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MAGDA CONTINO
· ,.
LE MONSIEUR
DES RUINES
�~"1',
LA COLLECTION "FAMA"
BIBLIOTHÈQUE RÈVÉE DE LA FEMME ET DE LA
JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEURS
11111'111111111111111111
Ch aque Jeudi, un volum e nouvea u, en Vente partoui :
2 francs
A bonne m ent d'un an:
F rance et Colonies . . . . . . . . . . . . . . . . ..
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TARIF DES
A B ONN E M E NTS
F rance et Colonies. . .
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35 fr.
PR I MES AUX ABONNÉES
Sociétéd'É ditionS, Publications et Industries Annexes
94, Rue d'A lésia, PAR IS (XIV ')
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LE MONSIEUR
DES RUINES
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MAGDA CONTINO
LE MONSIEUR
DES RUINES
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SOCIÉTÉ. D'ÉDITIONS
PUBLICATIONS ET INDUSTHIES ANN EXES
ANC' LA MODE NATIONALE
94, Rue d'Alésia, 94 -
PARIS (XIve)
��LE MONSIEUR
DES RUINES
CHAPI1'RE îPREMIEJ>.,
La vieille Catherine /posa la soupière fumante et
fleurant bon sur la table massive do la cuisine et,
sa ns façon, approchant son assiette, se servit la première. Lucie et JusLin tirèrent leurs chaises sur le
carrelage et s'attablèrenL à leur Lour pour le repas
du soir.
A la sal-le à manger les martres avaient fini le
leur el, dans le vestibule, retenLit soudain un rire
jeune.
.
- Elle est gaie, la /petite demoiselle, remarqua
JusLin, c'est-il parce qu'elle est avee son /promis f
)) ... marmotta CaLherine, est-il
c( Son promis
si sÜrque ça qu'il le soiL f
A quoi Lucie répondit judicieusement 1
- M'est avis que noLre demoiselle pourrait trouver bien mieux que ce grand nigaud de Pierre Tail~
lard 1...
- EL même qu'on s'étonne dans tout Caylus que
Madame ait choisi pour sa petite-fiUe un « prétendu )) qui n'est même /pas un « monsieur )), renchél'iL Justin .
�G
LE
MONSlEU1\
DES
RUINES
La vieille Catherine qui , d~puis
quarante ans vivait chez Mme Fontaubert, qui avait élevé sa fille et
sa peti te - fill e, ne put retenir un soupir :
- Ah 1. .. bien s1Îr qu'une fille comme elle mêrilerait mieux comme mari. Pierre est certainement
un brave et honnête garçon et son Ipère est le plus
gros propriétaire du pays. La Dorie-Haute est une
belle ferm e où Lout marche à la baguette. Antoine
l'aillard est un rude travailleur ct la Jeanne sa femme , une m aîtresse lemme. Pierre a été bien dressé ,
mais il es t resté, comme eux, un paysan. Et notre
Rochelle es t si fine 1 si demoiselle 1 Pauvre de nous 1
Quel mariage on lui prépare 1. ..
La bonne créature s'attendrissait, des larmes montaien t fi ses yeux. Elle les essuya d'un geste rageur,
du coin de son tablier bleu.
Sans avoir un cœur aussi sentimental, Lucie et
Justin qui travaillaient la propriété de Mme FonLaubert, s'é laient <-gaIement aLLachés à la jeune fille ; ils convinrent que cette union n'était pas assorlie.
- Madame ne peut pourtant pas vouloir le malheur ùe sa petite -fille, remarqua Lucie la bouche
pleine, IP ourquoi s 'obstine-t-elle à la pousser vers
ce garçon P
Justin sc versa un grand verre de vin comme pour
se donner le temps de la réflexion :
- On voit b~ e n que le Pierre Taillard ne plait
e mOl
~e lJe.
Et comment ,p ourrait-il lui
pas à mad
plaü:e P Il est ga ~ c he,
emprunté, il parle presque
aUSSl mal que mOl ...
- Et mademoiselle, au con Lraire, est distinguée,
mise avec goût. Voyons, Catherine vous qui aimez
Mademoiselle...
'
- Si j e l 'a une 1 Jésus 1 Ma petite Rochelle, c'est
,pour moi comme un ange du ciel... comme cette
image qui e~ t dan s l'église, à droile ... elle est aussi fraî che ct rose, il ne lui manque que les ailes ...
Lucie l'interrompit :
-Alors, vous qui êtes dans la maison depuis tant
d 'ann ées, pourquoi ne faites-vous pas comprendre
�LE
~o'i
mUR
DES
Uu\;\E
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:1
.\Iadame cc que lout le monde pense, dans le
pays ?
Catherine haussa le épaules :
- C'<,st ju tement parc' que je connais ladame
depuis pr\s d'un dellli- iècle que j ne dirai rien.
l.Il cœur excellent, oh 1 oui, mai une tête au i dll\'C que /lOS pierres
du Quercy. Quand elle croil
qu'une chose doit sc faire, elle la fait.
- Mème si elle a torl J
- Ah J voilà, c'e' t que, dan ceLLe histoire de
mariage, ~lme
Fonlaubert a quelque motif d'a,oir
rai'on.
Lucie 'l Justin cc èrenl de manger, la curio~lé
('emporta SUI' l'appétit et, aprè n,oil' con idéré Catherine av('c ~tOlemn,
ils deman~rl
simultanf:ment :
- 'fad ulllc U une rai on pour lui faire épou el' ce
d'mi-pay sa n?
ou!. ~1Yez
quelque cho~e,
Catherine ?
La vieille hais~
lu voix. pOm' r:pondre :
- C'est Ù l'uu'e de cc qui 'est puss6 autrefois ...
- Autl't'fois ? Quand ?
\v,1I11 flUC Hotre petile Rochelle soiL orph 'line, quand nous n 'élion.., pa~
enCOl" dan' cc domaine ùe la Bonllette, quand Mme Jeanne, la fille de
Madame ct son mnri, 1. Fag\s ,ivnienl n('ol' et
quand ...
La vicillc :,e tul hru~!)emlt,
stupéfaite d 'en
!l\'Oir tUlit <Jit. EH promena un l' gard embnrrlls' u r lt,~
\iuge .t,ide:; de e- auditeur cl conclut
d'UB 1011 bOllrru :
- l' lIL Cl' i Ile regarde person ne 1 C'est i loin 1
c'est 8i vi('II\' 1 C' ne ~ol
pas des hislore~
{Jour
de,.; jruTl'~
~lOirne
comme VOI\ .
Elle <oJ\tillua Ù bougonner entr ses dents el , ' n
alla vcrs la souillard' commencer ln vai clic du
soit,.
Lucie '1 ,Ju~lin
durent . , ré-igner à ne pa en ,uvoir davuntage. lis quilthenL la ui ine en échangeant des (,OUp'" d'il fur'lifs, garrllèrenL la fl'l'me
curi', allt"cl, après \l1ll! dernière ronde dan Je
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renl
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
cou<:her. Mais dans la rour, il s croisèrent
qui lo~t
à l'heure avaient défrayé la conversallOn. La Jeune fille
leur adressa un gentil bonsoir el s'éloigna avec son
compagnon.
- 11 a dîné ici, dit Lucie à mi-voix en se lPen<:hanl vers SO~l
mari. Madame le reçoit maintenant
ù sa lable.
- IProbable qu'ils sont lout de même fiancés 1
_ Dommage 1 soupira la femme en fermanl du
dehors les ronlrevents de leur chambre.
Elle eul encore avanl d'entrer un regard vers le
couple qui dis,paraissait dans l'ombre. La pensée de
ce mariage que dans son bon sens de fe.m.me du peuple elle jugeaiL ridicule, la poursuivit jusque dans
son sommeil.
Cepcnd~
L, Rochelle Fagè
~ el le fil s d'An toine
,!'a illard remonlaient maintenanl vers le jardin. Pierre avai L, en effet, pris le re,pas du soi r il la nO~lIe
le. Il élaiL venu, une heure avanL, apporLer une belde pouleLs que sa mère offrail à Mme Fon le ~)aiJ'e
Lauberl et eelle-·ci, en bonne voi sine, avait retenu
le jeune homme à ·dîner.
- Aocompagne donc Pierre jusqu 'à la g rille du
jardin, avail-ellc dit à sa petite-fille sitôt la demie
de huit heures sonnée.
Docile, Rochelle avait obéi. Une dou ce journée de
juin s'achevait.Dans l 'allée cenlrale qllebordaientde
c haque côlé des rosiers du Bengale, un cooktail de
parfums nottait. Il s'y mêlaiL l'odeur toute proche
des foin s coupés et celle, plus entêtante, d'œillels
sauvages.
La jeune fille el le jeune homme m archaienl
len lem en l cl le gravier fin crissail sous leurs chaussures. Ils ne !parlaient pas.
Cc Lête-à-têle que 'Mme Fontaubert s'é tait plu il
susciler, d6plaisait à Rochelle. SurLout, elle en sentail le danger. ,P ierre n'allait-il pas en profiter !pOUf
parler de ses rêves, de ses projets eL, qui sail, de
.mariage P A la pensée que des paroles décisives al)aieD l !peul-être êlre prononcées el que ce gra nd garSC
ml couple, Roc·h elle el Pierre , Ce~x
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MONSIEUR
DES
RUINES
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{'on timide ct, en gén<Sral, embarrassé quand il s'agis ait d'éloquence, pourrait ce soir à la faveur de
cetle nuit, de ce jardin trop beau et de ces 1'0 es
lr~p
chargées d'al'omes, lui ouvrir son cœur et lui
parler d'amour, Hochelle s'affolait. Alors, pour qu'il
se tût, elle se mil à bavarder de loul et de rien,
une de ces conversations, où l'on prononce un fatras de mols qui « garnissent ». De temps à autre,
le fils l'aillard lui donnait la réplique. Il n'était pas
bêle, mais sa timidité naturelle décuplée par la présence de Rochelle, le faisait hésiter sur les mots,
cherdlCr ses plu'ases, es ayer de les rendre tout au
moins correctes el il n'arrivait qu'à les accentuer
dans le mauvais sens. Agacée, la jeune fille 'l ui cou\pait la parole au milieu d'une phrase qu'il avait
eu tant de mal à élaborer. EJle pensa que, puisqu'ils
avaient encore quelques eent mètres à faire, il valait mieux parler de ses parents ou de propriété :
- Si vous saviez .comme j'aime ce domaine de la
Bonnette 1 à croire que je n'en pourrai jamais parlir 1
- Vous n 'y êtes pas née, pourtant. ..
- Non. Quand maman s'est mariée, elle habiLait avec grand'mère un ~hfiteau
proche de MonLauban, du côté d'Albias.
- Sur la route de Paris. C'est toul près de Réalville où mon père était fermier avant de venir à
]a Borie-Haute ... J'avais dix ans, à ce moment-là.
- Oh 1 je me souviens. Autrefois vos parents
cultivaient c( Les Granges » qui llJPpartenaient à une
vieille cousine de grand'mère, 1\111e Maréchal, el
quand votre père venail au château apporter de sa
'part quelque belle poule ou une paire de ,pigeons,
Il vous amenai l el nous jouions ensemble dans
le parc.
Pierre jeLa avec humili lé :
- Je n'étais qu'un pelit paysan bien fier d'être
traité en camarade Ipar une petite fille comme vous 1
-:- Eh bien 1 répliqua Roehclle avec une mélanrohe légèrcmenL u'onique, le fils du fermier cst devenu un des plus riches garçons de la contr~e
et la
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LE
MONSIEUR
DES
RUI NES
petite châtelaine n'es t plus qu'une fille ruinée.
II protes ta avec sincériL6, mais avec sa maladresse habituelle :
- Qu 'importe 'la fortune quand on est jolie com me vous 1
De nou veau, elle redouta l'aveu et très vile sc
remit il. parler :
- Ce lle pauvre Mlle Maréchal... elle est m orte très br usquem ent, ()araîl-il. .. Et après , ce fut pou~
nous une sé l'Îe de m alheurs ... Mam an c t papa, en ~l
peu de temiPs ... Grand'mèr e vendit le château et
nous sommes venues ici. .. bien seules ...
Ell e eut soud ain un visage si attristé que le cœur
du garçon sc serra. Il l'aim ait slllcèrement et il eCl t
voulu la con soler, ] ui dire des choses... Quell es
choses 9 et av ec quels mots ? Comm e toujours, il
hésita ct final ement n' eut aux lèvres que des banalités :
- La vic vous doit une revanc he. Un jour, VOlI S
serez hC1lrcuse, .Rochell e.
Elle, seco ua la tête avec l'in créduliL6 d'e ses vingt
ans :
- Hcureuse ... Je n 'cn crois rien. Et puis j c n 'a urai plus j amais ma m aman. Son ouvenir m e poursuit . J e la revois sur son lit si bl an che e t si froid e
qu e j 'a i crié en effleurant sa main Et qu and on
es t revenus du cim etièr e où nou s avions laissé ma m an.. qu an d mon Ipère rœ li sa qu 'é ternellem ent il
serall pri vé d 'ell e il devint comm e fou. Et il partit.
- Je sa is, dit Pien e' Ipens ivem ent.
- 11 pa rti t loin... si loin vers un e terre myst<!rieuse ... Gra.nd'm èr e m 'a dit qu'il es t mort cn exil,
t o u~
selll ct, sans. dout c, déscspéré ...
T ~ l e sc tut brusquem en L. Sa tête Llond e sc eourh ait ve rs !'lJCrhe de la pelouse ct iPi en e ne voyait
d 'ell e q ue la nuque bl an che, les cheveux dorés et
1a fi nesse du profil .
- RoehQlle, dit-il avec douce ur, ne remuez pas
ces so uyellÎrs, il s vous font mal. N'êtes-vous pas
heurruse, ici ~ Le château d'Albi as était plus beau,
�LE
MONSIEUR DES
RUINES
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c'est vrai, mais vous venez de me dire que vous
aimiez tant la Bonnelle.
- J'ai tort de me !plaindre. ,Et les regrels sont
inutiles. ,Maman et mon père se sont rejoints chez
le Bon Dieu, c'est sans doute mieux ainsi, puisque
cela est. Et moi, j'ai grand'mère ... la vieille Catherine ...
- Et vous nous avez aussi, s'empressa le jeune
homme, vous savez que les l'l!illard vous sonl tout
dévoués.
11 ajouta avec un sourire :
- Je suis toujours )e petit garçon de jadis que
vous tyrannisiez un peu et qui, enchanté de vos
fan tai ies, vous eù l servie ~l genoux. Rochelle ...
Il répé.ta deux fois : Rochelle... et sur ses lèvres
elle vil trembler l'aveu, mais elle le regarda et,
devanl ses yeux bleus, une fois encore, il recula.
- Pourquoi vous a-t-on donné cc nom ~ demanda-t-il cherchant à dominer son trouble.
- Le plus simplement du monde : je suis née
10 jour de St-Roch. El je reco.nnais que l'idée ne
fut pa s excellente ear je lrouve cc prénom affreux.
De nouveau, Piene s'anima :
- Rien de cc qui vous touche ne peul-êlre laid!.
n lrouva sa phrase lrès bien tournée, mais Rochelle sc mellaÏl ù rire :
- C'est enlendu, je suis une petite merveille 1
EL pourtant, j'ai un très mauvais caractère... un
peu {'elui de grand 'mère.
- Non, Rochelle, je ne vous crois pas car je
vous connais depuis trop longtemps. Vous êtes charmante au contraire pour ceux que vous aimez.
- Ah 1 voilà, pour ceux que j'aime 1 el ils ne
sont !pas cles ma ses 1
Un peu ému, senlant le moment décisif arriver,
Pierre tenla d'énumérer :
- 'fme Fontauberl... Catherine... et moi, Rochelle. N'avez-vous pa un peu ù 'amitié pOli\" moi?
Elle ccssa de marcher. Sous le clair de June, elle
("vn~jcl';ra
Rnns ind~I'
. t!rnce
ce g:arLd garçon simple
et ru tiqlle dont sa grand'mère - elle ne ~avit
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LE
MONSIEUR
DES
RUl1\ES
trop pourquoi - désirait faire son époux: . Elle "it
un visage aux traits indécis, aux yeux quelconques
sous une abondande chevelure châtain, une silhouette déjà é;paisse el lourde en dépit de ses ,:ingt-c~9
ans ct une fois de plus elle dut reGonuallre qu Il
110 lui' plaisait pas du toul. Mais il était un camarade d'enfance, la personnification de la fidélité et
du dévouement ct elle ressentait pour lui une arIeeLion vraiment Iraternelle, elle r~ondil
donc avec
un gentil -sourire :
- Mais certainement, mon vieux Pierre, je vous
aime beaucoup.
Il Mait trQP simple pour savoir la différence entre : je vous aime ct je vous aime beaucoup . Ce
qualificatif détruit le verbe. Incapable d'analyser le
cœur des autres et les nuances de ·-langage, Pierre
rraillard retint la phrase, !pour lui s i tendre, de Rochelle. Du moment qu'elle uvait dit : « Je vous
aime beaucoup )J, ingénument, il fut heureux.
-La grille était attein te. Ils sc séparèren t sur une
cordiale poignée de mains. Le jeune homme remonta vers la Borie-Haute, du côté de Caylu ct Hochelle Fagès, len tement, revin t vers la maison.
Le faiL que sa grand 'mère avait retenu à dîn er
le fil s du fermier Taillard prouvait assez qu'elle s'entêtait dans ce projet de ma riage. Celle certitude désolai t la jeune fille. Sans doute elle n'aimait personne, aucun visage ne peuplnit sa jeune imaginalion, elle n'était nullement romanesque et n'espérait pas .)a venue du Prince Charmant. Mais elle
souffrait par avance des heurts qui sc Ip roduiraient
fatalement entre elle ct (pierre. -L eur çducation était
tellement différente 1 Issue d'une vieille famille de
Ja bourgeoisie, on l'avait élevée dans une pension
de MMlauban. Pierre n'avait fréquenté que l'école
primaire ct encore son in stru ction s'élait-elle arrt:léc à la veille du certificat d'éludes, un e de ces inévitables maladies de J'enfance l'ayant empêché de
pa sser l'examen. El so n père avait ensuite déclaré
qu'il était utile ù la ferme. JI avait 11ne intelligence
moyenne mais ne s'en servait même pas ]lour aug-
�LE
MONSIEUR
DE S
RUINES
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menter sa oClllture. Evidemment, on ne pouvait lui
refuser de sérieuses qualiLés : l' amo ur du trava il ,
une n ature droite c l saine, un cœur gé.néreux . Une
femme pouvait être heureuse avec lui. Pourtant à
la pensée du : oui qu'il fandr ait bien finir pal' prononcer, R.ochelle se rembrunit. Ses -yeux envelop,pèrçnt d'un regard désespéré le beau j ardin en Heul',
la chère ct si douillette maison : « Nous n e somm es
pas riches, di a it grand 'mère Fon Laubert, si Lu Il 'épou cs pas Pierre, il faudra vendre Lout cela, aussi 1 »
Vendre 1 COlllme j adis on avait vend a le chtlteau
d'Alb ias. Encore une fois parlir. T'rouver un plu
modeste asile, un foyer un Ip eu IPhl S pauvre... et
recommenccr à s'acclim ater ...
NO ll 1 Rochelle sentait qu'elle ne pourrait pa,
quiller la Bonnetle 1 Le cœur sel'fé, ell e se plant a
dcyant la maison . 1.0' deux é tages de briques roses comme on en voit surtou t ùans la région lang uedocienne, s'ornaient côté j ardin d' un étroit balcon aux balu tres enchevêLrés de rosiers grimp ants,
de chèvrefeuille ct de jasmin. Sur ce balcon 0 11vrai l la chambre de Rochelle ,c on t iguë à cell e de
g ralld'm ère. Deux autres .chambres a ux extr,rmités
Ile S'Ollvraient guère que pour des invités problématiques, Une lumière brillait all fez-de-chaussée, dan s
la salle à manger, Ca therin e ran geait la vaisselle.
Une autre venait de s'all umer 1\ la fenêtre suivante:
Mme Fontu t/ bert passait d ans cc qu'elle appelait
pompeusement on « cab in et de travail n. L'autre
cô té du vestibule é tait ombre, c'était la cuisin e que
Catherine, tOlljOUfS soueiell 'e cie faire des économies
avail « é teillte » selon son ex,pres, ion , avant de
lPa.ssel' dan s la sa lle à man ger. Dan s lu g rand e chemm ée l'll stiqll e on y fai sait l 'hiver de bon feux de
sa rm en ts l'a ma s 'és dan s les vignes cl Hoch ell e rêvait en l'rgal'dan l les fl a mm es pendant que la chère
Cather in e radotait un peu.
Quiller toul ça 1
Autour de la maiso n une petite propriété s'-é tendait. De faihle im portan ce , Lucie et son mari suffisa ient il la c ultiver , On y faisait un peu d e blé, uu
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LE
MONSIEUR DES
RUINES
peu de fourrage, des planles sarclées. Dans le jardin potalYer
à O'auche de la maison, il y avait une
o
treille de beaux'" chassela s de J\foissac et quelques arbres fruitiers.
C'est complètement idiot de pleurer sur une treille et sur quelques arbres 1 Rochelle avait cependan t
envie de Ip leurer.
,Comme la porte du 'v estibule s'ouvrait, elle se
tourna vivement vers le jardin et !lJ>erçut sous la
lune, la route blanche qui menait à 'Caylus. Elle
s 'y rendait à pied chaque jour pour les pelites provisions, parfois à bic,yclelte sous les p latanes qu'elle
saluait au !passage comme des amis. POUl' des achnts
plus importants, elle prenait l'autobus et gagnait
Montauban à 50 kilomètres ct là, Rochelle trouvait
ce qu'elle affectionnnit le plus : de la musique et des
livres. Des staliôliciens très éminents ont prouvé que
Montauban est 'l a ville
toute Iproportion gardée - où on lit le plus.
Comme des pas faisaient crisser le gravier, Rochelle essaya de prendre un visage plus serein.
- Où dono est ma petiote P cria la vieille Catherine. Tu n'as donc pas ,peur que le loup te maJlge il Rentre vile, mon pelit agneau 1
Hochelle, sans parler, suivit la servante à la cuisine. Catherine éteigni t le feu, recouvrit avec précautions les tisons encore chauds avoo de la cendre.
La jeune fille pénétra sous l'auvent de la haute
cheminée et s'assit sur Je petit escabeau de bois
qui avait élé, enfanl, son siège de pr6dileclion. Elle
s'accouda aux ohenêls, de larges chenêts terminés
[laI' un plateau sur lequel, l'hiver, les métayers posaient leur assiette de soupe. Que de fois Rochelle
e~l-mê
y avait mis pour le petit déjeuner du matm son bol de choco1at fumant 1
--:- 'l'u n'as Ipas l'air hi n réjouie, remarqua Cutherme, qui, ayant fini de balayer l'âtre et de ranger !pelle et balai, s'assit sans façon auprès de la
jeune fille.
- Pourquoi grand 'mère veut-elle à tout ~)rix
me
�LE
MONSIEUR DES
RUI NES
15
marier il Je suis si bien entre vou s deux
Quelle
nécess ité d 'y joindre ce grand nigaud de Pierre 1
fi t'aime, le pauvre garçon 1
- Mais moi, je ne l 'aime pas 1
- Dah 1 ma pitchounette, assura Catherine d'une
voix tranq uille, tu l'aim eras plus ta-r d.
Crois-lu il
- Bien sûr. Quand il sera ton mari.
- Mon mari murmura Rochelle, les yeux clos,
mon mari ... Je ne l 'a vais pas rêvé <:omme ça ... ![las
comm e IP ierre ...
El -comme qui, alors il
- .le ne sa is pas, je ne connai s aucun JlOmm(,
]Jo ur fairc un e comparaison, je ne con nais que Pier re. Ici, lIOU S n e recevons personne.
Et qui veux-tu qui v ien ne te déni (' her ici,
mon oi ca Il il P éeai re 1 Si tll refuscs le fil s '[ 'a iilard,
u se ur.
tu n'aura jamais d 'a utre é~Jo
- Pourquoi il
Cat herine nc r-tpo ndil pa~
cl Hoclll' iiG sc prit rt
la considérer. Elle lui trouva l'!ür embarrassé et
trag ique en mêm e temps. Qu'es l- ce que ccla voulait
dire P Elle eut peur so ud ain comme si un malheur
"ellait d 'cntrer. Elle cria presque pOUl' répé ter sa
question :
Jamai, Catherine, pourquoi il ...
- Ah ! voilà, dema nde- le ù ta grand 'm ère .
- J'y vai s, Ilt Rochell e brusquemen t.
Et elle sc dirigea vers le cab in el de MlIl c Fon lau1crl qu'elle trouva enfoui e dan un vieux fauteuil,
rédtant son chapelet. Ro('h ell e sa vait pour avoi-r été
main tes foi s punie quand elle étai t enfant, qu 'il
l!e fallait jamais d éranger grand'mère quand elle
etait plongée dan s ses prières quotid ien nc ~.
Cela
CI: la sérénité qui r égnait dan s la Ipi èce ca lm a imméd1alemen t la jeune fille.
.J 'Mois énervée, se dit-ell e, ct Catherine qui
ne peut so uffril' l'id ée de ('c m ariu ge , bien qu 'elle
c saye de me faire croil'c le ('on traire, aura trouvé
(':e moycu pOUl' que grand'mère ct moi nOl
~ agillon s encore ce llc ques tion ~Jénible.
�16
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
Rochelle s'assit sagemeQ t à l'autre bout de la pièce, mais incapable de s'accrocher à upe autre pensée elle sc dU que si elle n'épousait pas Pierre tous
ces chers vie ux meubles qui l'entouraient et que
grand 'mèl'e chérissait comme des amis seraient jelés en Ip âture aux antiquaires. Ils faisaient, semblait-il, un cadre à Mme Fonlaubert. En dépit des
revenus modestes, grand'mère av ai t une façon un
peu désuète, cerles, mais infinimenl dis lin guée de
s'habiller.
- Les l'es les d'autrefois, disait-elle.
Rochelle posa un regard ému et navro sur la
chère tète blanche recouverte d'une mantille de
dentelle noire el qui lui donnait l'air de n'être pas
de cc siècle.
A ce moment, /Mme Fontaube!'t ayanl termin6 ]e
rosaire, J'emit posémen t le clHIŒle]et de buis dans
son étui de cui!' ct, d'une voix douce, eUe appela
sa petit e-fille :
-- Vien s près de moi, nous avons à canser toutes
deux.
Roch elle savait bien de qui et de quoi il allait
être question. Elle obéit cependant ct s'a~il
sur .l m
tabouret. pl'i.~
de sa grand 'mère.
Voyons, raconte-moi un !peu ce que t'a dit PiCl're ...
- JI ne m'a rien dit.
- Comment 1 rien dil P IMais VOIlS êtes restés
plus d'un quart d'heure ail jarùin
- Il n e m'a rien dit qui vaille la peine d'être
conté. Et d'ailleurs c'est moi qui ai parlé.
- De quoi ~
- De mon enfance, du ch:1teau d'Albias, de nos
malheurs, de la mort de maman ct de celle de mon
père ...
- Ah 1 ct C[n'a-t-il dit il
- Que vouliez-vous qu 'il dise il ...
~me
Fontaubert s'impatienta :
Que cc garçon est donc timide 1 Je me demande s'il osel'a jamais l'avouer son amour ?
- Oh 1 rien ne presse.
�LE
-
MONSlEUn
DES
RUINES
J7
Mais si , peLiLe, ça presse au contraire.
De me marier ? Mais nous ne sommes tout
de même pas à la mendicité 1
- Tu o ublies que je suis vieille, que je puis di ,p araître. Ce lle pensée m 'é,pouvan le, ma petite enfan t. J 'ai peU!' de la morI parce que j e te laisserai
se ule. Je ne m'cn irai. rassurée que si j e Le sa is
unie à un brave gar çon qui saura te protéger. 1'u
me compren ds, Hochelle ?
- Si vous y te.nez absolument, je veux bien me
marier, mais pourquoi avec Pierre P
11 ne te plaît vraimen t pas P
La j eune fill e soupira :
- Qu'y puis-je il
- La vie n 'es t pas un roman , ma pauvre petite.
l 'u n 'as pas de situation, pas de dot, tu devrais
t'es timer heureuse d'être choisie par un garçon tel
que le fils TaiUard qui a une des Ip lus belles propriétés du Ipays, des titres de rentes et, assurément,
un gro bas de lain e. Ne t'im agine pas qu'un IPrince Charmant va venir te faire la co ur.
Hochell e so!-,pira :
- Je n'c.n demande pas tant 1 M~is
un j.eune
homme ~lev6
comm e moi, ayant les memes go uts ...
et-cc dOliC impo sibl e à Lrouver il
L 'aïeu le répondit sè-che ment :
- 'l'bllt à fait im poss ible ...
Mais ell e ajou ta pour allénuer sa phrase :
.. . à nolre étpoque mat.érialisle.
Rochell e n 'in sista pas, mai s une tell e pei.ne go n·
Ua Son cœur que des larmes lui vinrent aux yeux.
Elle se leva , s'approc ha de la porte-fenêtre et, soulevant le rideau de dentelle , colla son front brCJlan t
à la vitre . La nuit enveloppait la camlPagne, fermait les corolles et mouillait de rosée l'herbe fin e
des pelouses . Au loin, on apercevait, Ip ar delà les
grilles du jardin comme un Jong ruban blanc déroulé enLre les hauts pl atanes, la route qui montaiL
vers Caylus.
ur ceLLe l'OU te personne Ile viendrait donc jamais il
�18
LE MONSIEUR DES
RUINE S
CIIAPlT'RE II
MalO'ré ses !présomptions et son chagrin, Rochelle dor~it
d'un sommeil tranquill e. La jeunesse a
l'heureux privilège de !l'iom,pl:el' de, to~ s .I es soucis.
Au malin , elle se réveIlla plem e d optImIsme e t se
dit simplement :
- .l'espère que Pierre ne viendra (las aujourd'hui
et que grand'mère me lai ssera un peu en ,paix après
le nouvel assaut d'hiee ...
Elle fil sa toileUe el s'habi ll a en chan 1ant.
- Ca:thcl'ine, dit-clle, pas ant d evant la CUlsm e,
donne-moi tes commissions, je vais ;l Caylus.
- A bicyclette j\
- l'ion, il pied. 11 fait s i beau 1 J'ai eily ie de
marcher.
- Alors, puisqu'il n'y a pas à redolller que tu le
jeUes par terro, porle-moi une douzaine d'œufs.
:Et n'oublie ,pa de passer chez le boucher pOUl' la
commande de madame P... Un rôti {je veau qu'elle
veut pOUl' dimanche, bien soign é, bien Jardé, qu'elle
a dit. 1i\1'est avis que nou s aurons de nouveau Lon
« galant » à dîner.
En('oJ'e ! ne put s'empêcher de s'ex:elamer
Rochelle, avec mauvaise hunleur. Mais ret accès de
colère fut de eOIlI·te durée. JJ ne tint pas devant ]a
rad.ieuse I1lRtinée de printemps , l' éclat des fl eurs
chamlpêtres, loule celle bcaut6 neuve ct comme souriante de la nature.
Allègrement, foulant avec déli ces l'herbe des lalu s, so n panier au bra s, Hochelle reprit sa chanson.
Elle eut lestement parcouru la cour te di s'lancl:
qui sépare le domaine de la Bonne tte de Cay lus cl,
dès qu'elle cuL dépassé le château oppartenant aux
dcsoenda.nts du maréchal Bessières e t qui se dresse
orgueill e.usement SUl' la crêle d'une colline, elle com-
�LE MONSIEUR DES RUINBS
19
mença à longer les !premières maisons du bourg.
Elle fit rapidement les Ip etits achats destinés au ménage et, e.p. fille pieuse, elle s'a·c corda une halte fi
l'église. Là, elle formula une prière spéciale: « Bonne Vierge Marie, faites que jc n'épouse pas Pierre Il'
Ce n'était !peut-être Ipas très li Lnrgi que mais elle
sortit rassérénée, ayant conscim;ce que le Ciel ne
pouvait rester sourd à son appel et, l'âme plus légère, elle redescendit vers la Bon~tle.
Tout en marchant, elle arrangeait dans sa tête
son avenir : Pierre disparaissait. Ü'h 1 il ne lui arrivait rien de fâcheux, non, uniquemenL, il s'écartait de sa route, soit qu'upe femme lui plût mieux
que Rochelle, soit qu'il se découvrît tout d'un coup
une irrésistible vocation religieuse et entrait au cloitre 1 Disparu l'obstacle, la roule était libre ! Libre
pour un autre, pour l'Inconnu myst.éricux ...
Arrivée il ce point de son rêve, Rochelle y fut
hrusquement arrachée par le bruit d'un moteur qui
ronronnaiL non loin d'elfe. En effet venant en sens
invcrse et pilotée par un jeune homme cheveux aux
venls et chantant à pleine voix, une voiture s'avançait ù vive allure et la jeune fille, effrayée par ce
bolide, se rangea prudemment 5ur le bord: de la
route. Mais elle ne put s'empêcher de sourire tant
l'automobiliste inconnu meLlait d'ardeur dans son
eha'nt. Son sourire se chan.gea soudain en un cri de
détresse :
D'un chemin creux, bordé de buis ons épais qui
le dissimulait il la vue, un homme venait de surgir,
'Un homme appuyé sur u.p bâton, presque un vieillard ct modestement vêtu.
S'il s'était immobilisé au sortir du chemin, il ne
risquait rien, mais il fit deux pas précipitamment et
s:arrêta, cloué sur place, peut-être par une peur instlOctive au bruit formidable de la voiture.
Le jeune homme qui conduisait avait rapidement
réalisé le danger. D'un brusque coup de volant, il
lenta d'éviter le promeneur, n 'y !parvint pas tout ft
fait. L'inconnu ful accroché et roula lourdement
dans le fossé.
�LE
MO;'lSIEUn
DES
RUI NES
é ~o
s :imo~l
sa
quelques mèLa puissante torp
tres pl us loin ct celUI qUI venalL de causer ce t acde la victime. Il s'aciden t se précipita au se~ ours
genouilla dans la pous.slère en même teIIllPs que
Rochelle, r egardant anXIeusement le blessé.
- Cc doU être le Monsieur des Ruines, dit la
jeune fill e, on m'a dit que celle vieille maiso n démolie qu e vous voyez tout au bout de ce petit chemin, éta it habitée depuis quelque tem,ps par un
homme in connu. Il venait de ce lte direction, c 'est
certain emen t lui.
- En ce cas , rétorqua l' automobiliste sc r elevan t
après avoir écou Lé le ('œur du blessé, nous ne pouyons mieux faire que ùe le rapporler dans son logis.
- Oui, mais {'omment P 11 est évanoui ct vo tre
voHme ne passera pas dan cc minu sc ule chem in il
- Une voilure n'est rpas n écessa ire, vou allez
yoir ...
Il sc pencha, souleva san s effort apparen t le vieillard loujollrs inerte ct, chargé ùe so n fardeau , suivit RoellCHe qui sc dirigeait vers le ruines.
C'était un e an cienn e ferme qu'un ineenùie il\aiL
presque co mpl èlpm ent détruite. Se ul, r esla it debont
ct li peu près ll abitable, un appentis (pli ser va it audomeslicllIes. C'est là que le
trefoi s de logement au~
vieillard :lVaiL in staH6 sa demeHre. Les al en tour
~
n'é lai ni g U('re engageant'. La mai so n avait é té biîlie dan s li Ile {'ombe ct de qu el qu e côté qu e sc porlen t
les rega rds, il s ~e hrllrtai ent ü des rochers . Ccl aspect sa uvage s'au gmentait du fait <J11C 1'in cendi e
avait noirci jllsqu'aux IpiclTes du so l, calciné le ~
muraill es nco re debolll , dévoré les arbres.
Cc qui sub islail dc la vieille bâli sc sc elre sR il
dans le hleu du ciel <:omme lJn défi ou IIne mal édiction. Ces ruin es emlJlaicnt porler une so rte de
mys tère tragique ct pour oser y vivre, il fallait avoir
l'dme fortement trem.pée.
L'automobiliste, toujours portan t l'inconnu, mal chait avec précaution dans le chem in éLL'oil el Rochelle qui Je précédai t, écartait cl 'une main le ronces cL les branches ~ pin
e l cs q lIi aUi'aient pu égrati-
�L~
MONSIEUR
DES
RUINES
21
gner le visage du blessé. Elle se retournait souven t
pour celle délicate opération, et semblait encourager le jeune homme d'un sourire. Il était un peu
courb6 par le poids de son fardeau et il penchait
lm visage bruni au regard inquiet vers « son »
blessé.
Parvenue devant le seuil du logis, Rochelle ouvrit la porte découvrant d'un couip le modeste inLérieur. Une table, d'eux chaises, un lit de fer sur
lequel le vieillard .fut étendu. La jeune fille avisa
une IpetiLe cruche pleine d'eau et baigna le front
du blessé 'puis, en furetant dans la pièce, elle découvrit au fond cl 'une bouLeille, quelques gouttes
de vinaigre. Rochelle en versa sur son mouchoir,
mouilla les tempes de J'accidenté ct lui en fit respirer, elle eut alors la satisfaotion de lui voir reprondre ses sens.
II n'avait rien d'atteint, aucune .grave blessure,
seule, la main droite était assez profondément écorchée. Mais la commotion avait été forte, de là son
évanouissement prolongé.
Le monsieur des Ruines, les yeux grands ouverts,
considéra quelques secondes, les cleux visages anxieux penchés vers Jui, son regard s'attarda sur
Rochelle qui lui dit avec un charmant sourire :
- Cc ne era rien, monsieur, nous en serons
Lou quilles pour la peur. Donnez-moi votre main :
je vais vous faire un pansement de fortune. Cc soir,
je reviendrai avec de la toile eL de l'iode. e craignez rien je ne vous ferai aucun mal...
Elle déchira son peLit mouchoir de batisLe, y versa dessus le resle du vinaigre cL l'appliqua sur la
main rougie de sang. Quand elle cuL atla.ché les
deux extrémités avec une 6pingle double, le vieillard lui dit: « .Merci» d'un lon si attendri qu'elle
remarqua alors son visage tourmenté et creusé de
sillons. 11 se souleva sur un coude comme pour
mieux la voir.
Nous sommes presque voi in s, expliqua-t-elle
avec sa bonne grâce cou lumière, j 'habit..c un peu
.-,
�LE • MOr;SIEUR
DES
RUINES
plus loin la propriété. de la Bonnette que vous conuaissez penL-être ?..
'
Il eut un geste vague.
- Vous n'avez pas rcmarqué il reprit Rochelle.
Il y a peu de temps que vous êtes id il
Une quinzaine, .. Autrefois, j'avais un châLeau. "
Elle senLit qu'il souffrait, elle devina sous la tristesse de l'accent une de ces blessures profondes que
rien ne cicatrise ct l'instinct de charité qui otait en
elle lui fit détourner la conversation. Elle s'adressa
au jeune homme debout près du lit et muet :
Vous alliez à Caylus, monsieur .y
- Oui. Je suis consterné de cet accident...
- J'en suis uniquement responsable, protesta le
vieillard. J'ai entendu et vu votre voiture". je ne
sais ~)ourqi
j'ai voulu Lraverser 1 Bêtement je me
suis jeLé c!ans vos roues. N'en parlons plus puisq11e
je n'ai qu'une simple égratignure.
- Je commence trè,s ma} mes vacances, car je
suis ici {'n vacances, j'aoore ces coins pittoresques.
Et le jeune homme ajouta, sc présentant avec
beaucoup de correction :
Hervé Duplessis, artiste peintre.
Ah ! soupira Hochelle, comme ce doit être
agréahle ùe reproduire la nature, la beauté."
Jl sourit :
- Je ne suis heureux que devant une toile, le
pinceau à La main. Il m'arrive aussi de me désespérer quand 10 pays est trop beau eL mon œuvre
forcément im,parfaite. Alors, je pars ... Pour le moment, je vais m'installer à Caylus, le T'arn-et-Garonne pos ède des sites si sauvages qu'on se croirail rejeté hors du monde 1." j'ai une seconde raison pour rester à Caylus : Si vous le permettez,
monsieur , je veillerai sur votre sanLé, puisque je
l'ai compl'01i
~ e.
Je resLerai dans Je pays jusqu'ù
cc que j'aie la certitude de votre complet réLablissement el je vous ferai ~halue
jour de petites visites si, du moins, je ne suis pas importun P
�J"E
MONSIEUR
DES
RUINES
23
Le vieillard répondit avec un élan qui cadrait
mal ave<: son caractère renfermé :
- Je serai très heureux de vous voir et je vous
remercie. Votre présence me fera trouver ma solitude moins amère. Je suis tenté de bénir ce ridicule aocident puisqu'il m'aura donné ]e plaisir de
vous ' ·c onnaître et d'apprécier ma si charman le infirmière.
Hochelle répliqua ave<: amabilité :
- Pour le moment, si vous le voulez bien, votre
infirmière va s'occuper de votre repas. Midi n'est
pas loin, vous devez avoir faim et, avec votre main
malade ... Indiquez-moi, monsieur, où sont vo pro
visions, je v.ais les placer sur la LabIe et je reviendrai pour lout ranger ...
Il n'avniL pas un beau fesLin, le pauvre 'vieux 1
Du pain , une hoiLe de sardines, quelques fruit et
la cruche !pleine J'eau . .Roehelle disposa J' humble
COllvert aidée pal' l'automobiliste qui voulait se rendre ulile, elle nvança une des ~haise
vers ln table
le blessé, promit :
et, après y avoir 'fail as~eojr
- Si par ca ~ grand'mère me défendait de sortir
Ce soir, je reviendrai sûrement demain malin. A
présent, il faut que je regagne la Bonnette, je suis
tel'l'iblement en retard et vais me faire gronder.
- A eause de moi 1 nt l'inconnu avec émotion.
Elle rétorqua 'i nsouciante :
Qllond grand'mère saura la raison de mon retard, elle ne se fâchera pas ~ar
elle est bonne.
Alors, au revoir, mademoi selle P...
- Rochelle . .l'ai un drôle de nom, mai il faut
m'appeler ain i 1
~e
mon sieur des Huines ne J' 'pondit pas tout de
8111te, ses traits tourmen Lés sc ~reusain
t encore et
son trou hie rai sait Irembler 8es lèvres :
- J'ai eu une petite fille qui aurait votre âge,
maintenant, expJiqua-t-il. Au revoir, petite Hochelle,
et merci ...
Hervé Duplessis serrait la main yalide du yieillard et sor Lai t a vcc Rochelle Il proposa :
- Voulez-vous que je vous accoffi,p agne jusque
�LE
MONSIEUR
DES
RUINES
chez vous. Ce sera du temps de gagné, ma voiture
va vite.
- J'en ai la preuve, répondit la jeune fille en
riant. Et tout aussitôt: « J'accepte volontiers, monsieur, <;ar grand'mère doit être inquiète. »
Malicieusement, il remarqua :
- y aurait-il des loups dans les bois de Caylus ?
Elle l'qpondit sur le même ton :
- Je n'ai rien d'un Ip etit Cllaperon rouge, mais
il y a des automobilistes qui écrasent les inoffensifs passants et <;'est de cela que grand'mère a
peUl' ...
IL avaient repris l'étroit sen lier suivi tout à l'heure, mais Hervé n'était plus courbé par son fardeau
et Rochelle se hâtait, insoucieuse des buissons qui
la griffaient au Ipassage. Le jeune homme s'étonna
de voir si vite la roule :
- D6jà 1 Le trajet m'avait paru plus long Lout
à J'heure.
- Ma foi, remarqua la jeune fille, je <;royais les
ruines beaucoup plus loin ...
Là-dessus, ils monlèrent dans la torpédo que le
jeune homme fit tourner avec aisance et ils prirent
à une a]]l4'.e très modérée la direction de la Bonnelte.
CHAIPITRE III
Dès les ,p remiers tours de rOlles, les deux jeune.
gens se mirent à parler de Paris, de sporLs et de
peinture.
- .l'(jtais toul enfant quand la grâce m'a visité,
expliqua Hervé Duplessis. Mon père m'avait emmené au musée du Louvre et je tombai en ex:tase devan t les chefs-d 'œuvre qui son t réunis là. La nuit
j'en rêvai. Le lendemain, je suppliai maman de
�LE
lIIO:'iSIEUR
DE S
RUINES
~ 'a(
h e l er
des pin ceaux e t lin e Iloile de cO lll ew'S et
Je co mmen ça i llles premiers baruouillages. De horreurs 1 Mais j'élais dan s le ravi ement, la \'oc(l.~
ion
m 'élai l venue ... Depuis, il e ' l pas~é
b eau('olip d'eau
sous le pont 1 Mai j e suis heureu,,<: , car padou t où
j e vai mon art m'accompagJle comme un am i.
Vou s avez beau coup voyagé il
- Enormémelll. J'ai visité les villes é normes de
l'Am ériqu e, l'Allemagne romanli4ue (au 1 m ps o ü
clic l 'élail 1) Le ' !pays nordiques, simples, naïfs el
nets. l'Egypte qui semble en sommeil. .. Mais je préfèr e la France, rien n'a plu s d'allrall que Pal·is.
~o e hel
so upi ra :
Quelle chance vous avez de lallt voyager 1
Ce qui veul dire, petile fille b1onde, que vous
n'ête g uère sortie d e yotre villauc natal ~
lIéla 1 Je ne connais que Montauball, Albias
où je t'uis née, Caylus el potre calme domaine de la
nonnette.
- Pourquoi P Les voyages sont fa cil 'S à noIre
épor[ue 1
- Grand'mère n 'a que de faibles re ~source
.. .
- Vous ne voyez personne ~
Hoc hell e sc mil à rire :
- Je vois Catherine, la serva nte qui m'a éle' ée,
tucie ct Ju ,,;tin qui travaillent la !propriété ... Quelle
foul e, n' es t-cc pas il
- La foule n'a pas que des quali t \ 1 Vous vous
marierez , mademoi 'elle Hochelle ...
:- Et qui pou rrait venir me dénicher dans ces
bOl S il
II rut un omi!'c c har man l row' affir mer :
- Il Y a de ' oiseleur qui d écouvrenl faeil<!menL
les niù s les plu s cachés.
Pau vre nid que la nonnette 1 vieilles poulres,
'ieilJe muraille.; t deux yieilles femm es 1P0ur com,pagnes.
nrl
~ quemnL,
elle s 'en vouluL d'avoir laissù per<'cr un peu d'amertume cl elle reprit :
~
e croyez pas que je . ois malh eureuse 1 CathCl'lJ1e lenl 'l'ail de me donIler la lune si j'en ex-
�26
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
primais le désir et grand'mère est très bonne, je
m'entendrais parfaitement avec elle si elle n'avait
justement l'idée saugrenue de vouloir me marier.
Ah 1 ah 1 les bois dont vous !parliez Loul à
l'heure ne sont !pas si épais que vous vouliez me
le faire croire 1 Quelqu'un est arrivé jusqu'à vous.
- C'est un de nos voisins, dit Rochelle avec une
moue, le llJs d'un paysan, mais il est si riche ...
Hervé Duplessis ne connaissait Hochelle que depuis une h eure, mais déjà il savait qu 'elle Mail fine,
intelligente et instruite et l'idée de la voir mariée
à un rustre, ù un lourdaud - du moins, il jugeai t
tel Je prétendant - lui parut abracadabrante.
- II est vieux, dit-il soudain sur Je ton d'une
affirmation.
- Qui il IP ierre il Non, il a vingt-cinq ans.
Ull silence sc fiL qui !permit à Rochelle de remarquer l'aJJIIl"e exagérément mod6rée de la voilure.
- Si vous aviez « marché » aussi lenLement
tout il ' l 'heure, vous n 'auriez ce~Lainmt
pas renversé Je Momieur des Ruines ...
- J'en conviens. Mais quand je suis seul, c'est
plus fort que moi, ma frénésie Je viLe sc me prend,
je vais, je vais ... je suis grisé l. ..
- Dangereux pour les autres , celle griserie 1
- Je Jl'ai jamais cu d'accidenl. Celui de ce maLin est mon premier, le Monsieur des Ruines a reconnu d'ailleurs qu'il y avait beaucoup de sa faute.
l! étaiL ùan s Ja June, le pauvre vieux.
Et il ajouLa, songeur :
Curicux homme 1 Il ne ressem ble nt a un
Ipaysan, ni à un chemineau. ] 1 donne en outre l'impressio n d'avoir cu une excellente éducation. Qui
csl-ce ail juste il
uJ ne lc sail. Ainsi qu'il nou s l'a dit, il s'est
inslall6 J~
depuis deux ~e maine.
Les domeslique
m'en ont parlé. Personne ne le connaît. Il n'a mè me pas dit son nom. JI descend raremenl à Caylus.
Sans douLe a-l-il des provi ions suffisa ntes pour 'ltn
cerlain temps. Seul, le' boulanger joue de la trom ,pe en passanl pour J'avertir.
�LE MONSIEUR
DES
RUINES
27
- J'irai Ip rendre de ses Rouvelles demain, dit
Hervé Duplessis.
- Moi aussi, je lui ai promis et, d'ailleurs, je
dois continuer mon métier d'infirmière bén~vole.
Me voici. arrivée, monsieur .
.Rochelle Fagès montrait au jeune homme la propl'lélé de Mme Fontaubert.
L'auto s'arrêlill devant la grille du jardin. Les
deux jeunes "ens se serrèrent la main et, tandis
qu'Hervé rev~ait
sur ses pas et fonçait vers Caylus,
Rochelle songeait aux reproches qui l'atLcndaient .
. - Je vais me faire gronder, d'abord !parce que
Je suis en retard, et si grand'mère m'a vue, en voiture, avec cet étranger, ça va ètre LouLe une histoire.
,Ce,pendanL, elle ne parvenait pas à avoir l'ombre
d un regret et, malgr6 sa crainte du courroux de
Mme Fontaubert, elle pensa à cette promenade inattendue ct elle se rassura en y songeant:
. Je l'acon Lerai l'accident, grand'mère s'attendI'lra en pensan t à ce pauvre vieux.. et elle oubliera . de me gronder.
Rochelle entra donc dans le château, l'âme sereine et elle s'en fut ouvrir la porte du pelit salon.
Alors, elle éprouva une des plus grandes surprises
de Sa vie : Mme Fo;nLaubert, très !pâle, interrompit
brusquement une conversation avec Catherine, très
rouge. T'outes deux semblaien t avoir pleuré. Grand'mère pcrdit contenance à l'apparition de Rochelle
et, chosc curieuse, ne posa aucu.ne question, ne fit
aUCun des Teproclles prévus. Alors, la jeune fille
SI? l~nça
dans son sujet et commença de raconter
acclden t :
C' - Une auto a renversé le Monsieur des Ruines 1
, esL IroU!' cela que je suis en retard. J'ai dû aidc~'
l'alltomobili le à le transporter chez lui et à le
SOigner.
- 110 viens des Ruines 1 s'écria Mme Fontaubert
avec émotion.
Catherine lui approcha un fauteuil, On eût dit
�28
LE
MONSIEUn
DES
RUINES
qu' clic élait prêLe à s'évanouir. Et Catherine reprit
com m e un écho :
- T'u viens d es Ruines 1
Qu'y a-t-il de si extraordinaire P s'étonna la
jeulle fille .. Il n'y a ni loups, ni sorciers, ni fanLômes P Je n'ai même pas rencontré la p lus inoffensive couleuvre.
Les deux femmes fai sa ient des efforls visibles
pour domiuer Jeur émotion. :\fme Fonlaubert se
ressaisi t la première :
Je n'aime pas que tu t 'élo ignes de la roule.
Le ' journaux sont pleins de choses effroyables . T'li
pourrais rencontrer quelque mauvais sujet... Il y
en a, hélas 1 parlout 1
- Ma présence élait indi spen sa ble à ce pauvre
hOOlOle, ré pliqua Rochelle. Ima g inez-vous, grand'mère, qu'il s'était évanoui . L'automobilis te l'a emporlé dans cs bras jusqu'aux ruines, j e lui ai baig ll é le visage et soigné sa main droite blessée . J ·ai
mème promis de revenir fair e un autre pansement.
- Tu as bien agi, ma ,p elile fille, approuva Mme
Fonlaub rt. En Loule occasion, il faut sc monlrer
sen ible ct charitable. Et maintenant, va enlever Ion
chapeau, nOLIs allons nou s meUre à lable .
La jeune fille sor ljl, heureuse d'e.n être quille
à ·i Lon comple ct fort étonnée d 'avoir été fé licitée
san aucune res triction.
Dè qu e Je bruit de ses pas sc Iut perdu dans }'e ('alier, la vieille Calhel'Îne se rappToc ha de Mme
Fonluuueri et elle dit à demi voix :
Eh Li Il, ça, alors ~ C'est un peu fort 1 Ne
trou\'cz-vou Ipas, madame ?
Le ha ~ anl,
ma pauvre Ca therine ...
Le hasaru ? La main dl' Dieu, plulôt.
Peut-être.
Sû rement. Car, enfin, le fail que la petite va
all x ruines le jour où je vou apporte ce tle nouvelle .. .
S urtoul, ti ens la langu e, r ecommanda grand'm ère d ' nn ton sec. Pa 1111 mol il Roch elle , je le
le défends.
�LE
MONSIEUR
DES
RUINES
29
Et elle ronchonna, en s'en allan t, appuyée sur
sa canne, vers la salle ù manger.
- Et 'c e gra.nd benêt de Pierre qui ne se d éc ide
pas 1\ l'-é I Po u ~er
! De mon temps, les jeur:es ~ens
sa vaient mieux s'expliquer . Il faudra que Je lUi parle,
et vite !... Cc mariage doit se faire au plus tôt.
Elle cessa de marmoller entre ses dents, car Rochelle descendait l 'e ~ca lier.
L'une en face de l'autre ,
elles s'a~ilent
dans la vaste pièce, un peu délabrée
et grand'mèl'e promena un tris te regard sur les
chers vieux meubles Clui lui ra,ppelaient tant de souvenirs. Elle fri~
so na
il la pensée d'avoir ù s'en éparer.
li fallait que Rochelle accepte ce mariage qU?
Mme Fontaubert avait si soigneusement prépare
pour elle. La Bon neUe rajeunirai l. Alors, tOllt prendrait un ail' nouyealJ, une autre allure les gens
comme lcs choses. Pierre lai serait les ~icux
'l'aillard ü la norie-llaute, il s'installerait ici avec sa
femme, Gd,ce all jeulle couple, il y aurait de la
jeunesse, de la gaie té, du oleil 1. .. Oui, oui, le soleil rajcuuil'ait lu i ails i, {'al' il y aurait plu s (le confort pour l'accucillir dans la maison. Pierre élait
assez riche pOllr restaurer, con~lider,
a('he lc1'. ..
Ah 1 celle petite Rochelle qlli lanternait, qui hésiil
tait, (lui sc faisait prier {'omme si des ;pou~ers
s'en présenta it à ,c huque tournant de rlle à Caylu .
SU.l'tout des ('pouReul's pour elle 1 Ah 1 si elle savall 1 Hais yoilù, Hochelle ne savait pa s. Et même
Mme Fontaubel't ne désirait pas qu'elle snc he. C'est
pourquoi quand la bonne Catherine apporta sur la
table le premier pltll, elle lui jeta, pour lui ordonner de nouveau le silence, 1111 regard irnpéraLif,
plus 610quenl que des mol.
�30
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
CHAPITRE IV
Malgré lout son désir, Rochelle ne put pas, dans
la soirée, revenir voir le Monsieur des Ruines.
Grand'mère, comme si elle l'eût faiL exprès, l'occupa à de mul~pes
besognes. Au moment où, enfin,
elle croyait pouvoir s'échapper, Mme Fontaubert déclara que les groseilles étaient mûres et qu'il était
grand Lemps de les cueillir pour faire la confiture.
Docile, la jeune fille ne protesta pas. Elle aida la
vieille Catherine à ce travail qui cllaque année li la
mème saison les absorbait toutes deux, mais elle
s'étonna du mutisme subit de la servan Le.
- Es-tu {l1alade, Catherine? dema.nda-t-elle avec
sollicitude. Tu ne parles pas 1
- IP arler, parler ... marmolla la brave femme,
bien souvent vaut mieux sc taire .. suri out quand
on risque de dire ce qu'il ne faut Ipas dire ...
- Qu'est-cc que c'est que toutes ces cacbolleries 1
Que mijoles-lu ?
- Suffit 1 coupa la paysanne, on sait ce qu'on
sait.
- Mais moi, je ne sais rien 1 protesta Rochelle
qui s'aLtira celte verte réplique :
- Les peliles filles n'ont !pas besoin de savoir.
Mlle Fagès dit mentalement :
- Celle fois, la pauvre Catherine radote lout il
fait.
Craignant de la :p einer, elle n'insista pas. Et la
journ6e s'acheva, trop lentement au gré de Rochelle
qui pensait au blessé des Ruines. Pour êlre toul 0
fait juste, il convient de dire qu'elle pensait aussi
un peu au jenne peintre el que ce fut sur les images conjuguées du vieillard el de l'automobili ·le
qu'elle s'endormit le soir.
Le lendemain, quand elle s'aperçut que grand'-
•
�LE
MONSIEUR
DES
RUINES
31
mère redoublait les occupations pendant la matinée,
elle prit sur elle-même de décider en quittant la
salle à manger.
- Je vais soigner mon blessé.
- Je ne veux pas que tu t'éloignes ainsi de la
route, vers ces ruines, commença grand'mère.
Quelques minutes seulement...
Et Rochelle, empoignant dans le vestilmle son
~l'and
chapeau de Ip aille, se sauva littéralement. En
Jeune fille obéissante , elle se disait :
Puisque cela <:o ntrarie grand'mère, je dirai
al! )'[on ieu!" des Ruines que je ne reviendrai plus,
d'autant que ,Mon sieur DUp'les
~ is
a promis <.le veiller
sur lui. A moin s, toutofois, qu'il e sente plus souIf l'an t.
Elle COurilt presque jusqu'au chemin creux et les
buisSOJls noirs arrêtèrent seuls son élan. Elle y accl'ocha sa robe et Ip rit son <:hapeau dans les ronces
sauvages, pui s elle e retrouva face à face avec les
murailles cakiJl ;es cl les poutres enchevêlrées. Lil,
Rochelle s'arrêta, un peu émue sans savoir pourquoi : Le mon sieur des Ruines otail sur sa porte,
assis sur une vieille chaise ct, à quelques pas, le
peintre, debout, Iprenait des <:roquis de l'eusemble
pitoyable e~
tragique. Ils sc retournèrent simultanément en entendant marcher près d'eux ct, en reconnaissant la jeune fille, Ia même joie se peignit
slir leur visage.
- Que c'est gentil à vous d'être venue, petite
Hochelle, remercia le vieillard avec émotion.
Et Hervé Duplessis demanda :
grondée, hier P
- On ne vous a pas tro~)
- Pas du tout 1 J'en ai d'ailleurs éLé fort surpri se , mais grand'mère avait un drôle d'air quand
je ui arrivée. Des soucis sans doute et elle ne s'est
pas rendue compte de mon retard.
Le vieillard 'in forma avec sollicitude
- On vous a lai ss6 revcJlir ici sans difficultés P
- Pour dire vrai, il faudrait que je re,parte tout
de suite.
- Jamais de la vie 1 s'écria le peintre, muinte-
�LE
Jl1O:\'SIEUR
DE S
nUll\ES
nant que nous YOUS avons, nous vous gardon .
Granti'mèJ'e a peur que je fasse de vilaines
renco.ntre dans le boi s.
- Je vous accompagnerai, je vous défendrai, je
ferai touL ce que voire grand'mère vouùra . .. mais
ne partez pas 1 Voyez cc que j'ai apporté 1
Le jrllne homme avait eu une Ipensée charmante:
il avait acheté à Caylus de quoi faire un copieux
goûter. Gâteaux, fruits, vin Llanc qu'il avait entassés SUl' la LabIe de l'unique pièce de la maison .
- Comment résister à toutes ('cs bonnes choses 1
soupira Rochelle gourmande.
Ne résistez pas, c'e t telloment plus facile.
La jeune fille ne résista plus. Si sa 1;ranù''llère
grondait un pc'u. tant pis 1 Celle tilnette improvisée au ('œur de ces ruilles mystél'ieu ' C", c'élait lellemenl trnl an t, ça valai t J)ien quelques re l11 0lli raa·
l'es.
Je re sle, déclara-t-elle résolument, cllrhanlre
au fond dr la tournllre que prenaient les événpmenls {' lIr, dans la vie ~i
monotone, si l'aIme, où
chaq ue jolll' Ilouveau res~J1\blai
il celui ùe la veille, l'jmfJté~
avait sllrgi .
Cet illlJlI'(.VlI avait prislc visage d'un aimuble
vieillard el d'un sympat hiqlle jeune homme. Elle
accueillait ret iJllprévu avec toute la spontanéité de
sa fra.nch e el saine nature, sachallt d'autre part
qu'e lle ne faisail aucun mal ct q ll ' il 11e pouvait y
avoir l'iell de l'~ , préhen,ibl
à goClter en plein ail' 1'11lro ces deux person nes qu'elle se J'efusait à appeler
de ' ·é lrangers.
Ayan t apais6 la voix de Sa co.nscience, Rochrlle
s'occupa J 'abord de refaire 1 pansemenl de la main
blcssrl' avec beaucou,p d'habilelé, puis elle ful toute
ù la joi e du moment.
MOllsiellr Duplessi, dit-e lle, aidez-moi à .porlel' la Lahle sous l'ormeau, sc sera gentil de drcs~('
là le eouvert. ..
Elle s'empres;.ail, dépliant les paquels apportés par
le jeu/le homme, eherchanl dan le vieux bahut des
�LE
MONSIEUR
DES
33
RUINES
verres et des assiettes. Quand tout fut à Ip eu près
convenable, il s s'install èrent gaiem ent.
. - Je joue à la matlresse de maison , dit Hervé
fiant tout à fait.
Et il en IProfita pour serv ir de la tarte ;\ tOIl t le
monde et pour déboucher la bouteill e de vin cou .
IC'Ill' cl' or.
Le mon sieur des Ruines, lui, se contentait de ~ou
rire devant la gaieté saine et franche de3 j eunes
gens, m ais, quand le goû ter fUL terminé il reprit
Un visage grave pour demander :
- Avez-vous dit à votre grand'mère que le 111es50
si charitablement seco uru habitait les ruines il Je
fais un peu fi gure de loup-garou . ..
- Mais bien sûr, je lui ai dit... mais j e d oi~
avouer qu'elle a eu l'air épo uvanLé. Ell e n'a expliqué que les bois pouvaient être dangereux : mauvaises rencontres, mauvais sujets, elOquemilaines,
elc ... J'ai promis de ne plus m'y attarder. Et j 'ai
manqué à ma promesse, j e vais encore être obligée
cl 'avouer à grand'mère que j'ai pas,é aux ruines un
long moment. ..
- Avec le mon sieur qui l'habite, acheva le vieillard Je sOUl'ire ambigu.
Rochelle s'était levée et, avec la mobilité de son
ûge, passait à autre chose. Elle s'<ljPiProcha du chevalet sur lequel le peinlre avait posé sa toile et clle
co ntempla quelques seco ndes le tableau commencé .
- Avouez , dit Hervé en riant, que vous n 'y comprenez rien du tout il
- Pas grand'chose en effet.
- Cc n'_e_s t qu'une ébauche. Un peu Iplus tard,
'Vous verrez reproduit là, tout le coin qui est sous
.nos yeux. Je vellX y mettre mon modeste talent et
l'emporter à Pnd s, en souvenir ...
- En souvenir de celui qui a failli être votre
Victime, compléta-l-elle.
- En souvellir aussi de la petite fée charitable
Ùont la présence à elle seule suffit à embellir ces
ruines.
2
�LE MONSIE UR
DES RUIi'ŒS
Rochel le se troubla soudain ct on"\ isage de h10n.Je, si clair, sc nuança de rose ju qu'à la racine de
ses fins cheveux . Peu t-être, pour cacher son émoi
incomp réhensi ble, allait-el le répond re par une de ces
boutade s moqueu ses qui lui étaient familiè res, mais
à ce momen t, des pas se firen t cn tendre sur le chemin, une main brusqu e écarta les dernièr es ronces
et !Pierre Taillar d surgit. Les troi~
paires d'yeux
conver gèrent vers lui avec étonnem ent. Un peu penauù de l'effet qu'il produis ait, il expliqu a trè
"\ile :
- Je viens de la Donnel le 011 je VO\l~
ai cherché e
en vain. Mme Fontau bert m'a dit que vous l-liez
aux ruines ct m'a demand é que je "\'ous y rejoign e
pour que vous ne l'cntriez pas seule.
.
Rochell e avait lout ùe suite compri s que Je Jeune homme lui ('tail envoyé pal' grand'm ère. ])e lo.\]le ~viden
'e, celle-ci ne lenail pas à cc que sa peIlle
fille s'aLlarù e Cil ces lieux. Pourqu oi il POUl' le dé('ur :sinislre il POUl' l'habita nl in onnu il Ou pOUl' le
je'une alllomo hili!\te ? Il élait difficile de r~on- dre :l ces questio ns.
Faisant de bOIllle grâce les Ip résenta tions d'm.u"e ,
R.oehelle ç",~ay
de renOller la convers ation interro mpue, mais il y avail un vague mali~'
dans l'ail'.
Le peintre sem blni!. m ~d iocl'em en l cIlchan té ùe
celle a1'fi~ée
inkmpe slive. 11 ~tail
trop poli pOlll'
le monlr'c r, mai~
il avait perdu sa gaieté. Pour ~e
donner IIlle ontena nc, il l'('l)\'il paletle el pinceau ;(
el sc remil au travail.
Quant au vieilIfll'tl, il considé rait le nouvea u "Cnu d'ull œiL soupro nneux. Aussi, le pauvre Pierre,
bien qu'il ne flH pas très pel' picace, e senlit de
trop cl, du coup, perùit Je peu ù'assul'UIlCC qll'il
lPo~sôdai.
11 essaya de parler, ne réu sit qu'il pln<:er des phra~es
d'une banalit é invrais emblah le et,
cl ~solé
de sa maladre sse, s'as. it à l'écart, l'CrU nnl
d'accep ter une Ipart du goûler encore SUl' la table.
Alors, l\oehell e, Ioule ~a
gaielé partil" sc mit 1t
ranger Je petit ménage el, quanù lout Iul Hui, eX~ : éde
de voir que le muti me de Pierre gagna.i l tout
�LE
1.\10NSll: lUR
DElS
RUlNES
35
le monde, elle se tourna vers lui et dit cl 'un lon
:
pér~mtoie
- Bentro ns 1
Elle serra les mains de ses .nOM veaux amis et,
après quelque s paroles aimable s, les quitta, le cœur
lourd. Un regret lancina nt la tenailla it. B.egret de
ne plus rencon trer le regard profond et comme « en
dedans )) du vieillar d. regret de quitter le peinlre ,
scul homme de ce genre qu'elle eOt connu, regret
aussi de s'éloign er des ruines mystéri euses. Et
grand 'mère devait être fâchée, elle ne permel lrait
"ans doute plus ...
Après le départ de B.ochclle escortée de Pierre,
lcs deux homme s reslforen t un momen L silencie ux.
Chacun suivaH sa ,pensée, mais cette pensée 'les
rapproc hait sans qu'ils en eussent conscie nce. A des
titres divcrs ils oprouv aien t prè de Rochelle ,HIC
joie rare. Le jeune homme y songen it avec l'enthousia sme de la jeuness e, avec une ardeur do peintre, pen;:ait-il 1 devant la heuuté. Le vieillar d l'évoquait, pellsun t fi celte fillc qu'il avait rp erdlle et i'\
il avait fait allusion . Sequi, une fois ~culemnt,
couant les {"ClH] rcs de sa pilJe, il remarq ua uvee
lIne sorte de trislesse :
des familles,
- Les conven ances ou les inlérê!~
idiots.
es
mariag
des
parfois
font
- Vous pensez à Mlle Rochel le P
, - Oui. De Ioule évidenc e, on projette de J'unir
a cc grand dadais qni est venll si malOllcontrellsPlnrnt nOlis l'enleve r. Comme nt la arulld'm ère de
un couple
(·eUe enfanL ne voit-elle pas que ce ~era
1
reux
malheu
donc
,
i
r
o
~
.
!
'
l
n
Î
Lement
(·omplè
- Elle ly voit saus donte, Jnais il y a en faveur
de cc manag e une questio n de gros !ous... Domlnage 1 celle Ipetite Rochel le a l'air d'une princes se
de légende .
Le mon.sieur des Ruines coula Ull regard inquisi teur vers le jeune homme et railla dOllcemen t :
- Où est le priMe charma nt qui 1'al'fac hera à
Ce demi-p aysan P•••
Mais le peintre ne répond it pas, occupé sembla it-
�36
LE
MONSIEUn
DES
RUINES
il il- étaler sur sa palette un mélange savant Ip our
reproduire le vert des collines environnantes. Le vieux
monsieur ne dit plus rien, il essaya vainement de
rallumer sa pipe éLeinte avec un mauvais briquet.
Un oiseau lança un cri d'appel sous les arbres
du bois voi in, des insec tes crissèrent dans l'herbe un vol d 'abeilles passa . Brusquement, abandonna~t
la toile commcnçée, rejetant ses !pinceaux,
IIerv6 Duplessis se rapprocha du blessé . Il s'assit
à ses côtés sur une grosse pierre ct demanda négligemment :
Est-cc que vous croyez vraiment que ce ridicule mariage sc fera ~
L'autre eu l un sourire ironique :
Est-cc que cela vous chagrinerai L ~
- Je ne sais pas ...
EL il ajouta, cherchant un e raison plausible
- Celle union choque e.n moi ma conception de
l'harmonie ... C'est l'artiste qui parle, seul.
- C'est bien cc que je comprends, réto.qua le
vieillard avec, un sérieux imperturbable.
JI tira une bouffée de sa pipe enfin rallumée et
reprit :
oyez rassuré, jeune homme, cc mariage qui
vous déplait, n'est pas encore fait.
Hervé .Je regarda avec étonnement et se demanda si le vieillard avait entendu murmurer quelque
'hose là-dessus à Caylus.
- Qui \pourrait l'empêcher ~ dit-il enfin, ni vous,
ni moi. ..
- Sait-on jamais ...
Sous les épais so urcils du mon sieur des Ruines,
ulle Jlamme passa.
- Quel homme étmnge vou faites, murmura le
peintre.
- lPlus étrang' encore que vou ne le supposez.
L'avenir vous apr~nd
peut-être bien de choses
si vous l'CS Lez longtemps dans cc pays.
- J n'ai pa s envie de partir.
'J'nnt mieux, car vous m'êtes Lrès sympathique, j une homme.
�LE
MONSIEUR DES
RUINES
37
- C'est reclproque, monsieur. Aussi, si vous le
permettez, je viendrai aux ruines le plus souvent
possible.
Le vieillard eut un soupir :
- Je regrette de ne pouvoir vous offrir une hospitalité complète, mai s vous avez vu le délabremen t
de mon logis : un moine seul pourrait s'en contenter.
Ces ruines sauvages ont une sorte de majesté.
- Bien dit, jeune homme ... Venez me voir souvent, nous causerons.
Le vieillard ajouta avec malice
- Nous causerons de Rochelle car o'est un sujet
qui vous intéresse beaucoup ... en artiste, naturellement 1
Pour évi ler de répondre , le jeune homm e s 'empressa d'aller plier son m atériel, il n e put donc
entendre le monsieur des Ruines mnrmurer avec
regret :
- Ah 1 jeunesse ...
CHAPITnE V
Pierre ct Rochelle longèrent l'étroit chemin buisso nneux sa ns Iprononcer une Iparole. La jeune fille
marchait la première, elle tenait dan s la main un
bâton lIcxible dont, nerveusement, elle effleurait les
aubépines. Lui, marchait derrière elle, grave ct triste car, l'aim ant sin cèrement, il souffrait de la froideur qu'elle lui témoignait et il était préoccupé
Vat'ce que, la veille, il avait eu une -conversation
avec son père au cours de laquelle celui-ô l'avait
quelque !peu malmen é, lui reprochanl so n manque
de co urage devau t Rochelle, son éternelle ind éc ision
�38
LE
MONSIEUR DES
RUINES
et la lenteur ridi cule qu'il meL1A
1it à solutionner
la ques tion.
En arrivant il la Bonnette, lout à l'heure, Mm e
Pontaubert lui avait tenu le même langage, aus i ,
se voyant seul avec la jeune Dlle, il pen sa que le
moment était peut-être venu d e lui parl er, d e l' intcrro"'er e t d 'obtenir d'elle une promesse d écisi ve.
11 l a tro uvait jus tem ent si charmante 1 La simple p e tite r o be de cretonn e li Oeurs la faisait l'cs embler e l e- m ~ me
à une g rande fl e ur champê tre, RCS
c b eveux accrochaient les r ayon s du sole il e t l a 1\1m il'l'e du jo ur j o ua iL su r se bl'as rond s.
Quan d il s eurent quitté le petit c h emin et qu 'il
:,e retl'011\ ('re n l sur la l'o nt e, i.l o sa l'appeler dOHcem enl : «( Roc h ell e 1 Il c t ain gi il la fo rça à 1l1i
mo ntrer on v isage. Ce v i sage-l à, hi e n 'lu 'il ml touj o urs a u-si j oli , n 'était g uèr e en co u ra geant. Les yeux
1l1 e lls s ' nu a n çaienl d e tristesse et Ja bo u che d 'ordin a ire s i ri e1lse, gard a it LIlle mOll e (l 'enn1li Olt de
dé pit. 11 Ile s ut. pa' vo il' CJue la j eun e fill e, contrar iée IIHU' so n arri, ée inl e mpes live , é lait dan s un é Lat
(1 '(~ n cne
nl (,1
1 qui rend a it d a n gc
l' e Ll ~c
Io ul e ron, e['~a 1iOIl i ni i me c t, avec sa m a ladrcsse Iiabi lilell e , il
s!lIIla d e IPlp in pi eds dan le s uj e t .
~
, o i I~
se ul s 10 ll s les
n oc helle, p1li sqlJe 10\l
deu" .. .
-Enfin se lll 1 r a illa -t-ell E' , m a is <'C li c il'onie
n' arrê la pas le j eune homm e e t il pours ui vit
- 11 fa ut qlle j'en profi l .. .
- En pro fll e l' 1 P o urqu oi j>
l'OUI' ,o us d ire qu o j e vous aime.
-- Mais j e le so is , Pi erre, j e le sais, fit -ell.' .n-ec
l as~
i Lud e.
Il ~'l Tl l(.f t , fo rl du coura g' ([IIi v ient suhitem en t
1\ \1'( li mid .. " :
011 Ile Ic sa ve z pa nP. ez. J e {' ra ins dl' Ile
pa ' 0 11 ' J' avo ir fail {'O ln !'!' ' 1I (II'c a us i hi pt1 ([I ll' jt'
l 'aura i \ o ul u .. .1 (' p arl r peu c t m l'me, je parle
m~1.
Cc t1 'f' 1 pas lI1a faille, m ai TIl n cœ Uf vallt
IIIICUX q lle mon Inll g OgC
L mon œ llr es t ~ v o ns.
Hochcll e.
�LE
MO:\ IEun
PES
RUl1\ES
39
elle fut louehée , la sincéri té de CI'
Cctte fo~,
garçon l'émut et elle regrett a de ne pas répond re
e
Ù cetle Lendresse si llaïvem en L ex,primée pnl' un
n 50urirc éclaira on visag jutendrc e égale.
quc-J;j man ade cl elle dit
- J e n 'a i jamai clouté de votrc affection pour
moi, Picrrc. ous êtcs 1111 hon amarud c, un ami
très cher cL, moi aus i, je vous aime beall coup.
- Oh 1 mai, aloI' , cc lue j'ai à vous dire, cnuile, va -'tre pl u facile 1
- VOli S aH:Z encorc quelqu e chose à me dire,
ni-clIc , conLl'arire,
- Je peme que YOUS 'ous en doutcz bien lin
/leu p
Ellc cul lin gesl' ,ague cl indiffér ent qui, pour
efIl signi\In homme plus p!:;r pieace que l'icI'!'
fié : a ~i 'ous ~a, iez comme ccla m'impo rLe pell ! ))
fils Taillard s'pta Ïl juré quc cc ~o ir il irait
~ais)
bout 1
Jl ~ '1ua
\llII c FOlllau berl m'a nuLol'isr à 'OliS pO'icr
!\o{'h('lle, t mon pprc ainsi. L~ pOlir
tI!l P CJle~tion,
d'accor d
~onl
No fal1ie~
(]IW j' Il'alll'Il d e plu~,
l ' nos ,j 's. Ho('11cllc, cc !pJ'I)~sio
11011' lni
pOlir Cjl~
dC'puis si 10nf'1ternp, qucl j01l1' le rc:aJ iJ -t d,~('ié
I ~
'CIOl~-n
~
\h 1 ait 1 nt -l'Ile , 'c forçant il l'in', ("est don
. Cl ~
11111' dl'lIIalJrI(· pn mariag e cfuC YOllS ln 'uch'c
e.
- Oui, Horhcll
\OIl S lomlH'l, mal, mOn pam fC ami. En ('c 1110ln c nI, je Il 'ai pa ellvic de me mari!'r, Ilon , vrain, 'Ill, pO' dtt Lout 1
tt i Ile s'ag it-il !pas d'aller chez Je Unirc
(tclllllin fllatill au pelil j01ll', l'(;pondit-il aver I>onnl' hUllleur. Mais fi"(ez unc date, HodlCllc, une dacn prie, ..
te pa" tl'Op lointain c, jc YOl~
en YOlllnt cornille
lui
elle
it.
ill'i"ta
Pan'e qu'il
lui Cil vOlllait dc ,011 apparil ion imprév u' aux
el~~c
dll mali
l'Ullles, dtt Irouhle -fêlt- qll'il avait t~é,
slIr charun , clic lui
(fu" sa j>1't' '('nrc avait fait pe~cr
Cl,l 'oulait d't\tl'C' Cllllll 'C II\, gauche cl un Ipeu rid'l'Ille, Et cela, surtout deplli )la rencon trc avcc
-
�40
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
Hervé Duplessis. Et comme il répétait et celte fois
avec un peu d'impatience :
_ Voyons, Rochelle, donnez-moi au moins une
date P
Elle jeta sèchement :
- Non.
])e sUl1prise, il sursauta :
- Comment, non 1 Qu'est-ce que ça veut dire,
non jl
- Vous ne savez I{llus le sen s des mots P railla-lelle. Non, ça veut dire non 1
Rochelle, pourquoi me torturez-vou
C'est vous qui me lorturez avec ce ridicu le
projet de mariage. vou, volre père, ma grand 'mère, tout le monde 1
El prêle aux larmes, elle co n lut:
- Je ne veux !pas me marier, est-cc clair il
JI avait beau avoir un esprit un peu lent, il com!prit :
- 'I\'ès clair. Ce n'e t pas le mariage que vous
refusez, 'est moi.
Les deux.
- Soit fil-il, résign', n'en parlons plus.
- Oui, Pierre, n'en parlons plus jamais. Je
regt' 'tle de vou causer de la peille mais je serais
pOUl' VOliS, si j'accCfltai
elle un ion , une mauvaise opollse, ct vous ouffril'i 'Z plll encore.
JI 11e répliqua rien ct, tanl que dura le lraj t,
le il nr lomba entr eux rornllle une barrière .
. Pierre avait joué la Ipartie, il l' avait perdue; tanl
l?,lS. Mais que dirait so n pèr', que dirail Mme
Fonlauhel'l quand il s suurnient il D'avance il re<lou tnit la <,olère de l'un , 1 s al' asmes de l'aulre ct il désirait retarder le plus po~
, ible le r dOllLahle mom ent où il e Lrollverait en leur présence.
]1 .eut envie de quilte!' Ho ehell e en bas de la côte
Cl,UI montait vers la Bonnelle t de sc diriger vers
Caylu , mai s au fond du jardin , Mme Fonlauberl
les ~ 'egar
daiL
venir. II ne pul don!: e dérober t
continua d'avancer al!\': côlés de ln jeune fille.
Colle-ci, apr\s llJJ l'apid baiser Il sa grand'mè-
�LE
MO NS IEUR
DES
RUI NES
41
re, monla direc temen t -vers sa chambre, laissan t la
dlâtelaine et le jeune homme en tête à tête.
- Eh bien, demanda Mme Fontaubert avec quelque impatience, avez-vous enfin [parl6 à Rochelle ?
- Pour ce que j 'ai obtenu, autant aurait valu
se taire 1
Cc qui veut dire P
- Qu'ell e a refusé tout n et de m'épouser.
- Ah l "nt la grand 'mère, co ntrariée, VOli S n'avez
pas su vous y prendre.
- J e lui ai dit que j e l'aimais. Mais la femme
qui n'aime pas ;n'est [pas sensible à l' amour des autres.
JI avait l'air si malh eureux que Mme 'Fon Laubert
s'adouciL :
'
- Mon pauvre Pierre, je vais essayer de [plaid er
votre cause. Cc refus n 'est peut-être pas définitif.
B.entrez chez vous, ne r even ez pas avan t que j e vou s
fasse sig ne. J e vais de ce pas retrouver ma petite
fille . ct nous verrons bien si, avec moi, olle fera
enco re la têtue 1
Le fil s Taillard s'éloi gna , un peu récon fort<\ ca r
a it de bon
l 'ass uran ce de Mm e Fontaubert lui ~e Ilb
a ugure ct g rand 'mère sc dirigea vers la chambre
d e Rochelle.
- Que m e dit Pierre 1 j eta -t-ell e sans autre préambule, que tu ne veux plus 1'6pou ser P
- C'es t la -vérité.
Ainû tll refu ses aujourd'hui cc garçon qlli
était presqu e agréé . P eux-tll m' '{pl i([u er pourquoi P
- Je te l'ai touj o urs dit: il m e déplnÎL. Tout me
choquc en lui . .J e pensais qu 'à la lon g ne j e Ill e fel'ais à ses manières, qu e je scn tirais moins la différence qu'il y a entre nou s. Au li eu de cela, chaque j our qui passe aCCH e dava nta ge tout ce qui
1l0US sépa re ... cr euse un peu plus le fos~é,
vous comprenez P
- Je co mprend s, bougonna l'a 'icul e que lu cs
llne romanesque petite fill e. T'out ,cc que tu r ~ pro
e lles il cc ga rço n 11 e ti nt pa debout ; il est honnête, sé ri eux . travailleur ...
�42
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
Je n'en disconviens pas. Il est pétri de q ualimais serail-il encore plus parfait, il m'est im1P0~sjble
-de passer toute ma vie avec lui.
_ Tu n'as en somme aucune raison valable ù
donner ~
_ Si, grand'mère, une qui vaut toutes les autre ,
qui les domine et se suffit i\ elle seule: je n'aim e
pas IP i erre et je ne l'aimerai jamai s.
- Voilil le g rand mot l:lché : l'amour 1 Mais m a
ch'ère enfan t, l u aimeras P jorre quand il sera ton
m ari . on aime toujours « llprès )) ...
Excusez-moi, grand'm èr e, j e préfère l'aimer
« aVant ».
Quel enlê lement 1
Rochelle ne put relenir un léger éclat de rire :
- ,i je m 'entêle, avouez, gl'and'mèrc que vous
mellez à vouloir cc maria ge, ulle <:ertaine ob stinalion. El m{\me, à la r éllexion, ela me paraît assez
élrange. Pou l'quoi tcuez-vous tant que ça i\ me voir
épouser Cl' garçon ~
Mme Fontaube rt sc lroubla :
Je ne veux Ip as t'obliger à faire ce mariage
puisque III scmhles convaincue <lU 'il serait malheureux, ma is j e ne sa i., vl'aiment pius Oll est mon
devoir ni cc qu'il faut le <:on sc ill er .
l ~ l e ~c
laissa aller dans un f:ll1lcllil, en proie ;\
un e sorle de oon slernation cl ml'me de désespoir.
Roch ellt, pensa qu e leur situillion as~ez
,p récaire é tail
seule la eallse de j'effondrement de la ch èr e vieille
dam e ct elle dit :
- Sommes- nOLIS don c si pauvres que ce m<lria ge
selll pouvait nons sa uveI' il
Non. , os mod es tes resso urces sont suffisantes [lO1ll' nous faire vivre. Mfli s la réalité est hien
pl u.s affrcuse que lu ne le crois : si tu n' épou sl's
pa . Pirr rr, mon pal.l.vre petit, tu ne le m arieras janlU\
~
1
Ro ch~l
pensa qu 'elle fai sa it all11810n Ù ['i olemen~
dan s Il'quel elles vivaient, LI leur manque de
reJallOHs et j'Ile soul'it. Car, enfin, il y a lout de
mêm e dan chaque des tinée humaü1C, une par t
tés
me
�LE lIIOé'iSIEUR DES
RUINES
43
d'imprévu. Le hasard peut fort bien à un moment
où à un autre, placer SUI la route des filles ;\ marier - et quelque fois même au détour
d'un chemin creux un inconnu qni fasse figure très honorable de prince charmant.
Hervé avait dit :
- Je garderai le tableau en souvenir de la petite
fée charitable dont la 'Présence suffit à embellir ces
ruines. "
Hoch.elle s'a i a en fille &érieuse qu'elle connaissait ;\ peine M. Duplessis et qu 'il ne faJlait pas
laisser lion imarrination vagabonder, pour le coup,
grand'/lllTc dirait qu'elle était heaucoup Irop romane 'q ue. Voilà j us Lemellt que grand 'mère répéLait
avec une so rte de conviction têtue :
- .Iamai s Lu ne le marieras.
Mai s pOlJrquoi ~ n y a bien d'auLres garçon9
sur la lerre P
T'II llC connais personJlc ...
Jc suis encore jeune, rien ne presse . Supposons qn ' un jour j'ai trè envie de me marier, lIOUS
pourron!'. aller parfois ù Monlauban, nOlis l'cnoue·
l'Ons des rdatiolls, vous y aviez dcs amis, jadis ...
Jamais je ne les reverrai 1 cria présque lme
Fonlaub('l'I avec une !'Orle d'effroi.
- Eh Lien, ne vous choO'rinez pas, j'irai seule,
les jeunes fil1rs d'aujourd'hut n'oHt pas besoin qu'on
les -rhaperolluc, je relrollvel'ai des camarades d pension ... ('Ile ont pcut-ùtre des l'n\rcs, ùes ·ol~iHS
...
Rochelle chcl'cbait à amaùouer ~a
rrrand 'mère
pour 'l11'elle Ile reparle plus dc PIerre, n{ais la châtelainc répliqua SUI' LIll Ion que ln jeune fille ne lui
conna issail pas :
Aucun d'eux: ne L'épouserait
Cetle foi , Hochell s'inquiéla:
- Mai enfin, pourquoi P Je ne uis ni borgne,
Ili bossue cL pas plus laide qu'une aulre
Mme Fonlallbert ha us a les épaules
- 11 ne s'ag il pas de ça 1
C'es t Illon manque de dol qui fera reculer le,i
pré tendalll ~
�44
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
On peul lrès bien le prendre sans dol. D'ailleurs Pierre n'en a jamais demand é... ct si tu le
refu es mO.n enfanl, lu ne lrouveras pas un seul
hom~
beau laid, jeune, riche, vieux ou pauvre,
!paysan' ou seigneur, qui ?o,nsen tir ~ à t'épouser. .
- Suis-je don·c une pesttferée P Jela Rochelle qUI
commençail à prendre peur sans savoir pourquoi.
Elle s'attira celte stupéfiante r éponse:
- Presque.
Un silence suivil lourd de toutes les Ip ensées qui
s'agilai enl dans le cerveau de deux femmes. Mme
Fonlauberl senlait qu 'elle é lait au bout de son secrel... qu'il lui brûlait les lèvre '" qu'elle ne pouvait plus le relenir ... qu'ell e n 'en avait plus le
droil. .. cl que cc l uveu allait crucifier l'ellfant blond e brusquement ugenouillée devant ell e.
Rochell e, angoissée, so uhaitait ct redo utai t à la
foi s de con naître cc qu'elle sen lail Iloller autour
d 'clle dep ui s quelque temps . Elle implora :
- Grand 'mère, s 'il y a un m ys tère dans notre
vic, nne c hose terrihl e que vous m'avez cach ée !par
bonté pour moi, ne pen eZ-V0l1 S pas que je suis
maintenanl assez grandc IPour l'apprendre P Que
vous devez parler Ip arce qu e je peux vo us entendre P
Je vous en pri e .. . Le silence , maintenant, serail pire
qu e 10111.. . Grand'mère, dites-moi la vé rité.
La vieille main tremblanle pc a s ur le beau front
aux li g ne pures ; les yeux pûles, ternis par les
larm cs, plongèr nt dan s lcs ye ux si bl eus, si clairs
et.Mlllc Fonlaubert s'épo uvanta d 'c u troubler ]a
paIX ct la confiance.
no e ~lcJ,
tandi s qu 'elle Sllppliait ~ a g rund'mère,
écoutaIt ?u .fo~d
d'elle-m ême une pelile vo ix rassurante f]1ll dt all : « T ut ccci n' 's t sa ll S doute !pas
si grave, les vieilles gCll s ont lendance ù lout exagé rcr ».
- Allon s, parlez, g rand'ml-r e in~sla-te
malgré vo affirmations, j e rc. te I l; er~\ldé
qu'iJ Y a
de par le monde que]clll'ull qui po urra me trouver
à son goûl en dehors de Pierre Taillard. J e sui
sôre qu e l 'amour, quoi q Ile vous n ppn iez, esl
�LE
MONSIE UR
DES
RUINES
45
pl US fort que tous les obstacl es dont vous vous effrayez .
Èn pronon çant ces paroles, l'im age d'Herv é Dupl essis passa de nouvea u devant ses yeux. Elle s'en
é tonna et même fuL stupOfaiLe de cc rapproc hement .
Co mme si celle image avait é té captée au si !par
la pe nsée de rrrand'm ère, la châ telain e 'épouva nta
souda in de son mutism e ! Mon Dieu 1 si la petite
aima it d éj à q uelqu ' nn 1 Elle devait parler ava nt
qu 'il ne soit trop Lard.
- Oui, Rochell e, co mm ença- t-elle d'une vo ix
Lasse c L ch avir e, il faut que tu saches, tu as le
i
droit de savoir mainle nanl cc secre1 qui a pe~é
lo urdement SUl' mes épaules . Un drame es t pass6
Sur noire fam ill e, voilà plusieu rs années ...
- AvanL la morl de mam a n ~
- El le départ de Lon père, oui, mon pelit.
à savo ir ?
le
- Vo us ôtes ~eu
- Cather in e esl a u couran l a in s i que le père Taillard e l sa femmc.
El IPieff c P
Pi cn:!! ignorc toul, co mme Loi.
La j Clln e fille a rLic ula avec peine :
- Grantl' mi·re, y aurait-i l ur notre nom une
LaI' il lin d és honne ur P
'1 m e Fon lauhe1'l in clina la têLe, n 'ayan t p as la
force d e r6polld re.
les Taillard ,
- Mai s alors, s' indi g na Roc hell e
pui. qu 'il s le conna i ent, pourqu oi' accepta ienL-ils
de m e prendre pour bru il
- Pierre faisait Loul de même, en t 'épo u ant, un
e une « demoiselle », une fille
beau maria ge.
d bourgr o is cl eux ne onl CJue des gens très s im un Ip aysa n mal dégross i ...
pl e . Pi e rre 's l re~té
.
Je n e VOII. le fui s pa dire 1
Cro is- tu qu e je sois aveug le P Je le VOIS LeI
malgré Lout à
s~ ante
nai
qu'il s t. Mais j e ui s r C{'o
ceLte famille cl :! passcr sur ... ' ur notre drame ct d'accc,pLef de ·'a lli er :l la nÔLrll.
Fontau!> ft promen u un r gard angoi ssé sur
~rmc
pe tite -fille
le visage LeJldu de ~a
Tu
�46
LE
MONSIEUR
DES
RU1NES
Viens t 'asseoir près de moi, je vais essayer de
racon ter toul...
Rochelle sc releva et prit place SUl' le divan d e
velours fané, à côto de sa g rand 'mère eL elle atlen<.lit la tragique confidence .
Cl LAPIT'RE VI
11 y a trcize aus de cela, commença Mme
Fontauber l, nous babition s près de\'lonlun!.a n, lc
châtea u d'Albin ... il fa ut que j e commc:u ce le l'écit dès le déb nl. .. si tu ne comp rends ,pas tout, lu
me demanderas.
Et comme elle s' interrompait comme pour rassem hler ses souvc.nirs, Rochelle <.lit :
- Je me so uvien s d 'Albias, du purc, de lu terrasse couver te de g ly ei ne muuveH, de l 'ebcalier ell
col im nç'on de la Lour. ..
- C'est bien celn ... J'étais arrivée d ans celle m a iwn jeune mari ée et j 'uu s le chagrin pcu de Lemps
après d 'y voir mourir Lon g rand ,p rc. Du moins , il
me rc 'Lait ma peLiLo Jeanne , elle J'ut LouLé ma raiso n de vivre cL j e ~ uplia
c baque jour le Seig n eur
de consenLir à la laissc r toujours pl'l-S de nloi. Je
fus e. ulwée : Qualld elle c uL vingt ans, ellp rencontra à UII hal de la [1réfcc Lure le j'unc incluslriel
Geo l'ges Fag~
s. Il la demanda en mariage cl aecerla
cl s' in s taller chrz nous, C 'es t là que Lu es née, mn
petile 1\ochellc ct OI\, pendant six. ans, 11 0118 'Hon s
{'o nnll lou s qllatre un honllCur salis mélange. Je
devrai. dire : Lous cinq car Catherine était d éjà à
notre service et nOli s l'a"OJI S, de bonne 11 'lire, consid ~rée
comme tle la famille.
- Les Taillard habilaient pr\s de ehr.z n o us ~
J (' !Ile souvien s que Pierre venaiL parfois jouer avec
mOl.
Oui, '0 11 p\re était f('l'miel' ~I Réalv ille, loca-
�LE MONSIE UR DES
RUINES
47
lité toule proche d'Albia s, chez une de mes cousines germai nes , JoséuJhine Maréch al avec qui nous
n'en tretenio ns que peu de relation s. T'e la raPipelles-lu P Elle est mêlée à cette tragiqu e affaire.
- J'ai le souven ir d'un visage revêche ...
sembla blo
- C'était le sien. Une vieille fille,
. Avare ,
époque
tte
ce
de
filles
à beauco up de vieilles
origina le s'entou rant de chats, de singes et de perroquets . Avec cela, autorita ire, pourvu e d'un caraclère éxécrab le cherch er querell e qui lui faisait
à propos de riell aussi bien à sa famille qu'à ses voisins.
Rochel le rem:u'q ua :
Elle ne devait guère êt:.:e aim<)e ...
Elle n'avait pas d'amis. Les domest iques res.
taIent par in térêl : voulan t êlre servie impecc ablemen l elle ne lésinail pas sur les gages, cal' elle avait
la manie de jouer aux grande s dam es de l'ancien
temps. Elle portait un face-à- main el elle avait une
façon insolen te de s'en servir pour examin er les iPersO;lIIe8 qui n'avaie nt pas l 'heur de lui plaire. Il
lu! prit un jour la fanlaisi e de sc faire peindre . 11
y avait à J'époqu e, ù Monlau ban" un arliste dont
oublié le nom mais qui devai 1 posséde r un cerj '~i
Lam talen L car on se clistPulaÏt 1:hol1/1eu1' de poser
devanL lui. Joséph ine Maréch al le fit venir à Réalvi!le ct lui' demand a de la représe nler en grande
à falbala s el perruq ue frisée comme les mal'tOl~e
qUIses de . la cour de Louis XIV... Ce porlrai t est
resté inachevé ...
Mme Fontau bert s'arrêta mais redouta nt les qUC8directe s , elle s'empre ssa de reprend re son rét~ons
.
CJt a fin d'arriv er !pelit à petit au dram e :
VOlr.
nous
gUl:re
venait
ne
al
Maréch
- Josrphi oe
~ qu'une rustiqu e maison de campag ne, elle
~'ayn
JalOUSaIt le château . Pauvre fille 1
Grand' mère soupira ct des larmes montèr ent à ses
yeux. Elle dut faire un effort pour rafferm ir sa
voix:
- Ton père, après son mariag e, avait ache lé une
Scierie . L'agric ulture ne l'int éressait guère, lundis
�LE
MONSIEUR
DE S RUINES
que toutes les industries le passionnaient , il avait
de réell e aptitudes. Malheureu emon t: il n'était g?ère pratique c t ma pauvre J ean ne avall encore mOITIS
que lui le sens c1es réalités. Il s avaien t vu un peu
trop grand pOUl' leurs moyen , l'in stalla tion. de . la
sc ierie leur occasion n a des frai s é normes qU'lIs durent aCCJl1itter il éch éan ces régulières. Les bénéfices
calc ulés par ton père s'avérèrent tr~s
in .rér ieurs e.t,
après avoir Oait honneur pendallt ,p lu sJCul"s mOlS
à sa s ignature, il sc vit un jour dans l ' im possibilit é abso lu e de payer la prochaine trai te qui était
la dernière e t la !p lus importante. Cell e-ci r églée, il
sc fü t trOllvé libéré de toute grosse c h arge cl, 10
trav ail de la cierie bien que marchant au rale nti
avec les revenus d e la propriélé pour
é tait suri~ant
notre v ie T, lous. Ton p ~ .. e pen sa qll ' n gagnanl dtt
Le mps, il pourraiL r éali ser quelques éco nom ies cl fair e ren lrer tic J'a rgen l. Geo rge Fag s parti t don c
un so ir ,pOli r Mon ta uban p01ll" oblen il' un d éla i de son
cr éa nder. Mai ·, en ro uLe, il pensa à Mlle Mnréc h a l qui lui avait tOUjOUf mon lré de la sympalhie
- chose rare pour qui la conn aissa it - . Il décitla
d e lui demand er la somme en ques tion. Si elle accepla it , il sc libérait d'un coup.
Pallvrc papa, murml.lfll la j c un e fill e, comme
ce tte démarche ù dÎl lui coûLer. ..
- Joséphine Mar·écllal le reç ut as ez fr oid 'menl ,
peut-être avail-elle eu vent des dif
cu l ~s
ma tériell e~ dan s ICRCJuelIes n 0 11 : nOli S débatLi o ns el p ressenlait-cli c le hul de ce lte visile . Cepend a nt , qu and il
le hd CXIPo sa, francllemen l c t nclle nl e n l, e ll e eut ,
paraît-il , un c mine ;pa nou ie . Lu j o ie ùe voir dan s
l.'embarrns les r1lfttelnines qlle lo ule sa vic cil nvait
Jal.ousées, la c rlilud e tic pouvoir les écraser dn
,pOld~
de son arge nt , la vani lell 'e sa Li sfac tion de se
s~vo
lr
!plu l! ri che qu'eux, miracul euse m ent )1\ l"cndl~ , obl!~en/.
Elle CO ll cnl it au prlH sa n s m"'me e
ft~lre
pl'lct'. J oyeuscm enl, ell e pas a dans 11n e autre
pl ècc e t Il revint avc-c un e lias e de bilc~.
TOIl
lP~rc,
d('l ivré de on o ll ei lui ig na une r e onnais-
�LE MO NS IEUR DES
RUl ES
4!)
sance de delle et r entra nous apporter une si h eur euse n ouvelle.
Arri vée li cc poin t de so n r écit, Mme Fon ta ub ~ rt s'interr ompit brusqu em ent. Ce qui lui r es tait ft
dIre ·é tait le p lus péni ble. Son visage, cr eusé pa l'
l a do ul eur , s 'alléra dava ntage et ses m ains ridées
qu'ell e ava it j ointes incon sciemm ent trem blèrent sur
Sa ro be no ire .
- Tou t cc 1J1Ie j e vie.n s de le dire, murmu ra- lell e d'un e vo ix San s timbre , {;'es t la ver sion qu e
ton m alhe ure ux père a donnée.
Hochell e s ursauta :
- La version P Il Y en a don c une aulre il
San s r épon dre direc tem ent l 'aïeule conlinu a on
'
réc it :
- .Le lend em ai n m alin , un e femm e du vjJ) age qui
de uOllll e li ma co u iu e pendan t une courIe
~
l
a
v
r
se
~ a l a dl e de su do m stiqu e h abituell e, Irouva la m a luse \tendu e ' ur l e ca1'l'ela ge de la cuisin e. Ell e
l e l~r
élU lt m orle .
- Morle 1 Mo rle {' mm en t P
- /) ' nn <'Olljl lerrible sur la tê te.
- 0 11 l 'ava it assassin ée 1 cria Roch ell e a vec ho r-
l' c Ul' .
- Assa sin ée e t vol ée.
- Mo n DieIL 1
Les ye ux de la j eun e mI e 'emplissaient d 'épou va nle e t l'<l ngoi!\se fai sait baUre sa gorge ell e dem anda pourtal lt :
pas a-l-if ?
- Et alor s P... Que ~
courul comme un e foll e
énage
m
de
me
fem
La.
;1
villr nt accomp agn és
es
rm
a
gend
, , H alvtll e. Le:;
cl lin do '1 lIr po ur l e <:o ns latalion llabilllc llc cl
e nl 'C l' l 'enrlll êle. On illleITo gea les voi in ' . L'un
('~ m
d eux affirm a qu ' il avait vu Georges Fa gès entrer
chez la vieill e demoi ell e, la veille au oir , la fem!l'le de m én age conl1l'fn a ce lle dépo ilion ell e a vait
~p .rçu. Io n Ip '. !' dan s la sa ll e;l ~l a n ge r c?mm e ell e
Elle ne
son lrav<lil e t e prépal'Il lt ;\ pal'~r.
dl,ll ~ nlt
oVnll r evoir sa m aître e que le lendem arn el morcMte.au.
~' . Après ccl;), le enquê teurs ,:in.rent aupour
dire,
COl'ges Fa gès ne fit auc un e diffIcul té
�50
LB
MONSIE UR DES
RUl NES
qu'en effet, il avait rendu visite à noLre cousine
et qu'elle lui avait prêLé une somme d 'argent con1re reçu et qu'imm édiatemenL, il s'était rendu il
Mon tauban pour désintéresser son créan<'Ïer.
- C'était la vériL6, grand'm ère 1
- Je le crois, ma pauvre enfant, mai s quand on
fouill a le sec réLaire de ,\llle Maréchal, on ne trouva
pa le moindr e billet de llUnC] ue. PourLanL, on la savait forL riche. Il n 'é tait ab 01 um en L pas possible
qu'elle eûL faiL des avances av c. LouL son argent, elle
était trop avare pour cela. Ton père aff irmait n 'avoir demand é eL obLenu qu'une somme relative ment
petite. On ne trouva pas non plus le fameux reçu sig no par Georges Fagè ... De ' rumeur s counlrenl... Oc g ilS qui ne nous aimai ' ll t pa~
- tout
Je monde a des ennemi s - l'a ontèrenL que Mll e
Maréc hal vivait en rn atlvaise illlelli ge n c u'e ses
ou in es du cllllleau ct que, ccrtain cm 'ni, clic n 'eO 1.iflma~
consenti à leur pr\ter un so u ... Que Le dirr,
encore, ma prn.lvre p Olil' ? .. Je suppo.c maintenanl que lu n'as pas dO p in e fi d eviner ce qui suivil. ..
- Cc n' sL pas IPOS ibIc que mon peI" ~ ...
- ... fitL arrêté. Mais si 1 Nous l 'avon ' vu, ma
pauvre Jeanne cL moi, gor tir de citez nou cntre
deux gendar m e , l , menott e a ux poi gnets, omme un cr irninel. .. le rimin '1 que fout 1 monde
voya it en lui 1
- Qu elle horreur , murmu ra Hochelle cl 'U Il C voix
has e et IPoi g nanLe.
us avon'l ommen cé cc maLin -là à g ravir 1marche s du calvaire. Le pro'. s'ouvri t à tllonfnuban. Dans elle ille Oll tou s nOlis co nnaissa ient
nOIl CCime
n bulle il la <:uriosit6 gr nérnle, Il la
'pili6 de cerLains, au mépri s de presqu e tous . eul,
le fermier 11ailJard fit lIne d po iLion fUlorable Ù
ton p\r~.
Déposition toule morale, d'aill urs, ct qui
ne crvlt pas à grand 'cho e. 11 dit à la barre la
bOIl L , l '~on
nQLclé d' Georg Fa g~s , quont à l'affaire ~lem\:c,
il n'en avait rien du tout
Plore {lit ondam né P
.
- Oui. Malgré l s fforls de l' Vidal , son avo-
�LE
MONSIEUR
DES
RUINES
51
paroi~.
eat, il se vit infliger cinq ans de travaux forcés el
dix ans d'interdiction de s6jour. Six mois après son
départ !pour le bagne, ta pauvre maman mourait
de chagrin, dans mes bras ...
Les deux coudes sur ses genoux, la tête dans ses
mains, Rochelle souffrait à ceLLe heure toutes les
souffrances de ses paren ls eL elle pensa brusquement à la pauvre yieille femme affal ée près d 'elle:
Grand'mère, quel courage il vous a fallu ...
- .le pensais ù loi, mon pauvre pelit. Je n'ai
plllS vécu que pom loi. Heureusement, à celle époque, tu nu pouvais rien comprendre. Je 1'endis le
château, les tenes, celle maudite scierie cause d e
toute la catastrophe et j'achelai, par l'intermédiai~'e
de MO Vidal, la maison que nous occu,pons auJourd'hui avec la propriété dont les revenu s modes tes nou empôehen t, de mourir de faim. J'ai souhail , ~ sl1rtout m'éloigller d'Albias, afin que nulle indl.scrétion ne fût possible et que tu grandisses dau s
l'Ignorance du pa ssé... Il Y a treize an s depuis lc
drame. L'oubli s'cst fait. Pcrsonne ne fait allll sion
fi celle ICfl'ihle affaire ... Avec Catherine qui a connu 1a mère et ton ,père, je parle le soir de. nos
mol'ls ct nous plcurons ensemble... ct nouS pnolls
pOlir cux.
- Lcs T'aillanl ont donc (léménagé:, CllX aussi P
- POlir UVOil' déposé en favenr de Georg~
Fagès,
)e frrmier élait assc? mal vu dans Je IPRyS. CerLnins
n'élaiellt pas loilt de Je croire complicc. Il vinl me
trollver, un soir cl nlC mit U11 courant de tOliS l'CS
CIl.HIl ill, il voulait quilter Jc !puys, hJ'i aussi. Je penSUIS que nous alU'ion
besoin de la prol(~ci.n
de
cct homme fJl1e je con sid<Srais ('omme IlOllnt'lle ct
d~voué,
jc l'encou!,(lgcai dans son projet. te proJlrié(illl'C do ln Borie-IIaulc cherchait juslement un ncqu{·reur. )ls '" 'cntendiren l.
- Cc qui fait, murmura nochelle comme se parlant ;', elle-mêm
que nous sommcs ici depuis la
même époque, et 'c 'csl pourquoi vous avc? laiss6 son
père pr ndl'C chez IlOllS une alilorilé qui m'étonnait,
Mme Fonlaubcrt s'excusa presquc :
�52
LE
MONSiEUR
DES
RUINES
11 nous a montré tant de d évouem ent, ses conseils pour l'exploitation de la Bonnelle me son t in di ~
pen
ables . ..
- Cc n 'c'st pas un r eproche, grandl' m ère, protesta
Rochclle ...
_ Quand Pierre s'éprit de toi , Taillard vin t m'en
prévenir avec un e grande franc hise .ct ~c
dir~
~u'n
m ari age elltre vo us deux le r empli ssaIt de JOie. J e
pensai, avec un e so rte de so ul ageme nt, qu'à lui ,
au moins, j e n 'a urais au cun aveu à fair e, c t que,
lPui qu'il accep tait de s'unir à un e famill e que certain s jugeaient co mme déshonorée je n 'avais qu'~1
l'en remercier. J e lui Ipromis donc d'u cr de mon
inn uenee sur toi, pour te faire concl ure cc mariage.
- 'l'u m 'as dit tout à l 'heure que P ierre n'était
pa au co urant. .. J e préfère ça 1. .. Et mon père P
il es t mort au bagne, n 'cst-ce pas P
Grand 'm èrc hés ita un e minul e, puis ellc dit avcc
effort :
- Non . Du moin s, j e n'en ai Ipa s é té informée.
Il y a treizc ans écoul é d<;puis le proc\ '" il en
a encore pOlir deux ans avant d'être libéré.
Hochell e fi C pleurait pas. Le larmes qui sc pressa ient ù ses pallpirres étaient s(-ch ées aussitÔt omme
balayées par lin g rand coup de vent. Elle restai t
Iii, clou éc ur place, san s mOllvelllent ct lc yeux
fixes. Mme Fontaubert 'co.t prMéré dcs cris, des gémissc ments, des sanglots. Devant cc masquc g lacé,
c.lle s'épouvanta , yo ulut lui prclldre lcs main s, l'attH'cr vcrs cll' ; mais d ' un sc ul CO II,p, Hoc hcllc fut
debout, ses ]" vrcs bl anc hes trcmblèrent ct un c protes tation <;Jlcrduc s 'élcva :
Mon pèrc n 'cs t pas cO llpabl c 1 P ersonnc JI 'U
dOliC affirmé SO li inn occ nce P 11 a 'té mal défeIldll III faul rcvi 'C l' tout 1 J e r 'mucrai ciel c t tcrre,
1: la is il faut quc j c trou vc le
0 11 pable 1
Av~
l'inlrall sigen nce de sa j ' UII C sc, ell c n e omprenall IpaS quc sa g rand ' mèl'c e t sa m1>rc ai nl nccp
l ~ cetlc condamnalion sa li S réagir. II y avail 1111
1'lmlOcl. JI fallait lc rctrouvcr. ElIc lui Il voulait
davantage d 'avoir lâ ch c\ll cnl lui s~
olldamn r son
�LE
MONSIE UR
DES
RUINES
53
père que de l'assass inat de Mlle Mar,é chal.
- Calme- toi, Rochelle, pria Mme Fontau bert. Distoi bien que les sen timen ts que tu éprouve s à celle
heure nous les avons éprouvés nous-m êmes, jadis,
La pauvre m ère eL moi. L'indig nation, la colère, la
révolte , nou s avons passé par Lous et nous avons
Lout entrepr is !pour prouve r l'innocence de ton père dont nous n 'avon s pas douto, Catheri ne, non
plus.
Mais son avocat, Me Vidal , qu'a-L-il fait ?
T'out cc qui é tait humain ement possibl c. Grâcc à so n cntêtem ent on a recomm en<:é l'enquê te,
elle n'a abouti qu'aux m êmes constat a tions: la veill e du dram e, scul ton p rc a été vu aux alentou rs
ou dans la m aison de Joséphi nc Maréch al. !Personne,
en d ehors de lui n e pouvai t être raisonn ableme nt
condam né.
- Mais mon père, que disaiL-i l ?
- 11 est parfois 'Plus facile à un coupab l e de
trouver un alibi, qu'à un innocen t d e prouve r son
innocen ce. 11 s 'est défendu avec indigna lion, mais
il faut des preuve s matéricll es aux juges 1... Avanl
de parlir- pour ... /pour là-bas, ton pauvre père nou s
a em bra ssées Loule deux, ta m ère cL moi eL sa dern ière pensée a éi,{) pour Loi : (( Que Ro chell e m e
garde son respec L, a-l-il suppli é, je n'ai ri en fait
contre l'honne ur. » T'a m ère est morle avec son nom
Sur les lèvres, elle avait gardé sa foi en tière en Jui, •
cL moi aussi, Rochell e, je n'ai jamais cru George s
Fagrs couipabl e 1
La j eun e fille en lendait pader sa g rand' mère
eomrne dan s un rêve, elle mar<:ha it d ans sa chambl'e, les sour il s fron cés , en proie il un désespo ir
elle qui n.'avait
el Lerribl e. Ellc haïs ait ~l'oid
.Jamai s conn u jusqu 'à présen t qu e les sourire s de
la vic - elle haïs ail ce t in connu mystér ieux par
la faute de qui son ,pùre avait élé fréltflp é. Le visage
(le la pauvre enfant épouva nta de nouvea u iMme FonLaubert :
Viens près de moi, appela- l-elle doucem ent,
vien s... cc sc <: 'Ll' r·6volLe inutile, lu le meurtr i s
comme nous nous somme s meru-tris jadis ... 1'on pè-
�51
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
re était un homme énergique et fort, il a !probablement surmonté ses souffrances morales et physiques . Bientôt, il te sera rendu ... Pense à la pauvre
maman ma chérie, c'est elle qui ful la vraie martyro. Elle est morte dans le désespoir, sachant
qu'elle te la isserait dans cc lrisle mon cie, sans soutien sans défenseurs avec un nom dont 1u aurai..
inju'slement il rougir ct une pauvre vieillc femme
à les côlés, C'est sur la maman qu'il faut pleurer,
mon pauvre pelil. ..
Alors la jeune fille éclata en sanglots cl 'abatlit dan ) li bras de sa grand 'm~re
comme un oi··
seau ble.s6.
CtlAPl1'HE VII
Rochelle resla élrndue sur !'on lit tOllle la jour-
TI (\e, les yeux HIl plafond, pcrdne dans ses pensé~.
Parfois, une crise de larmes l'abattait de nouveau,
après elle tombail dans une SOI'te de prostration .
Vers Ir soir, Cath 'rine ntr'Oll\Tll doucemenl la
porle de la chambre ('[ montra SOli visage inquiet
cnadl"~,
dal,JS I~
coiffe .dl! Quercy,
•
- (. cst-ll DJclI pOSSIble J Que cal pul hcl/'C quall
m'lmo 1 (J)
- 'lu dois avoir faim, ma pilchollncllo 1. .. Veuxlu ,un LoI de bouillon ~ Ou un œuf il hl 'oque bien
fraiS P Un de la [Joule jaune, sa!J<'s ? (:l).
Non, répondit fal'ouchement la jeune fil le.
Malgré "on chagrin, elle Ile pllt s'cmpl'chcr de
regarder le~
)('IIX J'ougis de la sel' aille eL elle corn
(1), Qu'csl-ce qll'il faut voir, quand même 1 (cÀpresslOn ('011 ran le).
(2)
Tu
sais P
�LE
MONSIE UR DES
RUINES
55
prit que sa grand'm ère l'avait mise au couran t.
- l'u sais. . . .comme nça-t-e lle.
... qU'Qn t'a tout raconté P Oui. Ça vaut
mieux ainsi. Tu ne pouvais pas continu er à vivre
dans cette oomédie ... Elle dure depuis « l'affair e )) ...
Elle disaiL (( l'affaire ))' avec une voix basse encore !pleine ùe l' horreur l'essen tic autrefo is. Mais elle
n'é tait pas monlée dans la chamb re de s~ pil-chou.neUo pour reparle r de lout ça 1
- Pourqu oi ne descen ds- tu pas P Tu crois que
La grand'm ère a du goût à dîner toute seule dans
celte trisle salle-il-manger P
- Je n'ai pas le courag e ...
- Elle en a bien, elle, depuis treize ans 1
Cc r pl'Oche n 'a tleignit pas Rochelle, sa peine était
lrop neuve 1 Reprise par le pensée de -celui qui,
au bagne, expiai t le crime d 'rul autre, elle saisit
viveme nt la main de Catheri ne :
- 'l,'u crois mon père innoce nt, toi aussi, n'estce [las P
- SClJ'ement il était innoce nt, mais les juges ne
se wntenl cn t pas ùe la convict ion de pauvres gens
comme moi. 11 leur fauL des preuves , qu'ils dise nt 1
- Jamais mon père Il 'a donné de ses nouvell es
dc.puis qu 'il est (( là-bas » P
Sur Je mot (( là-has )) qui représe ntait pour Rochelle fanl de sou ffran ces, tanl de danger euses prolllisc u iLés, sa voix 116chi L.
- Il a écrit deux fois, r 6pondiL Catheri ne, veuxlu que j'aille le cherch er ses lettres P
- Oh 1 oui 1
La vieille bonne s'éloign a de son pas traînan t, eDcore vif eL l'cvin t LCHao t dans ses mains rouges,
deux, envcloppes jaunies , timbrées de la Guyan e ct
que Mme Fonlau hcrl venait de lui remellr e 1P0ur acùe Rochelle. La prcmiè re était un
céder au ct ~sjr
long cri de révolte :
( Jamais je ne me résigne rai à la vie de cel enfer . Je fuirai 1... Plut6t la mort que cetle exislence
�5G
LE
MONSIEUR
DES
llUlNES
de damnés / ... J'ai l'impression que j e vais haïr
la terre entière / ...
Toute la leltre é lait sur cc Ion. Dans la seconde ,
Georges Fagès semblail avoir accepté on destin n
affirman l toutefois son d és ir de rechercher le coupable, à sa libéralion
« Je ne pense plus qu'll ce la ... la nuit je ne
rêve qu'à cela. Ce sera le /lut suprême de tous les
jours qui me restent il vivre. Je veux que ma fille
retrouve un nom respec té. Je ne veux pas qu'on la
montre du doigt en disant .' « C'est la fille du bagnard / »
Celle leUre datail de huil ans, d ep ui s lroi s an
il avail quillé le pénilan icI' de , l LauI'ent-d u-Marolli cl ~o men
c6
ses dix ans d'int rdiclion de séjour.
« Je me suis installé, disait-il, lout p/'ès d e StLaur'ent, dans nne case l'lLd imrntai r'e el j'ai entrepr'is le comme rce des papillons. Geu;); dl! {n Guyane sonl renommés et achetés assez cllc r, su rloul les
bleus de nuit. On les nlilise [Jour sertir des bijoux,
des objels de toilelle, des miroirs, des vases. On en
fait m êm e des- lablealLx. Je me passion l1 (' pour celle
occupation que j e me SlLis donnée.
Plu s loin, il parlail de
J'anls
~ a
nu,
Cil
tCl'mes
léc hi -
« Ma petite Ho cll elle, le reco nnaîtrai-j e qunnd
l l' ILn I' grande
nous nous reve rl'o ns ? nt serClS <I ~vrn
jwne fille el moi, j'ILllrai déjà l'as pect d'un vieillard. Ce misérable assassin nt '(tIL/'U privé de celle
joie unique : le voir grandir /
A la fin de ce Uc m"me lettre, il r non ça il h6roïqucm 'nt à éc rire aux 'i n ' l à J'ccevo ir des nouvelles cl
eltc nfanl qu'il adorail IP O UI' Il pa lui
nuire , 11 n'écrira plll qu e pour annoncer sa libé-
�co
LE
MO:\'SJE UR
DE S RUI E S
57
ration. D 'ici là aucune indi scr étion n e po urra se
e t ~ re , l 'oubli se fera ... on le croira mort et
m1l
personn e ne pourra ,parler de lui à Roc hell e.
- Et \o n pèr e a tenu parol e, dit Cather ine, aucune leUre n'es t jamais arrivée por tant le timbre
'd e St-Laur ellt-du-Maroni .
Aya nt achevé sa lecture , la j eun e fill e r eplia avec
un soin pi eux les feuill e j auni es par le tem ps, elle
les gli ssait dans leurs en veloppes quand Mme Fonta ubert entra . Elle portait un volumi n eux paquet ,
en ve lopp é dan s du p apier d 'emball age et oign eusem ent ficelé. Elle le d éposa sur l m meuble ct s'approcha de Rochelle toujour s étendue sur le l il.
n' en
'11U as lu les leUres de ton pè re ~ ... J e
ai pas reçu d 'a utres . J'e père qu 'i l esl en-rore de
('e mond e ct qu 'il r eviendr a un j our, ma is je crain s
(l ue ce ne soit que pour Lrou ver d'a utr es ouffran ces cl des décep Lions nouvell es. Cornm en 1 découvri r
Je vrai co upa bl e P... C'es l pou r cela que j 'ai un e
lell e hâle de le voir m ariée n Pi erre , et le fermier
'Paill ard es l ùe m on avis. Dans de ux ans, qu and le
m alh eureux Georges r ev iendra, si lon Ill' ' nir es l
é Labli , peul -ê tre en Le voyant heureu se, un ie ù un
de, rer e
brave g arço n, r enon cera- t-il à po u r~t1iv
c herc he qui ont LanL de r ai ons de r es ler vain es.
La j eun e I1ll e r enl arqu a sur 110 Lon de r eproch e :
Vous 'onse ill ez, g rand ' m \ re, d'é tablir mon
o Jl ~ il
mari age d ans de p ar 'ill es co ndil
Ma pauvre enfant, n e te g ri se pas de grand s
mots 1
- JI faudrai t que j 'é pou se Pi en e en lui lai ssanL
ignor er qu c j e sui s la fill e d ' un bag nard P
Mm e FonLaubert ne r épolldit pa.s <.1irec tc/ll cnt :
_ Tu as r epou sé avec v iolence ce proj et d e ma ri age alors qu e lu ig norais le drame qui pi·se sur
no ire vi e, m aint nanl , tu cs au cOllran t d e ('elle lamentabl e histoire , j e pense qu.e tu , ;~ J' as !plus r aison s JI es t res Lé Lrop
é,
nabl e. Si Pi erre e L peu C ~lLIV
en faveur
~ e .r as
Je lUi par~on
pa ysa n à Lon gré,. ~u
de ses autres quahles . De plu s, Il t alm e profondé-
�58
LE
MO~SIEUR
DES RUINES
ment et il ne t'en voudra !pas le jour où il appren·
dra, à son Lour, la vérité.
Mme FonLaubert pensant que c'était son devoir,
espérait encore convaincre sa petile-fille
la npcessité d'cpou cr leur voisin. Elle sc troIllpait. Ro chelle sc d ressa el dit d'une voLx nette :
Je regreLle de n'être pas d'acconl avec 1'0\1 <,
grand'mère, mais il ne ~ crnit
pas laya! de ma il)ar~
de laisser Pierre dans l'ig norance {le I.tits si grave
. i j'avai ' r écllem 'nl l'illlcntion de 1'. tpo1lSer. Cc
n'est pas ulle raison par e qu'Antoine ']'aillard, par
sympalhie pour n011S, vcut bien m'admettre dan g
sa famille, pour que son fil s juge de même. Si j e
consenlais à cc mal'ioge, ee ne serait (IU'OPf;'s lui
avoir fait Hnc cOIlfession complde. Mais jc refuse
LOUj Olll'S cl 'PT,ouser Pierre.
En fan l dérai sonnable... essaya cie g, v(lll er
l'aïeule.
- En ('c moment, il me sera it impo sillie de penser ,\ aulre cho r qu'au martyre de mon pi'T'c. Le
prin e charllla nt sc ,p résenterait-il dan' celle pit're,
mps yeux TIC le ve rrairnl point. Je nr. me ~e n s pas
Je droit dl' di~po<cr
de JI1oi-lH~mc
el ue p e nser il
mon bon h('lIl', lallL que IlI01l pt'!' ~era
« Ht-bas ! I l ...
Il .n 'cbl pa [lo~
ihle
que VOlIS m e !ll ilmi cz, g ran d'm,".
re, ct loi Ilon plus, ma honllc Catherine?
Cel!() dl'l'lli i.·J'(· OHvrait la hOll che COmIne pour di·
l'e quclqu e <'i IO ';C, clic fit ('Jl rn(~mc
l e rnp
~ 11/1 mou
veIllent ('II avant vers Hoc helIe, les m ai ns telldue
l\fni
~ lITt l'Pgard imphi\' lIX: de '\fIll e FOlllalllJert ].
doua S III' ph( P, l '11'J'(!ta dan's son élan.
- J e vo udrais, in sista la .i eltne fill(' , VOUd demrlllclcr l'alllori.'ntion d'(\crirc il mon pi'l'e . .J 'ai 11ft.
le ùe lui i1fJpre ndrc qll e je suis all courallt cl de
lui ('rie!' Cju~.
pa, lme lIIinute, jp Tl 'a i dout é d,. <on
innoccTl('<' . .1(' ve u qU'111l p<'1l de n\confort lui p.lrVil'nJle pal' fI1 o j. VOUH ne nou s rcfl
~e rez
pas , ù !mh
d C l~,
('l'Ill' h ' i ~ te
comolation ?
- Cel'lainClllclll 1I01l , mOIl enfant. Tu peux l( rire Hile lellre d(· ~ aujonl'd'hni. Je ('J('lllsiù<'J'c qlle
a
�LE
MONSIE UR
DIlS
RUINES
59
c'est ton devoiT envers ton père. J'ajout erai moim ême un mot ...
La jeune fille embras sa les cheveu x blancs et,
quelqu e peu calmée , elle se d écida à descend re à
la salle à mange r prendre un bol de bouillo n.
- Attends Ull peu, l'arrêla Mme Fontau bcrt, je
voudra is le monlre r quelqu e chose.
Elle alla prendre ,sur la commo de le paquet soigneuse ment ficelé qu'elle y avait déposé en entrant
dan s la chamb r e, brisa les ficelles , enleva le papier
d'emha Ilage et déco uvrit un [portrai t inachevé où
l'arlis te n'avait guère mis de talent. On y sen tai t
seulem ent [e dés ir scrupul eux d'ohéir aux recommanda ti on s et aux fan laisies du modèle qui en "Voulait pour so.n a rgenl.
C'est Mlle Mar éch al, avertit grand 'mrre.
- Ah 1 fil Rochell e , sa isie .
La v ieille mie avait arbor6 pOUf ·cette r eprodn ction d 'eJle-TI1(\me llOC loil ettc excentrique cl de mauvais gOIH (.[ elle arborai t lin ail' imporl ant cl prétentieu .. Sur &es cheveu x blancil relevés :\ la MarieAntoin clle, dIe avait posé lin fi chu de <lenlelle ancicune trop lourd ct tl'Op volont ai rem en t (( riche»
que f e!c).!\ail sous le m en Lon un e grosse épill gle ('11
brillan ls. Sa l'ohe é tait en tant'Ias , de celle rouleur
q Il 'on appelai 1 au trefois : go rge de pigoorl, c l llne
co ll erette enlulle pli ssé encadra il so n lon g cou maigrc avec u ll e raidcur qu'clic alait sallS cloule jugée
ari il lo cl'ali q uc. Elle appuya it sa j o ue SUl' lIne main
où
osseuse omée d'un ·tock de bagllcs di"parle~
lopazc
la
rubis,
Je
,
associés
menl
lJiZfllTP
brillaie nt.
el l' émerau de.
\oHIll Di l'! 1 s'écr ia Catheri lle nwc ndmira lion .
Mal'flc ltal ava it arhoré pOlir cc fam eux porSi ~lIe
le bijoux qu'elle pOSbrdai/', elle n 'a~it
tous
Irnit
suspen Cil garde cJ'onbli cr wn fa re-il- main. li était
Et l'lur
or.
en
chainc
norme
é
une
par
li
CO
SO.l\
il
dll
le guérido n bas où clic s'appu yait du coud e, elle
ayunt sa n . doute rocomm and é au
avait d(lposG peintre de la reprodu ire dan s tom ses délails - un e
riche llonbon n ière en or ciseh5, inc rustée d'éma ux .
�GO
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
- Ceci est une ,p etite merveille, déclara Rochelle
qui, d'instinct, reconnaissait ce qui vraiment était
beau.
- Malheureusement, on ne l'a pas relrouvée dan s
l'inventaire de ses biens. J'ai consen·é ce portrait
que ma cousine accrochaiL chaque ~ oir
dans
a
chambre en allendant que le [peintre ait fini. Peulêtre a-t-il été le témoin du drame ... Comme Joséphine n'avait aucun parent en dehors de nous, personne ne pouvait le réclamer. De son vivant, elle avail
.fait don de sa maison et de ]a m é tairie à la
mairie de Ré al ville pOUl' y installer un asile de
vieillards . Quant il sa fortune, toule cn argent li quide, le mi sérable qui ] 'a assassinée n'a pas laissé
lin centime. Cet affreux !pori rait est lout ce qui
JlOUS reste dé celle malheureuse fille.
- Quelqu'un aura voM la bonbonni ère aussi P
L'assassin lui-même, il en aura compris la
val ur.
Comme la jeune fille demeurait songeuse devant
]0 portrait , sa grand 'mère la prit par la taille et
l'entraîna doucement :
- Allon s, ne lardons pas davantage. Viens ,p rendre quelque chose, mon petit. 1"11 as un vi sage qui
me rap!pelle celui de la mère, quand elle sut l... Du
courage, ma Rochelle.
J'en aurai, promit la jeune fille dont une
élrange flamme vint é<:lairer les beaux yeux bleus.
CIlAPIT'RE VIII
La jeune se de Rochelle Iriompha de Ha doulellf .
Un sommeil réparaleur lui rendil le calme ,perdu
et, le lendemain malill , 'Il se rév illanl, elle onsidéra toules choses avec '" ' esprit moin s angoi ssé.
Mais à hl salle à mang r, elle Irollva Mme Fonlnll hert déjù levé, l'air soucieux, cl qui, vi siblemrnl,
n'avait pus dormi. Elle l'embra sa et dil uu ilôt :
�LE
MONSIE UR
DES
RUINES
61
- Je n'ai pu me cou ch er hier soir qu 'après avoir
écrit à mon père. Je lui ai dit m a tendresse, ma
joie de le savoir vivant. J e lui ai eXiprimé la confian ce que j'ai en lui et mon désir ardent de le
d éfendre envers et conlre tou s. D 'aill eurs, voici
m a lettre. Lisez-la, gr an d'mère .. .
Après en avoir pris connaissance, Mme Fonlaubert voulut y ajouter quelques mols, comme promis , afin d'expliquer à Georges Fagès les raisom
qui lui avait fait révéler le tragique secret à sa
fill e .
- Voilà qui est fait, dit-elle en reposant la plum e. Catherine jeLLera ces lignes à la poste quand ell e
descendra à Caylus.
Et l'emeLLant ses luneLLes dans leur étui , elle demanda à Hoehelle :
- Que comp tes- Lu faire aujourd'hui il
- J e ne sa is pas enco re très bien. Mais avant de
rien dt.Gi ùer , je voudrais parler à T'aillard ct, urLouL, à lMo Vidal.
Il habile toujours Montauban, m ais c'es t un
vieillard , il n'exerce plus.
- P eu imporLe, s'il veut bien m e recevoir 1 Il
peut ê tre de bon con seil. Il faut vraiment que j e
le voie. IP uisqu'il a dMendu mon père avec Lant de
cœur e t de dévouement, je m'en voudrais de rien
entreprendre sans le tenir au co urant.
- T'u peux aller chez lui quand Lu voudras.
Un peu plus tard... quand j e erai d evenue
lout à fait calm e, tout à fait lucide. Pour l 'in stant,
j'ai beso in de marcher dan s la campag n e, le grand
air me fera du bien ...
Elle ,p rit e11 passant dans le ves tibule son g rand
chapeau toujours accroch6 à une p otère ct sa
grand'mère la regarda traverser Je jardin avec tendresse ct pitié. Comme Catherine venait la rejoindre, elle murmura :
Nous aussi nous étion s fi évreuses et exa
lt ~es
il y a trcize ans. Nous aussi nous avions juré de
le sauver. Et nous n'avons rien pu pour lui , cependant. Ri en que prier el pleurer.
�LE
MOl\;SIEUR
DES
nUI NES
La pauvre petite demoiselle, soupira Catherine, elle Vil rencontrer les mêmes difficultés, elle
souffrira comme sa maman, jadis, et puis, quand
elle verra qu'il n'y il rien ù faire, elle se résignera,
bien sûr.
- Toutes ne se résignent pas, ma pauvre Jeanne
cn est morle 1 Je vais encore écrire à son Ipère, je
lui dirai de {:onseiJler lui-même à cetle petile de
renOIl('cr Ù cette 1u [te imposs ible.. Qu'il lui dise
d'épouser Pierre 1 Ulle fois mariée, en tre cc l1rave
garçon ct les enfants qu'elle poul'1'a avoir, clle oubliera. Elle pourra être heureuse . Il faut que Georges la guide sur ceHe voie 1
Mme Fontaubert s' installa ,à son seeréluire ct se
remit il écrire.
Pendant cc temps, Hoellelle s'en allait dans la rosée matinale el. l'air pu/' rafraîchi ssant son visage
elle ressentait UII bien-être physique qui agissait SUl'
ses nerfs. Elle avait besoin de faliguer SOIl corps
pOUl' 1'epOS01' son esprit. Pend an t une gros~e
Îleure,
elle mlll'dia dans les prè:l et les champ::;. En apercevant les culLivaleurs déj11 au lravail, clic Ipen sa
tout nalureJlement au fermicr T'aillard. POUl' avoir
s i hien défend LI son père ct avoe èmc ardf'Ul" !eHe
qu'elle lui avait valu l'hostil ilé des gens ÙU pays,
peut-t:lre se basait-il sur une Mduclion, un fait en
lui-même ùanal que l'instruction n'avait pa.~
retenu.
- 11 faut f[lI.C je lui parle, sc dit-enc.
Brusqueme.nt, el~
sc sentait Î1l(;apable d'allendre
plus JongtemŒ)g avant d'agi!'. Quittant les prés 011
elle er rait au hasa rd, elle oùliqua vers le chemin
privé qui conduisait à la proj~lé
de lu BOI-j eHaule.
Les bâtiments de la ferme épousaient hl forme
dite (( charlreuse ». Il Tl'y avait donc qn'tlll rezdc-chaussée, mais si elle éta it basse, elle s'é lendait
en lougueur. })es tuiles J'oses couvraient 111 toit et,
]0 long des murs, g6mpaient ùes clématilc3 sallvages. Près de la porle d'elllrée on avait placé 110
banc rustique so us des retomlJées de glydne. A gftll-
�LE
IIIOèI lEUR
DES
RUlNES
63
c h e, u n e second e bâtisse serv a it d e gr ange el d 'écurie . A droite o n d écou vrait un é tan g couvert en
pa r tie par de ' n énup ha rs. Au bord, lIn c nithée d e
-canard do rm a ient a u sol eil.
Roc h ell e s'éto nll a du ilen ce qui r rg n a it il l' ento ur . San s doute Ant oin e, sa (emme c t P ierre é taienti ls parti s aux c h am ps. Elle traver ·u la -cour e t,
prè . d ' un e c h a udil'r e f um ante, elle a,j)el"çut la pe tite Fervant e de l a fe rm e, Fan y, qui préparait la pfllée
po ur les vola ill es .
C'es L le pala is d e la Bell e a u Bo is Dorm ant ,
celle ma i OIl , di t la vi ·iteu se s'c ffor{:a nL de par aître na lu rcll e, oil ~ont
le Ip a tro n s, Fa n E: tl e ~
-\ ceUe he ufe-ci o ù voulez-vo u qu 'i h soien t ?
IPa" à da n cr, bien sûr 1
La p e l.if e r épo ll ua il d ' uo t o n ~ec
qui frappa Bo chcJJc, elle in "i s la :
TIR so nl padis fan e r san~
d oute P
Le trav ail 11 0 le ur m a nque pas .
Q uand le f(' l'lllie r r e ntre- t-il P
- ./ e n 'cil su is rie n, il n 'a pas Ù JIl l' ren dre de
<:om ples .
Cet le foi s, le ton é lait pre qn e in solt'nl. Et Rorhell e s 'avi q q lle cc lt!' a nim os ité n e la ~('rval
t e d atuit de loi n. Fa Hy qu e c h ac un trOIll'ni t do uce ct
cha rm ant e ava it louj o urs f té h iza rre ·"is-:i-y jq d 'el le . Ln froid m o rtel gli ssa d an s Je cccur de la j eune
f1lle : Fanrt! c sr ra il -e lte au co urant dll drame de la
f am ill e Fa gè~
~ Anlo in e T'aill a rd c t sa fem me auraient-il s p a rU' deva nt elle il Cela p o uva it cxpliqu er
li n sorte d e fI"pul sioll pour la fill e du hagn ard. CetlI' pellsée fu t s i c ru ell e à Rochell e f[n 'cll p. se senLit
in ra pnl>l e d e ga rde r plu s lon g te mps e 1 r ribl e d o ule d a n s l' ' sprit. Au ssi, bru . quun L les choses, e ll e
dl.! ll1 a nd a s aH ~ pr{'p a ra lio n :
Pourql1oi me dét
es tez-vou
~ , Fan e tte il
Ce ll e ques tion si n e Ue eut pour cff t d e décan len lUl cer la petite . Elle ne s 'atte ndait pas fi une atla<lue s i franche e t s i s po ntanée . Ne sa hant que r épondre, elle pri t le pari i de Condre cn larmes .
s,
in si la Ho chelle radou cie , di tes-moi la
- V o ~on_
�64
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
l
,
vérité. Je sen s qu'une chose nous s~pare,
0 11 dirait
que vous m'en vo ulez. Que vous ai-je faiL jl
Sa voix ~ l a iL si do uce que la jeune fill e, si brulale LouL à l' heure, ne puL y résister. Les IJle urs se
séc hèren L c L l'aveu vin t :
- J 'aime Pierre T'aillard, dit-elle avec une sorte
de confusion qui colora son visage naïf. Et voilà
que lout le monde dit à Caylus que vous allez vous
mari er, lui cL vous. Alors, j e vous déteste parce
que vous è tes plus jolie qu e moi, parce qu e vous
êtes une demoiselle cl que vous ail z me le prendre.
De nouveau des sa n glo Ls monlèrenl il la gor ge
d e la pe tite serva nte, mais il s s'arrêlèrent n el devant l 'amical sourire de Rochelle.
- Bassurez-vo u , Fanelle, j e vous assure que Pier re ne sora. j am ais mon mari. Ainsi vous ,pouvez
co ntinuer à l'a imer cl à essayel' de Je conquérir,
je ne vous le di spulerai pas.
ca ndides s'éc
lair
~ rent
Les yCl.;~
- Et moi qui vo u . en voulais lanl
Quo j 'é tai s
ma.uvai e, pardonnez-moi 1
Dien volo nli ers cl m ême je vous aiderai de
louL mon pouvoir.
Hochclle sc sentail a llirée vers ce lle jeune Illle
à peu ~)l'ès
de on âge Ipa'!' une secr ète sym paLltie.
Peul-êlre quelqu e jours avanl n'aurail-elle éprouvé
qu'ulle vague co mpassion car elle ne savait pas cc
qu'éta.it la doul e ur humaine. Mais maintenanl, une
pilié ln so uleva i L ,pour toute réa Lure qui , comme
clic, <Hait bIc sée [la!' la vic. D'un élan, Il e sc pench~
vers la pelite servante cL l'embrassa d'un grand
ba Iser rra ternel.
- SL'eh e les larm es, Fan eLle, cL oublie la jalousie
inuLile. J sui ton alli ée ...
Les deux j eun e filles ne purent en dire davanta ge car en cc momen lI es l'ai liard , père cl fil s, débouchaient du chemin. L jeune homme avait reconnu de loin Roch ell e ct il ae ourail dan s a hâl e
toujours très vive de la voir. Quant au père, il marchait d'un pa lenl ct mesuré . C'était un homme
�U: 1I101\SIDUn
DES
65
nmi\'ES
de 55 à 58 ans, de haute s talure, large d'épaules.
La m;'\ehoiro carrée, le fronl têtu, les yeux vifs
so us d'épais so urcil s en brou ssal1les, il n'avait pas
l'air -co mmode e l l'on -comprenait qu'à la RorieHaule toul devail marcher droit. Il salua la jeune
fille avec politesse mais sans se d,éparL.ir d'une ce l'laine froideur.
- J 'ai vu Catherine, dil-il sans préambule, cli o
m'a appris la décisio n de Mme Fonlallb el'l.
- Comnwnl 1 s'éto nna la jeune fille, Ca therin e
est -venue jusqu 'ici P Elle avait une lettre ipres~é
:\ porler à la posle de Caylll cl vol1'e m étairie n'est
pas prérisément sur so n ch erni n.
- Elle esl "Ven ue demander des œufs à ma Iemme.!\-lai s ellevouluiL surtout nous apprrndre la
conver 'alion que vous avez eue llier avec tllme Fontauberl. J'ai Ipensé, en 1' OUS alle1'CevanL fill e vous voniez me vo ir :l ('e suj et.
Il ajoula, ssay nnl d'être aimable :
- Mai s Ile res tez pas sur la pode, entrez donc ,
mademoi clic ...
La 1'ermière arrivait il son tour, un ratea u ur
l'épaule, vêtue d'une jupe de cotonnade bleue et
d 'un corsage de grosse toile bi se . Elle deva it avoir
la cinquantain e, mai s e]le était solide ct droite com1ne le so nt la plupart des !paysannes dan s cc oin
du Qu ercy. Elle avait quitté le travail, poucséo par
la rllriosiLé C[lr elle pen sait qne Hoch ell e venait pour
parl er ùe (( l 'affai re » •
. Quant à Pierre, louL à ses Ip rojets matrimoniaux,
11 ne pouvait imaginer qu'il s'agisse d'autre chose
1l1ais il trouvait surprenant que ln j eune fille fûl vel\ue clIc-même pour en parler. Au ss i, en pa ssa nt
dan s la cour , ]le put-il s'empêcher de dire à Fa-
ny :
-
'Jiu sa is pourquoi
-
Doutez-voLI s fjlle c soit pour vos beaux yeux?
-
Je ne sui s pus assez na'ir 1... Il lui faut un
~ ieur
» cl non lin pay sa n.
~I1e
no 'helle est venue
La s.. rvanle répollLlit avec mnli('c :
~
Il rétorqua tri lem nt :
(( mon
3
�·.66
~ha
LE
MONSIEUR
DES
RUINE S
Pourquoi vous obstinez-vous, alors P reprola !petile.
El, jetant un regard de eÔlé, elle risqua :
- 11 Y a d'autres filles à Caylus ct sur les Cau ses
qui ne feront pas les difficiles ...
!Pierre soupira :
Aucune ne r essemble il Rochell e ...
Elle lui vit UJle p eine si profonde qll e l 'instin ctive ,pitié féminine lui miL aux lèvres des ~)aroles
de
con soln lion :
- Ne vous cliagl'inez pas ainsi, M. Pierrc. VOli S
trouverez bi en ulle autre « promise » pcul-être moin s
joli e mais qui vous aimera de loul son ('Œ ur.
Il r cga rd a la bou che fraîche qui ve nait de parler,
les gra.n<ls yeux 1I0i se ltes qui livrai enl ill géJlu ,m ent
leur secre t ct bien qu'il ellt l 'âme envahi e Ipar Rochelle, {~eL
tendressc lui fut Jou ee .
Tu cs ull e houtle ,petile , Fall eUe, dil-il avcc
émotion.
Pui s , la lai 8~ anl
;1 son lravail, il r"joigllit sa
m ère, son père cl leur vi si leu sc dans lu gl'<H1de ~a l
le de la ferm e. Celle pièce é lan t la pl LI S belle ct
la mieLl x meubl~
e
n 'é lniL utili sée qu e lorsq ue les
Taillard avaient d es visites. Général em en t, il vivai ent :\ la cuisine avec leurs domest iqu es.
]I s s'assirenL tOll S quatre sur des c haises cn hoi s
blanc mais soigncuscment cirécs ct devant un e labIc ronde recouverte cI'un vieux chale de achemire
d es Indes comme en 'p ortaienl les tPa, '~ ane
cl 'a utrefois .
•
D ' un hahut tout relui sant de Jleuf, la fermière
avait sorli un sc rvice de petits verres cl elle versa
à chacun dc l'cau de noi x dll pays :'t laquelle personne ne touc·h a . Trop de Ipréoecupalion s halllaien l
l'es prit de chacun pour qu 'o n p'l.t arliprécicr ICR liqucurs cie la fermit'rc.
Mon garçon, commença Antoine Taillarù <0
.L01J l'n an t vcrs son HI s,' )J'lOi re 0011 versa tion Vtt le
S1Jrprendre. Il cst une 'hose que jc t'avai s cachée,
d'accord en cela avce Mme Fontaubcrt , mai s que
�LE MONSIEUR
DES
RUI NES
67
Mlle .Rochelle, mise au courant hier, estime que tu
doi s connaître.
- Esl-<:e donc si grave P s'effraya Pierre.
- T'u vas en juger : il y a treize ans quand nous
é tions fermiers chez Mlle Maréchal et que la famille Fagès habitait au châleau d'Albias , il y eut
un drame affreux. Notre propriéLaire fut trouvée assass inée chez elle un matin. On J'avait volée, bien
entendu, el tou les soup çon s par suite de plusieurs
faiLs qu'il sera il trop long de t'expliqu er, porLèrent SUI' M. Georges Fagès . Al'1'êlo, il ne put ,prouver son innoconce. Il fai sait de mauvai ses affaires, il
avaiL des delLes im,possihles ;\ payer, tout l'accu sait.
1\1aJgré les proleslations éperdu cs de sa famille, mal g ré mon témoig nage - car j e fu s le seul d ans Je
pays à d épose r en sa faveur - en d ~ piL
de l'émouvante plaidoirie de so n avocat,il fut {'ondamné .
.'a femme en mourut. Mme Fontaubert décida de
quitler le pay s ct j'en fi s aulant. C'esl ainsi que
nou s nou s so mmes retrouvés aux alentours d e Caylu s . Voilà.
Le j eune homme bouleversé, ré,pondiL sponlunémenl :
- Cela n e chan ge en rien mes sentiments pour
I\oehelle cL m es IProjets. Et si elle veut bien m'accepler ...
Hochelle eut un pâle sourire.
- C' 's l très noble à vous, Pierre, de ne pas rePOll sRer la fille cl 'un bagnard, mais il es l probable
que je ne m' marierai jamais. Je n 'ai désormais
tlll'un bul : relrouver le coupable cL faire réhabilil cr mon ,père.
- Après treize an s 1 jeta le fermier, c'est presqu e impossible. Vous vous lancez dans une aventure
~,I I S
iss ue. ongez qu'au moment du d'l'rune nous
aVOIIS Lout tenté . Je suis persuadé que le crime est
l 'Q)uvre d'lm chemineau ou d'un hoh6mien donL le
Pays é lait infesté à celle époque.
- C'ost ,p ossible, mais je veux r ecomm encer l'enq.uête.
- Dall s ce cas voyez Me Vidal, il doit avoir con-
�68
LE
MONSIEUR
DE S
RUINES
servé le doss ier de l'affaire.
- C'est mon intenllon. N'y a- t-il !pas un car qui
passe vers 2 heures ?
- Oui. 11 vous dépo era à Montauban presque
/ devant chez lui.
- J'irai aujourd' hui m()me. Et vou s, M. T'aillard,
vous ne savez rien qui pui sse me guider P
Le fermier eut un geste d'impuissance :
- J'ai dit 1.011t ce que je savais lors du procès
ct c'est peu de chose. Je reste lPersuad-é que volre
père est innoeen l.
Hochelle se leva, Lendit la main aux: deux hommes et embrassa la fermière qui lui ouvrait sponlan émen tI cs uras .
- Je vais prévenir grand 'mère de mon voyage
il Montauban. Au revoir Il tous e t merci ... Non,
Pierre, ne m'accompa g nez pas.
Elle leur at un dernier sig ne arnica) de la main
ct elle s'éloig na. Q uanu elle eut nUeint le chemin
bordé ùe bui sson s, Je jeune llomme murmura boul eversé par cc qu 'il vena it d 'a pprendre :
- C'est épo uvantaule pour elle, toute cette histoire 1
- Elle a un g rand cœur ct ]a LêLe soliùe, r emarqua le fermier ...
Qlle vo us ft fai t dire Mme Fon La nbert j1 .l'ai
vu arriver Catherine ...
- Ell e me prévena it de la visite cl e Hoehelle. Elle
me d emandait de ne pas la ùi ssuad er lout à fail de
commencer les recherches, mais ùe J'ori en ler vers
l'<lVOCllt. Mme Fontauberl 'p en se que cela « l'occu,pera JI ' ca r el le, est dan s un Lei étal d',énervement {IU'e1Je ri sq uera it de tomber malade en r eslant à ruminer ce malheur.
La fermière deboul sur Je seuil, regardanl au loin
di ~ parîL:e
Rochelle, d emanda :
- Que crois-tu que va lui conseiller Me Vidal ?
- De renonce r. Mais il saura mieux s'y prendre
que moi. D'ailleurs, il pourra Loujours lui donner
Je dossier il compulser. On ne fera j amais mieux que
�LE MONSIEUR DES
RUINES
69
cc qui a ûté lenlé jadis. Le ·coupable esl loin 1 Qui
sait 1 il est peut-êLre mort 1
Pierre regarda so.n père :
- Par chariLé, lout à l'heure, lu n'as 'pas menti
à .R ochelle P T'u crois vraimen t M. Fagès innocent P
J'en res lerai toujours persuadé, r épondit le
fermier sans hésitaLioll.
La mère soupira :
J'aurais bien voulu que lu l'épou ses, cette
pelite, elle me plaîL. Es poulido el mignounello à
crouquado 1 (1)
- Tu n'cs pas assez empressé aUtPl'i!s d'elle, gronda le fermier. Ou dirait qu'elle te j'ail peur. Change de manières ,mon garçon. Elle a beau êlre nue
demoi~cl
... l'auJace l't!nssÏL avœ les femmes.
Ce n'esL pas précisémenL le moment de lui
faire la çour, r emarq ua Pierre assombri par tOlll
ce qu'il venait d'aplp rendre cL qui, donnanL à Rochelle l'auréole du malheur, la jugeait encore plus
chère.
J'CIL conviens, admiL le fermier. Laisse-la se
haltre av~c
des chimères. Quand elle aura fail 10
tour de Lou les les démarches possibles elle sera vite
décou ragée, son père 1ui-même lui çonseillera de
l'cnoncer fi ,clic Lâche. ;Mme FonlauberL lui a écrit
dans ce sens.
Le jeune llOmme soupira :
1l faul un mois pour que les JeUres parvienllenl cn Guyune el 3111ant pour revenir, que c'est
long 1
L'important, c'esl qu'elles arrivent. Pendant
l~.(:te
période, I10chelln anra éprollvé tunt ùe rJéceplLons qu'elle souhaitera uo cœur pour la cOI"lprend.rc, un amour pour lui fai1'e oublier les mér;hallceles, l'indifférence, l'hoslililé auxquelles elle ~e
sera
hCUl'Léc. Cc sera Je momenl pour toi de 1ui faire dite oui.
Le fermier posa sur l'épaule du jeune homme sa
---
( J) Elle esl polie el mignon.ne à croquer.
�70
LE
MO ' SIEUR
DES
RUINES
lourde main autoritaire et proposa :
En aUendan t, allons con tÏnuer
foin, lui, n'aLlendra pas.
j
faucher, le
CHAPITIRE IX
Sur la place où l'autobus qui fait le service de
Montauban s'arrête ù heures rég ulières, les voyageurs de Caylus qui, cc jour-là , devaient se rendre
au chef-lieu du département, attendaient Ipatiemment en ~changet
quelques propos. En dépit du
mois de Juin d'ordinaire si beau dans ces contrées
m éridionales, le ciel, nuageux un peu avant mieli,
laissait tonlber sur la région une !pluie lourde ct
chaude. Cay lus, avec ses mai sons propres ct rian les,
ses promenades bordées de marronniers perdait dan s
cc déluge toule sa grûce coutumière.
La place en question est située au carrefour de
quatre routes: celle de Montauban, celle de Livron,
lieu de pélcrinage en l'honneur de la Vierge, celle
de St-Antonin, station thermale en formation et enfin celle qui, Iprenant le nom de boulevard, contourne la ville. Là, ont les Ip rineipaux magasin s, la
gendarmerie ct quelques mai sons bourgeoises s'échelonnant jusque SUl' la route de Montauban.
Les enfants avaient déserté cc jour-là les ac,acias
et les platanes de la place, seuls les voyageurs recevaient l'averse ct, parmi eux, Uel'vé Duplessis cl
le Mon sieur des Ruines. Un peu ù l'écart des autres,
ils attendaient, eux uussi, l 'arrivée de la voiture.
Rochelle déboucha S UI' la place ct a vue éclaira
le visage des deux hommes. Jls allèrent à sa rencontre avec ernpressemen L.
- Celte vilaine journée ne vous u donc [las fail
peur ? demanda le vieux monsieur.
Je suis absolument oblig~e
d'aller ù Montauban.
�LE
MON SIEUR
DES
RUINES
71'
- Moi aussi, dit Hervé. Le voyage sera bien plus
agréable maintenant que j'espère le faire en votro
compagnie.
La vue du jeune homme raviva la douleur de Rochelle. Depuis ql!-'elle « savait », une voix lui'
criait que le rêve innocemment ébauché devait refermer ses a.i les car jamais un homme n'accepterait,
même s' il la trouvait charmante, d'épouser la fille
d'un bagnard. La jeune IlIle eut préféré ne jamais
revoi r Hervé Du pl essis ct voilà que le ha sard lui'
imposait de nouveau sa prése nce . Elle devait accepter celle souffrance nouvelle ct, surtout, n'en laisser
rien rp:ll'ailre.
Comment va votre ble sure P demanda-l-elleau !Monsieur de Huine pour cacher SO li trouble.
Je suis comp lètement rétabli, déclara-t-il, ct
loin d'en vouloir ù mon éc raseul' , je me féli cilepresque de ce t accident qui m'a valu de faire sa
connaissa nce. Nous som mes devenu s de grands amis,
il tel jJoinl,vous le voyez, que le sanvage que j e s uis
qui a horreur des villes e t de cs semblables, a con~e nti
ù quiller so n rqpail'e pour l 'acco mpagner à
Caylus.
.
.En parlant, il regardait la jeune fille avec une
Sorte d'attendri sse ment ct il demanda , soudain un
peu illquiet :
Ser iez-vous so uffrante P Je vous trouve le
Visage lourmenlr. Qu'avez-vous fail de vos belles
Couleurs, petile fille P
ct une ombre de mélancolie
Elle eut un ~ oupil'
notta dans son regard :
- JI est de tri s le jours où le cœur humain s'lIarn10n ise avec 1e tem ps.
~ , il s'agit d'avoir un
- Le soleil rev ient tOlJjour
POli de Ip atienee ct de rourage.
- Merci, murmllra Rochelle, cc so nt les premièl'os bonnes paroles que .i 'elltends depuis hier.
Los deux hommes échangèren t un regard qu'elle~ 'C lnarqu.
Elle craignit de les avoir peiné ct, surOut, intrigué.
Ne fail s pas atlenlion, se hâta-l-elle d'expli-
�72
LE MONSlEUn
DES
H.UlNES
quer.. Je suis en cc moment terriblement angoissée,
énervée. .. mais cela ~aser.
- Voici l'autobus, prévint le monsieur des Ruines. non voyage. mon jeune ami 1 il. bientôt, petite
Rochelle 1
LégèJ'ement, les deux voyageurs montèrent, s'assircnt en fa.cc l'ml de l'autre, la lourde voilure
s 'ébranla_ Ils firent lill demi el' sig ne d'adieu à
l'inconnu resté seul sur la place et Hervé se mit à
Ip arler immédi:1lement !pour distraire Ja j eune fine.
U lui dit combien le monsieur des Ruines lui était
sympalhiq ue, vanta la beaulé ct .le !pittoresque du
pay sage, donna des détails sur Je lalJleau qu 'il avait
enLrepris. I\.ochelle r,épondaiL 11 peine, visilJlemen t
di straile, en proie 11 ses pen sées lancinanles qui lui
fai saient trouver insignifiants les détail s environnants. Il s nLleignircnl Monlauban sans qu'lIené eùl
la joie de voir lParaHre sur son visage l'ombre d'un
sourire.
- Henll'ez-vous par l'autobu s de fi h. demandat-i] en descendant.
- Oui, je n'ai qu'une course 11 faire.
- Moi au ssi : je dois acheter des coul eurs cL. des
pillcea ux. cllez le premier marchand venu ...
- Dans ce cas, à tout il. l'heure, mon sieur ...
11 ;; sc quittèrent sllr la Iplace de la Pl'p fec ture.
HoehelJc traversa les allées MOl'lari eux pour se renùre
sur lc Pln.tenu où halJitait MO Vidal. Cela lui prît
tOllt de même lm moment car c'élait un jelldi cL les
nll('es ù celle heure étaient noires d'un m enu pcupIe d'enfants, jouant, pi:rillunl autollr du 1 Losque à
musique occupé d'autorité Ipoll' les plu s grands qui
Jnenaient un truill d'cnfer. I10chclle dut sc faufiler
entre les La J'aques ù honbons ct 11 gâlra ux cl tl'n verHcr le grand bazar IroUl' aborder enfin le Plateau.
Cc Plateau esl en r éalilé une esplanade qui donne acds nu jardin public ct cl 'où l'on domin e Lous les
U:1 S quarliers de la ville Les jours clairs, on peuL
apercevoir au loin les Pyt6l1écs.
.
« .J'aimerais habiler ici », songeait Rochelle chaque Cois qu'clIc. s'arrêLait devant Je Ip arapet do [lier-
�LE MONSIEUn
DES
nUINES
73
re, mais aujourd'hui, elle n'accorda même pas un
regard à son ami le paysage. Elle pénétra dans un
hel immeuble cossu el grimpa lestement au deuxième étage. La domestique en tablier blanc qui vin t
lui ouvrir l'introduisiL dans une riche bibliothèque
où l'ancicn homme d'affaires accumulait des objets anciens cL des livres l'arcs.
Rochelle eut à peine le temps de prenùre un siège, M Vidal entra. C'était un vieillard ex trêmement sympathique au regard vif et net, à la longue
barbe blanche. D'instinct, la jeune fille se sentit
en confia nce.
- Je suis Mlle Fagès, dit-elle simplement.
El, soucieu e d'être précise , elle ajouta :
La fille de Georges Fagès, votre malheureux
elienl.
J'ai gardé un excellent souvenir de voIre
père, affirma l'avocat. .Je ne l'ai Ipas défendu avec
sllccès, hélas 1 du moiHS y ai-je mis Lout mon
Cœur. Il ne pouvail être le cOllpable.
Je vous remercie, maîlr, de me dire ('ela.
Je sui au COllrant maintenant de LouLe celte lamenLabie affaire.
mademoiselle me semble une
VoLre , r i~te,
heUl'euse co'ilncidence J'allais justement ooril'e à
Sfrne Fon Lauberl pOUl' lui ùemander un rc.nseignelllent imporLan l.
JI eut un geste pour désigner l'ensemble ùe es
collections :
.
VOliS avez dû vous renùre compLe que je suis
Un viellx maniaque.
e prole 'lez pas 1 Je !lais COUllllent on me juge en ville 1 Peu illlpol'le d'ailleurs.
Si manie il y a, elle est ùouec et ne Cail de Lort il
personne . ./ 'ai donc la pa~
ion dcs objeLs uncirns :
lnonll'cs, tahaLii"l'cs, bonhonnil'res, face -lI-main ...
~r,
mon anliquaire m'a proposé il y a quelCJuc
JOUrs
lIne honbonnièrc tl'ès belle de l"poque
Louis XV. Voyez plulôl ...
II 'c leva ouvrit une vilrine, y Ip ril un objet
en{'ol'c cnvel~p6
de papier de oie qu'il déplia soigle~mJt
sou les yeux' de Rochelle
�74
LE
MO NSIEUR
DES
RUI NES
La bon bonnière en ques tion m 6rita it l 'en thousiasm e d'u coll ec tio nn eur : elle r eprésen tait une n ymIp h e drapée de bleu. C'était ce t ém ail d'un bleu très
r ar e qui avait fr appé MO Vid al.
- Si j e désirais parl er d e ceci à Mm e Fonl aub er t, dit-il , c'es t q ue l'o bj et qu e no us avon s Jù,
entre les doig ts, m 'a permis un rap proch em en t
avec -un e a u tr e bo nbonnièr e qui é tait la propr iété
de Mll e Maréch a l Ell e m anqu ait à l 'inventa ire.
A- t-elle été rc tro u vée d epuis P
Non , mai j e l 'ai long uemen t admi rée hi er,
su r
un portr uit de m a m ulh e ul' use cousin e. EL
çelle-d, d'où provient-ell e P
- Ell e a été vendu e à l 'antiqu uÎrc !par un j eun e
homme in connu qui a accep té san s m ar eharld er le
prix offer t. C'est la mê me bon bo nnièr e, n 'es t-ce
pas il Je ne saurais m 'y tromper.
- J e le cr o is, dit Hoch ell e. fi sc po urrait d OliC
qu e Je coupa!>1 babil e ençor e la co ntrée. Au bOll t
de treize a li S j 1 doit sc c ro i re s C.r d e l 'im punil6 ct
il s'est déc idé il vendre cet obj e t d e va leu r.
MO Vid al !préci a :
- L' homme n qu es tion s'e 1 ren du au magas in
le J9 ma rs j o ur de la fo ire de ' t-J oseph . V O li S
savez qu el m o nd e afflu e à ce lle da te à Montauban P
Il a p u pen ser :'1 jllste titre que <pa rmi to us les
clien U; il pa sser ait inaper ç u.
avez-vous comm ent éla it cet homm e il
- J eun e, assez bi en vê tu. 11 parl e avec un léger
zéza i 'm enl.
Voyant que Hoch elJ e sc lai sait en va hir pa r l'c t
es poir , l 'avoea t s'empressa d 'aj o uter :
lJ pe ut n 'ê tre qU 'lin commi ss ionn a ire . ..
- Cependant , il se rait utile d e r etro u ve r ses Iraces.
- C'es t po urquo i j e vo ul ais m ettre 'hne Fo ntaub erl da ns la conDd enç e
Roc hell e réfl échi ssait :
- Maitre, demand a- l-oll e au bout d ' un m om ent,
pouvez-vo us m e o nD l' cet obj e t il .l e voudrai s le
com par er avec le tabl ea u cl celui- ci es t si en eoITl-
�LE MONSIEUR
DES
nUII ES
75
brant que je ne puis guère le promener dans l'autobus.
L'homme d'affaires secoua la tête :
- Je n'ose pas accéder à voLre désir, si légilime soil-iJ, ce serail une grosse imprudence de vous
laisser partir avec une semblable pièce à convicLion.
Il poufrait y avoir trop de danger pour vous.
Hochelle !proposa :
- Un croquis suffirait peut-être ..
- Je Je <:rois.
- Alors, je ço.nnais un peintre ! J 'ai voyagé avec
lui LouL à l 'heure el nOllS devons reparLir ensemble.
L'avocat eul une moue significative :
- Mêler un étranger il ceLLe affaire, cela ne me
dit rien qui vaille. EsL-il du pays, ce peintre ?
- C'est un Parisien venu en vaçances pour travaill er. Il ha bile Cay,l us et il pren dl de Naquis près
de chez granil'mère. Si j'en juge par sa voiture une Lrès belle IIispano - il doit être riche, donc
Connu.
- Comment s'appelle-t-il ?
- Hervé Duplessis.
Maître Vidal à ce nom montra une surprise énorme, mais il se l'CS 'aisiL viLe eL affirma :
- En effeL, j'ai enLcndu !parler de lui ... eL toujours avec beaucoup d'éloges, Lant au point de vue
personnel qu'au point de vue arListique. Je crois que
nous pouvons nous aùresser à lui en confiançc.
« D'ailleurs, inutile de lui dire nos vraies ra isons.
Vous savez où le trouver P
Hocholle sourit :
Certainement chez le marchand de couleurs
de la rue de la Hépublique .
. - Nous allons envoyer ma honne le chercher. Un
Jeune homme, élranger à MonLauban. Héloïse, qui
eonnaiL Lout le monde, ne s'y Lrompera pas. Je vais
tOut de même le lui décrire. Comment est-il P
- Grand, minçe, très brun, avoc de beaux yeux
Ombres.
En somme, un fort joli garçon.
Maître Vidal souriait de l'émoi soudain de Ja jeu-
�LE
MOl'iSIEUR
DES . RUINES
oe fille. Pour .ne Ip as augmenter sa confusion, il
passa dans le -couloir et appE;Ja Ja servan le pour lui
donner ses instructions.
.
Héloïse était vraiment une perle : elle ramena
Hervé avec elle moins d'un quarl d'heure après.
L'avocat s'avança vers le jeune homme, la main
tenùue. Hoch.elle tournait le dos il la porle, eL elle
ne vil Ip as le signe d ' inlelligenec qu'Hervé adressa
au col lectionneur. Celui-ci euL J'air de <:omprendre
ct quand la jeune fille cul fait les présentations, il
cntra louL de s ui.te dans Je œuf' du sujet :
- Je m'excuse de vous déranger, monsieur, diLs~e:
mais vous pourriez me
il avec une granùe poJile
rendre un vrai service. J'ai ici une hOllhonnière
Lrès ancienne acheLée récenul1enl. Comme c'esl un
objet rare cl de grande valeur, il me semble pfll dent, par ces Lemps de camlJriol<lges ù outrance,
d'en avoit' un croqllis. C'est cc que je demande à
volre laIent, si vous voulez bien ,perdre quelqlJCS
minutes pOUl' faire plai sir tl un vieil ami de nocheJle Fagès.
- Mais je suis trop llcul'eux: de pouvoir vous êlre
agréable, alIil'ma le jeune arlisle.
11 &e mil illlmf·diaLclOenL au travail. D'llOe maill
Slll'e, il reproduis it , en peu de lemp s, les traits essentiels <.le la précieuse bonbonnière el Hochel le demanda:
Grand'mère qui ne veut se déplacer crait
contenLe de ,'oi l' cc croquis. Puis-je le lui montrer?
Je VOLIS le nlpporlerai moi-même.
Mais {'erlaincrnenl 1
L'avocaL mil le Lravail d'Hervo dans une arande
enveloppe cl le confiu il la jeune fille, qui s/' reLira
aussilôl en compagnie du peinLre suivi pax les remcrr:icmcnls du collecLionneur.
l'ill venu au bas de l'esca lier, le jeulIc homme
s'écria :
~uil:-je
étourdi. J'ai oub1i6 Illon paquet de
pillccanx chcr. Maître Vidal. Excusez-moi, je reviens
iTtlIll{><.l ia Lernen l.
Il remonLa les deux étages en courant, Rochelle
�LE
M01'lSIEUR DES
RUnES
77
res la sur le troltoir, mais pas lon g temps, Hervé Aa
r ejoig n ait, on fain e ux !paquet bOUS le hras.
omme il s traver sa ien t le 'P lateau, la jeune fille
remarqua :
Comment sc fail-il que vous ayez pris l'aulobus pour venir à Monlouban ~ Vou s avez une voiture
a utreme nt rapide et confortable.
li la regarda en rian t :
- ./ e pourrais vous répondre qu'elle es t en panne.
La vérité, e'cs t que j e ne voulais pas perore une
ocra iOIl de vous r evoir.
Comment sniez-vous que j'allais prendre le
car ? fit-clic, inle rdite.
- Figllr 'z-vou s qlle je pein-nais derril're une haie
el j'ai enten du un e co nv r alion clltre votre vieille
bonn e CaLlH'r in e cl le fermi ' r Taillard. J' ai re tenu
qu e vou iriez sans doute \oir Maître Vidal aujourd 'hui on demaill.
J\o cll e l'1 e Illi (it pré-e iser avec illquiélude :
Vous JI 'ayez enlell d u qllc celte pIIl'use
- T~ l~'y
a que relIe-là CJlli pOllvait m'intéresser ,
repondit-il aH'{' beaucoup de ù(;licatesse.
La jel1Jl.c 1~le
Re promit d'interroger Cathe!'ine
pour 'nvo lr JU Sqll'Oll lindi s,cr é lion av!!il pu elre
pOIl. ~ r,
cl, changea nl de converfoation, l'lI(' s'a1Îsa
Cfu e, devant la Préfcclur
J'autobus n'était pas ran'
go..
Nou s en avons ponr ltn quart d'h e ure, voulez'Oll S visiler la ça lh édra le P
11 accepta, c L il s e dirirY[.rent ycrs la lJasiliql1e
qui domine lI/1 pell lourd'm
~ nt ln place porlanl ~O f1
nom. Elle lI 'a d 'a ill eurs rien de rcm arquable ('omme
tyle 011 ('0 11 1III ancicnncP. MOlltallball, flui n longLe mps It é~il(;
e ntl'e le P ape cl
alvin, Il 'a pas élevé
au {' ulle ca lholiqll e une cat hédral e di g n e de cc nom.
,"il avaienl Cil le tl'mps, il auraielll pu pousser
ju qu 'il la vieille église Sainl,-Jarque',
onslruilc
plu s bas, fac' au quarti er de Vill('bombon. Elle a
un autre sly l , une élfrYo n ce l'arc ct, à l'intérieur,
pl U ~ d' l'iel; c c'},
0
IIcl'v6 cl Hoc heIJe gril' irent cô lc il côle un ùes
�78
LE
MONS IEUR
DES
RUI NES
escalier s de Ipi erl'e qui montent vers la ca tM dral e,
traversèrent l 'é troite esplanad e e t pén éLrèrent dans
le sanctuaire.
- La premi ère fois qu 'on entre dans une égli e,
dit la j eun e fill e, on peut formul er trois vœu x . Dieu
exauce sûrem ent l'un ou l'autre .
- Po ur être sûr de Il e point embarrasser le Seig n eur , je TI C vais ,pa ex prim er lrois dés irs. J'im !plo re un e se ul e g râce, trois foi s la In "·me ...
A cc m oment , il rega rd ait la j eun e fill e, ave(' un e
tell e expression de tendresse qu 'ell e Cil eut (' haud
a u cœur .
Il s s'ageno uill èrent tou deux, m ais Jf c rv~
r egar dait to uj o urs la j eun e fill e. Dans j'o mure do u{'c de
la ca th édrale, so n Jill visage s' idéali ait , lu l umièr e,
qui to mbait des vitraux, po ndrait ses clJCvc ux, nim uait son fro nt. L 'arti ste c t J'homm e ad miraient en semble ce lte cnia lure de g l'ûce. l/ ervé (II. aim é peindre 110e ll ell e ngenollill ée sur un humhl' pri e- Di e u ,
levant des yeux plein s de r êve e t de sU[lplica li o n.
Po urtant , la j e un e fille n e ~1L'i a it pas. EII · n e sava it plu s cc qu 'ell e devait demande r au Se ig nellr .
To us les y ux sc ballaieJll dan ' ~O l ('O'u r , l'Ile n e
]lut qu e murmurer avec to ut le poid s de sa dOlll ur :
1\1011 Di eu 1 Mon Di eu 1...
Apr:\s cc cri d 'implora li o n , ell e sc releva e t n traîna le pein tre vers la gr and 'porte. ur le [parvi s,
l a clarté du jour les reprit. La plui e avait cessé pour
faire pl ace à lm soleil presque ch aud qui trembl ait
slIr chaque goulle d 'eau ('omme un so urire upr:\s des
larm es.
L 'auto ulls arriva Cil m êm e temps qu' 'IJX pl ace {le
la Préfoc,tuJ'e, il s s 'y en go uffrèrent cl dans lin grand
g rin eem enl de frein s, r eprirent le chemin de Ca~
lus.
- Le m on sieur des ruin es doil-il vou allend re 'l\
]'arrf: l P d'm anda Hoch ell c.
C' ~ t hi Il possibl e. ff devi ent ri e Jl o in ~ en
~ ni e . 11
m oin s sallva ge, c l, j gotÎl c fo rt sa co l1pa
es t cultivé ct ses con.nai san ces so nt pro fondes.
�LE
MONSIEUR
DES
IIUL'IE S
7D
La j eune fille resta un insLan t songeuse, puis elle
dit, les yeux perdus au loin :
- 11 semble avoir beau co up souffert... El! cc
monde, qùi n'a pas sa croix il porLcr P
ClIAP IT'HE X
Au ssiLôt l'en trée il la Bonnell e, Roc hell e sc diri gea vers Je salo n, afiu d' y cOIllparer J,c eroqui ' de
la bonbonnière avec le fam ellx portrait , eL y trouva
Mm e PonLaubert qui, pour tromp er l 'attenLe, Lri coe~
lail. Elle demnnda av ce un e orle d 'anxié Lé 10l
sorles de tp réd ·ioll s sur sa v isite ù Maîlre Vid al.
La jeun e mie la mit au ' ~ iLô
a u courant de l 'ac hal
de l 'homm e d'affaires , et ell e lui m onlra le croquis
d'Ilervé Duples is.
- 11 Il 'y a al; 'un doule pos ihl c, nffirma g ralld'm ère, c'est bien la bOlluonllière de noLre jlnuvre
cousine.
- Ce la peut amener du J10uveau, dit Rochelle , le
ye llx brilhlllls . .le croi s q Il 'il ne fau L meltre personn au co urallt de ce déLail qui peut avoir de grave
conséquell ces . Pas m ême Cat herine qui, Cil dépit de
tout son dévouemen l, a parfois la langue trop longue.
- A quel propos dis- lu cela P Une indiscrétion
de sa parl m'élonne beaucoup .
~ oche
l e r aconta;1 a g ralld'mère la rél1 exio n du
pelllLre ct elle ujoula :
- J, va is Iparl er ;'1 Ca lh el'ine .
- Elle esL 1\ la basse-r.our, ne la ri ~ralge
pas,
nou s la velTon s LOlll il l'heure. Va elllel'cr 1011 tailleur tpour èlr' plu ' ;'1 LOII ai se pour le din er.
Roch Il e obr il, monta dall s sa c hambre, relllplaça
SOH Lailleur par une 'imple robe cL, CO IllOle elle
s'a pprochaiL de la fenêlre, resla à rêver lin mome.nL
aux in eic!· nts de la journ ée. A côté de ~a pensée dominanLe : les so uffrance de son père, l'image d'IIel'-
�80
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
vé s'imposait. Le vœu, le vœu triple qu'il avail formulé n'en étail-elle pas l'objet P•.• Hélas 1 même
s'il l'aimait, comme il s'écarterait d'elle, quand il
« saurait )) 1. Fille de bagnard 1... Avec {]'é sespoir,
Rochelle pensait il ,ces choses, le front appuyé aux
vitres. Trouver ]e coupable, faire réhabiliter son père. En dehors de cela, il n'était pas de bonheur
pour aucun des membres de la famille Fagès.
Elle fut distraite de ses réIlexions par la vue de
sa grand'mère, rejoignant Catherine occupée il distribuer du grain aux poules. Mme Fontaubert parlaiL avec vivacité et semblait fort en colère. Que signifiait ccci il Grand'mèJ'e d'ordinaire si indulgente
vis-il-vis de ln servante devait avoir pour se conduire
ainsi Ull motif sérieux.
Intriguée, Hochelle descendit rapidement, et Madame Fontaubert s'empressa de lui apprendre qu'elle venait d'interroger CatheriJle au sujet de ses havardages.
- Et (IlIO vous a-L-eJle répondu il demanda nochelle surprise de voir Catherine s'éloigner il ~on
approcha.
- Elle m'a affirmé avoir diL au fermier: « Mademoiselle vient d'apprendre cc qui s'est passé nujur6
trefois, elle e t sens dessus dessous, elle s'e~L
de retrouver l'individu. StlJ'emen L, clic va ven il' VOliS
voir. Après quoi, Madame Ipense qu'elle sc t'encira
chez Mo Vidal ù Montauban.
VOlIS Ini avicz vl'aiment dit cela, grnnd'm\re il
- J'avais /'aison.
- Oui, cL moi j'ai bien fait d'accomplir cc petiL voyage puisque j'en ai mpporl6 du Jlouveau.
Catherine lle vous a pas dit autre chose il
Mais non 1
- Vous aviez l'nir si en colère ...
- IParce qu'eJle m'agace avec ses lamentations
eL ses jén1miacl s l '1'11 sois comme lIe est il Quand
j'ai commCllcQ ~t lui faire de'! reJJroc]les elle a poussé
des « Oh 1 mon Dieu 1 Péca1I'e ... NostfC Seigno ... ))
comme à l'habi tude
- En définitive, M. 1!uplessis a pu croire qu'il
�LE MONSIEUR DES
HUINES
81
s 'agissai t de quelque chose concernan t la IPropriél,6.
Cc n'est pas grave. Mais à l'avenir, il faut que Catherine tienne sa langue .
- Lc IPlus sage es t de ne rien lui dire~
conclut
Mme FonLaubert.
Rochelle eut un pâle soudre :.
- La leçon lui servira car vous J'avez secouée
d'importance 1
Grand'mère s'appuya sur Je: bras de Rochelle pour
rentrer ct cc jeune bras sc faisait Ip resque prolecteur. Une Ip aix descelldait en elle. A près les heures
cruelles qu'elle vCllait de ' rcvivre en les évoflunnt,
Mme Fontauber't rc trouvai t le calmc ct la sérénité
qu'elle avait acquises au prix de tnnt d'efforts. Rochelle aussi sc senlait le cœur plus léger, comme
ça, brusquemen t, d 'i nstincl.
Une lueur avait jailli dans tout ce noir, une lueur
qui prenait la teinte émaillée de la nymphe sur la
bonbonnière Louis XV .
. Le même soil" aux ruines.
Le vieu.;( monsieur, après un frugal rCIPas, était
reslé .l ongtcmps assis sur Je seuil de sa porle. La
pipe enlre les dents il rêvassait. L'ineffable doucem
du soir lui versait' une quiélude que depuis longtemps il ne connaissai t a)/us. Quand il s'élait inslall6 SUI' cc tertre désoM, au milieu de ces murs
écroulés ùont personne ne réclamait !plus la propriété, il avait dé iro y vivre absolumen t seul. Et voilà que le destin lui avait envoyé ce jeune homme
a~rélJe,
ce ll e jeune fille lumineuse. Le vieux solil~'e.
retrouvait par eux, pOUl' eux, quelque raison
d eXIster.
Autour de lui l'ombre s'élpaississail et le silence.
Même la petite voix monotone du grillon s'était
tue. Le vieillard fri ssonna et d'un effort se mit debout. .11 lupa a pipe contre le mur cl l'entra dans
ce qUI étaJl sa maison.
Son gra nù corps voûté projeta sur les mms éclairés par la lune, une ombre fanlastique. II n'avait
Ipas besoin d'autre lumière pour sc couchet'. Il re-
�82
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
poussa la porLe qui n e ferm ait pl us dep uis l 'incendie, mais qu'imporLait au mon sieur des Buines 1
il n e possédait !pas de tré or , il n'ava it il craindre
nul maraude ur. De p.lus pa u vr e que lui il n 'y en
avait pas s ur Lerre. Tra nquill em enL, il all a s 'étendre sur son lit, ch er c ha le somm eil si lon g parfois
à le visiLer - le omm eil profond co mme la mort
qui abolit la Lo rturante !pensée humaine.
La lun e était moutée dun s le ciel c t cl ic com m e nça i t m êm e sa OUl'bc descenu an te, q ua nd les
b1l isso ns n oi rs s 'Oca rl \ l'enl.
n e ombr e gJiSS:l ~ i
lell cieuse, rasa .l es m urs tt- dem i ' ffo ndr ~s et pé.n é. tra
san s bruit da ns le m éd ioc re logem ent. Une r espiraLio n calm e et r ég uli ère s'éleva iL : l 'é ni g m a Liq ue in COJlIIIl dorm a iL pro fo nd ém ' Il l.
Guid ée par e so uffl e, l'o mbre sc diri gea vers Je
liL d c fer, u ' un ges le préeTs un go urd in sc leva au d ess us du dorm eur ...
Ma is le go urdin Il e r elo mLa pas . Un (" ri j a illit
d a ns la piOce.
« Prenez ga rd e 1 » e t n m êm e Lemps un hom m e ·se ruait s ur la siJh o ueLLe deho ut pl'OS du Jil, il
fut r eç u par un co up d e po in g qui l 'en voya rou ler avec un : han 1 de dOlll eur le lo ng du mur.
L ' ho mm' a u go urdin ho ndiL alo rs ve rs la porle e l
di s parul d ans des Lailli s.
Le mon sieur d es ruines, an a ' hé brutalem ent j\
la béatitude d e o n somm eil, cherc ha ell tâ tonn an L
la pe Lite lampe CJU 'il pl aça it lo uj o urs près d e SOn
lit e t qu'il trouva r en ver sée. Li parvint quund m êm e à l'a!lurn er et aper çut olol's Hervé Dupl essis qui
se r elevall.
Le j aun e homm e ess aya d e plaisante!" en sc Lenan L
la m âch oire :
- J e vo us d evai s un r evan ch e: il y a qu c l ( lI C~
jours, j 'ai J"uil,li vo us éc rase r, m ais j e c roi s biell Cjll e
ce o ir j e vous ai sa uv6 la v ic.
Que s' st-il p as!'é P J e fll e !'ui ' éveill 6 ;\ un
cri el j'ai compris qu 'O ll se baLLait d an ' la pièce .. .
-
A vrai dire, j e n e r éalise pas ll'ès biou. Qu oi-
�LE
MONSIEUR
DES
RUINES
83
qu ' il ell soil, j'ai bien faiL de res ler dans les environs.
- Je vous c royais reparti P
_ Pas du loul, s'excusa presque le jeune hom ·
me. A,prrs la lon g ue con versa Lion que nou s avon s
Cli C, vous Dl 'a vez offert · : « Hestez ici, il esl JJi en
ta rd pour rega g ller Caylus 1 » .1 'ai proles té et je
VO li S ai dil adieu avec .l'inl-cntion de gagn er mon
hôlel. Et puis, la nuil élait s i dou ce, si parfumée
flue j 'ai ll'Ouvé absurde d'aller an'cnfel'llJer d nn s
ull e c hambre . .J e m e s lli s co uch é Jan s l'h erbe cL,
prcsque mal g ré moi, le 'OInm cil m'a gag-Jl é. J'Cil
a i é L6 hru r[lI elll elll li ré par lin hruit in 80l il e, l1 11e
so rle de g.li sst'lIIcnL bi7.al're... oomn1e doi ve nl e n
avoir les g rand s fauv es dans la brou sse. Je me ~lI i s
levé c l j'ai alors ape rç u un e ombre sc diri gea nt 'l'l'rs
les ruin es, Ull e olilbre do nl le gOll1'din indiCJuail les
j nte nlions. J, l'ai s uivi e avec prùca uLion s. Vnus
'i:tVcz le l' c~ l e . ..
Le viei,llard nlill'mura avee ém o tion :
Vous m 'avcz sauvé ...
Ça y re,.;sem hle , dil JIr rv é ga iem e nt.
Av ez-vo us di lingu é l ' homme P
_ Je Ile J'ai vu qu e de dos, mai c'es t un sol ide
ga illard, lUI olosse cal' je Il e sui s pas IIne mau vielle cl il m'a lout d ~ m ê me jet6 p ar lerre d '1ln
coup dont je me so uviendrai 1
Vous n'êles pas blessé au moin s
Le jeune homm e se froUait ]a machoire avec
éllergie :
Un pe u endolori se ulement.
_
Toul ccci esl bizarre murmura le vieillard
p en sif.
Pouvez-vou s expliquer <:elte allnquc ?
_
Peul-ê tr .
_ Vou s auriez dOliC des ennemis, mon sieur, vous
s i pacifique ?
JI eul un grs le va g ue :
Qui n' Il a pn s ?
Le peillll'e emblail relrouver complèleJ1lent ~e
�84
LE
IIIONSIEUR
DES
RUINES
esprits. Il cessa de frictionner son menton el s'écria :
- Mais enfin, on ne venait pas Irour vous volcr ?
A moins que vous ne cachiez ici des trésors in so upçonnés.
- Je ne possède rien . On venait pOUl' autre chose ... Et lout ceci est très grave.
Un mom ent ils l'estèrent silencieux el c'est le
peintre qui prononça avec une affc·c tucuse in sislance:
- Vou s êtes inquiet, soucieux... Suis-je indiscret ?... Ou !puis-je vous êtrc utilc ?
Le viei1Jard ne ré,pondil pas clircclemcnt
- Cclui qui a voulu m 'assassi ll r l' ce lle nllil doit
mc tI'OUVel' bien gênant cl cr pend atll , ce n'est pas
de moi qu'ii s'agi'l, cc n'est pas moi qu'il faut
proléger.
li regarda profondément le j eunc hOlllme cl Ulle
angoisse fai sait tl'cmbl cr sa voix quand il dit :
- Pouvez-vo us IPcrdro 10 l'este dc voire Huil il
J'ai à VOLIS enlretenir de choses gru ves ...
- VOLI S pouvez ab ~ olumcn
compler sur mol.
IIlerci. I)emaill, VOliS irez dlez MO Vidal cl
vous lui ferez un l'apport des éV(' ll emelil s, ensuite ...
Dan s Ja J1IJjl sil encie ll se, ,le mon siew' des ruines
parla lon g lemps, lon g temps ...
CIlAIPIT'RE Xl
Le lend emain , vers 11 heureR, flo chel lc l1'<1versn iLle jardill lorsqu ' un Ir as dan s l'allée pl'inl'ipnle
lui fil bru sqll emenl 10111'l1'r la tête ct elle reconnul, av(!r: 1111 Imllcm ent ùe CCCUI', If, rvé Duplc
s~ i s.
Elle s' avan ça l\ sa l'e/l co nlre, loute 1'0 e de plai sir
la main :
et lui 1( ~ lIdi.
- Qu'csl-ce (lui nou s vauL ceLLe visile inullen·
due P
- Je vui s vous l'npprclldre, sourit-il, gardant la
petile main dan s la sienlle.
�LE MO NSIEUR
DES
RUINES
85
Rochelle le 'Précéda au sa~o
n où Mme Fontaubert
achevait la leeLure du jomo al quotidien .
_ Grand'mi're , M. Duplessis désire vous parler.
_ Dela parl de Me Vidal, se hâla d' expliquer le
j eune homme.
Aprè's s'ê tre in clin é, il lendit il Mme Fontauberl
une leU,r e tl lui confi ée par l'avocal.
., Vous recevrez M, Herv,é Dupless is ct vous 1'6couterez comme s' il élail un autre moi-même, recommandait ontre au tres choses l'ancien défelJ.Seur de
Georges Fagl'g,
_ ~oye
z le bi envenu dans noire maison, dédara
l a g rand ' m ère de Rochelle. Veuillez nrendre [llace :
ma pelile - fille ct mol nous vou s ,écouLons.
Hervé prit un siège entre elles d eux ct débuta avec
Ul1 so urire :
_ J e vous dois d'abord des excuses el un aveu.
(Ceci s'ad ressait plus parti.culièrement 11 H.ochelle).
Cedes, je m'np,pelle bien Uerv,é Duplessis, mai.s en
revanche, j e su is loin d 'ê tre un .p einLre connu.
_ Avec le talent que vous avez 1 pro Lesta naïvem ent la j eun e fill e,
_ Tout le monde a son violon d'Ingres 1 Pour
mol, c'est la peinLure, Ma vérilable profession est
celle cl 'avoca L, au barreau parisien, Aetuellemel1 L, je
s ui s l>ien réellemenl en vacances, en cela je n'ai
Ip as menli, mais j e dois avouer que " le m éLier ))
l'epl'clIa nt le dessus, j 'ai é L6 fort inLrigué par les
racontars cie volre vieille Catherine, Me Vidal qui
avait cu l' occas ion de me rcuc'olllrer dan s diverses
affaires m'a parfailement r econnu lorsque vous
alTl ené dan s son cabineL, mademoi selle, Je
m 'a ve~
n~e
suis permis de lui faire un signe - ct ue . VOUéS
d lser ' 11 avez pas vu _
pOUl' lui rccommandCl' la
lion el il a leGs bien compris.
Hoehell e cut un léger rire :
.
_ Qua/ld vous ôles remonté chez JUI pour reprenrc le paqu et de ,p inceaux soil-disa nt oublié, je suis
süre que e'élait pour prendre rendez-vous ave~
lui 1
_ Je ne peux plus rien vous cacher 1 J'al revu
MO Vidal le lendemain, Il n'a pas hésité à roc
�86
LE r.lONSIEUn
DES
RUINES
meUre au courant du dra m e douloureux <.le volre
f amille. Après m 'avoir c onfié ce secr e t, il m 'a d em and é de le r e mpl acer pour tout c e que vou juge riez util e. Il es t lrop âgé , dit-il, pour s'occ upe r
ulil em ent de vos intér ê ts, il n e se dépla ce que diffi c il em ent e t, d 'aill eurs il n 'exe rce plus . J'ai accCjplé de le u,ppl ;er e t de vous aid er aulant qll 'il
sera en mon pouvoir s i du moin s vous y con senlez, mnd am e ?
- Si no us y co nsenlon s 1 s'exc lam a Mm e Fonlau bert, mai , m on si eur , nous somm e en e ha nlées d e
ce LLe so luti o n. 1 ous auron s e n vou s, n o us e n somm es
pe l's uad ées, un con sei 11 er précie ux.
H er vé s' inclin a :
Voilà qui es t conve nu . A p a rtir d 'a ujoll1'd ' hui j e m e m e l à J'œ uvre pO lir ssayer de d l>hro uill er ce LLe affaire m ys Léri e u e. J e ne vo us ('ac he pas q II C f 0 Vid al es t pa sahl cmc n t inquie t d l'IPui s la dé ouve l' Le de la bo nho nlli ère cal' il SO llp ço nn e ,le <' l'imin el rôdant. da ns le pa ys. J e VO li S
ser virai d o n c de d6fen seul', i beso in é tait - au
ns
p ro pre du m o l 1
!\lme Fo nla ubert éta it so uci use :
Ou e r edoule au ju le MO Vidal P
- Tout c t le pire . II Ipc.n se que le oupabl e habile so il a ux enviro ns de vo ire n nc ien c hâ lea u , soit
proc he la Ipro pri é Lé de Mll e Ma réch a l, o iL il Mo n ta uba n m ê m e . Pui squ e l'obj e t a é L\ ven<.lu dan s la
Pl'(ofccture du dé pa rtem ent c' l qu 'il n e l 'a pas
quillo 0 11 , 10uL a u m Olu s, qu 'iJ y es L revenu.
e'eH l pro bahl e ... mui qu 'avon s- no u s à crain dre, m ll pe Lile fill e ·t moi ?
L 'individu sail, LI+s certa in e menl, que \'OUS
n 'avez j a m a is do uté de l 'inn oce nce de Gorges r agi's .
En cc cas, un e fa mill e n e r eno n ce pas fae il em e ll t
à e n fo urnil' ln Ipl'e llVe éc la ta nte . Par d es raconlars
de alh e l'in, il peuL a voir appri s que Mil Hoeh c ll o
es t au {,o ul'anl c t f[u 'cJJ e a r e pri s l a Julle . Dan s c: 'S
condition s vou s ê tes loules d eux un d a n ger Iperman ent po ur lui . Un crim e d e plu s Il e 1 ferait [leutê tre pas r ec ul e r.
�LE MONSIE UR DES
RUINES
87
Comme tout cela est angoiss ant 1 soupira la
la
grand'm ère. Je ne vous <:ache pas que, depui~
uinquiét
des
j'ai
nière,
bonbon
d6couv erte de celle
des, moi aussi. Penser que ee misérab le est lPeutêtre !près d'ici ; que nous le connais sons... que
nou s l'appro chons ... et qu'il n'hésil erait pas ...
Voyons, grand'm ère 1 pria la jeune mIe ne
nous hisson s pas abattre Pour ma part, je vous affirme que je n'ai Ipas !peur du tout. D'aille urs, lVI.
Duplessis s'offre à nous défendr e.
Elle levait vers le jeune homme son joli visage
confian t. Confuse de }'imlp ortnnce qu'elle lui donnait soudain dans celle affaire familia le , elle sc peneha vers sa grand 'mère pour <:acller son trouble et
l'embra ssa. Puis elle promit avec un élan de joie
juvéllile :
- Vou ' verrez que nous aurons l'ni 'on d'e ce !personnag e et que le succès r,éeom,pen era no effort .
- Le ciel t'en len de 1
. IPar mi les oucis Jes plus grands, Mme Fon tauberL ne perdait pas ses habi Ludes de grande dame :
- Vous nou ferez bien le plaisir de d'éjeun er
avee nous, monsie ur P
Il accepta avec une joie si évident e que Rochelle
en eut ehaud nu cœur. Quelle bonne idée avait
grand 'mère.. . et quelle bonne idée avait eue surtout MO Vidal 1 Leur donner lIervQ comme défenseur 1 C'était lui qui allait aider à r6habil iter son
!père 1 Lui à qui la famille Fagè devrait d 'avo ir
reconqu i s l'honne ur 1 Car, du momen t que la cause
't:üt entre ses mains, elle était sClr ~ qu'il allait
LI'wm,p her de tou t et de lou s.
Boch Ile, pria Mme Fontau bert, va pr6ven ir
Catheri ne que M. Duplessi déjeune ici , je compte
Sur toi pour dres e:[' un menu ...
La jeuJIC fille sortit joyeuse ment et trouva Carecomtherine ù la cuisine. Aprè les I premi~s
réusfemme
ente
l'excell
que
a
s'avi
mandat ion s, elle
sis uit avee art les omelelt es . ouffléc , mais avant
d'en inscrire une au m enu, elle revint vers Je sa-
�88
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
Ion voulant demander au jeune homme s'il les aimait.
Mme Fontaubert et le Ip eintre-avocat Gausaient fi.
mi-voix quand Rochellc a tteignit la porle reslée enamorti
tr'ouverLe. Le bruiL de ses pas ayant été
par le tapis, ils pc l'entendirent pas, mais elle saisit une bribe de phrase ct s'arrêta, sidérée.
Je ~onçis,
en effet, madame, disait Hervé,
que vous ayez été sur,p rise de l'indiscrétion de Catl1erine. Vous aviez mille foi s raison ù son sujet
et je m 'exc use d'avoir dfl l'accuser. Je puis vous
avouer maintenant, que ce ne son L pas les prôLe.ndus bavardages de votre servan le qui m'ont éclairé
sur ce tragique secrel. Vou s devinez, j e !pense, qui
en r6aliLé, m'a mis al1 courant il
- Je 11 'al jamais cru que notre pauvre Catherine pui sse avoir bêtemenL havardé. TOl\t de suite, j'ai
pensé que ~'éLait
cc lui li' 1
- Il m 'a jugé digne de sa confiance ee dont je
suis infinimenL touoh6.
n y eut un léger silence, puis Mme Fontaubert
demanda :
- Que pense-L-il de tout cela il
- Il est transporté de joie devant la Lendresse ct
le courage de Mlle Rochelle mais il est inqui et ù son
sujet. Comme MO Vidal il redoute qlle vous soyez
attaquée, J'une ou J'autœ, ·c omme il l'a été celte
nuit.
Celte lIuit 1 que s'es t-il pllssé P s'exçlama
presque II haute voix Mme FonLauberl.
U.n homme s'esL introduil aux rnines, dans
sa chambre mal fermée et a tenté ,de l'a ssollnner.
J'étais là, heureu semen l, et j'ai pu le dl:fcndrc. Mais
le misérable m'a glissé enlre les mniflS el, grâce
à la co mplicité de la nuit, je n'ai Ipas [HI voir son
visage. Vous voyez que l'individu ne l'ccule devant
riell ...
Hochelle n'CJl écouln pa s ùavanlage. QIl'avait-clla
Débesoin d'apprendre encore P Elle avait {'omp)i~.
faillante, sous l'excès d'une joie inespérée, elle se
jela hors de la maison, courut fi. Lravers le jardin,
�LE MONSIEUR DES
RUINES
89
bondit il \t'avers !prés et ·champs et, d'un élan, se
précipita vers les Ruines. Une force inconnue la
poussait en avant, une force que nulle puissance
humaine ne pouvait arrêter. Elle arriva au but à
bout de souffle.
,L e monsicm' des Ruines était là, debout devant sa
!porte, le front levé vers Je dcl comme s'il eüt
e11e]".eI.16 dans l'infilli une réponse à d'inquiétantes
questions. En un instant, Rochelle fut là, lout près
de lui, vision de grâce ct de jeunesse ave? sa simpl.c
robe blanche, le bleu de ses prunelles qUl sc fonçaIt
sous l'émotion, l'or pâle de saehevelure ébouriffée par la course.
- Père 1 pire 1
Il la regarda, ébloui. Il reo-arda ce miracle
qu'il avait lant imlp lor,é de la b~nlé
de Dieu : sa
fUie dans ses bras, sous ses baisers.
- Ma toute petite ...
Il la serrait farouchement con I.re son vieux cœur
lort.uré, puis il l'entraina dans l'unique pièce où,
le .Jour de l'accidcllt, elle l'avait si gentiment soigué, ct là, ils padèrenl tous deux à la fois, voulan L lou t aplrrendre toul savoir en celle minute
merveilleuse qui les' réunissait.
_ Pourquoi, reprocha Loul de suite Rochelle, ne
Ipas m'avoir dit qui lu 6tais.
Je vOlllais allendre d'avoir retrouvé le coupable. Je voulais renLrer réhabiJlil6.
_ Comment t'a-l-on laissé p:H'Lir de « là-bas ))
avunL lu date il
_ En raisoll de ma bonne conduite, j'ai été grâcié. El je me Silis installé ici, dans celte masure inr?ufol:ta bic, POIII' êl J'e pi-ès de toi, ma .chérie, da~s
l espoir que III passerais parfois ... que Je le verraIs
cl, qu i sni L 1 que je te parlerais 1 Mes ]lrévisions le:!
plus audaciellses Ollt été dépassées, puisqL:C nous
sommes devenus tl'i ~ s vile de bons alDIS.
11 l'cmbrassa de nouveau cl l'epriL avec un sourire (lui éclaira bon visarre lourmeuté :
._ C'est mûme parce "'Ille je t'avais vue venir de
lOln que j'ai failli me faire écraser par M. Duples-
�90
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
sis... je n 'cnlendais !pas l'aulo, jc nc ,oyais que
loi ... el c'esl ainsi que la voilurc m'a accroché.
Quclle peur nous avons eue, Hervé el moi 1
Innocemment, elle disait : Hcrvo, car dans le sccrel de son cœur, depuis longlemps Cille l'appelait ainsi. El cc nom, familier déjà, qu'elle prononçail avec une élrangc dou·c eur, anlcna une IUE'llr
d'émotion dans les yeux du père.
La [lremière personne « de connaissance »
que je renconlrai dans le pays, œ ful la pauvre
Calherine qui faillil s'éva nouir d'émolion. Elle me
donna de les nouvelles cl de celles de la grand'mère qu'clic mit nalureUemenl loul de suile au courant de mon relour.
- Je comprends bie.n des choses 1 s'écria la jeune fille. Lcur effarement :1 Ioules ùeux quand je
leur ai raronlo Ion accident cl. les ~o in s que je
l'avais donnés.
- Calherine m'a égalemenl apporté la lettre <lue
lu m'as écrite ... les Ruines sont moins IQln que la
Guvane. :c lle leUre a été la première joi" que
j 'ai {'prouvée depuis treize an ti 1 El comme j'6tais
fier de loi 1
Hochelle affirma :
_. Hervé va nous aider, il J'a riil ? gr:1nd'llIl:re
l'lul fi J'heure.
- J 'ai loul de 'uile sy mpalhisé avec lui. Quand
il m'a appris qu'il était avocal, je n'ai pas h(: ~ ilé
il mc conficr il lui et quand Catherine est vellile
m'averlir que lu devais aller chez MO Vidal, il a
décidé de l'aœomlp agner ... il ne prévoyail pa s <l\\e
ce serait loi-même qui l'inlroduil',lis <,hez mon ancien dMenseur.
- LI a fallu ccl incident de la bonbonnière ...
!\-lais lu as été 11 lla<lué celle HUit il
Georges Fagès pril un fronl soucieux:
- Le danger sc l'approche. C'esl pour cela que
j'ai cru bon de mellre Uerv<Î Duplessis en rapport
ave<:. la grand'mère car il esl urgenl que vou ayez
un défen seur.
- Il est surlout urgenl que tu quittes ceLLe bi-
�LE MONSIE UR
DES
RUINES
91
coque 1 affirma Rocholle. Nous n'avon s été que
vite, repreno ns la vie en
trop longtem ps sépar~,
commu n 1 Ici, tu n'es pas défendu , rien ne ferme,
on entre comme dans un moulin 1 T'u va·g venir à
la Bonnel le, père chéri 1 Je t'invite 1 c'est grand'm ère et M.Duplessis qui vont en faire une t()te en nous
voyant arriver , bras dessus, bras dessous. Je les ai
laissés en train de complo ter au salon et, certainement, ils ne se sont pas aperçus de mon absence.
Mais Je monsie ur des Ruines pro tes lait :
- Je ne iFlUis me présent er ainsi 1 je suis affreux,
ma,l rasé, j 'ai l'air d'un mendig ot. ..
- Eh bien, fais-toi beau 1 Moi, je vais aider
Catheri ne il prépare r un festin 1 On lue le veau
gras comme pour Je retour de l'enfan t prodigu e. Et
je vais arraeho r aux araignées de la cave les dernièr.es boutciJ.J es de vin de Cahors que grand 'mère
gar.dail, paraît-i l, pour mon mariag e 1 Tu vas voir,
père, çomme nous aJlons être heureu x lous ensemble 1
Elle l'étreig nit el se sauva en c01irant. Quelques
altendr i, oublian t
minute s il la regarda s'~ loigner,
sa fille avaient
de
baisers
les
toules ses souffrances,
comme purifié les souven irs et, subitem ent, il se
sentit redeve nirl'ho mme de jadis, celui que Jeanne
Fontau bert avait aim6, celui des jours heureux.
CHAPI'rRE XII
- Ro h olle, ma petite fille, que lu es donc nerveuse 1 reproch a doucem ent Mme FontauberL, ne
peux-tu mettre Je couvert avec plus de calme ? lu
oublies la moili·é des choses. En vérité, M. Duplessis va avoir une ,piètre opinion de tes talents de
maîLres se de maison .
La jeune fille s'appro cha de la porte faisant communiqu er le salon avec la salle il mange r et s'exeusa :
'
�92
LE
MONSIEUR
DES
RUINES
Ne me grondez p as , gr and'mère, j e suis si
h e ureu se 1
Heureuse 1 Pourquoi P
C 'es t un scoreL. .. mai.s qu e votre curiosité De
souffre pas trop, elle sera vile satisfai le.
Posnnl sur la lable les dernièr es pièces d 'argenterie, elle eûmut à la fen être c ar le gravier crissait
Jégè rcrn enl. Hervé D1.Ijplessis la laquin a gentiment :
Il faut ·croire qu 'i.! se passe dehors quelqu e
c h ose de bien ex ceptionnel car, san s r eproch e, vou s
martyrisez sa ns cesse c c m al h e ureu x r idea u .
Mm e Fontaubert f ro n ça un pe ll les sour cil s
P o urqu oi m e ls- tu qua tre co uverts il Tu as
(Jo n c la tête à J' envers cc m a lin P
J'a ttend s un invité. Voili\.
Un pa s HOllnaiL dan s le ves tibule , Roch elle sc précipita vers la p orte avec lIne hâte fébril e . E t c'es l
alors que l'invité entra 1
11 av a it l'evê Lu un cos tume soi gn eusement hrossé ;
ses ,c h e ve ux bl an cs l'ejelés en arri èr e d éco uvraient
son f ront sillonné d e rid es pro fondes ; ma is il n'y
avait plu s au coin de ses Jl:vrcs ,J ' h abituel p li d'am er tll me et ses yeux clair s, les mêmes yeux q ue Hoc llell e, rayonna ient cOlOme Ù l 'époque de ses ving t
a ns.
De s tupe ur, Ca th er in e, qui arri vai t , faillit l aisser
c Ito i r su l' le pal' q ueL Je pla tea u cliar gé de h ol's- cl 'am·
v r e . Ell e le iJlosa sa n s plu s de faço n sur un fa uteu il
e l se sig na c t s 'écriant :
- Sa nla Mari a 1. .. Nos Lr,é Seig no 1 c'est MO ll sielil'
Ceorges qui r evient 1
Qllant ù Mm e FOllta uberl, tt'ès pûle , elle s'avan ça
ve r s SOli gendre ct Jui ouvrit jcs uras.
MOIl pauvre cnfaut , murmura- t-elle, tandi s
<Ill e d e g rosses la nn es coul aie nL sur son visage fan é.
A ce lle minule , c lI c p ensa it ;1 sa fill e, E l Georg es
lIagl:s, lev an l vers le po rtrait d e J eanne so n visage
Jésesp éré, l>a lhlll ia :
Jeanne .. . m a J eanne ....
Rochell e vint m eUre ses bra s auLou r d e son cou.
- Maman Jle voudra il pas que vous ayez de la
�LE lIWl'ISIEUR
DES
RUINES
93
peine, un jour tPareil 1 Viens, père, j'ai placé ton
couvert entre grand'mère et moi; et en faŒ de M.
Duplessis. Le bon déjeuner de Catherine remplacera avantageusement le menu quotidien du mOll.-;ieur
des Ruines.
Cc fut la brave 'C atherine qui ramena la gaieté.
Elle était tellement abasourdie et troubMe qu'elle
commit bévue sur bévue, et HoeheUe en profila, soutenue par lIervé, pour dérider son père et sa grandmère.
CCjpendant, le grave sujet qui les préoccupaiL ne
tarda pas à reprendre la première place dans la conversation.
Pour ma part, rien ne m'arrrêLera, déclara
qeorges Fagès. J'ai Sait l'apprentissage de la !patIence et de ,la ténacité à une dure école.
- J'ai appris, dit Mme Fontaubert, l'attaque de
la nuit dernière . Vous ne retournorez plus aux Rui nes, mon -c her Georges, vous ne pouvez vous expos?r à un autre attentat et 1\'1. DLljfJlessis ne sera Ip as
toujours là pour vous servir d'ange gardien.
llochellc intervillt :
Grand'mère a raison, papa, tu vas rester avec
nous désormais.
-:-: .le , vais même faire préparer deux chambres,
prevint Mme FontauherL Je ne serai rassurée que
si M. Duplessis accepte notre hospitalilo. Un défenseur de, plus J1e sera pas de trop.
.
J accepte derrrand cœur madame, répondIL
l'avocat.
J'irai, si 0 vous le pe~mtz,
aujourd'hui
l1ê~ne
retirer wes bagages de l'hôtel pout' Ile IPlu~
aVOir Ù m '610igner de la BOJweLle.
Aussitôt le café avalé Hervé mit son projet il
exécution ct se retira afin de se rendre à Caylus.
Hoehclle J'acompf\rn~
jusqu'à la grille du jardin,
et :\-lme Fontallbert Jes reo.arda s'éloigner, Ip endant
que Georges Fagès demandait J'autorisation d'allumer sa ripe. Grand'mère murmura :
_ Ce jeune avocat nous a été envoyé !par la Providence, ne le pen sez-voLls pas J1
�LE
MONSIEUR
DES
RUINES
C'est une chance de l'avoir renconLré, convint
le monsieur des Ruines.
- Notre cause lui a sans doute paru juste ...
Georges Fagès sourit :
- La cause n'aurait peut-être Ipas suffi ...
Et comme Mme Fontaubert tourn ait vers lui des
yeux surpris, il ajouta doucement :
- N'avez-vous pas remarqué qu'il aime Rochelle?
De la joie illumina le visage de grand'mère, tandis qu e celui du père s ' assom brissail :
- Je n 'aurai r elrouvé ma fille que pour la perdre
de nouvea u.
CIIAlPlT'RE XIll
Quelques jours pas I. rellt san s amener aucun évén emenl. Maître Vidal, qui r eslail en ra.pporls é lroils
ave so n an len client, lui écrivit qu'il lui é lait im possibl e, malgré tous ses efforls, de r etro uver le
vendelll' de la bonbonnière. Après son passage chez
l 'antiqu aire, on perda it sa Lra ce. De Loul e évidence,
il ne devait g uère venir ~l MonLauban, qui sa il même
si, ayant pris peur, il n e s'éla il pas d e nouveau éloi g né du pays P
Ces nouvelles laissèren t les hôtes de la nonnette
assez découragés. Seul, Georges ltagès gardait son
calme. La dure épreuve de son séjour en Guyane lui
avail lltPpris l'arl si difficile d'atlendre. Mme Fon tauber t se montrait inquiète t redo utait une nOllvelle ca tastrophe. Rochelle , mal g ré la préseJlce de
son père ct celle d'Hervé Dupl ess is é tait parliculièrement démoralisée. Avec l 'u rdeur ct la foi de la
j eunesse, elle avait cru parv ni!' très vile au bul,
marcher Lout au moin s de prog r l. en !progrès. Au
lieu de ela, {' tte affaire cm hlaiL l'evcnu e au calme
plat. On pi6linait sur place. Herv é cachait mal 1uimême son énervement.
Un soir qu'ils étaient Lous réunis au fond du jar-
�1
LE MONSIEUn
DES
nUli\ES
95
din, sous une tonnelle fleurie de chèvrefeuille, CaIher ine vint annoncer la visite du formier T'aillard.
Tl y avait lonrrlemps qu'on n e l'avait vu, et même,
depuis les réc;nts événements et dans la joie du retour de Fagès, on l'avait à peu pros oublié.
- Qu'il vienne, dit aimablement grand'mère,
nous serons tous heureux de l'accueillir.
Jl s'a vança dans l'allée Iprincipale. Georges F3gès
sc leva pour aller à sa r ellcon tre. Il s éGhangèren t
ulle cordial\! poignée de main, et l'aillard dit ayec
beaucoUjp de lrun r: hi se :
- Je sui bien heureux de vous revoir, mon sieur
Georges et s urtout de savoir que vou a vez fini avec
toute ' ,ces mi sère. Vous avez été lib éré il
Une mes ure de clémence ... J'ai à vous remerc ier , T'a illurd, de la façon dont vous vous êtes occ upé cie miens ...
- Fallait bicn Jes aider ... et votre demoiselle est
si mignonn e ... J'ai fait de mon mieux. Et vous
p.ouvcz tOlljours comlpter sur moi. Jadis je vous
al d Ifendu, je sui s prêt à recommencer.
] 18 l'ejoigniren l so us la tonnelle Mme Fon Laubert,
Hochelle ct Hervé, cependant que Catherine trollait
chercher de rafraîchissement.
J\lon brave Antoine, dit so udain gl'and'mère,
nou ne omme pas au boul de nos peinc ct de nos
ul.ar~cs
Imag inez-vo us que mon gendre a failli .être
vIcllme d '1111 attentat une de ces dernièrcs nmts 1
- Commc.nt ça il s'effa ra Je fermi er .
On lui raconta J'incident aprrs quoi il offrit :
Si vous l, cl Isirez, je puis coucher aux ruines
pd," dc vou , M. Georges.
.. Oh 1 mainlenant, mon père ne craint rien 1
alfl l'ma Hoehelle. Ici, nous so mmes a sez nombr 'u pom nou s d éfendre et ~I.
Duplessis veut bien
He IpJlIS nou s quiller . ..
.Ta i.1Iard, en apparence, indifférent, c.xamina d'lin
œil 'lIgu les de~x
jeunc.s gc.ns. JI s urprIt les rega~
s
échangés ct qUi en di saient long , de menus falls
rév Ilaleul' de leurs sentiments et il comprit qu'une
tendre intimité s'~tabJil
entre eux. li en fut
�I.E
MOl\SlE UR
DES
RUIl\ES
contrar ié et inquiet . Pendan t quelql1es minute s, le
mécont enteme nt lui lit un visage si dur que le jeu.ne avocat en resta impl'es ionné. Se sentant où ervé, le fermier sc ressaisi t ct retrouv a son habitue lle
bonllOl11ie Dour entrete nir Mme Fontau l)crt des travaux en cours, des procha ines rétaltes ct de cc qu'il
conven ait ou non de faire ,p our amélio rer les 1'e11demen ts futurs.
- Ça vous int Iresse l'agricu lture P demand a Hochelle un peu moque11se, au peintre amateu r.
11 avoua sallS fard :
Pas Je moins du monde, je n'ai pas l'âm o
d'un terrien.
- Alors, je 'ous propo.e une promen ade, il y a
dans la proprié té des coins charma nts.
11 r(opondit :1 rni-voi ," mais J'oreill e fine de Ta illard surJlr it la tendre pllrase :
- Avec vous, le coill le Ip lus austère du monde
serai t UT! pa rarlis.
Elle roubrit mais pensa au danger de laisser son
père, au ssi dema.nùa-l-clle
Viens-t u avoc nous jl Jusqu'a u lac, par e'(emple P
- Ça me tente assez, je veux bien, d'nulan t que
la gr:.lIIù ' ,nèl'e ct T'aillard n'ont pas fini de parler
agricul ture.
- El vous snve7., annonç a Ho 110IIe s'ad ressant li
IIervr, près dll lac il y a une cl,apell e ... vous pourrez \mettre Iroi s VŒlJX ..•
Il n1pond it tri's ùoucem ent :
tOlljours le même" .
- J Tl'en ai fJu~lIn,
pour le fOl'lfluler, rétorqu a
trois
nB
sero
NOliS
Georges Fag"s entre haut ct ha ,
se furent -éloigné ct que Mille FOIlQuand il~
trOll va cule ave Je fermier , cclIIi-ci detatllJ rt ~e
manda sans ,préamb ule :
CJ ue tous ces événem en ls vont c hanger
- E~t-ce
nos proj 'ts P
- Qu 15 projets il fit -elle di traite.
- C lui d ' unir nos nfants : il n'yen avait pa
d'autre n q1lestio n je suppose .
�LE MONSIEUR
DES
RUINES
97
Ah J oui, ce mariage 1. •. Mais rien ne presse.
Ali rontrairc, je trouve inutile de lanterner.
Pierre est très ~pr
i s de Mlle Rochelle cl il se désespèr e du l'efus qu'elle lui a déj~l
oppo é.
_ Les j eunes fill es , c'est si changeant. .. On verra
plus lard.
11 seco ua la tête avec. obstination et reprit assez
brutalement :
_ Mlle Rochelle es t raisonnable et sérieuse, quand
elle veut ou ne veut pas quelque cho~e,
j e crois
qu'on doit difficil ement lui faire Ip rendre un avis
conlraire .
Mme Fonlauberl déclara avec aulorité :
_ Elle esl libre d 'elle-m ême ct d'engager sa vie
ur lu voie qu i lui plait. Quant à moi, m ême pour
YOUS êtes agréahle , mon c her Taillard, je ne puis
plus [leser sur sa décision .
. Un ilence uivit lourd c t pénible. Mm e Fon laubert le rompit la première en di sant d 'un lon aussi
net :
_ De LOIILe façon nous ne pourrons prendre une
réso luti on d '· Jinilive que lorsque nous en aurons
fini live - celle lam entable affaire.
Qu'e ' pérez-vous donc P
_ Mais tout 1 La révision du procès, la découverte dll co upa bl e, l'honn ellr rendu à nolre nom J
Il hau s a ses épaules fati g uées :
lenlé j ad is, com menl pouvez-vous
_ 'J'out a (~té
croire qll e VOll ' allez 1'ôussir aujourd'hui P
li Y a un fail DOU veau sur lequ el nous fon<lO!~
S hraucoup J'espo ir . .M ° Vidal s'en occupe et
crO it ~'olme
JlOU S ,1 on importance.
Il in sisla, têtu :
Mais cllnn
i YOuS n'ahoutissez il r ien P...
_ Hochellc f~J'a
alors commc elle J'('ntendra. Je
VOllS l't'pUe fille nou s ne l'innuenceron S pas,
ni
so n pi're, ni moi . Pour l'in stant, Jl0U S n'avons pas
d'autre hlll que {' -lui que vous ('onaise~
el quoifille vous c n pensiez, nOLI s en aVons Ja fol.
Elle sc lcva un peu énervée par le doute que c~t
homme avait malgré lout glisw dan son espnt
_
_
�LE MOl'iSIEUR
DES RUINES
d elle fil quelques pas hors de la tonnelle. Le fermier comprit que la conversation avait aS8C.z duré
e l, saluanl Mme Fonlauberl, il reprit le chemin de
la Borie-Haule .
Le 50ir venu , lorsque les promeneurs furenl de
relour (lU lac, grand'mère leur parla loavuemenl
de Taillard - elle se reprochait de l'rlyoir rong<>di6 lin peu sèchement de son dévouemenl, de
son désin téressemcnl, mais elle glis a sous silence
toul ('e q lIi avait trait au mariage projeté en lre Pierl'e el Rochelle.
C 'pendanl elle élait seule à parler ct cc qu'eUe
di ai t sem blait lomber dans l'indifférence générale.
Cha un était ahsorbé par ses pensées el Hervé Duplessis était lout ijJurliclllièrem 'n 1 songellr
Qu'avez-\ous, mon jeune ami P s'inquiéta
Georges Fag('s, ,ous parai ;..scz préo(; 'lIpé ...
_ . Je peme toujours il notre aJTaire. Si on pou vail tellure un [>il'gc ù J'individu ...
nonne idée. Mais <:ol11ment il
En revenanl haLilcr aux ruines, paf excmple.
Oh 1 JIOJl, 'upplia H.o helle cc serait trop dangereux. Je ne veux pas qu'on expose 'lin 'i la vie
de mon père.
llerv6 s'empressa d'ajouter :
- 11 ne 'erail pas seul. Je veillerai ' dalls quelque eoill ...
Non, j'aurais trop (leur. Trouvez un autre
moyen, Pas celui-Ill, je vous en prie,
. ~l
COUlme ni l'un ui l'autre ne répondait, elle
lIIlla:
IP l'omellez-moi de ne pas tenter celle eXJléric/lce.
Son père l'aUira près de lui :
- Sois lranquille, pelile lille, on L'obéira.
Mais Hochelle SUl'pl'i t enlre les deux hommes un
re"al'd d'intelligence cl elle ne ful pn rassurée,
Cependanl la onvel'salÏon reprit sur un sujet
d~férenl.
On parla de lu rocenLe prom 'Ilurle, ùu lac
pllloresCjlle qu'JJervé sc propo aiL <.le J'C'\oir pOlir
prendre <.les croquis,
�LE MONSIEUR
DES
RUI ' ES
J'emporterai des trésors à Paris, déclara-toi!.
Pen sez-vous à Y retourner il demanda Hoehelle
déjit inquiète.
En œ moment, Je peintre laisse Ja place II
l'avocat. Je me sui s juré de mener celle affaire à
bien ...
n lui sa sa phrase en s uspens mais tout le monde comprit qu'il était animé de lu plus tenace résolution.
CHAPITRE XIV
Les cloches de Caylus sonnaient la sor ti e de la
grand'messe. Roch elle quitta le san c tuaire parmi la
fo ule, descendit le large escalier de pi erres c l se retl'ouva wr ln pla ce. Elle aperçut Catherine de cenrl~e
ail village Ipo ur les commissiolls ct qui pérol'ail dans un g roupe.
_ Que pelll-el le l'arollter P so ngea la j eun e fille.
Prendrail-elle le cl éf:wl que nous lui avion s si gratuitem ent oc tro yé il
P a rmi les perso nnes assem hlée S Ul' la promenade, ,]Je l'cronnut Fany ct ~e diri gca vers elle, ,
_ Bonjour', Fane lte, dit-elle gentiment, 'S I vous
l'entre7., nOli s allon faire rOllte en emble,
_ ,Vo
~ allez don c :1 pied, Mlle Rocholle il Le
m?n slclll' lie VOli S fi pas ac<:ompagnée nvec sa belle
vOltur'" ,
_ « Le mOllsieur Il' (-tait fort OCClljJ(1 ce matin,
expliqlla la j'une fille don 1. le vi ag s'é mu t li la
SC ill e Ipen s{oe d'Ilervé ,
Il faiL Ms lableaux P
_ Eh ou i. JI les exposera plll s tard à Paris, Il a
IlIl In'os gram) laient.
Comme lles quitlaient Coylu cL allongeaient le
pa s sur la l'oule, Rochelle dlangea de onver~atioll :
_ Qu'esL-ce quc Catherine racontait donc de
�100
I.E MONSIEUR DES RUINES
palpitant ~ Vous aviez tous l'air suspendus à ses
lèvres.
Elle nous parlait justement du ,peintre et du
monsieur des ruines. Il paraît que le Parisien fait
un porlrait du vieux monsieur. C'esl un vrai chefd'œuvre, qu'elle dit. Et ressemblant à crier 1 On
y voit lout un coin du jardin de Mmé Fontaubert,
ùu co té de la tonnellE. ...
Oui, oui... dit Hochelle, distraikment, cela
fail nn ca dre mag nifique.
En ;1l\H101lc:llnt ees parole:;. elle pensait .
- Graud' mère a essay6 d'expliquer ainsi la présen ce de ces deux so i-disa nl étrangers chez nous .. .
Ll paraît, continuait Fanelle, que Je vieux
monsieur est un lr~ s bon li reur il va tâche l' ùe nou s
débarras ser ries agaça qui onl envahi tous nos uoi s .
Il va aller s'embusquer la nuil IPo ur abattre ces sales (.'ise<l llx, il s nichent surtout s llr les g rand s arbres du cô té des ruin es . 11 dil que ç,a l'amuse, en
loul cas , il nou s l' ndra un fier service, ca r ces b êtes fonl bea UCO II p de d ('go ût S cl on es t tellement occupés allx cha
Olp
~ rn cc mom enl qu'ùn Il a pas le
Lemps dc los détruit'c.
'l 'a ndi
~
que Fany ·con tinuait à padcr, tranquillement , Hochelle s'angoissa it de plus en ,p lus. Car
elle Il r,a it pa. dUJJe. Celle prélendue chasse aux
pics {'<lcilait quelque chose de Ip lus important, de plu s
r edolllaule. SO II p ère ct l1 ervé ne te naient pas la
[H'OJrl(
~ SC
qu'il s !:Ji avaient raite. La petite ~crva
fl'
le venait inll ocemmellt de llli f·évéler Je pi ège ima
gin6 pal' Je jeune homme. Quel danger ,pour SOli
père 1 dan s quel g uet-apen s allait-il tomber il
Si l'individ1l qui avait intérê t fi sa mort rÔdnil
ce soir dan s les bois, il pouvait se di ssimuler d'a ns
un lailliH, et arm6 d ' un fu sil , abaUre le ai -di sa nt
c ltas 'eur de pics . Mai s peut-ê tre hés it era -l-il à attaquc\' un homme armé qui, s' il n' s t pas touch6
grièvement, peut ripo ter et lui faire paJcr son
attcntat...
1
Hoehellc fil un effort ,pour chasser ees tragique.>
�LE MONSIEUR DES RUINES
101
prnsécs et reprendre avec sa petite compagne une
cnnversalion normale.
_ Qu'y-a-t-il de nouveau à la ferme il Tout le
monde e, t en bonne santé, j'espère P
_ Oui et non. M. IPierre est si triste qu'il en
est quasi malade. Et les autres aussi ne sont guère
joyeux. La maîtresse s'essuie parfois les yeux el
le .maître est difficile de plus en plus ,pour le travall et grognon ct exigeant 1 Je ne comprends pas
du tout pourquoi. Les récolles sont belles, les bête.s se porten t bien ... Oh 1 je sais bien pourquoi M.
PJCl're a une mine d'enterrement ...
Un sonpir lPonrLua la fin de sa phrase :
_ Il vous regrelte ... 'l'ou t de même, depuis quelque Lemps, il est plus gentil avec moi ... Ainsi, hier
matin, cOlOnie je dressais le couvert après avoir fait
les chambres, soignn la basse-cour et abatLu le
plus d:ouvragc possible, il m'a regardée avec des
yeux S1 doux que je me sUls sentie toule chose ...
ct il m'a dit: « T'u cs vraiment une vaillante, une
courageuse petite, FaneUe »... C'e~t
gentil de sa
part.
Elle disait cela avec une joie si naïvement touchante que Hochelle en fut émue:
_ Il a rai~on.
Une femme comme toi, cc serait
une perle dans a maison. Je souhaite qu'il le comprenne et Le rende heureuse, Fany.
,Mais au fond, {'e qui l'intéressait le plus C:éla~t
d ap,prendre que lu famille du fermier compal1ssatt
allX soucis des Fagès. Comment auraient-ils pu être
Iristes pour un autre sujet il Jle millule, l'idée de
pas. erhez le fermier pour lui demander d'accompagner son père fi la chas e aux: pics lui 1'a~crS
le
cerveall. Plli que Taillarcl les compJ'rnflÎl SI DICn,
i '. n 'hésiterai L pas à les aider pour l'exécution d.u
p1ège invenlé pal' Hervé. pourtant, Rocl1eIle sc dil
qu'il était salis doute en son pouvoir d'empêcher
les deux hommes de sorlir cc soir. Aussi, elle quitta
FaneUe à l'entrée du chemin qui conduisait à la
ferme et continua sa route vers la nonneLLe . Elle
avail hAte de voir Hervé. Peul-être Catherine avait-
�102
LE MONSIEUR DES RUINES
elle parlé il tort et à travers cl riCTl n'était décidé
pour la nuit même.
Rochelle Lrouva le jeune avocat au fondl du jardin
Iprès de la grille qui clôLurai l le parc.
_ Je vous atlendais, dH-il gentiment. Comme
vous avez tard6 1 CeLLe messe n'en finissait plus 1
_ J'ai sur tout bavardé avec Fany la petite servante des T'aillard . Elle m'a appris cc que Calherine proclame partout : 'vos projets pour ce soir.
_ Ait 1 ah 1 fit-il en riant , la chasse aux agaça 1
Ça va ê Lre amusant. Votre 1!li:l"C el moi nous nous
cn faisons lme fête
Rochell e r é pliqua avec graviLé :
_ Pourquoi men Lez-vous Hervé, P Mc croyez-vous
si pelite fille P
Par('e que, pour la première foi s, elle venail de
l'appel er par so n prénom, il fuL ému ct il sentiL
grumlir cL Ip alpiter la fervenLe tendresse qu'il lui
a vai \, vouée.
_ Oui, Roch e1Je, j'avoue mon subLerfuge. Les
pics ne son t ct u' un prétexle. J 'c~pi:le
tlue celle Huil
nouS alll'ons il nous mesurer avec cet X my s térieux
ct redoulable.
Voyant f]lle la jeun e fille avait un visage Cll<lViré
cl qu'ell e joignait instinctivement les mains, il entreprit de la rassurer :
_ Je \OUS promels de ne pas quiller une seconde voLre père cl de veiller s ur sa sécurilé.
Elle hais~H
ses 10llgues paupi \ res ,po Il l' dérober
l\~ea
d e ses yeux et elle dil ;l mi voix
_ Alors j'aurai doubl emellt peur ...
- Merci ...
La voix tl'lTervé avail lremhlé sm cc mot, il fut
oblig6 de la rulTeJ'mir pour explif[lIer
_ Je me posterai de bonne h eu re dans le hois.
Si l 'holl1me nrrive, je 10 verrai, de quelque côtô
qu'il vienne. Soyez sa n s inquiétude. La vic de voLre plol'C l'n'es t précieu se cL ln mienne aussi. .. surtout
depuis quelque Lemp s.
Ils revinl'eut vers ln maison, essayant pour cllas-
�LE MONSIEUR DES RUINES
103
ser la préoccupation, de trouver un autre sujet dt}
conversation mais ils ne purent y parvenir.
T'oule la journée, l'idée de ce danger flolta, éneryant \,out le monde. A ]a nuit, les deux hommes,
ainsi qu'ils l'avaient décid'é, armèrent leurs fusils
cl se dirigèrent du côté des ruines.
_ Va donc te coucher, mon enfant, conseilla
Mme Fonlaubert, incapable pour elle-même de suivre ce sage çoJ1seiJ, mais qui cherchait à calmer
les inquiétudes de la jeune fille.
Elles gagnèrent leur chambre pour se donner muluellemenl le change. H.oclJelle ne se déshabilla pas.
Elle s'accouda il sa fenêtre, épiant dans le silence
les b~ · u.jl s les plus imperceptibles qui la faisaient
tressall!Lr : le saul lL'un insecte le passaO"e
d'un
o
papillon de nuit, le cri des reiJ;eltes vers le Jac.
T'oul cela su r un fond aigu de crissements de grillons dan s les ehamiPs et de ,p iaillements d'oiseaux
,c lJ.erc hallt leur place pour la nuil. Les agaça, au
lOin, mcnaient un train d'enfer e t, soudain, après
deux coups de feu, un silellce s'établit.
Qu! avait til'é P Le père de Hocbelle sur un nid
de
ur P Ou
0
, piCS ? Ou llcl'vD SUI'I)I'enan t l'aO"resse
l agresseur lui-même ~
IPenchéc à la J'CJlêlre Iloehelle tendait l'oreille
s~rpie
de ne Iplus l'ie~
elilendre, imaginant la
pire eal~troph.
Elle courut vers la chambre de
gra nd' mi'l'e q IIi n' é.Lail pas couchée lion plus.
Avez-vous enlendu ~
- Deux eOIl [l s de feu trrs ncllemen L.
_ Que sc passe- l-il maintenant P Pourquoi ce
silcnce il
_ lis onl tiré. sur un nid ct les aulres pies se
son l en vol('e5, voil;\ toul.
_ .Je so rs ... Jl! vai aller;\ leur recherche.
_ .Jamais de la vic 1. .. Je te défcnds de commeLtre celle iml[H'udencc 1
Hochellc trcm blait d 'énerveJ)1en L
_ Je ne peux pas demellrer là, dans celle in ac-
�104
LE MOi'iSlEUR
DES RUl ' ES
lion .. . alors que peut-ê lre ils sont en danger, qu'ils
ont besoin de moi ...
- Comme tu t'exalLes 1 mon enfant. .Je t'affirme
que tes cra inles sont fo11 es .
An fond, g rand-m èr e, vous trembl ez comme
moi 1 Laissez-moi partir.
D'un ~ lan,
cli c fut vers la porte, drgringola nu
re7.-de-c hflll ssée , l'nais, comme ell e sc j c lait d an s le
jardin , drux voix lui parvinrent de la route proche
ct les de1lx hommes sc dess in('rcnt dan s l 'ombre.
Hoc hcllc sc jeta dans les bra s de son père, en core mal co nva ill cue.
]] 8 é tai ent fati g ués ct terriblement déçus. Car il
n e s'é lail ri en ,passé du lo ut. Excédé par l'allen te,
Ccor .... es FaO'ès avait, en dernier lieu , I.j -hé les deux
" s ur les oiseaux nlll• 'I'1 )1cs ras. cm blés S1l1'
coups" d e feu
l es arbl' - ct il avait avec JJrrv{> r egagné la BonneLle.
Le pi l'gc aurail-il (lIé flairé il L ' individu avait-il
a ppri s que le j r ulle avo at s'éta it embu qué de honne
Jl elll'e il 01'1 l 'ava it-il VII, di ss imul é dans IrR bois il
Qu' 's l-ce qui J'avait em pêc hé de "l'nif' ~
Hervé e lai sa aller dans un fallteuil , visihlem ent drcouragé c t le monsieur des ruin es a lluma sa
pipe , d'un ail' las .
Hoche ll e r lail si heureu e de cc résulLat, alors
qu' 'Ile l'edo ulait le pire, qu e re fui el! qui verso
Je enromngcmenls
- Qllelles min es s in s tf' e~ 1 VOliS voil i\ ;\ « /plal )l,
comm s i tout é lnit perdll 1
NOliS ~O IJl1
es
ha ttu s pal' nos proprrs armes
grogna JJ(,J'vr , vexé de voir éc hou el' son plan .
'esl normal ;
VOU !! t:lcs dém o rllii sr cc so ir,
a près une b Ollll C nuil , il n 'y paraîtra plus. Demu in,
il fera jOli!', c l nou s aurons de:J id écs fraîc hes .. .
�L E MONSIEUR DES RUI NES
105
CHAPITRE XV
Le lend em aill , v er s les deux heures de J'après midi , tout le m onde é tait r éuni au salon, autour des
las cs ~ e café. Un sil en{'e planait. Ca th erine entra,
u n papI er bl eu à la m ain :
- C 'es t le pa rle-dépêche qui m 'a remis ça. Pour
M. Dupl
e~
i , qu ' il a dit.
--;- Un té légramm e 1 Voyo ns.
L avoca l lul lo ul haul la p hrase laconi q ue
« V/' nez LOllle affaire cessan le »).
r. 'r i ai t sig n6 : « Vid al ll .
II doit y avo ir du nouveau 1 esp éra le j eune
homm e.
- Enfin 1 s'éc ria R.och ell e. Vou s partez lout de
sllil e, n 'es t-cc IP il S ?
- Le temps de sortir la 'V oiture.
Je vo us acco mp uO'ne .
Geor ges Fagès.
. 10 i Hu ss i 1 d é rJ a~'
\ful S l 'avoca t s'y oppo a :
- Il es t préfé rabl e qu e vou s r es tiez ici avec Mad an le Fo nta uber l. A la Bonn elle VOliS )l e ri squez
ri en. D 'ai ll eur , n O IJ ~ sero ns v ile
r elour .
JI cul un so urire pour ajouler :
Moo nllto ro ul e il bell e allure, 'VOli S en sa vez
qll elqu e ch ose 1
_ Modér ez-voli s, {'e tlc foi s, j e 11 e veux p ilS que
' a il s ablmioz ma hell e pe lil e fill e . ..
Les deux j e un es g ns é la ien L d \FI dehors. De ]a
f nêlre du l;a lo n, Georges Fngès cl .'1111(' . Fonla~
hert les virc.nt sortir J'a ulo de la r e ml ~e qllt .servall
de garage. Dan s 1111 ronflement de mo leur, Il s gag rl l'r ' nl biell ,prlld emm ent la roule 'l sc lancèrent
vcr s Mon lnu ban . La même pen sée lra ve rsa le cerveau des deux p l'sonn es r es lées eul e.s au salon. :
fer on l un joli couple, SI ce lle affalre
« Comm e il
peuL s 'éclail'{: ir cnfin 1 ))1
de
�106
LE MOl'iSIEUR DES RUINES
Ils revinrent s'asseoir devant leur café refroidi ;
Georges Fagès prit un journal, et Mme Fontaubert
son éternel tricot pour tromper l'altente.
A Montauban, Hervé et Rochelle sonnaient à l'alPIp arlemen t de Maître Vidal. Des ordres avaient dû
être donnés en conséquenüû,car Héloïse les introduisit immédiatement dans le cabinet de l'ancien
avocat.
- Que sc passe-t-il P demanda tout de suite Rochelle, nous sommes leJJcment inquiets depuis l'arrivée de votre lélégramme ...
Il se passe, dit l'homme d'affaires, en leur
désignant des sièges que Je même jeune JlOmmc qui
a vendu la bonbonnière, le 19 mars dernier, est revenu chez l'anliquaire pour LenLcr de la racheter.
Oh 1 oh 1 s'exolama JJervé. Quelle raison
a-l-il donnée pour expliquer son désir il
- Aucune. Il regrellait simplemenl de s'en être
démuni. Il a IPUI'U très déçu, lorsqu'il a appris que
l'objet Jl'étail plus en magasin ct il a in sislé pour
savoir le nom ùo J'a·cheteur. Quand il a appris que
a'étaiL Dloi, il s'est écr1é : « 'M aître Vidal, l'aYocal il » ct, sur la réponse affirmative, il a montré
sa consternation. L'antiquaire lui a alors proposé
de venir me voir, ct d'insister IP our que je me dessaisisse de ccl objet, mais il a refusé tout net, et
il est lParti, visi blemen t bouleversé.
- Sans donner son nom, bien entendu P
Sans donller son nom. Mais Je commerçant
savaiL qllelle importance j'aUachais il l'identiLé de
l'individu, il l'a fait suivre discrètemelll pAr un de
ses velldcurs. II a pris l'autobus pour Caylus.
- Tl est donc de chez nous, murmura Rochelle,
pensive.
Herv é in sista :
- L'anliquaire a-t-il pris un signalement pl il S
complet (lue Ja première fois P
- C'est un jellne homme a sez neutre, n'offrant
aucune pUl'ticulnriLé vraiment remarquable, un jeune homme comme il y en a des quantités il Mon-
�LE MOOliSIEUR DES RUI NES
107
tauban ct aux environ s. Il es L, toutefoi s, sûrement
du pays, car il a l 'accent prononcé ct, détail qui a
son im,PorLan-ce , il ne zézayait Ip lus comme la première fois.
Nous avançons à to ut peLits pas, remarclua
Hervé.
- Mnis nous avançons, se réjOuit Maitre Vidal.
Les œc,h erchcs sc limiten t Ct Caylus ct aux environs
immédiats.
Dupl essis sc tourna vers Rochelle ;
- VOlIS qui conn aissez bien la contrée, vous allez
12asser Lous les j eunes gen s au crible. 11 faut abolltu'.
No us abo uLirons, aff irm n la j eu ne fill e en se
levan t pOUl' prend re conaé.
'l'enez-mOL
. au co urant
1:>
, pria Maître Vid'al, en
accompagnant les deux j eunes gens jusqu'à la
[1orLe.
Il s revinren t pla ce de la PrMec ture, olt ils avaient
ga ré Ja vo ilure, cL il s r eprirent le chem in de Caylus , tant il s avaicnt hâte d'amlOII ccr la IJonne nouve~l
à Mme Fonlaubel't c t ù Georges Fagès qui deVUlCn t sc poser lDlI tes
Jes gueslion s im aginabl es .
Mai s Hochc ll e, j oyeuse ct l'-ésoJue c hel. MnÎIl'e Villa] ,
i mélancolique CI ll e l 'avocat .en fut
dev in.t ~o ld a in
s urp~
' l s.
Ne parvenant pas à l'amen er u,: s O~flre,
~ ur
les J ev l' c~ de sa vo isine, .il affeela une Jl'OnlC cl-esll1volle po ur dcmalld er :
- Qlle so pll sse- l-i! d'ans cette /pe tito tête P Après
ce lte ho n ne Ilollvelle, vous voilà pl us sombre qu'un
jour sa ns soleil 1
.J e s ui s préoccupée, avoua-L-elle.
Pourqlloi il
.
s t v~nuc
: J.c
.
Une pensée épo uvantable ~'e
VIen s ùe me so uvenir de quelqu un qUI zozaym t
précisément au mois de mars pal' la faule d 'u.oe
d ent cas~é,
e t CJlIi ne zézaye !plus maintenant qu'il
es t allé c hez le dentis te,
L'auto (]t IIne embard ée cl Horvc s'exclama :
Mais c'es t capital 1 Le nom de ~et
homme ~
- Excusez-moi de ne pas vous le du'e... pas en-
�108
LE MONSIEUR DES RUINES
core, du moins. C'est tellement grave que je m'en
voudrais si je vous faisais partager mon doute, ct
s'il n'était pas justifié.
Qu'allez-vous faire P
Elle r,é fl6ehit un moment
- Je vais lenler le tout pour le toul 1
Ils ne dirent plus rien, jusqu'à lu t.raversœ de
Caylus. Là, loul près de la llonnette, il s ujJerçurent
dans un champ en IJordure de la roule un gro upe
â'llOrnrnes ct de femmes rentrant des charrettes de
foin. Parmi eux, ils reconnurellt Pierre el so n père.
- Voulez-vou arrêlel' la voiture P demanda Ro chelle.
Hervé ol)éil, ne comprenan t pas son jn len lion,
mais ayant confiance en l'esprit de décisio n et en
l'intolligence de Hochelle. Elle ne ferail rien à l'aveuglette.
- Pierre 1 appela la jeune fille, venez, je vous
prie.
11 parut à Hervé qui observnil la scè ne que le
jeune homme hésitait, ré,pugnance peut-être de sc
lrou ver fa ce il face avec son rival. Mais la voix
(1'Antoine 'f'aillard s'éleva
pOUl' commander avec
une sorLe ù'j "rlLation :
Eh bien, vas-y, qu'attends-lu P
Pendant que Pierre approchait lentemen l, comme
à con tre-cœur le jeune avocat ne !pu 1, se retenir d'e
remarquer :
- Est-çe lui que vous choisissez pour des confidences P
- Ne parlez pas ainsi, fit-elle avec reproche. Vous
vous ,préparez des regrets ...
Le fil s 'f'a illard s'immobilisait il quelqnes pas.
- Montez avec nou s, invita HooheBe qui sc pou ssa [JOIII' lui faire place. H.emellez en marche, fI'l.
Duplessis.
L'aulo l'oula doucement sur lu roule bordée de
platanes .
Vous pOil vez nous être ulile, Pierre, dit nochlJ~
avec gravité, ç'esl poUl' cela que je me suis
permis de vOus enlever ù volre travail.
�109
LE MONSIEUR DES RUINES
Ell e essayait de parl er sur un Lon enjo ué mais cela
sonna it fa ux . Heureu sem ent l'entrée de la BonneLte
fut to ut de suite là . L 'a ulo fr ein a dans ,Je jardin
e t la j eun e fill e dem anda il IIerv6 d 'a ller r endre
comp le il son pèr e e t il sa g rand'mèr e de leur visi te il MOVid al. Quand l e j eun e avocat se Iut éloigné,
elle atLira Pi erre sous la lonn elle.
- J e pe ux vraim ent vous être util e à quelque chose . ~ dema nd'a le j eun e h omm e avec un e l'r i slesse
qUI fr ? PP,a so n inter locutricc, j 'en serai très h eur eux SI c cs t possibl e .. .
Ell e le regard a profondément :
P ierre e L sa vo ix trembl a pour achever
la p ~ 'a s e - o h VO li S êtcs-vo us pr ocuré celle bon~on
e r e qu e vou s avez vendll e le ID m ar s à un antiquaire de MO.lltauban il
Un e ll/ eur d 'a ffolement passa dans les yCUX du
j eun e h omme .
Vo us savez cela, balbutia-t-il.
- .l e s a i ~ cela e t bi en d'a ulres choses .
- Qllo i e n·Co re ?
.Malg r.(I to us ses cfforls, il n e parvenait pas à domlil er so n tro ubl e.
- J e sais a ll ss i quc vous avcl. vo nlu r acheter ce tle bon hon Il i t ~ re.
Il n 'i nsis la pas, acca bl é
- P Ollrq uo i Il e r éro
nd ~ z - v o u s pas? Ce n 'es t pa s
la vérilé il
q ue vo ul ez-vous que j c r é p~md
'e p •
- Simpl em ent. ('e qu e je VO LI S Hl dcmand o : Co.mm en t ce t le bo nbonni èr e était-ell e en volre possesslOn
e l qu ell es sont l e~ r aiso ns qlli vous in citent, l'ayant
vendue, :\ vo ul oir la ruch ct0r ?
Pi erre sc r enferm a clalls un mlltisme Lotul. RociJ eli e posa sn ma in sur son bra s :
Dit es- mOl cr qll e vous sa vez ?
- No n , fil-il , têtu.
.
' .
_ Vo us rcfusc7. de me donn er des explwaLlOns
- .Je r cfl/ se.
iPo urquoi P
Cela m e r egarde.
r
�110
L E MO NSIEUn DES nUI NES
La voix de Hoch cHe pril un Lon m enaçanl pour
in iou er :
- Sa vez-vou s qu e voLre o bstinalion donne droit
il to u les les supposition s 1
Tant Ipi s.
- P ierre il
,J e ne dirai riCll, j e n :ll rien à dire 1. ..
n pli dur barrait son frolll, pâle so u les a bon 'd anLs (' heve ux <:h:lLain cl le m usq ue de cc paysa n LI
dem i Mgross i r eprenail l'asped ùes vi ages pl'imitif .
Hoe ll ell e cOlll,p ril guc le nl enaces ne parv i 'nd raient
pas à Ic r éd uire cl ell e cher ha tt l 'allcndr ir :
- Pou rq uoi rer u cr de m 'a id er il .Il mol de vo us
j'en sll is ~Î l re
peu l n 0 1l me Ure sur la voic. Au
n o m de m on Jl l' r e qui a lant souffer l ... Cl pour
moi, j e VO li S en 'u ppli e, P ierre .. .
Ell e leva it sur lili d 'imlllcll scs ye ux: ùc Mtres e
c l, IPour Il C plus les vo ir , il sc tlé lourn a cl }'egnrda
a u loin VC I" les champ!! clair SO li le sol(' il. Ri Il
n e lc ferail céder, HoC' lJ ell e s'c n rcmlail l'omp Lc.
Ull
irr ita tion so uda inc la cri spa ct des paroles, iolentes lui monl i'r lit a u li'v l" 8 :
- .J c va is vo us J'aire arrê ler 1
11 sc redressa c l lui flL face lui mon tran t li n visag m éco nn aissa bl e, fi gé ct glacé.
J e va is téléph oner n U l( gc ndu rm cs, groll da- te lJ (~
.
Q u'es t-cc c[ue 'VO ll R a ill' Iltlez il
Ouand il , VO li S pn scron t l 'S Dl ' nattes, vo u
Ù m e l't'po ndre P
VO li S d(\n id crcz Ip eul-ê ll"
Non.
La poli ce n li les moye n ', cli c 1
J c nc ('l'ois pas, Iii -il <I ve' d rdaill .
- Ma is ' 11011, pourquoi, Pi crl' " pou rquo i il
- C'c l u n '('<'l'ct qui n e r ega rd e que moi.
Ell e cul ull e Ir \situlion, puis 'Il e dil av'c Iri sLesse :
Oll q
\'O II S C I\ 1
n 'avons plu s ri cn à
n O LI S
d ir ' . All ez-
II IPorlit sa ll H salu e!', III It: lc CO l' )(~C,
les éra ule.
pl oyées n a Vll lit CO IllTll e SO II S le poid s d'un lourd
�LE MONSIEUR DES RUINES
111
fardeau. Elle Msita de nouvea u. Puis d'un trait, elle
CO li'ut dans le jardin, entra dan s la maison el, guidée par 1e brui t des voix, se dirigea ver s le salon .
_ M. Duplessis vous a mis au coura nt P demanda- t-elle, embrassant son père el sa grand'mèr e.
_ En fin, soupira Georges Fagès, un ,peu de nouveau, un !peu d e lumière .
- Plus que vous ne le supposez.
Pierre vous a appris quelque chose? s'étonna
Hervé .
_ Oui et non. Mais j'ai acquis un e certi Lude ...
Et Rochelle l'acon ta que Pierre z6zayai.\', en mars
<\ cause d'une dent cassée, qu 'il n e zézayait plus
du tout, maintenant, el qu e, lui ayant brutalement
demandé où il s'é lait procuré la bonbonnière, il
avait r efuse lout n et de s'expliqu er là-dessus.
En un éclair Je j eune avoca t comp rit le drame.
lui apparut el il eria :
La vél'j~
_ Ce tle fois, nous le teTlon s 1 Ven ez avec moi,
M. Fagès 1
- Chez les T'ai llard P demanda Roc.belle.
- Evidemment 1
- Alol's, je vous suis.
Sa ns roumi!' d'explications il Mme Fon taubcrt effarée ùc la rapidil6 des événements, ils s'élancèrent vers la voiture aband onnée d cv;mt le garage et
ils prirenl la diroc lion de la ferm e. Mais Jlervé, en
co urs de route, r ec tifia 1(l direction
- Passon s à Caylu s, d'abord ...
�112
LE MONSIEUn DE S nUi NE S
CHAPITRE XVI
Apr ès avo ir quitté Roc hell e don t les paroles lourdes de mena ces le pours uivaien t obstin ém en t, Pierre
coupa il travers cbam,ps. Le groulp e des fan em s suivait d 'un p as traînant les ch arre ttes ch argées c t odor antes . So.n pèr e f ermait la m arch e. 11 le rej oigniL
en couranl.
- Laisse ta fo urch e à un des ouvrier s et r enlre
à la ferm e a vec moi. C'es t urgent.
Le Ip ayan r egard a son nl s ct, devant son v isage
déco mposé, un e inqui étud e lui crispa le cœur ;
- Qu 'y a-t-il de si g mve ~
- 'l'u le sa uras , vien s 1
- C'es t ;\ ca use de cc qll e t'a dit Rochelle P
-
Oui . ..
'1.'uilJal'd cl(;posa sur u.ne chalTe l[.e les ouLils qui
lui avaienL servi [po ur SO li trava il ct, san s aj ouler
une pa ro le, il sc mil à m arc her a ux cô tés d e Pier re d ' lin pas r a pid e.
P al' Ipru den ce le j eun e homm e s' imposa le sil en ce
to nl le temps du par cours, mais dès qu 'il s eurent aLteint la f 'l'me, traversé la cO llr vid e - la fe rmière
cl l'a il ette deva ient ê tre :\ la ba sse-cour ou au potage r - il lit enlrer son Ipère d an s la pi èce que
[' Oll utili suit g uère, afin d 'ê tre plus ImnQuille c L il
ferma la pa rl e ù d é. Alors, il cri a presque :
.J e sai s louL 1
t es ~ T O~
R OIf(
' il ~ du r l'miel' sc fron cèrent, e t il
cuL un haut le eorps :
- COHllli ent luu t 1 qu 'es t-cc qu e cela ve ut dire P
- Un m ellso ll ge ;\ ce lte heure n e servira à rien.
J e Le répète que j 'a i Lo ut appri s.
El moi j e n e comprends [p as.. . s'entê ta Antoine 'Paillard .
- J e l 'ai VII sortir avec un gourdin, un certain
soir'. ..
�LE MONSIEUR DES RUINES
113
- J'avais vu du cô té des ruines, rôder un chien
inqui é Lant. ..
- C'é tait la nuit où M. Georges Fagès a été attaqué.
- Quelle coïn cidence 1 ricana Taillard pour masquer son trouhl e.
- Celle coïn cidence m'a paru bizarre , en effet...
Cç~endal,
j e ne voulais pas, j e 11e pouvais pas
cr01rc à ... à ça 1
--:- Mon fil s m e soupçonner 1 c'est du joli 1
. PIerre l'l1Prenait son calme avec peine pOll' CODlmuer :
Un autro so ir, tu as voulu sorlir, avec Lon
fusil. C'éta~
le soir où M. Fagès d'lassait les pies ...
- La n l.,lit es t à tout le monde, j e pense 1 ct les
pies aussi
., -:- Oui , mais, Lu as r enoncé à ton proj et quand
J al r ésolu .de t accompagner. Et ce tle nuiL-là, grâce ù mon mtervcnLion il n'y a pas cu de drame.
T'aillarcl sc ver sa un ~er
de liqueur et fit claquer
sa lan gue :
'1'011 im agin ation t' égare, mon garçon, Lu es
en train de bilLir un roman.
- .T'IL vois bien que j e connai s la vérilé 1 Cesse
de Ill er e t lai sse-moi parler, le tcmlPs presse ...
- A Lon aise ...
- Apn\s ce s de ux in cidents, j'ai fait des r~ , hcl'
cites dans l 'affa ire Fagès , je m e sui s procu~
~ Jes JOu:n3LLX de l 'ç poquc et
c,'esL ainsi que Jal appns
une chose st up lfiante
Laquell e ~
QuancL on fit l'inventaire des biens de Mlle
~lnrécha,
un e bonbonnière manqua. C'é tait un ohJet. ancien ct !précieux , une pièce J;are .dont on d~n
nUIL da ns divers arlicles une mJnutleuse descnption .
Où veux-tu en venir P
Les ye ux de Piene se fixèrent sur ceux du fermier c L il articula avec peine :
_ Cette bon bonnière, je l'ai tr0!lvéc dans yn trou
du grenier, bien di ssimulée, u11 Jour que Je eher-
�114
LE lllO NSIEUR DES RUINES
chais les rats avec le chien. J'ai pen sé d'abord à
vous l ' apporter mais, à la ré fl exion, j'a i cru pouvoir en di sposer. J'avais très bien vu qu 'elle é tait en
or e t j'ai voulu l 'offrir à Rochelle.
Il sOUlflira profondément :
A Rochelle 1. .. quell e ironie 1
La sueur Ip erlait à son front, il l'essu ya d'un revers d e main :
Mais j'ai craint qu e cc n e soil démodé ct
qu'elle trouve ce cadeau ridicule. Al ors , comme la
foire du 19 m ars éta it !proche, j e s ui s all6 à Montauban, j'a i vendu la honbonnièl'e ù un antiquaire.
- 'ru as fail ce la 1 s'épouvanta Antoine Tail lard .
- Le malh eu r a voulu que cc so it 1\1 " Vidal qui,
trios amateur de cc g nre cl 'o bjets, l'achète au marc hancI. Quand, après la 1 clure de journaux anciens, j'a i 'o mpris ]'jmprudell ee qu e j'avais CO ln mise , j 'ai voulu racheter la bonbonnilTe. Trop
tard . Mon imi s tan ce a cl Î I rpar aître s u pecl e ... peutê lre m'a-t-on s uivi, e n t ut ca Roc h Ile sail.
DevullL le silence de SO Il pr'rc il in sisla :
- HocltelJe sait que c 'est moi ql1i ai pos édô cc
bijou 'U dernier li eu ct ell e sait au i qu'après m' Il
ê tre d éfait , j'ai vo ulu le ravoir à prix: d 'or.
- Elle te l'a dit il
Tout à J'h eure en me m enaçant des gendar -
m s.
Elle veut te fai re arrêter, toi 1 cria )e fer mier.
- 'l'u as hi en laissé arrêler son p ère.
Anloin e Taillard 'affaissa s ur un (' haise, crasé
pal' ces révélations. Toute so n assuran('e était Lombée il n'avait [)lns rien du paysa n fi er de sa for ce , o rg ueilleux d e a fortlme, m aître de ~o n
d estin.
lPierre surmonta on ch ag rin t lui con seilla :
- E saye de fuir, j 'exp liqu rai co mlll e je pOllrrai
Lon d éparl à m amall. L'essenti'l es t d e partir. Pr nd s
de l'arge nt , c han ge d e v~temns
t h:ll (·- loi. L'au tobu s du soir n 'e t pas en ol'e pn ss6 à ay lus. 'lU
seras ù. MOlllauh(ln /l SS ' 1. tôt pour prendre le rapide
de nUIt sur llordcaux. n m ain matin, à {'aube,
�L E MONSIEUR DES RUINE S
115
tu peux ê tre Sur un ba tea u à destination de l ' Amériqu e du Sud. Si on m'inler roge, j e dirai que tu
es à la foire de Livron, ça fer a perdre du temps ...
Un éclair ilJlumin a lc sombre r egard du fermiel'.
L 'espoir d '6ch apper le galvanisait.
- T u as l'aison, d it-il , c 'est la seul c chose à fair e. Attrape-moi un e valise, je vais ...
Il fut interrom pu ,p ar un bruit ·de chute dans le
co ul ? ir . Les deux hommes se p récipitèrent. Pierre
o llvnt la Ipor te avec une h â le fébr ile. Sur le seml ,
en lravor5, la fermière é tait é lendue n e donn ant plus
sig ne de vic.
- Ell e a dû enlendre n o Lre con ver sa lion , gémit
le j eu ne h omm e essayant de soul eve r sa mère. Vile, aid e-moi , po rlo ns-la sur son lit ...
An toine soul eva sans efforl le corps de sa f emm e
c t i l J'é LendiL sur leur lit , d an s la p ièce voisin e. Pierr e a Jl Jlol' tnil du v in aigre en app ela nt do ucement :
(( l\ l:lIli an 1 m ama n 1 » ElJ e cnLr 'ouvrit les yeux
q uelq ues secon des puis les r eferm a san s avo ir parl é.
El le vit 1 cri a l e j eun e homm e, j e la soig nel'ai... Mais to i, Ipars , ,pars vi Le 1
.
•
Le vieux ferm ier h és ilait. Debo uL près du ht , . Il
co ntemp lait d'u n air égaré Ja comp agn e de sa VIC,
J 'épo ll se fid èle ct va ill all le d ont il Il 'a vail ,cOllTIU 9ue
10 dh ollomon t ct la Lend resso cl qui al laIt peul-e Lre
m o urir ... par sa fau tc 1
Mai s P ien e in sis ta d 'un e voix briséc
- J e t'en prie, va-t-en J
•
•
An to i ne 'l"ai lI ard sc rua dan s la ,pI èce con tl g ue.
Duns la cO llr un ronJl em ent d 'auto se fil enten dre, il y e ut Il;1 bruiL in so lit e d e pas c l. de boLles ,
le murmure confu s de voix m êlées, une ~um
e ur
inqui étunte qui peu il peu eJltra dans l a maIson e t
.
.
'
r éso nn a pa rlo ut.
Pi erre, ind écis; m ortelJ Cln en t . wq UlC t, . aurall voy lu sc précipiter uu dehor s, saVOIr C? qUI ,sc . pus a J~ .
SOIl p Gre a vaiL-il c u le temps d e fU,JI: p. Etait-cc ,de;
jà le gelld arm es donl Hoch elle l avait m enace j
�116
LE MONSIEUR DES RUINES
CQJ)endant, il n'osait pas quiLter sa mère qui comm ençait à divaguer.
Une aide lui vin t, inattendue : F:m et te entra,
livide, des larmes <:oulaient sur ses joues.
- Allez, dit-elle simpl em ent, 'Votre place est près
d'cux , moi, je veillerai volre mère ...
Il la remerda d'un r ega rd , mit un baiser sur
les cheveux de sa mère cl COllrut d'an s Je couToil'.
Fany r es la seul e avec la mal ade ct elle sc mit à
lui parler ù mi-yoix, avee des mols genlil s cl tenures
comme l'on fait aux enfants qui ont peul'. La fer mièro so débattit so udain sur so n lit, gémit, murmura des phrases in co mprélJ('ll sibles :
- Ull gourdin ... Il avait un go urdin .. . Ce n'est
!pas vl'ni 1. .. Il n 'es t pas In ~c1Ia
nt
1.. .
FaneUe assurait de sa petite voix lranquille :
- lPersonne n 'est méchant iei, lout le monde vous
aime ... Ne ,crn ii{f1ez ri en ... Volre petite Fany vous
soig ne . . .
Elle d évê lait la mal heureu se , romon lai L les draps,
bordait la co uv erture, hum ec tait les lèvres de la
m alnd'e. Cell e-c i co uLinuait son mysl{lrieux monolog lle :
- Une bonbonnièr e ... clle é tait là c t c'était [J0Ul'
Hochcl/e. .. Pierre...
.
Elle répéta en core le nom de son fil s ct sa tôtc
sc ~o ulcva
un in stanL Ell c cOlisiMra avec é tonnem ent la petite se rvanle pe!l\:hée \ cr s son lil, cssaya
de l'a sembler ses so uvenirs, mais, .ne pouvant y
plll'venlr , elle porta les main s à so n front el r eLonl ha ~ lIr
l 'o reiller av û{) UI1 so upir déchirant.
�LE MONSIEUR DES RUINES
117
CHAIPIT'RE XVIJ
En quillantle' domaine de la Bonnette, à une allure folle, Hervé Dupl essis avait toul de suile dressé
ll:11 Iplan. Il s loppa à Caylus devant la gendarmef1~,
nt con naîlre son identité au IJrigad ier cl, l'ay~t
miS au ("o l/ran L de la nouvelle lournure que prenaIt
l 'affa ire Fagès, jl l'emmena dan s so n auLo , ainsi que
d eux de se~
hommes . Après quoi, Caisant demi-tour,
la voiLul'e emporLa ses six OccupunLs vers la ferme
des T'aill ard.
Elle péJl étra dans la cour, sal uée par les aboiemenLs du chien de garde. Aucun être humain. Ce
fuL dan un sil ence impressionnant que le hrigadier
poussa la Ip orle donna.nL accès ù la pièce princitPale.
:-: Serions-nous arrivés trop Lard èt l 'oiseau se serUll-li
nvolé, s'angoissa Georges Fngès.
Un bruit de pas précipités so nna clans Je couloir. T'aillard, lm U)Orlerellille il la main se. ?ressa
dans le chambranle de la porLe cL s'immoI.Jlhsa.
-- 11 me semble , remarqua le brigadier, que
vous vou:> aLlclldiez à noLre visiLe eL que vous vous
apprNiez il nous brûlol' la politesse ?
,le vais il Monlauban pour une affain! urgenle,
cL je n'ai guc Je tcmps d'aUraper Je car, t'étorqua
Tail1urcl avec calme.
-- L'affllirc qui nous amène ici est encore plus
urrrenlc fit Georges Farrès d'un ton nel. Vous tIllez
prgbal~men
t faire un ~oyage,
mais sans doute pas
celui que vou s méditiez.
,
Et, considérant le fermier, dont Je vIsage sc contractait, il dit :
.
,
- Cc ' messieurs voudraient savou ou vous vous
êtes proc uré ceLLe bonbonnière que :votre fils a vendue :i Monlauban, ct qu'il a ensUlte lenté de racheler.
Le formier nc ré,pondit pas. Il rMl6ehissail. Il sc
�118
LE
DES RUINES
~lONSIEUR
savait perdu ct à la merci de cet homme qui avait
connu par sa faute les pires tortures morales et physiques. A quoi lui servait de nier P dc crâner ~ Ne
valait-il pas mieux avouer P
sc d'écida brusquement:
Allons, Ip lus la pcine dc faire le malin, je
suis fait. Cela devait arriver.
Le brigadier intervint :
Vous vous rcconnaissez coupable du meurtre
de MJ1c MarécJlal ~
Je le reconnais.
ECl'i vez les l'é,ponses de 'l'aillard, on]onna le
chef à UB des gendarmes.
Un premier interrogatoire commença :
Pourquoi vous êtes-vous allaqu6 à Mlle Maréchal jl VOliS aviez des rai ~o ns
de lui cn vouloir jl
_ Une rai so n capitale: Elle était riche, ct j'étuis
pauvre. C',é tait inju s te. Elle avait un beau d'o maine
et moi, je ne possédais rien. Je voulais 1l1le ferme
à moi, et non plus travailler che1. Ics autrcs.
c'ommen Lavez-vous 1P1'émédi lé votre crimc jl
- Je ne voulais que la volet'. J'ai rôdé plusieurs
nuits autour de sa maison pour me rendre comp te
de ses habitudes, Je l'heure Je départ ùe sa femme
Je ménage, de celle où elle nllait dall s sa chambre
]lour dormir. J'avai s bien combiné mali affaire. Un
soir, j'ai vu entrer chez elle M. Fagès, ct j 'ai entendu une partie de leur conversation. II lui ùeman duil un prêt. Elle s'est levée cl est passée dan~
la
[pièce li ,c ôlé . .le TIC savais pas encore 01'1 elle cachait
so n argenL, mais, cc so ir-là, je l'ai appl'Îs. Elle revinl au salon, remil une liasso Il RO ll {'ollsin qui lui
fit un reçu. Quand il
parti, j 'u LLendis que Mlle
Maréchal sc couclte ...
VOIl S n'aviez pas l'illlenlion de la luer P
NOll. C' 'st elle qui a loul gtd6. Pourquoi estclic nrl'ivre au mom cnt où j'ouvrais son corfro ~
Elle Lenait dans la main le reçu de M. Fogès. PeutNJ'e vOlllaiL-elle le ranger P EUe avait cu là une ricite id ~e
1 Toul marchait fi m l'veille pour moi,
cl voilà que çelte vieille toupie venait déranger tOIl S
n
ml
�LE MONSIEUR DES RUINES
119
mes plans 1 Elle 11'eut pas le lemJ)s de pousser un
cri ...
Un silence tomba. Cc fut T'aillard qui rcprit :
Quand elle fut par lerre, je pris le las de
billets qui était dans le coffre, je brûlai le reçu et,
comme j'avais déplacé la bonbonnière, je l'em,p ortai, Cl'aignant que mes emJ)reintes ne soient relevées. Je rentrai chez moi, la nuit était noire, je cachai le trésor et me couchai, Lien certain de n'avoir
él6 vu par personne.
Tous avaient écoulé en silence ce Jong et cynique
rOc.il. Taillard ne sc départit de son c~lme
que pour
affIrmer :
- Jamai s je n'aurais cru qu'un innocent serait
cond'amn é à ma place. Cela, je ne l'ai pas voulu.
J'ai faiL l'impo sible pour sauver M. Fagès.
Sauf de vous accuser.
pas. Il y avait ma femme,
- Je ne le ~Jouvais
mon fils. Je lie les avais pas fait riches pour les
précipiter dans la honte.
Le brigadier demanda encore :
Pourquoi êtes-vous venu vous inslaller ici P
Oh 1 {'e n'est pas pnr honté d'âme, ni Ipour
aider Mme FonlauLert. l\Iais je pensai que, s'il y
avait du nouveau, elle serait la première à le savoir ... ct moi le second . .Je vouluis au si préparer
l'avenir. Je rêvai de marier mon fils avec HocheJIe
Fagè ; de cetle façon, lorsque le pèrc reviendrait
du bagne, s 'il apprcnaiL un jour la vérité, il ne
tenterait rien. Cc m31'iage, c'était mon salut définitif.
George Fagès ricana :
- Je sui s revenu trop tôt, c'esl sans doutc pour
cela que vous avez tentAS de m'assommer une nuit,
aux ruines P
- Oui.
- Je voudrais bien savoir, dit Hervé, pourquoi
vous n'avez tPas donné dans le piège de la chasse
aux pies P
'Paillard ouvrit la bouche, mais il pensa que cela
pouvait cornprornellre Pierre el se lut.
�120
LE
MO NSIEUR
DES RUINBS
J e m 'é tais dit, rerrit Her vé, q ue le fermier
é tait suspec t lors de sa v isi te à la Bon n ctte, un soir.
Il av ait beau é taler son dévou ement, vieu x de quinze an s, un doute n aquit dès qu e j 'eu s examin é ce t
:homme. D 'abOI'd , j 'ai senti qu 'il m e d Otœ
t a i~
;
ensuite, e n com parant ce tle h aute s ta ture avec celle
du co losse qui m 'ava it ren versé d 'un m ag is lral co u ~
éTo poin g , j e me dis qu 'il fallait p eul-& lre cher ch er
de ce côté- là ...
11 se tul. · Iierv6 avait parl é p lu partic ul ièrem en t
ù Geor ges Fagès et à Roc hclle, tan dis q u e le brigadier ac h eva it son r a ppo rl. La plu me d ll gend ar llie g rin ça d ans Je s i len ce.
Da ns le co ul o ir, P ien, a,p p uyé a u cham br anle
de la pode, i nvisihle d a ilS le n o i r . avait assis té à
to ul l ' inl erroga lo irc. ],J ·é La il il1lIlIObil o, écrasé de
do ul ell r c l d e · hO ll te . I)e la p iree voi ine mon taien t
les gé mi sse m en ls illf'oh éren ts de sa mè re.
Le b ri gadi er bo urra sa sen 'ie tte d e notes pri ses
pa r Ho n sli bordo nn é e t tira d , sa poc llC lI ne paire de
me no l tes :
- No us n'avo n plu r i 'n à faire ic i. Levez-vo lt s
Tllill nrcl , c t tell dez vos m ains, je VO li S arl~e.
'
Sans ré~ i s l ance,
le f l'mi l' sc laissa emmener.
La co ll r grou ill ail d e mon de : les o u vri ers d e la
r{,l'I11 e, des vo isin ve nu s vo ir cc fJui sc passa it , des
femm l's, d u foi n dan s les eh 've ll,(, d rrll:l1le des
' n fa n ls q ui n e co mp re n aicn t pas.
Un gc nda r'm e fit a ll eler lIn e vo il u r'c d c la fe rmc,
c l lin d c~
Oll v ri ers fll t c hnrg(; de co n d llin' le priso nni er' l'scorlr j ll '1 11 ';\ Cay
l ~.
Toil la r d cul li n (\C l'niel' r ega rd d lU l'g6 de r'cgrct vcrs Ics bca u x htili m Oll ls les c hamps hi en nli g n és, les m eu les de foi n,
ses hftliJll l' nls, ~es
c1I Hmps , ses m eul es, qll 'il n e rcYCITU i l p lu s j am ais.
La eh nlTi) tte 'élo ig n a )pl1l em Clll dans le c hcmin
bordé de blli sso ns.
lI er vr ('ondui sit Hoch cll c ye rs Ro n auto, o ù Geor gPR . F agl~
Iprenail rln cc. Mai s la j cun c fill e é tait
h éS ita nte. E ll e r ga rd ait un e deR fell Î! ln's c1oscs, t
cli c {''(hal a un so upir:
�L E MOl'iSIEU1l. DE S
nU1
~ES
- J'ai tan t d'e c h agrin à cause de ce lte pauvre'
f emme e L d e ce m alheureux garçon. .. m ais je ne
!peux rien ...
Elle ajouta pour elle-m ême :
Heureu sem ent, il y a F an oLt e ...
Alors, elle se décida à monler, et l'.auto, déferlan t le lon g du c hemin , r egagn a la ro ule, où el~
se
lan ça vers la Bonn e tte. La cour se vida , les ouvners
posè rent leurs outil s, les voisin s s'éloig n èrent.
Da n s la ch ambre où la fermi èr e continu ai t à di·
vag u er , Œ
:>ierre sen tiL lou t le poid s de ce brusque
sil e n ce. Le v id e s'é lait f ail a ul o ur de lui . Se ul, il
é ta it •seul, désorm a is 1 Son p ère a u b aO'
ne 1 Sa mère
0
pe u l-c lre roU e pour le l'es le de ses jours 1 Il promen a . un T?ga rd égaré dan s la pi èce e t vit Fan e Ue,
aSS lse IP r c~
dll lit.
- Q u 'atlend s- lu po ur l 'en all er aussi P dit-il dur em e nt.
E ll e ré po ndit , san s se d épartir de sa dou ceur
Qu e vou s me c h assiez.
Il la r ega rda, ÏJlle rdil.
- Je JI 'ai pa s en vie d e te cha sser .. . T'u n'as pas
'p PIlt' d an s ce lle m a i 'o n m a udile &
Ell e es t pour moi le P ar adis . Maîlresse est
bo nn e, j a ~ a i s e lle n e m 'a g rondée. Je n'6lllis qu'~
]1 e o rph e lin e qu a nd j e s uis entrée ici, el elle ma
do n né l'illu sio n cl 'avoir une famill e .
Ell e se l eva e l s'l1 pproch a d e l ui :
J e J'es lerai tout, m a vie si vous y con sentez.
J e so ig n er ai voIre m ère j e diriO'er ai la hasse-cour ,
~ t m ê m e, s 'il le faut, j'e ferai ~ar
c h e I' les travaux
d es c h amps, il s ne m e font pa s peur 1
•
- On l'ira de lo i on le monlrera du dOIgt en
di Rtl lll : c'es t la se r~anL
e du bagnard 1
.
Ell e hall sa ses fr êles épaules et diL avec conVIe-
lion :
- Qu'es t.ce qu e ça fait P..
.,. . .
Pi pff e sc pe n cha vers sa mère qUI s agllalt louj o urs e t J'emhrassa.
_ Je vai s ull cr c hercher un docteur , dit Fan etl e
r (>~o
lJm
e nl.
�122
LE MONSIEUR nES nUI NES
Le jeune hommc hocha la tête et alla s'appuyer
aux contrevents entrcbâillés . Ellc s'aplp rocha et ouvrit complètement :
Les ouvriers reviendron t travailler, je saurai
bien les ramener. Prenez courage, je vous aiderai à
tout apl anir, Plu s tard, si vous le voulez, quand les
récoltes seront rentrées, vous vendrez la ferme, ct
nou s iron s vivre ailleurs, là où personne ne sama
rieu de Lout ce drame cL où vous pourrez l'oublier.
Pany, ,p ourquoi resL~u
alors que tout le
monde m'abandonne il
Parcc que je vous aime, di l-elle simpl emen t.
Alors, un grand sanglot moula ù la gorge du
malheureux garço n ; il ap,p uya son front sur la
fragile épaule el sc mil à pleurer.
CIIAPIT'RE XVIlI
T'ont d' suite après ecs événements, Je procès fut
repris, C ,la fiL grand hruit dans le Tarn -eL-Garonnc.
L'affaire fllL m(' née rondemenL et Jans le m0me Palais de Jil s ti r , où George' Farr;\s s'étai t VlI inJligC'r
sa condal1lnatioJl, il fut r(~habilLé
el les amis qui
l'avaienL a ' SC;" \ilainetrlenl abanùonne jadis furcnt
les premicrs li "cllir nfril'mer (Iu'ils n'avaicnt jamai s doul {- de lui. Ainsi csL 111 nature hllmaine 1
Compris dan R le l'T'erliier <l(:pnrt :pollr la Guy anc,
Antoine T'aillard uevai t y mOll1'il' troi s moi s arr(\s.
lPiel're {~po
l sa
F:JneLLr ct, ayallt velldu la ferlnc
ain si qllo la sage petitc amie le Illi avaiL (,ollseiJlé,
il s qllill èl'rnt lc Ipay s ,
ITIIllCIIHUt la malheureu se
m èrc, donl la rai so ll avaiL tOllt ~ l'ail so mbré, eL
J"ily,ml p01l1' lcs pl'Olrgcl' qlle l ' imrnrn se amour cie
Fany.
rl~
ct I[J cr sonne
,
i' S' t'Il <llll'I'cnt vers lu Brcla"ne
0
,
n enlcnc Il plu s parler d'eux,
A la BOlilieUe, Georges Fa gès c.lil'i gca il la pro-
�..
LE MONSIEUR DES RUli'lES
123.
priétO, et Mme Fontaubert ayant abdiqué toule autorité sc laissait vivre aouillettemenl.
Un an s'écoula. Et un malin, la maison fut en
fê te . Rochelle courai t de tous côtés e n cha ntant,
~olJseuait
les meubles, coupait les fl eurs . Ca thenne Iflerdait la tête au-dessus d e ses fournaux.
Toul cc remne-ménage cessa au bruit joyeux d'un
1 laxon et la m aiso nnée enti rre sc précipita vers le
jardin.
- Per OMe n e fait faux-bond, j'espère? s'exdama George Fagès. Maître Vidal ?
- Pré en t 1 répondit l'an cien avocat qui, descendl! le premier , tendait une main galante à une
d~me
au doux visage e t qui é tait la maman d 'Herve.
Mme Duples is ouvrit tout de su ite ses bras à
Hoehelle :
J e suis heureuse de vous connaître 1. .. Mon
fils n'a rien exagéré.. . il semb le mrme 'lu 'il é tait
au-dessous de la vér ité.
, La j eune fill e rougit e t conduisit Mme Duplessis
a sa g rand 'rnèro ;
- Soyez la bienvenue madam e s'a Uen drit Mme
Fontauherl, cc jo ur qui ~a
voir 1; consécra tion du
rêvc de Jl OS c nfan t cs t un jour béni.
- Il s aLLe nc/ent rc bonhcu!" deJluis lin an 1
J'avais juré de nc Ipenser :\ moi que quand
pupa scr ail réhabilité dit Roch elle.
Là-de us, Ca th cri n ~ fit un e rapide apparition
po ur annoncer qlle le déjeuner é tait servi. SOJI b~n
nel de lravc rs, sa figure éca rl a te ct l e bean .lab11er
bl anc empesé qu' ell e ava it revêt u IPour la el["constan e' lili volUl'pnL un cerlaiJl s uccès.
On sc mit à tuble ga iem nt c t on pO~ ' I ~ t?as t s ur
loasl. .. ~i bien que tal'c1 dan s ,1 'après-IY!ld!, II fallut
aIl r faire un tOUf au jardin pOUl" dl ~s. lp e r . touLes
les va peurs el les trop bons fumel s. d cs ~JlS
Yleux .. .
Mais les fian cés s'éclipsè rent et Il s, pJ"Jrent le ch?min de Cayllls. HoeheJJe s'a rrêta. à 1 en.trée du petIt
chcmin e t, montrant.Ja borne kllom étnque ayec un
sourire ;
�LE MONSIE UR DES RUINES
C'esL ici que nous nous somme s ren ç ontr~
pour la Ip remièr e fois.
Et que j'ai accroch é le « monsie ur des ruin es » 1
- Cher « monsieur d es ruines », cause initiale
de nolre bonh eur 1
Voulez-vous que nous fa ssions le pèlerin age
compl et P
- Volonti ers.
Il s priren t le c hemin é troit bord é de buissons
noirs, sem é de ronces et il s se retrouv èrent devant
les muraill es noircies, Je sol calciné où l'herbe ne
poussa it p lus.
- Ici, j 'ai compri s que j e vou s aimais, dit Roch ell e.
- Tci, j'ai compris qu e pour vous avoir, je bouleverser ais le monde.
Iront sur l 'épaul e de son
Rochell e a ppu ya ~ on
frÔl èrent ses lèvres . Le dra'or
d
x
cheve1l
les
,
anré
fi
m e élait aholi, seul e exislait désorm ais leur rayonn anLe Lendresse.
Des Ipépi em enL monLaient auLour d 'eux, comme
pour servir d 'accom pagnem ent à l'hymn e d'amou r
qui chanLa it dans leur cœu r.
FI N
�POOf
paraître jeodi prochaio
1001
le
DO
650 de la Collection oc Fam...
LA SYMPHONIE
EN MAUVE
par JEAN KËRY
A Jean-Claude el cl sa maman.
CHAPITRE PREMIER
DÉTRESSE
- Voici l'ordonnance, IlL le Dr Valdi en achevanL
de tracer son paraphe. Les ampoules cOllLent cher,
mais je les crois indispensables au rétablissement
de la malade.
Francis BerLolat jeta sur le papier un regard désemparé, puis releva les yeux vers le médecin en interrogeant :
'- Combien vous dois-je?
Le docteur sentit l'angoisse qui perçait sous cette
question. Il s'empressa de rassurer son inLerlocuteur:
._ Nous règlerons cela plus tard, quand vous viendr z me voir avee votre sœur pour me permettre de
constater que mon traitemenL a réussi.
Les deux hommes échangèrenL une poignée de
main dans laquelle se révélaient d'un côLé l'estime, de l'autre lu reconnaissance. Puis ils sc séparèrent SUI' le seuil de la porte.
(A suivre).
��~t8mpe$
1659. Imp . • La Semeuse •
(S.-el-O). France.
1939
��~ ,~.
,
("""""""""""""""""""""""""'"""""""""""""""""""""""",,,,"""","";
FAMA
•
Derniers volumes
~
!
paru
~
,
642. L'a llié des mauvais jours, par Jea n
[(ÉR Y.
~
643 . Doho l'enchanteresse, poc M. GEesT""C".
1
~
6 ... L'auberge de la b elle étoile, par J. VOUS SAC.
~
=
6,.}:' . L'amour a brisé la chaîne, pr CI.-Ch. GÉNIAUX .
1
646. Divine clar té, par RO (1er d'A
~
DIGNY.
647. L a fauvette du gai moulin, par A.
GONNEAU .
(H8. L'amour qui s'efface , par José R EYS A.
(Hg. Le monsieur des ruines, par' Madga
CONT INO.
Procltain vo lum e à paraître
650. L a symphonie en mauve, parJean
KÉI1Y •
•
En vente partout : 2 francs
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r.
�DEPUIS TOUJOURS SONT LES MEILLEURS
�
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Title
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Collection Fama
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Dublin Core
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Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Contino , Magda
Title
A name given to the resource
Le monsieur des ruines : roman
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société d'éditions publications et industries annexes
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
impr. 1939
Description
An account of the resource
Collection Fama ; 649
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
Language
A language of the resource
fre
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Fama_649_C90914
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