t u ê m e ,
A f i n d e p r o l o u g e i so n d e st i n l i m i t e .
K i c o m m e p o u r l ’u n i r a d e 1 i t c m i t é
O n c r o i t t o u j o u r s q u ’o n r e c o n n a î t l ’ ô t r c q u ’o n a i m e .
U n e ex p r essi o n
r ecu ei l l i e ad o u ci ssai t
U) D o m i n i q u e Sy l v ai r e.
l e vis«ig4
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64
A
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p i q u an t d ’A g n ès. A ses cô t és, M . d ’ Et ch eb ar r am ,
t r ès g r av e, éco u t ai t .
Su r l e d er n i er m ot , B er n ar d t o u r n a u n p eu l a
t êt e v er s A g n ès. I l f u t éb l o u i . Ja m a i s en co r e i l n e
l u i av ai t v u u n e ex p r essi o n sem b l ab l e, t en d r e, a r
d en t e.
I I f u t p r esq u e ém u l u i - m êm e.
L es au d i t eu r s l ’accab l èr en t d e co m p l i m en t s.
M . U o ch eb el l e l an ç a, co m m e un co u p de p i st o l et ,
cel t e p h r ase à l ’ i n t en t i o n f l at t eu se :
— Je n e v o u s su p p o sai s p o i n t sen si b l e à l a p oési e.
C e n ’ est p as d e vo u s, m ai s c’ est bi en d i t .
fit
,
A g n ès, en co r e t r o u b l ée. Je v o u d r ai s l es r el i r e.
M " * F él i c i e d ev i n t r o u ge co m m e u n e p i v o i n e.
— T o u t cel a, d i t - el l e sèch em en t , ce son t d es
so t t i ses! B er n ar d au r ai t p u se d i sp en ser d e n o u s
d éb i t er p ar ei l l es f ad ai ses, b o n n es p ou r t o u r n er l a
c er v el l e d es p en si o n n ai r es. L a v i e n ’ est p as u n
p o èm e, on n e ch er ch e p as d es y eu x ef f ac és et t ou t
—
V ous
me
d o n n er ez
ces
v er s,
B er n ar d ,
I
ce gal i m at i as st u p i d e ! L es p o r t r ai t s so n t d es p o r
t r a i t s! ... et si m a n i èce m ’éco u t ai t , el l e j et t er ai t cet
i n f an t au feu ... I l n ’ en m ér i t e p as p l u s.
L es y eu x d e l a j eu n e fi l l e f l am b èr en t de co l èr e.
B er n ar d l a r eg ar d a av ec b o n t é, com m e p o u r l u i
dire :
— C el a n e f ai t r i en . Je su i s l à, m o i , l ’o r i g i n al ,
I
1
I
j
M . d I v t ch eb ar r ai n éco u t ai t , si l en c i eu x , cet t e al p ar ad e i n co m p r éh en si b l e. M " * F él i c i e r ep r i t d ’ un
t on b o u r r u :
— M o i au ssi , j ’av ai s q u el q u e ch o se à v o u s d i r e,
à l i r e, p l u t ô t . D ep u i s q u el q u e t em p s j e m 'ad o n n e
au x l et t r es...
— Bo n n e i d ée, fit Pau l i n . A l a cam p agn e on
s’ en n u i e, al o r s ça d i st r ai t . Q u an d on n e p eu t f ai r e
m i eu x — i l se r ep r i t —
éc r i v ez v o s m ém o i r es?
f ai r e au t r e ch o se... V o u s
i
j
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65
— N o n ! d os r o m an s, j et a l a t an t e d 'A g n ès, t o u
j o u r s d e m éch an t e h u m eu r . Je v o u l ai s av o i r v o t r e
av i s.
■— Je su i s cer t ai n e..., co m m en ça l a b ar o n n e.
—
V ous
êt es
cer t ai n e
d ’êt r e
p o l i e!
i n t er j et a
M " " d ’ Et r u c h at , d éci d ém en t m al l u n ée. C el a, n u l
n ’r t i i gn o r e. M ai s v o u s n ’êt es p as sû r e d e l ’ i n t ér êt
o f f er t p ar m on o u v r ag e, p u i sq u e p er so n n e n e l e
co n n aît .
L à- d essu s,
el l e
m it
son
l o r gn o n
et
dit, ob li
gean t e : « V o u s p o u v ez f u m er . » E l l e f r ap p a
d eu x p et i t s co u p s am i c au x su r so n m an u scr i t en
aj o u t an t :
— V o y ez - v o u s m on t r a v a i l ? T o u t c e l a !
Pau l i n , e f f r a y é , év al u a m en t al em en t l e p o i d s d u
t as d e p ap i er s en g r am m es et k i l o s. I l l u i p ar u t
r ed o u t ab l e. I 'au d r ai t - i l t o u t i n g u r g i t er en u n e
séan c e? C el a d u r er ai t j u sq u ’à l ’au b e et Ph i l i p p a,
a"
r et o u r , f er ai t u n e b el l e scèn e.
I l se r en f o n ç a d an s sou f au t eu i l , r ési gn é.
M " ' F é l i c i e an n o n ça, l ’accen t au t o r i t ai r e :
— I .cs t r o i s v eu v es, o u l e b er l i n g o t m y st ér i eu x .
C e f u t u n e st u p eu r . O n sc r eg ar d a av ec an go i sse.
— L e ...? r ép ét a Pau l i n , i n t er l o q u é. C ’ est u n
co n t e fi e f ées? D an s m on en f an ce j ’ai m ai 3 bi en
Ça... m ai s j ’ai gr an d i .
I l éc l at a d e r i r e, t ou t l e m on d e l ’ i m i t a.
— V o y o n s! s’éc r i a M " * d ’ I i t r u ch at , v ex ée. V o u s
n e co m p r en ez r i en . I l n e s’ag i t p as d ’un bon b on ,
m ai s d ’u n e v o i t u r e. C et t e so r t e d e v éh i cu l e en
«sa«:c au d éb u t d u si èc l e d er n i er . L ’act i o n sc p asse
en
18 22.
L an cée co m m e u n b o u l et , M " * d ’ E t r u c h at d éf i
l ai t ch ap i t r es ap r ès ch ap i t r es. C ’ét ai t t el l em en t f o u
qu e, m al gr é so i , on ch er ch ai t à su i v r e l e fil d e
ce r éci t
g i n al i t é.
m ar q u é au
co i n
d e l a p l u s g r an d e o r i
336 - 111
�L ’I N F A N T
66
On
A
L ’E S C A R B O U C L E
a v al a d o u ze f r ag m en t s san s d éb r i d er . I l
y
a v ai t u n e p r o d i gi eu se q u an t i t é d e m o r t s d an s cet t e
h i st o i r e. Pau l i n t en t a d e f ai r e r em ar q u er sagem en t
q u e ce r o m an d ev en ai t u n ci m et i èr e. Pei n e i n u t i l e;
M " ' F él i c i e, i n f at i g ab l e, ap r ès av o i r t er m i n é l e
X I I b i s, an n o n ça : « C h a p i t r e X I V . »
B er n ar d se r éc r i a :
— Co m m en t q u at o r z e? M ai s o ù est l e t r ei z i èm e?
— 11 n ’y en a p as.
— A l o r s cel a n e se su i t p as !
— Si . I l f au t t o u t v o u s ex p l i q u er ! J ’ ai l ’h o r r eu r
d u n o m b r e t r ei z e; p o u r l ’év i t er , j e m et s : d o u ze b i s
et i m m éd i at em en t ap r ès : q u at o r z e. C ’ est t r ès
si m p l e ! ( i )
— A h ! f o r t b i en , fit M . Ro ch eb el l c, est o m aq u é
p ar cet t e t r o u v ai l l e. C ’est t o u t à f ai t r em ar q u ab l e.
V o u s êt es b i en d o u ée, Fél i c i e... et p u i s u n g o si er !...
p as l e m o i n d r e en r o u em en t !... et v o u s n e l i sez p as
t r o p f o r t . O n p o u r r ai t d o r m i r , j e v eu x d i r e r est er
là
d es
h eu r es
en t i èr es.
M al h eu r eu sem en t ,
n ou s
so m m es o b l i g es d ’ab an d o n n er cet ad m i r ab l e b er
l i n g o t — il r i t av ec f r ac as. — V o i l à n t i c b on n e
v o i t u r e!... p ar l ez - m o i de n o s p èr es p o u r sav o i r
c o n st r u i r e! Ja m a i s d e p an n e, j am ai s d e...
— Co m m en t ! s’éc r i a l ’au t eu r . M ai s il casse j u st e
au m o m en t ou 1l ec t o r et Sy l v i e p ar t en t en v o y ag e
d e n o ces!
A h ! o u i ... C ’est ex act : il casse. I l
a t o r t ...
Q u e v o u l ez - v o u s? r i en n ’est p a r f a i t ! ...
q u an d il t e p l ai r a? Je su i s à t es o r d r es.
—
L éo n i c,
I l se p r éci p i t ai t , sal u an t d e t o u s cô t és, ép o u v an t é
à l ’ i d ée de su b i r u n e n o u v el l e H an ch e de l ’ h i st o i r e
d e ces t r o i s v eu v es égal em en t i n al eh an f- ’c u ses.
M " ' d e C o n sen h ci i n
accab l a Kàon am i e d e
l o u an ges afi n d ’o b t en i r u n e i u v i t at i d t i p o u r 'M . d ’ Et -
[l)
A u t h en t i q u e.
-
*<J
.1’
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
67
ch cb ar r am , m ai s F él i c i c p r o n o n ça u n « ad i eu , M o n
si eu r ! » d ’u n e séch er esse ef f r ay an t e.
A g n ès p r o f i t a d es r ef u s d e l a m ach i n e d e M . Ro ch eh el l e p o u r g l i sser à M i g u el :
— N o u s n ou s r ev er r o n s ch ez
M ""- de
Go n
sen h ei m .
— E t à V al m o r d an c ? m u r m u r a l e j eu n e h om m e
en l u i b ai san t l a m ai n .
— O h ! n on , c ’est i m p o ssi b l e! H u g u es v a r ev e
n i r ... N o n , j e n e p eu x p as.
U n e f o i s l a m ai so n b l an ch e d i sp ar u e à l eu r s r e
gar d s, M . Ro c h eb c l l c p r o f ér a :
— F él i c i c est u n e bon ne; f em m e, m ai s sap r i st i !
Cc <|u’ el l e a pu êt r e em b êt an t e av ec so n bt r l i n r j o t l
« En co m p agn i e d ’u n e t o q u ée p ar ei l l e A g n ès
d oi t s’am u ser 1 P au v r e p et i t e I il f au d r ai t l a so r t i r
de l à.
— O u i , n ’est - ce p as, d i t M " * de Go n sen h ei m .
VT I
L e bel au t o m n e co n t i n u ai t à r esp l en d i r , co m m e
s’ il ;i v ai t v o u l u l ai sser d er r i èr e l u i u n so u v en i r
d ’i n co m p ar ab l c m agn i f i cen ce.
Sep t em b r e t o u ch ai t à ses d er n i er s m o m en t s;
ch aq u e so i r , l a n u i t v en ai t p l u s v i t e, d an s l e ci el
t ou t r o se, l es ét o i l es p o i n t ai en t co m m e d es cl o u s
d ’a r g e n t ; l es t r o u p eau x r eg ag n ai en t l e g ît e l en t e
m en t , d an s u n t i n t em en t g r êl e d e so n n ai l l es.
L es p q u p j j er s r essem b l ai en t à d e g i g an t esq u es
ci er g es d ’et f .;Jç p v en d an g eu r s r em p l i ssai en t l eu r s
co r b ei l l es d e j p u r d es g r ap p es n o i r es ou b l o n d es,
au x g r a i n s, al l f l p gés sem b l ab l es à d e f ab u l eu ses
o l i v es d ’ am b r e.
C ’ét ai t t r ès b eau , m ai s cc t t c p ér i o d e r ad i eu se
�//IN FAN T
A
L ’E S C A R B O U C L E
al l ai t ex p i r er . Ri en n ’ est p l u s d écev an t qu e l a fin
d es v acan ces. M êm e d an s l es j o u r n ées en so l ei l l ées,
so u s cet t e m er v ei l l eu se l u m i èr e d u M i d i , on sen t
l ’h i v er en m ar ch e. O n a p eu r , en so n gean t au
m o m en t d e cl o r e l a p o r t e d e l a m ai so n d ’ ét é, d e
m et t r e au cer cu ei l q u el q u e ch o se d ’ i m p o n d ér ab l e,
qu i ét ai t p eu t - êt r e l e b o n h eu r .
... A B o u r g - Sa i n t - A i l l e on s’ am u sai t ; l a j eu n esse,
su r l e p o i n t d e se d i sp er ser , sem b l ai t v o u l o i r m et t r e
l es b o u ch ées d o u b l es. M al g r é l es ef f o r t s de
M " ' d ’ E t r u c h at p o u r r et en i r sa n i èce au l o gi s,
A g n es se r en d ai t à t o u t es l es r éu n i o n s, so u s l e
c h ap er o n n age d e M ” ’ D u p o n t de Go n sen h ei m .
L a f i l l eu l e d e M " ’ F él i c i c p ar ai ssai t n e p as p o u
v o i r t en i r en p l ace. Sc s sœu r s l a t r o u v ai en t de
p l u s en p l u s d i f f ér en t e d e son p er so n n age eo u t u m i er . M ai n t en an t , A g n ès ch an geai t t o u t es scs h ab i
t u d es, n ég l i g eai t sa co r r esp o n d an ce à l aq u el l e,
j u sq u e- l à, m i l l e cat ast r o p h e n ’au r ai t pu l ’ar r ac h er .
E l l e n e r ec ev ai t p l u s, au ssi , l a l et t r e su r c h ar g ée
de t i m b r es, t r o u v ée ch aq u e m at i n d an s l a b oi t e du
c o u r r i e r ; p ar co n t r e, el l e se r en d ai t q u o t i d i en n e
m en t ch ez l a b ar o n n e, qu i s’ét ai t p r i se d ’u n e v é r i
t ab l e p assi o n p o u r sa p et i t e am i e.
M " d e Go n sen h ei m , d ’h u m eu r t r ès so ci ab l e, a i
m ai t l e m o n d e; av o i r cet t e b el l e j eu n e f i l l e à
p at r o n n er ét ai t u n bon p r ét ex t e p o u r assi st er
t o u t es l es m at i n ées d an san t es.
E l l e su t v ai n c r e l e m au v ai s v o u l o i r de M " * d ’ E t r u
ch at , en l u i r ep r ésen t an t co m b i en il ser ai t ag r éab l e
p o u r el l e d e p o u v o i r t r a v ai l l er en p ai x à scs su
p er b es r o m an s, p en d an t q u e sa n i èce, so i r écr éer ai t
d e son côt é.
A g n ès sc m o n t r ai t , d ep u i s q u el q u e t em p s, d ’ u n e
h u m eu r t el l em en t v ar i ab l e qu e l es si en » en ét ai en t
ex c éd és.
Elle
av ec
m êm e
la
r i ai t ,
p l eu r ai t ,
f o u gu e
h ou ih it ,
em b r assai t
i m p r év u e, n m ai s / v r ai m en t
�I/ W J F A N T
A
I / E SC A R B O U C L E
i>Q
f at i g an t e. O n f u t p r esq u e h eu r eu x d e l a co n f i er à
l a b ar o n n e. D an s cet t e p er p ét u el l e b o u r r asq u e,
M " * d ’ E t r u c h at n e sav ai t p l u s où el l e en ét ai t . En
céd an t , el l e p r o f ér a, so l en n el l e :
—
V o u s l a v o u l ez , m a c h èr e? Eh b i en , p r en ez l a ! d i st r ay cz - l a...
— ... M ar i ez - l a, g l i ssa M m’ L c o n i e d ’u n a i r d ét ach é.
__M o i , t er m i n a F él i c i e, j e m 'en l av e l es m ai n s!
... A g n ès p assai t d on c l e p l u s c l ai r d e son t em p s
ch ez l es Ro ch eb cl l e et , t r ès so u v en t , M . d ’ Et c h c b ar r am ap p ar ai ssai t , en cad r é p ar l es T ast av o i n c .
C eu x - c i b r i d g eai en t av ec l es m aît r es d u l o g i s, l e
p ei n t r e- am at eu r .en t am ai t
une
n o u v el l e
ét u d e
d 'ap r ès M 11’ A j f n ès d ’Et r u c h at . So n al b u m d ev ai t
en êt r e p l ei n .
M '" d e G o n scn h ei m , p r o t ect r i ce d es ar t s, v ei l l ai t
à ce q u e l e p o r t r ai t i st e et sou m od èl e n e f u ssen t
p o i n t d ér an ges et l es en v o y ai t t o u j o u r s au bou t du
j ar d i n , c ar l ’éc l ai r ag e ét ai t m ei l l eu r .
En u n m o t , l 'ex c el l en t e f em m e f ai sai t t ou t l e
p o ssi b l e p o u r assu r er l ’av en i r d e sa ch ar m an t e p e
t i t e v o i si n e, en so n gean t :
« M . d ’ E t c h c b ar r am q u i t t er a l a T h u i l i èr c so u s
p eu ; i l n e se d écl ar e p as, c ar F él i c i e l u i cau se
u n e f r ay eu r v ér i t ab l e... il sem b l e l a f u i r ... C ’est
co m p r éh en si b l e; l es E t r u c h at n e m an q u en t p as de
q u al i t és, m ai s il f au t l e sav o i r .
« Co m m en t f ai r e p o u r p er m et t r e à ces en f an t s
d r s’ét u d i er , d e s’ap p r éci er ... et d e se f i an cer ?...
L u i , n e p eut se f i x er à B o u r g - Sai n t - A u l c , scs i n t é
r êt s son t ai l l eu r s... D ’au t r e p ar t , Fél i ci e n e q u i t t e
j a m a i s1l e M a s du C a v a l i er . C est b i en en n u y eu x ! *
T o u t h co u p , un éc l ai r d e g én i e l u i v i n t .
L e bafo*VJ| L éo p o l d
D u p on t
d e G o n scn h ei m ,
h o m m e p l ei n de cœu r et d e d él i cat esse, a v ai t , en
m o u r an t , l i m i t é à sa v eu v e t o u s ses b i en s, d on t un
assez v ast e i m m eu b l e si t u é à L y o n , d an s l ’ar i st o
�i , ’I N F A N T
7o
A
L ’E S C A R B O U C L E
cr at i q u e q u ar t i er d e B el l eco u r , à l ’an g l e d e l a r u e
A u g u st e- C o m t e.
M ” ' d e Go n sen h ei m , se t r o u v an t t r o p seu l e, l ai s
sai t ch aq u e h i v er l a j o u i ssan c e d u seco n d ét age d e
son h ôt el à M . et M ““ Ro ch ch cl l e. C et t e an n ée
Ph i l i p p a p r éf ér ai t d em eu r er à l a cam p agn e, c ar
l e cl i m at l y o n n ai s n e l u i co n v en ai t p as.
Eh b i en ! c ’ét ai t t ou t si m p l e : 11 f al l ai t d éci d er
M " ' d ’ E t r u c h at et scs p u p i l l es à r em p l ac er l e m é
n age Ro ch cb cl l c. D e l a so r t e M i gu el , en v en an t
ch ez son o n cl e l e co n sei l l er , r et r o u v er ai t A g n ès.
L ’ i n gén i eu se L éo n i e v i n t t r o u v er l e p ei n t r e et
son m o d èl e p o u r l eu r f ai r e p ar t d e ce p r o j et . E l l e
l es d ér an gea b eau co u p , m ai s i l s ét ai en t t r o p bi en
él ev és t o u s l es d eu x p o u r l e l ai sser v o i r .
A v an t d e r ép o n d r e à l a b ar o n n e, A g n ès r eg ar d a
M i g u el , p u i s el l e d i t t r ès gen t i m en t :
—
Je ser ai s en ch an t ée d ’al l er à L y o n cet h i v er .
V o u s êt es i n f i n i m en t ai m ab l e, M ad am e, d e v o u l o i r
b i en v o u s cn co m b r cr d e m o i . M ai s il f au d r a l ’assen
t i m en t d e t an t e F c l i c i c .
D ’u n p et i t ai r m al i n , M * * d e Go n sen h ei m r ép l i
q u a q u ’el l e s’en ch ar g eai t .
L e su r l en d em ai n , M " Ro ch cb cl l c se d is po s a it à
f a i r e r en d r e u n co m p t e p r éci s d e ses dé pe ns e s à
M . Ro ch cb cl l c. t ou t j u st e r ev en u d u b a p tê m e d ’u n
p et i t co u si n .
E l l e v it en t r er M " ’ d ’E t r u c h a t , r o u ge co m m e un
h o m ar d , t o u t esso u f f l ée et co i f f éc de son c h a p e a u
d e j a r d i n , l eq u el , m êm e d an s u n en cl o s, n ’eû t p as
ét é t o l ér ab l e. Sa v i si t eu se n ’av ai t p o i n t d e gan t s,
ch o se p l u s an o r m al e, et b r an d i ssai t u n e o m b r el l e
de p ai l l e d on t el l e n e se sép ar ai t j am ai s.
‘'I
P au l i n c h e r c h a it v ai n em en t d an s su m ém o i r e
q u el l es fi n s il a v a it bi en pu c o n sacr er ci n q u an t e cen
tim e s in t r o u v a b le s ; e n v o ya nt F é lic ie J ’i l *e r a ppe la
av o i r
fa it l’a u m ôn e à une pauvresse.1 M " ’ d ’ E t r u -
�T / IN FAN T
A
L 'E S C A R f i O U C L E
7i
ch at n ’ ét ai t p oi n t u n e m en d i an t e, m ai s, ce j o u r - l à,
acco u t r ée co m m e el l e l ’ét ai t , t o u t e p er so n n e u n p eu
ch ar i t ab l e l u i eû t , san s h ési t er , al l o u é u n f r an c.
— Ph i l i p p a ! c r i a d ès l e seu i l l a v i ei l l e fi l l e h a
l et an t e. C o n n ai ssez - v o u s l a d er n i èr e i n v en t i o n d e
L éo n i e?
— M a f o i n o n ! d i t Pau l i n , en ch an t é d c c h ap p er
au x r eg i st r es d e sa f em m e. B o n j o u r , ch èr e am i e.
P r en ez d on c ce f au t eu i l .
— A h ! v o t r e sœ u r !... el l e en f ai t d e b el l es!... I l
ne
lui
su f f i sai t
p as d ’a v o i r
ép o u sé ce cr ét i n
de
L éo p o l d et d ’êt r e en fi n p ar v en u e au v e u v a g e !
— Po u r q u o i p ar l ez - v o u s d e L éo p o l d ? i n t er r o g ea
M . Ro ch eb cl l c, ét o n n é d e v o i r ce d éf u n t m i s en
cau se.
— I l l u i a l ai ssé u n e m ai so n à L y o n , cet i d i o t - l à!
— M ai s... c’ est u n e t r ès b o n n e i d ée.
— C 'est u n e i n sp i r at i o n d i ab o l i q u e!...
n ’a- t - el l e p as i m agi n é d 'i n v i t er A g n ès, l es
Ren c et m oi , v o u s en t en d ez, m oi , ch ez
h i v er ! ... M e f ai r e ab an d o n n er m on j ar d i n
t r a v a u x ! ... S ’il est p o ssi b l e ! ! !
L éo n i e
p et i t es,
el l e cet
et m es
E l l e b o u i l l o n n ai t .
— A l l o n s, al l o n s, F é l i n e ! r i sq u a M . Ro ch eb cl l c,
p r en an t un t on p l ai san t . V o u s n 'êt es p as si c a sa
n i èr e. V o u s av ez f ai t un v o y ag e ci l Esp ag n e.
— O u i , p ar l o n s- en d e m on séj o u r en E sp ag n e!
A l i ! si j ’a v ai s su ... en f i n , q u an d l e m al est f ai t , se
f r ac asser l a t èt e co n t r e l es m u r s n 'a r r a n g e r a it r i en .
— N ’ essay ez p as, au n om du C i e l ! co n sei l l a l e
j o v i al Pau l i n . U n e cer v el l e si bi en o r g an i sée, ce
ser ai t g* am l , d o m m age.
M .. Ro cl w U çl l e, sa d er n i èr e ad d i t i o n t er m i n ée,
r el ev a 1*, têt,e ,<;t p r o f ér a d e sa v o i x g r i n çan t e :
— L ’ i d ée d f i - J- co m c m e p ar aît t r ès b o n n e. A g n ès
a vi n gt et i m .i i p s, >1 fm t t
m ar i er . I c i , il n ’y a p er
son n e p y u r tfllv'- B er n ar d d es F a r g c s est u n p et i t
�I , ’I N F A N T
72
1 , ’E S C A R B O
A
U CLE
v au r i en , d ép en si er , j o u eu r ; q u an t à H u g u es d e V a l m o r d an e, si v o u s l ai ssez v o t r e n i èce s'en t i ch er d e
l u i , ce ser ai t l a sép ar at i o n au b o u t d e si x m oi s.
— M ai s, Ph i l i p p a, p r o t est a l a t an t e, r éf l éch i ssez :
si j ’accep t e l 'i n v i t at i o n d e L éo n i c...
— V o u s l u i f er ez p l ai si r , d écl ar a Pau l i n
av ec
r o n d eu r . E l l e s’en n u i e t o u t e seu l e, l es en f an t s se
r o n t u n r ay o n d e so l ei l d an s l a m ai so n . I l s n o u s
r em p l acer o n t av an t ageu sem en t .
C o n st er n ée, M 11* d ’ E t r u c h at t en t a u n d er n i er
ef f o r t :
— J ’av ai s co m p t é su r v o u s p o u r d i ssu ad er v o t r e
sœu r ... E l l e est f o r t ai m ab l e, m ai s c ’ est i m p o ssi b l e.,,
i m p o ssi b l e !
L es Ro ch ch cl l c eu r en t l a m êm e i d ée : M " * d ’ E t r u
ch at cr ai g n ai t d e v o i r ses n i èces p r en d r e d es go û t s
d i sp en d i eu x , p eu en r ap p o r t av ec u n e au ssi m o
d est e f o r t u n e.
—
V o u s av ez
p eu r
de vo i r
A * ;t u \ i
r en co n t r er
M . d ’E t c h eb ar r am ? M ai s i l est d ési n t ér essé, af f i r m a
P au l i n , su i v an t sa p en sée secr èt e.
— Je l e sai s b i en ! j e t a l a v i ei l l e fi l l e, h au ssan t
l es ép au l es. C el a m ’ est é g a l ; j e n e v eu x p as l e
v o i r t o u r n er au t o u r d 'A g n ès. V o i l à 1
— M a ch èr e, g r i n c h a M " ” Ro ch eb el l e, j e v o u s
t r o u v e d ’ u n égo ïsm e m o n st r u eu x . So y ez b i z ar r e s’ il
v o u s co n v i en t , m ai s n e sacr i f i ez p as v o t r e n i ècc à
cet t e m an i e d e v o u s si n g u l ar i ser .
« N o n seu l em en t i l i m p o r t e d e so n ger à l ’av en i r
d e l ’aîn ée, m ai s à l ’ éd u cat i o n d es cad et t es et d e
R e n é; i l est t ou t à Fait t r o p g ât é ch ez v o u s. A l a
cam p agn e, v o u s n ’at fez au cu n e r esso u r c e; à L y o n ,
v o u s au r ez t o u t es l es f ac i l i t és p o u r c e la .
— E t n o u s o u b l i o n s l e p r i n ci p al , éiwit
b el l e,
l ’av i se.
V os
t r a v au x ,
F él i c i o ,
M .
Ro c h e-
so n gez - y I...
D an s u n e v i l l e, q u e d e b i b l i o t h èq u es, d e c o n f é
r en ces, d e d o cu m en t s p o u r v o s o u v r a g es! Pen sez
�L ’t N F A N T
A
T ,’E SC A R B O T T C T , E
un p eu à v o u s, m a ch èr e am i e; u n au t eu r au ssi ...
c u r i eu x ... au ssi d r am at i q u e... m ér i t e d ’êt r e ap p r éci é.
I l ch er ch e com m en t f i n i r sa p h r ase et , n e t r o u
v a n t r i en de m i eu x , co n cl u t :
— C el a n o u s f l at t er a, v o u s co m p r en ez ? L éo n i c est
p ar f ai t e, m ai s u n p eu ... g r i m ac i èr e, sn ob , co m m e on
d i t m ai n t en an t . P r ésen t er l ’ au t eu r d u Su c r c d 'o r g e...
n on , du
B er l i n g o t
m y st ér i eu x ,
ça l ’ en o r g u ei l l i r a.
V o u s n e p o u vez p as l u i r ef u ser cel a, v o y o n s!
M " * d ’ E t r u c h at p ar u t so n geu se. I l v i t co m b i en
s a t r o u v ai l l e ét ai t gén i al e et se d i t :
« P a r b o n h eu r , cl )» a p r i s l a t o q u ad e d ’ éc r i r e
«les i n san i t és; san s cel a n o u s n ’au r i o n s j am ai s pu
l 'i d ém ar r er . »
M " " Ro ch ch el l e, m o i n s d i p l o m at e, d écl ar a d e son
a 'r âp r e et v i n ai g r é :
— E t n ’o u b l i o n s p as, su r t o u t , l e b o n h eu r d ’ A g n ès,
c’est l a seu l e ch o se i m p o r t an t e. M . d ’E t c h c b ar r am
est acco m p l i . S ’tl s’ép r en d sér i eu sem en t d e v o t r e fi l
l eu l e, n o u s en ser o n s t o u s f o r t h eu r eu x ... Je v o u s
en p r év i en s, j e f er ai t o u s m es ef f o r t s p o u r cel a,
car ce j eu n e h om m e m e p ar aî t f a i t p o u r el l e.
C o m m en t ? l e E asq u e av ai t en j ô l é j u sq u ’à l ’ i r r é
d u ct i b l e P h i l i p p a? M ai s i l ét ai t u n i q u e en son
gen r e, ce gar ç o n I
A y an t p ar l é, M m" Ro c h c b c l l c em p i l a ses p et i t s
r egi st r es, f er m a son sec r ét ai r e, em p o ch a scs c l ef s
—- Pau l i n n ’ en av ai t p o i n t l a j o u i ssan c e, — p u i s
el l e r ép ét a, n on san s co m p l ai san ce :
— O u i , M . d ’ Et ch cb ar r am m e p l aît !
A p r ès cel a on ne s ut p l u s q u e d i r e et M " * d ’E t r u
c h a t se l ev a, Pau l i n , l a v o y an t si d ép r i m ée, l u i
o f f r i t d es p l an t a de ch r y san t h èm es.
E l l e r ef u sa cair d i san t : t M er ci . M ai s j e n e ser ai
p l u s l à p o u r l e s , so i gn er . » E l l e ét ai t v ai n cu e.
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
D EU X IÈM E
PA RT IE
I
—
M on
cl i cr g ar ç o n !... C ’ est gen t i l d e n e p as
o u b l i er t ou t à f ai t t on v i ei l o n cl e.
A cco u r u cl an s l 'an t i ch am b r e, M . d ’ Et ch eb ar r am C o u z an ce sai si ssai t son n ev eu p ;t r l es ¿p au l es et
l 'em b r assai t , p r esq u e l a l ar m e à l 'œ i l .
M i g u el , t o u ch é p ar cet accu ei l , r ép o n d i t af f ec
t u eu sem en t :
—
C ’est
v o u s, o n cl e X a v i e r , q u i
êt es bon
de
m 'o u v r i r v o t f c m ai so n , san s so u ci d e d ér an g er v o s
h ab i t u d es.
L e co n sei l l er sc m i t à r i r e ; il en t r aîn a l e v o y a
g eu r d an s son cab i n et d e t r av ai l , u n e v ast e p i èce
d ’an g l e, d ’où l 'o n ap er c ev ai t l es q u ai s de l a Saô n e
et l es t o u r s d e F o u r v i èr e, c ar l ’on ét ai t t ou t au
b ou t de l a r u e d e C ast r i es.
M i gu el a v ai t p assé p l u si eu r s an n ées en E sp ag n e,
ci t e/ sa u r an d 'm èr o m at er n el l e; il se r et r o u v a n on
san s p l ai si r ch ez ce p ar en t , t o u j o u r s d i sp o sé à l e
t r ai t er en fi l s. En v o y an t ch aq u e ch o se à sa p l ace
acco u t u m ée, il se r ap p el ai t l e t em p s .où ,, p at i em
m en t , l ’o n cl e f ai sai t r eci t er au gam i n . r et o u r du
c o l l èg e, l es d écl i n ai so n s l at i n es.
I(,
Ri en d an s l e d éco r n ’av ai t chaniQv,. L 'en c r i er de
b r o n ze se d r c sw i t à l a m êm e p l a c e u r , l e b u r eau ,
en t r e l es d eu x f i * c t r c s ; l e b l o c i h y n éü i y st e b r u t e
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R R O U C L E
75
ser v ai t t o u j o u r s d e p r esse- p ap i er s. L e s f au t eu i l s d e
t ap i sser i e au p oi n t cr o i sé, a f f r eu x co m m e d essi n ,
o u v r ag e de f eu l a co n sei l l èr e, ét ai en t d em eu r és l à :
il y av ai t au ssi d eu x d es p r em i èr es aq u ar el l es d e
M i g u el , p r éci eu sem en t g ar d ées p ar cet o n ?l e bon
à m et t r e so u s v er r e, et l e j eu n e h om m e r essen t i t
u n v ér i t ab l e d ésesp o i r en v o y an t ces c h ef s- d ’œ u v r e
en p l ace d ’h o n n eu r .
—
A l o r s, m on p et i t , p r o n o n ça, j u st e à cet t e m i
n u t e, l a v o i x co r d i al e d e M . d ’ Et c h eb ar r am - C o u z an c e; t e v o i l à d even u L y o n n ai t em p o r ai r em en t ?
« P o u r m oi , j e so u h ai t e ce p r o v i so i r e d e l o n gu e
d u r ée, so i s- cn cer t ai n ... m ai s p o u r t o i , d am e ! — il
r i t — m i eu x v au d r ai t san s d ou t e u n séj o u r b r ef
et un ag r éab l e h i v er n ag e en Esp ag n e, p u i sq u e t u
as f ai t de l ’ Ëst r em ad u r a t a seco n d e p at r i e... C e
n ’est
Pay s
C 'est
cet t e
p as u n r ep r o ch e, il
d e t a m èr e et de n e
d e l a sag esse... t u
q u al i t é d an s u n e
est n at u r el de c h ér i r l e
p oi n t n ég l i g er t on aïeu l e.
n ’as p as f ai t p r eu v e d e
au t r e ci r co n st an ce, m ai s
p asso n s !
« Je v o u l ai s t e d i r e, m on g ar ç o n , q u e j ’ ai u n e
v ér i t ab l e j o i e, p o u r m a p ar t , d e cet t e... d éci si o n ,
g r âc e à l aq u el l e j ’ai act u el l em en t l e p l ai si r de t 'o u
v r i r à l a f o i s m a m ai so n , m on cœu r ... c l m a b o u r se,
cel a v a de so i ! Ser s- t o i de l ’u n e, p r o f i t e de l ’au t r e,
p u i se d an s l a t r o i si èm e et n o u s ser o n s am i s.
— M on o n cl e, d i t M i g u el ex t r êm em en t ém u , si
j e n ’av ai s p eu r de v o u s p ar aî t r e r i d i cu l e, j e v o u s
em b r asser ai s b i en v o l o n t i er s !
— V a s y , m on en f an t , v a s- y ! n o u s so m m es t ou t
seu l s. Si t » l e j u g es st u p i d e p er so n n e n e l e sau r a,
sau f m o i .'f l j e ‘su i s b ât i d e f aço n à t r o u v er ad m i
r ab l e t ou t ce q u ’ il t e p l aît d ’ i n v en t er ... A h ! d i s
d on c, n e t n 'él oi vû 'c p a s! A t t en d s d e m ’a v o i r v u si Rn cr m on t est am en t ; j e n e sai s p as en co r e si j e
l ég u er ai m es bi on s à t o i ou à m on ch at si am o i s...
�L ’I N F A N T
76
A
I / E SC A R R O U C L F ,
N e p er d s p as l e f r u i t d e m es éco n o m i es p ar t on i m
p r év o y an c e !
M i g u el essay a en v ai n d e r i r e. I l se sen t ai t b ou
l ev er sé j u sq u ’ au f o n d d e l ’êt r e p ar cet t e af f ect i o n
c h au d e' d on t il n ’av ai t en co r e j am ai s so u p ço n n é
l ’ i n t en si t é.
L,c
co n sei l l er
d ’ Et c h c b ar r ai n - C o u z an c c
n ’ av ai t
r i en du t y p e cl assi q u e d ’an ci en m ag i st r at t el q u e l es
p ei n t r es co t és l es m o n t r en t au p u b l i c : M i n e so
l en n el l e, f av o r i s b l an cs, l e d o s co n t r e u n e b i b l i o
t h èq u e b o u r r ée de l i v r es j u r i d i q u es.
I l ét ai t g r an d , gr o s, t ai l l é en c u i r assi e r ; p l u t ô t
l ai d , m ai s l ’a i r t el l em en t bon , sp i r i t u el et en j o u é
q u e l ’on n e ch er ch ai t p as à d ét ai l l er son v i sag e. I l
av ai t su êt r e u n m ar i p a r f a i t , av ec u n e f em m e
au ssi d ésag r éab l e à l ’œi l q u e l a t ap i sser i e d e scs
b er g èr es. N ’ay an t j am ai s eu d ’ en f an t s, à son ét er
n el r egr et , il ad o r ai t son n eveu .
C ’ét ai t , en u n m o t , un o n cl e à p r i m er d an s l es
ex p o si t i o n s.
... M i gu el ét ai t en co r e ap p u y é co n t r e l u i ; l e co n
sei l l er v i t , d an s l e m i r o i r , cet t e t êt e b r u n e p r ès de
ses c h ev eu x b l an cs, il eut l ’ i m p r essi o n d ’av o i r u n
l i l s et son cœu r d éb o r d a de t en d r esse; m ai s co m m e
il ét ai t p ar n at u r e t r ès gai et ad m et t ai t l es at t en
d r i ssem en t s à t o u t es p et i t es d o ses, il r ep o u ssa l e
j eu n e h o m m e d ’ u n m o u vem en t am i cal .
—
Ç a v a b i en , m on p et it ! t u m ’as p r o u v é t a
b o n n e v o l o n t é. C es g est es- l à... c ’est b i en gen t i l av ec
u n e f i an cée, m ai s, av ec u n v i eu x b on h o m m e d e m on
g en r e, l e p l ai si r est b eau co u p m o i n s v i f . Rest e l à
si t u as q u el q u e ch o se d e p ar t i cu l i èr em en t i m p o r
t an t à m e d i r e, si n on v a t ’ i n st al l er ,
î : T u as l a ch am b r e d u cô t é d u <f«ai i Su r l a r u e
t u t ’en n u i er ai s t r o p . C ’est t el l em en t f i i l âi r e, m on
q u ar t i er ! I l
f au t b i en d e l a chance« p o u r v o i r p as
ser t r o i s ch at s, et c ’est l à u n e j o u i ssan c e su r l a-
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
77
q u el l e on est v i t e b l asé. M ai s j e su i s acco u t u m é à
ce d éser t . T a t an t e n ’au r ai t p u su p p o r t er l ’i d ée
q u e l ’on p u i sse al l er à l a m esse d an s u n e ég l i se d i f
f ér en t e d e Sai n t - M ar t i n - d ’ A i n a y ; el l e t en ai t à scs
v i ei l l es r u es, ses v i ei l l es r el at i o n s; j e n ’ ai p as v o u l u
l a c o n t r ar i er et m ai n t en an t m es h ab i t u d es so n t
p r i ses.
« N at u r el l em en t , j e n e t ’ i m p o ser ai
m es
p et i t es m an i es.
Tu
h ab i t es
au cu n e d e
so u s m on
t oit ,
q u an d t u au r as b eso i n d e m oi t u sau r as où m e t r o u
v er . En d eh o r s d e cel a, j e n e sai s p as ce q u e t u
f ai s. C ’est co m p r i s?
— M o n o n cl e ! co m m en ça M i g u el . V o u s êt es...
__ O u i . l a cr èm e d es h om m es. T u l ’as assez d i t ,
n e t e r ép èt e p as, c ’cst m o n o t o n e et p u i s, v r ai m en t ,
j e t e c r o i r ai s i n cap ab l e d e cau ser . C ’ est u n ar t en
p l ei n e d écad en ce, essay e
d e l ’ap p r en d r e
t ou t
de
m êm e, c ar j ’o u b l i ai s u n e co n d i t i o n à n o t r e en t en t e
co r d i al e : t u ser as o b l i gé d e m ’acco m p ag n er q u el
q u ef o i s ch ez cet t e ex c el l en t e b ar o n n e D u p o n t d e
Go n scn h ci m — u n so u r i r e am u sé b r i l l a d an s ses
y eu x v i f s. — E l l e a u n e j o l i e p et i t e am i e, m oi j e
p o ssèd e u n n ev eu ... p as t r o p l ai d ... V o i l à !
M i g u el d ét o u r n a l a t êt e et se m o r d i t l es l èv r es.
I l l u i f al l u t u n i n st an t p o u r êt r e cer t ai n d e n e p as
f l éch i r .
L e c o n sei l l er p o u r su i v i t d u m êm e t on n ar q u o i s :
— C et t e b o n n e M " ’" d e Go n scn h ci m ! C ’est l e
d évo u em en t p er so n n i f i é, l a v al eu r m êm e. E l l e se
p r éci p i t e f r o n t b ai ssé d an s u n e su ccessi o n d 'en n u i s
i n h ér en t s à t o u t e co m b i n ai so n d u gen r e d e cel l eci ... Il est v r ai q u ’ el l e n e sai t p as ex act em en t d an s
q u el l e en t r ep r i se el l e S’ est l an cée... Si el l e l e
savai t ,.<vr ai t W ’<,i i t . c' l c ser ai t so r ci èr e. En f i n , ça l a
r egar d / t '!,: m*j
« V a -d op o a r r a n g er t es b ag ag es. N o u s d éj eu
n er o n s d a n s u n e d em i - h eu r e.
�-s
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
— Je n ’ai p as f ai m d u t ou t , av o u a M i g u el , u n
p eu p âl e. Je p r é f é r er ai s cau ser av ec v o u s.
L a l u eu r r ai l l eu se s’al l u m a d e n o u v eau d an s l e
r eg ar d d u co n sei l l er :
C ’est f âc h eu x , c ar j e n e p eu x t ’ac c o r d er au
d i en ce p o u r l ’i n st an t . J ’ at t en d s l e v i c ai r e d ’u n e p a
r o i sse d e b an l i eu e ; ce p au v r e ab b é s’est m i s d an s
u n m au v ai s cas au p o i n t d e v u e l ég al , av ec scs
so ci ét és sp o r t i v es; i l m ’ a d em an d é de l e t i r er d e l à.
l e s p et i t es h i st o i r es p er so n n el l es son t n \ oi n s p r es
sé e s; d ’ai l l eu r s, j e d ev i n e t o u t ce q u e t u p o u r r ai s
m e r aco n t er .
— O h ! n o n , b al b u t i a M i g u el en d ev en an t t r ès
r o u ge.
L ’o n cl e se m i t à r i r e :
— Je n e d ev i n e p a s? a h ! v r ai m en t ... M ai s t u
v i en s de m e l e f ai r e sav o i r , m on p et i t !... L ai ssem oi . V o i c i l ’ abb é.
M i g u el , d eb ou t , l e fr on t m él an co l i q u em en t ap p u yé
au x v i t r es d e sa f en êt r e, v i t l e j eu n e v i c ai r e so r t i r
d e l a m ai so n , p u i s t o u r n er l ’an gl e d u q u ai d ’o cc i
den t ; son p ar ap l u i e r u i ssel ai t d é j à so u s l es g o u t
t el et t es l en t es, i m p l acab l es, t o m b an t d ’ un ci el g r i s
v o i l é d e n u ages.
L es t o u r s d e F o u r v i èr e s’est o m p ai en t de b r o u i l
l a r d ; l es t r o t t o i r s l u i sai en t com m e d es p l aq u es d e
m ét al . D es p assan t s cl ai r sem és d éam b u l ai en t , l ’ai r
so u ci eu x , m o r n e et f at i g u é ; l eu r s v êt em en t s ét ai en t
d e t o n s n eu t r es g r i s o u n o i r s, co m m e si l a v i l l e
eû t p o r t é l e d eu i l d u so l ei l d i sp ar u v er s d ’au t r es
h o r i z o n s.
n ,,
C ’ét ai t h u m i d e et d ép r i m an t à d o n n er l e f r i sso n .
So u s cet t e at m o sp h èr e, d ém o r al i san t e; pot t e c eu x
q u i so n t n és ai l l eu r s, o n r essen t cet t e .i m p r essi o n
b i en n et t e et at r o ce :
�L ’I N F A N T
—
A
L 'E S C A R R O U C L E
79
M ai s co m m en t a u r ai s- j e l e co u r ag e d e m en er
à b i en u n e t âch e q u el co n q u e? Po u r q u o i n e p as se
co u c h er p ar t er r e et at t en d r e l a m o r t ?...
A p r ès l a sp l en d eu r d es j o u r s p assés à Pi o u r gSai n t - A u l e, au b o r d du Rh ô n e ét i n cel an t d e p ai l
l et t es d ’o r , so u s l a v o û t e b l eu e d ’ u n ci el i n co m p a
r a b l e ; ap r ès l e m o u vem en t b o n d i ssan t , j o y eu x , d es
sem ai n es p r écéd en t es en co r e si p r o ch es, M i g u el se
sen t i t t ou t à co u p l ’âm e en v ah i e d e so m b r es p r es
sen t i m en t s.
11 so n geai t , en r eg ar d an t , p en si f , l es t o i t s r u i s
sel an t s d e l ’au t r e cô t é d u f l eu v e :
« Q u el ser a l ’av en i r ?... En r ev en an t i ci , j ’ai
p eu t - êt r e co m m i s u n e so t t i se. C ep en d an t i l n e
m ’ét ai t p as p o ssi b l e d ’a g i r au t r em en t — i l se r e
d r essa. — Q u ’ i m p o r t e. T1 f au t t âch er d e t i r er de
l a si t u at i o n l e m ei l l eu r p ar t i p o ssi b l e... et l e p l u s
r ap i d e au ssi , c ar j e n ’y t i en s p l u s. »
I l i n t er r o m p i t son so l i l o q u e p o u r d i r e : « E n
t r ez ! » c ar on f r ap p ai t à l a p o r t e et l e co n sei l l er
se m o n t r a.
__A q u el l e h eu r e co m p t es- t u m e f a i r e d éj eu n er ,
M i g u el ? i n t er r o g ea l ’o n cl e X a v i e r , n on san s i m
p at i en ce. Si l e v o y ag e t ’a co u p é l ’ap p ét i t , m oi j e
m e sen s cap ab l e d e co n so m m er u n m ou t o n j u sq u ’à
l a l ai n e!
« Je v i en s d 'av o i r u n e séan ce av ec ce p au v r e
ab b é! H n 'en m èn e p as l ar g e et n ’en d o r t p l u s. Je
l ’ai r assu r é. A l a v ér i t é, il est en d ’assez m au v ai s
d r ap s, m ai s j e f er ai l e p o ssi b l e p o u r l e r ep êch er .
—
V o u s êt es l e d év o u em en t p er so n n i f i é, d i t son
n ev eu en l e su i v an t , san s b eau co u p d ’en t h o u si asm e,
v er s l a sal l e à m an ger .
I l s s'assi r en t d ev an t l es h o r s- d ’œ u v r e. M i g u el , à
l eu r vu e, r ep r i t co u r ag e et se d i t q u ’ il ét ai t b i en
sot d e hc t o u r m en t er . A p r ès t o u t , il ét ai t j eu n e et
sc sen t i t p l ei n de f o r ce et d ’en t r ai n .
�So
I .’I N F A N T
A
L ’E S C A R R O U C L E
—
T u p ar l ai s d e d év o u em en t ? d i t l e co n sei l l er
en se ser v an t d e cr u d i t és am ér i cai n es. M o n en f an t ,
r ap p el l e- t o i ceci : I l f au t , q u an d on v i ei l l i t , év i t er
d e se co n f i r e en soi - m êm e. Si l ’on n 'av ai t j am ai s
l ’o ccasi o n d e s’o ccu p er d es au t r es, l a v i e n e v a u
d r ai t p as l a p ei n e d ’êt r e vécu e.
« C el a t e p ar aît sp éc i eu x ? F ai so n s u n e su p p o si
t i o n : T u as u n en n u i — t oi o u m o i . — Si t u t e
r ép èt es à sat i ét é : « Je su i s l e p l u s m al h eu r eu x d es
h o m m es!» ce ser a m o n o t o n e d ’ ab o r d , en su i t e t u
n e t ’am u ser as p as b eau co u p . M ai s si , au m i l i eu d e
t es « t u i l es » — il so u r i t d ’u n a i r su av e à sa
t r an ch e de m el o n , — t u as l a v ei n e d e r en co n t r er
q u el q u ’u n qu i v i en t t e d em an d er u n ser v i c e, n e
l ’en v o i e p as au d i ab l e ; r em er ci e- l e et m et s- t o i en
q u at r e p o u r l ’ai d er , c ar i l t 'au r a so r t i d e t o i - m êm e;
d o n c, en y r éf l éch i ssan t , l ’o b l i g é, ce n ’est p as l u i ,
c’ est t oi .
M i gu el se d ét en d i t ;
— Je co m p r en d s u n e ch o se : v o u s au r i ez i n v en t é
l a b on t é si el l e n ’ ex i st ai t p a s; m ai s m oi ...
— T o i , m on p et i t , t u t ’es f o u r r é d an s u n gu êp i er
et n e sai s q u e d ev en i r . V o i l à p o u r q u o i j e l e r e
m er ci e p r esq u e d e m ’av o i r éc r i t : « P u i s- j e v en i r
ch ez v o u s p o u r l o n gt em p s? » Je m ’ en n u y ai s, j e
p en sai s un n - u t rt^ p à m a v i ei l l e p er so n n e. Je d é
co u v r e t ou t à co u p cet t e m er v ei l l e : j ’ai u n e m a
n i èr e d e f i l s, au q u el j e t i r er ai s v o l o n t i er s l es
o r ei l l es si j e n ’ av ai s p eu r d e l es ab îm er et s'i l av ai t
d i x an s d e m o i n s, c ar il est m aj eu r , l 'an i m al !... m ai s
n ’i n si st o n s p as...
« A cau se d e t ou t cel a j e su i s r a v i ; n e g ât e p as
m a j o i e p ar t es d o l éan ces. T u s e r as s a ns d o u t e
p l ei n em en t h eu r eu x d ’ i ci p eu de t em p s. Pr en d s
p at i en ce, m on am i : l e b o n h eu r , il fa u t l e gag n er ,
a d i t q u el q u ’ u n d o n t j ’ ai o u b l i e l e n om . E t r e p at i en t
est u n e g r an d e f o r ce.
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L F ,
8t
— I l f au t êt r e u n e p er f ect i o n , d i t M i g u el , et j e
n c v au x p as l e d i ab l e !
— Je su i s d o n c bi en m al ap p ar en t é! M ai s p ar
l on s d ’au t r e ch o se... Q u ’as- t u f ai t à B o u r g - Sai n t A u l e ? C ’ est u n e agr éab l e p et i t e v i l l e, b i en si t u ée...
p as m al d e m o n u m en t s... J ’ y al l ai s au t r ef o i s l o r sq u e
j e m e r en d ai s à A v i g n o n . C ’ est d éj à v i eu x . D e
•«on t em p s c’ét ai t assez m o r t .
— P as m ai n t en an t ! j et a M i gu el d ’ u n t on p r esq u e
r o gu e. O n s’y am u se l
— T u l e r eg r et t es? fit l e co n sei l l er , g o g u en ar d .
T u n e r em p o r t ai s d o n c p as t o u s l es su ccès. II y
av ai t b eau co u p d ’au t r es j eu n es g en s?
M i gu el d it , t r è s ap r e :
—- Q u el q u es- u n s au x en v i r o n s, o u i . U n cer t ai n
B er n ar d d es Fargcs, d 'ab o r d ... un p o seu r ! d ’u n e
f at u i t é i n i m ag i n ab l e! I l h ab i t e L y o n en h i v er .
■— Je r en co n t r e sa m èr e. C et t e f am i l l e est en
d a t i o n s av ec M '"* d e Go n sen h ei m .
— I l y av ai t au ssi , p o u r su i v i t M i gu el , l es y eu x
fi xés su r l e m an ch e d e sa f o u r ch et t e, son co u si n ,
l e co m t e d e V al m o r d an e... u n o f f i ci er de c av al er i e.
— J' a i co n n u u n V al m o r d an e m ar i é «à u n e I t a
l i en n e m er v ei l l eu sem en t b el l e, d i t l e co n sei l l er ,
ét u d i an t so u r n o i sem en t son n eveu .
— C ’est l eu r fi l s, r ép o n d i t M i gu el d u m êm e t o n
b r ef .
— A h ! Il est offic ie r égal em en t , ce je u n e h o m m e?
C ’e s t de t r a d it io n ch ez e u x . L e s p a r e n t s ét ai en t
*lcux s ple nd e ur s .
— L e l i eu t en an t est t r ès b eau .
N o u v eau so u r i r e d e l ’o n cl e X a v i e r . I l r ep r i t , san s
Par aît r e v o i r l ’ agacem en t d e son n ev eu :
— ■ O ù est - i l en g ar n i so n , t on am i ?
— C e n ’est p as m on am i !... I l est au x sp ah i s d e
^ i en n e, r ép l i q u a l e j eu n e
esp èce de b on n e g r âc e.
h om m e
san s
au cu n e
�82
I . ’I N F A N T
—
A
L ’E S C A R B O U C L E
A l o r s n o u s v er r o n s sc r ef o r m er i ci ce p et i t
cer cl e, ( l i l l e co n sei l l er . T a n t m i eu x p o u r t o i , ce
'ser a p l u s g ai . C es q u asi - P r o v en ç au x m o n t r en t g é
n ér al em en t
b eau co u p
d ’ af f ab i l i t é ;
ils
r eço i v en t
d ’ u n e f aço n t r ès agr éab l e.
M i gu el ex h al a d ’u n t on f u r i eu x :
— O u i . I l s so n t accu ei l l an t s... m ai s j e
t r ou ve
ét o n n an t e, ex ag ér ée, cet t e l i b er t é acco r d ée au x
j eu n es gen s et a u x j eu n es f i l l es so u s p r ét ex t e d ’ am i t i é d en f an ce. I l s sc vo i en t san s cesse, s’ap p el l en t
p ar l eu r s n o m s; l es f am i l l es p er m et t en t cel a, ét an t
p r esq u e t o u t es al l i ées en t r e el l e s; m ai s su p p o sez
p ar ex em p l e... u n e d es p et i t es am i es d e M " " d e
Go n sen h ei m m ar i ée? A v o u ez q u ’u n m ar i a l e d r o i t
d e l e t r o u v er m au v ai s.
— Je n e p u i s en j u g er , d i t l ’o n cl e, d ’u n t on
d ’ ex t r êm e d o u c eu r ; j e n e co m p t e p as b r i g u er l a
m ai n de l ’u n e ou l ’au t r e d e ces d em o i sel l es.
« T u n e p r en d s p as d e g ât eau ?
— M er c i n on . J ’ai u n e m i g r ai n e at r o ce.
— I l f au t al l er t e r ep o ser , m on am i . J ’en p r o f i
t er ai p o u r al l er r en d r e v i si t e à M ’ " d e Go n sen h ei m
et l u i f ai r e m a co u r , san s cr ai n d r e d ’êt r e d él ai ssé :
p o u r t oi ... m es ch ev eu x b l an cs so n t su scep t i b l es, |
m én age- l es si t u t i en s à m on h ér i t age.
I l s sc l ev ai en t . M i gu el h ési t a :
Si cel a n e v o u s en n u yai t p as, j ’ i r ai s av ec vo u s.
Ju st em en t , j e u ser ai s c o n t r ar i é, r ép l i q u a l e
co n sei l l er t out n et . N ’ i n si st e p as, m on gar ç o n . A v ec
t n oi , t u l e sai s, t es i n t ér êt s so n t en t r e b o n n es m ai n s.
1
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
83
II
d ep u i s b i en t ô t d eu x sem ai n es, l es n i èces et n c* eu d e M " * d ’ E t r u c l i at ég ay ai en t l e v i ei l h ôt el d e
l eu r p r ésen ce, et M m' d e Go n sen h ei r u ét ai t d an s l a
jo i e d e son âm e.
L a so ci ét é d ’ A g n es, ét o u r d i ssan t e d ’ en t r ai n et d e
bon n e h u m eu r , r em p l açai t
av an t ag eu sem en t
cel l e
l ’ h t l i p p a.
l 'él i c i c , p ar co n t r e,' af f i ch ai t u n e m i n e si n i st r e,
m ai s son am i e n e s’en so u c i ai t p o i n t ; el l e ét ai t
t r op o ccu p ée à p r ésen t er l a j eu n e f i l l e à scs i n t i m es;
t ous en f u r en t ch ar m és. L e co n sei l l er d ’ Et ch eb ar r a»n -Co u zan cc, d o n t l es v i si t es j u sq u ’al o r s se f ai * ai en t p l u t ôt r ar es, d ev en ai t u n assi d u d es r écep l '°n s d e l a b ar o n n e.
Il am en ai t so n n ev eu . Q u o i d e p l u s n at u r el ?...
d ’ K t r u ch at t ém o i gn ai t au j eu n e h om m e u n e
h ost i l i t é m an i f est e, m ai s l ’ i n t r ép i d e M i g u el n e se
d éco u r ageai t p o i n t . Il p o u ssai t m êm e l a p o l i t esse
j u sq u ’à so l l i c i t er l a f av eu r d ’en t en d r e en co r e
Q uel ques f r ag m en t s d es œ u v r es l i t t ér ai r es d e l a
t on t e d ’A g n ès.
C ec i m o n t r e b i en ¡\ q u el p o i n t u n h om m e ép r i s
Peut p o u sser l e d évo u em en t .
M "’* D u p on t d e Go n sen h ei m s’en f él i c i t ai t , t o u t
s’ét o n n an t à p ar t so i d e n e p as r ec ev o i r l ’av eu
(,c cet am o u r . N i A g n ès, p o u r t an t i r r ad i ée en
Vr>yan t ap p ar aît r e l e n ev eu d u co n sei l l er , n i M i gu el ,
don t l es v i si t es ét ai en t p r esq u e q u o t i d i en n es, n e l u i
t o i sai en t d e co n f i d en ces, et l ’o n cl e «le cet ad o r at eu r
n c t en t ai t t o u j o u r s p as d e d ém ar ch e o f f i ci el l e.
M ""' d e G o n sen h ei m m et t ai t cet ét at d e ch o ses
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L ’I N FA N T
A
L ’ K SC A R B O U C L R
su r l e co m p t e de l a t i m i d i t é f r éq u en t e ch ez l es
H om m es p r o f o n d ém en t am o u r eu x et , su r t o u t , l ’ at t r i
b u ai t à l 'at t i t u d e h ar g n eu se d e F él i c i e... U n e p a - j
r en t e au ssi d ésag r éab l e d ev ai t ép o u v an t er l es can
d i d at s.
P o u r n e p as i n d i sp o ser co m p l èt em en t l a t an t e
d ’A g n ès, su r l aq u el l e l e seu l n om d ’ E t c h eb ar r am
p r o d u i sai t un ef f et d ésast r eu x , M " " L éo n i e s’ a r r an
g eai t ad r o i t em en t p o u r f ai r e v en i r sa p et i t e am i e
ch ez el l e, au x h eu r es où l e n ev eu d u co n sei l l er
v en ai t l a v o i r .
C et ai m ab l e gar ço n , h eu r eu x d ’êt r e accu ei l l i av ec
u n e bon n e g r âc e i n v ar i ab l e, t ém o i gn ai t sa r eco n - >
n ai ssan ce à M '" ' de Go n sen h ei m p av d e v ér i t ab l es
am as d e f l eu r s, d e l i v r es et d e bon bon s.
U n j o u r , M i g u el , ay an t év o q n é i n ci d em m en t un
v i eu x so u v en i r au q u el A g n ès d ’ E t r u c h at ét ai t
m êl ée, d i t q u ’i l s s’ét ai en t r en co n t r és en Esp ag n e.
1, ’ c x c cl l c n t e L éo n i e, en ch an t ée, p en sa q u e l e
j eu n e B asq u e ét ai t v en u i ci t o u t ex p r ès p o u r r e
t r o u v er A g n ès. C ’ét ai t d e p l u s en p l u s b eau . M i gu el
au r ai t p u m en t i o n n er ce d ét ai l av an t , m ai s san s
d o u t e n 'av ai t - i l p as o sé l e f ai r e d an s l a cr ai n t e de
F él i c i e.
Sa p r o t ect r i ce p r o f i t a t o u t ef o i s de cet t e r év él a
t i on p o u r l u i p er m et t r e d 'ap p el er \ I " ' d ’ Et r u c h at
p ar son p r én o m , u n so i r où , ét o u r d i m en t , l e j eu n e
h om m e av ai t n égl i gé l es f o r m es cér ém o n i eu ses
o b l i g at o i r es.
M " ° F él i c i e, ab so r b ée p ar l es m al h eu r s d e s cS
t r o i s v eu v es i m ag i n ai r es, i gn o r a ce l ég er d ét ai l !
q u an t au co n sei l l er , i l m o n t r ai t u n e f i gu r e i n v a r i a '
l i l cm en t cal m e et n ar q u o i se d ev an t le s f ai t s et
g est es d e son n ev eu .
P o u r M i gu el , cel a d ev i n t u n e h ab i t u d e t r ès doue«
d e v en i r p r esq u e ch aq u e j o u r r u e A u gu st e- Co m t eI l m o n t ai t q u asi en m aît r e d e m ai so n l e l ar g e ci *
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A K B O U C L E
85
c al i er d e p i er r e, et l es ar h r c s d u p o l i t j a r d i n , d é
p o u i l l és p ar l 'h i v er , l u i sem b l ai en t êt r e sa p r o p r i ét é.
E t l o r sq u 'i l ét ai t i m p o ssi b l e d e r en d r e v i si t e à l ’h o s
p i t al i èr e b ar o n n e, il r et r o u v ai t t o u j o u r s, co m m e p ar
l i àsar d , A g n ès d ’ E t r u c h at p r o m en an t scs p et i t es
soeu r s au p ar c de l a T êt e d 'O r .
U n ap r ès- m i d i , i l eu t l a d écep t i o n
t r ès v i v e
d ’ap p r en d r e q u ’A g n i s ét ai t p ar t i e p o u r V i en n e l e
m at i n m êm e.
— O u i , di t
M ” * D u p on t
d e Go n sen h ci m ,
cl i c
p asse t o u t e l a j o u r n ée ch ez so n am i e, U se d u C h an d ol , l a f i l l e d u co l o n el d es sp ah i s, v o u s sav ez ?
C ’est u n p ar en t d u l i eu t en an t d e V al m o r d an e.
C e n om fit sc f r o n c er l es so u r c i l s de M i gu el . I l
fit n éan m o i n s b o n n e co n t en an ce.
— Q u an d r ev i en d r a- t - el l e? d i t - i l en essay an t de
no p as êt r e f âch é.
— D em ai n cer t ai n em en t . I l y a v ai t oc so i r u n e
co n f ér en ce- co n c er t â V i en n e. M 11* d u C h an d o l a
b eau co u p i n si st é p o u r d éci d er A g n ès à ce p et i t
V o yage... si l ’o n p eu t ai n si p ar l er . V i en n e est si
p r ès !
E l l e d i sco u r u t p en d an t u n q u ar t d 'h eu r e en v i r o n .
M i gu el n ’av ai t pu en t en d r e un m ot d e cc v er b i age. I l sc l ev a.
M " 1* de Go n sen h ci m n e t en t a p o i n t d e l e r et en i r .
E l l e r ép ét a, en l u i p r o d i gu an t scs so u r i r es l es
m ei l l eu r s et l es p l u s m al i n s :
— Su r t o u t n e m an q u ez p as d e v en i r d em ai n !
A l l i é s n o u s r aco n t er a l a co n f ér en ce.
A co t t e h eu r e p r éci se, M " ’ d ’ Et r u c h at , d eb ou t à
p o r t i èr e d e son w ago n , ch er ch ai t à r eco n n aît r e,
S| i r l e q u ai , l ’am i e sû r em en t ven u e à sa r en co n t r e.
f a r ex t r ao r d i n ai r e il y a v ai t pou d e m o n d e, m ai s
lii f o u l e eû t - el l e ét é t r ès d en se, o n au r ai t , au p r e-
�86
L ’I N F A N T
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L ’E S C A R B O U C L E
r n i cr co u p d ’œi l , r em ar q u é -la si l h o u et t e i n co m p a
r ab l em en t él égan t e d ’u n e j eu n e f i l l e en r o b e d e
v el o u r s b l eu et m an t eau d e v i so n , d on t l a t êt e p e
t i t e, t r ès fi n e so u s u n d él i ci eu x ch ap eau p ar ei l au
Cost u m e, ém er geai t du gr an d col r el ev é, d r o i t e, u n
p eu fîèr e.
L l l c ét ai t i m m o b i l e à cô t é d ’u n l i eu t en an t de sp j h i s, p en ch é v er s el l e, co m m e son t o b l i g és de l e
f a i r e l es h om m es t r ès g r an d s p o u r éco u t er u n e
f em m e.
C el u i - ci ap er çu t l e vêt em en t o u r l é d e p an t h èr e
d e M " ' d 'K t r u c h at , l es y eu x n o i r s j o y e u x ; il d i t :
— V o i c i A gn ès.
« K i l o est d ev en u e u n e b e a u t é ! » p en sa U se d u
C h an d o l en su i v an t son co u si n , l eq u el se h ât ai t
d 'o t f r i r l 'ap p u i de sa m ai n à l a V o y ageu se.
— B o n j o u r , U se! b o n j o u r , H u g u es! j e t a l a v o i x
r éso n n an t e d 'A g n ès. V o u s êt es g en t i l s d ’êt r e v en u s
m ’at t en d r e. I l m an q u e seu l em en t u n t ap i s r o u ge,
d es p l an t es v er t es et l a m u si q u e p o u r m e c r o i r e
u n e so u v er ai n e !
'
— M a ch èr e A g n è s! d i t M " * d u C h an d o l , r é
p o n d an t au b ai ser af f ec t u eu x , ch al eu r eu x d e l ’ a r r i
v an t e p ar u n m o u v em en t sem b l ab l e.
El l es ét ai en t
h eu r eu ses d e se
r et r o u v er
ap r ès
«’ êt r e p er d u es de v u e d u r an t p l u si eu r s an n ées. L eu r
am i t i é ét ai t t r ès v i v e et si n cèr e, p o u r t an t j am ai s
d eu x êt r es n av ai en t
ét é p l u s d i ssem b l ab l es.
A g n ès, b el l e, d ’u n e b eau t é p l u s écl at an t e, at t i r ai t
t ou t d ’ab o r d l es r eg ar d s p ar son t y p e à d em i esp a
gn o l , ses y eu x d e f l am m e.
I m it en el l e so u r i ai t , r esp i r ai t l a j o i e de v i v r e.
ct a' t u n c cr éat u r e f ai t e p o u r p asser d an s l a v i e
en t r i o m p h at r i ce.
L a d i st i n ct i v e d 'I l se d u C h an d o l ét ai t l a g r â c e ;
g r an d e, t r ès él an cée, el l e d o n n ai t u n e i m p r essi o n
l ar m o n i c ab so l u e. O n n e so n geai t p as t ou t de
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O I JC L E
«7
su i t e à sav o i r si cl i c ét ai t j o l i e ou n on . D an s l e
v i sag e r o se, au x co n t o u r s t r ès p u r s, on v o y ai t
«l’ab o r d l es y eu x Li en s, d o u x , p r o f o n d s, d él i ci eu sci n i en t t i m i d es. E l l e n ’av ai t r i en d e t r o p f r ag i l e,
1 cep en d an t , n i d ’ar t i f i ci el co m m e i l a r r i v e so u v en t
1 d an s ces t y p es f ém i n i n s d él i cat s.
A g n ès, en l ’ex am i n an t , so n gea :
« T o u à l es o f f i ci er s de l a g ar n i so n
d o i v en t
en
c , r c f o u s! »
A u ssi cl i c fu t t r ès ét o n n ée en co n st at an t l ’at t i
t u d e p l u s q u e r éser v ée, p r esq u e co n t r ai n t e, du l i eu
t en an t d e V al m o r d an e. A u t r ef o i s, au t em p s d e l eu r
en f an ce, H u g u es et l i se ét ai en t i n sép ar ab l es; l a
Pet i t e fi l l e n aïv em en t ad m i r at r i c e d u g r an d g a r ç o n ;
cel u i - ci em p r essé av ec el l e co m m e u n ch ev al i er
d ’an t an p o u r sa d am e. 11 av ai t l ’ai r , au j o u r d 'h u i ,
n e p as o ser l a r eg ar d er .
— M on co u si n , ex p l i q u a U se au m o m en t où i l s
f r an c h i ssai en t t o u s t r o i s l a p o r t e ex t ér i eu r e, a ét é
assez gen t i l p o u r m ’acco m p agn er . D ep u i s si l o n g
t em p s n o u s l i e n o u s ét i o n s v u es, A g n ès, j ’a v ai s
Peu r d e m e j e t e r au co u d ’ u n e i n con n u e. C e n 'eû t
Pas ét é c o r r ec t ! — E l l e r i t , d 'u n j o l i r i r e c l ai r d e
so p r an o . — M ai s H u g u es v o u s av ai t r en co n t r ée
So u ven t , cet ct é...
— M o n so u v en i r ét ai t p r ésen t à sa m ém o i r e? I l
n 'est p as o u b l i eu x ... C ’est u n e q u al i t é. V o u s sav ez ,
U se, il est p ét r i de p er f ect i o n s.
— H u g u es! éco u t ez : on di t d u b i en d e v o u s, fit
l i se, en se f o r çan t p o u r se m et t r e à l ’u n i sso n de
l a g ai t é d ’A g n ès.
L e j eu n e h om m e r ép o n d i t san s v o u l o i r so u r i r e :
— A g n ès n e p en se p as d e b i en d e m o i , m ai s el l e
ad o r e l ’ i r o n i e. A scs y eu x , l a f an t ai si e seu l e est
^ n u i san t e et ^ e n e su i s p as d i v er t i ssan t .
M " * d ’E t r u c h at s’ ar r êt a n et et , l e r eg ar d an t av ec
at t en t i o n , i n t er r o g ea :
�L ’I N F A N T
83
— V o u s av ez
t ai n e, 'ce m at i n ?
— M ai s n on !
—
A
I . ’F S C A R R O Ü C L E
r eçu tfn ab at age d e v o t r e cap i
A l o r s pou rqu oi
f ai t es- v o u s cet t e f i gu r e si
n i st r e? Co m m e n t , lis e v o u s acco r d e l ’h o n n eu r i n
si gn e de d ési r er v o t r e co m p agn i e «p ou r v en i r m e
c u ei l l i r au d éb ar q u é et v o u s n e d ai gn ez p as v o u s
m o n t r er p l u s ai m ab l e !... V o u s ét i ez au t r em en t
ag r éab l e à v o i r cet au t o m n e! V r ai m en t , m on ch er ,
on d i r ai t p l u t ô t qu e v o u s av ez accr o ch é q u at r e
j o u r s d ’ ar r êt s 1 C e n e ser ai t p as l a m o r t d ’u n h om m e,
j e l e sai s b i en , m ai s n e n o u s p r i v ez p as de v o t r e
esco r t e à l a co n f ér en ce. J ’y t i en s.
— V o u s m e co m b l ez ! d i t l e co m t e, i r o n i q u e.
M ai s n e ser ai t - c e p as u n e f aço n d e p ar l er ?
— D u t o u t ! r i p o st a d él i b ér ém en t A g n ès. V o t r e
g r an d m an t eau r o u ge est su p er b e, i l at t i r er a l ’at t en
t i o n su r n o u s et cel a m ’ am u se b eau co u p d ’êt r e
r egar d ée. C ’ est u n e d e m es f ai b l esses; il d ép l aît
à... — el l e h ési t a — cer t ai n s d e m ’en t en d r e e x p r i
m er l e fon d d e m a p en sée au ssi cr û m en t . M ai s j e
su i s f r an ch e, si n o n p a r f a i t e !
H u g u es r ép l i q u a d e son a i r d i st an t :
— A h !v . v o u s t en ez à m on m an t eau ? m i l l e
r em er ci em en t s p o u r l u i .
U se,
am i e :
t r ès
su r p r i se,
t ourn a
la
t êt e
v er s
son
— V o u s êt es d ev en u e co q u et t e, A g n ès?... Co m m e
on ch an ge !
Q u ’ cn t cn d cz- v o u s p ar l à ? d i t v i v em en t l ’ i n
t er p el l ée. F l i r t ? ou go û t d e l a p ar u r e?... Je d ét est e
f l i r t er , m ai s j ’ai m e l a t o i l et t e et d am e! j ’ ai du
p l ai si r a v o i r m es r o b es ad m i r ées, c ar t r ès so u v en t
j e l es f ai s m o i -m êm e. C ’est u n p et i t am o u r - p r o p r e
(1 au t eu r bi en p er m i s, n ’est - ce p as?
C et t e f o i s, U se s’accu sa i n t ér i eu r em en t
«l’av o i r
m al j u g é son ai n i e. A g n ès ét ai t t o u j o u r s d e m êm e,
�L ’I N F A N T
A
L ’È S C A R B O U C L E
89
l ’am u san t e c r éat u r e p r i m e- sau t i èr e, sp o n t an ée Je
ja d is .
... L e co l o n el d u C h an d o l l o g eai t n on l o i n du
Q u ar t i er d e c av al er i e, qu i est t ou t p r o ch e d u j ar d i n
de l a g ar e. F.n q u el q u es m i n u t es l es t r o i s p r o m e
n eu r s
f u r en t
d ev an t
l a m ai so n .
t — V o u s n ’en t r ez p as, H u g u es? i n t er r o g ea l i se,
ét on n ée en v o y an t son co u si n se d éc o u v r i r p o u r
Pr en d r e co n gé. V en ez d o n c av ec n o u s... V o u s êt es
l i b r e t o u t l ’ap r ès- m i d i . P ap a m e l ’a d i t .
— M er c i i n fi n i m en t , m ai s j e n e l e p u i s : j e doi9
al l er à l ’h ô p i t al v o i r u n d e m es h o m m es qu i s’est
l 'ém i s l ’ép au l e en t o m b an t d e c h ev al , r ép o n d i t l e
” eu t cn an t , av ec l ’i n t en t i o n bi en év i d en t e d e n e p as
8c l ai sser co n v ai n cr e.
U se, v i si b l em en t d éçu e, i n si st a :
— M ai s v o u s d în ez ce so i r à l a m ai so n ? M am an
y co m p t e. M o n p èr e n e v eu t p as assi st er à l a co n
f ér en ce et t i en t à 11c p as n o u s sav o i r seu l es.
— L e cap i t ai n e V ér an - L ab al m e y v a..., co m
m en ça M . d e V al m o r d an c.
— O h ! i l est si en n u y eu x !... I l n e cesse d e p ar l er
et n ’en t en d r i en à l a m u si q u e.
« H u g u es, j e v o u s en p r i e, n e n o u s l âch ez p asl
^ o u s m ’av i ez p r o m i s d e v en i r et r ap p el ez - v o u s,
^ ou s n o u s r éj o u i ssi o n s d ’ en t en d r e en sem b l e l a so n at e A T h ér èse d e B r u n s w i c k et l es ch an so n s du
* v t" si ècl e.
A g n ès se m i t ¡\ r i r e :
— V o u s r ef u sez q u el q u e ch o se à U se? E n v ér i t é,
Je n ’en cr o i s p as m es o r ei l l es. A u t r ef o i s el l e n ’av ai t
Pas l e t em p s d e m an i f est er u n d ési r , v o u s ét i ez
!; ®cs o r d r es.
Sy r i e ?
.
Ser i ez - v o u s
d ev en u
sau v ag e,
en
Si j e v o u s ai p ar u t el , l i se, d i t l e j eu n e
’ °m i n c, i n cap ab l e d e r ési st er p l u s l o n gt em p s au x
° u * y eu x b l eu s i m p l o r an t s d e sa co u si n e, j e vou«
�go
L ’I N F A N T
A
I / E SC A R B O U C L E
d em an d e m i l l e p ar d o n s. V o u s p o u vez co m p t er su r
m o i , et A g n ès su r m on m an t eau r o u ge.
— Gen t i l p o u r m o i , ç a ! fil cet t e d er n i èr e, am u sée. :
C el a m ’ est ég al , v o u s sav ez ... p o u r v u q u ’on m e
r eg ar d e !
M ‘" du C l i an d o l , u n e t r ès ai m ab l e et en co r e j o l i e
f em m e, r eçu t l ’am i e de sa fi l l e av ec b eau co u p de
gr âc e. E l l e co n n ai ssai t A g n ès d e r ép u t at i o n et l u i
fit u n co r d i al accu ei l .
l i se em m en a son i n v i t ée d an s l a ch am b r e p r é
p ar er t ou t p r ès çle l a si en n e, v i t cel l e- ci p r o céd er
à son i n st al l at i o n av ec scs gest es v i f s, p r éci s, et
l o u a l ’ad r esse d e son am i e, h ab i l e à f ai r e cen t o b
j et s d e t o i l et t e d ’ un go û t t r ès p er so n n el m ai s e x
cel l en t .
I n v o l o n t ai r em en t el l e t en ai t l es y eu x f i x és su r
A g n ès. C el l e- c i , t o u t en se r eco i f f an t , fi n i t p ar
i n t er r o g er :
— Po u r q u o i m e r eg ar d ez - v o u s ai n si ? Su i s- j e h a
b i l l ée d e t r a v er s?
— O h ! n o n , m ai s... v o u s n ’èt es p l u s t ou t à f ai t l a
m êm e. 11 y a en v o u s u n ch an gem en t ... j e n e sai s
co m m en t d i r e... u n e f aço n d ’êt r e si d i f f ér en t e',
q u el q u e ch o se d ’ar r êt é, d e fi xé.
E l l e so n geai t :
« A g n ès a p l u s q u e d e l ’ai san ce. U n ap l o m b de
f em m e et n on d e j eu n e fi l le. C ep en d an t , el l e n ’a
p as u n e v i e t el l em en t m o n d ai n e h l a cam p agn e. —*■
E l l e l ’ét u d i a en co r e f u r t i v em en t . — O u i , el l e est
d i f f ér en t e, m ai s t o u j o u r s si gen t i l l e, af f ect u eu se... je
l ’ai m e b eau co u p . *
— D i t es d o n c, l i se, r em ar q u ai t à cet i n st .nt
A g n es, c est p l u t ôt v o t r e co u si n q u i est à t r an sf o r
m at i o n s. Pen d an t l es v acan ces il ét ai t t r ès a i m a b l e ,
assez g ai , m êm e, accep t an t t o u t es l i s i n vi t at i on s»
l u i p as f o l l em en t m o n d ai n ... p ar i n st an t , 011 au r ai t
d u q u ’ i l ch er ch ai t à s’ ét o u r d i r ...
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
V
— S ’ét o u r d i r ? r c p ct a U se v i v em en t ; p o u r q u o i ?
— Je n e l e sai s p as, n at u r el l em en t !...
d’h ui i l m ’a si d ér ée. I l n ’ a j a m ai s ét é b i en
t r at i f , m ai s, cet t e f o i s, ce n ’est p l u s u n
c est u n g l aç o n !., et r ’ i s, cet a i r t r i st e !...
A u jo u r
d ém o n sh om m e,
Co m m e
811 t em p s où son
B er n ar d
d evan t l u i .
— A h ! dit
g r an d - p c r c em b r assai t
U se d ’ un accen t u n p eu t r em b l an t ,
»o u s l ’av ez r em ar q u é?
— C el a sau t e au x y eu x . Q u ’cst - ce q u ’i l a ?
■— Je n ’en sai s r i en , m u r m u r a M " ' du C h an d o l
Cr> d ét o u r n an t l a t ât e.
L a co n v er sat i o n fi n i t l à. L es d eu x am i es n e p ar
u r en t p l u s q u e d e ch o ses i n si gn i f i an t es, l i se év i t a
8o'gn eu sem cn t d ’év o q u er l eu r s an ci en s so u v en i r s
E n f a n c e , c ar il au r ai t f al l u r ép ét er san s cesse l e
n,)r» d e son co u si n et m ai n t en an t , à l ’ h eu r e où
^ "K u es sem b l ai t s’él o i g n er d ’el l e, ce r ap p el d u
tc',r>ps o ù el l e ét ai t l a p et i t e am i e f i d èl e, l ’u n i q u e
c°n so l at r i c c d u j eu n e g ar ç o n d él ai ssé, l u i ser r ai t l a
8 °r g c .
A g n è . s sen t i t q u ’ I I sc n e l u i d i r ai t p as t o u t . U se
j ^ ai t , d e son cô t é, u n e i m p r essi o n i d en t i q u e; seu l('t »cn t l a p r em i èr e p ar ai ssai t p r en d r e à t âch e de
R e l i e r u n e j o i e i n t en se; l a seco n d e, u n e p ei n e
Jal o u sem en t d i ssi m u l ée à t o u s l es y eu x .
I .c d în er fu t t r ès r ap i d e, à cau se d e l a co n f ér en ce
a l aq u el l e l es j eu n es fi l l es al l ai en t se r en d r e. L e
c°l o n el du C h an d o l — u n h om m e ch ar m an t —
r °f u sa ab so l u m en t d e l es acco m p agn er . I l n e se
®°'i c i ai t p o i n t du t o u t , et l e d éc l ar a, d ’en t en d r e u n e
f ai l l e q u el co n q u e, eû t - el l e u n i m m en se t al en t , p er o r i r d ur an t ! u n e h eu r e su r l e r ô l e d e l a f em m e à t r a* cr » l es A ges. I l t en ai t , q u an t à l u i , l e b eau sex e p o u r
d él i ci eu x — il s’ i n cl i n a ce d i san t d u cô t é d ’ A g n è s,—
®f>n o p i n i o n ét ai t i m m u ab l e, il n ’ av ai t p as b esoi n
c n o u v eau x ar gu m en t s p o u r l a r en f o r c er .
�9?
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L K
A g n es d i t p o l i m en t :
__ N o u s v o u s r egr et t er o n s, co l o n el .
—
C ’ est t r ès ai m ab l e, ( li t cet o f f i ci er su p ér i eu r en
r i an t . M ai s j e co n n ai s v o t r e v ér i t ab l e p en sée.
H u g u es est p r éf ér ab l e com m e esco r t e. M o i j e n e
su i s p l u s assez m i n ce p o u r q u e l 'u n i f o r m e m ’ ai l l e
;
b i en !..
... L a sal l e de co n f ér en ces ét ai t au x t r o i s q u ar t s
p l ei n e l o r sq u e M m* dit C h an d o l , sa fi l l e et A g n ès
en t r èr en t , su i v i es p ar l e l i eu t en an t d e V al m o r d an c.
Si M 1'* d 'E t r u c h at so u h ai t ai t êt r e d év i sagée, el l e
eu t l ’o ccasi o n d ’êt r e sat i sf ai t e : l eu r gr o u p e él é
gan t
at t i r a i m m éd i at em en t
l ’ at t en t i o n g én ér al e.
C eci l a m i t en ex c el l en t es d i sp o si t i o n s p o u r j o u i r
d e l a m u si q u e et d ’ u n e sp i r i t u el l e c au ser i e su r « l a
j eu n e fi l l e à t r av er s l es âg es ».
Q u o i q u e t r ès m o d er n e, d e v u es f o r t l ar g es, l a
co n f ér en ci èr e p ar ai ssai t i n cl i n er v er s l ’an t i q u e co n
cep t i o n d e l a f o r m at i o n du f o y er , du p act e m i l l é
n ai r e, h él as! en v o i e d e d i sp ar i t i o n : l ’h om m e, êi r c
f o r t , p r o t ect eu r de l a f em m e, êt r e f ai b l e; m ai s cet t e
f ai b l esse n e d ev en ai t p oi n t p o u r cel a u n e m ar qu e
d ’ i n f ér i o r i t é m o r al e. D e m êm e q u e l ’o b éi ssan ce &
l ’ép o u x n e co n st i t u e p as u n ab ai ssem en t m o r al .
l i se éco u t ai t , t f r av e, l es y eu x sé r i e u x ; l es m ot *
p r o n o n cés ét ai en t si ex act em en t ceu x q u ’el l e-m êm «
eû t d i t s.
A g n ès, au co n t r ai r e, r el ev a l a t êt e d 'u n a i r il £
c o u r r o u x . U n e p en sée i n t ér i eu r e d ev ai t l 'i r r i t cf i
c ar scs p et i t es d en t s m o r d ai en t scs l èv r es rouge*»
co m m e si el l e eut vo u l u r et en i r u n e p r o t est at i o n .
L a p ér o r ai so n s’ach ev a d an s u n e sal v e d 'ap p l '* 1'
d i ssem en t s, et ce fu t al o r s l e t o u r «le l a p » r t 'c
m u si cal e.
D an s l e co u r t c n t r ’act e, au m o m en t o ù l es f * “ '
t eu i l s ét ai en t v i d es au t o u r d ’ eu x , A g n ès ém i t , d'»«'*e
f aço n q u el q u e p eu ag r essi v e :
�L ’I N F A N T
A
L ’ K SC A R n O U C L E
93
C el a v o u s p l aît h v o u s n at u r el l em en t , H u g u es,
t e ser m o n en gu i r l an d é d e p et i t es h i st o i r es, d on t l e
b u t ét ai t d e n o u s d i r e, en so m m e : « So y ez so u m i ses,
o b éi ssez , c 'est en co r e ce q u ’ i l y a d e m i eu x ! »
« E l l e n ’a p as l ’esp r i t d e co r p s, cet t e f em m e!...
O b éi r , c ’est t r ès gen t i l à d i r e p o u r cel u i q u i co m
m an d e, m ai s p o u r l ’au t r e !
— Q u an d on ai m e, c ’ est b i en f ac i l e, d i t M m* du
C h an d o l en so u r i an t . V o u s p ar ai ssez v o u s r ep r é
sen t er u n m ar i c o m m e u n t y r an .
— T o u s l es h om m es so n t d i sp o sés à l ’êt r e, r é
p l i q u a M " ' d ’ Et r u c h at . I l n e f au t p as se l ai sser
f ai r e. C ’est b i en si m p l e!
1%I l e se - '.l ai t , ce d i san t , d éf i er q u el q u ’u n d an s
l ’esp ace.
— V o u s êt es co m b at i v e, fit H u g u es, en sc p en
ch an t
p o u r r el ev er l e p r o gr am m e d ’ I l se.
— N o n . M ai s j e n e v o u d r ai s p as êt r e l a ch o se
d ’u n m o n si eu r q u el co n q u e assez ... p r o t ect eu r p o u r
m e d i r e : « Je d éf en d s! »
— En n e f ai san t r i en d e d ér ai so n n ab l e on n e s’ex
p o se p as à s’ en t en d r e d i r e ceci , r ép l i q u a l e l i eu
t en an t .
— B i en
sû r !
en
o b éi ssan t
t o u j o u r s!...
V o u s,
q u an d v o u s ser ez m ar i é, v o t r e p r em i er soi n ser a
d 'i m p o ser u n e au t o r i t é i n f l ex i b l e à v o t r e f em m e...
j e v o u s co n n ai s.
— Si v o u s m e co n n ai ssez si b i en , A g n ès, r ép o n
d i t l e co m t e d e V al m o r d an e, v o u s sau r i ez en co r e
Ceci : j e n ’ au r ai p as à m o n t r er m a v o l o n t é, p ar ce
*|Ue j e so u h ai t e f ai r e av ec m a f em m e u n seu l cœu r ,
»n e seu l e Am e. C e q u e l 'u n v o u d r a, l ’au t r e au ssi l e
v o u d r a. Je n e ser ai d o n c p as o b l i g é d e d i r e : « Je
d é f en d s» , m ai s si , p ar h asar d , c ’ ét ai t n éc essai r e,
al o r s o u i , cer t ai n em en t j e l e f er ai s.
, — E l l e p eu t se d i sp o ser a d ev en i r esc l av e, cet t e
»»co n n u e! lit A g n ès âp r em en t .
�. - L 'I N F A N T
Ç4
A
L ’E S C A R B O U C L E
__ T o u t à l ’h eu r e v o u s co n f o n d i ez m ar i ag e et
d r essag e et m ai n t en an t en co r e av ec esc l av ag e.
L ’u n e et l ’au t r e ch o se égal em en t f au sses. L ’esc l a
v ag e est l a p r i v at i o n ar b i t r ai r e d e l a l i b er t é;
l ’am o u r est l e r en on cem en t d e son en t i èr e i n d i v i
d u al i t é co n sen t i av ec al l ég r esse et cel a p er m et
t o u s l es sacr i f i ces, m êm e cel u i d e l ’o r g u ei l . N e p as
sav o i r se so u m et t r e, c ’est t o u t si m p l em en t êt r e
o r g u ei l l eu x .
— L ’am o u r est f o r t , c ’est v r a i , r eco n n u t A g n ès,
t o u t à co u p sér i eu se; m ai s l ’am o u r - p r o p r e n ’est - i l
p as au - d essu s d e t o u t ?
— N o n , d i t l e co m t e de V al m o r d an e, l ’ accen t
so u d ai n al t ér é. A u - d essu s de l 'am o u r i l n ’y a qu ’u n e
seu l e ch o se : l e d ev o i r .
C es m o t s co r r esp o n d ai en t , el l e l e d ev i n ai t , à u n e
p en sée secr èt e, p én i b l e p o u r l u i .
A g n ès j et a d an s u n e p et i t e m ou e :
— E h bi en ! v o u s êt es g ai au j o u r d 'h u i ! Si v o t r e
u n i f o r m e av ai t
pu
v en i r
t ou t
seu l c el a m ’au r ai t
f ai t au t an t d e p l ai si r !
11
n e p u t r i en aj o u t er c ar , l ’cn t r 'ac t c ét an t fi n i ,
t o u s l es si èg es au t o u r d ’ eu x se r egar n i ssai en t . L es
m u si ci en s acco r d ai en t d é j à l eu r s i n st r u m en t s.
A cet i n st an t , A g n ès v i t l es y eu x d ’ I l se f i x és su r
son co u si n . E l l e co m p r i t .
Il
au r ai t f al l u êt r e av eu gl e p o u r n e p as l i r e t o u t e
l a t en d r esse co n t en u e d an s ces p r u n el l es b l eu es, i n
gén u es co m m e cel l es d ’ un en f an t et d év o i l an t cet t e
f o i s l 'âm e de l a f em m e p assi o n n ém en t ép r i se.
H u g u es r eg ar d ai t d r o i t d ev an t l u i , l es t r ai t s d u r
ci s p ar l ’ef f o r t qu il f ai sai t p ou r d em eu r er i m p as
si b l e. L es y eu x n o i r s n e se d ét o u r n èr en t ]x>int . O n
n e p o u v ai t d éc h i f f r er qu oi q u e ce f û t su r ce m a s q u e
f er m é, f r o i d com m e cel u i d ’ u n e st at u e.
A g n ès, en co r e o u t r ée p ar l es p ar o l es d u l i eu t e
n an t , p en sa :
�i
/i n f a > :t
a
i/ e sc ar h o u c le
¡55
« U se l ’ai m e et l u i n e s’ en ap er ç o i t p as... o u , s’i l
l e v o i t , i l d em eu r e i n sen si b l e. T o u s l es m êm es, ces
V a l i n o r d a n c ! L a p au v r e p et i t e, j e l a p l ai n s! »
III
T1 p l eu v ai t , cel a v a san s d i r e, l o r sq u ’ A g n ès dé*
b ar q u a d ev an t l a p o r t e d e son h o m e t em p o r ai r e et ,
Cer t es, l ’ex t ér i eu r de l ’h ôt el d e Go n sen h ei m n ’ av ai t
'r i en p o u r ex c i t er l ’en t h o u si asm e. Po u r t an t , l a j eu n e
f i l l e r essen t i t u n e v ér i t ab l e j o i e en se r et r o u v an t
d an s l a ch am b r e où l es b i b el o t s f am i l i er s l u i r e
co n st i t u ai en t son cad r e h ab i t u el .
T o u t de su i t e, l a c u i si n i èr e, q u i co m p o sai t à el l e
seu l e l e p er so n n el t ic M 11*" d ’ Et r u c h at , v i n t a v er t i r :
—
M 1" ' l a b ar o n n e ;i f ai t d em an d er si M " * A g n ès
p o u r r ai t d escen d r e au p r em i er d an s l ’ap r ès- m i d i ,
l e p l u s t ôt p o ssi b l e à p ar t i r de t r o i s h eu r es.
C e n ’ét ai t p o i n t l à u n év én em en t . M " " D u p o n t
de Go n sen h ei m , d e p l u s en p l u s en t i ch ée d e l ’ai n ée
d i s n i èces d e son am i e, l ’au r ai t v o u l u e san s cesse
ch ez el l e.
A g n ès r ép o n d i t : « C ’est 1>icn. J ’ i r a i .»
L à- d essu s, el l e r eg ar d a t en d r em en t l e p r i n ce a u x
y eu x d e v el o u r s, l eq u el d ev ai t êt r e b i en su r p r i s,
d an s son séj o u r p ar m i l es o m b r es, d ’i n sp i r er u n e
au ssi v i v e p assi o n , et , p o u r co m p l ai r e, san s d o u t e,
à ce p er so n n age h au t ai n , éch an gea son co st u m e d e
v o y ag e co n t r e u n e t r çs él égan t e r o b e d ’ap r ès- m i d i ,
Cn m o u ssel i n e de so i e n o i r e p ei n t e d ’u n e j o n ch ée
de r o si s r o u ges. M 11* F él i c i e n ’ai m ai t p as v o i r sa
* 'i «ec v êt u e a i n si ; el l e t r o u v ai t cet t e t o i l et t e t r o p
* j eu n e
fem m e »,
m ai s
A g n ès,
t êt u e,
sem b l ai t
�L ’I N F A N T
t j6
A
L ’E S C A R B O U C L E
p r en d r e p l ai si r à f ai r e g r i n c er sa t an t e en l a ch o i
si ssan t .
D es t r o i s h eu r es, M “ de Go n scn h ci m v i t en t r er
d an s son sal o n l a p l u s r ad i eu se j eu n e fi l l e q u i se
p u i sse i m agi n er , et M i gu çl d 'E t c h c b ar r am d u t f ai r e
ap p el à t out son sav o i r - v i v r e p o u r n e p oi n t ém et t r e
un co m p l i m en t t r o p cat ég o r i q u e en sc t r o u v an t so u
d ai n en f ace d ’ A g n ès.
M ” de Go n sen h ei m , ap r ès av o i r f ai t p r i er sa
p et i t e am i e d e v en i r l a v o i r , cr u t fi e bon go û t de
j o u er l a su r p r i se :
— M a ch èr e m i gn o n n e ! v o i l à u n e ai m ab l e p en
sée. C ’est gen t i l de n i e d o n n er u n m o m en t !...
A ssey ez - v o u s b i en v i t e et n e v o u s o ccu p ez p as d e
M . d ’ Et ch cb ar r am ... V o u s êt es i ci u n i q u em en t p o u r
m o i , n ’ est - i l p as v r a i ?
— U n p eu p o u r t o u s l es d eu x , p u i sq u ’ il y est
au ssi , r i t A g n ès, san s em b ar r as.
— E l l e est ad o r ab l e ! s’ ex c l am a M '"* L éo n i e en
sc co n t o r si o n n an t p o u r m o n t r er u n v i sag e af f ab l e
à scs v i si t eu r s. E l l e est u n i q u e ! Si j ’ét ai s F él i c i e,
j e vo u s d év o r er ai s d e b ai ser s t o u t e l a j o u r n ée...
m ai s cel a vo u s en n u i er ai t .
— O u i , d i t A g n ès, j e n ’ai p as l ’h ab i t u d e d 'êt r e
em b r assée p ar t an t e F él i c i e et p u i s...
L a b ar o n n e r i t :
— O u i , n ’ cst - cc p as? u n e m ar r ai n e!... M ai s v o u s
n ’ av ez p oi n t à en v i sag er cet t e p er sp ect i v e. V o t r e
ex c el l en t e p ar en t e n ’ est p as d ém o n st r at i v e.
— l '.t d ’ ai l l eu r s n ou s so m m es u n p eu en
d i t A g n ès, p ai si b l e,
M
t ou t
—
bi en
fr oid ,
" de Go n sen h ei m t o u ssa. T r è s v i t e el l e d éf i l a
un ch ap el et d ’ i n t er r o gat i o n s :
Par l ez - m o i d e v o s am i s d u C h an d o l ? so n t - i l *
i n st al l és? se p l ai sen t - i l s à V i en n e?... l a v i l l e
o i T r e- t - el l e d es d i st r ac t i o n s? et cet t e co n f ér en c e?.V o y o n s, co n t ez- n o u s c el ai
�L ’I N I - A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
97
A g n ès r ép l i q u a p o sém en t , t ou t en ét al an t sa b el l e
j u p e à r o ses r o u ges su r l es co u ssi n s d e b r o car t
v i ei l o r d e l a b er g èr e :
— L e s C h an d o l so n t au ssi ai m ab l es q u e v o u s,
M ad am e, c ’est t o u t d i r e. L eu r f i l l e est u n e p er f ec
t i on p h y si q u e et m o r al e, f ai t e p o u r v o i r l e m on d e
en t i er f o n d u d an s l a seu l e p er so n n e d e so n m ar i ...
q u an d el l e au r a l e m al h eu r d ’en p o sséd er u n !
— O h ! m al h eu r ! p r o t est a l a b ar o n n e, c o n t r ar i ée.
. M i gu el se m i t à r i r e. I l t r o u v ai t t o u j o u r s A g n ès
ad o r ab l e q u o i q u ’el l e f i t o u assu r ât .
— M ai s o u i . Us*. “ t m o i so m m es ab so l u m en t d i s
sem b l ab l es, c ’est p o u r q u o i j e d i s : el l e est p ar f ai t e...
L e s d i st r ac t i o n s d e V i en n e? j e n e p u i s en p ar l er ,
j ’y ai p assé seu l em en t sei z e h eu r es, d on t u n e p ar t i e
em p l o y ée à éco u t er u n e d am e v êt u e av ec u n go û t
p a r f a i t ém et t r e d es t h éo r i es p r ésen t ées d an s u n
st y l e i m p eccab l e, m ai s d on t j e n e p u i s d i r e q u el l es
son t co n f o r m es aù x m i en n es p r o p r es.
L e so u v en i r de sa d i scu ssi o n av ec l e co m t e d e
V al m o r d an e l u i r ev i n t b r u sq u em en t à l a m ém o i r e.
E l l e av an ç a d es l èv r es b o u d eu ses, u n fl o t d e san g
co u r u t su r ses j o u es.
M . d ’ E t c h eb ar r am l a co n t em p l ai t av ec u n e c er
t ai n e p er p l ex i t é. M " ” d e Go n scn h ci m , se l ev an t t ou t
à co u p , d écl ar a d 'u n t on p l ai n t i f :
— G r an d D i eu ! j o u b l i ai s d e r ép o n d r e à l a p r é
si d en t e d e l ’oeu vr e d es O r p h el i n s d u R h ô n e et m a
l et t r e d o i t l u i êt r e r em i se ce so i r ! Q u el d o m m ag eI
j ’ al l ai s v o u s p r i er , A g n ès, d e n o u s f ai r e co n n aît r e
ces i d ées si d i f f ér en t es d es v ô t r es. V o u s av ez u n e
m ém o i r e ét o n n an t e, j ’a u r ai s eu l ’ i l l u si o n d ’ assi st er
à l a co n f ér en ce... M . d 'E t c h eb ar r am m ’ex c u ser a si
j e v o u s f au sse co m p agn i e un i n st an t . Rem p l acez m o i si v o u s p o u vez !
K l l c eu t u n p et i t g est e m al i n , o u se cr o y an t t el ,
t t d u n e al ^ t r c p ap i l l o n n an t e, m al g r é so n ar m at u r e
236-.1v,
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Nf a n t
a
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/ e s c a r b o u c t .e
d e b al ei n es r en f o r c ées, se d i r i g ea v e r s l e gr an d
sal o n .
D ’ u n m o u vem en t si m u l t an é, A g n ès c^’ H t r u ch at
et M i g u el d ’ Et ch eb ar r am , ab an d o n n an t l eu r s f au
t eu i l s, v i n r en t s’asseo i r su r l e can ap é à d eu x p l aces.
I l s se r egar d èr en t d ’ab o r d san s p ar l er , p u i s l es
l èv r es d e M i gu el se p o sèr en t d o u cem en t su r l es p e
t i t es m ai n s ab an d o n n ées d an s l es si en n es.
— A g n ès... m u r m u r a l a v o i x t en d r e d u j eu n e
h om m e. C ’ est t r o p l o n g !... Je su i s à b o u t d e p a
t i en ce. Si v o u s v o u l i ez cep en d an t , c h ér i e?...
E l l e r ép l i q u a, en essay an t m o l l em en t d e se d é
g ag er :
— M ai s v o u s sav ez b i en p o u r q u o i ce n ’est
en co r e p o ssi b l e, et m a t an t e...
— A h ! v o t r e t an t e! fi t -i l av ec u n e so u r d e
t at i o n ; t o u j o u r s el l e! Q u ’ est - ce q u e j ’ ai f ai t
êt r e ai n si d ét est é?
— Je n e sai s p as. E l l e est bòr n i e... si , j e
p as
irri
pou r
vou s
assu r e, el l e l ’est , m ai s t el l em en t f an t asq u e. O n l u i
p l aît , p u i s o n l u i d ép l aît . 11 su ffi t d ’u n r i en .
11 d i t t r i st em en t :
— O u i , et ce r i en f ai t n o t r e m al h eu r .
A g n ès se r ap p r o ch a, câl i n e :
— N o u s ser o n s h eu r eu x un j o u r . Je v o u s l e j u r e,
s’ il d ép en d ai t d e m o i seu l e, j e n e p ar l er ai s p as au
f u t u r , m ai s au p r ésen t . M i gu el !... oh ! p o u r q u o i m e
r eg ar d ez - v o u s ai n si ? J ’ai d i t q u el q u e ch o se qu i
v o u s a f ai t d e l a p ei n e? M i gu el ! p as ces y c u x - l à !...
Si w o u s co n t i n u ez j e v ai s p l eu r er .
E l l e t en t ai t en co r e de r i r e, m ai s c’ ét ai t u n e g ai t é
f ac t i c e, f êl ée, p r o ch e d es l ar m es.
I l m u r m u r a t r ès b as :
— A g n ès, ce n ’est p as d es au t r es qu e j ’ ai p eu r ,
c’ est d e vo u s. E n v o u s en t en d an t p ar l er av ec u n e
i n so u ci an ce d ’en f an t de cet t e h u m eu r v ar i ab l e de
M “ ' d ’E t r u c h at , j e p en se — m a t o u t e Qpt it c ch ér i e,
�L ’I N F A N T
A
I . ’E S C A R B O U C L F .
n e m en v eu i l l ez p as
co m b i en so u v en t d éj à j e
v o u s ai v u e ch an gean t e. L e s h eu r es av ec v o u s so n t
p o u r m oi t an t ô t u n d él i ce, t an t ô t ... p r esq u e u n su p
p l i ce. Je v o i s m a v r ai e A g n ès et p a r f o i s u n e
au t r e, si d i f f ér en t e d e l a m i en n e, et c ’est t o u j o u r s
l a m êm e.
<
Q u el l e est l a v ér i t ab l e? C el l e q u i m ’ai m ai t
assez p o u r n i e p r o m et t r e d ’êt r e t o u t e à m o i ; ou
l 'au t r e, d ési r eu se d 'ex er c er so n p o u v o i r su r cel u i
q u i d o n n er ai t av ec j o i e sa v i e p o u r el l e, et n e v o i t
p as q u e, en ag i ssan t ai n si , el l e m e t o r d l e c œ u r !...
A g n è s! ... d i t es, q u el l e est l a v r a i e?
E l l e ét ai t t r ès ém u e, m ai s l a f r an c h i se l ’em p o r
t ai t t o u j o u r s :
— L es d eu x , d i t - el l e. C el l e q u i v o u s ^ i n i c p ar
d essu s t p u t , c’est m o i ; et l a cap r i c i eu se, m oi en
co r e. M ai s p o u r q u o i en v o u l o i r à cel l e- ci : sa p l u s
ch èr e f an t ai si e n 'est - el l e p as d ’êt r e h eu r eu se a v e ?
vou s ?
L es y eu x c ar essan t s d 'E t c h eb ar r am
s'asso m
b r i r en t :
— A g n ès, êt es- v o u s u n e fem m e ou u n e en f a n '?
Su i s- j e p o u r v o u s u n j o u et ou u n h o m m e? M e
cr o y ez - v o u s d ési r eu x d e f o n d er u n f o y er su r l e
m ot « c ap r i c e » et d ’i n sc r i r e « f an t ai si e » su r l a
p i er r e d e n o t r e seu i l ?
El ^ e t o u r n a l a t êt e v er s l u i , sa b o u ch e so u r i an t e
cr eu sée p ar u n p li b o u d eu r :
— O h ! M i gu el , j ’ét ai s si co n t en t e d e v o u s t r o u
v er
i ci
au j o u r d ’h u i , et
v o i l à co m m en t
vou s
m ’accu ei l l ez ! L e p r em i er m ot est u n r ep r o ch e... D e
p u i s q u el q u e t em p s v o u s êt es ai n si , v o u s sai si ssez
t o u t es l es o ccasi o n s d e m e ser m o n n er . Est - c e m a
f au t e, si j e d ét est e l e co n v en u , si j ’ai m e l e m o n d e!
B i en t ô t v o u s m e d i r i ez d ’u n a i r sév èr e : « Je n e
V eu x p as!... j e d éf en d s! » C es m o t s- l à, j e vo u s
�tpo
L ’I N F A N T
A
L ’ F . SC A K l î O U C L F ,
__ V o u s n e f er ez j am ai s r i en p o u r m ’o b l i g er à
cel a, d i t - i l en l ’ at t i r an t d e n o u v eau v er s l u i . Je su i s
sû r d e v o t r e af f ect i o n , et qu an d 011 ai m e, i l co û t e si
p eu d e f a i r e d es co n cessi o n s, d e...
— A h ! p ar exem p l e ! fit A g n ès, r ai d i e d an s l e
b r as qu i l ’ en ser r ai t . Je t r o u v e cel a su p er b e! Si l ’u n
d ev ai t céd er , ce n e ser ai t p as v o u s, m ai s m o i ?...
C ’est v r ai m en t d él i ci eu x , co m m e p er sp ect i v e !
« P ar c e qu e t el s f u r en t j ad i s l es b o n s v i e u x _
u sag es, d o n n an t t o u s l es d r o i t s au m ar i , i l f au d r ai t
co n t i n u er à p l i er ? Je n ’ ai au cu n e v o cat i o n p o u r l e
ser v ag e, m on ch er , ap p r en ez - l e !
Fu r i eu se, el l e sc r em i t d ebou t et co n t i n u a av ec
u n e âp r et é cr o i ssan t e :
y
— Je 11c m ’at t en d ai s p o i n t à su b i r , ap r ès l a co n
f ér en ce d 'h i er , u n e d eu x i èm e éd i t i o n d es, d ev o i r s
d e l a f em m e. Je n e v o u s' au r ai s p as cr u v i eu x j eu
S ce p o i n t - l à!... C ’ est t o u j o u r s l a m êm e ch o se,
a l o r s? N o u s d ev r o n s p er p ét u el l em en t o b éi r , et v o u s
o r d o n n er ?
— C e n ’est p as t o u j o u r s u n p l ai si r d ’av o i r à
co m m an d er , d i t M i g u el si m p l em en t ; et v o u s p ar ai s
sez co n f o n d r e i ci : j u st e au t o r i t é av ec d esp o t i sm e.
L a v ei l l e, M " " d u C h an d o l av ai t f ai t u n e r é
f l ex i o n à p eu p r ès sem b l ab l e. A g n ès se m o r d i t l es
l èv r es et d em eu r a u n i n st an t si l en ci eu se.
E l l e v o y ai t l e j eu n e h om m e d éso l é et , sach an t
com bi en il ét ai t ép r i s, sc sen t ai t cer t ai n e de l ’am e
n er à co m p o si t i on .
— V o u s n e p o u vez, r ep r i t - i l , s’ ef f o r çan t d e r est er
cal m e, b o u l ev er ser l ’o r d r e ét ab l i de t o u t e ét er n i t é,
c ar il a ét é vo u l u p ar D i eu l u i - m êm e. V o u s n e
p o u r r ez f ai r e qu e l a f em m e n e so i t u n êt r e f r a g i l e
p h ysi q u em en t et m o r al em en t et q u ’el l e n ’ai t p a s
b eso i n d e p r o t ect eu r . Je sai s, on a t en t é d e r en v er
ser l ’o r d r e d es ch o ses, d e c r éer u n e ég al i t é a b so l u e
e n t r e l es d eu x se x e s; l ’o p ér er
su r c er t ai n s p o i n t s,
�L ’I N F A N T
A
E ’E S C A R B O U C I . E
10 1
o u i , cel a sc p eu t , et j e n e m ’él èv er ai j am ai s, co n u n c
l e f o n t d es esp r i t s r ét r o g r ad es, co n t r e l a t en d an ce
à d o n n er au x f em m es ce q u ’el l es on t l e j u st e d r o i t
d e r écl am er , p u i sq u ’ el l es son t t r ès so u v en t f o r cées
m ai n t en an t , av ec l a t r an sf o r m at i o n t ic l a v i e cau sée
p ar l a g u er r e, d ’ acco m p l i r d es t âch es q u i l es at t i r en t
h o r s du f o y er — ceci p o u r m oi est u n m al h eu r à
d ép l o r er d u r est e, m ai s il ex i st e, 011 n e p eu t l ’em p ê
ch er . M ai s ce n ’est p as l e p o i n t su r l eq u el v o u s d i s
cu t ez ; v o u s p r en ez seu l em en t
t i cs f em m es n u l l e
m en t o b l i g ées d e sc t i r er d ’a f f ai r e p u i sq u e l eu r
m ar i est l à p o u r y p o u r v o i r . Eh b i en ! d an s ce cas,
j e t l i s, et co m b i en d ’au t r es av an t m oi l ’o n t p r o u v é,
l a f em m e, san s l ’ap p u i d e l ’h om m e, d ev i en t f at al e
m en t u n e d ésax ée. A p ar t de t r ès r ar es ex cep t i o n s,
seu l e, el l e n e peut r i en .
— Il v o u s est f ac i l e, d i t A g n ès, i r o n i q u e, de
r ay er d ’un m ot l a cél éb r i t é t ic n o m b r e de m es co n
gén èr es I
— N e ch er ch ez p as à sav o i r co m m en t l a g l o i r e
l eu r est v en u e, d i t - i l sér i eu sem en t . A m o i n s q u e
v o u s n e p r éf ér i ez l es p l ai n d r e. Et m êm e, à cel l es- l à,
si v o u s o f f r i ez l e b o n h eu r t o u t si m p l e, v o u s f er i ez
u n b eau cad eau .
—
Si
l e b o n h eu r
co n si st e à sc so u m et t r e, ce
cad eau , j e v o u s en p r év i en s, n e ser a p as d e m on
g o û t !... Je v o u s c r o y ai s com m e m oi ... dh ! r esp ec
t u eu x îl es gr an d s d ev o i r s, év i d em m en t , m ai s n éan
m o i n s t r ès m o d er n e, d ’esp r i t assez l ar g e p o u r av o i r
seco u é bon n o m b r e d e p r éj u g és. Je p en sai s av ec
p l ai si r à l a v i e qu e n ou s au r i o n s un j o u r , et m ai n
t en an t , j e l e d ev i n e, i l f au d r a v o u s sac r i f i er t ou t es
m es i d ées et l e 'f ai r e en co r e u n so u r i r e su r l es
l èv r es en d i san t : « C el a n e m e co û t e p as, p u i sq u e
cel a v o u s r en d h eu r eu x ! »
M i gu el , b l essé j u sq u ’au f o n d d e l 'âm e, r ép o n d i t
en t âch an t de g ar d er so n san g - f r o i d :
�10 2
L ’I N F A N T
A
I . ’E S C A R R O U C L E
—
Je n e su p p o sai s p as, m o i , q u 'i l p û t v o u s en
co û t er b eau co u p d e m e r en d r e u n p eu d e l a t en
d r esse qu e j e v o u s p o r t e. J ’ ét ai s p ei n é d e v o u s v o i r
si p assi o n n ée de p l ai si r s m o n d ai n s, j ’at t r i b u ai s ce
b eso i n de m o u vem en t et d e g aît é à v o t r e â g e ; j e
m ’ ap er ço i s à p r ésen t d e l a l ég èr et é d e v o t r e esp r i t .
« I l v o u s p l aît d 'êt r e ad m i r ée, d e b r i l l er , d ’êt r e l a
r ei n e d ’ un b a l ; c’ est n at u r el et j e m e ser ai s r éj o u i
de vo u s v o i r sat i sf ai t e, si j ’av ai s v u d er r i èr e cel a
q u el q u e ch o se d e p l u s sé r i e u x ; et , j ’ en ai g r an d ’p eu r , i l n ’ y a p oi n t d e p l ace p o u r ceci d an s v o t r e
coeur et d an s v o t r e âm e:., ou bi en , si p ar h asar d u n
sen t i m en t p l u s él ev é se f ai sai t j o u r , n e ser ai t - c e
p o i n t u n f eu d e p ai l l e, u n cap r i c e d e l ’ o r i g i n al e
A : n és ?... Co m m e cel a en f u t un d e... — I l s’ar r êt a,
sou d ai n t r ès p âl e. — N o n , j e ne p o u r r ai p r o n o n cer
c e ; m o t s- l à, i l s m e ser ai en t t r o p cr u el s.
A l l i é s, p o u r p r e d e co l èr e, l e r eg ar d f u l gu r an t ,
ar t i cu l a d ’ u n e v o i x co u p an t e :
— V o u s n ’av ez cer t ai n em en t p as ép u i sé l a l i st e
d e m es i m p er f ect i o n s : t r o p m o n d ai n e, n i cœu r ni
âm e; v o u s n ’al l ez p as t ar d er , p ar ce qu e j e n 'ai p as
v o t r e f er v eu r m y st i q u e, à m e j u g e r i n cr o y an t e.
— N o n , m ai s si d i f f ér en t e d e m o i , di t l e j eu n e
h om m e t r i st em en t ; él o i gn ée d e m o i , d ét ach ée d e
m oi ... et , p eu t - êt r e, ce j o u r où n o u s p o u r r o n s êt r e
r éu n i s, ser o n s- n o u s sép ar és p ar u n e f o r ce p l u s d an
ger eu se q u e l ’o p p o si t i o n p r ésen t e d e v o t r e f am i l l e...
O h ! A g n ès!... si j e d ev ai s v o i r cel a...
I l essay ai t d e l u i
r ej et a en ar r i èr e :
p r en d r e
l es m ai n s;
el l e se
— Pu i sq u e j e n ’ai r i en q u i v ai l l e l a p ei n e d ’êt r e
r eg r et t é, ce j o u r - l à il ser a i n u t i l e d e m e p l eu r er I
P o u r m oi , j e n e v er ser ai p o i n t d e l ar m es su r m on
i d o l e p er d u e... A h ! c’ est b i en m a f au t e : co m m e
u n e p et i t e fi l l e, j 'a v a i s f ai t d e v o u s m on i d éal 1
L u v o i x r au q u e, el l e t er m i n a ;
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L ’E SC A R B O U C L E
__U n i d éal , o u i , m ai s p o i n t u n m aî t r e! B o n so i r !
E l l e p assa com m e u n t r ai t d ev an t l e j eu n e
h o m m e, m u et de st u p eu r et d e c h ag r i n . C et t e co l èr e
b r u sq u e au r ai t p u sem b l er p u ér i l e, i r r ai so n n ée.
M i g u el sen t ai t b i en l a p r o f o n d eu r d u co u p . A g n ès
ex ag ér ai t p eu t - êt r e, m ai s d i sai t p o u r t an t u n e p ar t i e
d e l a v ér i t é.
C ap r i c i eu se
el l e
ét ai t
et
n e c h an g er ai t
poin t .
Co m b i en d e f o i s d éj à av ai t - i l t en t é, d an s u n e e x
p l i cat i o n n et t e, de l u i p ar U r sér i eu sem en t , d e l u i
m o n t r er sa p r o p r e co n cep t i o n d e l a v i e. A g n ès l e
d ésar m ai t av ec
m esse d 'cco u t er
*
T o u t d 'ab o r d ,
s’ét ai t d i t :
__ ] >]ns t ar d ,
u n m ot t en d r e, u n e v ag u e p r o
u n au t r e j o u r .
M i gu el , n at u r el l em en t au t o r i t ai r e,
j e l a c h an g er ai , j e l u i f er ai co m
p r en d r e l a r ai so n . E l l e est i n t el l i gen t e et d r o i t e.
A g n ès v en ai t de m o n t r er son p eu d e go û t p o u r
l e r ô l e d e d i sci p l e b u v an t d év o t em en t l es p ar o l es
d u M aît r e.
I n t er d i t , asso m m é p ar l a v i o l en ce d u ch o c i m
p r év u , E t c h eb ar r am r est a d ’ ab o r d av ec cet t e i m
p r essi o n at r o c e :
— E l l e n e m ’ai m e p l u s... el l e est d éj à l asse... Q u e
v a i s- j e f ai r e?
A l a m êm e m i n u t e, A g n ès t r av er sai t com m e u n e
f u sée l e g r an d sal o n et p assai t d ev an t M “ * d e
Go n sen h ei m , éb ah i e, san s d i r e b o n j o u r n i b o n so i r .
— A g n è s! c r i a l a b ar o n n e ef f r ay ée, en se p r éci
p i t an t d er r i èr e sa p et i t e am i e.
M o u v em en t su p er f l u . M 1" d 'E t r u c h at , co u r an t
d an s l ’esc al i er , ét ai t d éj à en f er m ée ch ez el l e.
L a p au v r e b ar o n n e, st u p éf ai t e, se d i t :
_L M ai s q u ’ a- t - c l l e?... U s se so n t d i sp u t és?
C ec i n e l 'en n u ya' p as b eau co u p , c ar d eu x f o i s,
au t em p s.d e scs f i an çai l l es, el l e av ai t Fai l l i o ct r o y er
»on co n gé au b ar o n D u p o n t d e Go n sen h ei m et cel a
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X04
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t o u j o u r s t er m i n é p ar l a p l u s co r d i al e d es
r éco n ci l i at i o n s.
s’ét ait
E l l e b al an ça u n i n st an t en t r e en v o y er q u ér i r
A g n ès et l a so m m er d e r ed escen d r e su r - l e- ch am p ,
ou al l er r et r o u v er M . d ’ Et ch eb ar r am . q u an d cel u i ci p ar u t à son t o u r .
11 ét ai t d ’u n e p âl eu r ef f r ay an t e. L a b ar o n n e,
ép o u v an t ée, se d i t :
« I l v a s’ év an o u i r ! Je n e p o u r r ai j am ai s l e
r e l e v e r ! » et en m êm e t em p s se com p l u t d an s l a
v i si o n d ’ el l c- m êm e f ai san t r esp i r er d es sel s au
j eu n e Basq u e.
E l l e fit q u el q u es p as en av an t et s'ar r êt a n et . D e
v an t ce v i sag e d ’h om m e b o u l ev er sé, m ai s co u r ag eu x
m al g r é t o u t , i l l u i f u t i m p o ssi b l e d ’ém et t r e u n e i n
t er r o gat i o n .
L e s m o t s p ar l esq u el s M . d ’ Et ch cb ar r am p i r n ai t
co n gé b o u r d o n n ai en t i n d i st i n ct s à ses o r ei l l es. E l l e
fi n i t p ar b al b u t i er :
— A g n ès est p ar t i e?... C ’est u n e v ér i t ab l e p et i t e
folle !
— O u i , d i t M i g u el , l a v o i x d ét i m b r éc. C ’ est u n e
en f an t ... i l s so n t p ar f o i s cr u el s, l es en f an t s.
D er r i èr e l u i l a p o r t e d e l a r u e se r ef er m a d an s
u n b r u i t so u r d .
M "” de Gon Sen h ei m , n e sach an t q u e f ai r e, r est a
d eb ou t au m i l i eu du sal on et , l à- h au t , A g n ès, p el o
t o n n ée d an s u n d es f au t eu i l s d e sa ch am b r e, se
r ép ét ai t r ageu se et l es y eu x secs :
— I l v er r a si l ’on p eu t m e f a i r e cét l er !... il v e r r a 1
�L ’I N F A N T
A
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10 3
IV
— Et c h c b ar r am !... éco u t ez d o n c, m on v i eu x !
C et t e i n t er p el l at i o n , j et ée d ’u n e v o i x q u el q u e p eu
esso u ff l ée, fit r et o u r n er l e j eu n e h om m e.
M i g u el , so r t an t d e l ’h ôt el d e G o n sen h ci m , t r a
v er sai t l a p l ace B el l ec o u r av ec l a h ât e d 'u n êt r e
v i o l em m en t seco u é, d on t l e p l u s v i f d ési r est d e
s’ en f er m er ch ez l u i p o u r y r ep r en d r e sc s esp r i t s
ou s’ab an d o n n er san s co n t r ai n t e à son ch ag r i n .
D er r i èr e l u i , M ar c T ast av o i n c , ét er n u an t co m m e
u n d am n é, c ar i l ét ai t af f l i gé d ’u n v i o l en t co r y z a,
se p r éci p i t ai t p o u r sai si r son cam ar ad e au p as
sage.
— B o n so i r ! V o u s al l ez b i en ? fit M ar c , co r d i al ,
i m m o b i l i san t l ’i n f o r t u n é am o u r eu x d ’A g n ès au m i
l i eu du t r o t t o i r . Je n e v o u s av ai s p as vu d ep u i s
u n e ét er n i t é.
— V o u s m ’ ex cu ser ez ..., co m m en ça M . d ’ E t c h eb ar r am , av ec l e so u h ai t m en t al d e v o i r son ex co n d i sci p l e au f o n d d e l a Saô n e.
— J ’ au r ai s dû m o i - m êm e al l er ch ez v o u s, r ep r i t
M ar c , v r ai m en t d ’h u m eu r acco m m o d an t e, q u o i q u ’ i l
se p r ét en d ît v o l o n t i er s p r êt à p o u r f en d r e d es t as
d 'i n d i v i d u s su scep t i b l es d e l u i
av o i r
m an q u é
d ’ égar d s. D i t es- m o i ... p o u r r i ez - v o u s n i e r en d r e u n
p et i t ser v i c e?
M i g u el
d ’ Et ch eb ar r am
n ’ét ai t
p as
d es
plu s
égo ïst es, m ai s r éel l em en t , à cet t e m i n u t e, il n e se
sen t ai t p as du t ou t d i sp o sé à o b l i g er son p r o ch ai n .
Cep en d an t i l r ép o n d i t p ar u n e af f i r m at i o n su f f i sam
m en t p o l i e... d u j n o i n s M ar c s’ en co n t en t a.
— V o ilà : le s Go m b a u lt - Lc fr a n c — vous _ vo us
�I, ’IN F A N T
^
A L ’E S C A R B O I JC L E
'„ ap p el ez b i en B o b G o m b au l t - L cf r an c , n o t r e « c o
p ai n » du co l l ège, h ei n ?
M i gu el f i x a l e ch ev al d e b r o n z e de L o u i s X I V
d ’u n ai r v ag u e, com m e si l e p at r o n y m e du j eu n e
h om m e p r éci t é n e f û t pa^ co n n u d e l u i , et p o u r t an t
i l ét ai t l e fil s d ’u n am i i n t i m e du co n sei l l er d ’ F.t ch eb ar r am - C o u z an ce.
Il
—
—
—
r eçu
M
fi n i t p ar ar t i c u l er d u b ou t d es l èv r es :
A"1i ! B o b ... o u i ... Eh !>ien ?
I l s v o n t d o n n er un b al , v o u s sav ez ?
En ef f et , d i t Et c h c b ar r am , assez f r o i d ; j ’ ai
u n e i n v i t at i o n .
ar c f u t p r esq u e ch o q u é de t an t d ’ i n so u ci an ce.
I l p r en ai t l égèr em en t u n e co n v o cat i o n de M w Go m b au l t - L ef r an c , ce g ar ç o n san s c e r v e l l e!... et l es
T ast u v o i n e, eu x , se ser ai en t p l u t ô t m i s à gen o u x
p o u r l i r e l a l eu r s’ i l s av ai en t eu l e b o n h eu r d ’êt r e
p r i és d e d an ser à B el l ec o u r !
.
— Eco u t ez d o n c, m on v i eu x , d i t - i l , so u r i an t d ’u n
a i r em b ar r assé... j ’ai m er ai s al l er ch ez Bo b ... n ou s
ét i o n s assez l i és au t r ef o i s, m ai s d ep u i s... j ’ai v o y ag é
en A n g l et er r e... N o u s n o u s som m es p er d u s de vue.'
B r e f ! il a o u b l i é de m ’ en v o y er u n e car t e. D i t cs- l cl u i , v o u s ser ez b i en gen t i l . C e ser a l a p r em i èr e
f êt e de l a sai so n , l e T o u t - L y o n est i n vi t é. O n p ar l e
d ’u n cl o u t r ès o r i g i n al : d es j eu n es fi l l es t r av est i es
r ep r ésen t an t l es co n t es de f ées. M " * A g n ès d ’ E t r u ch at en ser a... m ai s v o u s d evez l e sai / o i r .
I l eu t un p et i t r i r e sec.
M i g u el se m o r d i t l es l èv r es, m ai s l e j eu n e M ar c
ét ai t b i en t r o p ab so r b é p ar l ’i d ée de se f au f i l er
ch ez l es G o m b au l t - L ef r an c
t r o u b l e de son cam ar ad e.
—
pou r
r em ar q u er
le
Si j e v o i s B o b , j e l u i t r an sm et t r ai v o t r e d é
si r , p r o m i t E t c h c b ar r am ; il r ép ar er a cer t ai n em en t
son ou bl i .
11 ar t i c u l ai t ceci san s co n v i ct i o n , "Son esp r i t ét ai t
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I . ’F . S C A R B O U C L E
10 7
ai l l eu r s. M a r c f u t n éan m o i n s f o r t co n t en t . I l n e
v i t m êm e p as l a p r éci p i t at i o n av ec l aq u el l e E t ch eb ar r am
éco u r t ai t
scs r em er ci em en t s et l e
q u i t t ai t .
C et i n ci d en t i n fi m e, u n peu .r i d i c u l e, su r v en u au
m i l i eu
de
p r éo ccu p at i o n s
d o u l o u r eu ses,
ach ev a
M i gu el .
I l se r em ém o r ai t l es sem ai n es éco u l ées, l e soi n
q u ’ il av ai t p r i s p o u r m en er à bi en sa co m b i n ai so n ,
ses r u ses d ’éc o l i cr p o u r v o i r A g n ès, l e séj o u r à l a
■T l t u i l i èr c , l es b eau x p r o j et s él ab o r és d an s l e v e r g er
d es Ro ch eb el l c... P u i s l ’ i n st al l at i o n à L y o n , l es
h eu r es d él i ci eu ses p assées en t êt e à t êt e av ec cl i c,
g r âc e à l a b i en v ei l l an ce d e M " ' d e Go n sen h ei m , et
m ai n t en an t ... 0 I 1! m ai n t en an t !...
D e n o u v eau scs l èv r es f r ém i r en t .
E t cet i d i o t de T ast av o i n c q u i v en ai t l u i p ar l er
d e ch o ses st u p i d es, d ’un b al , o u i , d ’u n e f êt e où se
r ai t A g n ès, où el l e j o u er ai t un r ô l e d est i n é à l a
m et t r e en co r e p l u s en év i d en ce, el l e, d éj à' r ég u l i è
r em en t en t o u r ée p ar t o u s, où q u ’el l e fû t . I l f au d r ai t
v o i r t o u s l es h om m es t o u r n er au t o u r d ’el l e et n e
p o u v o i r r i en d i r e !...
... Pr essan t l e p as, M i gu el f u t eu d eu x m i n u t es
r u e d e C ast r i es. I l n e sav ai t p l u s où il en ét ai t , il
cr o y ai t av o i r r eçu u n e ch cjt i i n ée su r l a t êt e. I l n e
p u t co m p r en d r e p ar q u el p h én o m èn e, au l i eu d ’en
t r er d an s sa ch am b r e, il se t r o u v a au m i l i eu du
cab i n et d e t r av ai l .
M . d ’ Et ch cb ar r am - C o u z an c c, assi s d ev an t son
b u r eau , f eu i l l et ai t d es p ap i er s, l e d o s t o u r n é à l a
p o r t e.
U n e v o i x ch an gée, asso u r d i e, af f ai b l i e, l o i n t ai n e,
p r o n o n ça d er r i èr e l u i :
— M on on cl e...
L e co n sei l l er se l ev a, r ep o u ssan t son f au t eu i l :
— C 'est t oi , M i gu el ? T u r en t r es d e bon n e h eu r e
�,o S
L ’I N F A N T
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L ’E SC A R B O U C L E
a u t o u r ... —
l e m ot sc cassa n et . — M ai s q u ’as- t u ,
m on p au v r e en f an t ?
L e j eu n e h om m e fit u n ef f o r t t er r i b l e p o u r sc
m aît r i ser , r ef o u l er d es l ar m es p r êt es à j a i l l i r d e
scs p au p i èr es. I l n e v o u l ai t p as p l eu r er ; il n e v o u
l a i t p as f ai b l i r . 11 ser ai t l e p l u s f o r t .
L a v i o l en ce d e cet t e l u t t e i n t ér i eu r e l e f ai sai t
t r em b l er , m ai s ses p au p i èr es d em eu r ai en t sèch es.
L e co n sei l l er , o u v r an t scs b r as, d i t seu l em en t :
— V i en s !
T o u t l ’o r gu ei l qu i so u t en ai t en co r e M i gu el d i sp a
r u t . A v ec u n san gl o t i l se j e t a su r l a p o i t r i n e d e son
on cl c.
C el u i - ci , b o u l ev er sé, n e p o sa p o i n t de q u est i o n .
Q u el ch agr i n p o i gn an t t er r assai t d o n c M i g u el ,
p o u r l ’am en er à cet t e f ai b l esse, l u i si f i er , si co u
r ag eu x au ssi ?
I l f al l u t au j eu n e h om m e p l u si eu r s seco n d es p o u r
se r ep r en d r e. T o u j o u r s ap p u yé su r l ’o n cl e p l ei n d e
co m p assi o n , il b al b u t i a, en co r e h al et an t :
— Je v o u s d em an d e p ar d o n ...
— E t de q u oi , p au v r e p et i t ? d i t l e co n sei l l er
af f ect u eu sem en t , g r av em en t . U n h om m e, à t o u t âge,
n e p eu t -i l p l eu r er d ev an t son p èr e? Si l e t i en v i v ai t ,
d an s t a d ét r esse t u i r ai s à l u i ; l e fil s de m on f r èr e
n ’ c s t - i l p as l e m i en ?... D i s- m o i t o u t si t u v e u x ; n e
p ar l e p as si l es m o t s t e son t u n e so u f f r an ce, m ai s
r est e l à, n e b o u ge p as; essay e d e p en ser qu e, qu oi
q u ’ i l t e so i t ad v en u , j e su i s l à p o u r t âch er d e t e
t i r er d e p ei n e.
—
V o u s êt es t r ès bon , m u r m u r a l a v o i x d éso l ée,
m ai s p er so n n e n e p eu t r i en ... C ’est fi n i , v o u s sav ez ...
C ’ est fi n i ... A g n ès est d ét ach ée de m oi .
L e d er n i er m ot sc b r i sa. I l su f f o q u ai t . L e co n sei l
l er r esser r a son b r as au t o u r d e* ép au l es et d i t , p a
t er n el ;
__Q u an d t u ser as p l u s calm e j e t 'éc o u t c r ai ; p o u r
�L ’I N F A N T
A
T / E SC A R B O U C L E
10 9
l ’ i n st an t 11c p ar l e p as. J ’ai ét é j eu n e, m o i au ssi , i l
y a l o n gt em p s, m ai s ces c h ag r i n s- l à so n t t o u j o u r s
p ar ei l s et j e l es co n n ai s t ou s.
« A cer t ai n es m i n u t es, n ’i m p o r t e q u el l es p ar o l es
co n so l at r i ces so n t co m m e un f er r o u ge su r u n e
b l essu r e.
« D i s- t o i q u e t u n ’es p as seu l en f ac e d e l a d o u
l eu r , j e l a p ar t age... o h ! p l u s p r o f o n d ém en t q u e t u
n e p eu x l e sav o i r , m on ch er gar ço n .
I l p o sa sa m ai n su r l a .t êt e b r u n e ap p u y ée co n t r e
l u i . M i gu el n e r el ev a p o i n t l e fr o ft t .
— V eu x - t u q u e j e t e l ai sse ? d em an d a l ’o n cl e, ou
p r éf èr es- t u m e v o i r r est er l à ?
— O h ! d em eu r ez , j e v o u s en p r i e ! r ép l i q u a M i
gu el se r ed r essan t , t o u t e son én er g i e r ev en u e. Je
su i s i d i o t d e m ’ êt r e m o n t r é au ssi l âch e. Je so u f f r ai s
t r o p !...
— T u so u f f r es en co r e, d i t M . d ’ E t c l i c b ar r am C o u z an cc.
— O u i , et c'c st l e co m m en cem en t . A h ! q u el b o u r
r eau p eu t êt r e u n e f em m e ! — I l ser r a l es d e n t s.__
A g n ès s’ est com p l u à m e m ar t y r i ser .
« El l e v o y ai t l e m al q u ’el l e m e f ai sai t , el l e sai t
Qu’ el l e t i en t t o u t e m a v i e... N o n ! son p l ai si r
d ’ab o r d !... l e cœu r d ’u n h om m e à cô t é, q u ’est - ce
q u e c el a?
« A h ! si j ’ai f ai t u n e f o l i e en accep t an t l a si t u a
t i o n t el l e q u ’el l e est , j e l a p ay e, m ai n t en an t ! Je
c r o y ai s acco m p l i r m on d ev o i r en l ’ai d an t à r em p l i r
ce q u ’ el l e •■m’assu r ai t êt r e l e si en , et j e l ’ad m i r ai s
d ’a v o i r t an t d e co u r age... ét ai s- j e assez so t !... C el a
lui
p ar ai ssai t
si m p l em en t
t r ès
am u san t .
Elle
a
t r o u v é t ou t si m p l e ce q u e j e j u g e, m o i , h ér o ïq u e.
• « A u j o u r d ’h ui m es i l l u si o n s on t su bi un r u d e
co u p . E l l e ne veu t ni co n t r ai n t e ni co n t r ô l e. So n
i d éal d u m ar i , c ’est l e bon cam ar ad e, p r êt à sat i s
f a i r e t o u t es l es f an t ai si es d e sa f em m e. V o u s cor n -
�T , 'I N F A N T
A
J . ’E S C A R B O U C I . E
p r en ez — son r i r e am er v i b r a — el l e a t an t de
su ccès so u s cet t e ét i q u et t e, « l ’ o r i g i n al e A g n ès »,
el l e a t an t d 'esp r i t ; on d o i t êt r e en co r e ch ar m é
d ’êt r e m al m en é p ar cet t e j o l i e p er so n n e. Ren o n cer
à ces j o u i ssan c es, m ai s ce ser ai t t r o p d u r !
L e co n sei l l er so n gea t o u t d ’ab o r d , com m e l ’av ai t
f ai t M "’" d e Go n sen h ei m :
« Q u er el l e d 'am o u r eu x . C es l ég er s n u ages n e
son t r i en . O n
I l d i t av ec
— V o y o n s,
t r agi q u e. E l l e
se ch ér i t d av an t ag e ap r ès cel a. »
bon t é :
m on p et i t , n e p r en d s p as l es ch o ses au
t ’ai m e.
— E l l e m ’a ai m é, r ect i f i a M i gu el . S ’ il s'ag i ssai t
d ’ un en f an t i l l ag e, j e n ’au r ai s p as céd é à ce m o u v e
m en t d e f ai b l esse i n d i gn e d ’u n h om m e, cr o y ez - l e.
O u i , j e l u i ai t ou t d ’ ab o r d ét é t r ès c h er ,.el l e m e l ’ a
d i t et j e l a sai s absol u m en t si n cèr e, m ai s q u el l e
l ég èr et é d ’ esp r i t ! Je l e l u i ai r ep r o ch é, el l e a r e
co n n u l a v ér i t é d e m on o b ser v at i o n ; el l e a l e ca
p r i c e d ’êt r e h eu r eu se av ec m oi et m e l ’a d i t g en
t i m en t , d an s u n b eau so u r i r e d e d en t s b l an ch es et
d e l èv r es r o u ges. I l l u i p ar u t n at u r el d 'em p l o y er ce
m o t - l à, p er su ad ée d 'êt r e ex q u i se ce f ai san t et d e m e
co m b l er .
« A g n ès m ’ai m e, d i si ez - v o u s? E st - el l e cap ab l e d e
co m p r en d r e l a g r an d eu r du v ér i t ab l e am o u r ? et si
el l e l e p o u v ai t ... à p r ésen t où c ’est f i n i , ce n e ser ai t
d o n c p l u s p o u r m o i , m ai s p o u r u n au t r e !
— M ai s t u es f o u ! s’éc r i a l e co n sei l l er .
— J ’ai p eu r d e n e p as l ’ e l r e ! O h ! d é^ à cet ét é,
qu an d j e v o y ai s t o u s ces g ar ç o n s, sc s am i s d ’en
f an c e em p r essés au t o u r d ’el l e, j e... o u i , j ’ét ai s f u
r i eu x . l'.t m ai n t en an t c est p i r e. En l a v o y an t p ar t i r
p o u r V i en n e j ’ai t r em b l e; el l e al l ai t ch ez u n e am i e,
c ’est t r ès j u st e, m ai s l à- b as, sû r em en t , ct l c a r e
t r o u v é u n p ar en t d u co l o n el , l e l i eu t en an t d e
Va lm o r d a n e .
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
L e n om t o m b a d e sa b o u ch e c o n t r a c t é av ec
u n e so r t e d e r age.
— A h ! d i t l e co n sei l l er , t u es j a l o u x ? M ai s c ’est
t r ès ex p l i c ab l e; l e co n t r ai r e, m êm e, eû t ét é su r
p r en an t .
M i g u el r ep r i t av ec u n e v i o l en ce m al co n t en u e :
— O h ! cel u i - l à... j e n e p eu x l u i r ep r o ch er de
m an q u er d e co r r ect i o n . M ai s, j e l e sai s, il c s t ' l c
p o i n t d e m i r e à B o u r g - Sai n t - A u l e, u n e m an i èr e d e
j eu n e so u v er ai n d an s ce p et i t m on d e p r o v i n c i al . I l
est t r ès b eau , ex t r êm em en t r i c h e; j e n e l e cr o i s p as
ép r i s d ' A g n è s .. . j e n ’en sai s r i en , j e n e l e co n n ai s
p as assez . M ai s el l e, n ’a- t - el l e p as r eg r et t é d e n e
p as a v o i r i n sp i r é u n sen t i m en t d i f f ér en t d e l ’am i t i é
à son an ci en co m p agn o n d e j e u x ? E t sa t an t e, j ’ en
su i s sû r , m ’ en v eu t à m o r t d e m ’êt r e t r o u v é su r l e
ch em i n
de sa
n i ècc,
éc ar t an t
ai n si
le
ch ât el ai n
d on t el l e av ai t san s d o u t e r êv é de f ai r e son n eveu .
« Je m e su i s d i t et r ép ét é : A g n ès est à m o i
co m m e j e su i s à el l e... M ai s p o u r q u o i av o i r ch o i si
çj ce so i r , j u st e ap r ès son v o y ag e à V i en n e, p o u r m e
d ém o n t r er co m b i en sa co n cep t i o n de l a v i e ét ai t
él o i gn ée d e l a m i en n e? P a r c e q u ’el l e est l asse d e
m o i et q u ’el l e a r ev u l e l i eu t en an t . E l l e d ép l o r e un
co u p d e t êt e, g r âc e au q u el el l e n e p eu t d ev en i r
co m t esse d e V al m o r d an c.
« I l f au t av o i r l e c o u r ag e d e r eg ar d er l a si t u a
t i o n en f ac e, si d u r e so i t - el l e. J ’o u v r e l es y eu x .
— Et t u f er m es t on co eu r ? d i t l e co n sei l l er . I l
f au d r ai t d ’ab o r d sav o i r si t u as l a v u e bi en c l ai r em ai s l ai sso n s cel a. P o u r l ’ i n st an t , j e p eu x f ai r e u n e
seu l e ch o se : v o u s p l ai n d r e t o u s l es d eu x , p au v r es
p et i t s, d e v o u s r en d r e m al h eu r eu x .
« U n au t r e t e d i r ai t : « C o u r s r ej o i n d r e A g n ès,
« d cm at i d e- l u i p ar d o n d e ses t o r t s à el l e et t ou t
« f i n i r a f o r t h eu r eu sem en t . » M o i , si j ’av ai s l e
d r o i t de t e p ar l er ai n si , j e t e d éf en d r ai s d e l e f ai r e.
�1I 3
I , ’I N F A N T
A
—■ Rassu r ez - v o u s,
I . ’ E SC A R B O U C I .E
dit
M i gu el , j e
n ’en
ai
p as
en v i e !
• — M ai s si , t u en as en v i e, m on gar ço n . Je. l e d e
v i n e d ’ap r ès m on ex p ér i en ce p er so n n el l e... V o i s- t u ,
u n v i eu x r o u t i er de m a so r t e sai t l i r e d an s l es
¡p i es, u n p eu co m m e u n co n f esseu r .
« T u es so r t i d ésesp ér é d u sal o n d e l a b ar o n n e
et , av an t d 'êt r e au b ou t d e l a r u e, t u so n geai s :
« J ’ai p eu t - êt r e ét é b r u t a l ! » et t u t e v o y ai s d éj à
au x gen o u x d 'A g n ès... et ceci en t e d i san t : « Je
« f a i s cel a p o u r l u i p r o u v er m a t en d r esse, m ai s j e
« su i s sû r d ’êt r e l e p l u s f o r t q u an d j e v o u d r ai . »
« V o i l à, j e t ’en av er t i s, l a f au t e à n e p as co m
m et t r e, si t u v eu x êt r e à t o n f o y er l e c h ef , co m m e
il est n o r m al de l e v o u l o i r .
« A g n ès est u n e d él i ci eu se cr éat u r e — n e m ’ i n
t er r o m p s p as, ce ser a p l u s co u r t , — p ét r i e de
ger m es d e q u al i t és... t u en t en d s, d e ger m es. F au t e
d e cu l t u r e i l s son t r est és à l ’ét at l at en t . A t o i d e
l u i m o n t r er co m m en t
l es f ai r e g r an d i r , et , p o u r
cel a, ap p r en d s à d ev en i r m ei l l eu r t o i - m ên i c.
%
M i gu el essay a d e so u r i r e :
— V o u s co m m en cez p ar m e r eco m m an d er q u el q u e
ch o se d ’ assez sem b l ab l e à l ’o r gu ei l , en m e d i san t
d e n e p as ch er ch er ...
— ...A t e f ai r e en ch aîn er p ar u n fil d e so i e, i n t er
c al a l ’o n cl e X a v i e r , sag ace. C e l i en t én u , m al g r é
t o u t e t a f o r c e, t u n e p o u r r ai s l e b r i ser . I l n ’ est
p o i n t q u est i o n i ci d ’o r g u ei l , m ai s d e f er m et é.
« N e m e cr o i s p as i n sen si b l e et t r o p v i t e co n so l é
d u m al h eu r d ’au t r u i . Si t u ét ai s u n gam i n j e b er
c er ai s t a p ei n e av ec d es m o t s f ai t s p o u r u n en f an t .
T u es u n h om m e, su p p o r t e ce ch ag r i n v i r i l em en t et
n e co m p r o m et s p as l e b o n h eu r d e t o u t e t a v i e p ar
l a f ai b l esse.
•
D e n o u v eau l a v o i x d e M i g u el s’en r o u a; i l r é
p o n d u , t r ès t r i st e ;
<
\
�I ,’I N F A N T
A
T .’E S C A R B O U C L E
113
— M o n b o n h eu r !... N e p ar t o n s p as d es m o r t s.
A g n ès m e l ’a d i t , el l e a b i en v o u l u se f o r g er u n
i d éal q u i m e r essem b l e, m ai s el l e r ef u se d ’a v o i r u n
m aît r e et n e v o i t p l u s en m oi q u e cel a. Je n e p u i s
av o i r l ’esp ér an ce d e l a fai (r e ch an ger , el l e n e
m ’ai m e p l u s.
L e c o n sei l l er l u i p o sa l a m ai n su r l ’ép au l e et d i t
av ec u n e b on t é so u r i an t e :
— M ai s v o y o n s, m on p et i t , co m m en t v eu x - t u
qu e ce so i t p o ssi b l e?
M . d ’ K t c h cb ar r an i - C o u z an c e, m al g r c so n h eu
r eu x o p t i m i sm e et son ex p ér i en c e d u cœu r h u m ai n ,
q u ’ il f û t q u est i o n de l ’u n ou l ’au t r e sex e, ap r ès
s ’ét r e év er t u é à r em o n t er l e m o r al d e son n eveu ,
se sen t ai t secr èt em en t t r ès af f ect é.
T o u t l e so i r , M i gu el fit b on n e co n t en an ce, m ai s,
ch aq u e f o i s q u ’i l essay ai t d e so u r i r e, l e co n sei l l er
d ét o u r n ai t l a t êt e, l e cœu r ser r é en v o y an t ces
p au v r es y eu x m cu r t Yi s.
I l c r ân ai t et M i gu el au ssi . C et t e n u i t - l à, i l s n e
t r o u v èr en t p o i n t l e so m m ei l l ’ u n et l ’ au t r e.
L e l en d em ai n , M m* d e Go n sen h ei m , af f o l ée, se
p r ésen t a. I l eû t ét é p l u s n at u r el d e t él ép h o n er au
c o n sei l l er d e v o u l o i r b i en p asser ch ez el l e. C et t e
f o i s, ay an t eu son r ep o s co u p é d ’h o r r i b l es cau ch e
m ar s, l a b ar o n n e n ç put y t en i r et v i n t ch er ch er ,
r u e d e C ast r i es, u n e ex p l i c at i o n au d ép ar t p r éci
p i t é d e M . d ’ Et ch cb ,'i r r am .
I l ét ai t d i x h eu r es. M i gu el v en ai t d e so r t i r , so n
o n cl e n ’av ai t p oi n t f ai t d e r éf l ex i o n s. I l s’ét ai t
b o r n é à d em an d er : « T u as d o r m i ? * et , su r l ’af f i r
m at i v e, p en sa : « Q u el m en so n g e!»
Su r u n seu l p oi n t il ét ai t f i x é : M i gu el av ai t j u r é
d e t en i r bon et d e f ai r e céd er A g n ès, r cco n n ai s•«u it
l a j u st esse d es o b ser v at i o n s d e so u p ar en t .
�, M
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R H O U C L E
S ’i l f l éch i ssai t l e p r em i er , i l ét ai t p er d u , el l e l e
t o u r m en t er ai t à sa gu i se, sû r e d e v ai n c r e t o u j o u r s.
L e j eu n e h om m e n ’al l ai t cer t ai n em en t p as à l ’h ô
t el d e Go n sen h ei m , il d ev ai t p l u t ô t se r en d r e à
F o u r v i èr e.
'
M . d ’ K t ch eb ar r am - C o u z an ce, d ev an t l a p ei n e co u
r ageu sem en t d i ssi m u l ée de son n ev eu , se sen t ai t
p r êt à d ét est er l ’u n i v er s en t i er .
« U n si gen t i l gar ço n ! p cn sai t - i l , o u t r é ; l u i
f a i r e t an t d e m al ! »
L à- d essu s, l e v al et d e ch am b r e i n t r o d u i si t
M " ’" D u p o n t d e Go n sen h ei m , l a p r en an t p o u r u n e
d am e q u êt eu se.
— C h er M o n si eu r , co m m en ça l a b ar o n n e, ém u e
à l ’ex c ès, j e su i s d éso l ée!... Q u e s’ est - i l p asse? A u
n om du C i el ! t i r ez- m o i d ’i n q u i ét u d e !... j e su i s d an s
l ’ h u i l e b o u i l l an t e... j e v i en s d ’a v o i r u n e n u i t at r o c e!
— M ad am e, j e v o u s en o f f r e au t an t ! ar t i c u l a
l ’ an ci en m ag i st r at . V o u s m e f ai t es u n t r ès gr an d
h o n n eu r en ven an t ch ez m o i . J ’y su i s i n f i n i m en t
sen si b l e, m ai s j ’eu sse p r éf ér é no p as d ev o i r v o t r e
v i si t e à cer t ai n e ci r co n st an ce assez d o u l o u r eu se
p o u r m on n ev eu , p o u r m o i , p ar con séq u en t . J ’ai m e
l ’ en f an t de m on f r èr e co m m e s'i l ét ai t l e m i en
p r o p r e. Je su i s co n st er n é.
M '"" de Go n sen h ei m p l eu r a san s p l u s at t en d r e.
E l l e ét ai t t r o u b l ée, et p u i s l es fem m es se t i r en t
t o u j o u r s, p ar ce m oyen f o r t si m p l e et peu co û t eu x ,
d es si t u at i o n s em b ar r assan t es.
l ’ o u r t o u s l es h om m es, ce spectacle est g én ér al e
m en t un su p p l i ce v ér i t ab l e. M êm e f u r i eu x , i l s so n t
m o r al em en t t en u s de f ai r e d es ex c u ses. D i eu sai t
si l e co n sei l l er ét ai t d i sp o sé à p r ésen t er d es r e
g r e t s! I l su i v i t l ’u sage ét ab l i et b al b u t i a, t r ès
gên é, îl es m ot s v agu es, em p r ei n t s d ’ af f l i ct i o n .
M '“' d e Go n s e n h e im se t a m p o n n a le s ye u x .
— N e m en veu i l l ez p as, d i t - el l e. Je su i s t ou t e
�L 'I N F A N T
A
I . ’E S C A R R O U C L E
115
h o r s d e m o i . M . M i g u el d ’ Et c h c b ar r am est si c h ai m an t , t el l em en t sy m p at h i q u e..: i l p ar ai ssai t si ép r i s
d e m a p et i t e am i e ; el l e, d e son cô t é, n e cach ai t
p as... h u m !... so n p l ai si r d e l e v o i r ... J ’ ai c r u bi en
f a i r e en l es r éu n i ssan t l e p l u s p o ssi b l e... i l f au t a i
d er au b o n h eu r d e ses sem b l ab l es... su r t o u t l o r sq u e,
h él as! on n ’a pu co n n aît r e l a j o i e d ’êt r e m èr e!...
D o n c, j ’ét ai s r av i e. H i er , j ’esp ér ai s... j ’ét ai s sû r e
d e v o i r l ’en gagem en t d éf i n i t i f — c ar . en t r e n o u s
soi t d i t , M o n si eu r , j ’at t en d ai s t o u s l es j o u r s u n e
d ém ar ch e o f f i ci el l e. — M ai s j e p en sai s : « F é l i c i c est i n su p p o r t ab l e ! el l e i n t i m i d e ce p au v r e
g ar ç o n ! »
« C et t e f o i s, j e n e sai s p o u r q u o i , j ’esco m p t ai s
l ’h eu r eu x év én em en t et — l e m o u ch o i r r eco m m en ça
son ascen si o n — cel a m e p ar aît s’êt r e t er m i n é en
rupture !
— M ad am e, cal m ez - v o u s, d e g r â c e ! su p p l i a l e
co n sei l l er , t r ès al ar m é p ar ce j eu d e scèn e. Je su i s
af f l i gé co m m e v o u s d e cet t e... sau t e d ’h u m eu r d e
v o t r e j eu n e am i e et j è v o u s ser ai t r ès r eco n n ai ssan t
d e m e d o n n er q u el q u es ex p l i c at i o n s.
— M ai s j e n e sai s r i en ! gém i t l a b ar o n n e. A g n ès
r ef u se d e r ép o n d r e. E l l e p l eu r e en r ép ét an t : « I l
est m éch an t !... i l s so n t t o u s p a r e i l s! »
— M i gu el m ’a d i t , à m oi : « A g n ès s’est co m p l u
à n i e m ar t y r i ser ! »
M 1" ' L éo n i e p o u ssa u n c r i d e d ésesp o i r .
M ar t y r i ser M i g u e l ! ce d él i ci eu x j eu n e h om m e
au x m an i èr es si co u r t o i ses, au x y eu x d ’O r i cn t al !...
E l l e p âl i t
co m m e si
on
l ’av ai t
su p p l i ci é d ev an t
el l e.
L e co n sei l l er sc r ap p r o ch a. D an s t o u t l e r éci t d e
son n ev eu , il v o y a i t un seu l p o i n t v r ai m en t sér i eu x .
R éel l em en t , A g n ès r eg r et t ai t - el l e
l i eu t en an t d e V a l m o r d a n e ?
v.
T r è s h ab i l em en t ,
il
m ai n t en an t
le
en t am a u u i n t er r o g at o i r e au
�„6
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C I . E
q u el l a p au v r e b ar o n n e eû t ét é b i en en p ei n e d e
se d ér o b er . E l l e d o n n a au co n sei l l er t o u s l es r en sei
gn em en t s so u h ai t és su r l es am i s d 'en f an ce d ’A g n ès
d ’ Et r u c h at et l a v i e à l a cam p agn e.
M . d ’Et ch eb ar r am - C o u z an c e en r eg i st r a ces d é
t ai l s av ec u n e sér én i t é ex t ér i eu r e ab so l u e.
A u n om d e V al m o r d an e, i l r em ar q u a d ’u n t on
d ét ach é :
— Si ce j eu n e o f f i ci er est séd u i san t com m e on
l e d i t , p o u r q u o i M “ * F el i c i c d ’ E t r u c h at n ’ a- t - cl l e
p as j et é son d évo l u su r l u i p o u r sa n i èce?
—
H u g u es d e V al m o r d an e
et
A g n ès 1 s’éc r i a
M " " d e Go n sen h ei m . M ai s c ’est i m p o ssi b l e!... C e
n ’est p as u n e fem m e p o u r l u i , n i l u i u n m ar i p o u r
el l e ! F él i c i e au r ai t cer t ai n em en t ét é t r an sp o r t ée
s’ il s’ét ai t ép r i s d ’A g n ès, m ai s... oh ! év i d em m en t ,
i l al l ai t t r ès so u v en t au M a s du C a v a l i er p en d an t
sa p er m i ssi o n ... c’ est n at u r el , i l s so n t si p r o ch es
v o i si n s. L a co m t esse a b eau co u p d ’am i t i é p o u r F él i ci e d ’ Et r u c h at et H u gu es, d ’au t r e p ar t , n e t r o u v ai t
p as de d i st r act i o n s ch ez l u i , Seu l d an s cet i m m en se
ch ât eau , en t r e sa m èr e et sa t an t e, u n e fem m e
asso m m an t e, G i sèl e d es F a r g c s !
« A g n ès est j o l i e à t o u r n er b i en d es t êt es, m ai s
j e ser ai s su r p r i se t o u t ef o i s... j e l es ai v u s f r éq u em
m en t en sem b l e d an s l e m on d e l e m o i s d er n i er , l e
co m t e ét ai t t r ès p ol i , il est ai n si av ec t o u t es
l es
f em m es. C ar
j e l e d i s so u v en t
sœu r : « C ç j eu n e h om m e a r eçu
p ar f ai t e !... »
à m a b el l eu n e éd u cat i o n
“ 7 ^ o t r c p et i t e am i e p ar ai ssai t - el l e l e v o i r de bon
ccil ? i n t er r o m p i t l e co n sei l l er , co u p an t co u r t au
p an égy r i q u e du l i eu t en an t .
— Je n e sai s p as... L es h ab i t u d es m o d er n es son t
si d i f f ér en t es d e cel l es d e m a gén ér at i o n . J ’ai su r
t o u t vu A g n ès t aq u i n e, c ’est son gen r e.
— En t o u t e si n cér i t é, M ad am e, i n si st a l e co n -
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sei l l c r , cr o y ez - v o u s qu e l e f a i t d ’av o i r r ev u M . de
V al m o r d an e ai t p u am en er u n ch an gem en t d e sen
t i m en t s à l 'en d r o i t d e m on n ev eu ?
M ” de Go n sen h ei m n ’y av ai t p as so n ge. E l l e
d em eu r a l a b o u ch e o u v er t e. En su i t e, com m e p o u r
se d o n n er d u co u r ag e, el l e c r i a :
— N o n ! n on ! C ’est i m p o ssi b l e ! j e l e r ép èt e, j e
l e cr o i s i m p o ssi b l e. D ’ai l l eu r s, j e sau r ai bi en à
q u o i m ’en t en i r !
— N e d i t es r i en à A g n ès, su r t o u t , r eco m m an d a
l ’on cl e d e M i gu el , ef f r ay é.
— N at u r el l em en t , fit l a b ar o n n e, p i n cée. M ai s j e
p eu x m e r en sei gn er au p r ès d e M " " d es F a r g e s su r
l es p r o j et s d e son n ev eu . Si H u g u es d e V al m o r d an e
so n ge au m ar i ag e, sa t an t e et son co u si n ser o n t '
p ar m i l es p r em i er s i n f o r m és.
« 11 f au d r a u ser d e f i n esse! m ai s v o u s p o u vez
a v o i r co n f i an ce en m oi .
L e co n sei l l er 11e d i t r i en . I l ét ai t p o u r t an t d ’u n e
t r ès g r an d e am ab i l i t é. So n i n t er l o cu t r i ce at t en d ai t
u n e l o u an ge, el l e.f u t v e x é e ; m ai s co m m e el l e ét ai t
f o n ci èr em en t b on n e et t r ès co n t r ar i ée de l a n o u
v el l e l u b i e d ’A g n ès, el l e o u b l i a sa p et i t e b l essu r e
d ’am o u r - p r o p r e p o u r co n t i n u er ;
— T en ez ! u n e ch o se en co r e m ei l l eu r e. En al l an t
ch ez G i sèl e d es F a r g es j ’em m èn e A g n ès, j e n e t s
l a co n v er sat i o n su r l e l i eu t en an t ; d e l a so r t e, j e
ser ai f i x ée à l a f o i s su r scs sen t i m en t s à el l e et scs
i d ées à l u i .
__ En ef f et , d i t M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an ce.
C ’est u n e so l u t i o n t r ès si m p l e.
M al g r é l a f aci l i t é de son car ac t èr e, M ™ d e Go n
sen h ei m fu t de n o u v eau p i q u ée.
I l n e sem b l ai t p oi n t co m p r en d r e à q u el l e r em ar
q u ab l e i n t el l i gen ce il av ai t a f f ai r e, ce c o n sei l l er !
E l l e vo u l u t av o i r l e d er n i er m ot et , se l ev an t , j et a,
l i U c i c u sc :
�T / IN FAN T
Ï i8
—
O ui,
c ’est
A
tout
L ’F . SC A R R O U C L E
si m p l e...
m ai s il
f al l ai t
le
t r o u v er !
L ’o n cl e d e M i gu el s’ i n cl i n a. U n e f o i s l 'am b as
sad r i c e p ar t i e, i l r ev i n t d ev an t son b u r eau , p r ép ar a
u n m essage p ar câb l e, cal l i gr ap h i an t so i gn eu sem en t
son t ex t e :
/ I bW d ’Et r u 'ch at . Pl aza N aci o n al e, L i m a , Pér ou .
Pr i èr e ob t en i r solu t ion r ap i d e. Si t u at i o n com p l i qu ée.
IÎTCHMARRAM-CoUZANcn
I l séch a l a f eu i l l e h u m i d e, en m u r m u r an t w es s a
vo cc :
— H t m ai n t en an t , p u i sse l e C i el êt r e av ec n o u s!
L e p l u s t ôt p o ssi b l e, l a b ar o n n e d e Go n sen h ci m ,
am i e o b l i gean t e et cer v eau gén i al , s’en f u t r en d r e )
v i si t e il M '"* d es F ar g c s.
A f o r ce d ’i n st an ces, el l e av ai t d éci d é A g n ès à
I ’ ; cco m p agn er . L a j eu n e fi l l e d ev en ai t — d ’ap r ès
R en é — d ’u n e h u m eu r d e ch at sau v ag e. E l l e sc
t en ai t d an s sa ch am b r e et l e b en j am i n , s’ét an t i n
t r o d u i t san s c r i er gar e d an s cet ap p ar t em en t , av ai t
v u — ch o se én o r m e! — l e p o r t r ai t d e l ’ i n f an t
t o u r n e f ac e au m u r .
A ^ n ès n 'av ai t p as en v i e de v o i r l a m èr e d e H cr n ar d , el l e se fit un p eu p r i er , m ai s, f i n al em en t , co n
sen t i t a su i v r e l a b ar o n n e. C el l e- ci n ’o sai t p oi n t
o u v r i r l a bo u ch e, t an t el l e av ai t p eu r d ’ ap p r en d r e
q u 'A g n c s n e v o u l ai t d éci d ém en t p l u s d e ce c h ar
m an t M i gu el d ’ Et ch eb ar r am .
... M m* d es H ar ges h ab i t ai t r u e Sal a ; son ap p ar
t em en t , t r i st e com m e l a t o m b e, ét ai t f ai t p ou r un e
�T/IN FAN T * A
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119
v eu v e i n co n so l ab l e. L e p èr e de B er n ar d av ai t p o u r
t an t ét é p l eu r é av ec p l u s d e p o l i t esse q u e d e r egr et s
si n cèr es, c ar il n ’av ai t r i en eu , en so n v i v an t , p o u r
p r o v o q u er l e d ésesp o i r ap r ès sa m o r t .
Sa v eu v e, t o u j o u r s v êt u e de n o i r , l ’a i r 'sé v è r e et
p i n cé, f i gu r ai t assez b i en u n e r ei n e- m èr e accab l ée
p ar l és so u ci s d ’u n e l o u r d e r égen ce. Cep en d an t
el l e se t r o u v ai t * f r ès sat i sf ai t e d e son so r t ; c ’ét ai t
m i e si m p l e p ar t i c u l ar i t é d e son v i sag e, ag g r av ée
p ar u n e d i sp o si t i o n n at u r el l e ;\ se c r o i r e su p ér i eu r e
au r est e d es h u m ai n s.
L éo n i c de Go n sen h ei m et G i sèl e d es F a r g e s r es
sen t ai en t u n e sy m p at h i e m u t u el l e d ej p l u s m o d é
r ées, m ai s el l es d em eu r ai en t en r el at i o n s su i v i es.
A p r ès ch aq u e v i si t e, l ’u n e d e ces d am es p en sai t d e
l ’au t r e : « M o n D i eu ! q u ’ el l e est i n su p p o r t ab l e av ec
ses p r ét en t i o n s!...» et p u i s on r eco m m en çai t .
L o r sq u e l a b ar o n n e et A g n ès en t r èr en t d an s l e
sal o n , où l a l u m i èr e p ar ci m o n i eu se d e l a r u e Sal a,
au m o i s d e n o v em b r e, éc l ai r ai t com m e el l e p o u v ai t
l es p o r t r ai t s d e f am i l l e accr o ch és su r l a t en t u r e
v er t f o n cé, l a m aît r esse d e m ai so n éco u t ai t l a co n
v er sat i o n
gém i ssan t e
d ’ u n e d am e
p r êt e
pour
le
d ép ar t .
M " " d es F a r g e s, r ép o n d an t san s d o u t e à u n e
i n t er r o g at i o n de l a v i si t eu se, ar t i cu l a, d ès l es sal u t s
éch an gés :
— V o i c i j u st em en t M " * d ’ Et r u ch at ... A g n è s!
M " " G o m b au i t - L ef r an c m e p ar l ai t d e v o u s à p r o
p os d e son bal .
__A h ! cet t e f êt e! fit A g n ès av ec él an . J ’en r êv e
et n ’en d o r s p l u s !... Je v o u d r ai s y êt r e d éj à !
— V o u s m e f ai t es un gr an d p l ai si r , d i t M '” Go m b au l t - L ef r an c d an s 1111 so u r i r e ch agr i n . C ’est si g en
t i l , u n e j eu n e fi l le g ai e co m m e v o u s, t o u t e j o y eu se
d 'al l er d an ser , et cel a san s ar r i èr e- p en sée d e f l i r t .
— O h ! fit M 11* d ’E t r u c h at d él i b ér ém en t , ce
�I W
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N FA N T
A
T / ESCA RRO U CT / Fv
j e u - l à , p o u r m o i , ser ai t l a c o r v ée! Je n e co m p r en d s
p as co m m en t cel a p eu t sem b l er am u san t .
O n r i t av ec l ’ i n d u l gen ce t o u j o u r s acco r d ée p ar
l es m èr es à cet t e b el l e A g n ès, si séd u i san t e et p as
co q u et t e.
— A l o r s,
c’ est
d éci d é?
q u est i o n n a
M " ' , d es
T 'ar g cs. V o t r e t an t e v o u s p er m et d e f i gu r er d an s
l es « e n t r é e s» d es co n t es de f é 0 ? V o u s av ez
ch o i si v o t r e co st u m e?
A g n ès r ép o n d i t san s h ési t er :
— I l n e m ’ est seu l em en t p as v en u à l 'i d ée d e
m ’o ccu p er d ’ u n e au t o r i sat i o n q u el co n q u e! J ’ ai t o u
j o u r s ag i à m a gu i se. C ’ est t el l em en t p l u s si m p l e.
O u i , m on t r av est i est p r êt et i l est j o l i ! ... m ai s j e
n e d i s r i en p o u r l ai sser l a su r p r i se. C ’est d él i ci eu x ,
l es su r p r i ses. J ’ ad o r e ça !
M " d e Go n scn h ci m se d i t q u ’ A g n ès 'l u i en av ai t
o i ï c r t u n e f am eu se q u el q u es j o t i r s p l u s t ôt . E l l e n e
sav ai t p as si M i gi i cl d ’ Et c h c b ar r am ch ér i ssai t au
t an t l ’ i m p r év u . C ’ét ai t p eu p r o b ab l e.
M " Go m b au l t - L ,c f r an c p r i t en co r e p l u si eu r s m i
n u t es p o u r g ém i r su r l es en n u i s cau sés p ar cet t e
r écep t i o n , d o n n ée afi n d e p r ésen t er sa j eu n e b cl l cf i l l c, et s'en f u t p er sécu t er d eu x f l eu r i st es et u n
d éco r at eu r .
T o u t d e su i t e ap r ès B er n ar d en t r a. I l b ai sa d 'u n
a i r em p r essé l es d o i gt s gan t és de M '"’ d e G o n scn
h ci m , seco u a l a m ai n d ’A g n ès d ’ un gest e sec, eu
cam ar ad e, et p r o f ér a, co n v ai n cu :
— F i l e est bi en , v o t r e r o b e !
C ec i est l e d er n i er m ot d e l a p o l i t esse, ch ez l a
n o u v el l e gén ér at i o n .
A g n ès so u r i t , m o q u eu se :
— N e gasp i l l ez p as si v i t e v o t r e ad m i r at i o n !
Q u an d v o u s m e v er r ez au b al !... av ec m on co st u m e
d u t em p s j ad i s, v o u s n ’ au r ez p l u s d e p a r o le s p o u r
m e f él i c i t er su r t n on go û t .
�L ’I N F A N T
A
L 'E S C A R R O U C L E
12 1
— Q u el d égu i sem en t av ez - v o u s ad o p t é ? d em an d a
l e j eu n e h om m e, se r ap p r o ch an t , i n t ér essé. I l f au t
m e l e d i r e, afi n d e m e l ai sser l e t em p s de m e p r é
p ar er .
— M ai s l es j eu n es f i l l es seu l es f i gu r en t d an s l es
en t r ées, fit r em ar q u er M “ d e Go n scn h ei m , l es y eu x
d éj à b r i l l an t s, c ar el l e r af f o l ai t d u m on d e.
— H él as ou i ! j e l e r eg r et t e. J ’ av ai s u n m o d èl e
t o u t i n d i q u é : u n p o r t r ai t ...
— ...Q u i n e v o u s r essem b l e p as ! t er m i n a A g n ès,
f r o n çan t u n p eu l es so u r ci l s. I l est a f f r eu x , d ’ai l
l eu r s. Je l e d ét est e!
R c r n ar d p r i t cel a p o u r n n co m p l i m en t et l a b a
r o n n e se sen t i t d u n o i r d an s l ’âm e. L e so si e d e
M i g u el d ’ Et c h c b ar r am av ai t cessé d e p l ai r e p ar ce
q u e l ’o r i g i n al ét ai t en d i sg r âc e. M ” d e Go n sen h ei n i av ai t p r o m i s d es m er v ei l l es au c o n sei l l er et ,
d ’u n m ot , A g n ès an n i h i l ai t t o u s sc s esp o i r s d e
r éco n ci l i at i o n .
L e p et i t d es I 'a r g e s p o u r su i v i t av ec su f f i san ce :
— Je 11c m e d égu i se p as, m ai s j e su i s c h ar g é
d ’an n o n cer l es en t r ées. N at u r el l em en t , j e v o u d r ai s
t r o u v er q u el q u e ch o se d e j o l i p o u r v o u s.
M m* d es F a r g e s ém i t , d e son a i r p r o t ect eu r :
— V r ai m en t , M ™* G o t n b au l t - L c f r an c a eu l à u n e
bon n e i d ée. C e n e ser a p as b an al . T o u t es ces jeu n c9
fi l l es se son t en t en d u es en t r e el l es p o u r f ai r e u n
en sem b l e r éu ssi . C e ser a itn gr an d su ccès... et , à
p r o p o s, vo u s a i - j e d i t q u 'I l sc y p r en d r a p ar t ? Je
d o i s l ’av o i r à l a m ai so n p en d an t q u el q u es j o u r s à
ce m o m cn t -l à.
— l i se ? s’éc r i a A I " * d 'E t r u c h at . N o n , j e l ’ i gn o
r ai s. Q u el l e c h an c e! el l e est si g e n t i l l e ! J c su i s
t o u j o u r s t r ès co n t en t e d e l a v o i r .
M " ' d es F a r g e f co n t i n u a, en p r o d u i san t u n d e
•es r ar es et p én i b l es so u r i r es :
—- M o n n ev eu assi st er a au ssi à l a f êt e — el l e se
�j2 2
L ’IN F A N T
A J . ’K S C ARB O U C L F ,
t o u r n a v er s M " * d e Go n sen h ei m . — C e n ’est p as
en co r e off i ci el , j e v i en s seu l em en t d ’ êt r e av er t i e p ar
m a b el l e- sœu r ... H u g u es et U se son t fi an cés.
L a f o u d r e t om b an t su r l e p o u d r i er de l a b ar o n n e
n e l u i au r ai t p oi n t cau sé u n ém oi p l u s v i f . ’ A u
f o n d , el l e ét ai t so u l agée d ’u n p o i d s t r ès l o u r d .
C et t e su p p o si t i o n q u ’A g n ès p o u r r ai t b i en r eg r et
t er l e l i eu t en an t de V al m o r d an e l u i ét ai t f o r t d é
sag r éab l e. E l l e r eg ar d a f u r t i v em en t sa p et i t e am i e.
C el l e- ci n e m o n t r ai t au cu n ém oi .
— I l s son t f i an cés! s’éc r i a l a j eu n e fi l l e av ec
cet t e agi t at f o n i n év i t ab l e ch ez l es f em m es à
l ’an n o n ce d ’ un m ar i age. M ai s d ep u i s q u an d ? Je l es
ai v u s il y a si p eu d e j o u r s... j e n e m e su i s d o u t ée
d e r i en .
— M ai s, fit M ’“' d es F a r g c s, t r ès f r o i d e p o u r son
co m p t e, c ’ est t o u t r écen t . A l a v ér i t é, ce n ’est p as
u n e su r p r i se co m p l èt e p o u r n ou s. I l s s'ai m en t de-,
p u i s t o u j o u r s, m ai s, à cau se d es l i en s de p ar en t é, il
y a eu un m om en t d ’ h ési t at i o n .
— C o m m en t ? M " 1' d e V al m o r d an e n e v o u l ai t
p as?
— C er t es si ! ... C ’ét ai t son r êv e secr et et l i se n 'a
j am ai s v u au m on d e u n au t r e h om m e qu e m on
n ev eu . C 'est H u gu es l u i - m êm e...
<
I l ai m ai t A ^ n è s! » p en sa M '"* d e Go n sen h ei m
en ch an gean t de co u l eu r .
E l l e f u t p r o m p t em en t d ét r o m p ée. B er n ar d
l a p ar o l e p o u r ex p l i q u er , r ai l l eu r :
prit
— H u gu es, vo u s sav ez , c’ est u n d fl ôlc d e g ar ç o n I
I l a t o u j o u r s à l a bo u ch e l es gr an d s m ot s : d ev o i r ,
f am i l l e.
« Cet t e i d ée q u ’il p o u r r ai t an i m er sa r ace p ar
u n n o u veau m ar i age co n san gu i n , cas t r ès f r éq u en t
ch ez n ou s, l ’af f o l ai t . I l p en sai t à scs d escen d an t s,
a scs r esp o n sab i l i t és, q u e sai s- j e 1
« V o i l à co m m en t i l e st l C ’ est m o i , à sa p l ace
�T / I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
q u i m e ser ai s en co m b r é d e b el l es p ar o l es, si j ’av ai s
eu l e b égu i n p o u r u n e j o l i e co u si n e ! L u i , st u p i d e
m en t , se d éso l ai t ... à l a m u et t e, bi en en t en d u . P e r
son n e n ’au r ai t p u sc d o u t er q u ’ il sc r o n geai t av ec
cet t e .p en sée.
« C et ét é, il a t ou t f ai t p o u r essay er d e r en o n cer
à U se, i l s’ér ei n t ai t d e sp o r t et t r av ai l l ai t com m e
u n en r ag é l o r sq u 'i l n e so r t ai t p as. Je m ’ét o n n ai s de
l e v o i r assi d u à t o u t es l es r éu n i o n s d e B o u r g - Sai n t A u l e... v o i l à l e m o t i f . E t q u an d v o u s l ’av ez vu à
V i en n e, c ’ét ai t l e p oi n t cu l m i n an t d e l a cr i se.
— Eh b i en , il est . j o l i m en t c h i c l s’éc r i a A g n ès,
si n cèr e. Je n ’au r ai s pu so u p ço n n er l a v ér i t é en l e
v o y an t . I l n e d i sai t r i en .
— 11 n ’a j am ai s b eau co u p p ar l é d e scs af f ai r es,
• fit B er n ar d , i n d i f f ér en t ; cel a n e l e ch an geai t p as.
Cep en d an t , en se r et r o u v an t san s cesse au p r ès
d ’ l i se, il n ’a pu y t en i r . I l a d em an d é co n sei l à
l ’ab b é Ray m o n d , son an ci en p r o f esseu r , v o u s sa
v e z ? L ’ ab b é a cal m é ses scr u p u l es, l u i a d ém o n t r e
q u e, n ’ét an t p oi n t co u si n ger m ai n ^ I l sc , p u i sq u ’el l e
ét ai t seu l em en t l a p et i t e- f i l l e d ’u n e d em i -soeu r de
n o t r e gr an d - p èr e, cc d eg r é d e p ar en t é n e co n st i
t u ai t p oi n t un o b st acl e sér i eu x .
— E t t ou t est b i en (fui fi n i t b i en ! s'éc r i a la
b ar o n n e.
Po u r
m a p ar t ,
j ’en
su i s
r av i e!
r av i e!
r av i e !
O n p o u v ai t sc d em an d er à q u el p r o p o s cet en
t h o u si asm e, au. su j et d ’un m ar i ag e en t r e u n j eu n e
h om m e q u ’el l e n e v o y ai t p as si x f o i s p ar an et u n e
j eu n e fi l l e à p eu p r ès i n con n u e.
E l l e p en sai t si m p l em en t à ses p r o t égés. M . d ’ E t ch eb ar r am ser ai t t ou t a f ai t r assu r é. H u g u es de
V al m o r d an e n e se so u ci ai t p as d A g n ès. S ’ i l av ai t
i t é t out d ’ ab o r d éb l o u i p ar l a b eau t é d e cet t e d er
n i èr e, cel a n ’av ai t p as d u r é l o n gt em p s, et en co r e,
B er n ar d v en ai t d 'ex p l i q u er [ m u r q u el l e r ai so n so n
�12 4
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
co u si n av ai t p ar u o u b l i er M “ ' d u C h an d o l , l a b i cn ai r n éc d e t o u j o u r s.
D o n c i l al l ai t sc m ar i er , et A g n ès av ai t ap p r i s
cet t e n o u v el l e n on
av ec j o i e.
seu l em en t
san s t r o u b l e, m ai s
M mi d es F a r g e s d i t f r o i d em en t :
— N o u s so m m es t o u s t r ès sat i sf ai t s. Po u r m a
b el l e- sœu r ce ser a u n e v ér i t ab l e f i l l e; et i l f au t eu
co n v en i r , ce so n t l à d es f i an cés f ai t s l ’u n p ou r
l ’au t r e. M êm e éd u cat i o n , m êm es sen t i m en t s, d es
i d ées en t ou t p oi n t sem b l ab l es. 11 est t r ès ép r i s,
el l e l ’ad o r e.
— I l a b i en f ai l l i l u i f ai r e i n f i d él i t é! r em ar q u a
B er n ar d , i n cap ab l e d e r et en i r u n e m éch an cet é.
M ai s cel a n ’ a p as d u r é d ev an t l e so u v en i r d e l ’i n n a t i i or at u . T an t m i eu x p o u r ... t o u s l es d eu x !
•
M " ” d es F a r g e s ay an t m an q u é au secr et d em an d é
p ar sa b el l e- sœu r l e fit j u r e r à sa v i si t eu se. M m* de
Go n scn h ci m p ar l a d e sa d i scr ét i o n bi en co n n u e
d ’un ai r o f f en sé et r ef u sa l e ser m en t , c ar el l e ser ai t
d an s l ’o b l i gat i o n m o r al e d e sc p a r j u r er so u s p eu.
A g n ès ét ai t t o u t e à l a sat i sf ac t i o n d ’ap p r en d r e
l e b o n h eu r d e son am i e; cep en d an t cl i c sem b l ai t u n
p eu n er v eu se et , p o u r éch ap p er au x b an al i t és d é
v i d ées au t o u r d ’ el l e, se d i r i gea v er s l e f o n d du
sal o n , so u s p r ét ex t e de l a ch al eu r t r o p v i v e d u feu .
B er n ar d , san s v o i r son agacem en t , v i n t l ’y r e
j o i n d r e au ssi t ô t .
— D i t es d o n c, A g n ès, co m m en ça- t - i l ap r ès un
co u r t si l en ce, v o u s t r o u v ez cel a j o y e u x , v o u s?
— O u oi ? d i t - el l e, p l u t ôt sèch e.
l ’.h b i en ! sc m ar i er , com m e H u gu es et U se,
Ç?1. " . V v r c ‘ ' cs d ev o i r s à d eu x en ap p el an t cel a •
f él i ci t é d i vi n e.
■— Si ça l eu r p l aît ! m u r m u r a A gn ès.
I l vi t qu e, en t ou t cas, ceci l u i p l ai r ai t m éd i o cr eO ient , à el l e, et , d ’ u n e v o i x i n si n u an t e, p o u r su i v i t '•
�L ’I N F A N T
A
L 'E S C A R B O U C L E
12 3
— M o i , j e n e su i s p as u n e p er f ect i o n , p eu t - êt r e...
— O h ! n on ! fit A g n ès, co n v ai n cu e.
— M ai s j e ser ai s u n ag r éab l e co m p agn o n . J'ai m e
l e m o n d e, j e n e v o u d r ai s p as en p r i v er m a f em m e,
au co n t r ai r e. L e b o n h eu r p o u r m oi ser a de l u i p r o
c u r er t o u s l es p l ai si r s, l a v o i r s’am u ser f o l l em en t ,
l a co m b l er , l a m en er p ar t o u t co m m e f o n t m es am i s,
B o b G o m b au l t - L ef r an c , M a x L a g r an g c et Séz ér i eu x ... V o i l à d es g ar ç o n s i n t el l i gen t s... i l » n e se
so n t p as m ar i és p o u r c l o ît r er u n e p au v r e p et i t e
av an t d e l u i av o i r u n p eu m o n t r e l ’ex i st en ce... C e
Son t d e ch i cs co p ai n s p o u r l eu r f em m e. I l s son t
g én ér eu x , al l ez ! Ja m a i s i l s n e gr i n ch en t p o u r so r
t i r , j am ai s i l s n e f o n t l a t êt e d ev an t l es n o t es d e
co u t u r i er s... Je ser ai s co m m e cel a... si j ’ai l a v ei n e
‘d 'êt r e accep t é p ar ... u n e j eu n e fi l l e qu i m e p l ai r ai t
bi en .
I l se r ap p r o ch ai t en co r e :
— A g n ès... éco u t ez q u el q u e ch o se... A g n ès !
E l l e l 'éc ar t a d ’u n gest e b r u sq u e en r o u gi ssan t
j u sq u ’au x c h ev eu x : M i g u el d ’Et ch eb ar r am v en ai t
d ’êt r e i n t r o d u i t .
M " * d e Go n scn h ei m , t r o u b l ée, f a i l l i t se l ev e r ;
el l e eu t assez d e p r ésen ce d ’esp r i t p o u r n ’en r i en
la ir c .
A p r ès l e j eu n p h om m e su r v i n r en t si m u l t an ém en t
d eu x p ar en t es él o i gn ées d e l a m aît r esse d e m ai *011. C es d am es ar b o r ai en t d es a i r s f at i g u és et
ch agr i n s f r éq u en t s d an s ce p ay s, où , san s d o u t e, l e
b r o u i l l ar d et l a p l u i e f i n i ssen t p ar i n f l u er su r l e
m o r al , en m o n t r an t l a v i e so u s l es co u l eu r s l es
î'b i s so m b r es.
, L a b ar o n n e, t r ès p er p l ex e, n e su t s'i l f al l ai t p ar *l r o u s’ il co n v en ai t de r est er . El l e n e p o u v ai t son &t r , de q u el q u e t em p s, à r em et t r e M i gu el et A g n ès
^ p r é se n c e ch ez el l e, m ai s s'i l s se r en co n t r ai en t l à,
®et ai t - c e p o i n t p r o v i d en t i el ?
�E l l e sc d i t :
« Si A g n ès n ’av ai t j u r é de g ar d er l e secr et d es
f i an çai l l es d e son am i e, M . d ’ Et c h eb ar r am sau r ai t
t o u t de su i t e n ’av o i r r i en à r ed o u t er du l i eu t en an t
d e V al m o r d an c. »
M i g u el , t r ès cal m e, t r ès m aît r e d e so i , sal u a l es
f en t m es assem b l ées, y co m p r i s M " * d ’ Et r u c h at .
C el l e- c i n e l u i t en d i t p as l a m ai n , m ai s i n cl i n a l a
t êt e d ’ÿ n c f aço n assez g r ac i eu se.
B er n ar d d i t q u ’i l f ai sai t u n t em p s ab o m i n ab l e,
et b i en t ô t ap r ès on p ar l a d u b al G o m b au l t - L ef r an c ,
c ar c ’ét ai t u n év én em en t .
— M ad em o i sel l e, n o u s au r o n s l e p l ai si r de v o u s
ad m i r er , d i t u n e d es d o u ai r i èr es, ai m ab l e. C ’est u n e
h eu r eu se i n sp i r at i o n d ’av o i r co n f i é l e r ô l e p r i n ci p al
à ces j eu n es fi l l es. A u t r ef o i s el l es t en ai en t , et cel a
al l ai t de so i , l a p r em i èr e p l ace d a n s'l es r éu n i o n s,
m ai n t en an t t ou t est p o u r l es j eu n es f em m es. C ’est
un peu i n j u st e.
— B i en sû r ! fit t ou t n aïv em en t l a b ar o n n e D u
p on t de Go n scn h ei m . E l l es so n t d éj à p ar v en u es à
t r o u v er u n m ar i !
— B er n ar d , as- t u r éu ssi à sav o i r qu el co n t e d e
f ées a ch o i si A g n ès? co u p a M “ ’ d es E ar g c s.
— P a s en co r e, m ai s, t o u t à l ’h eu r e, j e m e m et
t r ai à scs p i ed s, j e m e d i r ai son escl av e... en fi n un
t as de ch o ses t r ès p o l i es; el l e m e r ép o n d r a p ar
u n e co n fi d en ce.
—
E t v o u s v o u s em p r esser ez de l a t r a h i r ? di t
l ’u n e d es v i ei l l es cous ine s .
— C el a d ép en d r a de l a r ép o n se, r ép l i q u a
n a r d aV cc sa f at u i t é co u t u m i èr c; j e cr o i s c e p e n
]
B e r
d an t
1 esp ér er co n f o r m e à m on d ési r .
C ét ai t én i gm at i q u e. Per so n n e n ’essay a de co m
p r en d r e U- sen s cach é d e ces p ar o l es.
M
d es F ar g es, en so n n an t p o u r f ai r e i n et t r *
u n e b û ch e a u feu , ex p l i q u a :
�f . ’I N F A N T
A
I / ’E SC A R H O U C I v E
12 7
— M o n fi l s est c h ar g é d ’an n o n cer l es en t r ées
p o u r l e f am eu x « cl o u » d u b al . I l f au t t r o u v er d es
f r ag m en t s de co n t e d e f ées ap p r o p r i és a u x co s
t u m es. I l en a d éj à q u el q u es- u n s. C ’est f o r t j o l i .
— V o u l ez - v o u s v o i r m es p r o j et s? o f f r i t B er n ar d ,
s’ad r essan t à M i gu el .
C el u i - ci r ép o n d i t af T i r m at i vcn jen t . M '“' d e s F a r g e s
se t o u r n a v er s A g n ès :
— A l l ez d on c au ssi av ec B er n ar d . V o u s v er r ez
l es n o t es p r ép ar ées p o u r v o s am i es et v o u s i n d i
q u er ez ce qu i v o u s co n v i en d r a p er so n n el l em en t .
M i g u el m o n t r ai t u n cal m e ab so l u . M " * d e Go n sen h ei m , p en san t q u e, en p r ésen ce d ’u n t i er s, i l n e
p o u r r ai t y av o i r d ’ex p l i cat i o n o r ageu se, r en o n ça au
d ép ar t p r éci p i t é q u i eû t su r p r i s t ou t l e m on d e.
... A g n ès et l es d eu x j eu n es gen s p assèr en t d an s
l e p et i t sal o n . Et ch eb ar r am , si l en c i eu x , éco u t ai t
B er n ar d l i r e l es f r ag m en t s ch o i si s d an s l es co n t es
d ’un t on i m p o r t an t d e b i b l i o p h i l e ér u d i t .
— l i se ser a en « B el l e au B o i s D o r m an t », d i t i l , t er m i n an t en fi n sa co n f ér en ce. C ’est f ai t p o u r
el l e m ai n t en an t , n ’ cst - ce p as? et v o u s, A g n ès?
— Se c r e t ! f i t - el l e, r i eu se. Je v o u s l e r év él er ai
Seu l em en t l a v ei l l e, en v o u s f ai san t j u r e r su r v o t r e
Pr o p r e t êt e d e l e g ar d er p o u r v o u s j u sq u ’au gr an d
jou r.
— O h ! p o u r q u o i ?... .Soyez gen t i l l e, d i t es- l e... I l se
r ap p r o ch ai t . M i gu el p assa en t r e eu x .
« A g n è s! d i t es- l e, d i t es! r ép ét a B er n ar d , t êt u ,
^ o u s n e vo u l ez p as ?... V o u s l e f ai t es e x p r è s! V o t r e
jo i e est d ’ex asp ér er , d e r en d r e l es gen s f o u s, n ’est cc p as?
—
P eu t - êt r e!
Eco u t ez ?...
V otre
m èr e
vou s
•Pp el l c, j e cr o i s.
~~ O h ! fit l e p et i t d es b ar g es, ag ace, c ’est p o u r
^ c o n d u i r e m a co u si n e
M an c h e;
^ ég ar d s ! Ça m e r ase, m oi !
el l e / a
so i f
�I 2s
L 'I N F A N T
A
L ’E SC A R B O U C L E
M al g r é cel t e asser t i o n , i l sc d i r i g ea v er s l a p o r t e.
A g n ès, v o y an t l es y eu x so m b r es d e M i gu el f i x és
su r el l e, eu t un i n st an t d e f r ay e u r v ér i t ab l e. Ja
m ai s r egar d sem b l ab l e n ’av ai t cr o i sé l e si en .
— Per m et t ez- m o i u n e q u est i o n seu l em en t , fit E t ch cb ar r am d ’u n accen t g l acé, co m b i en d i f f ér en t
d e l ’i n f l ex i o n t en d r e h ab i t u el l e. A v ez - v o u s r éel l e
m en t l ’i n t en t i o n de f i g u r er au b al d an s ces esp èces
de t ab l eau x ,v i v an t s, co m m e on v i en t d e l e d i r e?
— C er t ai n em en t , r ép o n d i t A g n ès.
E l l e sen t ai t scs d o i gt s t r em b l er , m ai s, p ar b r a
v ad e, o u v r i t son p et i t sac et sc p o u d r a.
— Je n e l e v eu x p as, d i t M i g u el . V o u s en t en d ez,
A ^ n cs, j e n e v eu x p as !
El l e p ar v i n t à r i r e :
— A j o u t ez d o n c y o el r c y ( i ) ! C el a v o u s i r a
t r ès bi en .
— A g n è s! cessez ce j eu . Je su i s
bout d e f o r ces
et de p at i en ce.
E l l e n e r ép o n d i t r i en . E l l e v o y ai t l a m ai n d e M i
gu el f r ém i r su r l e d o ssi er d ’u n f au t eu i l . Sc s y eu x
o r d o n n ai en t , o u i , m ai s i l s i m p l o r ai en t bi en p eu t êt r e au ssi . V.Ue sc sav ai t t o u t c- p u i ssan t c su r
ce
cœu r d ’h om m e t r ès am o u r eu x et so u r i t .
— Seu l em en t ce cap r i ce, d i t - el l e, c â l i n e; et ap r ès
j e n ’ en au r ai p l u s.
C eci fit d éb o r d er l a co u p e. I l b o n d i t v er s el l e et
l u i sai si t l e p o i gn et .
— C ap r i c e «le n i e r en d r e h eu r eu x , d i t - i l l a v o i *
r au q u e; cap r i c e d e f ai r e u n e ch o se q u e j e d éfen d s- «
L eq u el est l e p l u s d i gn e d 'êt r e sa t i sf a i t ? V o u s sa
v ez p ou r q u el l e r ai so n j e v o u s i n t er d i s — il ap p u y *
~ d e vo u s m et t r e en év i d en ce au m i l i eu d e ce*
j eu n es fi l l es v o s am i es. F er ez - v o u s p asser v o t r *
b o n h eu r ap r ès u n e i a n t ai si e ?••• C h o i si ssez en t r e Ie3
�L_____
L ’IN F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
129
d eu x , A g n ès, et f ai t es v i t e. D u m ot q u e v o u s p r o
n o n cer ez d ép en d v o t r e f él i ci t é co m m e l a m i en n e,
c ar , j e v o u s l e j u r e, si v o u s o u t r ep assez m a vo
l o n t é, j e n e p ar d o n n er ai p as!
Ja m a i s A g n ès n ’av ai t su b i u n e co n t r ai n t e q u el
co n q u e. S ’en t en d r e p ar l er d e l a so r t e l u i f u t com m e
Un co u p en p l ei n v i sag e.
— Su i s- j e u n e p et i t e f i l l e? V o u s p r en ez av ec m oi
u n t on si n gu l i er , m on c h er ! J ’a g i r a i co m m e il m e
p l ai r a et , si v o u s m e t en ez r i g u eu r , ch b i en ! q u e
v o u l ez - v o u s? j e m e p asser ai d e v o t r e p ar d o n !
« Si v o u s v o u s cr o y ez cap ab l e d e m e f ai r e p l i er
p ar f o r ce, v o u s n e m e co n n ai ssez p as !
— E n ef f et , d i t - i l f r o i d em en t , j e n e v o u s co n
n ai ssai s p as.
— C ’est f ai t , d i t B er n ar d en en t r an t ; j ’ai co n
v o y é m a co u si n e j u sq u ’à son cou p e. O n n e m ’ accu Sc/ a p oi n t d e m an q u er d e p o l i t esse... A l o r s, p o u r
l e. co st u m e, A g n ès?...
M ' 1* d ’ Et r u c h at l u i l an ça un r eg ar d n o i r et , d 'u n
t on cassan t ;
— V o u s, l ai sscz - m o i t r an q u i l l e ! d i t - el l e.
M i g u el d’ Et c h eb ar r am ét ai t so r t i . B er n ar d v o u
lut sai si r l ’o ccasi o n p r o p i ce.
— A g n ès, éco u t ez, d i t - i l , sai si ssan t l a p et i t e m ai n
t ou t e t r em b l an t e d an s l es p l i s d e l a j u p e d e v el o u r s,
f o u t à l ’h eu r e v o u s n ’av ez p as co m p r i s, q u an d j e
V ous d i sai s m es i d ées su r l e m ar i age... p o u r t an t
Cela n 'av ai t p as l ’ai r de v o u s d ép l ai r e...
So u s l es y eu x ét o n n és d 'A g n ès il s'em b r o u i l l ai t ,
l >af o u i l l ai t :
— Je ser ai s un bon co p ai n com m e H ob et M a x
ct Séz ér i c u x ... Je 11c g r i n c h er ai s p as p o u r íes f ac
t u r es et l e m on d e et t ou t . — A b o u t d 'ar gu m en t s
Per su asi f s, il d écl ar a : — Je ser ai s t ou j o u r à v o s
l ’ i ed s, j e m e m o n t r er ai s 1 esc l av e d e m a f em m e...
l ai t es, A g n ès... v o u l ez - v o u s êt r e l a m i en n e?
Jj tJ- V
�ï3 0
T / IN F AN T
A L ’ESCARBOUCT .E
M " * d ’ Et r u ch at , st u p éf ai t e, éco u t ai t cet t e ét r an ge
'd écl ar at i o n , t o u t d ’ab o r d san s co m p r en d r e. E l l e
ar r ac h a sa m ai n d ’u n gest e v i o l en t
et , m ar ch an t
v e r s l a p o r t e, de t r ès h au t , d éd ai gn eu se, j et a :
—
Q u el l e b el l e o ccasi o n v o u s av ez p er d u e d e
vo u s t ai r e!
U n au t r e, r ecev an t p ar ei l co m p l i m en t , eû t sen t i
ses j am b es d ev en i r t o u t es m o l l es et se f û t assi s.
B er n ar d d em eu r a j u st e u n e seco n d e i n t er l o q u é,
son i n al t ér ab l e co n f i an ce en l u i - m êm e r ev i n t au s
si t ô t . 1! so n gea :
« E l l e n ’a p as d i t : « n on » t ou t co u r t . E l l e est
u n p eu co q u et t e... C ’ est p o u r se f ai r e p r i e r ! »
VIT
.
’
I .es p r ép ar at i f s du bal al l ai en t l eu r t r ai n et M ar c
T ast av o i n e n e r ecev ai t p oi n t de car t e d e son an
ci en i n t i m e, o u so i - d i san t t el , c ar M i gu el d ’ Et ch eb ar r am av ai t de t r o p g r av es so u ci s en t êt e p o u r se
r em ém o r er l a p r o m esse d e f ai r e p ar t à Bob Go m b au l t - E c f r an c d u d ési r de M ar c d ’al l er d an ser ch ez
lui.
U n e sem ai n e i n t er m i n ab l e se t r aîn a. M " * d e Go n j j en h ei m av ai t , cel a v a san s d i r e, t r ah i l a co n f i an ce
de M "" d es b ar g es et co n f i é, so u s l e sceau d u se
cr et , 1 an n o n ce d es f i an çai l l es d 'H u g u es d e V al m o r d an e au co n sei l l er d ’ Et cb cb ar r ai n - C o u z an c e.
E l l e y j o i g n i t f o r ce co m m en t ai r es su r l a p assi o n
d e l 'o f f i ci er p o u r sa co u si n e. D e l a so r t e, M i gu el ,
d an s son esp r i t , d ev ai t êt r e t r an q u i l l i sé.
E l l e s'at t en d ai t à v o i r l e j eu n e h om m e ac c o u r i r
san s d él ai . I l n ’en f u t r i en .
I<c co n sei l l er , en m o n t r an t l e b i l l et d e l a b ar o n n e
à son n ev eu , av ai t d em an d é :
�L ’I N F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
131
— Q u e v as- t u f a i r e ?
— Ri en , d i t - i l ap r ès u n t em p s. Si j e cèd e, j e su i s
p er d u . A g n ès, n i e v o y an t r ev en i r , se c r o i r a au t o
r i sée à co m m et t r e t o u t es l es f o l i es qu i l u i p l ai r o n t ,
sû r e d e v o i r
m on
r essen t i m en t
f o n d r e d an s u n e
c ar esse... c ar cer t ai n em en t el l e esp èr e m ’am en er l à
en p er si st an t d an s son at t i t u d e act u el l e.
« Su r l e m om en t , j ’ ai ét é f ai b l e. E l l e m ’ a v u
p r êt à m e j e t e r à ses g en o u x . C ’est u n e f au t e. J ’ai
eu t o r t ; j e n e r eco m m en cer ai p as. Si el l e co m p r en d
com bi en el l e m ’a b l essé, el l e r en o n cer a d e son c h ef
' à f i gu r er d an s l e d éf i l é t r av est i .
« U n e p r em i èr e f o i s j e l ’a v ai s p r i ée d e n ’y p l u s
so n ger , en l u i ex p l i q u an t l a cau se d e m a d em an d e.
E l l e a stt a r r êt er l es m o t s su r n i es l èv r es et sc
d ér o b er san s r i en p r o m et t r e.
« H i er j ’ ai d éf en d u f o r m el l em en t ; el l e m ’a r é
p on d u : « Je n e p l i er ai p as. »
« Je v eu x sav o i r qu i r em p o r t er a d e so n af f ec
t i on p o u r m oi ou d e sa v an i t é. A i - j e t o r t ?
I ,e co n sei l l er r éf l éch i t :
— N o n . 'Fi t as r ai so n .
... M " " «le G o n sen h ei m , p en d an t ce t em p s, sen t ai t
g r an d i r son an x i ét é. A g n ès af f ec t ai t u n cer t ai n ai r
i n d ép en d an t d on t el l e n e t i r ai t p as bon au g u r e.
A n m i l i eu d e ce d ésar r o i m o r al , M . et M "” K o ch cb el l e ar r i v èr en t . Ph i l i p p a v o u l ai t co n su l t er u n
sp éci al i st e p o u r scs r h u m at i sm es t en aces. L e m é
n age d ev ai t séj o u r n er d eu x sem ai n es à L y o n .
I l s s’at t en d ai en t à o u ïr l ’an n o n ce d os ac c o r d ai l l c s
d ’A g n ès d ’ K t r u ch at av ec M i gu el d ’ Et ch cb ar r am .
L es l et t r es de L éo n i e, j u sq u e- l à, sem b l ai en t p ar f u
m ées à l a f l eu r d ’o r an ger . L e u r p r em i er m ot f u t :
— Eh b i en ? C ’est f ai t ?
'Pr ès p i t eu se, l a b ar o n n e b al b u t i a ;
— N o n ... o u i ... c ’est - à- d i r e p as t o u t à f ai t .
son t ... u n fi eu b r o u i l l es.
Ils
�L ' IN F A N T
132
A L ’E S C A R B O U C L E
M . et M ™ Ro ci i ch cl l c sc r egar d èr en t , d éçu s.
— A h ! ça, fit Pau l i n , én er gi q u e, e’ est b êt e !
II f au t l es r éco n ci l i er , aj o u t a Ph i l i p p a, t r ès
ai gr e.
« C er t ai n em en t c ’eût l a f au t e d ’A g n ès. Je v o u s
en p r év i en s, m a ch èr e, j e ser ai t o u j o u r s du cô t é de
M - d Et ch eb ar r am .
— M oi au ssi ! s’em p r essa d ’af i i n n er l a p au v r e
L eo n i e. Je su i s îl e l eu r cô t é à t ou s l es d eu x... L es
r éco n ci l i er , c ’ est m on p l u s v i f d ési r , seu l em en t ...
c est t r ès en n u y eu x , i l s n e v eu l en t p as.
Si l ’on d em an d ai t l ’av i s d e t ou t l e m on d e on
n e f er ai t j am ai s r i en , d écr ét a sa b el l e- sœu r , sév èr e.
I l f au t l es y f o r c er , v o i l à t o u t !
C ét ai t f ac i l e à d i r e. A p r ès av o i r d él i b ér é su r
l es m ei l l eu r s m o y en s à p r en d r e, Je s Ro ch eb el l c et
L éo n i c m o n t èr en t en co r p s au seco n d ét age. P h i
l i p p a s'ét ai t ch ar gée de p o r t er l a p ar o l e.
M ""
d ’ E t r u c h at ét ai en t
so r t i es. O n
t rou va le
so i ! Ren é, t r ès o ccu p e à t ei n d r e eu v i o l et l e ch at
f av o r i d e sa sceu r cad et t e.
L e l en d em ai n ét ai t l e j o u r du b al .
B er n ar d d es P ar g es v i n t , d ès l e m at i n , i n v i t er
A g n ès et son ch ap er o n à d în er ch ez sa m èr e, l i se
v en ai t d ’a r r i v e r , l es d eu x am i es s'h ab i l l er ai en t en
sem bl e et l ui j u g er ai t , en l es v o y an t en t r er d an s l e
sal o n , q u e! ef f et p r o d u i r ai en t l es co st u m es. C e ser<'iit u n e so r t e îl e r ép ét i t i o n gén ér al e.
... M "" Je Go n seu h ci m n e d ev ai t p as f ai r e sa
t o i l et t e ch ez M " 1' d es l - ar g c s et se m i t , d ès si x
h eu r es, en g r an d h ar n o i s.
.n se vo yan t d an s son m i r o i r , t o u t e co u v er t e de
c i a n t i l l y com m e u n e d u ègn e esp agn o l e, r el u i san t e
« es p i er r er i es j ad i s o f f er t es p ar l e g én ér eu x b ar o n
«eopol d, el l e s ad m i r a, f u t co n t en t e d e sa t o u r n u r e,
�L ’IN F A N T
et
so n
A
L ’E S C A IU Î O U C L E
o p t i m i sm e n at u r el ,
r u d em en t
P h i l i p p a, l u i r ev i n t su r - l e- ch am p .
A g n ès et M i gu el n ’ét ai en t p oi n t
seco u é
13 3
p ar
en g ag es? E h
b i en ! i l s se f i an cer ai en t au b al , v o i l à t o u t ! P o u r
qu oi
se t o u r m en t er , m on
D i eu ! l es ch o ses
s’ar r an g en t t o u j o u r s.
... E11 d éb ar q u an t ch ez l a m èr e d e B er n ar d ,
A g n ès ét ai t p ar t ag ée en t r e l e p l ai si r , en so n gean t
au t r i o m p h e p r o ch ai n , et cet t e p en sée l an ci n an t e :
« Je v ai s l e p ei n er ... j ’ au r ai s p eu t - êt r e dû céd er . »
M al h eu r eu sem en t , l a v i si o n d u b eau co st u m e
p assa d ev an t ses y eu x ; el l e m ar ch ai t v e r s u n écl a
t an t su ccès. M i gu el ser ai t fi er , au l i eu d ’ êt r e f u
r i e u x ; i l n e p o u r r ai t p as r ési st er et t o u t f i n i r ai t
t r ès bi en .
C ec i fit en v o l er scs d er n i er s r em o r d s. E l l e ét ai t
t o u t e r assér én ée l o r sq u e M "'* d es E a r g c s, en i n t r o
d u i san t l a b ar o n n e d an s sa ch am b r e, av er t i t :
—
U se est av ec H u g u es d an s l e p et i t sal o n , j e
cr o i s. V o u l ez - v o u s a l l er l es r ej o i n d r e?
A g n ès, i m p at i en t e d e v o i r so n am i e, o u v r i t l a
p o r t e.
L a p i èce ét ai t v i d e, u n m u r m u r e d e v o i x co n t e
n u es, d an s l ’ap p ar t em en t v o i si n , t r ah i ssai t l a p r é
sen ce d es f i an cés.
E l l e fit un p as et s’ar r êt a en p âl i ssan t u n p eu.
l i se ét ai t assi se su r l e can ap é. Sc s c h ev eu x b r u n s
ef f l eu r ai en t l a t u n i q u e d e son co u si n i n cl i n e v er s
el l e. I l l u i t en ai t l a m ai n d an s l es si en n es, et l u i
p ar l ai t d o u cem en t . E l l e éco u t ai t t o u t e r o se, l es y eu x
so u r i an t s; u n e j o i e i n ef f ab l e fl o t t ai t su r so n v i sag e.
l i n g u es b ai ssa l a v o i x ; l es m o t s d ev ai en t êt r e
en co r e p l u s t en d r es. I l se p en ch a d av an t ag e, A g n ès
v i t l a m an ch e gal o n n ée en t o u r er l es ép au l es d ’ I l sc.
L a t êt e b r u n e et l a t êt e b l on d e se f r ô l èr en t . H u gu es
p o sa ses l èv r es su r l es p au p i èr es d e sa f i an cée d an s
un
lon g
et
r esp ect u eu x
b ai ser ...
el l e
d em eu r ai t
�L ’ESCARBOUCLE
ap p u y ée co n t r e l u i , et en su i t e i l s se r egar d èr en t .
A g n ès f ai l l i t c r i c r t an t son cœu r l u i fit m al . O h !
voir
cel a ! v o i r
U se h eu r eu se co m m e el l e- m êm e
•l ’ av ai t ét é, en f er m ée d an s l e b r as d e so n f i an cé
co m m e el l e, A g n ès, au r ai t p u l ’ êt r e si , p ar u n e
m éch an t e, ab su r d e, f o l l e b r av ad e, el l e t i ’av ai t d é
sesp ér é M i gu el .
E l l e f u t su r l e ji o i n t d e s’en f u i r , de r en o n cer à
cet t e p au v r e sat i sf ac t i o n m o n d ai n e p o u r c o u r i r au
v ér i t ab l e b o n h eu r , r et o u r n er à l a m ai so n , f ai r e ce
qu e v o u d r ai t M i gu el , m ai s n e p as r i sq u er d e l e
p er d r e... oh ! n on ! p as cel a I
M al h eu r eu sem en t , U se, r el ev an t l a t êt e, ap er çu t
l a si l h o u et t e de son am i e. El l e r o u gi t à l ’ex c ès.
H u g u es se l ev a. D éj à M " ' d ’ Et r u ch at s’ét ai t r e
p r i se ; el l e av an ç a v er s eu x , t r ès n at u r el l e.
— M a ch èr e l i se ! d i t - el l e u n so u r i r e a u x l èv r es,
j e v eu x v o u s d i r e com bi en j e su i s r av i e d e l a
gr an d e n o u v el l e... M ra* d es F ar g es n o u s a r év él é
v o s f i an çai l l es. Si v o u s sav i ez com m e j e su i s co n
t en t e !
El l e em b r assa M 11* du C h an d o l av ec él an et ,
t en d an t l a m ai n au co m t e, d i t , t r ès g ai e :
— V o u s av ez u n e f am eu se ch an ce, v o u s!... C ’ est
t o u t ce qu e j e p eu x v o u s o f f r i r d e p l u s gen t i l !
11 s’i n cl i n a. U n e ex p r essi o n de b o n h eu r i n d i ci b l e,
p r o f o n d i l l u m i n ai t ses t r ai t s, u n p eu t r o p i m m o
b i l es à l ’o r d i n ai r e :
— Je v o u s r em er ci e d e m e l e d i r e, A g n ès. O u i ,
j ai b eau co u p d e ch an ce... p l u s q u e j e n 'en m ér i t e
cer t ai n em en t .
D e n o u veau il r eg ar d a sa f i an cée et , cet t e f o i s
en co r e, A g n ès sen t i t son cœu r b o n d i r d an s sa p o i t n n e : Co m m e l i se ét ai t ai m ée... co m m e el l e ser ai t
h eu r eu se...
*
*
... B er n ar d
m ab l e :
su r gi t
à cet t e m i n u t e,
af f ai r é, ai
�I , ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
135
— A g n ès ! v o u s sav ez , l a fem m e d e ch am b r e
v i en t d e m e v en d r e v o t r e secr et . M es co m p l i m en t s!
v o t r e r o b e est ép at an t e. V o u s av ez eu l à u n e i d ée
su p ér i eu r e. C el a s’acco r d e à m er v ei l l e av ec l e t r a
v est i d 'I l se. Je v ai s v o u s an n o n cer en v er s... v o u s
ser ez l es st a r s d e l a so i r ée, t o u t es l es d eu x .
— T u es gen t i l , d i t l i se, gr ac i eu se.
A g n es r em ar q u a, san s u n m ot d e r em er ci em en t
p o u r l e p et i t d es F a r g e s :
'
— En ap p r en an t v o s f i an çai l l es, U se, j ’ai cr ai n t
d e v o u s v o i r r en o n cer à f i gu r er d an s l e défilé.»
— Po u r q u o i d o n c?
L e r i r e un p eu f o r c é d ’A g n ès v i b r a :
-— Si H u g u es n ’av ai t p as p er m i s!
— Po u r q u el l e r ai so n n ’ a u r ai s- j e p as p er m i s?
r ép ét a l e co m t e, ét on n é.
— Si v o u s ét i ez j al o u x ... co m m e t an t d ’au t r es.
D e p l u s en p l u s su r p r i s, M . d e V al m o r d an c r é
p l i q u a gaîm en t :
— Je l e ser ai p eu t - êt r e u n e f o i s m a r i é ; cep en
d an t j ' a i l a f at u i t é d e cr o i r e q u e m a f em m e ser a
assez av eu gl e p o u r m e m et t r e au - d essu s du r est e
d e l 'u n i v er s. Je m e t r o m p e san s d o u t e, m ai s l ai ssez m oi cet t e d ou ce i l l u si o n .
I !se i n t er r o m p i t d 'u n i o n d e r ep r o ch e :
— Po u r q u o i p l ai san t ez - v o u s ai n si , H u g u es? V o u s
m e f ai t es d e l a p ei n e!
l i l l e l u i sai si t l e b r as. C e gest e t i m i d e ét ai t u n e
car esse. I l so u r i t en co r e et se p en ch a p o u r l ui
b ai ser l a m ai n .
A g n ès, san s un m o l , q u i t t a l e sal o n b r u sq u em en t .
L es d eu x j eu n es gen s éch an gèr en t u n r eg ar d
st u p éf ai t .
— ( ) u ’a- t - c l l c ? d i t l i se.
— Je n e sai s p as, fit B er n ar d . M lle est un peu
n er v eu se — il p en sai t à sa d n n au d e en m ar i ag e. —
�L ’I N F A N T
A
L ’ E SC A R B O U C T .E
So n co st u m e est d i ab l em en t r éu ssi !... E l l e au r a u n
d e ces su ccès, ce so i r !
T1 ét ai t p r ès d ’on ze h eu r es; l es t r o i s p i èces d e
r écep t i o n d es G o m b au l t - L c f r an c — u n e g al er i e,
d eu x sal o n s — r u i ssel an t es
l u m i èr es, d e f l eu r s,
d e p l an t es v er t es, co n t en ai en t l ’él i t e d e l a so ci ét é
l y o n n ai se.
C 'ét ai t t r ès sel ect et n on m o i n s go u r m é. Si l ’on
s’ am u sai t , i l n ’y p ar ai ssai t p as p l u s qu e d e r ai so n .
I l n ’em p êch e : si M ar c T ast av o i n c av ai t pu p r o
m en er son p l ast r o n em p esé à L o n d r es au m i l i eu
de cet t e f o u l e r i g o r i st e et d i st i n gu ée, ‘ il eût ét é
bi en j o y eu x .
M " ’" G o m b au l t - L c f r an c , en sat i n v i o l et , av ec
b eau co u p de d i am an t s, et M . G o m b au l t - L c f r an c , sa
cr av at e d e co m m an d eu r d ’un o r d r e ét r an g er au co u ,
r ecev ai en t l eu r s i n v i t és su r l e seu i l d e l a g al er i e.
A co t é, l eu r fi l s — u n at h l èt e co m p l et , ad o n n é à
t o u s l es sp o r t s, — l eu r b el l e- f i l l e, u n e t o u t e p et i t e
m ai g r e, so u p l e co m m e u n ch at , v êt u e d e l am é ce
r i se et ar gen t , d es p er l es au co u , d i st r i b u ai en t d es
m o t s d e b i en v en u e et d es p o i gn ées de m ai n , acco m
p agn ées d ’u n e q u an t i t é p r o d i gi eu se d e : « B o n so i r ,
m on co u si n ! B o n so i r , m a co u si n e ! » C a r , \ B el l ef o u r , on est t o u j o u r s p l u s o u m o i n s p ar en t s.
L es
j eu n es
fi l l es d est i n ées à
r em p l i r
le
rôle
d at t r act i o n s’ét ai en t en f er m ées d an s u n b o u d o i r ,
au t o u r d u qu el l eu r s d an seu r s h ab i t u el s t o u r n ai en t
av ec <lcs m i n es d ésesp ér ées, com m e n os p r em i er s
p ar en t s d ev an t l a p o r t e du P ar ad i s t er r est r e, ap r ès
!■* d égu st at i o n ,l e l a f at al e p om m e.
es .( t i t r es p er so n n es d an sai en t au son d ’ un o r
ch est r e d e v i o l o n s, c ar M " * G o m b au l t - L c f r an c ,
m a g r - es su p p l i cat i o n s d e sa m o d er n e b r u , n 'av ai t
�I , ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
137
j am ai s v o u l u en t en d r e p ar l er d ’ i n t r o d u i r e 1111 j az z
ch ez el l e.
M i gu el d ’ Et c h eb ar r am b o st o n n ai t av ec l 'h er i t i c r c
assez m al h ab i l l ée d ’u n e g r an d e m ai so n d e b an q u e.
M " ” d e G o n scn h ei m , l e v o y an t accap ar é p ar
t o u t es l es am i es d e l a p et i t e G o m b au l t - L c f r an c , se
d i t q u e si A g n ès co n t i n u ai t à se m o n t r er i r r éd u c
t i b l e, ce j eu n e h om m e t r o u v er ai t à L y o n ci n q u an t e
f i an cées p o u r u n e. D éj à , co m m e Ph i l i p p a, el l e p as
sai t d u cô t é d e M . d ’ Et ch eb ar r an i .
So u d ai n l 'o r c h est r e se t u t et l es co n v er sat i o n s
cessèr en t .
,
B er n ar d d es F a f g e s, p l acé t ou t seu l d ev an t l es
b at t an t s d ’u n e p o r t e f er m ée en gu i r l an d ée d e r o ses
et d ’at t r i b u t s ch am p êt r es, p r o n o n ça d ’ u n e v o i x
h au t e, d i st i n ct e, r éso n n an t e :
— I l ét a i t u n e f o i s...
Ec s v i o l o n s m o d u l èr en t q u el q u es
L u l l i . L a p o r t i èr e s'é c a r t a ; u n e j eu n e
som p t u eu sem en t p ar ée d e v el o u r s v er t ,
ch ev el u r e f au v e d ép l o yée co u l ai t su r
m esu r es de
fi l l e ap p ar u t ,
u n e i m m en se
ses ép au l es.
E n m ar ch an t , el l e s’ad m i r ai t d an s u n e g l ac e an
ci en n e en cad r ée d 'ar gen t ci sel é.
C ’ét ai t l a B el l e a u x c h ev eu x d 'o r .
— A h !... ah !... t r ès b i en !... t r ès b i en ! su su r r èr en t
q u el q u es v i eu x m essi eu r s, en t ap o t an t d an s l eu r s
n i ai n s gan t ées su r l e p assag e de l a h au t ai n e bl on d e.
P u i s d éf i l èr en t su ccessi v em en t : P ea u - d 'A n c , en
r ob e co u l eu r dit t em p s. I~a C h a t t e b l a n c h e, u n e p e
t i t e b el l e- si eu r d u j eu n e Bo b , m i n o i s f r i p o n , y eu x
év ei l l és — t r o p év ei l l és m êm e — d an s l a f o u r r u r e
d 'h er m i n e, au x m i gn o n n es o r ei l l es d o u b l ées d e sa* ''1 r o se. L 'a d r o i t e P r i n c esse, t en an t sa q u en o u i l l e
de v er r e... d 'au t r es... d ’au t r es en co r e, t o u t es sal u ées
de co m p l i m en t s h yp er b o l i q u es et d écl ar ées « l a
•" ¡eu x r éu ssi e » p ar l eu r s f l i r t s et l eu r s f am i l l es.
B er n ar d l es p r ésen t ai t d 'u n m ot , d 'u n e p h r ase
�, 3S
L ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
p u i sée d an s l es v i ei l l es h i st o i r es d u t em p s p assé. I l
d i sai t t r ès b i en . So n su ccès v al ai t p r esq u e cel u i d es
j eu n es fi l l es.
P u i s, d an s u n si l en ce co m p l et , A g n ès et U se
f r an c h i r en t à l eu r t o u r l a p o r t e au x gu i r l an d es.
A g n ès, b el l e à p er cer d ’o u t r e en o u t r e l e cœu r l e
p l u s f er m é, t r aîn an t l es p l i s de sa l o n gu e r o b e
L o u i s X I I I en b r o car t r o se, au col d e gu i p u r e, t e
n ai t su r son p o i n g u n o i seau co u l eu r d 'az u r . D ’ un
gest e co q u et , el l e l 'ap p r o ch ai t d e son o r ei l l e com m e
p o u r éco u t er u n e con fi d en ce.
U se, v ct u c d e sat i n b l an c, sa p et i t e t êt e gr ac i eu se
en cad r ée p ar l a ch ér u sq u e de d en t el l e d es p r i n
cesses de l a Ren ai ssan ce, d es p er l es au co u , en cei n
t u r e, u n m i n u scu l e f u seau d 'o r at t ach é à l a t ai l l e,
s av an ç ai t t r ès l en t em en t , u n e g r o sse r o se r o u ge
en t r e l es d o i gt s.
I l y eu t u n e m i n u t e d e st u p eu r ém er v ei l l ée. B e r
n ar d ar t i c u l a d 'u n e v o i x t r ès d o u ce, em p l i e d e
r êv es :
I . 'o i se a u b l e u n i e f a i t s i g n e et v eu t q u e j e l e su i v e . . .
K t j e c r o j « v o i r v e n i r su r l e c h e m i n
1.« B e l l e a u l l o i s d o n n a n t , u n e r o se A l a m a i n t ( 1)
Tout d ’ab o r d , l es .assi st an t s, sai si s p ar cc d él i
c i eu x sp ect acl e, d em eu r èr en t m u et s. En su i t e q u el
qu 'u n m u r m u r a : « O h ! c'est t r o p j o l i ! » Ceci
d écl en ch a d en t h o u si ast es ap p l au d i ssem en t s.
O n n e sav ai t l aq u el l e ad m i r er l e p l u s : L a bel l e
A g n ès au x y eu x de d i am an t s n o i r s, car essan t sou
o i seau b l eu , ou U se, p et i t e p r i n cesse de l égen d e
d an s ses at o u r s i m m acu l és.
l o u t es d eu x , au m i l i eu d es l o u an ges r ép ét ées si i f
I t u r p assage, ch er ch ai en t d es y eu x un seu l êt r e
«an s l a f o u l e : | f cc , so n f i an c é; A g n ès, M i gu el
d Et eh eb ar r am .
�I/ IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
139
C el u i - ci se t r o u v a u n e seco n d e en f ac e d 'A g n ès
et l a co n t em p l a, t r ès c al m e; el l e so u r i t en av an ç an t
i m p er cep t i b l em en t v er s l u i son o i seau en ch an t é.
A l o r s l e j eu n e h om m e se d ét o u r n a.
B er n ar d
f en d i t
l e fl ot
et s’ap p r o ch a d ’ A g n ès :
—
Eh
b i en !... j ’ét ai s bon p r o p h èt e! V.Hicl
t r i o m p h e !... V o u s êt es m er v ei l l eu se, v o u s sav ez !
m er v ei l l eu se. V o t r e o i sea u b l eu , c’est gén i al ... m ai s
l ’ an n o n ce, h ei n ? c ’ét ai t t r o u v é?
— O u i , m er ci , fit sèch em en t l a b el l e d am e.
B er n ar d n e se d éco u r ageai t p as f aci l em en t . I l
r ep r i t :
— O n v a d an ser . V o u s t n ’ac c o r d c r c z b i en un
t o u r d e f av eu r .
— Je n ’ai p as en v i e d e d an ser , d i t - el l e d 'u n a i r
ex céd é. M a r o b e est 1111 f ar d eau ... j e su i s l a s s e j e v o u d r ai s êt r e t r an q u i l l e. L e b o u d o i r est v i d e?...
Je v ai s m e r ep o ser .
— Et ap r ès?... v o u s p en ser ez à m o i ?
— A p r ès, j e v e r r a i ! co n céd a M " " d ’ Et r u ch at ,
d an s l 'esp o i r d e se d éb ar r asser d e l u i .
B er n ar d l a co n d u i si t d an s cet t e p i èce d éser t e'c t
se r et i r a.
A g n ès se v i t en p i ed d an s l e g r an d p an n eau de
gl ace. E l l e ét ai t en b eau t é, ce so i r , v r ai m en t i r r é
si st i b l e; d 'u n gest e en f an t i n , d él i ci eu x , el l e r ap
p r o ch a l 'o i seau b l eu d e son v i sag e, q u an d , t ou t à
co u p , el l e d ev i n t l i v i d e : l a m ai n d e M i g u el d 'E t ch eb ar r am s’ab at t ai t su r son b r as.
__ A g n ès, d i t - i l , l es d en t s ser r ées, sav ez - v o u s ce
qu e c'est , u n cœu r d 'h o m m e?... A h ! «vous v o u s en
t en d ez au r ôl e, d e t o r t i o n n ai r e!... T o u t à l 'h eu r e,
cr u el l em en t , p ar b r av ad e, v o u s m ’av ez so u r i . J ’ai
f ai l l i n i ’él an c er su r v o u s, d éch i r er v o t r e o i seau b l eu
en m i l l e p i èces d e v a n t t o u s !
« Pen d an t h u i t m o r t el s j o u r s j ’ai p r i s p at i en c e;
j e v o u l ai s esp ér er qu e v o t r e af f ec t i o n l ’em p o r t er ai t
�I4 o
L ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
su r l e p l ai si r d e b r i l l er . J ’ai p r i é, v o u s av ez d é
t o u r n é l a t êt e; j ’ai d éf en d u , v o u s m ’av ez d éso b éi ...
V o u s m ’av ez d i t u n j o u r : ' « V o u s n e m e co n n ai s
sez p a s ! » C ’est v r a i , m ai s v o u s n on p l u s n e m e
co n n ai ssez p as!
« V o u s av ez cr u v o i r en m oi u n g am i n af f o l é
p ar v o t r e b eau t é, u n êt r e ép r i s, d on t o n p eu t f a i r e
t ou t ce q u ’on v eu t av ec u n b ai ser . 11 v o u s su f f i sai t ,
n ’cst - ce p as, d e d i r e : « N e m e f ai t es p as d e c h a
g r i n » en p o san t l a t êt e su r m o n ép au l e.
A g n ès p âl i t en co r e et v o u l u t l ’i n t er r o m p r e.
— T ai sez - v o u s! d i t - i l d u r em en t . Je n 'éco u t cr ai
p as un m ot , c ar ce sér ai l un m en so n ge. O h ! j e sai s,
v o u s êt es l a f r an ch i se m êm e, c’est u n e p ar t i cu l a
r i t é. Pen san t t o u j o u r s ce q u e v o u s d i t es, v o u s
p o u vez l ’o u b l i er d eu x m i n u t es ap r ès.
« Eh b i en ! i n o i , j e n ’ ai m al h eu r eu sem en t p as
cet t e f acu l t é. Je n ’o u b l i e r i en , l e n e p ar d o n n e p as.
J ’au r ai s l e d r o i t , v o u s en t en d ez? d e v o u s em m en er
à l ’i n st an t . J ’ai t o u s l es d r o i t s su r vo u s. 11 n e m e
p l aît p l u s d ’en u ser .
— M i g u e l ! c r i a A g n ès, t er r i f i ée.
Il l a t o i sa et , m ép r i san t :
— C ’est m on cap r i c e, m a ch èr e. V o u s n ’av ez p as
vo u l u u n m aît r e, m oi j ’ ai r et en u 1r s l eço n s de m on
p r o f esseu r . M ai s l e co u r s est fin i, j e su i s su f f i sam
m en t d ocu m en t é. Ex cu sez - m o i de vo u s r et en i r au ssi
l o n gt em p s, j e n e v o u l ai s p as p r en d r e co n gé de
v o u s san s v o u s p r ésen t er m es h o m m ages.
— M i gu el ! b al b u t i a A g n ès, b l an ch e com m e l es
d en t el l es de *>11 co l . Je su i s d éso l ée... j e... n e
p ar t ez p as! n e...
I l av ai t d éj à r ef er m é l a p o r t e
•" e s'ef f o n d r a d an s u n f au t eu i l , san s p l eu r er ni
b o u g er ; ses y cu x f ,x c s r eg ar d ai en t san s l e v o i r
o i seau d az u r , sym b o l e d u b o n h eu r , g i san t su r l e
l ap i s.
�I . ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
141
— A g n ès, d i t u n e v o i x d er r i èr e el l e. C ’est v o t r e
m ar i , n ’est - cc p as?
E l l e eu t u n su r sau t en v o y an t H u g u es de V a l m o r d an c d ebou t en f ac e d ’el l e.
I I ét ai t en t r é p eu ap r ès M . d ’E t c h eb ar r am ,
c r o y an t t r o u v er sa f i an cée av ec A g n ès. D ès l es
p r em i er s m o t s, n e sach an t co m m en t so r t i r san s at t i
r er l 'at t en t i o n , il av ai t assi st é, p ét r i f i é d ’ ét o n n em en t , à cet t e co u r t e scèn e.
Co m m e t o u t l e m o n d e, i l av ai t p r i s l e j eu n e
B asq u e p o u r 1111 p r ét en d an t d e M " ' d ’ E t r u c h at et
t r o u v ai t so n at t i t u d e si n gu l i èr e. M ai s, au t on de
M i g u el , 1111 h om m e ex p ér i m en t é n e p o u v ai t se m é
p r en d r e; ce 11’ét ai t p oi n t u n r ep r o ch e d e fi an cé
t r o p o m b r ag eu x , m ai s u n e sem on ce c o n j u g al e. C es
p a r o l e s: « J' a i t o u s l es d r o i t s! » ach ev èr en t d e
l ’éc l ai r cr .
O ui. M
pou rqu oi
A g n ès
l ev a su r
i gu el d ’ Et ch eb ar r am ét ai t l ’ép o u x ... M ai s
av ai en t - i l s cach é l eu r m ar i ag e?
ét ai t t o u t e d e p r em i er m o u vem en t . E l l e
l u i son v i sag e so u d ai n r u i ssel an t de
p l eu r s :
— H u gu es... j e su i s t r o p m al h eu r eu se!
M . de V al m o r d an e se sen t i t ex t r êm em en t em b ar
r assé. i l y av ai t t o u j o u r s eu , en t r e A g n ès d ’ Ë t r u ch at et l u i , u n e cam ar ad er i e f r at er n el l e; san s co
q u et t er i e d e l a p ar t d 'A g n ès, t r ès r esp ect u eu se de
l a si en n e; m ai s il est d i f f i ci l e, p o u r u n g ar ç o n de
v i n g t - q u at r e an s, i l i t - i l en g ag é et t r ès am o u r eu x
de sa fi an cée, de co n so l er u n e j eu n e f em m e. El l e l u i
f ai sai t p i t i é, p o u r t an t il n e sav ai t qu e f ai r e.
El l e l e t i r a de ses p er p l ex i t és en
l ’accen t su p p l i an t :
—
H u gu es, l ai ssez - m o i
p r o n o n çan t ,
m e f i gu r er q u e j e su i s
v o t r e sœu r et j e v ai s t ou t v o u s d i r e.
A k i k n p r éci p i t ai t l es m o t s, ex p l i q u an t p ar p et i t es
p h r ases saccad ées, h al et an t e ;
�14 2
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R R O U C I.E
__M i g u el est m on m ar i et j e l ’ai m e t an t '.... l u t
a u ssi m ’ai m ai t et , p ar m a f o l i e, j e l ’ai p er d u ... Si ,
c ’est v r a i , j e l e sen s, j e l ’ai p er d u !...
« M ai s c ’est sa f au t e ! p o u r q u o i est - i l si au t o
r i t ai r e?... I l m e d éf en d ai t t o u t , cel a m ’ ex a sp ér a i t ! ...
A l o r s... q u an d i l m ’a i n t er d i t d e m e j o i n d r e ce so i r
à m es am i es, de co n t i n u er à j o u er o f fi ci el l em en t l e
r ô l e d e j eu n e f i l l e, en p r o l o n gean t ce m en so n ge
q u ’i l n e p o u v ai t p l u s su p p o r t er , j ’ ét ai s t r o p en
co l èr e, j ’ ai p assé o u t r e. J ’ai cr u p o u v o i r l e r e
p r en d r e q u an d j e v o u d r ai s... et c ’est f i n i !
« Je l e co m p r en d s t r ès b i en , cet t e si t u at i o n n e
p o u v ai t p as d u r er . M i gu el ét ai t à bou t et m oi
au ssi , c ’est p o u r q u o i j e d ev en ai s ch aq u e j o u r p l u s
i n su p p o r t ab l e. D ep u i s p r ès d e si x m o i s j e su i s l a
f em m e d e M i gu el et n o u s som m es sép ar és.
— C o m m en t ? fit M . de V al m o r d an c , ab aso u r d i .
C et ét é d éj à vo u s...
— O u i . Je v ai s v o u s ex p l i q u er ... co m m e à u n
f r èr e q u i ser ai t p at i en t et co m p r en d r ai t t r ès b i en ,
et p u i s v o u s m e d o n n er ez u n co n sei l , j e l e su i v r ai ,
c ar j e n e sai s p l u s co m m en t f ai r e.
A t r av er s scs l ar m es, A g n ès p o u r su i v i t :
— J ’ ai f ai t un séj o u r en E sp ag n e ce p r i n t em p s,
v o u s l e sav ez , ch ez d o n a I sab el D i az , l a m èr e d ’u n e
am i e de m am an . E l l e est t r ès b on n e et son af f ect i o n
p o u r m a m èr e s’est r ep o r t ée su r m oi .
« El l e m e d i sa i t : « Je v o u d r ai s v o u s g ar d er
« t o u j o u r s ch ez m o i , êt r e v o t r e v ér i t ab l e aïeu l e... »
et b eau co u p d ’au t r es ch o ses ai m ab l es. M es f a n t a i
si es 1 am u sai en t ; el l e r i ai t en m e v o y an t ad m i r er l e
p o r t r ai t d e l ’i n f an t à l ’cscar b o u cl c et , q u an d j ’af i i r m ai s v o u l o i r u n m ar i sem b l ab l e
cet t e i m age, el l e
r ép o n d ai t : « Po u r q u o i p as? »
« J ai co m p r i s sa p en sée l o r sq u e son p et i t - f i l s,
en f an t de sa fi l l e, M i gu el d ’ Et c h eb ar r an i , al o r s
ab sen t , est r ev en u . J ’ai so n gé : « S ' i l n e f ai t p as
�I , ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
143
« at t en t i o n à m o i , j ’ en m o u r r ai ! » et l u i , t o u t d e
su i t e, a eu l e co u p d e f o u d r e.
« D o n a I sab el ét ai t r av i e. E l l e se sen t ai t t r ès
v i ei l l e et v o u l ai t v o i r M i gu el m ar i é d e son v i v an t ,
et m ar i é à u n e F r an ç ai se co m m e el l e.
« T an t e F él i c i e a m i s t o u s l es o b st acl es p os
si b l es. M i g u el l u i d ép l ai sai t san s sav o i r p o u r q u o i ;
el l e est f an t asq u e, v o u s sav ez ... M ai s en f i n , n o u s
n o u s so m m es en gagés.
« D o n a I sab el a i n si st é p o u r p r esser l a cél éb r a
t i o n du m ar i ag e, c ar el l e ét ai t m al ad e et cr o y ai t
b i en t ô t m o u r i r .
« M i gu el et m oi ét i o n s m aj eu r s, n o u s av i o n s
t o u s n os p ap i er s, n o u s so m m es al l és n o u s m ar i er
ci v i l em en t au co n su l at de F r an c e à B ad aj o z , l a
cér ém o n i e r el i g i eu se d ev ai t av o i r l i eu au ch ât eau .
« C ’ét ai t au
f o n d d e l ’ E st r em ad u r a, i l
eû t ét é
d i f f i ci l e d e co n v i er d es am i s f r an ç ai s ; d 'ai l l eu r s,
cel a m e p ar ai ssai t f o l l em en t am u san t d e r ev en i r
en F r an c e m ar i ée, san s q u e q u i co n q u e en ai l r i en
su.
« Je r eg r et t ai s seu l em en t l ’ab sen ce d e m on
gr an d - o n cl e Jo ac h i m , u n
p ar en t d e m a m èr e;
il
h ab i t e l e Pér o u , c ’ét ai t i m p o ssi b l e de l e f ai r e v en i r
et d o n a I sab el n o u s r ép ét ai t san s cesse q u ’el l e
al l ai t m o u r i r , de n e p as at t en d r e.
« L a v ei l l e d u m ar i ag e r el i g i eu x , ét an t d éj à
l i ée à M i gu el l égal em en t , j ’ai r eçu u n e l et t r e de
111011 o n cl e et ç ’a ét é u n co u p t er r i b l e.
« Je n 'ai au cu n e f o r t u n e, v o u s sav ez , et n i es
p et i t es s<iuirs 11011 p l u s. M o i , cel a m 'ét ai t bi en ég al ,
m ai s l 'av en i r d es p et i t es p r éo ccu p e b eau co u p t an t e
F él i c i e. M o n o n cl e Jo ac h i m n 'av ai t j am ai s pu
p r en d r e son p ar t i d e v o i r m am an r em p l acée —
p o u r t an t m a b el l e- m èr e ét ai t t r ès b on n e — m ai s,
p ar af f ect i o n p o u r m o i , il co n sen t ai t à t r ai t er en
n eveu et n i èces Rcn c et n i es sœu r s.
�144
I ’IN F A N T
14
A I/ E v S C ARB OU C I< E
« P a r m al ch an ce, j ’ ai en co r e, d an s l e Gu i p ú z
co a, u n e v i ei l l e co u si n e d e m a m èr e. C el l e- ci a
t o u j o u r s ex c i t e l 'o n cl e Jo ach i m co n t r e l es en f an t s
d e l a seco n d e f em m e d e p ap a. M éch am m en t , v o u
l an t n u i r e au x p et i t es et à Ren é, el l e a co n t r i b u é
à m on m al h eu r p r ésen t .
— Co m m en t c el a? fit
l en c i eu x .
H u g u es, j u sq u ’al o r s si
— V o i l à : ch aq u e an n ée, au 1"
o n cl e m ’en v o i e un t r ès b eau cad eau
d i san t p o u r m a t o i l et t e. C et t e f o i s,
f ai r e d av an t ag e et v o u l ai t p ar t ag er
j a n v i er , m on
d ’ar g en t , so i il d éci d ai t d e
u n e som m e d e
d ou ze cen t m i l l e f r an c s en t r e n o u s s i x ; d e cet t e
f aço n , i l assu r ai t l ’av en i r d e m es cad et s.
« M ai s à cet t e co n d i t i o n : il f al l ai t q u ’au cu n e
d e n o u s n e so i t m ar i ée av an t v i n gt - ci n q an s r év o l u s,
san s cel a i l an n u l ai t l a d o n at i o n . C et t e cl au se st u
p i d e l u i av ai t ét é su ggér ée p ar m a co u si n e D o l o r es,
l a Gu i p u z co an e, et ceci d an s l e b u t d e p r i v er m es
sœu r s d e cet t e p et i t e f o r t u n e. E l l e p en sai t qu e j e
n e v o u d r ai s p as at t en d r e au ssi l o n gt em p s; si j e r en
co n t r ai s l 'h o m m e d e m on go û t , j e r en o n c er ai s à
l 'h ér i t ag e d e l ’o n cl e p l u t ô t q u ’à m on b o n h eu r .
« A l o r s, v o u s v o y ez , l es p et i t es n ’av ai en t p l u s
r i en !... Q u an d M i gu el l ’a su , i l m ’ a d i t : « Q u el l e
« i m p o r t an ce cel a a- t - i l ? Je su i s assez r i ch e p ou r
« f ai r e
vivre
ma
fem m e. Je
m e m oqu e d e cet
« ar gen t . »
« M oi au ssi , j e m ’ en m o q u ai s, m ai s al o r s, m es
sœu r s?,,, M i gu el l 'a co m p r i s, i l ét ai t d éso l é d e m e
v o i r p ei n éc. Cep en d an t n ou s ét i o n s d éj à u n p eu
l i és, 11 est - ce p as? Je l u i ai di t :
« — M ar i o n s- n o u s t ou t à f ai t . Per so n n e n ’ en
s.i u r a r i en . Je r ev i en d r ai en F r an c e so u s m on n om
de j eu n e fi l l e... ce ser a t r ès am u san t .
« A ce m o m en t - l à, M . d ’ Ët ch cb ar r am - C o u z an c e
11 av ai t p as en co r e d on n é à son n ev eu l eu r v i ei l l e
�L ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
145
m ai so n d e f am i l l e d e Sai n t - Jean - d c - L u z . M i g u el
av ai t son d o m i ci l e en E sp ag n e et l e m i en ét ai t t o u
j o u r s cel u i d e m on p èr e à P a r i s; n at u r el l em en t ,
d an s u n e cap i t al e, si l ’on n ’ est p o i n t t r ès en v u e,
Per son n e n e f a i t at t en t i o n à v o u s. N u l n ’au r ai t
son gé à r em ar q u er l es p u b l i cat i o n s d e m ar i ag e
d 'A g n ès d ’E t r u c h at av ec M i g u el d ’Et ch eb ar r am .
— M ai s, d i t H u g u es st u p éf ai t , v o u s av ez eu
eet t e i d ée i n sen sée d e v o u s sép ar er d e v o t r e
p ar i ?
— O h ! p o u r t r ès peu d e t em p s. M o n co u si n ,
l ’abb é d ’ Et r u ch at , d ev ai t v o i r m on o n cl e Jo ac h i m
à L i m a, l u i ex p l i q u er l a si t u at i o n et l ’am en er à
Ch an ger l a cl au se p r i n ci p al e d e sa d o n at i o n , ou du
m oi n s Pem p êch er d e d ésh ér i t er m es soeu r s. N o u s
p en si o n s
q u ’en
d eu x
ou
t rois
m ois
la
r ép o n se
Ser ai t ven u e...
« Si n ou s ét i o n s r est és en Esp ag n e t o u s l es d eu x ,
t an t e D o l o r ès au r ai t fini p ar l e sav o i r . E n r ev en an t
au M a s d u C a v a l i er co m m e u n e j eu n e fi l l e, o n
■l 'au r ai t pu av o i r l 'i d ée d e so u p ço n n er l a v ér i t é.
— M . d 'Et c h c b ar r am a co n sen t i ? i n t er r o g ea l e
l i eu t en an t , éb ah i p ar cet t e r év él at i o n . Eh b i en ! i l
a du co u r ag e !
— O u i . A m oi au ssi i l en a f a l l i f u n p eu , j e v o u s
l ’assu r e. C ’est p o u r q u o i j e v o u s ai d i t u n j o u r :
* J ’ai f ai t un gr an d sac r i f i c e » , m ai s j e n e co m p r e
[
n ai s p as qu e c ’ en ét ai t un.
— Jt n e sai s si j e d o i s ad m i r er v o t r e ab n éga
tion
ou t r o u v er cel a u n e f o l i e ! Co m m en t v o t r e
’ an t e n ’a- t - el l e p as em p êch é?...
— O h ! el l e a cr i é, p r o t est é I E l l e v o u l ai t m e
f ai r e r o m p r e, t o u t si m p l em en t . M ai s l e co n su l de
^ r u n ce av ai t p assé p ar l à, j e n e v o u l ai s p as êt r e
V ar i ée ci v i l em en t , t ou t d e m êm e... et p u i s c'ét ai t
llr>c si t u at i o n t el l em en t o r i g i n al e I
« Je su i s r ev en u e en
l 'r a n c e ; t an t e F él i c i c n e
�i 46
L'I N FAN T A L ’ESCARBO U CLB
d éco l ér ai t p as, j u r ai t q u e j am ai s M i gu el n e m et
t r ai t l es p i ed s ch ez el l e.
« N o u s ét i on s d éso l es, n e sach an t co m m en t n o u s
r ev o i r . P a r u n e ch an ce i n si gn e, il a eu cet t e i n v i
t at i o n à l a T h u i l i èr c ... V o u s v o u s r ap p el ez v o t r e
su r p r i se, qu an d j e v o u s ai r év él é m on d ési r d ’ al l er
ch ez l es T ast av o i n c ? en r éal i t é p o u r r en co n t r er
l eu r am i ; et ce j o u r où v o u s av ez t en u à m ’acco m
p agn er p ar ce q u ’il y av ai t u n p ei n t r e i n con n u d an s
v o s b oi s. O h ! com m e j e v o u s ai t r o u v é h aï ssab l e!
— V o u s al l i ez r ej o i n d r e v o t r e m ar i ? E x c u sez
m a so t t i se, m ai s j e 'n e p o u v ai s m e d o u t er ...
— O u i , d i t - el l e t r i st em en t . U n e o r i g i n al i t é
d ’A j i n ès... et m ai n t en an t t ou t s’écr o u l e
r em i t à p l eu r er . — A l o r s q u e v ai s- j e
L e co m t e se r ap p r o ch a, t r ès ém u :
— V o u s m ’av ez t r ai t é en f r èr e aî n é;
en r em p l i r l e r ô l e et v o u s d o n n er u n
« N e j o u ez p as av ec v o t r e b o n h eu r .
— el l e sc
f ai r e?
l ai ssez - m o i
co n sei l .
T âch ez de
l e r eco n q u ér i r , d u ssi ez - v o u s en a r r i v e r à v o u s h u
m i l i er d ev an t v o t r e m ar i . Il v au t m i eu x m ar ch er
su r son o r gu ei l q u e su r .so n cœu r ... N ’at t en d ez p as
qu e M . d ’ Et ch eb ar r am v o u s r ev i en n e, il l e f er ai t
p eu t - êt r e, j e n ’en sai s r i en , j e l e co n n ai s t r o p p eu !
m ai s, si v o u s vo f i l ez l e r ep r en d r e, n e l u i im posez
p as cel a. Rem et t ez - v o u s en t r e ses m ai n s av ec co n
fi an ce. M o n t r ez - l u i qu e v o u s l ’ai m ez t r o p p o u r ne
p as l e f ai r e p asser av an t t ou t , m êm e av an t vo t r e
am o u r - p r o p r e.
« V o u s au r ez san s d o u t e un m om en t t r ès d u r ;
u n h om m e b l essé n ’est p as f aci l e à r am en er , m ai s
cel a i m p or t e p eu , si l es j o u r s su i v an t s fo n t o u b l i er
ce t ins ta nt- là.
« Cr o ye z- moi, al l ez l e r ej o i n d r e.
L a j eu n e fem m e h ési t a. U n co m b at t er r i b l e sc
l i v r ai t en el l e. I l l r d ev i n ai t au x m o u vem en t s n er *
v eu x de l a bo u ch e.
�L ’I N F A N T
A
L ’K S C A R B O U C L E
14 7
H u g u es r ep r i t , p l u s i m p ér i eu x :
— A g n ès, u c co m p r en ez - v o u s p as co m b i en l ’h eu r e
est g r a v e ? I l f au t a g i r i m m éd i at em en t et so r t i r
au p l u s v i t e de cet t e si t u at i o n
f au sse en t r e
t o u t es.
« Si v o u s al l ez r et r o u v er M . d ’Ët c h eb ar r am u n e
f o i s l a r ép o n se d e v o t r e o n cl e p ar v en u e, i l c r o i r a
qu e v o u s t en i ez p ar - d essu s t o u t à un h ér i t age.
C e m ot l a fit b o n d i r su r scs p i ed s.
— O h ! d i t - el l e, éc ar l at e d e h on t e ; s’i l sc f i gu r ai t
cel a !... V o u s av ez cen t
f o i s r ai so n . Je p ar s t ou t
d e su i t e... So y ez - m o i u n f r èr e j u sq u ’au bou t
t o u t à l i se, à M 1"* de Go n sen h ei m ... m oi ,
p o u r r ai s p ar l er — el l e so u r i t en co r e et
l am en t ab l e. — C ’est u n e co r v ée, m ai s on
: d i t es
j e 11c
c ’ét ai t
ab u se
si f aci l em en t d e scs am i s.
E l l e l u i t en d ai t l a m ai n . P o u r l a p r em i èr e f o i s il
l a b ai sa et d i t :
— Je su i s h eu r eu x d e p o u v o i r v o u s r en d r e ce
ser v i c e, M ad am e.
D eu x m i n u t es ap r ès, u n e v o i t u r e em p o r t ai t
A g n ès v er s l a d em eu r e d u co n sei l l er .
... U se, ab aso u r d i e, éco u t ai t H u g u es f ai r e u n r é
ci t p r éci p i t é d e cet t e i n i m agi n ab l e av en t u r e; M ™’ d e
G o n sen h ei m en t r a j u st e su r l e d er n i er m ot .
— O ù est A g n è s? d i t - el l e, tr/ *s ag i t ée. O n l a
ch er ch e p ar t o u t ! el l e est i n t r o u v ab l eI
H u g u es r ép o n d i t av ec u n g r an d san g - f r o i d :
— E l l e est al l ée ch ez son m ar i .
L a b ar o n n e n e l e cr u t p as d ev en u f o u , p p u r t an t
el l e eû t ét é ex cu sab l e. E l l e r ép ét a m ach i n al em en t :
— So n m ar i ... qu i est - c e?
— M i gu el d 'Et ch eb ar r am .
— M ai s, o b j ec t a l a p au v r e L éo n i e, éb er l u ée, c ’est
i m p o ssi b l e ! i l s ét ai en t b r o u i l l és. A l o r s... i l s n e l e
sont p l u s ?
—
Si , i l s l e so n t t o u jo u r s . J ’e s pè r e q u e cel a sc
�14 S
I . ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
t asser a, m ai s j e n e sai s cep en d an t p as du t o u t
co m m en t Et c h eb ar r am va r ec ev o i r sa f em m e !
M " " d e Go n sen h ci m sai si t sa t êt e à d eu x m ai n s,
au gr an d d o m m age d e sa c o i f f u r e :
—
M o n D i eu ! M ai s c ’ est af f o l an t !... M ar i es?...
i l s ét ai en t m ar i és!...
« Q u ’est - ce q u e Ph i l i p p a v a t r o u v er <à m e d i r e!
. V II
L e t i m b r e d e l a p o r t e r éso n n a. M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an ce r el ev a l a t êt e av ec ét o n n em en t .
11 v ei l l a« d an s son cab i n et , at t en d an t , n on san s
u n e cer t ai n e an go i sse, l e m om en t où M i g u el ,“r ev e
n an t d u bal , l u i co n t er ai t co m m en t l es ch o ses
s’ét ai en t p assées.
Q u i d on c p o u v ai t se p r ésen t er à p ar ei l l e h eu r e?
L e val et d e ch am b r e, u n j eu n e G u i p u z co an ,
fi l s de l a go u v er n an t e, av ai t eu co n gé cc so i r ,
m ai s il en t r ai t n at u r el l em en t p ar l a p o r t e de ser
v i c e, et q u an t à M i gu el , il se ser v ai t au ssi de
sa cl ef .
Il
p r êt a
l 'o r ei l l e,
il
lui
sem b l a
en t en d r e
une
v o i x de f em m e p ar l em en t an t ay ee l a v i ei l l e B a s
q u ai se. C el l e- ci , u n e d e ces ser v an t es d ’au t r ef o i s,
t o u t e d évo u ée au x m aît r es, ap p ar u t , l e v i sag e st u
p éf ai t .
— M o n si eu r !... C ’est u n e j eu n e d am e!...
— H ei n ? fit l e co n sei l l er en se r ed r essan t . U n e...?
L a n i èce de M o n si eu r ... — L a fi d èle ser v an t e
aeh ev.i d ’u n t r ai t : — El l e di t q u ’ el l e est l a f e m m e
de M . M i gu el !
L e co n sei l l er n ’en éco u t a p as d av an t ag e et sc
p r éci p i t a d an s l 'an t i ch am b r e. En face* de l u i , A t r n ès,
�L ’I N FA N T
A
1, ’ K
SC A R B O U C L E
14 9
b l êm e d an s l e m an t eau d e v el o u r s b l an c j e t é en
h ât e su r sa r o b e d e f éer i e, n ’o sai t p r o n o n cer un
m ot ni f ai r e u n gest e.
•
•
**
— V o u s ! s éc r i a l ’o n cl e X a v i e r cr o y an t r êv er .
V o u s i ci ! — E t , se d éci d an t so u d ai n : — En t r ez .
I l se t o u r n a v er s l a g o u v er n an t e en aj o u t an t :
— V o u s p o u v ez v o u s r et i r er , C o n ch i t a, m ai s n e
v o u s co u ch ez p as en co r e, j ’au r ai p eu t - êt r e d es
o r d r es à v o u s d o n n er .
A v an t d e so r t i r , l a ser v an t e eu t l e t em p s d e v o i r
son m aît r e s’i n cl i n er d ev an t l ’ét r an gèr e et l u i en
t en d r e p r o n o n cer av ec u n e p o l i t esse i r o n i q u e :
— M a n i èce, v o u s i n c p ar d o n n er ez d e n e p as
v o u s a v o i r r em er ci ée p l u s l o t d e m e r en d r e v i si t e ;
j 'eu sse p r éf ér é l a r ec ev o i r en d 'au t r es m o m en t s,
m ai s...
I ,es y eu x do l a j eu n e f em m e sc l ev èr en t su r l u i
av ec u n e t el l e ex p r essi o n d e d ésesp o i r et d e f r ay eu r
q u 'i l ch an g ea d e t on .
— A g n ès, d i t sa v o i x sév èr e, q u ’êt es- v o u s ven u e
f a i r e i c i ? V o u s n 'av ez p as su ff i sam m en t t o u r m en t é
M i g u el , v o u s n e l 'av ez p o i n t assez f ai t so u f f r i r ,
n 'est - ce p as?
« Co m m en t o sez - v o u s, ap r ès l ’av o i r b r av é, v en i r
l e r et r o u v er d an s ce co st u m e q u 'i l v o u s av ai t d é
f en d u d e r ev êt i r ?.. P o u r qu el r ô l e êt es- v o u s d é
c i d ée? Est - c e cel u i d e l a f em m e d e m on n ev eu ,
so u m i se à son m ar i ? ou v o u l ez - v o u s co n t i n u er
cet t e i n v r ai sem b l ab l e ex i st en c e d e j eu n e fi l l e, à
l aq u el l e d es am i s b er n és p ar v o t r e ai san c e et v o s
m en so n ges f ac i l i t en t l es t êt e- à- t êt e av ec u n p r é
t en d an t ?
A g n ès ét ai t a r r i v ée l à san s p l u s r éf l éch i r , p r é
v o y an t u n e seu l e ch o se : el l e sc j e t t er a i t su r l a
p o i t r i n e de M i gu el , r eco n n aît r ai t sa f au t e. H u g u es
d e V al m o r d an c l e l u i av ai t d i t : il v au t m i eu x m ar
c h er su r son o r gu ei l qu e su r son cocur .
�x50
L 'I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L K
Seu l em en t , au l i eu d e l ’ép o u x i r r i t e, m ai s — el l e
l e cr o y ai t — f ac i l e à f l éch i r , el l e se t r o u v ai t en
f ac e d e Fo n d e.
— Je su i s v en u e, b al b u t i a- t - el l e, r ef o u l an t de son
m i eu x d es l ar m es p r êt es à j a i l l i r , p ar ce qu e j e l u i
ai f ai t t r o p d e p ei n e... j e... j e v o u l ai s l u i d em an d er
p ar d o n .
L e s d o i gt s j o i n t s, el l e i m p l o r a :
— 11 v o u d r a b i en o u b l i er , n 'est - cc p as? d i t es, il
l e f er a?... d i t es- l c- m o i , j e v o u s en su p p l i e!... J' a i
eu t o r t ... oh ! si so u v en t , et cet t e f o i s su r t o u t .
« Je n e co m p r o m i s p as co m m en t j ’ai pu êt r e
assez f o l l e et av eu g l e p o u r n e p as v o i r q u e i e x i
g eai s t r o p «le p at i en ce et co n t i n u er . Je v o u s en
p r i e, al l ez l e ch er ch er ... av er t i ssez - l e q u e j e su i s
i ci . I l m e d i r a t o u t ce q u ’ i l v o u d r a, j e l 'acc ep t er ai ...
j e su i s t r o p m al h eu r eu se!
So n m an t eau g l i ssa su r l e t ap i s; el l e san g l o t ai t ,
l a f i gu r e d an s ses m ai n s, t o u t e d r o i t e d an s l a r o b e
r o se, et c ’ét ai t u n sp ect acl e i n at t en d u , cel u i du cet t e
b el l e j eu n e f em m e, p ar ce p o u r u n e f êt e, af f o l ée d e
ch ag r i n d ev an t l e v i ei l h om m e d i sp o sé à l a r i g u eu r
et . m al gr é l u i , d éj à ém u p ar l a vu e d e ces l ar m es
si n cèr es.
« P a u v r e p e t it e ! s e d it- il. E lle v a p a y e r c h e r
s o n e n t ê t e m e n t à s a t is fa ir e s a v a n it é m o n d a in e . »
11
s’av an ç a, l u i p r i t l a m ai n . A g n ç s r el ev a la l êt e,
el l e l u t l a p i t i é d an s l e r eg ar d f i x '; su r el l e et se
cr am p o n n a au b r as d e l ’o n cl e, co m m e un n au f r ag é
;i l a b o u ée d e sau v et ag e.
1 i m i d em en t , t r ès b as, el l e d i t :
— Je v o u d r ai s v o i r m on m ari .M ai s, fit l e co n sei l l er , il n ’ est p as i«'i. Il est
au b al , où vo u s- m êm e ét i ez t ou t à l 'h eu r e.
U n e v ér i t ab l e d ét r esse
d ’ A gn ès. El l e b al b u t i a :
p assa
d an s
A l o r s... i l f au t q u e j e m 'en ai l l e?
l es
y eu x
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R H Q U C L E
15 1
E l l e ét ai t d ésem p ar ée, ab so l u m en t f ai b l e en f ac e
d e l u i . L e co n sei l l er sen t i t l e r est e d e sa co l èr e
p r êt à f o n d r e. I l ch ér i ssai t son n ev eu com m e u n
fi l s et l e ch agr i n d e M i gu el l e d éso l ai t ; m ai s v o i r
cet t e en f an t d on t t ou t l e v i sag e c r i ai t m i sér i co r d e
l u i f ai sai t p ei n e :
— P ar t i r , 111a p au v r e A g n ès? Ja m a i s! V o u s êt es
i ci à v o t r e v ér i t ab l e p l ace, ch ez m o i , au p r ès d e
v o t r e m ar i . V o u s av ez co m m i s t o u s l es d eu x u n e f o
l i e i n si gn e en essay an t de v o u s sép ar er . E n r ai so n
d e v o t r e i n sp i r at i o n gén ér eu se, j e n ’ai p as f ai t d e r e
p r o ch es. A p r ésen t j e n e p u i s en ém et t r e n on p l u s.
M i g u el est t r o p m eu r t r i . V o u s l ’ap er cev i ez d an s
l e m on d e, en p r ésen ce d e t ém o i n s, v o u s l e cr o y i ez
at t ei n t seu l em en t à l a su r f ac e, il m o n t r e t o u j o u r s
l ’ex t ér i eu r d ’au t r ef o i s. En v o y an t son v r ai v i sag e,
v o u s co m p r en d r ez ... F asse l e C i el q u ’ i l v o u s l ai sse
l e t em p s de l u i d em an d er p ar d o n !
A g n ès séch a sc s l ar m es; el l e p en sai t :
« I l su f f i r a d 'u n e seco n d e p o u r n o u er m es b r as
au t o u r de son co u . »
— A l o r s, d i U el l e, l ’accen t c r ai n t i f , j e r est e?
— C er t ai n em en t , r ép o n d i t l e co n sei l l er en s’ ef f o r
çan t d e g ar d er u n e ex p r essi o n f r o i d e. V eu i l l ez
m ’at t en d r e. Je v ai s d o n n er l es o r d r es n éc essai r es à
v o t r e i n st al l at i o n .
L a p en d u l e son n a o n ze h eu r es t r o i s q u ar t s, p u i s
m i n u i t . M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an c e ét ai t n er v eu x .
A g n ès essay a d e n ar r er ce qu i s'ét ai t p assé au b al
et com m en t , ay an t co n f i é sa d ét r esse au com t e d e
V al m o r d an e, cel u i - ci l u i a v ai t d o n n é l e co n sei l de
r eg ag n er au p l u s v i t e l e d o m i ci l e co n j u g al .
— V o i c i M i gu el !' d i t t ou t à co u p l ’o n cl e, en t en
d an t u n e d e f t o u r n er d an s l a ser r u r e. V o y o n s, du
c o u r ag e ! n e t r em b l ez p as ai n si !
— J ’ai t r o p p eu r ! m u r m u r a l a j eu n e fem m e.
�I 52
I/ IN F A N T
A T .’E S C A R B O I T C L E
M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an c e n ’ct ai t p as t r ès r a s
su r é n o n p l u s. L a p o si t i o n d ev en ai t h o r r i b l em en t
d i ff i ci l e.
M i gu el , al l an t se d éb ar r asser d e son v êt em en t d e
so r t i e, v i t av ec st u p eu r l a p o r t e d e l ’ an ci en ap p ar
t em en t de sa t an t e o u v er t e au l a r g e ; d an s
ch am b r e i n on d ée d e l u m i èr e, C o n ch i t a al l ai t
v en ai t , ap p l i q u ée à son t r a v a i l ; sa f i gu r e
ex p r i m ai t u n éb ah i ssem en t v ér i t ab l e.
la
et
r i d ée
L e j eu n e h om m e, m al g r é l es so u ci s p o i gn an t s
d on t i l ét ai t accab l é, n e p u t r et en i r u n gest e de
su r p r i se. A sa q u est i o n , l a B asq u ai se r ép o n d i t :
— Je p r ép ar e u n e ch am b r e p o u r l a n i èce de
M o n si eu r .
—
p as !
Sa n i èce? r ép ét a M i gu el . M ai s... i l n ’ en a
— Po u r t an t , r ép l i q u a C o n ch i t a, m o n si eu r M i gu el
est m ar i é. M o n si eu r l ’a d i t . M ad am e v i en t d 'a r r i
v er ... E l l e est b i en j o l i e... m ai s si d r ô l em en t h a
b i l l ée !...
P o u r n e p as c r i c r , Et c h eb ar r am se m o r d i t l es
l èv r es j u sq u 'au san g : A g n ès i c i ! A g n ès ch ez
l u i !...
Sc s t r ai t s d ev i n r en t d u r s co m m e d e l a p i er r e.
U n éc l ai r s’ al l u m a au fo n d d e ses p r u n el l es v e
l o u t ées.
F.l l c av ai t
d on c p r i s p eu r , cet t e f o i s, l 'i n d o m p
t ab l e cr éat u r e. E l l e v o y ai t
u n j o u et ...
en fi n q u ’ i l n 'ét ai t p as
C et i n ci d en t d o n n a au j eu n e h om m e l e t em p s d e
se m aît r i ser co m p l èt em en t . T r è s f r o i d , t r ès cal m e,
i l en t r a d an s l e cab i n et d e t r av ai l .
l i n l e v o y an t , l e co n sei l l er f u t su r l e ji o i i i t de
dire :
— A gn ès est af f o l ée... Je t ’en p r i e, ai e p i t i é d 'el l e.
B o n so i r ,m o n o n cl e ! ar t i c u l a M i gu el p osém en t .
■1 <1 Et ch eb ar r am - C o u z an ce, t r o u b l é, b af o u i l l a :
�L ’I N F A N T
A
1, ’F S C A R
BO U CLE
15 3
— P u i ... T a fem m e est ic i.
A g n ès, f r i sso n n an t e, sc r et i n t au d o ssi er d ’u n
f au t eu i l ; el l e cr o y ai t sen t i r l e p ar q u et o sc i l l er sou s
Ses p et i t s so u l i er s d ’ar gen t .
M i gu el r en v er sa l a t êt e p ar un gest e t r ès h au t ai n .
— T i e n s! d i t - i l , l ’accen t gl acé. V o u s av ez o u b l i é
V ot r e o i seau b l eu ?
I l l ’ex am i n a u n e seco n d e av ec u n e t r an q u i l l i t é
ef f r ay an t e :
— II est v r ai m en t b i en j o l i , v o t r e co st u m e.
San s 1111 m ot de p l u s, il co n t i n u a, se d ét o u r n an t :
— Je su i s af f r eu sem en t l a s! Je v a i s m e r ep o ser .
Bo n n e n u i t , m on o n cl e.
11 se p en ch a v er s l e v i ei l l ar d et l ’ em b r assa.
L e p au v r e co n sei l l er , si h eu r eu x à l ’o r d i n ai r e
de
r ecev o i r
d es
m ar q u es
de
t en d r esse
de
son
t i eveu , accep t a l e b ai ser com m e u n aco m p t e su r
i o n t em p s d e p u r gat o i r e, c ar il d ev i n ai t b i en l ’ i n
t en t i on secr èt e d e M i g u el ; et A ^ n es. l a sen t an t de
m êm e, cr u t q u 'o n l u i en f o n çai t u n e l am e d an s l a
p o i t r i n e t an t el l e eu t m al .
I Co m m e u n e p l ai n t e, el l e ex h al a ce seu l n om :
— M i gu el ...
L e j eu n e h om m e al l ai t
r et o u r n a à d em i :
— B o n so i r , A g n ès
f r an c h i r l e seu i l ; i l se
■ H t il so r t i t .
C es d er n i èr es h eu r es d e l a n u i t , A g n ès d ’ F.t ch eb ar r am l es p assa à p l eu r er d an s l ’an ci en n e ch am b r e
<le l a co n sei l l èr e, p u i s, c ar el l e ét ai t t r ès j eu n e, el l e
»’en d o r m i t , et l e m at i n f u t t o u t e su r p r i se d e v o i r
t o n c h i t a ap i>n rt cr l e d éj eu n er , o u v r i r l es r i d eau x ,
fn av er t i ssan t d ’u n accen t t r ès d i gn e :
l — O n v i en t d ’ap p o r t er l es b ag ag es d e M ad am e
N l a t an t e d e M a d a m e est au sal o n .
A g n ès n ’o sa ¡x i i n t d em an d er ap r ès c el a où ét ai t
*on m ar i .
�i 54
L ’I N F A N T
A
1, ’E S C A R B O
U CLE
A v an t d i x h eu r es d u m at i n , M " * F él i c i e d ’ E t n i
ch ât , co n v o y an t l es m al l es d e sa n i èce, ét ai t acco u
r u e ch ez M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an c e.
En r en t r an t d u b al , M '" ’ d e Go n scn t i ei n i , en co r e
éc r asée p ar l e r éci t d ’H u g u es et cet t e r év él at i o n
sen sat i o n n el l e, ét ai t r ev en u e ch ez el l e en f u r i e et ,
m o n t an t au seco n d , r év ei l l a F él i c i e av ec cet t e ap o s
t roph e :
— A h ! v o t r e n i èc e!... el l e en f ai t d e b el l es !...
Sav ez - v o u s où el l e est à p r ésen t ? ch ez son m ar i !
M Uo d ’Et r u c h at r ép l i q u a san s am b ages :
— E l l e y est v r ai m en t ? D i eu l ’y r et i en n e! J ’ ert
ai assez de cet t e éc er v el ée, el l e n ’a su m e cau ser
q u e d es t r acas.
Su r ces m ot s, so u r d e au x cl am eu r s et au x r e*
p r o ch es d e l a b ar o n n e, el l e s’ét ai t
r et o u r n ée <!c
l ’au t r e cô t é en d écl ar an t :
— P o u r l 'am o u r d u C i el ! l ai ssez - m o i d or m i r *
J ’ai so m m ei l .
L éo n i e, o u t r ée, sc p r éci p i t a au p r em i er , dan *
l 'esp o i r de cau ser u n e v i o l en t e seco u sse au m én age
Ro ch cb cl l e ; m ai s c eu x - c i n ’o u v r i r en t p oi n t l eu r s
p o r t es, l e b r u i t d u can o n n e l es au r ai t p as r évei l l ésI l f al l u t p at i en t er q u el q u es h eu r es av an t de j o u i f
d u p l ai si r de l es v o i r p ét r i f i és d e su r p r i se.
P a r b o n h eu r , Pau l i n ét ai t t o u j o u r s d eb ou t av«c
l e j o u r . M m" d e Go n sen h ei m h ap p a son f r èr e 1111
p assage, à 1 i n st an t où cel u i - ci r ev en ai t , l ’ai r ab sü '
l u m en t h ag ar d , d ’u n e p et i t e p r o m en ad e m at i n »1*
— L é o n i e! c r i a l ’o r g an e b r u y an t d e M . R o c h e b el l e, p r ép ar e- t o i à t ’asseo i r ! Je v i en s d ’ap p r en d rC
u n e n o u v el l e ! ! !
— Et
vo u s...
m oi , r ép l i q u a l a b ar o n n e, j 'en
ai
une
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A
L ’E S C A R B O U C L E
15 5
E n m êm e t em p s :
— F i g u r e- t o i : A g n ès d ’ Et r u c h at et M i gt i el d ’ Et ch eb ar r am ét ai en t m ar i é s!
— Q u i t e l 'a d û : fît M mc de Go n sen h ei m , ex t r ê
m em en t v ex ée, c ar , d an s sa f u r eu r , i l l u i r est ai t
u n e co n so l at i o n : êt r e l a seu l e r en sei gn ée.
— 1,0. p et i t d es F ar g es. Je l ’ai r en co n t r é en so r
t an t d e ch ez l e co i f f eu r . I l ét ai t d éco m p o sé, ce
gar ç o n - l à... I l v en ai t d e d em an d er l a m ai n d ’ A g n ès.
A l o r s t u j u g es !... I l m ’a r ép ét é au m o i n s d i x f o i s :
« Je n ’en r ev i en s p a s ! » M o i n on p l u s!
— I l l e sai t , d i t L éo n i e, p i n cée, p ar c e q u e son
co u si n l e l u i a r aco n t é, m ai s i l m ’av ai t t o u t ap p r i s
à m oi l a p r em i èr e.
— C ’est égal ! C ’est f o r t ! r ép l i q u a Pau l i n . P h i l i p p a v a f ai r e u n e d e ces h i st o i r es!
— M ai s p u i sq u ’ el l e ét ai t t r ès b i en d i sp o sée p o u r
M . d 'E t c h c b ar r am ? el l e v o u l ai t l e v o i r fi an cé.
— B i en sû r ! fit Pau l i n , t i r an t sa g r o sse m o u s
t ach e. Seu l em en t ... i l s m e p ar ai ssen t p l u t ô t en v o i e
d e sép ar at i o n , à cet t e h eu r e.
—
Il
f au d r ai t l es v o i r , d i t
l a b ar o n n e —
m o u r ai t d ’en v i e d e sav o i r co m m en t
accu ei l l i sa fem m e.
el l e
M i gu el av ai t
— A l l o n s l e d i r e à Ph i l i p p a, co n cl u t Pau l i n . E l l e
est d e bon co n sei l .
M " " Ro eh eb el l e ét ai t p eu t - êt r e av i sée co n sei l l èr e,
m ai s el l e j o u i ssai t d ’u n e h u m eu r d e d o gu e et d é
b u t a p ar j e t er l es h au t s cr i s, ac c ab l a L éo n i e d e
r ep r o ch es su r so n i n co n cev ab l e ét o u r d er i e, qui
l ’av ai t f ai t se l an cer !i l ’av eu gl et t e d an s cet t e av en
t u r e m at r i m o n i al e.
L éo n i e p r o k st a. B r ef , on ét ai t p r ès d ’ u n e q u e
r el l e, q u an d Pau l i n eu t l ’ i d ée su p ér i eu r e d e p r éci
p i t er t ou s l es t o r t s su r Fél i c i e.
!, — A g n ès est i n q u al i f i ab l e, d i t - i l , n i ai s t ou t ceci
n ’est - i l
poin t
la
f au t e
d e sa
t an t e?
Eél i c i e
l ’a
�i
56
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
él ev ée en d ép i t d u sen s com i n u n . A u cu n e d i r ect i o n ,
au cu n e i d ée sai n e : « V i v e l ’o r i g i n al i t é ! Po u sse
co m m e t u v o u d r as ! » V o i l à t o u t es scs t h éo r i es.
C ’est u n peu co u r t .
« Réf l éch i ssez : v o i c i d eu x g o sses — car F.t ch eb ar r am à v i n gt - ci n q an s ét ai t u n gam i n . — I l s
s'ad o r en t , 011 l es f i an ce, p u i s i l f au d r ai t at t en d r e
q u at r e an s? I l s n ’on t j am ai s p u accep t er cel a. M o n
£>ieu ! c ’ est n at u r el ! O n a t r o u v é cet t e co m b i n ai so n
m i r ac u l eu se, on a eu t o r t , m ai s E t c h eb ar r am n ’au
r ai t p as d û co n sen t i r ; i l d ev ai t b i en en co m p r en d r e,
l u i , l 'i m p o ssi b i l i t é. A g n ès, co m m e u n e en f an t ,
v o y ai t u n e seu l e ch o se : « C ’ét ai t si am u san t ! »
V o i l à son p r em i er m o t ... L e seco n d ser a m oi n s g ai ,
j ’en ai p eu r .
« 11 n ’ i m p o r t e, j e l a p l ai n s b eau co u p . E l l e a u n e
b o n n e n at u r e m al g r é scs i n n o m b r ab l es d éf au t s,
cel t e p et i t e!
— M o i , j e su i s d u cô t é d e M . d ’Ët c h eb ar r am , d i t
Ph i l i p p a du f o n d d e l a g o r g e.
I .éo n i c ex h i b a son m o u ch o i r , Pau l i n fut t r ès
ef f r ay é.
— Eco u t ez ..., d i t - i l , h ési t an t . Si n o u s al l i o n s ch ez
l e c o n sei l l er ? U n e bon n e p ar o l e d i t e à p r o p o s,
q u el q u ef o i s, ar r an g e b i en d es... m al en t en d u s.
— A l l o n s- y !
em p r essem en t .
s’éc r i èr en t
l es d eu x
d am es av ec
I l s ét ai en t t ou s v i o l em m en t ém u s à l ’i d ée de sc
t r o u v er f ace à f ac e av ec l ’ép o u x d 'A g n ès, m ai s l a
cu r i o si t é f u t l a p l u s f o r t e.
... M ' 1 d l v t r u ch at v en ai t d ’êt r e i n t r o d u i t e ch ez
l e co n sei l l er l o r sq u e M " ” ,| c Go n scn l i ci m et l es
Ro ch cb cl l e ar r i v èr en t .
D ep u i s l a v ei l l e, Co n ch i t a n e s’ét o n n ai t p l u s de
r i en . E l l e 11c fu t m êm e p as su r p r i se de v o i r t .i " 1
d e d am es ch ez son m aît r e.
F c l i c i e ét ai t seu l e d an s l e sal o n , c ar .M. d 'Et ch c*
�I/IN FAN T
A
L ’E S C A R B O l J C L E
157
f car r âm - C o u i an ce v en ai t de p asser ch ez A g n ès, l a
q u el l e r ef u sai t av ec l a d er n i èr e én er gi e d e r en
co n t r er sa t an t e.
Si
l a v i ei l l e fi l l e av ai t p u r essen t i r u n
t rouble
q u el co n q u e en ap p r en an t p ar u n e t i er ce p er so n n e
l a d éci si o n d e l a j eu n e f em m e, el l e ét ai t r em i se
d ep u i s l o n gt em p s.
L e s Ro ch eb el l e s’ av en t u r èr en t su r l e t ap i s en se
d em an d an t s’i l s 11c f er ai en t p as au ssi bi en d e t o u r
n er b r i d e et d e s’en f u i r .
l 'é l i c i c se l ev a et , d ’u n t on am èn e :
— B o n j o u r , Ph i l i p p a. V o u s ^ fai t es co m m e m oi :
v o u s ven ez au x n o u v el l es.
Su f f o q u és p ar t an t d ’ai san c e, Pau l i n et L éo n i e
d em eu r èr en t san s v o i x .
— N o u s som m es v en u s, m a ch èr e, p o u r t ém o i
gn er n o t r e sy m p at h i e à M . d ’ Et ch eb ar r am , r ép l i q u a
M .. Ro ch eb el l e sèch em en t .
Il a p er d u q u el q u ’u n ? s ’en q u i t M 1" d ’E t r u ch at av ec i n t ér êt .
— N o n ! il a r et r o u v é sa f em m e! — et t ou t d ’ un
co u p , écl at an t : — C ’est i n co n cev ab l e ! A n o u s, d es
am i s d e v i n g t an s, v o u s av ez cach é l e m ar i ag e de
v o t r e n i èc e! V o u s n o u s av ez r en d u s r i d i cu l es au x
y eu x de t om es n os r el at i o n s!
Q u el l e t êt e n o u s f er a M ... G o m b au l t - L ef r an e
en ap p r en an t l a v ér i t é? Q u el l e f i gu r e f er o n s- n o u s
à I î o u r g - St t i n t - A i l l e?1
— D e g r âc e, P h i l i p p a! n e so y ez p as f at i g an t e!
i l est i n u t i l e de cr i er ... Si l ’on v o u s i n t er r o ge, d i t es :
« Je l e sa v a i s.» Co m m e c’est si m p l e1
— C ’est v r ai , ç a ! fit Pau l i n .
— Si m p l e! g r i n c h a M m' Ro ch eb el l e. A u
n an t d e V al m o r d an e, q u i a t ou t ap p r i s p ar
et a r en sei gn é L éo n i e, j e p o u r r ai s d i r e :
ét i o n s l es p r em i er s av er t i s. * A h ! v o u s
v o u s u l o r i f i cr
d ’av o i r
b i en
r éu ssi
l i eu t e
h asar d
< N ous
pouvez,
l ’éd u cat i o n
de
�I 5S
I/IN FAN T
A
L ’E S C A R B O T T C L E
v o t r e n i èce ! Co m m e o r i g i n al e, en ef f et , el l e est
au - d essu s d e t ou t él o ge !
« M ai s si M . d ’ E t c h eb ar r am n ’ét ai t p as un g r an d
ch r ét i en , v o u s f ai si ez d ’A g n ès u n e d i v o r cée !... c ar
i l au r a de l a m an su ét u d e, v o t r e n eveu , s'i l l u i
p ar d o n n e !... L u i av o i r i m p ose scs v o l o n t és l es p l u s
b ar o q u es, m êm e cel l e d e l a l ai sser p ar t i r seu l e av ec
v o u s com m e u n e j eu n e fi l l e, au b ou t d ’u n m o i s!...
I l est h ér o ïq u e, j e l e r ép èt e, h ér o ïq u e! m ai s l e
co u r age et l a p at i en ce on t d es b o r n es.
— C ’est bi en cer t ai n , ap p u y a M " d e G o n scn h ei m ; j e n e...
Sa b el l e- sœu r l a r ef o u l a :
— A h ! si j ’av ai s eu d es f i l l es, j e l es au r ai s él ev ées
d an s l es b on s p r i n ci p es : o b éi ssan ce au m ar i , d ’ab o r d .
Co m m en t M . Ro ch cb cl l e, en t en d an t ce p r o p o s d e
l a b o u ch e d e M m* Ro ch cb cl l e, n ’eu t - i l p as l ’i d ée
d 'u t i l i ser ce m o m en t p o u r r écl am er l a el ef d u
c o f f r e?... En v ér i t é, i l n 'y so n gea p oi n t du t ou t .
— P a r b o n h eu r , d i t - i l cr û m en t , on p o u r r a se
ser v i r , p o u r ex p l i q u er cet t e si t u at i o n ... i n so l i t e,
de v o t r e o r i g i n al i t é, F c l i c i e. E n r ej et an t t o u s l es
t o r t s su r v o u s et v o t r e av er si o n p o u r l e sen s
com m u n , n o u s ar r an g er o n s cel a t r ès bi en .
M " * d 'E t r u c h at ét ai t d ’h u m eu r acco m m o d an t e,
m ai s ce m ot l a m i t en f u r eu r .
f i l l e se l ev a,
P au l i n :
f o u d r o y an t
du
r eg ar d
l e gén i al
— M o n o r i g i n al i t é, q u ’on n e m 'en p ar l e p l u s ! Je
v eu x b i en en f ai r e ét at cet t e f o i s en co r e p ou r e x
cu ser l a f o l i e d e m a n i èce, m ai s j 'en su i s co m p l è
t em en t d égo û t ée. En fi n , D i eu m er c i ! l a v o i l à ch ez
M i g u el , il f er a ce q u ’i l v o u d r a, j e n ’au r ai p l u s d e
t r acas. L e s p et i t es n e r i sq u en t p as d e m ’en d o n n er ,
so u s l e r ap p o r t t ic l ’ i m agi n at i o n ce son t de v r ai es
b û ch es. A p r ésen t j e v ai s êt r e t r an q u i l l e. C e n ’est
p as t r o p t ô t l
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
r-
E l l e se l ev ai t , so u s l es y eu x <le ses am i s i n t er l o
q u és, l o r sq u e M . d ’ Et c h eb ar r am - C o u z an c c et M i
g u el en t r èr en t .
L e p r em i er , t r ès t r o u b l é, o u b l i a d e sal u er l es
v i si t eu ses c l d i t , s’ ad r essan t à F él i c i e :
— M ad em o i sel l e, j e su i s co n t r ar i é. A g n ès n e
p eu t v o u s...
— E l l e n e veu t p as m 'en t en d r e d i r e : « T u as
eu t o r t » ? C el a m ’est t ou t à f ai t égal . Je n e m e
m êl e p l u s de r i en . M a n i èce a v o u l u r ej o i n d r e son
m ar i , d éso r m ai s t ou t r eg ar d e M i gu el ... q u ’ il agi sse
à sa gu i se. M o i , co m m e j e l e d i sai s à M " * Ro ch eb el l e, j e i n ’en v ai s. A l o r s b o n so i r !
E l l e f r an c h i t l a p o r t e. M . d ’Et c h eb ar r am - C o u z an ce se p r éci p i t a su r ses t al o n s.
M '" r de Go n sen h ci m et l es Ro ch cb cl l e, d em eu r és
seu l s en f ac e d u m ar i d ’A g n ès, cu r en t t o u s cet t e
p en sée :
« N o u s eu ssi o n s m i eu x f ai t d e r est er r u e A u g u st e- C o m t e. »
En m êm e t em p s i l s o u v r i r en t l a b o u ch e et si m u l
t an ém en t
la
r ef er m èr en t ,
ne
sach an t
s ’il
f al l ai t
o f f r i r à ce j eu n e h om m e d es co m p l i m en t s d e co n
d o l éan ces ou d es f él i ci t at i o n s. Ph i l i p p a f u t l a p l u s
r éso l u e; el l e fi n i t p ar ar t i c u l er :
— N o u s t en i o n s à v o u s d i r e, M o n si eu r , t o u t e
n o t r e sym p at h i e.
— T r è s, v i v e, ap p u y a l a b ar o n n e.
— O u i ! di t Pau l i n .
M i gu el r ép on d i t q u ’il l es r em er ci ai t b eau co u p ,
av ec u n e p o l i t esse à d o n n er l ’ en vi e de p asser so u s
l a t ab l e. A p r ès u n e seco n d e d e r éf l ex i o n , l es t r o i s
v i si t eu r s su i v i r en t l ’ ex em p l e d e M 11* d ’ Et r u ch at . I l s
se r et i r èr en t .
U n e f o i s d an s l a r u e, s’ét an t r eg ar d és, M "” de
Go n sen h ci m p r o n o n ça :
— Eh b i en ?
�i6o
L 'I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
— I l est t r ès f o r t , d i t M m* Ro ch eb el l e. C 'est ttn
c ar ac t èr e, cc j eu n e h om m e.
— C ’est f o r m i d ab l e! fit Pau l i n ... qu an d on y
r éf l éch i t ... c ’est f o r m i d ab l e !... V o u l ez - v o u s m on
a v i s? — I l fit u n e p o se. — Si j ’ét ai s à l a p l ace de
l ’o n cl e, j e ser ai s b i en en n u y é!
V III
M i g u el d ’Et c h c b ar r am ar p en t ai t l e sal o n , l es,
so u r ci l s f r o n cés, l a p h y si o n o m i e t en d u e, i m p l a
cab l e. L e co n sei l l er , en f ac e d e l u i , n e d i sai t m o t ;
il au r ai t p o u r t an t bi en v o u l u sav o i r à q u el l e r é
so l u t i o n s’ét ai t ar r êt é son n ev eu .
D an s cc m o u vem en t d e v a- et - v i en t m ach i n al ,
cel u i - ci t o u r n a u n i n st an t l e d o s à l a p o r t e. L ’o n cl c
X a v i e r ap er çu t t o u t à co u p l e v i sag e p âl e, u n peu
c r a i n t i f d 'A g n ès.
Sau s h ési t er , il s’écl i p sa.
— M i gu el ! ap p el a t i m i d em en t l a j eu n e fem m e.
I l fit u n e v o l t e co m p l èt e, m o n t r an t u n e f i gu r e
g l acée :
— A h ! p ar d o n ! j e n e v o u s av ai s p as en t en d u e
m ar ch er . V o u s ven ez r ej o i n d r e m on o n cl e?
L e s y eu x d 'A g n ès se r em p l i r en t d e l ar m es.
Q u o i ? c'ét ai en t l à t o u t es scs p ar o l es ? i l ne. v o u l ai t
r i en sav o i r d e p l u s; il n e d ev i n ai t p as co m b i en cl i c
se r ep en t ai t d 'av o i r aj^ i en en f an t Rat ée, au x f an
t ai si es de l aq u el l e t ou t l e m on d e, j u sq u ’ al o r s, av ai t
ap p l au d i ?
— O h ! gém i t - el l e, v o u s êt es m éch an t !
M i gu el l ai ssa t o m b er d u bou t d es l èv r es :
— Je v o u s ser ai s r eco n n ai ssan t de n e p as p l eu
r er , m a ch èr c. C el a m ’en n u i e.
�I . ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
i6r
A g n ès, r assem b l an t t o u t son co u r ag e, s’ap p r o ch a.
Ii
cu l
un m o u vem en t d e r ecu l i m m éd i at .
— M i gu el ... v o u s n e v o y e^ d o n c p as à q u el p o i n t
j e su i s m al h eu r eu se! H i er ., o h ! co m m e v o u s av ez
ét é d u r !... j e v en ai s à v o u s, p r êt e à t ou t accep t er ,
v o s r ep r o ch es, v o t r e co l èr e, et v o u s n ’ av ez p as eu
u n m ot de p i t i é... V o u s n e m ’ av ez m êm e p as p ef m i s d e v o u s d em an d er p ar d o n d e v o u s av o i r f ai t
t an t d e p ei n e.
T o u j o u r s m aît r e d e l u i — m ai s au p r i x de qu el
ef f o r t ! — il r ép l i q u a :
— Je t r o u v er ai s f o r t d ésag r éab l e d ’ en t en d r e u n e
f em m e, m êm e l a m i en n e, m e f ai r e d es ex c u ses.
V o u s êt es v r ai m en t b i en ch an gean t e. A u t r ef o i s
v o u s d ési r i ez v o i r en m oi urt bon cam ar ad e, sel o n
l a n o u v el l e f o r m u l e c o n j u g a l e; act u el l em en t vo u s
so u h ai t ez m e v i ei l l i r d e p l u si eu r s si ècl es, m e r am e
n er au t em p s d es m ar i s m aît r es ab so l u s — il so u r i t ,
A g n ès en eu t f r o i d à l ’âm e. — A h ! c'est v r ai :
j ’o u b l i ai s l 'i n f an t à l ’escar b o u cl c, v o t r e an ci en n e
i d o l e!... Je l u i r essem b l e d on c t o u j o u r s?
Ce
t on
d e p er si f l ag e, si p eu
h ab i t u el ,
ach ev a
d ’ac c ab l er l a j eu n e f em m e. E l l e l e r e g a r d a ; scs
y eu x eu ssen t d ésar m é u n t i gr e.
D ’u n gr an d san g - f r o i d , M i gu el p r i t u n e c i g ar et t e
d an s son ét u i , l 'al l u m a en d i san t :
— V o u s p er m et t ez ?
L es d o i gt s f r ém i ssai en t u n p eu en ap p r o ch an t l a
fl am m e. A g n ès n e s’en ap er çu t p oi n t ; el l e sc r ép é
t ai t san s t r êv e :
—
11 n e m ’ai m e p l u s. M on D i e u ! q u e v a i s- j e
d ev en i r ?
D an s u n gest e d 'en f an t af f o l ée, el l e l u i sai si t l e
b r as :
— M i g u el I...
Il
se d ég ag ea san s b r u sq u er i e, m ai s l a je u n e
336-VI
�I , ’I N F A N T
A
1, ’ K
SC A R B O U C L E
f em m e sen t i t l es n i ai n s, au t r ef o i s si d o u ces, d e
v en i r d u r es p o u r éc ar t er ses d o i gt s.
— N e j o u ez p as ce j e u - l à av ec m o i . A gn ès, d i t i l , i m p ér i eu x . C el a m e r ap p el l e un so u v en i r ... c|iie
j e t i en s à él o i g n er d e m a m ém o i r e. C el u i d u t em p s
o ù j e m e f i gu r ai s p asser av an t t ou t d an s v o t r e cœu r .
«
V ous
av ez
p r éf ér é
de
v ai n c s
d ’am o u r - p r o p r e à l 'am o u r s a ns
m i èr e f o i s v o u s m ’ av ez d e m a n d é
sép ar at i o n t em p o r ai r e, et D i eu
v o u s c h ér i r p o u r co n sen t i r à
c'c st m a f an t ai si e à m o i , il fa ut
Q u e v o u l ez - v o u s? l’e x e m ple est
sat i sf ac t i o n s
ep i t h et e. U n e p r e
de co n sen t i r à u n e
sai t s'i l m ’a f al l u
c e l a ! M ai n t en an t ,
v o u s y so u m et t r e...
c o n t a g ie u x . E n v i
a up r è s d ’ê tr e s c a p r ic ie u x , pr é o c c up é s av an t
t ou t de le u r p la is ir , on d ev i en t sem b l ab l e à eu x .
v an t
— V o u s al l ez p a r t i r ? s’éc r i a A g n ès, b l êm e
( l 'ép o u van t e. M ai s p o u r q u o i ?
I l so u r i t en co r e :
— P ar c e q u e cel a i n c p l aît , m a ch èr e. Je n ’ai p as
d e r ai so n
à v o u s d o n n er . V o u s- m êm e n ’ en av ez
p oi n t ch er ch é d ’au t r e p o u r v o u s p r o m en er , u n o i
seau b l eu su r l e p o i n g, p ar m i l es i n v i t és de
M " " G o m b au l t - L ef r an c , en v o u s f ai san t p asser
p o u r u n e j eu n e f i l l e. C ’ ét ai t t ou t d e m êm e u n peu
p én i b l e p o u r m o i , av o u ez - l e, d e v o u s v o i r assi égée
d e so u p i r an t s.
— M ai s,
j am ai s...
s’ éc r i a
A g n ès,
t r ès
r o u ge,
je
n ’ai
— O ser ez - v o u s m e so u t en i r q u e B e r n a r d d es
F a r g e s n e v o u s a p as d em an d é v o t r e m ai n ?... I l m e
l ’a d i t l u i - t n em c, d i x m i n u t es ap r ès v o t r e r et r ai t e
p r éci p i t ée.
« V o u s d ép ei n d r e m es sen t i m en t s en r ecev an t
cet t e co n f i d en ce est i n u t i l e, n ’est - cc p as?... O h I j e
v o u s en p r i e, cessez d e p l eu r er . C el a n e m o d i f i er a
en r i en m a r éso l u t i o n
C ’est d o m m age.
et
v o u s ab îm e*
vos y eu x .
�T.’T XF A XT
A
L ’E S C A R B O U C L E
163
î l je t a s a c ig a r e t t e d a ns le fe u :
— Vo ule z- vo us v e n ir d é je u n e r , A g n è s ?
— J e ne p e u x pa s , b a lb u t ia la je u n e fe m m e ,
a n n ih ilé e p a r ce t o n et ce s m a n iè r e s t oute s n o u
ve lle s .
Im p it o y a b le , il o r d o n n a :
— .Si, j e l e v eu x . I l est i n u t i l e d e m et t r e l es d o
m est i q u es, si f i d èl es so i en t - i l s, au co u r an t d e n o s...
d i scu ssi o n ? p r i v ées. Je v ai s f ai r e u n e ab sen ce i n d i s
p en sab l e. V o u s r est ez i ci p o u r t en i r co m p agn i e à
m on o n cl e. V o i l à I
C 'ét ai t n et . A g n ès d ’ Et r u c h at , qu i n e v o u l ai t
p o i n t d e m aît r e et l e d i sai t , s’en ét ai t d o n n é u n
d e t ou t p r em i er o r d r e; m ai s, ch o se ex t r ao r d i n ai r e,
au m om en t où M i gu el se m o n t r ai t au ssi f r o i d em en t
au ssi cr u el l em en t i n f l ex i b l e, el l e, l ’i n d ép en d an t e, se'
sen t ai t d o m p t ée, t r o p h eu r eu se en co r e d ’en p asser
p ar où i l v o u d r ai t . E t p u i s, t o u t au f o n d , el l e n e
p o u v ai t cr o i r e q u ’ il m et t r ai t à ex écu t i o n cc p r o j et
d e v o y ag e, se sen t an t cer t ai n e d e v ai n c r e
f o r ce
d e so u m i ssi o n et d e t en d r esse.
... L e co n sei l l er , q u i p o u r un em p i r e n e se f û t
av en t u r é d an s l e sal o n , p én ét r a d an s l a sal l e A
m an g er p ar u n e p o r t e, à l a m i n u t e où A g n ès, su i v i e
d e son m ar i , en t r ai t p ar l ’au t r e.
E l l e av ai t
i m p assi b l e.
l es
p au p i èr es
r o u ges,
M i g u el
ét ai t
Il éc ar t a l a ch ai se d e sa f em m e co u r t o i sem en t . '
d ’Et ch cb ar r am - C o u z an c e, p o u r t an t h ab i t u é à
v o i r bi en d es ch o ses et
t i r er d es d éd u ct i o n s, n e
p u t r i en d ev i n er .
M.
T o u t d ’a b o r d il y e ut u n in s t a n t de silence pé
n ib le ; e ns uite , a ve c u n e a is a n c e p a r fa it e , M ig u e l
se m it à p a r le r d u b a l. Il v a n t a la g r âc e et le
c h a r m e de M " * d u C h a n d o l, la plus e x quis e Be lle
a u Bo is d o r m a n t q u 'il fû t po s s ib le d ’im a g in e r . Il
d is c o u r u t a in s i d e v a n t s on on c le a u s u p p lic e et s a
�i6.)
L ’IN F A N T
A
L ’E S C A R H O lJ C L E
f cn n t i c p r êt e à f o n d r e en l ar m es et , p assan t au x
t o i l et t es d es i n v i t ées, co n cl u t :
— E n so m m e, u n e j o l i e r éu n i o n , t r ès él égan t e.
L a r o b e d e l a p et i t e M ... G o m b au l t - L ef r an c ét ai t
d él i ci eu se. B o b s’est o f f er t l à u n e co m p agn e q u i
l ’ en o r g u ei l l i t san s d o u t e, m ai s d o i t l u i co û t er ch er ...
q u el l es p er l es! El l e l es a ex i g ées, p ar aît - i l , com m e
co n d i t i o n si n e q u a n o n à so n m ar i age.
— M œ u r s m o d er n es ! d i t l e co n sei l l er à t ou t
h asar d .
— O u i . C el a n ’a su r p r i s p er so n n e. L es j eu n es
fi l l es, à l ’h eu r e act u el l e, accep t en t seu l em en t l e bon
co m p agn o n , g én ér eu x et d o ci l e. E l l e s ai m en t l eu r
m ar i
su i v an t
l a l i b er t é q u ’ il
l ai sse et l e p r i x du
co l l i er o f f er t .
I l ar t i cu l a ceci d u r em en t . A g n ès f ai l l i t q u i t t er l a
t ab l e.
»
— A ce p r o p o s, m on o n cl e, j e v ai s v o u s r em et t r e
l es b i j o u x d ’A g n ès. E l l e n e p o u r r ai t l es g ar d er d an s
sa ch am b r e, ce n e ser ai t p as p r u d en t ... O h ! C o n
ch i t a
et
L u i s so n t
t r ès sû r s!...
m ai s il
y
a l es
r i sq u es d ’i n cen d i e.
I l ex p l i q u ai t t ou t ceci d ’ un t on n o n ch al an t et
s’ i n t er r o m p i t , c ar l e v al et d e ch am b r e ap p o r t ai t
l ’en t r em et s. D ’u n m êm e gest e, A g n ès et l e co n sei l
l er r ef u sèr en t l a cr èm e.
I l f al l u t en co r e d i x m i n u t es i n t er m i n ab l es p o u r
•o r et r o u v er san s t ém o i n s au sal o n . A l o r s, l ’on cl e
X a v i e r d em an d a :
Po u r q u o i v eu x - t u m e co n f i er l es p i er r er i es d e
N* f em m e? N e p eu x - t u en av o i r so i n ?
*— S i j ’é ta is ic i, o u i, d it M ig u e l d u m ê m e a c c e nt.
— Ag n è s , s e r e z- vous as s e z a im a b le pour ve r s e r l e
c a fé ? — M a is c o m m e je v a is p a r t ir ...
M. d ’ El c h eb ar r am - C o u z ai i ee s ’a s s it ne t , le s
j am b es cassées :
» - A h ! ... ah I... t u v as... v o u s al l ez...*
�L ' IN F A N T
A
L'E S C ARB OU C LE
165
N o n , p as n o u s, r ect i f i a l e j eu n e h om m e. M o i
seu l m ’en v ai s.
__M ai s... p o u r l o n gt em p s?
__ Je 11c sai s p as. Je r et o u r n e à Sai n t - Jc an - d eL u z ; j e v o u s l ai sse v o t r e n i èce, n at u r el l em en t . E l l e
n e p eu t co n t i n u er à v i v r e av ec M 11* d ’ Et r u c h at ,
c’ est i m p o ssi b l e. Co m m e u n e t en d an ce p ar t i cu l i èr e
m e p o r t e à u ser et ab u ser d e vo u s, j e v o u s l a co n f i e.
L ’o n cl e, ab aso u r d i , b al b u t i a :
__j e su i s ch ar m é... t r ès h eu r eu x ... M ai s, A g n ès,
ce p r o j et v o u s c o n v i en t - i l ?
A l l i é s au r ai t d o n n é t o u t au m on d e p o u r êt r e
seu l e av ec so n m ar i et , m et t an t son o r g u e il so u s
l es p i ed s, v ai n c r e son r essen t i m en t p ar ses p r i èr es.
M ai s c ’ ct ai t l à u n e i l l u si o n ; r i en , à p r ésen t , n e f e
r ai t f l éch i r cct t c v o l o n t é f r o i d e.
E l l e r ép o n d i t en t âch an t d 'af f er m i r sa v o i x :
__ J ’ai p r o m i s à M i gu el d e l u i o b éi r en t o u t . I l
d éci d er a t o u j o u r s. C ’ est à l u i à l e f ai r e.
Le c o n s e ille r , h o m m e in t e llig e n t , lo r g n a la por te .
11 au r ai t p ay é c h er p o u r êt r e d e l ’au t r e côt é.
M i g u el p o u r su i v i t , san s r el ev er l es p ar o l es
d ’Ag n è s :
.
.
— Je t i en s à p r en d r e l e r ap i d e ce so i r , j ai d o n c
t r ès p eu d e t em p s d ev an t m o i ; i l m e ser ai t i m p o s
si b l e d e p r en d r e co n g é d ’au cu n e d es fem m es d e
n o s r el at i o n s. A g n ès v o u d r a bi en m ’ex c u ser au p r ès
«le ces d am es et d e sa t an t e... d ’ai l l eu r s cel l e- ci m ’a
t o u j o u r s ab h o r r é et 11e r eg r et t er a p o i n t d e n e p as
r ec ev o i r m es h o m m ages. E l l e d o i t ép r o u v er u n e
v i o l en t e en v i e d e m e g r i f f e r et , p o u r m a p ar t , j ’ai
u sé en q u el q u es m o i s t o u t e m a r éser v e d e p at i en ce.
I l n e m ’en r est e p l u s d u t o u t !
__ Réel l em en t , t u p ar s au j o u r d ’h u i ? i n si st a
M . d ’E t c h e b a r r a m - Co u za n c c , c ons t e r né .
—
O u i,
par
le
Ge nè ve - Bo r d e a ux ... A
l ’h eu r e. Je v ai s p r ép ar er m es b agages.
t o u t
à
�i66
I .’I N F A N T
A
I / E SC A R R O U C I .E
I l q u i t t a l e sal o n san s t o u r n er l a t êt e.
A g n ès éc l at a en san gl o t s. A h ! si el l e av ai t f ai t
so u f f r i r M i g u el , il p r en ai t u n e t er r i b l e r ev an ch e. I l
av ai t ét é t r o p p r o f o n d ém en t at t ei n t p o u r o u b l i er
j am ai s.
L a j eu n e fem m e, sû r e d e son p o u v o i r , av ai t cr u
q u ’i l su f f i r ai t d ’u n e p r i èr e, d ’u n e at t i t u d e am o u r eu se
p o u r l e r eco n q u ér i r . Co m m e on r om p t u n e co r d e en
t i r an t à l ’ex c ès, el l e av ai t b r i sé l e l i en t én u com m e
un ch ev eu et p u i ssan t en t r e t o u s q u i en ch aîn ai t M i
gu el , cer t ai n e d e t i sser q u an d el l e l e v o u d r ai t u n
n o u v eau r u b an p o u r l e g ar d er en co r e.
E n v ér i t ab l e en f an t , m al d i r i gée, p o i n t co n sei l l ée,
el l e av ai t su i v i sa f an t ai si e av ec son m ar i ai n si
q u 'el l e l e f ai sai t d i x at i s p l u s t ôt av ec scs j o u et s.
C ’ét ai t l à t ou t A g n ès : cap ab l e d e d évo u em en t ,
el l e n ’h ési t ai t p oi n t à so n g er à ses so eu r s'au m o
m en t où i l au r ai t f al l u p en ser à el l e; m ai s, av ec l a
m êm e sp o n t an éi t é i r r éf l éch i e, f ai sai t p asser u n e
m i n u t e d ’en i v r an t t r i o m p h e av an t l a p ai x d e sa v i e.
Peu d e jo u r s a u p a r a v a n t , el l e p r o cl am ai t s a v o
l o n t é d ’ i n d ép en d an ce; à cet t e m i n u t e, en se r ap
p el an t l es p ar o l es de M i g u el : « S a n s l ’ap p u i d e
l ’h om m e, l a f em m e d ev i en t f at al em en t u n e d é
sax ée », el l e so n geai t , t er r i f i ée d ev an t l a v i si o n de
l ’av en i r :
—
S ’ il s’ en v a , q u e d ev i en d r ai - j e?
D ’ i n st i n ct , ch er ch an t l e p r o t e c t e u r , e lle se je t a
d an s l es b r as d e l ’o n cl e X a v i e r .
— M a p au v r e A g n ès, m u r m u r a M . d ’ F.t ch eb ar r am C o u z an cc t ou t ém u , m on en f an t !... t ou t n ’est
pa s p er d u ... il r ev i en d r a. V o u s êt es j eu n e, l u i
au ssi ... t ou t s’ap ai se.
— O h ! h al et a l a j eu n e f em m e. I l a ét é si d u r !...
v o u s n e p o u vez p as s a vo ir ... ja m a is j e n e l ’av ai s
v u ai n si . Q u an d j e p en se à au t r ef o i s... à m on
f i an cé, à m o n m a r i, là- ba s , en Es p a g ne ... et m êm e
�L ’IN F A N T
A
L ’E S C A R B O Ü C I.E
167
à l u i av an t cet t e m au d i t e f ét e !... N o u s ét i o n s si
h eu r eu x .
— V o u s ét i ez t r ès h eu r eu se p ar ce qu e M i gu el
accéd ai t à t o u s v o s cap r i c es, m et t ai t so n b o n h eu r à
v o u s sat i sf ai r e, en f ai san t ab st r act i o n d e ses p r o p r es
go û t s. A v i ez - v o u s l ’i d ée q u e cet ét at d e ch o ses
p o u v ai t d u r er ? L e c r o y i ez - v o u s 1111 n om m e, o u un
êt r e ex cep t i o n n el , p ét r i d ’ u n e ar g i l e d i f f ér en t e d u
r est e d e l ’h u m an i t é?
— Je 11c sai s p as... j e n 'y a v ai s j am ai s so n gé. C e
n ’ est p as t ou t à f ai t m a f au t e; p er so n n e 11e m ’a
en sei gn é à r éf l éch i r . Je n ’av ai s p as d e f r èr e aîn é,
m es d an seu r s, au b al , n e n ie t en ai en t p as d e g r an d s
d i sco u r s, et j e m e f i g u r ai s t o u s l es j eu n es gen s p a
r ei l s à eu x , d i san t co m m e B er n ar d d es F a r g e s ;
« Je m et t r ai s m a j o i e à v o i r n i a f em m e s'am u ser
f o l l em en t ; j e ser ai s à ses p i ed s ! »
L e co n sei l l er n e p u t s’em p êch er d e so u r i r e :
— M a p au v r e p et i t e, ét i ez - v o u s n aïv e à ce
p o i n t !... I l y a d e b on s m én ages A t o u t es l es
ép oq u es, san s ex c ep t er l a n ô t r e, q u o i q u ’en p r é
t en d en t l es esp r i t s m al v ei l l an t s; m ai s acco r d ez - m o i
l e p r i v i l èg e d e l ’ex p ér i en c e, p u i sq u e c’est l e seu l qu i
n i e r est e : C es f o y er s f o n d és su r l a r èg l e d u bon
p l ai si r n e p eu v en t êt r e st ab l es. D e d eu x ch o ses
l ’ u n e : o u c ’est l a sép ar at i o n à b r ef d él ai , car M o n
si eu r et M ad am e 11e t ar d en t p as à d écl ar er ex c es
si v es l eu r s d ép en ses m u t u el l es, et l es d i st r act i o n s
en v o gu e co û t en t f o r t c h er ; ou l e m ar i n e b al an ce
pa s d a v a n t a g e à fa ir e s o n n e r s on a u t o r it é , t o u t a us s i
h a u t q u ’u n é p o u x d 'il y a d e ux o u t r o is c e nts a ns .
« Le s h o m m e s s e r o n t t o u jo u r s de s h om m e s . A u x
fe m m e s d ’ê tr e as s e z in t e llig e n t e s p o u r s a v o ir e n
t ir e r p a r t i !... Je n e d e v r a is pa s v o us p a r le r de la
s o r te à pr é s e nt, vo us n ’ê te s pa s e n é t a t de inc c o m
p r e n d r e . Ne p le ur e z plus . Ay e z c o nfia nc e e n un
v ie il o n d e, t ou t dis pos é à t en i r au p r ès d e v o u s l a
�p l ace d e p èr e. J ’av ai s t o u j o u r s r eg r et t é d e n 'av o i r
p as d e f i l l e; l es g ar ç o n s on t au ssi l eu r s q u al i t és,
m ai s i l s n e sav en t q u ’ i m ag i n er p o u r v o u s cau ser
d es t o u r m en t s.
— A h ! et m o i , al o r s ! s’éc r i a A g n ès av ec un r e
t o u r d e ses m an i èr es d e j ad i s.
L e co n sei l l er so u r i t :
— V o u s? ch b i en , p o u r êt r e l o gi q u e av ec m o i m êm e, j e d i r ai : « l e s f em m es so n t d es f em m es! »
et j e f er ai l e p o ssi b l e p o u r t i r er l e m ei l l eu r p ar t i
d e cet t e n i èce q u e l e C i el m ’en v o y a un so i r , t o u t e
t r em b l an t e d an s sa r o b e r o se.
« A ce m o m en t - l à j e v o u s en v o u l ai s, A g n ès,
d ’av o i r t an t f ai t so u f f r i r M i gu el . M ai s en vo u s
v o y an t si r éso l u m en t f o u l er a u x p i ed s v o t r e o r
gu ei l et r eco n n aît r e v o s t o r t s, m on r essen t i m en t
est t om b é. A u j o u r d 'h u i — l es p èr es on t t o u j o u r s,
d i t - o n , un f ai b l e p o u r l eu r s f i l l es — j e n e sn i s l e
qu el j e p l ai n s d av an t age, d e v o u s ou d e m on n eveu .
— O n cl c X av i e r , d i t A g n ès, t ou t b as, l ev an t su r
l u i scs p r u n el l es h u m i d es, s'i l v o u s p l aît , em b r assez m oi .
... M ai n t en an t , c ’ét ai t f ai t . M i gu el al l ai t p ar t i r .
A g n ès cr o y ai t n ’êt r e p l u s t o u t à f ai t el l e- m êm e,
m ai s u n e au t r e. R éf u g i ée d an s l ’ap p ar t em en t où
M ”*
d ’ K t ch eb ar r am - C o u z an cc
av ai t
u sé
t an t
d 'h eu r es p ai si b l es à f ai r e d e l a t ap i sser i e, el l e éco u
t ai t l e p as v i f d e son m ar i d e l ’au t r e cô t é <Ju
co r r i d o r .
L a p o r t e ét ai t r est ée o u v er t e. L u i s al l ai t et v e
n a it ; il so r t i t u n e m al l e, p u i s l es n écessai r es. E n
co r e un pe u de te mps et t ou t r et o m b er ai t d an s le
s ile nc e . Ce s e r a ie nt les" s oir é e s t r o p cal m es, les
h eu r es v i d es où l’o n n 'a t t e n d pe rs onne .
O h I c e la I... n ’a tt e n d r e pe r s o nne ... ne pa s tr e s
s a illir e n e n t e n d a n t m a r c h e r , ne pa s p r ê te r l’o r e ille
p o u r r e c o n n a ît r e la v o ix im pé r ie us e e t do uc e de
�L ’IN F A N T
A L ’E S C A R B O U C L E
169
l ’êt r e ai m é... N e p as m êm e sav o i r s’i l r ev i en d r ai t
E t p u i s, au t r e ch o se en co r e ( A g n ès r eg ar d a ses
m ai n s san s b agu e d ésesp ér ém en t ) , son al l i an c e?
com m en t l a r ed em an d er à son m ar i ?
L e so u v en i r l u i r ev en ai t , p o i gn an t , d u j o u r où
el l e av ai t dû , p o u r l ’av en i r d e scs soeu r s, r en t r er
en F r an c e com m e M " * d ’Et r u c h at .
L e j o u r où , d o u cem en t , M i gu el l u i av ai t en l ev é
l ’an n eau d ’o r t ou t u n i , sy m b o l e d e l ’ u n i o n i n d i s
so l u b l e à d aq u el l e, seu l e, l a m o r t p eut m et t r e fin.
E l l e l u i av ai t r em i s ce b i j o u d on t t o u t es l es
f em m es so n t si f i èr es en d i san t :
r en d r ez b i en t ô t ! »
« V o u s n i e le
M i g u el av ai t m an i f est é l ’i n t en t i o n d e co n f i er à
son o n cl e l es j o y a u x o f f er t s j a d i s à sa f i an cée, m ai s
d e c eu x - c i A g n ès n e se so u ci ai t p as. O u i , m êm e
l a b agu e d e f i an çai l l es, l a sp l en d i d e ém er au d e d on t
el l e ét ai t si v ai n e, n 'ét ai t r i en au p r ès d e ce j o n c
d ’o r san s v al eu r .
Réso l u m en t , A g n ès se d i r i g ea v er s l a ch am b r e
d e son m ar i .
M i gu el , d eb ou t , f o u i l l ai t d an s son sec r ét ai r e; il
r assem b l a q u el q u es p ap i er s, l es en f er m a d an s son
p o r t ef eu i l l e, p u i s r ev i n t au m i l i eu d e l a p i èce, r e
m u a d i v er s o b j et s de t o i l et t e d an s son n écessai r e.
E n v o y an t so u d ai n sa f em m e au p r ès d e l u i , il se
r ed r essa, ses y eu x eu r en t u n e ex p r essi o n si m e
n açan t !' qu ’ A g n ès r ecu l a, en su p p l i an t :
— M i g u el , n e so yez p as f âch é. V o u s av ez d éci d é,
j e n e <l irai p l u s r i en . Seu l em en t , j e t en ai s à v o u s
d em an d er u n e ch o se. O h ! j e v o u s en p r i e, éco u t ezm o i !... Je v o u l ai s — el l e b al b u t i ai t , ép er d u e, n e
t r o u v an t p l u s l es m o t s. — Ren d ez- m o i m on al l i an ce.
Il r o u g it , p uis d e v in t p âle . L ’e s pac e d ’u n e se
c o nd e u n e s p oir de p a r d o n e m p lit l’â m e d ’Ag n è s .
11 se d é t o u r n a et r é p o n d it fr o id e m e n t :
— N on I
�170
L ’IN F A N T
A
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W
C e f u t u n e st u p eu r d an s l e cer cl e de M ™ d e Go n sen h ei m q u an d on ap p r i t cet t e i n c r o y ab l e n o u v el l e :
l a j o l i e M " ” d ’ F-t r u ch at s’ap p el ai t en r éal i t é
M ~ d ’ Et ch eb ar r am .
L e sal o n d e l a b ar o n n e n e d ésem p l i ssai t p as;
ch acu n e d e ses am i es v o u l ai t c tr e l a p r em i èr e i n
f o r m ée. C ’ét ai t du m o i n s u n e so r t e d e co n so l at i o n
p o u r l 'i n f o r t u n ée L éo n i c, si p en au d e d ’av o i r ét é
a v eu g l e au p o i n t d e n e r i en d ev i n er et su r t o u t —
l ’o b l i gean t e Ph i l i p p a l e l u i r ép ét ai t a ssez ! — d 'av o i r
p er m i s à M . d ’ Et ch eb ar r am d ’ap p el er p ar son p r é
no m s a p r o p r e f em m e.
M'"" de
Go n s c n h c iin
s 'e x t é n u a it
à
r é p é te r
la
m êm e ex p l i c at i o n , aj o u t an t , su r l e co n sei l de P au
l i n , q u ’ i l s ét ai en t au co u r an t de t ou t , m ai s av ai en t
p r o m i s l e si l en ce... En su i t e el l e r év él ai t l a si m p l e
v ér i t é, c ar c ’est t o u j o u r s l e m ei l l eu r à d i r e :
« C e n ’ét ai t p oi n t u n m ar i ag e secr et : en E s
p agn e, n o m b r e d e p er so n n es l e co n n ai ssai en t , m ai s,
à l a su i t e d ’ar r an g em en t s d e f am i l l e, p o u r u n e q u es
t i on d ’h ér i t ag e t r ès i m p o r t an t e et p ar u n e f an t ai si e
d ’A g n ès, o n n 'av ai t av er t i n i p ar en t s ni am i s de
l a f i an cée.
« M ' 1* F é lic ie a v a it p r is s on ne v e u e n g r ip p e
p o u r d e u x r a is o ns : Ce lui- c i n ’a d m ir a it p o in t as s e z
s on g o ût ] K)ur le b a r o q u e et l’im p r é v u ; e ns uit e et
par - de s s us t o u t , fo r t pe u dé s ir e us e de pe r d r e , e n
la m a r ia n t , la s oc ié t é de sa fille ule q u ’c llc a im a it
b e a u c o up , M 11’ d ’E t r u c h a t t é m o ig n a it u n e h o s t ilit é
m a n ife s t e à M . d ’E t c h e b a r r a m e t r e fu s a it de le
r e c e voir , a p r è s s ’ê tr e o b s tin é e à ne p o in t p a r le r
de s fia n ç a ille s de s a niè c e . »
�T.’IN F A N T
A
I . ’E S C A R B O U C L E
i- i
M ,n* D u p o n t d e Go n scn h ci m co n cl u ai t i n v ar i a
b l em en t :
— F él i c i c d ’ Et r u c h at est t el l em en t o r i g i n al e !
Per so n n e, su r ce p o i n t , n e p o u v ai t l u i d o n n er u n
d ém en t i .
E n so m m e, si M i gu el ét ai t d em eu r é ch ez son
o n cl e, cet i n ci d en t se f û t assez p r o m p t em en t o u b l i é.
P a r m al h eu r , B er n ar d d es F a r g e s, f u r i eu x p o u r
son p r o p r e co m p t e, c ar A g n ès l u i p l ai sai t v r ai m en t
b eau co u p , a r r i v a 1111 b eau so i r en an n o n çan t d ev an t
q u at r e d am es, l es m ei l l eu r es l an g u es d e ce q u ar t i er
ch i c :
,— V o u s sav ez : E t c h eb ar r am est p ar t i seu l !
A l o r s, ce fu t t er r i b l e. M “ * d ’ E t r u c h at , p r év o y an t
u n e su ccessi o n d ’en n u i s, p r i t scs m esu r es p o u r r al
l i er san s t ar d er l e M a s d u C a v a l i er . A v an t d e q u i t
t er L y o n , el l e v i n t
f ai r e scs ad i eu x à sa n i èce et
au co n sei l l er , san s o m et t r e d e l es assai so n n er de
q u el q u es r écr i m i n at i o n s.
E l l e di t à l ’o n cl e X a v i e r q u ’el l e l e p l ai g n ai t d ’êt r e
à son t o u r d an s un a f f r eu x g u êp i er p ar l a f au t e
d ’A gn ès. C ’ét ai t ab su r d e au ssi , u n e i n v en t i o n p a
r e i l l e! El l e- m êm e, F c l i c i c , v o u l ai t f ai r e c asser l e
m ar i ag e au r eçu d e l a l et t r e d e Jo ac h i m . C ’ eû t ét é
bi en m i eu x .
E l l e av ai t co n sen t i à r am en er A g n ès en F r an c e
so u s son n om d e j eu n e fi l l e à cet t e co n d i t i o n : M i
gu el n e v i en d r ai t p as. I l ét ai t ven u ... et v o i l à !
M ai s — el l e en l o u ai t l e Sei g n eu r — ces f o l i es
n e se r en o u v el l er ai en t p a s; av ec l es p et i t es 011
p o u v ai t êt r e t r an q u i l l e.
L à- d essu s, l a v i ei l l e f i l l e em b r assa p o u r t an t sa
f i l l eu l e et s’en fu t co m m e el l e ét ai t en t r ée : en
b o u r r asq u e.
A g n ès av ai t éco u t é l e t o r r en t d e r ep r o ch es san s
m ot d i r e. M " ’ F él i c i e ét ai t à cen t l i eu es d e se d o u
t er q u ’c lic - mê mc , p o u r u ’a v o ir p a s s u im p o s e r u n e
�L ’IN F A N T
A
L ’E S C A R R O U C I.K
sag e r èg l e de co n d u i t e à l ’en f an t d on t el l e s’ét ai t
ch ar g ée, av ai t co n co u r u p o u r u n e l ar g e p ar t à l a
f ai l l i t e de son b o n h eu r c o n j u g al .
U n e f o i s sa t an t e p ar t i e, el l e r eg ar d a l ’o n cl c
X a v i e r et son ex p r essi o n d i sai t cl ai r em en t :
« V o u s l e v o y ez , san s v o u s j e ser ai s seu l e. »
L ’ ex cel l en t h om m e d ev ai t l i r e en son âm e, car
i l p r o n o n ça, t r ès p at er n el :
—
N e v o u s t o u r m en t ez d e r i en , m a p au v r e ch èr e
p et i t e fi l l e. Je su i s l à.
Co m m e il ét ai t n éc essai r e, ce b r as m ascu l i n d on t ,
j u sq u ’al o r s, A g n ès d éd ai gn ai t l a f o r c e!
L es
Ro ch eb cl l c
su i v i r en t
¡’ex em p l e
de
M " * d 'E t r u c h at . Ph i l i p p a, t o u j o u r s ach ar n ée à r é
p ét er : « Je su i s du cô t é d e M . d ’ Et ch cb ar r am ! *
av ai t f ai l l i sc b r o u i l l er av ec sa b el l e- sœu r , c ar
cel l e- ci , t ou t en j u g ean t l a co l èr e d e M i gu el ex c u
sab l e, p l ai g n ai t au ssi sa fem m e.
P a r u n e v ér i t ab l e ch an ce, l es C o i n b au l t - L c f r an c ,
gen s r i g o r i st es, n ’eu r en t p as l e l o i si r d e s’i n d i gn er ,
c ar
i l s ét ai en t
eu x - m êm es bi en
en n u y és p ar
l es
f o l l es p r o d i gal i t és îl e l eu r b cl l e- t i l l c. Bo b , l e ch am
p i on d e t o u s l es sp o r t s, av ai t r eçu d es f ac t u r es îl e
co u t u r i er s d ’ u n e t el l e m agn i f i cen ce q u ’ i l co m m en
çai t à p er d r e un p eu d e sa b o n n e h u m eu r .
L a b ar o n n e d e Go n sen h ei m ap p r i t cé d ét ai l p ar
M "*’ d es F ar g es. L a m èr e d e B er n ar d , f o r t p eu
i n d u l gch t c à l ’o r d i n ai r e, sc m o n t r ai t l a p l u s co m
p at i ssan t e p o u r A g n ès. C ec i n on p ar b o n t é, m ai s
el l e ét ai t secr èt em en t en ch an t ée t ic l a sav o i r en
p u i ssan ce d ’ép o u x , t an t el l e c r ai g n ai t d 'en t en d r e
son fi l s l u i ap p r en d r e ses f i an çai l l es av ec cet t e
p et i t e san s f o r t u n e.
A g n ès d 'E t r u c h at l ’ef f r ay ai t ; M m* d ’ Et eh cb ar r am l u i i n sp i r ai t u n e sy m p at h i e p l u s v i v e... A v ec
G i sèl e d es F a r g e s ce sen t i m en t n ’al l ai t j am ai s l oi n .
C ’ét ai t t o u t ef o i s p r éf ér ab l e à l a m al vei l l an ce.
�L ’IN F A N T
A
I/ K S C A R B O U C I. E
173
D éj à r av i e en co n st at an t l 'i m p o ssi b i l i t é d ’un m a
r i ag e av ec A g n ès, l a m èr e <le B er n ar d p r év o y ai t
l e m om en t où ce ch er en f an t p o u r r ai t so n g er à
q u el q u e b r i l l an t e al l i an ce. E l l e j al o u sai t t r o p son
n ev eu p o u r 11c p as so u h ai t er v o i r son fi l s p r en d r e
ex em p l e su r l u i .
E l l e i g n o r ai t — l es p ar en t s so n t t o u j o u r s l es
d er n i er s p r év en u s — l a v i e t r ès él o i gn ée d e l a sa
gesse et de l a r ai so n m en ée p ar son u n i q u e h ér i t i er .
Su r u n p o i n t A g n ès et B er n a r d ét ai en t p ar ei l s :
i l s n ’av ai en t j am ai s, l 'u n et l ’au t r e, su b i au cu n e
co n t r ai n t e; m ai s l e j eu n e h om m e, l u i , n e p o sséd ai t
p o i n t un fo n d n at u r el l em en t b o n ; et p ar c e q u ’i l l u i
m an q u ai t l a seu l e ch o se cap ab l e d e r et en i r un g a r
ço n d e v i n g t - d eu x an s : l a c r ai n t e d u p èr e, i l s'en
g ag eai t su r l a p l u s d an ger eu se d es p en t es.
Lors que, un j o u r , Mm" de V a lm o r d a n c se d éci d a,
n o n san s h ési t at i o n , à t e n t e r d ' o u v r ir le s ve ux à s;i
b el l e- sœu r , cel l e- ci , i n cr éd u l e, d i t si m p l em en t :
1.’essen t i el est q u ’i l 11e s’en t i ch e p as d ’ u n e
j eu n e fi l l e san s dot .
M " * Y v o n n e d es F a f g c s, t an t e i d o l ât r e, t er m i n a :
—
I l f au t bi en qu e j eu n esse se p asse 1
D ev an t
cet
av eu gl em en t ,
l a co m t esse n 'i n si st a
p l u s et j u g e a i n u t i l e d 'aj o u t er q u e, d 'i c i p eu , B e r
n ar d ser ai t r u i n é, s’i l co n t i n u ai t à i m i t c f M ar c
1 ast av o i n c, l eq u el m en ai t l es éco n o m i es d e son
p ap a en q u at r i èm e v i t esse et d ép en sai t ch aq u e so i r
ci n q cen t s f r an c s, q u an d il ét ai t r ai so n n ab l e, d an s
l es d an ci n gs et au t r es ét ab l i ssem en t s d u m êm e
g en r e l es p l u s d i sp en d i eu x de l a vi l l e.
C et t e su b i t e c am ar ad er i e d e B er n ar d av ec l e
j eu n e p r o p r i ét ai r e d e l a T h u i l i c r c ét ai t en co r e u n
Co n t r e-co u p du m ar i ag e d 'A g n ès.
L ’h é r it ie r d es T a s t a v o in e , t r è s s nob, s ’e m p lo y a it
à c r é e r de s r e la tio n s b r illa n t e s à s a fa m ille , M ig u e l
d ’E t c h c b a r r a iu , p o u r de s r a is o ns t o ut in t im e s , vc-
�1 74
T .' IN F A N T
A T / E S C ARB OU C LE
n a it de lu i é c h a p p e r e t le s s a lo ns de Be lle c o u r ne
s ’o u v r e n t pa s fa c ile m e n t p o u r le s in d iv id u s e n r i
c h is t r o p b r us q u e m e n t.
M ar c T ast av o i n c ét ai t p ar v en u à se f au f i l er d an s
l e p et i t gr o u p e d ’ i n t i m es d e B er n ar d , m ai s sa m èr e
et sa sœu r l es co n n ai ssai en t seu l em en t p ar o u ï- d i r e,
ce d on t el l es en r ag eai en t . M "'* d es F ar g es, p o u r u n
em p i r e, n ’au r ai t co n sen t i à r ec ev o i r d es p ar v en u es;
B er n ar d n ’av ai t cer t es j a m a i s eu l ’i d ée d e l es am e
n er ch ez l u i , q u o i q u e scs
p l u s acco m m o d an t s. M ar c ,
accu sé d ’égo ïsm e et d ’o u bl i
g ar d ai t scs r el at i o n s p o u r l u i
p r i n ci p es f u ssen t d es
accab l é d e r ep r o ch es,
d es si en s p ar ce q u ’ il
seu l , fi n i t p ar en g ag er
sa m èr e et sa sœu r à r en d r e v i si t e à M " ” d es
F ar g es.
C es d am es se cr u r en t i n v i t ées; l a fi l l e sç fit f ai r e
u n co st u m e t o u t ex p r ès, l a m èr e m i t d es so u l i er s
n eu f s, l e go u v er n eu r , g r an d et g én ér eu x , p r êt a l a
I f o c h k i ss.
A l’o r d in a ir e ,
tramway.
M” 1
T a s t a v o in c
a lla ie n t
eu
M " " d es F a r g e s ét ai t ab sen t e. U n e f em m e d e
ch am b r e à l ’a i r h au t ai n , c a r el l e se m o d el ai t su r sa
m aît r esse, p r i t l a car t e d ’u n f o r t gr an d ai r .
M m* T ast av o i n c r et o u r n a ch ez el l e, av en u e d e
Sa x e , av ec l a gl o r i o l e d ’av o i r f ai t u n e v i si t e r u e
Sa l a .
A p r ès cel a, 011 11c sai t co m m en t , il n e f u t p l u s
q u est i o n d es p r o p r i ét ai r es d e l a T h u i l i i r e .
En som m e, p o u r t o u s, l a v i e co n t i n u ai t av c c
.11
c o r t èg e d e p et i t s év én em en t s q u o t i d i en s, t o u j o u r s
l es m êm es.
P o u r A p iè s , le s jo u r n é e s de d é c e m b r e c o u lè r e n t
u n e à u n e, si le nte s , si m o r n e s , q u 'o n e ût d it a u
t a n t de g o ut te s de p lo m b t o m b a n t d a n s l’e a u de
la S a ôn e .
U n e i n vi n ci b l e t or p eu r s’e m p a r a it de la jc u u o
�L ’IN F A N T
A
I. ’E S C A R B O U C L E
175
f em m e. O ù ét ai t l a v i v e, en so r cel an t e, am u san t e
A g n ès d ’E t r u c h at ? l a b r i l l an t e cr éat u r e t el l e qu e,
à son r et o u r d e Sy r i e , l e l i eu t en an t d e V al m o r d an e
l ’av ai t v u e? cet t e o r i g i n al e A g n ès ad m i r ée p ar
t o u s,, qu i se p r o cl am ai t , d an s un r i r e sem b l ab l e à
u n e ch an so n , am o u r eu se d ’ un p o r t r ai t ... ce p o r t r ai t
« qu i l u i r essem b l e ! »
E l l e se cr o y ai t
an est h ési ée, m i se au
t o m b eau .
A i n si l es h eu r es p asser ai en t t o u t es p ar ei l l es, t o u t es,
t o u t es ?.. E l l e v i v r ai t l à com bi en d e t em p s en co r e
av ec l'o n c le X a v i e r , san s p r esq u e o ser so r t i r , r e f u
san t l es i n v i t at i o n s d e scs am i s l es p l u s i n t i m es
p ar f r ay e u r de q u est i o n s em b ar r assan t es.
E l l e at t en d r ai t l e r et o u r d e M i gu el . M ai s q u an d
r ev i en d r ai t - i l , l ’o r g u ei l l eu x g ar ç o n qu i v o u l ai t ct r e
l e m aît r e^
M . d ’E tc h e b a r r a m - Co u za n c e , n a v r é p o u r s on
p r o p r e c o mpte , r e s s e nt a it une c o m p a s s io n in finie
p o u r c e tte p a u v r e pe tite , v ic t im e de s on in c o n c e
v ab l e l égèr et é, m ai s, il f al l ai t l e r ccm i n ai t r e, bi en
r u d em en t p u n i e.
« Je n ’au r ai s p as cr u M i g u el i n f l ex i b l e à ce
p oi n t ! so n geai t - i l en v o y an t l es l èv r es d ’A g n ès
t r em b l er q u an d 011 ap p o r t ai t l e c o u r r i er . 11 d ev r ai t
l u i éc r i r e. C e si l en ce com p l et est a f f r e u x p o u r el l e. *
I l o u b l i ai t t o u s ses g r i e f s co n t r e l 'en f an t éc er
v el ée et v o l o n t ai r e p ar l aq u el l e M i g u el av ai t so u f
f er t , en v o y an t ses ef f o r t s p o u r s'am él i o r er . I l
ét ai t t o u ch é d e l u i en t en d r e d i r e san s r év o l t e :
—
A p p r en ez - m o i co m m en t i l f au t êt r e p o u r
r en d r e m on m ar i h eu r eu x . M o i j e n e sav ai s r i en ...
C e n ’est p as t ou t à f ai t m a f au t e si j ' a i ét é au ssi
i m p r u d en t e et l ’ai p o u ssé à bout .
L a v o i r si b i en p ar v en u e à l a d o ci l i t é, el l e, l 'i n
d ép en d an ce m êm e, sat i sf i t l ’o n cl e. 11 p en sai t , d éso l e,
c a r l a si t u at i o n ét ai t g r a v e ,:
« 11 e ut é té bie n fa c ile d ’j:u fa ir e uuc fe m m e
�17 6
L ’I N F A N T
A
L ’E SC A R B O U C L E
ch ar m an t e av ec cet t e n at u r e sp o n t an ée. M ai s au
j o u r d ’h u i . m eu r t r i co m m e il l ’ a ét é, M i gu el v a se
m o n t r er t el l em en t d i f f i ci l e à r ep r en d r e t I I ex i g er a
d ’el l e l a p er f ect i o n et , cel a, c'est i m p o ssi b l e... A h !
si j ’ét ai s su r d ’el l e, j e l a r am èn er ai s v i t e au p r ès d e
son m ar i , m ai s si el l e l e h eu r t ai t d e n o u v eau , ce
ser ai t l ’i r r ép ar ab l e d ésast r e... et cep en d an t , j e m e
t r o u v e bi en v i eu x . Je v o u d r ai s t an t l es v o i r r éu n i s,
h eu r eu x . »
M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an c e r essen t ai t , d ep u i s
q u el q u e t em p s, d ’i n ex p l i c ab l es m al ai ses. A v an t ce
j o u r , ét an t r o b u st e, i l s’ét ai t p eu o ccu p e d e son
Age et d e sa san t é. I l se d i sai t :
« Je v i v r a i t o u j o u r s assez . M a t âch e est fi n i e,
p er so n n e n ’a b eso i n d e m o i . »
A p r ésen t , il se r ep r ésen t ai t , an go i ssé, l ’ex i st en ce
d 'A g n ès, si p ar m al h eu r il v en ai t à d i sp ar aît r e.
E l l e n ’ av ai t p l u s d e p ar en t s p r o ch es, sau f
M 1" F él i c i e, et ce n ’ét ai t p as u n so u t i en bi en i n
d i qu é p o u r l a -j eu n e fem m e. Ses f r èr e e t sœ u r s?
d es e n fa n t s . Ses a m is d e v a ie n t ê tr e p lu t ôt d es r el a
t i o n s, l a p l u s i n t i m e ét ai t M ” * d e G o n scn h ei m ; son
esp r i t su p er f i ci el et son g o ût p o u r l e m on d e n e
p o u v ai en t q u ’êt r e n u i si b l es à l a p et i t e M ™* d ’E t ch eb ar r am .
L e s V al m o r d an e? o u i , en c eu x - c i on p o u v ai t
av o i r co n f i an ce, m ai s l à, p l u s q u ’ai l l eu r s, A g n ès
ser ai t m al h eu r eu se, en v o y an t l e b o n h eu r co m p l et ,
r ad i eu x , d ’ H u g u es et d ’ I l sc.
Q u an t à M ” * d es F ar g c s, son d évo u em en t p o u v ai t
se c h i f f r er p ar z ér o . En d eh o r s d e son fi l s, l a fi br e
af f ect i o n n e v i b r ai t p as ch ez el l e.
M al g r é l es t r av er s d e l a b ar o n n e et l e p eu d e
sy m p at h i e à l u i i n sp i r é p ar l a i n èr e d e B er n ar d ,
M . d ’ Et ch cb ar r am - C o u z an c e en g ageai t sa n i èce à
r en d r e q u el q u ef o i s v i si t e à ces d eu x an ci en n es
am i es d e sa m ar r ai n e.
�I , ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
t 77
I l r ed o u t ai t p o u r cl i c l es d an g er s d ’u n i so l em en t
co m p l et . L e m on d e n ’ad m et p oi n t q u e l ’on se l asse
d e l u i et l a si t u at i o n d ’A g n ès ét ai t d i ff i ci l e.
E l l e o b éi ssai t san s en t h o u si asm e, n i ai s san s t r o p
d e p ei n e au ssi . L à , on n e p o sai t n u l l e q u est i o n
em b ar r assan t e; on l a t r ai t ai t co m m e av an t son
m ar i age, u n peu en j eu n e p ar en t e.
B er n ar d , v ex é d e v o i r l e m an q u e d ’ad m i r at i o n
i n sp i r é p ar son ai m ab l e i n d i v i d u à M * * d ’ E t c h e• b ar r am , s’en t i n t à u n e at t i t u d e d e g r an d e d i gn i t é
b l essée.
A p r ès a v o i r assu r é q u ’ i l ét ai t p r êt à p asser sa v i e
au x p i ed s de sa f u t u r e ép o u se, i l se m o n t r ai t so u s
u n an gl e t o u t d i f f ér en t . D ’ u n e f aço n q u asi ag r es
si v e, il r aco n t a co m m en t ses am i s Bo b , M a x et co n
so r t s, t y p es r êv és d u m ar i - c am ar ad e, r ef u sai en t d es
cr éd i t s à l eu r s f em m es et h u r l ai en t co n t r e l es ex i
gen ces v est i m en t ai r es d ’ i cel l es. O n p ar l ai t sér i eu se
m en t d ’ u n d ésacco r d f o r m el d an s l e m én age d e B o b
au su j et d ’u n e sai so n à M o n t e- C ar l o r écl am ée p ar
M ad am e et r ef u sée p ar M o n si eu r .
B er n ar d en p r of i t a p o u r j e t e r f eu et f l am m es
co n t r e
« c e s d ép en si èr esI », p l ai gn i t
ces p au v r es
g ar ç o n s et se d écl ar a, q u an t à l u i , t ou t d i sp o sé à
su i v r e l eu r exer ;>lc l e cas éch éan t et si gn i f i er à
M ” * B er n ar d «les F ar g es h yp o t h ét i q u e « q u ’ i l n e se
l ai sser ai t p as m a n œ u v r e r I »
A g n ès d i t f r o i d em en t :
—
V o u s au r ez bi en r ai so n . M ai s v o i l à l ’acco r d
p a r f ai t su r l e m od e « j o u i sso n s» ? I l est j o l i !
A l o r s, où d o i t - o n ch er ch er l e v ér i t ab l e b o n h eu r ?
E l l e l e sav ai t b i en , l a p au v r e d él ai ssée, et , p ar
i n st an t s, cr o y ai t son cœu r p r êt à éc l at er t an t sa d é
t r esse d ev en ai t i n t en se. Ja m a i s el l e n ’eut l e co u r ag e
d ’ accep t er l es i n v i t at i o n s r éi t ér ées J'U se d u C h an d o l . L a p en sée q u ’el l e p o u r r ai t en co r e u n e f o i s
l ’ap er c ev o i r p r ès d e son f i an cé l u i co u p ai t l e so u f f l e.
�17?
f , ’IN F A N T
A
I . ’E S C A R B O U C J .E
L e so i r d u b al , p en d an t l eu r t o i l et t e, U se l u i
av ai t r aco n t é scs f i an çai l l es : Co m m en t H u g u es l u i
av ai t d i t q u ’il l ’ai m ai t d ep u i s t o u j o u r s et s’ét ai t
j u r é de n ’a v o i r p as d ’au l r c f em m e, sû r d e p o u v o i r ,
av ec el l e, r éal i ser son r êv e : f o r m er à d eu x u n seu l
cœu r , u n e seu l e âm e. I l av ai t d i t co m b i en il av ai t
ét é d ésesp ér é, en p en san t q u ’ il f au d r ai t p eu t - êt r e
p ar d ev o i r s’él o i g n er d ’el l e, r en o n cer à l u i d em an d er
d e p ar t ag er sa vi e. M " ' du Ch an d o l , i n co n sci en t e
d e l a d o u l eu r r essen t i e p ar son am i e, av ai t aj o u t é :
—
J ’ai m e t an t H u g u es q u e, si j e p en sai s l u i
cau ser un j o u r l a p l u s l égèr e p ei n e, j e p r éf ér er ai s
êt r e m o r t e!
A g n ès au ssi ai m ai t M i g u el , et q u el c h ag r i n el l e
l u i av ai t cau sé, p o u r t an t !
L e so u v en i r d es p ar o l es d ’ I l se l u i r ev en ai t à
ch aq u e m i n u t e, l an ci n an t , t en ace. T r è s peu de j o u r s
av an t N o cl , à b ou t d e c o u r age, san s p r en d r e l ’av i s
d e l ’o n cl e X a v i e r , el l e éc r i v i t à son m ar i .
A p ei n e l a l et t r e p ar t i e, ce f u t l ’at r o ce at t en t e
d u c o u r r i er , l e p i r e d es su p p l i ces. L a p h r ase sec r è
t em en t r ép ét ée san s cesse : « A u r a i - j e u n e l et t r e
d em ai n ? »
D an s u n d él ai assez co u r t , M i gu el r ép o n d i t . L e
m essage a r r i v a l e m at i n . C o n ch i t a l ’ap p o r t a su r l e
p l at eau d u d éj eu n er à sa m aît r esse en co r e au l i t .
S a n s a v o ir la pre s c ie nc e du d r a m e mue t jo u é a u
t o u r d ’e lle , la fidè le Gu ip u z c o a n e o u v r it le s fe
nê tr e s , r e le va les ja lo u s ie s , d it à Ma d a m e q u ’il
p le u v a it et e nfin se r e tir a .
H al et an t e d ’ém o t i o n , A g n ès f en d i t l ’en vel o p p e.
.
car t e p o st al e i l l u st r ée ap p ar u t . L e v er so
p o r t ai t ces m o t s b r ef s :
Resp ect u eu x Ii ot nm nKCS.
K t c mi ma n r a m .
A ^ u ès l ai ssa r e to m b e r l e car t o n . As s o m m é e p ar
�L ’I N F A N T
l e co u p ,
i d ées.
D an s
al l ai t et
av er t i r :
— Le
A
I . ’ E S C A R B O t JC L E
17 9
el l e n e p o u v ai t m êm e p as r assem b l er ses
l e cab i n et d e t o i l et t e co n t i n u , C o n ch i t a
v e n a i t ; el l e r en t r a d an s l a ch am b r e p o u r
b ai n d e M ad am e est p r êt .
— Bi en , m er ci , ar t i c u l a m ach i n al em en t A g n ès,
d ’u n e v o i x san s t i m b r e.
E l l e se r ép ét ai t , l es y eu x f i x es su r l es t r o i s m o t s
t r acés p ar M i g u el :
— C ’est t r o p t ar d !... t r o p t ar d ... M o n D i eu ! i l
n ’au r a d on c j am ai s p i t i é !...
D u Pér o u , u n e av al an ch e d e l et t r es et d e t él é
g r am m es ar r i v èr en t en fi n . L ’abb é d ’ Et r u c h at an n o n
ç ai t , av ec , l e d i f f i ci l e, m ai s p l ei n su ccès d e sa m i s
si o n , l ’i n t en t i o n q u ’av ai t l ’o n cl e Jo ac h i m — qu i ap r ès
a v o i r j e t é f eu et f l am m e ét ai t v en u ;\ co m p o si t i o n
— d e v en i r en F r an c e au p r i n t em p s f ai r e l a co n
n ai ssan ce d u m ar i d e sa n i èce. L ’a v en i r d es cad et s
d ’A g n ès ét ai t d e n o u v eau a ssu r é ; el l e- m êm e p o ssé
d er ai t un Jo u r l a gr an d e f o r t u n e d e son p ar r ai n .
L ’am b assad eu r t r i o m p h ai t , cél éb r ai t l ’h eu r eu se co n
cl u si o n , l e b o n h eu r san s n u ages.
A g n ès l ut ces l et t r es san s un m ot . E l l e p r i a en
su i t e l e co n sei l l er d e v o u l o i r b i en a v er t i r M i gu el .
L ’o n cl e, n av r é, s’ ex écu t a en so n gean t , l u i ai i sH ,
qu e l a co n cl u si o n n ’ét ai t p eu t - êt r e p as ab so l u m en t
h eu r eu se et l e b o n h eu r san s n u ag es ét ai t b i en l o i n .
M i g u el r ép o n d i t à son o n cl e en l e p r i an t d e t r an s
m et t r e scs f él i ci t at i o n s a ses p et i t es b el l cs- sccu r s et
d e l e m et t r e au x p i ed s d e sa f em m e.
M . d ’Et ch eb ar r am - C o u z an c e se d i t , ad m i r at i f et
d éso l é ; « C ’est un d o m p t eu r ! » et g a r d a p r u d em
m en t l e m essage p o u r l u i .
�tr
î So
L ’I N F A N T
A
I . ’E SC A R B O U C L F
... D o u x j o u r n ées s’éco u l èr en t en co r e. C et t e f o i s,
l e co n sei l l er n e p o u v ai t p l u s d i ssi m u l er son m al ai se
g r an d i ssan t .
A g n ès, l e v o y an t ch an g er t ou t à cou p , l 'en g ag ea
à se so i gn er sér i eu sem en t , p ar l a d e f ai r e d em an d er
u n m éd eci n . L u i , seco u ai t l a t êt e en so u r i an t :
— N e m e r ap p el ez p as san s cesse m on âge, av ec
cet ai r d e m an su ét u d e, A g n è s! V o u s m 'h u m i l i ez
b eau co u p . Je m e c r o y a i s’ en co r e q u el q u 'u n et b i en
t ôt v o u s m e co n d am n er ez à su b i r v o s p et i t s so i n s
et v o s t i san es ; l es Et c h eb ar r am son t co n st r u i t s en
coeur d e ch èn c. P ar c e qu e j ’ai p r i s f r o i d l e j o u r
d e N o ël , n 'al l ez p as m e co u v r i r d e cat ap l asm es et
au t r es h o r r eu r s! Je v o u s c o n si g n er ai s m a ] >ort c, j e
v o u s en p r év i en s.
A ^ n c s fit sem b l an t d e r i r e, m ai s, t r ès ef f r ay ée,
el l e co n f i a ses c r ai n t es à l a fi dèl e C o n ch i t a.
— M ad am e n e 111’ap p r en d r i en , d i t l a v j ei l l e B as
q u ai se en so u p i r an t . M o n si eu r a l a gr i p p e... p eu t ê t r e ! I l a p r i s f r o i d , c'est v r ai , m ai s i l y a au t r e
ch o se. M ad am e n e l e v o i t p as, el l e n e co n n aît p as
M o n si eu r d ep u i s l o n gt em p s com m e m oi .
« Po u r l e g u ér i r , i l f au d r ai t — el l e h ési t a — l e
r et o u r d e M . M i gu el .
... A f o r ce d e p r i èr es, A g n ès ob t i n t l ’au t o r i sa
t i o n d e f ai r e v en i r l e d o ct eu r . C el u i - ci sc m o n t r a
r assu r é d ev an t so n cl i en t et b cau cu u r m oi n s sat i s
f a i t av ec M “ ” d ’ Et ch cb ar r am .
I l n e l u i cach a p oi n t l a v ér i t é. L a b r o n ch i t e d on t
so u f f r ai t l e co n sei l l er n ’ét ai t r i en â cô t é d e l 'ét at
gén ér al . U n so u ci cu i san t m i n ai t l e m al ad e; il f al
l ai t à t ou t p r i x l u i r en d r e l a t r an q u i l l i t é, l u i év i t er
t o u t e co n t r ar i ét é, l 'o b l i g er au r ep o s m o r al co m p l et .
A g n ès éco u t ai t , t r em b l an t e, l es y eu x an go i ssés,
¡com m e u n e en f an t p l acée p o u r l a p r em i èr e f o i s en
f ac e de l o u r d es r esp o n sab i l i t és. Ja m a i s el l e n 'av ai t
eu à p r en d r e d e d éci si o n s, sa t an t e l a t r ai t ai t eu
�T .’ ^ M - \ N T
A
b éb é, l ’o n cl c X a v i e r
f i cu l t é à r éso u d r e.
L ’E S C A R B Ô U Ç L E
ne lui
l ai ssai t
18 1
au cu n e d i f
A p r ésen t , el l e ét ai t seu l e p o u r se t i r er d ’af f ai r e.
E l l e d ev ai t o r d o n n er en t o u t ... O h ! ce d r o i t au
co m m an d em en t , i m p ér i eu sem en t
r écl am é j a d i s,
co m m e A g n ès au r ai t vo u l u l e l ai sser à u n au t r e
p l u s ex p ér i m en t é, p l u s c o u r ag eu x ,
plus for t
su r t o u t !...
A u n h om m e.
B r av em en t , el l e
r ef o u l a
scs
c r ai n t es
et
vin t
p r en d r e l a p l ace d e gar d e- m al ad e au ch ev et du
co n sei l l er . E l l e accep t ai t à p ei n e l ’ai d e d es d o m es
t i q u es, v o u l an t r en d r e à l ’o n cl e si p ar f ai t u n peu d u
d év o u em en t q u 'i l l u i av ai t p r o d i gu é av ec t an t
d ’af f ect u eu se so l l i ci t u d e.
E l l e v o u l ai t se m o n t r er sa v r a i e fi l l e, m ai s j u s
t em en t , p ar
i n ex p ér i en ce t o t al e,
t r o p , u san t
j o u r s.
sa
r ési st an ce
el l e l e p r o u v ai t
p h y si q u e
en
q u el q u es
L e i " r j a'n v i er se p assa d an s u n e an x i ét é d écu
p l ée, c ar l e v i ei l l ar d se sen t ai t p l u s so u f f r an t .
A g n ès, d év o r ée d ’i n q u i ét u d e, o u b l i a d e co n st at er
l ’ab sen ce d e l et t r e d e son m ar i . M ai s cet t e f o i s, à
b o u t d e f o r ces, el l e l ai ssa l e v al et d e ch am b r e
v e i l l e r son m ai t r e t ou t e l a n u i t .
L e l en d em ai n el l e cr u t r êv er en v o y an t M i gu el ,
en co r e r ev êt u 'l e son m an t eau d e v o y ag e, p en ch é
su r l e l i t de son o n cl e.
M . d ’ Et ch cb ar r am - C o u z an c c t en ai t l es m ai n s de
5011 n eveu en r ép ét an t , l ’accen t o p p r essé, m ai s si
h eu r eu x :
__En f i n t e v o i l a ! M o n p et i t ... m on p et i t ...
M i g u el , ém u j u sq u ’au
f o n d d e l ’âm e, r ep r o ch a
'd ou cem en t :
__Po u r q u o i av ez - v o u s t ar d é à m e p r év en i r ? J ’ai
é té a ffo lé e n r e c e va nt votr e b ille t et la le tt r e d u
docte ur 1
�18 2
f . ’I N F A N T , A
L 'H S C A R B O U C ^ F .
— Je n e l e p o u v ai s, r ép o n d i t l ’o n cl e. T u n e se
r ai s p as v en u .
L e s d er n i er s m o t s s’ét o u f f èr en t . A g n ès, p ar b on
h eu r , n e l es en t en d i t p o i n t . L e m al ad e se r ej et a
su r scs o r ei l l er s, l e m o i n d r e ef f o r t n e l u i ét ai t p l u s
p o ssi b l e. I l i n u r m t t r a seu l em en t :
— A ssi ed s- t o i . Rest e... r est e...
M i gu el en l ev a son m an t eau . A g n ès s ’a v an ç a; l es
m o t s t o m b és d es l èv r es d e l 'o n cl e j ai l l i r en t d es
si en n es :
— En f i n v o u s v o i l à !
V i v em en t r ed r essé, il sc t o u r n a v er s cl i c, ipe
n o u v eau l es y eu x b r u n s, si t en d r es u n e secon d e
au p ar av an t , r ep r i r en t l eu r ex p r essi o n sév èr e.
M . d ’ Et ch eb ar r am - C o u z an c e ar t i c u l a, t r ès b as,
c ar l 'ém o t i o n l e b r i sai t :
— V en ez , A g n ès. Je v eu x f ai r e sav o i r à m on fil s
com bi en m a fi l l e a ét é d év o u ée, p at i en t e. Si t u as
u n p eu d ’af f ect i o n p o u r m oi , M i g u el , t u l a r em er
ci er as.
I l s'at t en d ai t à v o i r l e j eu n e m ar i o u v r i r scs
b r as. M i gu el d i t , av ec cet a i r d e co u r t o i si e al t i èr e
qu i l e f ai sai t r essem b l er au ] >or t r ai t d e l 'i n f a n t :
— Je v o u s su i s m i l l e f o i s r eco n n ai ssan t , A g n ès.
A p r ès u n e b r èv e h ési t at i o n , il i n cl i n a sa h au t e
t ai l l e sv el t e'd ev an t sa f em m e et l u i b ai sa l a m ai n .
X
L a pr é s e nc e de M ig u e l p r o d u is it u n a p a is e m e n t
i m m éd i at d an s cet t e m a is o n b o u l ev er sée. M ai n t e
n a n t il y a v a it de n o uv e a u u n e m a in é n e r g iq ue a u
g o u v er n ai l , u n c h ef p o u r d o m in e r le d é s a r r o i t o u
jo u r s c a us é p ar une m al ad i e g r a v e .
�L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
1S3
L ’o n cl e X a v i e r , en sen t an t ce b r as v i r i l au l i eu
d es d o i gt s t r o p f ai b l es d ’A g n ès, en v o y an t ce v i
sag e v o l o n t ai r em en t cal m e à l a p l ace d u r eg ar d
ép er d u d e l a j eu n e f em m e, ép r o u v ai t u n e sen sat i o n
t r ès d o u ce d e m i eu x êt r e.
C er t es, il s’ét ai t m o n t r é u n p èr e p o u r son n ev eu
o r p h el i n , m ai s il r ecu ei l l ai t à cet t e h eu r e l e f r u i t
d e so n d évo u em en t . Ja m a i s fi l s n ’au r ai t pu êt r e
p l u s at t en t i o n n é, p l u s af f ec t u eu x qu e M i gu el p o u r
son o n cl e. I l n e l e q u i t t ai t p as. Jo u r et n u i t ,
M . d ’Et ch eb ar r am - C o u z an c c p o u v ai t l ’ap p el er il
ét ai t l à.
A g n ès, t o u r m en t ée en v o y an t l a f at i g u e éc r a
san t e su p p o r t ée p ar son m ar i , essay a d ’o b t en i r l ’au
t o r i sat i o n d e l e r em p l acer q u el q u ef o i s.
E l l e l e f ai sai t t i m i d em en t , co i m n c s’ il se f û t ag i
d ’ u n e f av eu r i n si gn e. I l l u i sem b l ai t q u e M i g u el ,
en l ’éc ar t an t ai n si d u ch ev et du m al ad e, v o u l ai t l a
m et t r e en d eh o r s de l a v i e f am i l i al e.
L e co n sei l l er , d e so n cô t é, r écl am ai t l a p r ésen ce
d e sa n i èce. I l d ési r ai t m o n t r er à son n eveu com
b i en sa f em m e ét ai t d i gn e d ’êt r e ch ér i e.
—
V a t e r ep o ser , m on p et i t ! r ép ét ai t - i l , i n si s
t an t . Je n ’ai p l u s b eso i n d ’au t an t d e so i n s. D u
r est e, A g n ès est u n e i n f i r m i èr e i n co m p ar ab l e. J ’ct ai s
b eau co u p m o i n s d ésag r éab l e av ec el l e q u ’av ec t oi ,
c ar il est i m p ossi b l e, f û t - 011 au x p o r t es de l a t om be,
d e r ési st er à d es y eu x p a r ei l s!
« V a d o r m i r et en v o i e- m o i t a fem m e. V a l a
ch er ch er , M i gu el , j e t ’en p r i e!... el l e c r o i r a qu e j e
l ’o u b l i e p ar ce q u e t u es r ev en u .
L e j eu n e h om m e h ési t a t ou t d ’ ab o r d , m ai s il c r ai
gn i t , en r ef u san t , d ’ag i t er so n o n cl e, en co r e t r ès
f ai b l e.
A l ’i n st an t où il al l ai t f r ap p er à l a p o r t e d ’ A g n ès,
c el l i ci o u v r ai t t ou t j u st em en t et d em eu r a iute&id i t e su r l e seu i l eu v o y an t son m ar i .
�I S|
T.,’I N F A N T
A
1, ’ E S C A R B O
U C I .E
— V o u d r ez - v o u s, m a ch èr e, d i t - i l av ec sa f r o i d e
p o l i t esse h ab i t u el l e, êt r e assez b on n e p o u r m e su p
p l éer u n m o m en t ? M o n o n cl e m e cr o i t bi en p eu d e
r ési st an ce san s d o u t e, i l n ’a eu n i t r êv e n i r ep o s qu e
j e n e l e l ai sse. I l v o u s r éc l am e; j e n ’ai p as v o u l u
l e co n t r ar i er .
— V o u s av ez t r ès b i en f a i t ! d i t - el l e v i v em en t . Je
su i s si co n t en t e d e p o u v o i r v o u s ai d er un p eu ...
A v an t v o t r e ar r i v ée j e v ei l l ai s t r ès f aci l em en t , j e
v o u s l 'assu r e.
— O h ! f aci l ct n en t ! V o u s ét i ez b r i sée. C ’ét ai t
t r o p p o u r v o s f o r ces. C et t e f o i s- ci j ’ai céd é p ou r
sa t i sf a i r e m on o n cl e, m ai s d an s u n e h eu r e j e r e
v i en d r ai et v o u s i r ez v o u s r ep o ser i m m éd i at em en t .
L es p ar o l es r éso n n ai en t co m m e un o r d r e, m ai s
l e t on c o r r i g eai t l a f o r m e i m p ér at i v e de l a p h r ase.
D o ci l e, A g n ès i n cl i n a l a t êt e :
— Co m m e i l v o u s p l ai r a.
— Je n e v eu x p as, r ep r i t M i gu el , v o u s v o i r su b i r
u n e f at i gu e, si p et i t e fût- e lle , qu an d j e s uis là p o u r
l a su p p o r t er . —
Il s’a r r ê t a u n in s t a n t et ac h ev a :
— V o u s av ez ét é p ar f ai t e p o u r m on o n cl e, j e vo u s
r em er ci e b eau co u p , A g n ès.
M ™ d ’ Et ch eb ar r an i sen t i t d es l ar m es m o n t er
au b o r d d e scs p au p i èr es. E l l e r ép o n d i t , l ’accen t
t r em b l an t :
— Po u r q u o i m e r em er c i er ? C ’est u n e j o i e de
d o n n er u n peu d e soi à c eu x q u ’on ai m e.
... Co m m e il l ’av ai t p r o m i s au co n sei l l er , M i gu el
al l a s’ét en d r e p o u r essay er de d o r m i r .
I l av ai t b eau êt r e ex t én u é, il l u i fu t i m p o ssi b l e
d e t r o u v er u n e m i n u t e d e so m m ei l . San s cesse,
cet t e p en sée l u i r ev en ai t ;
« Est - ce l a m ém o A g n ès, san s p i t i é d ev an t m a
p ei n e, ou u n e a u t r e? F,l i e est ch an gée, o u i , m ai s...
si c ’ét ai t en co r e un cap r i ce... si c ’ét ai t u n e r u se
p o u r t en t er d e m e f a i r e o u b l i er ses p ar o l es m é
�I . ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
18 5
ch an t es?... E t si el l e est t r an sf o r m ée, q u el l e p u i s
san ce h u m ai n e a pu l ’am en er l à?... E l l e m ’ai m er ai t
d o n c assez ...? »
M . d 'Et ch eb ar r am - C o u z an c e n ’ i n t er r o gea p oi n t
sa n i èce en l a v o y an t a r r i v e r u n so u r i r e au x
l èv r es, m ai s i l eut l a p r esci en ce d ’ u n ch an gem en t
i m p er c ep t i b l e d an ? l a seu l e f aço n d on t l a j eu n e
f em m e l u i d i t , en se p en ch an t p o u r a r r an g er l es
co u v er t u r es :
__V o u s p ar ai ssez b eau co u p m i eu x ce so i r , o n cl e
X av i er !
11 r ép o n d i t gal am m en t :
__ V o t r e seu l e v u e r essu sci t er ai t u n m o r t , m a
ch èr e n i èc e!
l i n l u i - m êm e il ach ev ai t :
« Peu t - êt r e M i gu el est - i l au ssi en v o i e d e g u é
r i so n . »
C et t e v i si o n r éco n f o r t an t e fit p l u s q u e t o u s l es
so i n s et t o u s l es r em èd es. D é j à l e co n sei l l er t r o u
v ai t f ast i d i eu x d e g ar d er l e l i t et p ar l ai t d e r e
p r en d r e ses h ab i t u d es.
Po u r l ’o b l i g er à l a p at i en ce en co r e 1111 p eu d e
t em p s, d an s l a cr ai n t e d ’u n e r ech u t e, M i gu el et
A j r n ès p assèr en t l eu r s j o u r n ées en sem b l e au p r ès du
co n v al escen t , essay an t d e l e d i st r ai r e afi n d e l u i
f ai r e t r o u v er l es h eu r es m o i n s l o n gu es.
U n so i r , v o y an t sa g r ac i eu se i n f i r m i èr e p r êt e à
se r et i r er , l e co n sei l l er m i t un b ai ser p at er n el su r
l a j o u e am b r ée t en d u e v er s l u i et d i t p at i n en t à
son n ev eu :
— T u p er m et s, M i j j u el ? C ’est m on seu l l u x e !
L a bo u ch e d ’A g n ès se cr eu sa so u s l e j o l i so u r i r e
d ’ au t r ef o i s, m ai s scs y eu x s’at t r i st èr en t .
I ’o n cl e X a v i er l a r et i n t u n m o m en t et m u r m u r a
t r è s ha s :
. .
.
Je n e su i s p as l e seu l à êt r e p r esq u e g u én .
�18 6
h ’I N
FAN T
A
L ’E S C A R B O U C L E
L e l en d em ai n m at i n , A g n ès so r t i t d e t r ès bon n e
h eu r e. Sa p r ésen ce n ’ét ai t p oi n t u t i l e au l o gi s. K l l e
n 'en t r ai t p l u s ch ez l e co n sei l l er av an t m i d i .
So u t en u e p ar 1111 esp o i r n o u v eau , un i n ex p l i cab l e
p r essen t i m en t , el l e se r en d i t à Fo u r v i èr e.
T r è s so u v en t , d u r an t l es m o i s éco u l és, à l ’ép oqu e
où el l e v i v ai t au p r ès d e sa t an t e, el l e av ai t en t en d u
M i gu el p ar l er , av ec sa foi v i v e d e Basq u e, d e l a
V i e r g e n o i r e ch èr e au x L y o n n ai s. U n j o u r , m êm e,
l a j eu n e fem m e ét ai t v en u e av ec ses soeur s l e r e
j o i n d r e à l a b asi l i q u e, m ai s à ce m om on t -I à el l e
ét ai t si pou r éf l éch i e, ce p èl er i n age l u i a v ai t l ai ssé
u n i q u em en t l e so u v en i r d 'u n e agr éab l e p r o m e
n ad e.
M ai n t en an t , d an s son d ési r ar d en t d 'êt r e en t ou t
sem b l ab l e à son m ar i , de l 'i m i t er av eu gl ém en t , el l e
g r a v i ssa i t à son t o u r l a co l l i n e sai n t e, p o u r ad j u r er
l e Ci o l d e l u i r en d r e son b i en - ai m é.
L ’ ét r o i t e ch ap el l e ét ai t p l ei n e d e p èl er i n s v en u s
d 'u n e l o cal i t é v o i si n e l o r sq u e M " " d ’Et ch eb ar r am
en t r a. N o n san s p ei n e, el l e r éu ssi t à s’ap p r o ch er
d e l a st at u e en f o n cée d an s u n e n i ch e en gu i r l an d ée
d ’o x - v o t o .
U n b r asi er de c i er g es cr ép i t ai t , d égagean t u n e
ch u l eu r i n t en se.
... A g n ès p r i ai t l e f r o n t d an s scs m ai n s. El l e
s’ef f o r cai t d e f i x er son esp r i t su r l es f o r m u l es
d 'o r ai so n r éci t ées à v o i x h au t e p ar l a f o u l e.
L es A v e s’ég r en ai en t au t o u r d ’el l e et , su p p l i an t e,
A g n ès r ép ét ai t m en t al em en t :
« P r i ez p o u r n ou s... m ai n t en an t et à l ’h eu r e d e
l a m o r t !... m ai n t en an t !... m ai n t en an t !... »
L ’ h eu r e d e l a m o r t ét ai t en co r e l o i n t ai n e, m ai s
l e p r ésen t , q u e ser ai t - i l ?
U n e m ai n se p o sa su r so n ép au l e. L a t êt e b r u n e
co i f f ée d ’ u n e t oq u e a g r a f é e d e d i am an t s se r ed r essa.
M i g u el ét ai t d eb ou t à sc s cô t és.
�I , 'I N F A N T
A
L ’E SC A R B O U C L E
18 7
A l e v o i r si p âl e, el l e eu t t o u t d ’ab o r d l 'i d ée d u n
m al h eu r su b i t . M ai s n on , c’ét ai t i m p o ssi b l e
Il d i t av ec u n e am i cal e au t o r i t é :
— N e r est ez p as d av an t ag e. L a c h al c u r est i n
so u t en ab l e et v o u s êt es l à d ep u i s t r o p l o n gt em p s.
... A h ! c ’est v r ai . Co m b i en d ’h eu r es avai en t fu i
d ep u i s q u ’on av ai t r ef er m é d er r i èr e el l e l a p o r t e
de l ’ap p ar t em en t ?
I l s so r t i r en t . M ach i n al em en t , A g n ès su i v i t son
m ar i . M . d ’Et ch cb ar r am se d i r i g eai t v er s l a t er r asse.
Il
f ai sai t un c l ai r so l ei l , ai n si q u ’ il ar r i v e p ar f o i s
d an s ces jo u r n é e s d e l a fi n d e j a n v i er . A p r ès l es
sem ai n es d ép r i m an t es, cet t e l u m i èr e r em p l i t l ’âm e
d 'A g n ès d ’u n e so r t e d ’al l ég r esse. E l l e c r o y ai t r e
v i v r e... et M i gu el ét ai t l à.
San s p ar l er , l e j eu n e h om m e f i x ai t u n
r eg ar d
p er si st an t su r l a si l h o u et t e él égan t e de sa f em m e,
en v el o p p ée d a n s un m a n t e a u de l o u t r e d ’o ù son
v i sag e, r o sé p ar l ’a i r p i q u an t , ém er g eai t co m m e u n e
( l eur .
— Je su i s en r et ar d ? d i t - el l e,
p ar aî t r e t r ès à l ’ai se.
s’ef f o r çan t
de
— D u t o u t . M ai s j e n e sav ai s où v o u s ét i ez p as
sée ! Co n ch i t a m ’a d i t : « M ad am e est m on t ée à
F o u r v i èr e... » C el a m ’a ét o n n é d e v o t r e p ar t .
— V o u s y v en i ez bi en , vo u s, m u r m u r a A g n ès,
t r ès r o u ge. Po u r q u o i n e v o u s i m i t er ai s- j e p as?
E l l e esp ér ai t l u i en t en d r e r el ev er cet t e r e
m ar q u e... I l n e p ar u t p oi n t y at t ac h er d ’i m p o r t an cc et r ép o n d i t si m p l em en t :
— V o u s n ’êt es p as au ssi m at i n al e d ’h ab i t u d e. N e
ser ez - v o u s p as f at i g u ée?
l .c r egar d su r p r i s d ’A g n ès se p o sa su r l u i . M i
gu el at t ach ai t ob st i n ém en t l es y eu x su r l a p er s
p ect i v e m agn i f i q u e d e l a v i l l e au x d eu x fl eu ves
ét al ée au p i ed du co t eau , su r l eq u el p l an e l ’ar
ch an ge d ’o r , g ar d i en d e l a ci t é.
�i88
L ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C I . E
— V o u s êt es t r ès b on , d i t - el l e en fi n , de v o u s
p r éo ccu p er d e m oi . M ai s V o u s sem b l ez m e cr o i r e
u n e p ou p ée, u n b i b el o t ... Je l ’ét ai s san s d o u t e au
t r ef o i s m al h eu r eu sem en t ... Je n e v eu x p l u s êt r e u n
o b j et f r ag i l e, m ai s u n e v r a i e f em m e, M i gu el .
Il
d em eu r a si l en ci eu x et , ce m u t i sm e, el l e l e p r i t
p o u r u n e m ar q u e d ’i n d i f f ér en ce.
— A g n ès... v o t r e am i e U se d u C h an d o l se m ar i e
au j o u r d ’ h u i , n ’ cst - cc p as?
T r è s su r p r i se, l a j eu n e f em m e r ép o n d i t :
— O u i . C e m at i n à o n ze h eu r es. A Sai n t - M at i r i c e de V i en n e.
— Je r egr et t e d e l 'a v o i r ap p r i s t r o p t ar d , p o u r
su i v i t M i gu el , cal m e p ar ce q u ’ il t en d ai t t o u t e sa
v o l o n t é... V o u s d ési r i ez cer t ai n em en t l u i p o r t er vo s
so u h ai t s... D ep u i s si l o n gt em p s v o u s êt es p r i v ée de
t o u t es d i st r act i o n s... C 'est u n e ex i st en c e bi en au s
t èr e p o u r vo u s.
A g n ès eut l a f r ay eu r d e se m et t r e à p l eu r er , l à,
d an s ce l i eu p u b l i c, d éser t p o u r l ’ i n st an t , m ai s où ,
d ’u n e m i n u t e à l ’au t r e, d es ét r an g er s p o u v ai en t su r
g i r . F i l e r ép l i q u a d ’u n e v o i x m al assu r ée :
— Je n e p eu x p l u s av o i r d e p l ai si r s, l i se co n
n aît l a r ai so n p o u r l aq u el l e j e n e p o u v ai s assi st er
à so n m ar i age.
— L a san t é d e m on o n c l e? M ai s il est
peu
p r ès r ét ab l i .
C et t e f o i s, A g n ès n e p u t se co n t en i r , l î l l c fit u n
p as v er s l ’esc al i er d u j a r d i n et , d an s u n e p l ai n t e
so u r d e, gém i t :
— Si v o u s n e co m p r en ez r i en , il v au t m i eu x qu e
j e m ’en ai l l e.
— A g n ès !...
L i t en t en d an t l ’accen t d ’au t r ef o i s, l a v o i x ch au d e,
si d ou ce, v i b r er à son o r ei l l e, en v o y an t l es y eu x
b r u n s c ar essan t s l ’en v el o p p er îl e l eu r ( l am i n e a r
d en t e, si t en d r e, el l e c r u t s’év an o u i r de b o u h e u r .
�T
ï . ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C I . E
r
)
A p p u y ée su r cc b r as f er m e, p r essée d e p l u s eu
p l u s ét r o i t em en t co n t r e ce cœu r d e n o u v eau o u v er t
p o u r el l e. A g n ès, ép er d u e, ch an cel an t e, b al b u t i a :
__ O h ! M i g u e l !... en fi n v o u s!... en fi n v o u s!...
L u i n e p o u v ai t p ar l er et scs y eu x d ev i n r en t si
b r i l l an t s q u ’A g n ès co m p r i t : il r ef o u l ai t à g r a n d ’p ei n e d es l ar m es.
I l s n e ch er ch èr en t p o i n t d 'ex p l i cat i o n l ’u n et
l ’au t r e. E l l e l 'av ai t r et r o u v é, il ét ai t l à... il n e p ar t i r ai t j am ai s p l u s.
M i g u el sc r essai si t l e p r em i er . 11 m u r m u r a d o u
cem en t :
— C h ér i e...
U n so u r i r e en co r e t r em b l an t éc l ai r a l e v i sag e
r ad i eu x d e l a j eu n e f em m e. A v e c ses f aç o n s séd u i
san t es d e j ad i s, el l e i m p l o r a :
__ Em m en ez - m o i ! C er t ai n em en t j e v a i s éc l at er
en san g l o t s ou m e j e t er à v o t r e co u . C c n e ser ai t
p as co r r ec t et j ’ai si g r an d ’p eu r d e v o u s d ép l ai r e...
V o u s sav ez , j e t âch e d e n e p l u s êt r e l a d ét est ab l e
cr éat u r e d ’a u t r e f o i s; m ai s n e cr o y ez p as v o t r e
o n cl e l o r sq u ’i l en t am e l e ch ap i t r e d e m es n o m b r eu x
m ér i t es. Je n e su i s p oi n t d u t o u t p ar f ai t e et ... j ’en
a i u n p eu h on t e, j e n e l e ser ai j am ai s. M i g u el , v o u s
m ’ai m er ez b i en q u an d m êm e ?
__ Co m m en t p o u r r ai s- j e, d i t - i l sér i eu x , ex i g e r
l a p er f ect i o n , q u an d j e su i s si l o i n d e l a p o sséd er ,
et le p l u * sag e d ev r ai t êt r e m o i , p u i sq u e su r m oi
v o u s d e v el vou » ap p u y er . M on am o u r , je v o u s
r et r o u v e t el l e q u e j e so u h ai t ai s v o i r m a f em m *
i q U an(| n o u s n o u s so m m es f i an eet S i j e m e r ap
p el l e l es m au v ai s j o u r s, cc ser a pot t r i n c j u g e r
av ec sév ér i t é, c ar j e l e m ér i t e. J ’au r ai s d û m e
m o n t r er p l u s p at i en t p u i sq u e j ’av ai s eu l a f ai b l esse
de céd er à v o s p r i èr es et d e v o u s l ai sser p a r t i r
s a ns m oi .
D an s u n b ai ser , i l ach ev a :
�igo
I , ’I N F A N T
A
L ’E S C A R B O U C L E
— T u n e m ’en v eu x p as d ’a v o i r ét é si m cch an t ?
A g n ès r ép o n d i t t r ès b as :
— O h ! M i g u e l ! j e... j e cr o i s b i en q u e j e t ’ai m e
en co r e p l u s p o u r l ’av o i r ét é, m ai n t en an t où j e su i s
sû r e d e n e p l u s t e p er d r e. M ai s — el l e p en ch a l a
t êt e v er s l u i av ec son i r r ési st i b l e so u r i r e — v o u s
n e p en ser ez p l u s à... à m a d éso b éi ssan ce... à m a
r o b e r o se et m on o i seau b l eu ? p l u s j am ai s, M i g u el ?
U n e ex p r essi o n d ’i n fi n i e t en d r esse b r i l l a d an s l es
p r u n el l es d u j eu n e h om m e. I l p r i t l a m ai n de sa
f em m e, en l ev a l e gan t , p u i s, f r ém i ssan t d ’ém o t i on
co n t en u e, il l u i g l i ssa au d o i gt l a b agu e san s ch a
t on q u ’ il av ai t r ef u sé d e l u i r en d r e.
A g n ès l e r eg ar d ai t , m u et t e d e j o i e. I l s’i n cl i n a
d av an t ag e, r ap p r o ch an t d e son ép au l e l e v i sag e
em p o u r p r é d e b o n h eu r , en m u r m u r an t d an s u n so u
r i r e p l ei n d ’ai n o u r :
I / o i sc A U
Il
b l eu
me
fait
n i ur i i e et
v eu t
q u e Je
le
su i v e . . .
ap p u y a ses l èv r es t en d r em en t , d ou cem en t su r
l ’an n eau d ’o r u n i , g ag e d e fi d él i t é.
San s p l u s p ar l er , ser r és l ’u n co n t r e l ’au t r e, i l s
d escen d i r en t v er s l es j ar d i n s.
F IN
t
�Le
prochain roman (n°
23
y) à paraître
dans la Collection “ ST E L L A ’’ :
Su r
1Honne ur
p ar
José M Y R E
D an s u n a n g le d u h al l , l e c omte d ’O r m o n t a l
d ép o u i l l e s on c o ur r ie r a p r è s l e p e t it d é je u n e r d u
m at i n p en d an t q ue l a c omte s s e et sa c o us ine E v a
f l c u i l l c t f en t en sem b l e d es sp éci m en s d e m en u s
q u ’el l es v i en n en t au ssi d e r ecev o i r .
— N o n , v r ai m e n t , d i t l a c o m t esse, j e l es t r o u v e
b i en o r d i n ai r es.
— A b so l u m en t , r ép o n d E v a , et si j e m ’ap p el ai s
Si l so n n , j e 11e si g n er ai s p as d e t el l es h o r r eu r s.
Regar d e- m o i ces t êt es d e ch at s, c ’est af f r eu x .
J ’ai en v i e d ’écr i r e ai l l eu r s. T e r ap p el l es- t u
l es r av i ssan t s o v al es au d er n i er d în er d e ch asse
d es E n g u e l ? J ’en v o u d r ai s d an s ces g en r es- l à...
A h ! En f i n ! s ’ex c l am e l e co m t e, v o i ci u n e
l e t t r e d e m on afn i d e K er v en ! I l m ’i n f o r m e q u ’i l
a t r o u v é u n e i n st i t u t r i c e r ép o n d an t ¡\ n o s d ési r s.
D ’a i l l e u r s, éco u t ez
Je t ’ai d éco u v er t I» p er l e d ési r ée et t o u j o u r s p r o
m i se l îl l e m ’est r eco m m an d ée | iur d e l>ons am i s <jui
l u t i en n en t eu x - m êm es d ’ u n b r av e cu r é d e l eu r co n
n ai ssan ce. Je n e p u i s m i eu x f ai r e, p o u r t e d o n n er d es
r en sei gn em en t s su r l a j eu u e p er so n n e, q u e d e j o i n d r e
A m a l et t r e cel l e d e M ""’ H au t o t .
V o i ci d o u e, m on ch er am i , ou se b or n e m o u r ôle
et j ’esp èr e q n e l a m od est e fl eu r d e I t r et agn e d on n er a
t o u t e sat i sf act i o n ù t on o p u l en t e N o r m an d i e.
�SU R I .'H O N N E U R
— Q u ’en p en sez - v o u s, M a r c el l e ?
— R i e n en c o r e... Q u e v o u l ez - v o u s, c ’e st t o u
j o u r s à l ’ a v e u g l e t t e q u ’i l f a u t p r en d r e ce g e n r e
d e p er so n n el . E t D i e u sa i t p o u r t a n t s ’i l e st f a
ci l e à m an i er !
— E t c ’e st j u st e m e n t , m a p a u v r e am i e, q u ’i l
v a f a l l o i r c h er c h er l e m o y en d e g a r d e r c el l e - c i ...
E n m o i n s d ’ u n an , n o u s en av o n s eu t r o i s et r i en
n ’e st p l u s m a u v a i s ( p i e cc s c h an g em en t s p o u r l es
e n f a n t s... 11 f au d r ai t b i en en m et t r e u n p eu d u
n ô t r e...
— A h ! p ar e x e m p l e ! est - c e à m o i d e p l i e r d e
v an t c es d em o i sel l es ?
— Ev i d em m en t n o n , m ai s, m et t o n s l es ch o ses
au p o i n t ... v o u s êt es assez d i f f i ci l e d an s l 'e n
sem b l e.
D u t o u t ... E n u m ér o n s, s ’ i l v o u s p l a î t , l es
d éf a u t s -,'t q u a l i t é s d e c es t r o i s ^ n u m ér o s p assés
et r r .s v e r r o n s... R ep r en ez - m o i si j ’e x a g è r e . I .a
p r em i èr e : d i x - l i u i t an s, u n e t i m i d i t é e x a sp é r a n t e ,
u n e g a u c h e r i e i r r é m é d i a b l e, j u sq u ’à l a i sse r t o m
b er u n j o u r so n v e r r e p l ei n su r n o t r e o n cl e d e C i r a i se ; au c u n e i n i t i a t i v e , en u n m o t u n e n u l l i t é ab
so l u e. P o u v a i s- j e l a i sse r Ja c q u e s so r t i r d an s P ar i s
av ec ce m o d èl e? 11 f a l l a i t q u ’u n e f em m e d e
c h am b r e l es a c c o m p ag n ât , v o u s v o y ez co m m e
c ’é t a i t p r a t i q u e ...
— Sa n s d o u t e... san s d o u t e... m ai s c et t e p au v r e
e n f an t ét ai t p a r a l y sé e d ev an t n o u s... N o u s au r i o n s
p u , p eu t - êt r e, e ssa y e r d e q u el q u es c o n sei l s d o n n és
JlltlH d o u c em en t ....
— M ai s, d i t es- m o i , H u b er t , al l o n s- n o u s êt r e
c h a r g é s m ai n t en an t d e f ai r e l eu r éd u c a t i o n ? N o u s
l e s p r en o n s p o u r f ai r e c el l e d e n o s e n f a n t s, n e
r e n v er so n s p as l es r f l l es. M ai n t en an t , l a sec o n d e?
A h ! p ar l o n s- c n au ssi ! U n e i n t r i g a n t e s ’ i l en f u t
q u i v o u l a i t m et t r e l ’em p r i se su r t o u t et t o u s et
se r en d r e i n d i sp en sab l e. D ’ a i l l e u r s, c ’e st e l l e ( p i i
s ’e st r e t i r é e, n e t r o u v an t p as i c i l e c h am p n éc es
sa i r e à ses am b i t i o n s.
— M a i s, m a p au v r e am i e, l a p er f ec t i o n n ’ex i st e
p as... N h u s au r o n s t o u j o u r s à so u f f r i r d ’u n t r a
v e r s q u el c o n q u e. M ai s v o y ez d o n c ch ez l es d e I l el t o i r , l es i n st i t u t r i c e s so n t l es am i es d e l eu r s
g r an d e s él èv e s, v o i l à ce q u i est en v i a b l e !
�ALBUMS de BRODERIE
et ¿ ’OUVRAGES de DAMES
- - - - - - - - ■■■■
Modèles en grandeur d’exécution
A L BU M
1^ 0
A m eu bl em en t , L a yet t e, Bl a n ch i ssa ge,
R ep a ssa g e. E x p lic a t io n s d e s d iffé r e n t s T r a v a u x
d e D a m e s . 10 0 pa ge s . F o r m a t 3 7 X 2 7 > j .
A L BU M
N ° 2 .
A l p h a b et s et m on ogr a m m es pour draps,
taies, serviettes, nappes, mouchoirs, etc. 10 8 pa ge s .
F o im a t 4 4 X 3 0 J h .
A L BU M
N" 3.
Br o d er i e a n gl a i se, p l u m é t i s , p a ssé,
r i ch el ieu et a p pl i ca t i o n su r t u l le, den t el le
en fi l et , e t c . 1 0 8 pa g e s . F o r m a t 4 4 X 3 0 , S i .
A LBU M
N " 4 .
A LBU M
N"5.
L es F a b l e s de L a
Fo n t a i n e en broderie
a n g l a i s e . 3 6 pa g e s . F o r m a i 3 7 X 2 7 / ' j .
L e Fi l et br odé. ( F i l e t s anciens, filets
modernes.) 3 0 0 m o d è le s . 7 6 p a g e s . F o r m a t
4 4 X3 0 1 / 1 .
A LBU M
N " 6 .
L e T r o u ssea u m o der n e : Linge de corps.
de table, de matson. 5 6 d o u b le s pa ge s . F o r m a t
37X 57
A LBU M
N° 7 .
ii.
Le
T r i cot et le Cr o ch et . 1 0 0 pa ge s .
2 3 0 m o d è le s v a r ié s p o u r B é b é s , F ille t t e s , Je u n e s
F ille s , G a r ç o n n e t s , D a m e s e t Me s s ie u r s . Dentelles
pour lingerie et ameublement.
A LBU M
N ° 8 .
A m eu b l em en t
d 'a m e u b le m e n t .
et
176
br oder i e.
m o d è le s
1 9 m o d è le s
d e b r o d e r ie s .
1 0 0 pa g e s . F o r m a t 3 7 X 2 7 >/î.
A LBU M
f
N° 9 .
A l b u m li t u r gi qu e. 4 2 m o d è le s d'aubes,
chasubles, nappes d'autel, pales, etc. 3 6 pa ge s .
Format 3 7 X 2 8 % .
A LBU M
N ° 1 0 .
V êt em en t s de l a i n e et d e soi e a u cr ochet et a u t r icot . 1 5 0 m o d è le s . 1 0 0 pa g e s .
F o r m a t 3 7 X 2 8 S i.
A LBU M
N " l l .
V
A
Cr och et
200
d ’a r t
m o d è le s .
84
pou r
pa ge s .
a m eu bl em en t .
Format
3 7 X2 8 'i.
Édit ions du “ Pr t it Ét Ho de la Mode , 1, rue Ga u n , PARIS
( S e r v i c e d es O u v r a g es d e D a m e s .)
! v<><> <><><> c
-
(XIV
).
<
j
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�[ La (collection “ ST E L L A ”
e st l a c o l l e c t i o n i ci c a l e «l es r o m a n i p o u r l a f a m i l l e
c i p o u r l e s j e u n e s f i l l es. E l l e est u n e g a r a n t i e î l e
1^ ,-
q u a l i t é m o r a l e et Je q u a l i t é l i t t é r a i r e .
J' . l l e p u b l i e
La
Je u x
v o l u m es cl i aq u c
C o l l ect i o n
c o n st i t u e
p u b l i cat i o n
Po u r la
r ecev o i r
ST E L L A
“
Jo n c
m o i s.
une
”
v ér i t ab l e
p ér i o d i q u e.
c l i c : v o u s, sa n s v o u s d é r a n g e r ,
A BO N N EZ -V O U S
S I X
Fr an ce. . .
M O I S
U N
France .
..
( n
18 f r an cs. — •
3o
A N
fr a n c s .
rom ans) :
E t r a n g e r ..
( 24
rom ans)
—
E t r a n g e r ..
3o
f r an cs.
5o
fr a n c s .
:
--------------
r
A d r e s s e : v o s d e m a n d e s , a c c o m p a g n é e s « l’ u n
(n i c liq u e
p o s t a l,
il M o n s i e u r l e D i r e c t e u r d u
t , r u e C . 0:
011.
m andat
¡m it e
n i m a n d a t- c a r tr ),
Pet i t
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1< {")•
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(
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I.*! g é r a n t : Jr nn L l o a h o . — lm p . (j a Mo n t a o u r ln . P a r i« 11*, — I l C. Sol no
!
�
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A name given to the resource
Collection Stella
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Description
An account of the resource
La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
Editions du "Petit Echo de la Mode"
Title
A name given to the resource
L'infant à l'escarboucle
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cys, Éric de (1889-1956)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1930]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
190 p.
18 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Collection Stella ; 236
Type
The nature or genre of the resource
text
Language
A language of the resource
fre
Rights
Information about rights held in and over the resource
Pas d’utilisation commerciale
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Bastaire_Stella_236_C92682_1110885
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Relation
A related resource
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/10/44846/BCU_Bastaire_Stella_236_C92682_1110885.jpg