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É 110
Je la Môdc"
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Petit
J. Rue CauQ
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Paul ACKER: 174. I.e: deux Cal,ler..
Malh,~e
ALANIC: 4. Le, E,plranco,.
28. Le Devoir ,.... fi •. 5b. Monelle. - 76. Tonie Babiole.
Antoino ALHIX: 40. Chemin monlanl.
Jo.n d'AN'N: 107. Laquelle ~
Il.n7i ARI)FL: 41. Deux Amours.
M, des ARNEAUX: 82. Le Mariage d. GraUenn •.
J.an d'ARVERS: 156. Madeline.
G. d'ARVOR: 134, l..e ,"1ariage de Ro,e Duprev.
Lury AlIGÉ: 112. L'Heure du bonheur.- 154. La Mai.on dan. le bol•.
Salvn dn BÉAL: 18. Trop peille. - 160. Au/our d'Yvell•.
L,. 8ERGER: 157. C'esl l'Amour qui gaglle 1
Emilo BERG Y : 130. / r'ne.
Ilnron.o S. d. BOUAltD: 106. Cœur lendre cl fier.
BRADA: 91. La Branche de romarin.
Jean d. la BRÈTE: 3, Rêver cl vivre. - 25. illusion masculin •.
H Un Réveil.
Andr' BRUYÈRE: 161. I.e Prince d'Ombre.
Clo..·Loui •• OURNHAM: 125. Parle à porle.
Rosa·Noachott. CAREY: 171. A mour cl Fierté.
Mme E. CAItO: 103, / dylle nupl/ale.
A.·E. CASnE: 93. Cœur de princesse.
Coml..,. de CASTELLANA-ACQUAVIVA: 90. L. SfCrd d. Marouula,
CHrlMPOL: 67. NoWe. - 113. Anccllse.
A. CHEVALI~1t:
114. M're el Fils.
Comtn ... CLO: 137. Le Cœur chemine.
J•• "n. d. COULOMB: 60. L'Algue d'or. - 170. La Ma/.on .ur le roc,
Edmond COZ: 70. Le Voile déchirE.
J•• n DEMA1S: 1. L'lIéroïque Amour.
A. DUIlARR'(: 132. La Mission cie Marle-Anie.
Victor FÉU: 127. Le farclln clu silenco.
JeAn flO: 116. L'Ennemie. - 152. Le Cœur de Ludlvlne.
7....id. FLEUIUOT: III. Margn.
136. Peille Dr/le.
Mary FLORAN: 9. Ricl,. 0/1 Aimée} - 32. Leque! /'almoll ~
54. Romalle.'que.
63. Carmenclla. - .83. Meurlrle par la vie 1
100. ner"Ie, , /10" 1. - 121. Femme de Ir/Ires. - 142. Bonh.ur
mél" "nu.
15Q. Fi&/e à ,on rév..
173. Orgueil vaincu.
M.-E. ffl,nri.: 175. I.a Ro. e bltue.
J.cqu.. de. GACHONS: 148. Comme " .•• /err. ,ans cau ...
Pierre GO\JRDON: 110. Accusée.
JICqufl GRANOtUAMP: 47. Pardonner. - 58. Le Cœur n'oubli.
- 7H. !lc l'amour 01 d. la pillé.
110. L .. Trôn .. 'écroulcnl.
~
166. H,,,,. <1 l'rançai...
176. MalJonn •.
M. d. HARCOET: 37. Dernl", Rameaux.
l-Ph. HEUZEY: 126. La VIc/aire d'A rie Il •.
J•• n JÉGO: 109. Sou, le .01.11 ardenl.
L. d. KF.RANY: 16. I.e Sent/cr du honheur. - Ill. Pl,non lur rue,
J.ln d. KEltLECQ: 139. 1.. S.cr.1 J. la fori! .
M LA BRUYÈRE: 165. 1.• flachal du Bonheur.
Rt.1 tA BRUYÈRE: 105. L'Amour le ~lu.
{orl.
"0•.
(Suil. au ".,'0,)
177-1
�Principaux volumes parus dans la Collection (Suite).
Pierre LE ROHU: 104. Contre /e !loI.
Mmo LESCOT: 95. Mariag •• d·aujourd'hul.
Goa..,.. d. LYS: IZ4.L·Exllie d'amour.- 141, L. Logl,.· ' 162. L ••
Ra/jons du Cœur.
William MAGNAY : 168. Le Coup de Foudre.
Philippe MAQUET: 147. Le Bonheur·du.}our.
""Iine MATHERS: 17. A traver. /., .. /g/...
et Vl.rul..
Raoul MALTRAVERS: 135. Chlm~re
Eve PAUL·MARGUERITTE: 172. La Prl,on blanch.,
Prooper MÉRIMÉE: 169. C%mba.
Jean de MONTHÉAS : 143. Un H irllage.
Lio.el de MOVET: 164. Le Co/lier de turquoises,
B, NEULLlÈS: 128. La Vole d. l'amour.
CIIUd. NISSON: 52. L.. Deur Amour. d'A,n~
.. - 85, L'Aut,.
Route. - 129. L. Cadet.
Fraucisque PARN: 151. En Silence,
Fr, M. PEARD: 153. Sam /. Savoir,
Pi.rr. PERRAULT : 8. Comme une ~pao
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Alfred du PRADElX: 99. IJa Foril d'argent,
Alic. PUJO: 2. Pour /ul 1 - 65. Phyllis, (Ade"t" de l'.nal.i •.)
J... SAINT-ROMAIN: 115. L'Embardé.,
Iolbell. SANDY: 49, Mary/a,
Pi'rra d. SAXEL: 123. GcorgCJ ci Mol,
Y?o ••• SCHULTZ: 69. L. MarI de Vlvlan.,
Norbert SEVESTRE: Il . Cyronelle.
Reaé STAR: 5, La Conquite d'un cœur, - 87. L 'Am our aliend.. ,
Gu, d. TtRAMOND 1 119. L'Aventu,. d. } oCQuellnc.
J••• THIERY ot H"oo. MARTIAl. : 120. Mort ou Vivanl.
J•• o THIÉRY: 88, Sou. /... r. po •. - 108. Toul alliai 1 - 138. .4
grande ~I/ ..sc. - 158. L'Idée de Suzle,
Mari. THIERY : 57. Rive .t Réalilé, - 102. L. Coup de Vo/an/. 133. L'Ombre du pa ..l..
Uo. d. TINSEAU : 117. Le FInal. de /a ,ynt"hon{•.
T. TRILBY: 21. Rive d'amour. - 29. Prin lent", perdu. - 36. Lo
P.tlote. - 42, Od.tt. d. LJlmoiil •. - 50. Le Mauvai. Amour, bl. L'lnullie Sacrifice. - BO, La Tran.JII· •. - 97. Ar/eli., jeun.
fill. modern., - 122, L. Droll d'aimer, - 144. La Roue du Moulin.
- 163. Le Retour,
Aodr" VERTlOL: 77.. L'Elolie du lac, - 118, Le Hibou d.. ruillcs.
- ISO. Mademol•• Ue Prlnte" ,p•.
d. VERZINE: 167. Les Yeux clairs.
J••• VÉZÈRE, 155. Nouveaur Paqvr...
Commandant de WAILLY : 101 . I.e Do"ble Jeu,
M. d. WAILLY: 149. C"'''_r ..:,d_·o_r._ _ __
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NOELLE
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COLLECTION
STELLA
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l, Rue Gazau. Pari.
(X1V
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��NO EL LL
~.
1
1
1
~cornée.
Arrivée à l'âge de cinquan te ans, Mme de Boutreu i\
constat a avec regret que son existen ce avait été jusque-là une suite ininterr ompue de tristess es et de
difficul tés.
Une enfance maladiv e, une belle-m ère, des pertes
d'argen t dans sa famille, un précoce mariage de rai.
son avec un vieux magistr at catarrh eux et jaloux;
puis, un tardif mariage d'inclin ation avec un jeune
sportsm an trop brillant , des mécom ptes immédi ats,
- brouille , rupture - n'avaie nt pas encore laissé à
la pauvre femme un momen t de joie ou de tranqui llité, lorsqu'u n second veuvage vint enfin lui rendre
la libre disposi tion d'elle-m ême.
Cette fois, elle ~ievat
avoir épuisé sa part de mal~
heur, ct se sentait fort disposé e à jouir de tout cc
que l'avenir pouvait lui réserve r de satisfac tions pai~
sibles.
Sa santé était excellen te. Sa fortune , bien défendu e
par les sages disposi tions du feu magistr at contre
les gaspilla ges de son success eur, était à peine
L'itt:\e ct l'expéri ence l'avaien t rendue pratiqu e, tou{
en lui laissant une teinture romane SQue, un entraill
"\jvénile, qui lui faisaien t prendre pla1sir ct intérêt â
route chose, sans la !"lusse r jamais à aucune action
imprud ente, carabk de compro mettre son bien-êt re
l>ll son repos.
Une bienveiillnc.:e facile et banale lUI attirait beaucuup d'amitié s super[ic ielles oui 'luffisai ent à son
ùoux
éo:l~1e.
�NOËLLE
N'ayant Jamais fait ft; de bIen ni de mal à [lersonne,
elle n'avait p'oint d'ennemis; ct, comme elle était
riche, accueIllante, d'un caractilre affable, ... hacun
répétait: « C'est une exc.ellente femme n.
i ~près
q uelq ues sema mes de regret, accordées au
dernier défunt, et une année de grand deuil, donnée
aux convenances, Mme de Boutreuil avait arrangé
sol} existence de la façon la plus agréa?le, y introdUIsant le monde, Juste assez pour sc distraire sans
'se fatiguer, et, les bonnes œuvre, sufllsamment pour
pOUVOIr jouir de ses biens ici-bas, sans trop.s'inq uiéter du compte qu'elle en rendrait la-haut.
Elle recevait tous les jeudis soir, di stribuait ses
aumônes tous les samedIS matin, ct, dans les deux
occasions, ses visiteurs s'en retournaient également
satisfaits.
Quand la belle saison a été pluvieuse, l'automne
est souvent magnifique, ct les derniers rayons de
soleil ont un charme tout particulier: Mme de Boutreuil en arrivait à sc croire au prIntemps.
On la voyait au bois, à l'Opéra, au bal, aux expositions, partout, en toilettes peut-être un peu trop
Jeunes pour son âge, mais d'un gOllt toujours sûr et
élégant.
On la retrouvait aux eaux, sur les plages, en excur~
sIOn dans les montagnes.
Il y avait des jours où elle se sentait à peine vingtcinq ans.
Au bout de quelques années, cette vie inde[lendante, animée, perdit cependant de son attrait, en
perdant de s~ n.ouvea~té
.
L'âge se faiSaIt sentir, ct les dernières apparences
de jeunesse, longtemps con ervées, s'évanouissaient
.' apidement. Mme de Boutreuil s'alourdissait, s'es"oumait ... elle ne pouvait plus être de toutes !es par/Jes; les veilles prolon!4ées la fatia,uaient.
Elle ressentait par instants ce pr'ofond en nui réservé
aux gens qui ne songent qu'à s'amuser; d, bien q lI'lIn
1 eu lasse des dIstraction extérieurl's, l!lle continuait
r.les rechercher, n'ayant rien à leur subi;tituer.
Son cher,.-elle lui semblait mortellement triste, et '1l1e perdait l'anF(;til lorsqu'elle n'avait personne ù
,Jner.
L'idée lUI nUC clé prendre une demoiselle de com·
pagnle. Ce fut le .:ommenccmcnt d'U\1e série de mésa~cnlures
aussI extraordin::\ires I.!~
unes que les
lltres.
�NOBU E
1
t{
,
1
7
Cette expérie nce d0goüta Mme de Boutreu il de
ses recherc hes, Elle dut se content er d'égaye r dou~
cement sa solitl-lde ~ n sr rapproc hant de ses plus
anciens amis et des COtlSI11S qui compos aient seuls
sa famille,
Aux réunion s nombre uses, eile préféra it quei~
heures passées dan s l'mtimit G. Un Séjour à la campagne, dans l'intérie ur d'une famille amie, était S8
villégia ture favonte ,
\
Comme elle était riche et sans héritier s, les invitations pleuvai ent. Elle aImait beauco up la jeuness e:
les enrants l'appela ient ma tante " ct lui récitaie nt
des fables; les grandes sœurs se promen aient avec
ellc et lui faisaien t leurs confide nces, et les parents
la combla i ent de petits soins, en rêvant une dot pour
Made leine ou un héritage pour le petit Paul.
Pendan t un certain temps, ce furent les Dambr y
qui tinrent la corde.
Mme Dambry était une cousine éloigné e de feu
M. de Boutreu il.
.
D'une famille trl:S noble et trè:s pauvre, el!e avait
êpou~é
le comte Dambl'Y , homme riche, bien posé.
mais dont la fsJble~
d'intelli gence touchai t à l'mfirmit6. Veuve depuis deux ans, elle continu ait à
diriger avec une remarq uable entente , comme elle
l'avait fait du vivant de son mari, une fortune consi
~
dérable et une famille, plus considl :rable encore.
Elle habitait toute l'annl:e , dans les Ardenn es, un
très beau château datant du XV1" si0cle, récemm ent
restaur6 , et unissan t le charme des ancienn es de·
meures , au confort dcs habitati ons moLlern es,
Dans ces vastes apparte ments luxueus ement meu·
blés, ct clans les ail ':'c" om breuscs du parc imme ns.e,
les six enlants de Mme Dambry l'urmaie nt dcs groupe s
charma nts, Lo grand fr è:rl., 1111 saint-cyril!l1, 'be rçant
Je bébé frigé; l'al née, déjà une jeu ne fille, catéchi sant
les jlmce~
de ~ept
nlls; te.: c()lIt~gJn
espil:gle , 1 répa- ,
rant dans Uil c(JJllun bon tour de sa façon, formaie n t.
dans ce vÎcux cadre, de sé duisant s tableau .' de la
Jeuness e SOllS tous ses <lSpccts: il n'élait pas étonnan t
que J'lIme de Boull'cu il aima! à ks conteml ,1cr.
j\ls~;,
accueill it-lite.: av 'c pl<i~r'n\tao
reçne
pendan t lin Jlloi';de dt'ceml '''c !,ill'tlt'u li"rcmc nt maus~
sade, dt' \'('1111' l';I~
'll'l'\ni' l dans I:ette famille oatriar.
l'air,
II l',lIS:\'11 t r s f'l'oi , 1, t. t biell qll'il fôt ù i"':ln~
qllalro
lIcurt!&. l~ lIwt tomb.li l déià sur la rllaÎll" couvert e
�NG1!:LLF.
de neige, lorsque Mme de Boutreuil ('~scendh
à la
gare de Mézières,
Elle trouva, surle quai, l'aîné d es Dambry souriant
et empressé, ct, à la sortie , une auto qu i rendit très
.çourt le trajet de la station au grand salon bien
~haufé
, où toute la famille l'attendait,
Jamai cet intérieur n'apparut à Mme âe Boutreui\
si calme et si attrayant que lo rsqu'e lle y pé nétra CEl
soir-là,
Mme Damory et sa fille aînée travalllal(.:nt à un
ouvrage à J'aigu ille ; les deux jumelles contemplaient
ensemble un livre d'imaoes, si attentivement que
leurs petits (lez roses toucf,aient presque les feuillets,
i eJlt
sur la
et que leurs boucles blondes s'épar~il
table, Le collégien , tout aux douceurs des vacances,
touroait ses pouces a u coin du feu , regardant avec
pitié le bébé se rouler sur le tapis e n essayan t unt!
pirouette. Il était s i gros, le pauvre fri sé , que son
poids l'entrainait toujours ct faisait aboutir ses effo rt s
gymnastiques à une honteuse culbute, Tout autre
bébé eût renoncé à la pirouette, mais celui-ci était
un bébé de l'Est, un bébé lorra in; il avait déjà, en
germe, la persévérance et l'énergie qui cara ctérisen t
ses comnatriotes, et il recommençait, sans se dl!cnura(!er.
'Mm" Darnbn' «\';lIt leté sa tarisse ri e et accoura it
aa-dL,,'unt dl: sa" chèrl;; ;\lathiIJe» ; les Jum
e l c~,
Ç1 n nt
l'une da il !rl li!leüle de .vime de Buutreuil, criaie nt
« J.,nnjour 1lIarraine », à tllc-tête; Mlle Dambry s'e mpressait de d,"barrasser l'arrivant e dl: son manteau loi
.Ie son chapeau, et le C(l'~L;ie,
lLll-même, avança it
Jvec t:ne poli!es~
~auche
le plus grand fauteuÎl
!.levant le:' . où son fI'; l'l'amoncelait les bûches.
- QucJ froid! disait J\1m'~
Dambry; que c'est hon
• vous, chi:re amiJ.:, d'av'Jir br~vl!
I(lU~
le s 61('111e n1 <;
pour venir voir de pau\Tes cumpa.:.:nards comme
nous î Approchez-volis dl,nc dll feu, 'Pr _nd /"lez-vo~
une tasse de th~
?
Non, merci
Un verre de ;,Ja1acu et un aiscuit i'
Non, '1on, rien u,:ar.t diner
;.h 1 que lle Jflie de YOus r.~\(Ji
ici!
,
Quelle ne ige 1 observa ]\1 me de BOUtreUll, er,
:lppuyant ses pieds su ries Chl:l1(;tS,
- Vous n'avez jam<1is vu ou tre Lnrnud' ~{)US
Jt aspect? Elle a hièo aussi sa jJoésie COrT1Ine ..:c la.
lous en jugerPI , l,.,,, .,,,,. Hilconle ;\ ta lllarrall1e,
�1
1
1
Mi mi, comme votre honhomme de nC;f'e ~sl
beaù.
- .1\larraine, voulcz-\'~
venir le voir·~
- Grand merci, dit Mme de Boutreuil ep trisson..
liant, je l'admire sur sa réputation.
- Il n'est pas beau, reprit le collégien: il est laid;
il res emble à M. Bauer.
- Qu'est-ce que M. Bauer? demanda dIstraite.
ment Mme de BoutreuiL
- Le médecin du village, un petit gros avec des
yeux tout ronds.
- Allons! mes enfants, reprit Mme Dambry, aurezvous bi, ntât fini de casser la tête à votre tante! C'est
abuser vraiment.
- Pas du tout; laissez-les faire ... leurs petites
hi stoires m'amusent infiniment. Voyons, mes chéris,
qu'y a-t-il encore de nouveau?
- L'arbrè de NOël, marraine, continua la filleule
à voix basse. Maman dit que non, mais moi, je sais
bien que si, il est là, dans la 6alerie; c'est pour ça
qu'on a fermé les portes.
- En es-tu bien Sùre ?
- Oh ou i' marraine, il y aura des lumières, des
bonboJ's . . .-ed di t que c'est si beau, un arbre de
NOël!
- Tu n'en as jamais vu?
- Oh non 1 voilà deux ans qu'on n'en fait plus, à
cause de papa, ct il y a trois ans, je n'étais pas encore
grande: je ne me rappelle plus ...
- Est-on hcureux, pensa Mmede Boutreuil, quand
on ne se rappelle ri en au delà de deux ans 1
Mme Dambry coupa court aux confiùences dlS
jumell es,
Tout doucement, l'heure du diner an iva; pUIS,
aprl::; le repas, égayé par le ~ joyeuses pctites figures
sounant autour de la table, la courte soirée s'écoula
ga iemen t, terminée à neur heures par le coucher
hygiénique qu'imposait l'âge de la jeune assemulée,
Mais, une fois Installée dans la chambre d'honncul'
par t()U~
se~
hôtes qui l'y conduisirent proces'3ionn ell eme nt, Mme de Boutreuil ne trouv:; ('as le repos
dans le grand lit à colonnes torses, .lmbragé de
rideaux do.: so ie vcrtc. Son esprit, si tranqli~
\out
à l'heur.: dans les palslbl..:s causeries du coin dlt r<::u,
:'tall agité de mille n~exios,
tristes et clé~agrbes.\
Elle comparait Ccl intérieur calme cl gai à sor.
fp)'<::r dt:~er;
elle se demandait cc 'Ill'elle "tait venue
fUlre au milil!L1 de tO\\S ces 1.L'n~
qui ,'aimaient et se
�10
'l'II'I titrl' ,-II,' al'nit;'1 1',lfTr.ction ,J'pn rants
dont cl'" Il'' ","lait jalll:ti-. "(ClIp,"I' ""'Iï"u"en1l'lll pt
qUI ne ti<>nLll'aic'nt pa.., plll ... L1(' IJlacc' J,lIh "a VIC
qu'clle n'('n ')CC lIp"I'all Jan " 1,1 leur. UTll'lulg'l1Cmenl,
une l11alaJie, Il''e p,'ute dl"l'lhShll/ qudconqu,' Cl le.
Dambl'Y IIP s(~l'ai,n
plu" L1I'maln jHJur ,-Ile que d,' s
('lrang(!r ... , Et c'I'lalt le.: !JClll<: pills ll)!'l CJu'cllc.: eût en
ce mOllue!
Qui "ait si le~
pr evl'
nac:~
d'Hlt 011 1:1 comblait
n'avalent pa" 1111 bllt 111('\ I'C""':? AIl lall, c'e"t pl'O;.ufi~al'nt
bab]'>; CI'rlain"IIH'nt l'allllti,'' ,'nlr:tll pour qur:lquc
chast' au""i uan" c~
t":lTIoignagn, ,dlcctllCUlI.; m ' ~l"
comm nt ..,avoir pour quelle part i
Si JC venais à m01lrlr prn"a-t-clle pn-squc ta lit
haut, pcrsonn," Ile me rcgrcLt<:ralt... pa:, méme,
~urtol
ml~s
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Cette "l,"C' lUI fut ln'!" aIl1('re,
Jarnal;' elle n'avaIt pensr" il tout cria, Elle s'était
C0I1I':1I11:" de vlvr" pullr ('11(--I11,"me, "an" r"changer J,!
tenJr~",!:-'
nI d" dr"voucml!nt ;lV,'Ç per"OIllle, II fallalL
que le" J)amhry 1111 ellstient vralnll'lll III"'Plfl' ùn "um-
menr'~,
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�NOLLLE
1
,
1
If
papiItofes dorées et de petites bougies de toutes let
couleurs, Mme de J30utreuil faisait des réOeXlOnR
maussades. Ce qu'elle appelait un méchant sapin.
de mauvais bonbons ct de vilains petits papiers.
mettait en Ile se toute cette heureuse maisonnée, el
jusqu'à Mme Dambr)', dont le visage pale, entour~
de crêpes, s'animait et s'éclairait de toute la joie
qu'elle préparait â sa couvée.
Certes, l'arbre de Noël n'était pas pour elle chose
indifférente, et elle discutait très sérieusement avec
la femme de charp,e l'ordonnance de la soirée.
- Vous allumèrez pendant que nous prendrons
le café, Thérèse; puis, vous ouvrirez une des portes
du salon qui donnent sur la galerie ... celle-ci ... pour
que les enfants ne voient l'arbre, qu'une fois entrés.
Vous refermerez après, et puis, quand les cadeaux
seront distribués, vous ferez entrer les (~nfats
du
village comme à l'ordinaire, par la porte extérieure.
Faites-les se chauffer à la cuisine en attendant, les
pauvres petits, car il fait bien froid.
« Nous invitons toujours les enfants -:le nos
fermiers à l'arbre de NOël, ajouta Mme Dambry,
en se tournant vers sa cousine, - un reste des anciennes habitudes. Cela n~ vous contrariera pas, j'espère.
- Du tout, répondit languissamment Mme de
Boutreuil, vous savez combien j'aime les enfants.
- Oh! ceux-ci ne sont pas tous bien attrayants.
Thérèse, tenez la galette chaude; vous savez
que c'est leur régal... et surtout, ne laissez entrer
personne ici.
Cette défense fut rjgoureusement observée jusqu'au
moment où le vieux domestique, souriant malgré le
décorum, ouvrit solennellement les portes de la
galerie.
Ce furent des cris de joie, une ~ourse
folle, une
gaie bousculade, des hurlements d'admiration, des
danses, c!pc sauts, des trépignements d'enthousiasme 1
Mme Dam..:;r)' laissa les enfants se livrer à tous
leurs transports.
Ils étaient littéralement grisés par ces petites lumières, ces papiers dorés, cet air de fête et par l'idéll
que c'était No~1
et qu'ils aVUlcnt un arbre de Noël.
Ju qu'au bébé frigé qlli roula par terre en voulant
courir aussi vite que « les grands ", ct se ramassa
tout seul sans pleurer, tant il était fasciné par cf
merveilleux sncctadc!
�NOËLLE
C e ne fut qu'au bout d'un instant que l'o n pensa
aux cadeaux, qui pro\'oquèrel1t une nouvelle explo'
;ilion de bonheur.
Les aînés mème eurent de la peine ù cacher leur
joie sous la dignité qu'imposait leur agE::.
Ils avaient, du reste, joué un bon tou r à maman,
en gli ssant subrepticemen t au pied de l'arbre, dès
leur entrée, le cad~u
qu'ils lui destinaient: un magnifique ouvrage illustré sur l'Art à l'époque de la Renaissance,
Tante lvlath ilde, qui avait comblé tout le monde
de présents, trouva aussi d'aimables su rpri ses de
tapisseries et de peintures sur po rc el aine.
Elle était si ahurie par le brouhaha, qu'elle faillit
but laisser choir.
- Ce tapage vou ennuie? demanda Mme Dambry
~U'i
ne la perdait jamais de vue.
•
- NOil, au contraire; mais il me faut un m omen t
,Jour m'y habituer, au sortir de mon logis sil encie ux.
C'est triste, une maison sans en fant s :
~
Ils donnent bien du souci !
- Mais bien du plaisir.
- C'est selon . Bébé, ne mange pas ce pain
d'ép ice; Fred , tu vas te brüJ er, s i tu a/,proch es
comme cela des bougies; allons, mes en 'ants, un
j'eu de calm e, les petits clu village an-ivent. ..
Dans l'escalier du perron su r lequel do nnail la
porle extérieure de l,a galerie, on entendait une
Joyeuse sabotée. Thérèse ouvrit. Un in stant s'écoula.
employé par les bamb in s du village à ôte r le urf>
sabots qui devaient rester su r le perron; pui s,
timide. el hé itants, ils entrè ren t, gli~sant
sile nci eusement sur leurs chaussons, la [éte basse et l'ai :
empétr:- des enfants des campagnes éloignées .
I1s él<lient all moins une vin gta in e, de Ir is à douze
ans, hahillés, pour la plupart, avec une pauvreté
propre, et bIen enveloppés de tri co!. et de cacile-nez
de LaI ne, d'olt sortaient de pel its mi nois cramoisis.
Le, l'ills Jeunes se t:ramponnaien t aux grands , ct
liS seraient lous restés masses iI.!\Oa nt la porte, si
rhérèsc ne les cüt bén6vokmcn t poussés par les
épauks, en 1'''Jr faisant admircl J' arbre de Noël.
Mm - tic BoUlrl.!uil, el le-m6I11e, IlL! put s'cmpècher
de sourire lie 1. Il ° t;aucheric, et de les observ -l'aVec
int érêt.
['cu à ['eu les visngcs, pétrifiés p~lr
la craintc, rePn:naielJ t 1\.;[11' e.qJ\ï:,~
iln
. le:; yeux s'anil1lail"Jlt, les
�No1:':LLe
1
,
1
membr es r3.idis par la timidité se détenda ient; le
grou pe compac t s'éparp illait, chacu n répond ant il
l'appel de Mlie Dambry qui distribu ait les joujoux e'
les bonbon s. On attaqua it goulum ent les oranges el
les sucrerie s.
- Et Noëlle? etN oëlle ? demand èrentan xieusem en1
les jumelle s qui, après avoir dit Lonjou r à chacun .
étaient revenue s désapp ointées auprès de leur mi!re.
Maman , pourqu oi Noëlle n'est-el le pas venue?
- Je ne sais pas, mes chéries . TLJérèse, eit-ce que
Noëlle est malade ?
.
- Non, madam e, elle est ici, seulem en, elle est
restée sur le perron; son petit frère ne voulait pas
entrer ...
- Mais c'est absurd e; appelez -les, dit Mme
Dambry , tandis que les jumelle s partaien t comme
des Dèches et revenai ent, trainan t par le brê.s un
gros garçon de SIX ans qui criait comme un beau
diable, et suivies d'une petite fille un peu plus gr, mde
qui exhorta it matern ellemen t le révolté.
- Il est si jeune! Voyons , Charlot , sois sage. Regarde les beJlcsl umière s; regarde l'électri cité! tiens,
voilà le bel arbre de Noël! tu étais si content de
venir!
La splende ur du spectac le fit cesser les pleurs
du marmot , mais ne change a pas ses disp6sl tions,
car, à peine les jumelle s l'eurent -elles lâch é, qu'il se
rejeta sur sa sccu r en essayan t de l'entrai ner vers la
porte. Pui ,comme Noëlle ne bougea it pas, mainten ue
à sa place par le sen timent du respect qu'elle
devait à ses bôtes, le garnem ent se mit à la pincer
si fort, qu'elle ne put retenir un petit cri.
Mme de Boutreu il se retourn a et arrNa pour la
premiè re fois ses yeux sur le visage de Noëlle.
De longtem ps, elle ne put les en détache r.
Dans sa lutte avec Charlot , le capuch on de 'laine
qui couvrai t la tête de la petite fille était tombé erl
arrière, ct au milieu d'une forêt de cheveux d'or, e
d étacha it, comme une apparit ion séraphi que, un vi·
sage d'un ova le parfait, nuancé ct transpa rent comme
un e feuille de rose, d éclairé de d(!ux grands yeux
bleu-pe rvenche qu'asso mbris saient des sourcil s et
de longs cils chatain g.
~me
de Boutr(!uil demeur a littérale ment éb loui e
(::.: cette beaut':: idéale qui Il1(:Jait à la wace de J'enfan ce la pt!rkl:tiol1 d<.!s tralls dt.: la ft.:IllIllt.:, et !>"ur
~aqudle
il ne flouvait v :~x"ir
qu'unt:: upinion .
�'4
~OËLE
La régularité absolùe des lignes, l'éclat Incomparable du teint, le charme de l'expression, cette enfant
lVait tout cela.
- A côté d'elle, les jumelles, fraiches et blondes,
avaient l'alr de grosslères ébauches auprès d'un
tableau de maUre. Jolies enfants à présent, elles
seraient peut-être un jour des femmes très ordinaires.
Quant à Noèlle, il était impossible qu'elle ne
devini pas une de ces beautés rares sur lesquelles
on ne peut même pas émettre une critique.
La pauvreté de ses vêtements faisait mieux ressortir la finesse et la distinction de sa figure; et
J'air de résignation mélancolique qui y était empreint lui donnait un charme de plus.
- Quelle est cette ravissante petIte fille? demanda
Mme de Boutreuil à l'ainé des Dambry.
- Cette petite? eh bien, c'est la petite NMlle, la
fille d'un fermier, la grande amie des jumelles. Maman lui permet de venir jouer avec elles doepuis leur
coqueluche: il faut bien qu'elles s'amusent à la ma;
son ...
L'ainé, un très bon frère, mais un peu benêt, con.
tinuait encore à dHailler les suites de la coqueluche,
que déjà Mme de BoutreUil n'entendait plus. Elle
observait les allées et venues de Noëlle qui, débarrassée de son méchant petit frère par Mlle Dambry,
sautillait dans la galel;e et semblait, au milieu des
autres enfants, un petit oiseau-mouche égaré dans
une basse-cour.
Mme de Boutreuil, qui la guettait, la happa au passage.
- Quel age as-tu, ma petite Noëlle?
L'enfant la regarda avec une surprise vite réprimée
par la politesse. La voix de la dame était douce, SOI{
sourire bienveillant. NOêlle fit une jolie révérence cr
répondit:
- Huit ans ct demi, madame.
- Que fait ton papa? continua Mme de Boutreuil,
ne trouvant d'autre moyen de C'ontir.uer l'entretien
que de le transformer en interrogatoire.
- Il est fermier dans le village, là tout près.
- Et ta maman?
- gUe est morte.
- Alors 'lUi prend ,;Cll !1 de toi?
- La maman dt.! 111011 rr<:re.
- Ton 1.1<:rc c;;t ....:: mnriG;.
�NO~LE
,
1
- Oui, madam e, dit No~lc,
rougiss ant ct baissan t
ra tête, comme si elle eût fail un aveu pénible .
- Une belle-m ère! pauvre petite 1 pensa Mme de
8outreu il.
Et son souven ir la reporta anx jours lointam s de
son enfance et de sa premiè re jeuness e passées dam
J'absolu e dépend anco d'une femme qm avait à son
égard l'autori té d'une mère, et en même temps les
rancun es, les jalousie s, les haines d'une étrangère.
Il lui sembla sentir reVIvre, dans cette âme d'en~
fant, les révoltes , les douleu rs, les désespo irs de la
sienne.
Pendan t ce temps, les jumelle s a"aient repris possession de leur amie et une ronde se formall autour
de l'arbre de NoM. On dansa jusqu'à ce que les bougies consum ées eussent jeté leur dernièr e lueur.
- Il est temps de se séparer , dit alors Mme Dambry. Les petits vont aller se couche r; les grands doivent se prépare r pour 111 messe de minuit.
- Oh 1 maman , supplia Mimi pour laquelle la perspective d'aller se couche r avait toujour s quelque
chose d'infam ant, encore une petite minute : faites
4:hanter à No~lIe
son cantiqu e, Je vous en prIe.
- Eh bien, tout de suite alors ...
NoeUe rougit, et après quelque s. hésitati ons, cornmen"a, d'une voix pure et fraiche, ce joli chant nalf:
« TOC, toc, frappez plus tbrt;
D dort, le doux enfant, il dort dans sa coucbette \
Toc, toc. frappez plus fort;
11 dort le doux marmot.
U dort sans dire un mot. )
,
qui termina définiti vement ta solenni té.
Bourré s de gàteaux et chargés de présent s, les
petits s'en allèrent . Charlot avait mangé, à IUl tout
seul, sa parI et celle de sa sœll1', ce qui ne l'empêc ha
pas de crier, parce qu'elle lUI refusait un petit Jésus
en sucre, dérobé, par respect , à sa glouton nerie.
Tout le temps de la messe do minuit, Mme de
Boutrcu il son/-1<.:a à la petite Nolillu.
Que dc gràcl.!, de tact, de charme che? cetHl cnfant
dl.! paysanA, ct que cette créatur e délicate devait
souffnr dans le milieu p,rossier pour le'_ juol k l'Iture
) ~ st.!mblail pas l'avoir [aite!
1
1
\ J.)i;s 10 Lrmdl!main, t.::'..: intcrn.l"Q'" à' cu BUJet
�J('j
NOE:LLt,
Mme Dambry, ct mit déjà dans ~es
qllcsliollsl'arr C'I
la finesse qu'on déploie, lorsqu'0n est plus inll'ressé
• être renseigné qu'on ne veut le paraltrc.
Mme de Boutreuil commença par féliciter :'011
amie SLlr la bonne éducation qu'elle donnait à ses
enfants; du cœur excellent qu'ils avaient montré la
veille, du plein succès de l'arbre de NOël, de la joie
.:les petits paysans; puis, elle parla de la mauvaise
tenue de Cl1arlot, dont les jumelles étaient scafldalisées.
- Et sa sœur'? elle est assez gentille, cette petite?
demanda-t-elle enfin; vous la laissez jouer avec vos
filles -;>
- MOI: Dieu, oui; elles ont si peu de distractions 1 Et puis, NOëlle est étonnamment bien élevée,
et m'intéresse particulièrement.
- C'est la fille d'un de vos fermiers?
- Oui; mais sa mère était d'une famille bourgeoise : c'était la sœur du docteur Bauer.
- D'un docteur '?
- Oui, une très jolie fille qui avait été élevée
dans un couvent de Mézières. Ses parents étaient
morts, la lai ssant dans la misère; son frère ne
gagnait rien, et elle a épousé, Dieu sait comment, ce
Dreck, un rustre, un vrai paysan, qui avait des
économies et une jolie propriété du côté de Mulhouse. Av fond, c'était un brave homme qui n'a
pas eu de chance dans ses affaires : ils ont tout
perdu. La Ipauvre femme, qui était déjà malade, a
voulu reveOlr dans son pays. Je leur ai donné une
de nos fermes, et à peine 'i furent-ils installés
qu'elle mourut. La petite n'avait pas un an .
- C'est aITreux 1 Et le père s'est remarié?
- Tout de suite. Il faut bien qu'un paysan ait
une femme pour lui tremper sa soupe. Dreck n'est
pas tro( ..'Vien tombé : sa femme est économe,
lravieu~
et bonne mère pour ses enfan ts, ma·is
d'un vilain caractère. Et puis, elle n'aime pas Noëlle
P.t la rend très malheureuse.
" Je sais cc que c'est qu'une belle-mère 1
. - Le docteur Bauer affectionne sa nièce. Aver:.
.es manières bourrues, il a le meilleur cœur du
\llOnde; malheureusement il est fort occupé ct trè$
pauvre, parce qu'on ne le paie jamais, et il ne peut
pas faire grand'l.:hose pour elle.
~ Cette convusalioll, vite o~l)':\!
.,ar .Mu.,- D.unbr••
�15
'NOE:LLl!.
Mme Dambry, Cl mit déjà dans ses qlleslions l'arr CIl
1a finesse qu'on déploie, lorsqu'cm est plus inl~rcsé
• être renseigné qu'on ne veut le paraitre.
Mme de Boutreuil commença par féliciter "on
amie snr la bonne éducation qu'elle donnait à ses
enfants; du cœur excellent qu'ils avaient montré la
veille, du plein succès de J'arbre de NOël, de la joie
des petits paysans; puis, elle parla de la mauvaise
tenue de Charlot, dont les jumelles étaient scafldaIisées.
- Et sa sœur? elle est assez gentille, cette petite j>
demanda-t-elle enfin; vous la laissez jouer avec vos
filles?
- MOj~
Dieu, oui ; elles ont si peu de distractions! Et puis, NOèlle est étonnamment bien élevée.
et m'intéresse particulièrement.
- C'est la fille d'un de vos fermiers?
- Ouij mais sa mère était d'une famille bour
~
geoise : c'était la sœur du docteur Bauer.
- D'un docteur?
- Oui, une très jolie fille qui avait été élevée
dans un couvent de Mézières. Ses parents étaient
morts, la laissant dans la misère j son frère ne
gagnait rien, et elle a épousé, Dieu sàit comment, ce
Dreck, un rustre, un vrai paysan, qui avait des
économies et une jolie propriété du côté de Mulhouse. Av fond, c'était un brave homme qui n'a
pas eu de chance dans ses affaires : ils ont tout
perdu. La ipauvre femme, qui était déjà malade, a
voulu revenir dans son pays. Je leur ai donné une
de nos fermes, et à peine y furent-ils installés
qu'elle mourut. La petite n'avait pas un an.
- C'est affreux 1 Et le père s'est remarié?
- Tout de suite. Il faut bien qu'un paysan ait
une femme pour lui tremper sa soupe. Dreck n'est
pas tro( ,'Vi en tombé : sa femme est économe,
travailleuse et bonne mère pour ses enfants, ma-is
d'un vilain caractère. Et puis, elle n'aime pas Noëlle
P,t la rend très malheureuse.
" Je sais ce que c'est qu'une belle-mère 1
. - Le docteur Bauer afTectionne sa nièce. Aver:.
.es manières bourrues, il a Je meilleur cœur du
1l1Ondej malheureusement il est fort occupé ct lrè$
pauvre, parce qu'on ne le paie jamais, ct jl ne peut
pas faire grand'<.:hose pOUl' elle.
~ Cette conversation. vite o~g,
j,)ur ..'viII... D.J.mbt••
�NOELLt:
l
J
,
fut Ilour sa cnl~IP
le l'nint de d"I'art d"lI,n foule
.je réne:-- Ions ct Je projets.
Mme de Boutreuil prolongea son selour Lian le$
Ardennes et témoigna à sa filleule un intérét plus
vif encore qu'à l'ordinaire. On la trouvait sans cesse
dans la pièce qui servait de Ilursery, surtout aux
heures de récréation ct elle sUl\'ait avec une attention infatigable les jeux. cles enfants Cl de leur petite
amie, guettant sans cesse ces mots, ces expressions
de figure clans lesquels, à cct àge, sc révèlent en
quelques heures les traits principaux clu caractère.
Elle fit grand compliment à Mme Dambry de ce
qu'elle avait ainsi découvert de la nature de jumelles,
cita leurs traits d'esprit, mais nota soigneusp.ment
ce qu'elle apprenait de leur petite compagne.
La figure angélique de Noëlle n'était pas tr01l1peuse; son àme était aussi pure, aussi délicate que
sa beauté. Mme de Boutreuil fut émerveillée de sa
gràce, de sa douceur, de son tact parfait. Cette
enfant de huit ans savait se tenir à sa place et y
garder la dignité touchante des humbles. Elle cédait
aux fantaisies des jumelles avec une complaisance
affectueuse qui n'avait rien de servile, ne paraissait
jamais ni envieuse, ni éblouie du luxe de cet intérieur où elle se trouvait introduite et qui n'était pas
fait pour elle, et savait, en même temps, user de
toutes choses sans embarras, comme si elle y eût
été habituée dès sa naissance.
- On l'a changée en nourrice, se disait Mme de
Boutreuil.
La petite s'al .... cha à elle, l'amusa de ses saillies,
l'émut par les expressions vraies d'une affection sincère qui germait dans ce cœur d'enfant abandonnée.
Un jour, Mme de Boutreuil tenta une nouvelle
expérience. Elle avait donné la veille à Noëlle uo
petit châle de laine que celle-ci avait accepté avec
Îes transports d'une reconnaissance enfantine.
- Je vais te faire encore un cadeau, lui dit-elle,
prenant dans sa bourse une pièce de dix francs
qU'elle lui tendit.
NOêlle retira vivement la main et reCUla e~
rou..
gissant.
- Eh 1)len! cela ne te fait pas plaisr'~
- N\)n, dit l'enfant, d'une voix basse p'a's assulée, cela me fait de la peine,
'
tu achèteras ce que tu voudras •
- PounlI'~
Je n'al bt:iiOi.l1 üe rien. merc4 madamü.
.=
�NOEI.L lt
Et comme Mmr de Boutrt!u il insif;tai t
P.t voulait
gliss'êr la pl"'CI~
d'or Jan" la poc he de "o n tablwr,
Not'lIe, Il'osant ré '!;, [cr, fondit <:11 l,nille".
Mm,· de HOlltreuil reprit la pil'ce, attira l'enfa,lt
a elle et l'ebra~s
avec une èmutlo n sl11guliere en
murmu rant
- Fa!' mi'm,: l'amour de l'argent . Kien df'sacla sso ,
Une enfant 'ilii :,ollffre." qui malique ... Palvr~
IJ'til~
1
Les jumelle ", toul il leur" yux et accoutu m,'es aux
bontP" dc lal1le Mathild e. ne remaqulf~nt
pas co'"
lcaUb ... ne"" ce", inciden t", rll l'artCllllOO que Mme c1f
Routn~il
acclJrda ir il cette p,.tite pay"ann e, ni l(!j
pr"'v"l1 ance" par le"fJudl e" celle-ci y reponda it.
,"ut ce l:: cessait d'in~tc
en pré"enc e de
l\lme Darnbry , mal", la mél P , prévoya ntfl et "agace,
êvitait de be trouver la. pour lalb:.er sa COU::!lOC en
pO~b,
~s
ion
exclusiv e de:. enfants .
Elit: étau charmé c de voir ::.a riche parente si occupée Jr!s jumelle!> et "e disait, pleine d'cspér ance :
- Elit; Vieillit; elle s'f!nnuie .. , elle il uCboln de
jcune~f!
autour d'elle, Sa tnruo~
>ocra il la jJremièrp per
~o
ne
qui saura l'entour er, la distraF~,
lin
devenir indl;;pe nsable. Si pllp. ~'at1che
il m.!" fil,'~
elle les dotera, .Ifl Illl ~n
l'rêteral bir:n tille quplqlle s
mois chaque année pour arnver a ce r( e~ tlia.
Elle .l
plus de df!uX cent mille frallc::, de rcnt". el J'al tant
J',-,nfant::. il pourvoi r 1
\
< SI Je P()UVat~
savoir qUI elle prdere, de Mllni ou
JI! Malhild t: 1..,
- Cld'I e amie, pourqllo i nous quitter si vito, demanda Mme Damhry , quand, ail bout d'ulle bemaine ,
.. a cou"ille parla di' dppart; vous devrip.z pa,~er
l'hivel avpc nOliS, puisque VOllb ètps dl'g-olhi'p. de Pans.
Non. non, l'Irai le finir a Pail COn1mt' je J'ai
proInI;' cl ma hlnnchll C. mal::, j., ru'~
lrnuvf! "1 bj,.n Ici
'lue Je n' al pas II' cO\lra.g(~
d,' partir. POllrtan L, marul
procham , il faudra 4"" Je me meUf' ,'n r!)lIll', """l
1> d<,rnir!J' ddai, M.1 VIlla e::.t rCLCIJW': la-ua::. il. dater
du r"'
janvwr.
P ... nJ;1I1t h',> jottrs ~uivants,
Mme Dambry étudia
sOIKnl'u" .. m p l1l le~
id,"!,". l,· ... gr)ù\:', 1... ~ proiet~
dr !'o
cousIne . I~lt'
-.r mil 1 \ ' ~ l'rt\
il la tor1<~
puur discerner ~l!'"
pn'I"I ,'lice,." p01lr Ill i nrraclw f ulle otT""
llJlt' rro)JusJ rlon 1':11,· i ~in la
'1111' J\1iml aimo·r.lI l
bp.!U('oI JP VO\,dt.:"1 , 1'J~,
voyallt qu" ril'n III" r l'pot1dalt a C"tl(· ,dlll -"III, dll 'lue, n" "laif'1I1 les charg'· ... ,'1
le::. di~P"Il:.,
J\.. ll. J"'llllllt: ~1 1I11111br.·u::,l.:, dlL' ..tur..l.Ü
�1
1
mené cet hiver dans le Midi la petite Mathilde mal
remise de sa coq ueluche.
\,
- Pau est excellent pour les enfants, observp
Mme de Boutreuil, paraissant frappée par une idée.
subite.
Puis elle s'arrêta, comme si elle avait encore a
dire quelque chose que la prudence lUl ordonnait ~
garder.
- C'est sa filleule qu'elle préfère, se dit Mme Dam
bry triomphante, mais elle ne veut pas se découvrir;
elle est très réservée, très méfiante, ma cousine,
comme tous les gens à héritage: il faut que je la
pousse adroitement à se déCIder. C'est le moment
psychologique. Elle a envie de prendre un parti.
Le fruit est mùr: les d'Hautecour ou d'autres le
cueilleront si je ne me hàte pendant que je l'ai sous
ma main.
'( Qu'elle emmène MathIlde, et la partie est gagnée:
'les habitudes prises à cet age ne changent p1us. Six.
enfants et les terres qui baissent! Mon saint-cyrien
m'a déjà fait des dettes ... Fred sera terrible, et Dieu
sait ce que me réserve le bébé. Tachons de pourvoir
les filles. Je vais lui faire dire par le docteur Bauer
que Mathilde a besoin d'aller à Pau. Cc ne sera pas
difficile ... Le pauvre homme voit la phtisie partout,
depuis que sa sœur est morte de la poitrine ...
En conséquence, le docteur Bauer fut invite à
diner au chateau, le samedi suivant:
- C'est un convive un peu rustique, dit Mme Dam·
bry, s'excusant auprès de sa cousine, mais un si
brave homme ... en même temps un bon médecin. Il
a soigné mon mari avec un dévouement 1. .. Mais_
par èxemplc, Jin original! Il est pauvre comme
Job 1. .. eh bien, .1 ne fait aucune différence entre Il,
riches et les miS6rables, ct je pourrais expirer san~
qu'il se dérangeât s'il était retenu au chevet du der·
nier des vagabond . Et puis, Il parle ... impossible
de l'arrêter 1 Il dit lout ce qu'il pense et le roi nc le
ferait pas céder d'une ligne. Il faul venir dans ces
forf:ts pour rencontrer Llli ours pareill ct, avec celu,
un savanL Il passe ses nuits le nez dans les livres.
M.. Dambry lui conseillait Je s'installer à Mézières
où il aurait une clicntèle aisée, les moyens de vivre.
Imrnssible de Je {aire démarrer. Oh 1 c'est un type
curieux que VOLIS aUe" voirl
'
- Cela m'inl6rl'SHCra beaucoup, répondit Mme cle
Bllulrcuil avec l!olwlction.
�NO~T.LE
Elle examina cn effet le docteur Ua-ucr d'un œ il
particulièrement attentif lorsqu'il arriva en retara
pour le dîner, tout essoumé, ses gros souliers crottés:
ayant perdu un de ses gants e t conservé une forte
odeur de pipe dans ses habits taillés à coups de
serpe.
Le docteur était un gros petit homlRe, la face carrée comme les Alsaciens, la tête chau\'e, la barbe
rude. Ses deux petits yeux gris brillaient sous des
sourcils en broussailles e t se fixaient avec une perspicacité gênante sur ses interlocuteurs. Ses mains
étaient énormes et poilues, ses manchettes ne connaissaient pas l'empois, le nœud de sa cravate était
défait et toute sa tenue accusait le laisser aller du
paysan et la distraction du sava nt.
II avait ce manque complet d'usage du mond e et
l'humble conscience de ce défaut qui rend ent les
rrimitifs moins insupportables que les prétentieux
fiers d'une demi-éducation. Et puis, s i le docteur
appartenait par sa naissance à une classe modeste,
on devinait une intelligence supérieure dans son
regard qui rayonnait, dans sa parole qui de\'enait
éloquente, dans l'assurance qui remplaçait sa réserve
timide, dès qu'on traitait un sujet, inté res ant son
esprit vif et juste, ou touchant la science qu'il 3-vait
profondément étudiée.
Pendant toute la première partie du repas, le
rr:édecin resta silencieux, n'o ant ou ne voulant pas
se mêler aux menus propos que débitait Mme Dambry, la maîtresse de maison par excellence. Au rôti,
on en vint à parler des pauvres tlu village e t
M. Bauer . 'anima, détailla l'histoire de chacun, les
misères, le maladies, insinuant avec délicatesse ce
qu'on pnurrait faire pour les soulage r.
~
Vous voilà L1ans votre ~Iément,
L1octeur, observa
Mme Dambr)'. Dès qu'il s'agit tlL!S pau\TL!s, vous
fait L!s chorus avec 1\larguerite qui est le saint ';'in.cent de Paul L1L! la famille.
- <J'est un granLi mL:rite pour Mlle ))ambry, ré·
pl)ndit le dpcteur, semblant souligner malil:icw;e,
me,"\tle ~oin
a\'ec lequel la m~rL!
ne manquait jami~
de faire ressortir lL!s pL!rfL!ctions de sa fille, car son
bon I:ccur seul pL!ut lui rain' ,iL!\'iner les souffrances
ues mis~ablL!,
s(Ju~ranc
ljll'l'lle Il'a jamais épnn.lt ées; mrlls l'our 0101, qllfll l L! )'Ills naturL!i? ,k SU IS
CT' :-ml:mculldL!l:espau\Tl" ;j'<lI\'I:Cllillll1\illL!ud'L!lI\ ,
~1
!.1arlant puur eux, iL! parle puur mes [l'ères.
•
�NO~L'!I;
2l
- '-..unvenez, docteur, reprit un T'-u vivement
Mme Dambry à qui celle assimilation, entre son
hôte et les indigents du village, parut intempestive.
convenez que 'cette fraternité est un peu volontaire chez vous. Une de VQS mains donne ce que
l'autre reçoit. A ce système., les revenus de Roth.
schild ne suffiraient pas.
- Mon Dieu, madame, je suis médecin, et pout
être un vrai médecin, c'est-à-dire pour regarder son
état comme une vocation, avant de l'envisa~r
comme
un gagne-pain, il faut faire ce que je fais. Dois-je
attendre gue de pauvres diables qui n'ont pas un
centime viennent m'apporter un sac d'écus, pour
quitter le coin de mon feu, ct aller soigner leu t
femme ou leur enfant qUI se meurt? Croyez-vous
que le fait d'être malade constitue une fortune, et
que ceux qui, en pleine santé, ne peuvent pas
joindre les deux. bouts, puissent en outre gagner les
honoraires d'un médeCin, quantI, pour comble de
malheur, la maladie est entrée dan la maison?
Leur demander de l'a.rgent me semblerait aussi hon.
teux. qu'inutil e .
« Quant aux. riches, je ne leur ai jamais dé,cndu de
me couvrir d'or; le mal est pour moi ct pour mes
pauvres malades qu'il n'y ait guère de :iches .par ici.
- Non seulement vous exercez gratIs, malS vous
donnez tout ce que vous avez!
- Je ne donne pas d'argent, parce que je n'en ai
pas, continua le docteur; mais, ma foi, quand je vois
un pauvre vieux qui s'en va de faible se, ou une
pauvre femme. il moitié morte de privations, je
serais le dpr- .cr des hommes si je ne prenais pas
pour
ûn bol de bouillon dans ma soupière
IlU une bouteille dans mon cellier. Dieu ml' les
rendra.
- En allendant, reprit Mme Dambry, qui était
un peu jal()~se
de la popularité du docteur et de
son influf'nce dans le village, tout cela rerré ente
de l'ar~(n:
le cellier sc vide, le pot-au-feu s'cn va,
cl vous "c fRites pas d'économies pour vo<; " ieux
iours
Le lIflCt\:llt' éclata d'un gros rire, un vrai nre dl
paysan.
- Me ~ v', u" jours r rarlons-en r Avec ça que
j'aurai dcs VII.:U\ jours au train dont je me mène r
Et d'abord, '{'L1 S saVl.:l., jl.: ~L1is
coll\me ma pauvre
eœur. Un de ces quatre nl:lilflS. ma uuilline sc .prenQ'
..
�NoRLL E
;Jra, ct Je s('r~
. : nte flambô, je compte là-dessu s.
Allons clone! Vous .?>les fort comme un Turc!
Ça n'y fait rien. Le germe ne s'est pas encore
dévelop pé, mais il est là.
Le docteur frappai t sur sa vaste poitrine , et ses
apparen ces robuste s sembla ient donner raison au
petit ha~semnt
d'épaul es avec lequel Mme Dambry contlDu a :
- Bon! Voilà votre manie qui vous reprend 1
Metton s que vous n'ayez pas à songer à votre vieil,esse. MaiS vos héritie rs? votre petite nièce ? ..
Le médeci n qui venait d'engoufTrer une énorme
,ranche de Olet de bœuf, su ivie d'une rasade de
\1Qrdeaux, posa sa fourche tte ct regarda son verre
d'un air mélanc olique.
- No€!l1e! La pauvre petite. Elle n'est lJas heureuse, mai qu'y puis-je ? Son pi.:re ne me laisse pas
m'en occupe r, et pourtan t, c'est à présent qu'il
faudrai t faire quelqu e chose pour elle; car, pour
ellè non plus, il ne faut pas tant songer à l'avenir .
- Comme nt? NOèlle aussi 1 Ah! par exempl e,
c'est de la folie! Elle se porte à merveil le. Elle est
même très vigoure use SO'J~
ses dehors délicats .
- La poitrine ! ...
- Oui, votre idée Oxe. Vous voyez tout le monde
poitrina ire. Il ya dix ans qU'e vous avez condam né
mon cocher et ma femme de chambr e qui se portent comme le Pont-N euf.
- Attendo ns la fin, murmu ra le docteur .
- Oh! la On! Je sais bien qu'ils ne sont pas
immorl cls. Mais vous m'accor derez que vous voyez
la phtisie partout .
~
Partout où je la rencont re, ce qui est malheu reusem ent trop fréquen t. Seulem ent, ceux qui n'ont
pas l'expéri ence ne peuven t pas la prévoir ou la
reconna ître sous les apparen cès de santé qui persistent encore après que le mal est devenu incurabl e, et trompe nt parlois Jusqu'a u dernier momen t
les malade s, leurs parents ct même leurs médeci ns.
Cette maladie terrible qui prend toutes les formes,
dont l'hérédi té et la conta~i
sont presque inévi"able!l, décime le pays. Notre climat, comme celui
dl 't Allemagm:, 1<'.1 c1éveloppc ct la propag e .l'une
façon efTrayantc, c{ c'est l'ennem i le plus redOl;
lahle contre lequcl la science ait ci luller. Le jOli:
Ill! elle cn trou\'era, le remède , la plus ~rande
d<.!collt
,erle qui 'U' '''111 ·is été faite sera n"alu,ée .
�-- Vous croyez donc que le soleil du Midi est le
ptus :sûr préservatifj>
- Le seul connu jusqu'ici, madaltH.: j il guérit
quelquefois, prolonge touJours. Il y a des gens à
Nice, à Pau, qui ne vivent que par ce soleil et mourraient en quelques jours s'ils s'en éloignaient; à
d'autres même, moins atteints, il rend tout à fait
la santé.
- Croyez-vous que Mathilde devrait passer un
hiver dans le Midi? Vous étiez inqUiet de sa
toux.
- Cela n'est pas indispensable; mais il est évj~
dent que cc serait bon pour elle.
- Pauvre petitel soupira MmeDambry. Malheu·
reusement je suis si retenue 1 SI j'avais ma liberté
d'action je l'emm,=nerais là-bas. Ah ( ma chère cousine, que vous êtes heureuse d'avoir vos coudées
franches (
- La liberté absolue est trop souvent synonyme
de solitude, répondit Mme deBoutreuil qui, ce soir-là,
semblait' particulièrement absorbée et pensive.
- La solitude est vite comblée quand on est
aussi aimable et aussi aimée que vous. Tenel, c'est
mal partagé entre nous, et j'ai envie de vous donner
le choix dans ma marmaille.
Mme Dambry lança cette phrase en plaisantant,
mais sa cousine reprit avec. sérieux:
- On ne se prive pas de pareils trésors et on ne
les prête que pour les reprendre. Chacun doit se
contenter de son lot.
Mme Dambry pinça les lèvres; son allusion
directe n'avait pas été bien comprise ou pas bien
accueillie.
On se levait de table. Au salon, Mme Dambry
essaya encore de faire constater par M. Bauer le
mauvais etat de la santé de l\lathilde, mais Je docteur avait enfourché un autre dada. li parlait politique avec Mme de Boutreuil qu'il intéressait vivement par sa profonde (..onnaissanco dcs questions
ouvnères.
Au bout de trl's peu de temps, n vint le chercher
pour une pauvre VIeille nabitant une cabane :lJ fond
de~
bois, ct qUI avalt •• ùlsait Je commissionnaire;
l'estomac décroché.
,
- 1mbécile ( ~romela
le docteur, je SUIS sûr
<]u'elle n'a r\Cl1. Voici la di.it:me r()i~
<lll'elle me fait
chercher au milieu de Il' ~.,
IQut cela pour une
�crampe nerveu se 'lui est ra ssce qlland j'arrive.
l~n(i,
il faut y aller. Mon pauvre cheval!
M. Bauer jeta un regard de regret sur le bon Jeu
iu salon, avala à la hâte quelques gouttes de liqueui'
restées au fond de son verre, salua à la ronde, ct,
reprenant dans l'antich.ambre son gros capuchon,
s'en alla ,i travers la nUit noire et la bise glac0e.
- fi me pl?.ît, ce docteur, dit Mme de BoutreulJ,
~I parait intelligent.
- Mais c'est un rustre, conclut sèchement Mme
Dambry dont 1\11. Bauer n'avait pas su comprendre
et aider les plans.
Le lendemain, tout le monde assista à la grand'messe de l'église du village. De la chapelle réservée
où la famille Dambry occupait un banc capitonné,
Mme de Boutreuil aperçut parmi les enfants de
l't!cole la petite Noelle, débarrassée du vilain Charlot, mais flanquée, en échange, d'une grosse pouparde de trois ou quatre ans qui renifTa et gigota
tout le temps,;p Poffice, malgré les efforts de sa
granàe sœur.
Tout en s'occupant de cette recrue incommode,
Noëlle priait, ses grands yeux bleus fixés sur l'autel
avec une expressIOn touchante de tristesse ct de
supplication. Au sortir de l'église, elle aperçut
Mme de Boutreuil et rougit de plaisir en lui envoyant un sourire. ,
Le froid était moins vif que la veille, et, tandis
que Mme Dambry remontait en voiture, sa cousine
exprima le désir de parcourir à pied le court trajet
qui sépara it le village du château . Tout en marchan t, eUe se faisait renseigner.
- Ceci, c'est la mairie ; oh 1 elle n'est pas monu11lentale. Voici l'école des garçons; celle des filles
est derrière l'église, mais on va la reconstruire ici,
en face . Ça, c'est le presbytère, une masure; là,
dans les arbres, ce vieux tOIt qui a l'air ùe tomber.
c'est la maison du docteur Bauer, une ruine.
- Et où demeure Noëlle?
- Nous allons passer devar,t la ferme du pèrl.
.)l'Cc.:I<, un peu p lus lo in, tenez, là-bas ...
Arivél~
à l'endroit indiqué, Nl.me dL: ]3outreuil fi\
\laite un. instanl, sous pn.!lex lc de rattacher sor
vl)lle. Cette minute lui sufl'il pUUI sc fendre compte.
La maison, petite cl ha sse , était d'aspt:(;' misérahiC. La pdrt l ,'1 unc ~eul
fcn0lre éclair~It
la
étaicnt aL:l:ulés
l'açadc. AuÀ. U"UÀ. cOtékl ,111 b~limc:nt.
�-;,n tee à porcs ct un hangar délabrés. Un foss&
/Iourbeux et une petite cour, dont le milieu était
Dccupé par un tas de fumier, séparaient la maisol1
de la route.
Par la porte ouverte, Mme de Boutrcull aistingua
lIaguement un poêle qui fumait, ct, autour, des langes
qui séchaient. On entendait des piaillements d'enfants et one voix de femme trè!s aiguë qui ~ron
<lait.
- Le l:Jt!,"e Dreck est donc pauvre? dit Mme de
130utreuil continuant son chemin.
- Les paysans sont toujours pauvres, puisque
les récoltes manquent toujours, répondit l'ainé des
Dambry, jeune homme remarquable par sa sagacité
et la philosophie de ses réflexIOns. Et puis, le père
Dreck boit, pour oubl ier ses malheurs.
Notant ce dernier renseignement, Mme de Boutreuil se mit à parler d'autre chose, mais ne put
cacher, toute la journée, à sa cousine, a préoccupation toujours croissante.
- Elle hésite, se dit Mme Dambry. uemain, avant
son départ, elle va prendre un parti . De ce qu'elle
décidera d'ici-là dépend une fortune. Je le sais, elle
médite une grande résolution. Que faire pour la
pousser dans mon sens? Elle n'ose peut-être pas
me demander un de mes enfanls, ou ne veut pas
s'engager ...
Mais Mme Dambry eut beau sc mettre l'esprit
au supplice pour faciliter des ouvertures, Mme cie
Boutreuil a lla se coucher, sans avoir dit un mol
'lui pût amener une proposition.
- Ce sera [1ourdemainmatin, pensa Mme Dambry
qui, levée dès l'aube, survei lla anxieusement la
porte cie sa cousine, peu matinale d'ordinaire.
Vers dix heures, Mme de Boutreui 1 sortit de sa
chambre, son chapeau sur la tête et enveloppée
dans sa grande pelJsse de fourrure. Elle parut contrariée cie rencontrer dans l'escalier Mme Dambry
qui montait par hasard au même moment.
- Prête de s i bonne heure, chère Mathilde 1
Mais vous n'allez pas sortir par cet horrible temps f
demanda la mé11tresse de maison avec sollicitude.
- Ob f je <:rois qu'il va se lever, d'ailleurs je sui,
brave.
- Mais, sans indi scrétion, OLI alez-'ou~;>
Au village; J'ai une dépêche il faire partir,
- Je vais envov.;r'ill durncsliu.ue.
�26
NO~LE
- Non, j'ai besoin d'y aller moi-même. Je veux
.ussi faire une visite d'adieu Il M. le çure .
- Mais, prener. l'auto'
- Merci: j'aime mieux marcher; cela ma pro-
mène.
- Eh bien 1 vous allez Qmmener Marguerite ou
les cieux jumelles pour vous tenir compagnie.
- Ne dérange? personne, reprit Mme cie Bou.
treuil avec une certain e impatience; je suis pressée
de partir et je prél\:re être seu le, car j'ai besoin de
con su lt er le docteur Bnuer.
.
Et prenant congé cie sa cou si ne par un sourire
amical, Mme de Boutreuit sortit, lu laissant vive ..
ment inquiète.
- Consulter Je docteur Bauer, pensait Mme Dam·
bry, suivant sa parente des yeux, tandis qu'elle
s'élQignait il grands pas dans l'avenue 1 Probablement sur la santé de Mathilde; peut-ê\re veut-elle
faire ordonner à l'enfant un séjour à Pau, pour
l'emmener sous cc prétexte. Les tnntes il héntage
sont si bizarrt.!s 1 POljrvu que Je doctour n'aille pas
mettre les pieds dans le plall Un homme comme ça
ne comprend rien,
En sortant du r-;e
sbyt~re
OCI elle n'avi:lH pas
trouvé M. 10 cur!, Mme de Boutreuil a dirig,,:Çl e n
effot sans hésitation vers la maison qu'on lUI avait
désignée comme cel)e du docteur Bauor.
C'était uno masure de paysun, ne Q distinguant
des autres habitations du villago que par l'absence
d'explOitation agricole.
11 n'y avait pas de fumier ç1ans la COUf; un billi.
ment qui avait dû servir d'étable était abandonne et
en ruineR. Quelques poules et de gros pigoons au
plumage ro~e
étaient, avec le vioux cheva l du docteur, le s seuls animaux dom c.:st lqu cs restés dans
~e s alentours.
te petit potager même portail à peine la trace de
tulture, et les ronces ct le s épines croissaient
Jusque devant la maillnn.
•
Pri;5 de la porto vermoulue, un cordon to( une
plaque de cUIVre pOl'lant cos mots '1 sonnette du
docteur l) indiquaiont seuls que le maUro de eéans
~ (·tait pas un pauvre laboureur comme ses voisins.
Du reste, la porle était ouverte. Ma.lgré cela,
Mme dl' Boutn'l1iltira diseriJtoment le corllon.
Un tinll':nl:nt Je sonnette fêlée, puis un ras lourd,
et le docleur lui-même 800al'1lt Aur II>, l'eUll.
�'N01!LLE
. Le costume dan" lequel il s'était montré pour la
première fois à Mme de Boutreuil ~tai
un l:llstumc
de cour, en compari~n
de sa tenue présente. Jl
portait, cc mati n-là, des chaussons de lisière, uo
vieux pantalon u~é
aux genoux, un gros tricot de
Jaine brune, comme un vi'ai paysan.
A la vue de la visiteuse mattendue, il retira vive.
ment de ses lèvres la grosse pipe C],u'il fumait ~
dont l'odeur âcre avait rempl1 le vestIbule carel~
dans lequel Mme de Boutrcuil le suivit.
- Pardonnez-moi, madame, de vous recevoir
ainsi. Si je m'étais attendu à l'honneur de votre
visite, j'aurais taché de m'cn rendre digne, dit-il
avec une politesse instinctive qui contrastait avec
son extérieur grossier. Veuillez entrer dans mon
cabinet; mahleure1.lsement, il n'y a pas de feu;
mais je vais en allumer, ajouta-t-il, comme Mme de
BoutreuÏl frissonnait en entrant dans la pièce nue ct
glacée où le docteur rendait ses oracles.
Deux fauteuils de reps vert, un pour lui, l'autre
pour le clien t, des rayo~s
de bois chargés de bouquins poudreux, et le dIplôme du docteur encadré
et suspendu au mur, étaient les principaux ornements de cette chambre. Quelques chaises de paille
et une table de bois blanc, couverte de papiers, de
fioles et de taches d'encre, avec un vieux coucou
arrêté, sur la cheminée, achevaient de garnir la
pièce qui ne devait être que rarement habitée, à en
Ju ger par le froid glacial et la poussière recouvrant
les meubles.
- Veuillez m'excuser, madame, répétait M. Bauer
indifrérent au manque de décorum, mais désolé de
voir grelotter sa vis iteuse. J'ai été dehors toute la
nuit. Ma domestique vient de sortir ... Je vais allumer le fe u ...
Malgré les faibles protestations de Mme de Bou,reuil, avec la gaucherie et l'agitation des hommes
charg0s ..nar hasa rd de quelque soin domestique, le
docteur allait, venait, apoortait dc la braise de la
cuisine, cassait un fagot, faisait partir d'innombrables allumettes, -:herèhait de vieux Journaux pour
faire prendre le reu, brandissait r~nétiquem
la'
pelle et les pinceth:s, et, la tête touchant prli''5que
terre, uevcnant rouge Cl)mm(' une écrevisse et gon·
nant grotesquement ses grosses joues, souffJê.it, à
f4rnnd bruit et à grand ~rTot,
los tisons qui nuircis~aicrH
~ans
l\:ler dl.! Ilumme.
�NotLL E
Enfin, les orins de bois sec se mirent ft crépite r
~t la Oambée s'élc;;\'a claire et chaude .
Bauer se redress a triomph ant et c~'amol,
dispa
~
rut un instant et rentra dans son cabinet après avoir
'evêtu sa redingo te et sa gravité profe ..s ionnelle s .
- C'est un vrai paysan, s'était dit au premier
momen t Mme de Boutreu il. En le voyant reparai tre,
elle se sentit gênée à son tour, et so? .em ba:ras
auomen ta avec l'assura nce de Bauer qUI, Illvestl de
tot7te la supério rité du médeci n sur le malade , s'était
assIs dans son fauteuil , le dos tourné à la fenêtre,
attenda nt la confide nce en fouillan t de son œil scrutateur le visage de sa cliente, placée en face de lui,
en pleine lumière .
Comm.e subi~emnt
l1t!mi.dé~,
elle toussai! pour
s'éclairC ir la VO IX, et ne disait rien.
- ,Vous êtes souffran te, madam e? demand a
M. Bauer.
- Non 1 c'est-à- dire oui ... docteur ... mai3 je ne
suis pas mald~
. Il ne s'~git
pas de ma sant~.
C'est
sur un autre sUJet... que Je voulais .. .
. E~le
s'arrêt? , embarra ssée. par l'étonne ment qu, se
lisait sur le visage rembru ni du médeci n.
- Mon Dieu,. monsie ur, reprit-e lle, parlant vite
comme ceux qUI ont à dire une chose, s i difficile,
qu'ils se hâtent pour en avoir plus tôt fini. Vous
allez être u.n . peu étonné . Moi-mê me je convien s que
ma proposI tion a quelque chose d'étrang e; elle sera
cepend ant c(}.\r;,yréhensible, si vous voulez bien me
perIJ.1ettre de vous parler un peu de moi... de: vous
explJqu er comme nt j'en suis venue à concevo ir un
projet. .. un peu en dehors de ce qui se fait généralemen t.
,
-- Je suis a vos ordres, madam e, mais, sauf en ce
~l ui concern e mon état, ie ne vois pa~
trop en alloi
Je peux vOus être utile.
- Attendc z 1 Voyez-v ous, docteur , pO'J r i .ger, II
faut d'abord que vous me connais siez. Je SUIS riche.
très riche ; je ne l'ai pas toujour s été, ce qui fait cJue
j'appréc ie d'autan t plus cet a vantaf1c : J'ai sacflfié
beauc.:oup de choses pour l'acqué nr ... trov peut~ tre
; car à présent la fortune cl ce qu'clic donne
ne suffisen t plus à mon bonheu r. Je ne su is plus
"'une ; je neJ1uis rc ~sc ntir
mni-mê mc le" joies et les
espéran ces e la vi(~.
J'ai ccpend ant enc.:ore a~l>(;1.
Il'ann0o::s Jevant moi [!(lur me pr6occ uperJ" j'avenir .
Eh bü:o I l'avcnir In'"m·4i e.. parce que je: suis seule,
�NO!:LLE
'oute seide au mnnde . .J'ai heaucoup lrexpérience.
?eaucoup ...
" Que de\"ienl une \"Icille femme riche, sans enfants,
Jans parents? - la proie de toutes les convoitises.
A présent, j'ai la :::>rce, la santé, la plénitude de
toutes mes facultés; je puis m'en defendre; mais s1
je deviens infirme, faible de corps et d'esprit, je
tomberai infailliblement sous la coupe de parents
éloignés; qui sait! de domestiques cupides dont je
ne pourrai plus discerner les vues intéressées, ni
secouer la domination. Tant de vieillards en sont là,
que j'ai toujours redouté leur sort. Mon héritage,
obtenu par force ou par ru e, enrichira une famtlle
déjà riche ou, qui pis est, des parasites adroits. Ma
mort sera pour lei;> uns et les autres une joie et un
bénéfice.
« Eh bien, le neveux pa;; cela . .Je suis assez egolste
pour vouloir que ma fortune me rapporte en ce
monde toutes les satisfactions qu'elle peut me donner; pas a sez égolste pour la placer en rentes via~ères
et trouver iuste de ne l'employer qu'à contenter
les fantaisie d'une vieille femme qui ne onge qu'à
elle. Du reste, à mon âge, quoi qu'on fasse, )1 n'y a
plus de vraies joies que celles que l'on ressent par
les autres, et les plus beaux raisonnements ne me
remplacent pas les enfants qui devraient m'entourer.
.. La nature le veut ainsi: Chaque àge a ses aspirations. Pour une femme de soixante ans, le bonheur
c'est d'étre grand'mi.'re.
Le docteur Bauer écoutait cette tirade avec flegme .
Ses sourcils élevés au-dessus de ses yeux indiquaient
seuls celte pensée: • Où veut-elle en venir»?
- Vous trouvez, continua Mme de Boutreuil,
)ressée d'achever sa confidence, qu'il est un peu
".3rd pour songer à tout cl:la et refaire ma vie? Mais
ne puis-je encore réparer en partie les incor. I(:nients
de ma destinée, et me donner au moins l'illusion des
affections naturelll:s qui me manquent? Je ne vellx
pas finir ain ·i dans l'abandon. Je veux employer ce
que j'ai (!Ilcore de force et d'(:ner~ic,
à a5~lIre
lc
Donhcw' de quelqu'un qui, à SOIl Il)Ùr, f"1"a la joie de
_ha vÎl.:illessc . .Te veux un être qui, si je Ill: lui ai pas
JOlln(: la vie, ait au moins rl:<:.,.J dc mui tout le rl: . lc.~
.
lui soit à moi, à qui je ~()i ~ ;.
je veux un enfant.
Mme de BoutrclIil prononça ces mots avec une
.. nergie presque f0roce. Elle s'était levGc; e.~ yt:ux
brillaient .d'unl: passion brûlante; sa figure pâle,
/
�NoftLLE
~epris
1
'lninlclc ral'': IIlIle par celle ardl.:I,l!C convoitise, avait
J~our
Ull in~ta
tou! son eelat d'autrel'ois,
Elle s'avancait, presque Jlenaç~t,
Sur le docteur.
-- Savez-vous, ajouta-t-elle vIOlemment, ce que
"est lu'une femme dont le dévouement, la tendresse,
~ont
~enfrmé"
au dedans d'elle-même depuis des
années? qui a été déçue dans toutes ses af(ections
et à laquelle l'amoLi,r maternel, le dernier des
amours, l'ait encore defaut ?
,
,'"
« J'ai oublié, étouffé tout COla, jusqu ICI. .. j'al cru
que le repos, les distractions me sufiraien1. Depuis
Jongteml-'s j,e se~l,
v,aguclll,cnt LJ:Uc )e me (r0'!lpe;
depuis que je S~I
1~,
je,v()Js claIrement cc qu'l~
me
l'aut. Je SUIS clecIdee : Je veux adoptcr un enfant,
Qu'en ditcs-vous?
,
- Mon Dieu, madame, répondIt le docteur qui se
cassait la tête pour s'exphquer à quel titre il était
honoré de ces confidences, ce n'e t pas à moi à me
prononcer ,là-dessus,. Vo~s
devez avoir réfléchi:
vous êtes ltbre, vous etes flche, et par conséquent,
à même de satisfaire vos fantaisies; si le cœur VOU"
en clit vous trouverez aisément dans votre famille,
- 'bans ma famille 1 reprit avec emportement
Mml.! de Boutrellll, mais vous ne m'avez donc pas
écoutée? Vou,s ne Comprenez donc pas que je veux
quelq u'un qUI s'attache à moi sans vues intéressées,
qui ne dépen~
que cie moi, ne voie, ne connaisse,
n'aime que mOI, et n'ail à compter que sur moi dans
le présent et dans l'avenir? .. ,
« Prendre un enfant élevé dans l'attente de lllUil
héritage! qui ait vécu dans sa famille avant de venir
chez llH!i! qui puis e y retourner en me quittant!
me préférer un père OLi L1ne m/;re avoir un nom, un
foyer, ulle, fortune en dehors Je c~ que je lui donnel'alI à qUOI cela me serl'irait-il ? Je veux que l'enfant
qui deviendra le mien soit heureux d'oublier son
passé, et ne vive que de l'heure où il m'appartiendr,
Alors seul ..... nellt le serai sa mère,
- Mais, madame, vous êtes libre ... Je n'ai 111 1'"
droit d~ vous blamer, ni celUI de vous approuver,
réponcll,t le docteur, qui, de plus en plus ét~n,
regardait Mme de Boutreuil ct mourait d'enVll.! de
lUI tàte!' le pouls pour savoir si elle avait la fièvre,
- Sil ,DUS avez le droit de m'approuver et l~
devoir \:le m'aIder à l'aire le bonheur d'un C:tru qlll
vu us tient de près, Ju vcux atlu[ltur votre petit!;:
l\Ïècc: Noëlle DJ'l.!~
,
�NOr.tL~
31
:Le docteur bondit ho!'", dc son fauteuil.
~
Adopter N oélle !
11 se tut et réfléchit,
La proposition était si grave et si inatedu~
que, dans le bouleversement où elle le Jetait. il lui
était impossible de se rendre compte de ce qu'il eQ
pensait.
- Je suis décidée, continua Mme de Boutreuil.
Cette enfant est charmante; elle a toutes les délica·
t esses de cœur et d'esprit que j'aurais voulu trouver
dans ma propre fille. Elle est faite pour la classe
où je veux la placer, el doit souflrir dans celle OCI le
80rt l'a mise par erreur. ~l!e
ne regrettera pas sa fa~
mille : un père dur et ivrogne, une belle-mère ... Eux.
non plus, ne la regretteront pas. Elle n'a pas de
place en ce monde; je lui en ferai une. Elle est d'àge
à sentir la grandeur de ce bienfait et à s'en souvenir,
et, encore ~asez
enfant pour que je puisse la former
et l'élever selon 'sa nouvelle positioa. Enfin. elle est
juste ce qu'il me faut; je la prends.
- C'est aller un peu vite en besogne, mauame, je
Ile puis vous suivre. Vous rêvez là une chose impossible, je ne crois pas qu'on doive vous y encourager.
Noëlle est une fille de paysan: vous êtes une grande
dame. Dieu a mis entre vous et cette enfant un
ablme qu'il me semble bien imprudent de vlJuloir
combler. Il me parallrait aussi malheureux pour la
petite de vouloir monter à votre rang, que pour vous
do descendre au sien. Elle est du peuple; Dieu l'a
voulu ainsi, l'espeetons ses volontés.
-. Cela, dit Mme de Boutreuil) ce sont des
maximes : ce ne sont pas des raisons.
- Eh 1 ma foi, ce sont les meilleures, car elles
sont fondées sur l'e~périnc.
JamAis ces choses-là
ne réussissent.
~
Qu'en save7,-vous? interromllit violemment
Mme de Boutreuil: j'ai vécu plus longtemps que
vous et au milieu du monde. J'ai connu beaucoup
de gens qui souffraient de s'être abi5~és;
je r.'ai
connu personne qui fût malheureux de g'être é!evé.
D.ans les let! l'cs, dans l'armée, dans l'Egl ise, comhlen d'hommes sortis de bas, de plus bas que No~le.
ct qui sont académiciuns, généraux, évêques? Croi·
rieZ-VOLIs, par hasard, qu'j'ls regrettent d'étr~
arrivéff
allX premiers rangR de la société, élant né" dans les
dernier,> ?
- 11s sc sum élevés n:1l' cux-mCmes, cl.ux-l,j,
�NOELLE
reprit le docteur ébranlé, et la conscience de leur
supériorité les met à l'aise et .Ies maintient à ee
niveau. Je suis sùr pourtant qu'Ils ont enduré bien
des froissements, bien des génes, pour arriver i,
satisfaire leur juste ambition. La nature délicate
d'une femme, de Noëlle surtout, n'am'a ll pas la
même énergie. On lui reprocherait pIcs aml!rement
la situation qu'elle ne dcvrait qu'à vos bontés. Et
puis, je ne suis pas un grand raisonneur, e~ je ne
sais même dire pourquoi mon instinet me fait sentir là un danger.
« Il me semble qu'on !"le peut ~nfrei?;
impunement les lois de la SOCiété et, Je le repete, ça ne
réussit jamais.
- C'est un préjugé, mon cher docteur.
- .Ma foi, pas tant que cela, et ma vie tout entière
sert à le prou ver.
p~re
était un fils de
« Voyez, .madame;. m~'1
laboureur : Il n'avaIt Jamais qUItté sa charrue; il ne
savait ni a ni b quand il a tIré au sort. On le fait
soldat. On l'envoie loin d'ici dans un rt:;:,im0.nt où le
père de feu.M. Dambry était colonel.
)Mon père s'ennuyait beaucoup . Il se Jnet â étud ier; c'était un travaiHeur. li avance; il reste au
régi ment et devient officier. II prcnd sa retra ite
!;omme capitaine et rent re dans son village où il se
marie . .Ma mère était la nil!ce du curé, elle avait
un peu de b:en, et avec la pens ion de mon pi:re, ils
se trouvi:rent à l'aise, les premiers du village. Alors
ils rêvèrent de faire de leurs enfants des bourgeois.
L'oncle curé, un vieux brave homme cie l'ancien
temps, leur clisait en secouant la tête - je l'entends
d'ici:
,. - P:-eue::: garcle 1 il ne faut pas sortir cie la place
où Dieu vous met; il sait mieux que nous ce qu i
jJous convient, et vouloir changer est une imprudence. Vous êtes de paysans; faites ~Ie la petite une
bonne ménagère qUI éli:vera chrétiennement ses
enfanrs; et, SI le peti t ne v~ut
pas être soldat comme
50n père, qu'il soit laboureur comme son grand-père.
Vous voulez en faire un monsieur; vous r.:royezqu'Î I
suffit pour cela de lui mettre un habit sur il.: dos el
quatre mots de latin dans la tête: on n;:J.il lin mon·
ieur Dr, ne le d\;vlcnt pas. VOU" le d6gl1ülercz de
ce qu'il a, sans nen lui c!Clnn\;r Ù la plae\;. Vou~
en
fere!. tin J6classé; peut-être Ill' m6ch'lnt : puur sllt
un malheureux . "
:;J
�NoELLE
33
" On ne l'a pas écouté ... Son rai sll11n cment n'était
peut-ëtre ras très fort, mais il faut croire qu'il était
Juste, car tout ce qu'il a annonce s'est réalisé.
« On mit ma sœur au couvent, on obtint pour moi
"me bourse au lycée. J'ai fait mes études de méde·
dne à Nancy, et quand je suis r~venu
avec mon
!liplôme, le vieux pere a cru qu'il avait assuré mon
bonheur, et il est mort content. Avec lui, sa pension
s'éteignit : ce fut la gêne. Pre sC:!.le en même temps,
un gredin de notaire levait le pied, emportant à peu
près tout ce que po ssédait ma mère; c'était la rUIne.
La pauvre femme en mourut de chagrin et d'inquiétude ... et cependant, elle se consolait en pensa nt que
ma science ferait ma fortune, et que, jolie, bIen
élevée 'comme elle l'était, ma sœur trouverait à se
marier richement.
Epuisé par cet effort d'éloquence inusité, le docteur passa longuement sur son front son mouchoir
à carreaux, essuyant à la dérobée une grosse larme
qu'il avait retenue jusque-là et:! clignant furieusement des yeux.
Mme de Boutreuil l'écoutait avec la froide politesse d'une femme irrévocab lement déCidée, que
les ob ervat ion s agacent sans l'ébranler.
Il reprit:
- Que pouvais-je faire? Sans protection, sans le
Jlloyen de m'établir dans une ville et d'attendre la
clientèle, je restai ici.
« Je gagnais moins qu'un valet de ferme, mais je
~e
mouraIS pas de faim.
« Au bout de quelques années, on s'intéressa à
moi, on voulut me tirer de la mi ère où je végétais,
m'envoyer dans une ville. Je refusai.
« Tout ce que j'aurais eu d'ambition et de force
pour faire mon chemin s'éta it gaspi llé dans cette
lutte pour le pain de chaque jour. Je n'avais plut
confiance en moi ni en l'avenir ...
« Et puis, j'étais acoquiné ici; j'avais tant soulTert
pour arriver à m'habituer à cette vie, que je ne me
sentais plus de courage pour m'habItuer" une
autre.
« Croyez-vous que ce ne soit pas alreu~
' de l>d
trouver toujours mal à l'aise avec ses pareils à qui
l'on se sent supérieur par l'esprit et par l'étcaio~
plus mal à l'aise encore avec ceux dont on pourrait
être compris parce qu'on n'a pas leur naissance et
leurs manières 1 de S~ voir seul de S011 espèce 1 dlt
6'f"u.
�NoELLE
n'être ni l:haÎr, ni poisson 1d'avoir l'instruction, el pas
~'èducaon
'r
Est-ce que J'ai eu seulement l'idée de me marier?
~e
ne voulais pas. épouser uflpyaysanne. Une fem.me!
o,ue j'aurais pu aIme~,
!l'aurait pas voulu .de mol. SI
vous saviez ce que J'al souffert! autre~o1s.
surtout!
Maintenant je suis résigné, ou abruti; le ne sais
lequel des deux.
"
..
« Quant à ma pauvre sœur qUI ét.a!t frê.le, deli.cate,
qu'on avait choyée au couvent, qUi Jouait du piano,
la misGre, la
elle n'a pas eu !e courage d'af1r~nte
lutte pour la VIC; elle a épouse Dreck pour son
argent, ct elle en est morte. C'est tout cela que je
veux épargner à l'enfant.
Le docteur st: tut dans une quinte de toux qui
ressemblait à un sanglot.
_ Mais, reprit .froid,ement Mm.e de Boutreuil qui,
en person~
pass.J01:n?e, ne voyait que le but qu'elle
poursuivait et s'lrnt~J
de ~es
retards, mais votre
exemple ne prouve nen! S1 vous aviez été riches,
aucun de ces o~stacle
auxquels vous vous êtes
heurté ne se seraIt dressé devant vous.
« Je compte non seulement élever Noëlle, mais la
do~er.
J'e~
pre?drai l'engagement légal, si c'est cela
qUi vous mqUlèle et, soyp.z tranquille, elle n'(>oousera pas un père Dreck 1
- Cela ne fait rien, murmurait le docteur, qui,
obéissant plus à u~ instinct qu'à une conviction raisonnée, s'assombnssalt à mesure que Mme de Boului démontrer le peu de fondement de
treuil s~mblai
ses cramtes ; il ne faut pas sorllr de son état.
- Mais, mon Dieu 1 s'écria Mme de Boutreuil,
dont la patience était à bout, qu'a donc dt: si heureux
l'état présent de Noëlle, pour que vov.., craigniez de
l'en tirer? Vous savez blen qu'elle e"t malheureuse
à en mourir. Et, dùl-elle même trouver dans la position que je lui ofTre les inconvénients que vous êtes
seul à y voir, sa vie ne sera pas pire que cc g,u'ellC'
est. Vous pouvez admettre au moins que je lUi ér.ar'Jnt:rai la misère, les souffrances physiques 'lu elle
endure et auxquelles sa santé ne résistera pas 1
- C'est vraI, avoua le doctl.:ur, pour la p~emjèr
fois ébranlé par cet argument, sa santé ne ré"istcra
pas.
- Et l.:n décidant de votrl.: propre automé ..1u sorl
tic votre nièce, ne vous exposez-vous pas aux rc·
froL:he:; qu'dit.: st:ra un ic,l)J' (!n droit dL: VlJlI!:i rairL: ?,.
«
�NoitLLE
"eut-être â des remords, si el\e est vraIment &lussi
nenacée ~ue
vous le disiez l'autre jour?
cp
La méditation douloureuse où M. Bauer était re·
tombé fut pour Mme de BoutreujJ la preuve que le
flouveau coup, porté pa.r elle, l'avait frappé au défaut
rle la cuirasse.
Elle poursuivit avec triomphe:
- Avez-vous le droit de vous opposerau oonheul'
de cette enfant? Que dirait sa mère de mon offre, ~
elle vivait?
- Elle aurait accepté avec reconnaissance. Elle
avait toutes les ambitions pour sa fille, ne put s'empêcher d'avouer le docteur.
- ,Eh bien 1 Je serai franche; vous êtes comme
tous les hommes: vous ne jugez que d'après vousmême. Si vous voulez être vraiment dévoué, faites ce
qu'aurait fait sa mère; aidez-moi à décider le père
Dreck à me céder Noêlle.
•
- Cela, ce n'est pas le plus difficile, grommela
Bauer.
Il avançait ses deux grosses lèvres dans une moue
de préoccupation, et ressemblait à un bouledogue
dompté. Mme de Boutreuil avait recueilli avidement
ses dernières paroles.
- Allons, mon bon docteur, dit-eUe de la VOIX radoucie d'une femme dominée par une idée fixe, et
qui prend tous les moyens pour arriver à son but:
aidez-moi à terminer tout cela le mieux et le plus
vite possible, car je pars demain.
- Vous aider J ••• murmura le brave homme comme
se parlant à lui-même et réronoant à ses propres
objections. Est-ce que je n'aide pas au malheur de la
petite? Mais ai-je le droit ue refuser? D'ailleurs,
l'avenir qui m'inquiète, car elle aura
c'est sur~ot
toujours quelqlles bonnes années. Et l'avenir est-il
lJOe questIOn pour elle? elle n'arrivera pas à vingt
lOS; elle tient de sa mère.
Mme de IBoutreuil sourit. Elle nc craignait rien
pour la santé de No~lIe
cl la manie du médecin
~enail
très à propos li son secours.
M. Bauer ré(l6chit un instant.
,
~
Après toul, dit-il, je ne veux pas :)renure cela
sur mOI .•le vais faire venir la petite. Dites-lui ce que
VOUf; voudrez. Si elle veut aller aveC ,OllS, je l'y aider .. i. Que Dieu 1'6cJnin: 1
Mme de llUllll'euil, Sllre dit
- J'[ll:l:epte. r~nliqL1a
�NotrJLE
..on fait; je, m'en remets à sa décision; envoyez-la
Fhercher.
- Elle est à l'école, dit M. Bauer consultant sa
montre; je vais la faire appeler.
; Quelques minutes après, on entendait counr dans
Je vestibule les petits sabots de NOëlle, et l'enfant sc:
'nontrait sur le seuil, où elle s'arrêta net en voyant
une dame dans le cabinet de son oncle; mais, reconnaissant Mme de Boutreuil, elle poussa une exclamation joyeuse et s'avança toute souriante.
- Viens ici, petite, lui dit le docteur cl brCtlepourpoint, j'ai quelque chose de grave â te dire: tu
es bien jeune, tâche tout de même de comprendre.
L'enfant pâlit, et son ""'sage mobile prit l'expression d'angoisse habituelle ,·"x êtres malheureux qui
redoutent toujours une catastrophe.
- N'aie pas peur, dit Bauer, l'attirant à lui de sa
grosse main, avec le geste brusque et amical d'un
ours affectueux. Ecoute bien: cela te ferait-il de la
peine de quitter le village, tes parents, tes petites
amies ? .. tout ce que tu às vu jusqu'ici?
Elle réOéchit une minute; puis, penchant la tête
sur l'épaule de son oncle, et le regardant de ses
grands yeux confiants:
- Pour aller avec vous? je veux bien partir, tout
de suite ...
- Ce n'est pas de cela qU'il s'agit, reprit le doCteur Bauer; tu n'irais pas avec moi, tu irais clans une
belle maison, avec de beaux meubles ... Tu aurais de
beaux habits, on te. ~oignerat.
Tu apprendrais
tout ce que tu voudrais ...
- Je ne veux pas y al'Ier toute seule, je veux
rester avec vous 1 s'écna NOëlle, fondant en larmes
et se cramponnant à lui.
Mme de Boutreuil s'était levée. Elle vint près de
Noëlle, la détacha doucement de son oncle, et, se
mettant à genoux pour que son visage [Ctt au niveau
de l'enfant, elle lui dit d'u ne voix tendre, presAUe
!out bas:
1C'est moi qui veux t'emmener, ma .... ctite
Noëlle. Veux-tu venir avec moi? Je ferai ' comme ta
pauvre maman, je t'aimerai, tu seras ma petite
fille chérie et je serai si heureuse, si heureuse de
t'avoir 1
Spontanemer:t, sans hésiter, Noëlte jeta ses deux
bras autour du cou de Mme de Boutreuil. et lui dit:
- Je vous aime 1
�No'ELLE
37
Mme de Boutreuil la serra contre son cœur. Son
rêve maternel se réalisait: l'enfant s'était donnée.
Le docteur la tira de son extase.
- Et maintenant, madame, que comptez-,;u~
faire vis-a-vis de M. Dreck ?
Mme de Boutreuil tre·ssaillit. Elle serra fJ'oS fort
dans ses bras la petite NoCllc avec un air Je protection ct de dM, qui semblait dire: " Elle est à moi
mai ntenant, venez donc me la prendre 1 »
- Voulez-vous voir M. Dreck? répéta le médecin.
Mme de Boutrellli secoua la tète:
- Non, docteur, il vaut mieux: gue vous y alliez.
Arrangez les choses a votre gré, Je vous approu ve
d'avance. Je me charge absolument de No011e. Je la
doterai; j'en prends l'engagement et je veux, en
retour, que son père prenne celui de ne jamais me la
réclamer. Je vous donne pleins pouvoirs. Vener.
cette après-midi me dire ce qui sc sera 1 assé. M ' il
Dieu, qu'il est tard! ct ma cousine qui m'at' .llet
pour déjeuner 1. ..
Donnant à l'enfant un dernier baiser, elle sc sauva
leste ct joyeuse, comme une ieune femme, de peur
que M. Bauer ne se ravisat.
- Mais Je ne sais pas si je dois me mêler ... disait
ce.lui-ci, ahuri par tant d'emp"essement; si je ne
ferai pas mal en contribuant. ..
Mme cie Boutre~'il
avait déjà repris le chemin du
Château.
Mme Dambry l'accueillit avec la grâce pincée
d'une parfaite maîtresse de maison qui n'est pas
contente.
- J'étais inquiète de vous, ch~re
Mathilde, ct surtout de votre déjeuner qui n'attend pas aussi patiemment que nous.
- Tante Mathilde a fait sa confession générale à
M. le curé:, observa Mlle Dambry, avec l'irrévérence
affectueuse t:cs enfants !:(àtés.
- Elle s'est-fait auscu'lter par ledocteur Baller qui
lui a clé()uv~r
une douzaine de maladie, continua
Fred.
- Ene èSr l'(;s1<:e chez le pâtissier, conclut Mimi,
à qui cette h)'pot hi;se semblai t la plus vraisemblable.
- Pas du tout, pet it si ndiscrets; j'ai oubl ié "heu re j
'~en
suis assez confuse!
« Chi;re COUSine, préférez-vo'JS envoyer m~
'r7".ne
ce soi l'il la gare?
- Non, !1fJll. now; COllSeI'VOm; l'espOir de \.IfJlllJ
�garder, et il sera temps de tIè ~51gnar
au demlet
moment.
- Ce derOlf.'r moment ne viendrait jamais, ::3 je
n'avais à consulter que mon cœur. Mais il est prudent de le faire taire, car plus je resterai ici, moins
,'aurai le courage de partir.
Mme de Boutreuil parlait vite, épanchant, dans une
amabilité un peu forcée, la joie intime qui débordait
en elle; tAchant aussi d'amadouer Mme Dambry à
force de prévenances et de dissiper un orage qu'elle
sentait vaguement devoir fondre sur elle.
Les nuages s'amoncelaient sur le front de la chère
cousine, et son œil soupçonneux gênait Mme de Boutreuil qui redoublait en vain de tendresses et de
compliments.
Ces efforts fhêmes inquiétaient davantage Mme
Dambry.
- Qu'est-ce qU'elle a? pensait la matrone, en
découpant silencleusement le bœuf à la mode. Avec
toutes ses phrases, elle n'a pas dit où elle était allée
ce matin. Qu'avait-elle à faire dans le village i' Elle ne
parle pas d'emmener Mathilde.
- .le ne resterai pas longtemps à Pau, disait
Mme de Boutreuil, s'appliquant A dissiper les soul'"'
çons. A la fin d'avril, je serai à Paris, vous viendrel!
tous me Voir. J'ai fall arranger le second; je puis
vous loger. Je te ferai sortir, Fred, et ton grand frère
viendra bien de temps en temps me VOlr le dimanche.
- Il est agréable de passer Je dimanche en famille, ·
observa sentencieusement le saint-cyrien .
'
- Voilà une bonne parole pour un jeune homme,
répliqua gracieusement Mme de Boutreuil qui, jusque-là, n'avait pu senfir l'alné des Dambry qu'elle
qualifiait en général de benêt.
Il n'y avait pas jusqu'au frisé pour lequel la tante
Ile se crût obhgée de faire des frais; elle en vlnt même
à lui promettre un cheval de bois si fringant qU'il
jetterait son cavalier par terre, promesse qUi fit
pousser des hurlements de joie au sportsman en
b.erbe.
Tout ...,,,, ne déridait pas Mme Dambry, et sa figure
revêtit une sévérité Implacable quand, vers quatre
heures, le valet de chambre annonça que Je docteur
bauer at1enùait Mme de Boutreuil dans la bibliothèque.
Celle-ci sortit vivement.
. - Voulel,-vous,Clue t)I)U!> ouillions la saton pour
�NottLLE
lajs~\.o
..·le champ lihre à votre l'elidez-vous ?demanda
umèrement Mme Dambry.
Sa cousine ne l'entendil pas; elle était déjà ell face
du docteur Bauer, et l'interrogeait d'une voix trem·
blante:
- Eh ien?
- Les parents consentent.
Elle poussa un soupir de soulagement.
- Mais, continua le docteur touJours aussi sombre.
cela ne sufilt pas. Puisqu'on fait la chose, il faut la
bien faire. Une fois sortie de chez son père, NOêlle ne
supportera plus l'idée d'y rentrer. Un ~Ilgaemcnt
\
écrit de Dreck est ùonc Hldispensable; sans cela il
pourrait, dès d~main,
vous reprendre sa fille, ou tout
au moins vous menacer de le faire; enfin, tirer parti
de la situation. Sa femme, qui mène tout, aurait bien
voulu garder cette ressource. J'ai fait valoir que vous
ne pouviez, en ce cas, promettre de vous charger de
No@e, de la doter. Ils ont fini par céder. Les deux
pièces sont prêtes à signer. Je les ai laissées chez le
père Dreck. Il faut bien que vous le voyiez. Je n'ai
pas cru devoir l'amener ici. Voulez-vous vel11r avec
moi lui parler?
- Vous avez raison: Je vous suis.
La voiture de M. Bauer, de forme antique et presque
invraisemblable, attendait devant la porte. Mme de
Boutreuil monta à côté du docteur, sans songer même
au froid qui lui cinglait le visage.
.
- La voilà qui part avec lui 1 s'écria Mme Dambry, surveillant de la fenêtre les faits et gestes du
visiteur.
Le véhicule s'éloigna, avec un bruit de ferraille, au
trot régulièf du bidet poussif.
- Que peuvent-ils faire? grommela Mme Dambry.
Lorsqu'elle ne vit plus, à la lueur du crépuscule,
la voiture qui avait tourné le coin de l'avenue, elle
quitta la fenêtre.
Elle s'assit aU[JJ"es du feu, muette et >;ombre.
Une idée avait surgi qui faisait trembler ses lèvres
et se gonfler les veines bleues de son front.
- Ce serait trop fort, murmura-t-elle; elle n'o!;erait pas, chez moi 1
« Mimi, pourquoi NoeUe n'est-elle pas v !nue r,oÎllel
avec vous cette après-mîdi .
- Je ne sais pas, maman j eJle avait pourtant bIen
promis hier 1
Mme Dambry retomba dans sa rnéctltatl<.ln irritée.
�NGELLE
II
k la suite du docteur , Mme de Boutreu il étaît
entrée dans la grande pièce basse qui tenait tout le
rez-de- chaussé e de la maIson Dreck. Cet intérieu r de
paysan respira it le dé~()re
au1ant que la misère:
Chez Dreck, il n'y avait pas même la propret é qUI
ne COLIte rien et qui va généra lement de pair avec
l'écono mie.
Plusieu rs carreau x absents laissaie nt à nu le sol
froid et humide ; le poële fumait, et une couche
épaisse de poussiè re de charbon noirciss ait les
vItres de l'uniqu e fenêtre. Quatre lits aux quatre
coins, dans lesquel s couchai t toute la famille, la
huche à pain, une table, un banc de bois, quelqu es
chaises dépaillé es garniss aicnt les murs, avec deux
armoire s dont l'acquis ition fait partie, pour les
paysans , du sa~remnt
de m~riage,
et qui .témolgnaient que le pere Dreck l'avaIt re<;ù deux fOIS .
La femme avait revêtu ses habits du dimanc he.
Sa flgur r 'lit sur Mme de Boutreu il une impress ion
pénible .
C'était unc grosse face bestiale et vulgaire , empreinte ~ la fois d'a~rutisemn
et de.finas serie. Ses
yeux gnsatre s avalent une expressIOn de dureté
crueJ\e et de f~urbei.
pat~lie,
rév.élant. la mégère .
Son grps nez vlplacé ajoutait a l'antipa thie morale la
répulsIOn physiqu e.
Quand la. mère Dreck fit une révéren ce Jusqu'",
terre en pnant, d'une VOIX humble et plaigna rde,
Mme de Boutreu il de s'asseoi r, celle-ci crut s
tr uve r r;n présenc e d'un loup faisant des gràce~.
Elle songe~
au pe~it
Chape,;on Rouge, en apercev ant
Noëlle Q.UI, blottie dans l.angle de la chemin ée et
n'osanl bouger, attenda It avec angoiss e qu'on
décidat de son or!.
reck, le dos tou rn~
au poêle, accoud é à la tab le
et la tête dans ses mains, s'était à pei ne soulevé en
grornm eiant quelque s mots. Sa casc;'.:ette à orei llettes, ramené e en avant, ne laissait ouère voir
qu'une barbe inculte qui lui couvrai t le bas du
visage.
�Devant lui étaient placées une I,etite boutelll e
d'encre , une plume et deux feuilles de parier timbré
chargée s d'écritu re.
Le docteur prit les feuilles et les tendit à Mme de
Boutreu il.
- Parfaite ment, dit-elle après les avoir parcour ues
des yeux et ôtant son gant pour signer.
Dreck fil le mouvem ent de prendre la plume, mais
sa femme bondit et le tirant par le bras:
- Attends , lui dit-elle . Expliqu e à madam e ce
que tu m'as clit tout à l'heure.
Et comme son mari se taisait:
- Voyez-vous, madam e, il a réfléch i; il ne veut
pas signer cc papier. Ne us aimons l'enfant ; c'est
comme ma fille: nous ne pouvon s pas la laisser
partir pour toujour s. II faut voir aussi si e1Ie ne nous
regrette ra pas trop. Pensez donc! qu itter son père 1
On ne peut pas la forcer.
- Noëlle, d it Mme cie Boutreu il s'adres sant à la
petite dont ks yeux exprim aient une angoiss e déchirante, est-ce qu'on te force? Est-cc (lue tu aimes
mieux rester ici?
'
L'enfan t n'osa répond re, mais secoua négativ ement la tête avec énergie .
La marâtre lui jeta un regard furieux.
'- / Ce sont des phrases tout ça, répliqu a brutale ment le docteur Bauer. Voulez- vous ou ne voulezvous pas? Dreck m'a donné tout à l'heure sa parole;
il n'est pas 110mme à la reprend re.
Dreck ouvrit la bouche , mai sa femme le prévint.
- Mais ça lui fait trop de peine, là mon pauvre
mari; je ne veux p'!-s qu'il ait du chagrin comme ça ...
pour nen. Il est déjà a sez malheu reux ... les récoltes
qui manque nt ... le rermage en retard.
- Ça ne nous regarde pas, continu a le docteu r;
s'il est gêné, une bouche de moins à nourrir lui sera
VD allégem ent.
. - Mais pas du tOllt, reprit la femme dont la voix
larmoya ntc s'aigris sait; la petite travaille ... elle nous
aide. C'est la seule des enfants qui soit en âge ...
daner haussa lcs épaules :
- Ce n'est pas à m(): qllC vous allez C!lanter r:ette
antienn e. IIuit ans! et faible comme un DO"I('( ,
- Elic fait toujour s le ménage ...
Ce n'était plus la iilLlsse bonnc C81l11l1C qüi essayai!
d'attcnd rir, c'étaÎt la mégi.:re discuta nt ses intérêts .
- Eh bien 1 si el~
vnus est si utile. I?ardez-Ia. con-
�NO~LE
c1ut le docteur en se levant et faisant signe à Mme de
Boutreuil de l'imiter. II ne manque pas d'enfants à
adopter, ni de parents pauvres, trop heureux de s'~n
dépêtrer et de s'assurer un appui pour l'avemr.
Quand on a une fortu ne à donner, on trou ve toujou rs amateur.
'.
.
.
Mme de I3ouLleuil, qUI comprenait et appwuvalt
la manœuvre, se dirigeait avec lui du c6té de la
r orte , quand un sanglot de NOëlle la (it se retourner.
- Voyons, pas SI vite ... On pourrait s'entendre,
dit la mère D,reck redevenue pateline, et posant sa~
façon la mam sur le bras de Mme de BoutreUlI.
Madame comprend que je considère avant tout
l'intérêt de l'enfant: c'est mon devoir ...
- Si vous croyez que son intérêt est de la garder,
gardez-la, répliqua resolument le docteur.
. - Mon Dieu, je ne dis pas j nous sommes si
pauvres 1Mais, vous comprenez, j'ai bien du travail. ..
No~le
garde les petits. Si seülement je pouvais avoir
une servante pour la remplacer ... alors, je la laisscrais partir quoique ça nous fasse le cœur bien
gros; mais c'est tl'Op cher pour nous, une servante 1
Malgré les signes du docteur, Mme de Boutreuil
avait tiré son portefcuille. Elle était ëcœurp,e et
voulait en .finir.
A la vue du po-rtefeuille, la mère Dreck s'était illuminée. Très polie, très humble, toujours du même
ton tralnant et plaintif, elle disait, frottant son gros
nez violet pour çacher le sourire qui entr'ouvrait ses
l~vres
malgré elle:
- Je suis bien vaillante à l'ouvrage, mais je ne
puis y suffire.
- Veuillez siAner, monsieur Dreek, dit Mme de
I3outreuil, en po~sant
le I?apier devant le père de.
NOëlle, to'.!t en tll'ant un billet de son portefeuille.
La J)':cck s~iyat
ses mouvements, les yeux
allumés ..Ie cupIdIté, tendant la main avec une con•
• voitise de bête féroce.
Dreck, qui n'avait rien dit et semblait ne rien voir
se retourna soudain .
- Je ne vends pas ma fille, dit-il avec un aroj;\Oe.
C
ment.
- Voulez-vOlls d'one qu'elle meure comm') sa
mèr e? lui glissa Baner à l'oreille.
Dreck pous~a
lin second grogncmcl1l, parcourant
la chambre misérable de ~on
regard hébété qui se
';Ixa une minute Rur la netlte Cl'é,llure frêle et (rem-
�41
NO ELLE
blante, blottie près du foyer, secoua la tête comm&
quelqu'un qui cherche à retrouver une idée et, l?ri~
d'une décis ion subite, sa isit la plume~
traça rapide.
ment son nom sur la feuille placée devant lui et, la
repoussant d'un geste brusque, retomba dan- foon
lbrutissement silencieux.
~
La femme jeta une exclamation de dépit, tout en
engouffrant dans son corsage le billet de banque
qu'elle avait espéré voir suivre de plusieurs autres,
Mme de Boutreuil, ramassant la plume rejetée par
le père Dreck, avait signé.
Le docteur prit son engagement, le serra dans sa
poche, et lui remit celui du père Dreck.
Le sort de NoWe était décidé.
Epuisée et comme pétrifiée cie tant d'émottOns, la
petite se laissa tirer de son coin par Mme de Boutreuil.
Ses mains étaient glacées, et l'on sentait battre
son pauvre petit cœur, comme celui d'un oiseau
qu'on vient de prendre. Cependant, d'instinct, elle
se serrait déjà contre sa protectrice.
- Je t'emmène, dit Mme de Boutreuil qui en avait
assez de la maison Dreck et ne comptait pas y
revenir.
- Déjà 1 se récria la belle-mère, se raccrochant à
• l'enfant qui devenait une poule aux œufs d'or. - Je
ne veux pas qu'elle me quitte ainsi. Il me faut quelques jours pour m'habituer... la remplacer...
'
Dreck se leva.
- Laisse-la partir; elle sera toujours moins mal~eurs
ailleurs qu'ici. Et, sans embrasser l'enfant,
II s'en alla, lui jetant le premier regard paternel
qu'elle eût encore reçu de lui.
Ele fit un mouvement pour courir après son père~
Il était déjà entré dans le cabaret voisin où, après
deux ou trois rasades complétant l'œuvre com
mencée par les libations du matin, il oublia totale'
ment qu'il" eût. de par le monde, une enfant quel,
[conque.
Privée de cet auxiliaire, et gênée par la présence
du docteur Bauer, la ménagère essaya en vain de se
{jéfcndre encore.
- On n'a Jamais Jrnmené un enfant, là, comme ça,
~
tout c:I" suite. Dis donc à madame que tu veu
rester . .)h 1 la vilaine ingrate 1 Et ses petIts frèret: et
sœurs qui l'aiment tant 1 comme ils vont pleuFerl
Elle n'a
~as
de cœur" cetto
peut~
1 ...'
'
�;Oi~LE
La mère J)rec\, versaÎt c1es larmes lle crocodile,
tandi :, que Nllëlle embrassait Charlot qui ripo s ta
par un coup, et la pouparde qui réponui~
l)ar unc
grimace. Deux autres marmot s sa les , qUI loualenr
tians la cour, ne tournèrc nt même pas la tête.
- Viens, NOëlle, dit Mme de Boutreuil.
- Et son paquet! cria la femme Dreck. Donn ez.
moi jusqu'à demain pour ramasser ses hardes ! ...
- Elle n'a plus beso in de rien.
- Adieu, dit Noëlle tCIldant la Joue à sa belle.
m1:re qui eut envic de la mordre .
Mai s comme cela n'eût se rvi à rien, la Dreck se
contenta de lui dire d'une voix â fendre le cœur:
- Nous avons tout fait pour ton bonheur: ne
l'ou blie pas. Tu seras riche; songe â ta famille qu i
souffre, qui mapque de tout.
Sous cc regard chargé de haine et de malédiction,
Noëlle franchit le seuil de la maison paternelle.
Tête nue, presque en haillons, 'ln de ses petits
pieds sortant de sa galoche cas sée, elle allait vers
un monde nouveau, n'ayant pour famille, pour fortune, pour protection, que le caprice d'une grande
dame.
Elle n~
se d.isa.;L pas ~ou.t
cela, la pauvre petite.
Ahurie, éblOUIe et crallltlve, elle ne se rendait
~ompte
que d'une chose: c'est qu'on lui avait
promi s de l'aimer.
Confiante en cette promes se , elle regardait
Mme de Bo utreuil et la trouvait bel le, parce qu'elle
lui souriai l
Touted deux remontèrent avec M. Bauer dans le
vieux véhicule qui les ramena au château.
Mme de Boutreuil seule descendit.
Le docteLl r devait aller coucher à Mézières avec
.\loëll e, d lui acheter dans la matinée les objets
Jildispell sables pour la mener rejoindre sa protectrice à la gare.
Mme de BoutrElllÎll lui se rra la ma'ul ct vou lll! lUi
I<\l sse r sa bau l'se.
- Merci, dit-il rudement. Dreck a abjurt; ser
Jroit s de p 1: re, je n'ai ras abdiau6 mes droits
d'oncle . - Hue 1 Patrqu~
·
�III
- Vous <levez être un peu surprise Ct", mes
courses mystérieuses? dit Mme de Boutreuil à sa
cousine, affectant un ton dégagé. Je viens de prendre
un grand parti. .. de faire peut-être une folie, et c'est
vous qui en êtes un peu cause.
- Moi? demanda Mme Dambry, avec d'autant
plus de froideur qu'elle se sentait plus agitée.
- Certainement. En vous voyant si heureuse, si
aimée, si utile au milieu de vos charmants enfants,
j'ai comparé à la vôtre mon existence stérile et sans
espoir. J'ai eu peur de la vieillesse solitaire, et j'al
tâché de me donner un intérêt dans la vie ... Je vais
emmener la petite Noêlle; cela me distraira, m'occupera. Cette enfant est intéressante, abandonnée et,
si elle tient ce que j'en espère, je pourrai la doter
sans faire grand tort à mes héritiers.
Mme Dambry était mallresse d'elle-même. Sa physionomie resta impassible et sévère. Un éclair de
rage et de haine, un seul, jaillit de ses prunelles
ardentes, sur lesquelles ses paupières s'abaissèrent
aussitôt, prudemment. Et, d'une voix indifférente.
un peu dédaigneuse, elle repartit:
- Vous êtes libre, et si vous avez cette fantaisie,
pourquoi ne pas vous la passer?
Pendant cette dernière soirée, Mme Dambry fut
parfaitement aimable pour sa cousine, avec la pointe
de compassion ironique que laisse voir une perSonne hautement raisonnable, en présence des
extravagances d'un être borné dont elle plaint.
malgré tout, le sort fatal.
Le sentiment de ce dédain oppressa Mme de BoU'"
treuil.
Quana on vient de remporter une victoire difficil(
les nerfs, qui ne sont plus excités par l'ardeur d\.:
combat, en ressentent, à ce moment-là, toutes les
fatigues. La joie du triomphe est mélangée de 1:..
douleur des bless'ures reçues dans la lutte et de
l'appréhension d'autres luttes pour l';:1~es
les
forces épuisées feront d6faut.
;
Cot abattlWlltllt ~
doubl,,-,t chi&- Mmt ~i B~
�treuil de la paresse morale et physiqu e, dévelop pée
en elle par plUSieurs années de vie facile ct égotste.
Sc voir l'cfusel' la petite fille eût été pour clic U[,
'CIésespoir, on la lui. donnait et. déjà elle se. ùeman
dait SI clic ne venaIt pas d'obéir à un capnce d0n\
.... Ue aurait à se repentir .
A peine avait-elle dit adieu aux Dambry . qu'el\!
Jientit ses appréhe nsions se dissipe r.
Eux seu ls connais saient l'origin e de NOèlle 9ue
Mme de Boutreu il ne tenait pas à divulgup,f. Elle
compta it enve lopper d'une sorte de mystère sa fille
adoptiv e, cc qui les rendrai t plus Intéres santes
toute' deux, et il lui était fort désagré able de penser
que cette jolie enfant avait pour père cet aflreux
ivrogne de Dreck.
M. Bauer était encore suppor table à cause de son
titre de docteur , de sa bonhom ie original e et de l'attachem ent qu'il avait pour la petite. Il fallait rester
en bo?s termes avec les Dambry pour les el?pêch er
de nUire. à Noêlle. On les voyait peu à Pa~ls,
leurs
occupa tions les retenan t à la campag ne; pOint, dans
le cercle aristocr atique de Mme de Boutreu il où
Mme Dambry avait éprouvé certains froissem ents .à
l'époqu e de son mariage mal assorti, et qu'elle n'avall
plus voulu (réquen ter, malgré les avances , faites
depuis, à sa !lrande fortune .
~me
.Dambr y était une de ces natures qUl n'oubhent nen et ne pardon nent rien, un de ces caractères fermes et réfléchis, avec un fond d'ardeu r passionné, qui vont droit à leur but comme des boulet ;
parfaite ment inofTensifs pour qui s'écarte de leur
chemin , mais réduisa nt en pou.d re tout c~ qui gène
leur passage ; une de ces femmes qUI ont peu
d'amis et peu d'ennem is, et dont les affectio ns sont
d'autan t plus so lides, les haines d'autan t plus tenaces € t dangere uses, qu'elles sont rares et réfléchi es.
Mme', de Boutrcllil était donc justeme nt inqui ète
du mécont enteme nt de sa cousine , et n'éparg na
,ien pour l'apai ser.
On se sépara dans les meilleu rs termes, '-{UOI'que avec un peu de gén.. Aucun Dambry ne l'accom pagna à la gare, et elle tD tut bien aise. NOèlle et le
docteur '"_-vaient précédé e dans la aile d'attent e.
Elle ne se doutait guère, la pauvre petite, que sa
chétive eXIstence sou levat déjà tant de ~oli:res,
Je
lalousies et de plans t0nébreux. Les yeux encore
~.\liU:
1118 itmnefll que lui avnicnt uraçh~e
ües
�Noll:LLlt
41
adieux à son oncle, elle avait suivi, confiante, sa pro.
tectrice, et regardait alternativement le visage de
)1me de Boutreuil, la campagne qui se déroulait à
Bes regards, bornés jusque-là aux limites du village,
le manteau cie clrap nOIr tout neuf, les souliers de
gros cuir et les gants d'épaisse laine brune que
f'oncle Bauer lui avait achetés le matin. Tout ce
q n'elle regrettait c'était de ne pas voir son chapeau
de feutre bleu marine orné d'une plume rouge. Elle
y portait la main de temps en temps, pour s'assurer
que cet objet magnifique était toujours en sa possession. Elle s'amusait beaucoup aussi à admirer le
beau wagon capitonné de drap mastic, à écouter le
bruit du train et à chauffer ses petits pieds sur les
bouillottes fumantes.
Son petit manège et son gentil babil amusaient
Mme de Boutreuil à qui, pour la [.lremi8re fois, un
voyage en chemin de fer parut une distraction.
Pendant ce temps, pale et les lèvres serrées,
Mme .Pambry se livrait à ses occupations ordinaires,
poursuivie par l'idée fixe et exaspérante que ses
enfanls venaient de perdre une fortune.
A vant la fin de la journée, la"pauvre petite No~l'e
lui apparaissait comme une intrigante, une usurpatrice, une ennemie à fouler aux pieds. Cette pensée
seule surgissait un peu consolante:
- Cela tournera mal... Mme de Boutreuil se.ra
obLigée de la renvoyer. En tout cas, le do~telr
l'a
dit: elle ne vivra pas.
IV
C'est à Pau que Mme de Boutreuil et No~lIe
pa&'-L
sèrent leur lune de miel. Jamais temps ne fut plus
serein, plus doucemem gai, plus tranqui!lement
heureux. Arrachées à tout ce qu'el~s
avalent Vt\
jusque-là, elles passaient délicieusement de la soli~ude
et de l'hiver à cette vie à deux, au milieu de
:ette nature riante, parml les roses, les palmiers,
;es mimosas, premier' plan enchanteur du décor
superbe des montagnes neigeuses.
Sur cette terre de l"rartce. éclairée par le soleil
�d'E spag ne, le cœu r d e la viei
femme ref1 euri-ssait,
en mêm e tem ps que s'ép anouille
ssai t celui de l'en fant .
NoC: Jl e croy ait vivr e dan s
co ntes de .fées qu.' e l ~
avait ent end u raconter , etles
se dem and mt parfOIS S1
Mm e de Bou treuil n' était pas
F ée de la F orêt qui, d'un cou p ladeDam e du Lac ou la
\ir de terr e les fl eurs et les arbr baguett e, font so rles petites fill es sage s en prin cesses , et tran sform ent
, Qua nd ell e songeait à sa vie es.
pin<;ait pou r s'as sure r qu'e ned'au trefois, elle S l'
dorm ait pas , et S6
dem and ait avec terr eur Oll lle
étai
b eau rève d'or d'à prés ent, et let la réalité, entr e 11)
cauc h ema r de t out
à l'he ure,
La jolie villa que Mm e de Bou
sur la rout e de Bay onn e en plei treu il avait louée
face des Pyr énée s , com plét ait l'illun sole il, bien en
sion,
C'était le pala is de la fée,
une seul e omb re se
pro jetai t sur cet horizon lumet
x : fla crai nte de
voir disp aral tre tout ce bon heuineu
r, par enc han tement,
comme il étai t venu .
Au ssi, la peti te fille s'elT
ait-elle d'êt re bon n!"
et reco nn aiss ante , pou r évitor<;
er un pare il chât ime nt.
D'aill eurs elle aimait tant sa bien
qu'elle lui av'\it don né : les fleufaitr ice et tout ce
rs , le sole il, lp.s
a rbres vert s, teS bell es mon tagn
es , les so in s, le
repos , les jeux de so n âge 1
Avec qu elle timi dité sans gau
san s gên e, qu el plai sir san s avidch erie, qu elle réS t::l \ ~
tou s les bi ens de la vie, mi s à saité, elle joui ssai t de
Un tact inn é, un e inte lli genc disp osit ion!
avai ent donn é l'in stin ct de tout e part iculière lui
qu e les autr es enfant s puisent danes les déli cat; sses'
famill e ou les raffin eme nts de l'éd s les trad ition s de
ucat ion.
Ce trait mar qua n t de sa
re enc han tait Mm e de
Bou treuil qui ne cess ait natu
de se
qu e j', a~ ai ~ tout ci e ,s uit e di stin rppé ter: « c'es t ce
m'a cl ec ldee surt out a la pren d regué en elle , ce qui
: elle n'au ra jamais
l'air d'un e parve nu e .. , \)
Et , de fait, perso nn e n'av ait sou
Les rap po rt s de la mèr e et de p<;o nné la vérité.
la fill e ado ptivf
semblai ent t Jut natu re ls,
~ Mm e cie Bou treuil laiSS
ait
ndre O'Je Noëlle
'trait, un e orph elin e, sa pa ren te ente
éloignée . No ëll e l'ap p elai t .. '11a ,tant c )~ ct les nouvell
qu'cll e\,. d"a lcnt fait es n'en dem es con nai ssan ces
l'on g, non plu s q ue les petit es filleand aient pas plu s
s de tout es nati o~ltés
q~
joua ient avec No~le.
1
�NO~LE
On peut trou ve r éi Pau, en peti t, toutes le s s oc i é t é ~
qu'on r ech erch e à P a ris, et y vivre, à son ch oix,
~' ',s
i isolé ou aussi entouré qu e dan s la grand e ville",
Tt y a les salons tri;s ferm és d es Béarnai s p ur san g.
II y a les sal ons très ouverts d es Améri ca in s, la
cot eri e anglai se, les terrain s neutres où se ren,l:o ntrent, mêlées à do se différentE., les di ve rses
sociétés , échaufTées, égayées par les Fran çai s de
:outes provin ces.
Mm e d e Bo utreuil ne recherchait plu s guère les
di stracti ons ex térieures: son plu s grand plai sir était
ch ez ell e, maint enant.
Cette femme fati guée, rass asiée d es choses de la
vi e, y prenait un nouveau goüt en les regardant par
les ye ux nalfs et enchantés d e Noëlle.
Jamai s un sé jour ne lui parut au ss i agréable qu e
celui d e la vill a don t l'enfant admirait avec tant d e
convicti on les t erras ses en plein soleil, la bl a nche
colo nn ad e italienn e, tout enguirland ée d e roses.
Elle n'avait emmené, en fait d e d omest iqu e, que
le vieux Thomas, un d es d erni ers échantillons de la
, ~ac
e perdue- des se rviteurs du bon vi eux temp s .
.Le brave h omme, père et grand-p èr e lui-même,
n'avait pas ch erché à interpr éter les explicati ons d e
sa maltresse au suj et d e Noëlle.
- Madame avait bi en raiso n de ne pas res ter
toute seul e. L'enfant était douce et gentille. P ourqu oi ne pas la prendre en gré?
L es d ébuts furent donc relativement faciles . Au
bout de trois mois, qui, à huit ans, valent d es ann ées ,
No êlle commençait, sinon à oublier le pa ssé , du
moins à y songe r rarement; et Mme d e Boutreuil se
demandait sé n eusement si l'enfant ne lui tenait pas
de près, et ne jouait pas dans sa vie UD rôle tc'ut
naturel.
Toutes aeux rougirent d e joie le jour où, penda nt
que NOêlle essayait d es chau ss ures , le cord onni er
dit à Mm e d e Boutreuil :
,
ez , madame, votre petite demoiselle cf: au sse
- ~oy
très bi en ces so uli er s d éc ouve rts . Lady Harnn gton
a fait de mand er pour la s ienn e le ~ pareil s à ceux q li e
je vo us ofTre pour la vôtre. et elle en a été très
tontente.
�NoELLl!!
Ce fut à Paris seulem ent Que Mme de Boutrc rrl
connut les premièr es difcult~s
de son entrepr ise.
Il y eut d'abord la grimace de la femme de chambre; Mlle Ismérie , une antiqui té, comme Thoma s,
mais qui jC'ignait aux allures des domest iques d'autrefois nl>mbre de défauts modern es.
Elle trouva infiniment ridicule que madam e, sans
la consult er, eût changé l'ordre de son existen ce, et
fort désagré able de voir ainsi installe r une intruse
dans la pface qu'elle gardait férocem ent depuis des
années.
On compta it avec Ismérie .
Le silence du peuple est la leçon des rois.
Mme de Boutreu il se trouva gênée par celui d'Is:mérie, mais cette gêne lui prouva qu'elle avait eu
raison.
- Toute ~eul,
j'aurais fini par me laisser dominer, pensa-t-elle.
11 yeut ensuite l'étonne ment des amis, l'embar ras
de leur expliqu er la présenc e de Noëlle, sans traiter
le sujet à fond.
n y eut l'indisc rétion afTectueuse des bonass es, la
réserve choqué e. des pincés, la curiosit é brûlant e
des intrigan ts, les réflexions pointue s des malveillants, le malaise des routinie rs, les recomm anùatio ns
des officieux, les prédict ions sinistre s des pessimistes, les complim ents patelins des parasit es;
enfin, toutes les protesta tions, muettes ou bruyan tes,
que soulève toujour s un change ment quelcon que.
surtout parmi ceux qui n'ont rien à y voir.
~oële
fut regardé e, toisée, intervie wée. Les uns
)lassère nt à côté d'elle avec un dédain qu'elle vit, les
autres l:ac~bèrent
de questio ns adroite s avec une
J>llrbene mielleu se qu'elle devina.
Unt: seule per onne sut se montre r naturel le, pru1ente., t:0n.e"d,iscr~
et. bi~nve,lat.'
parce. qu'~le
~'avlt
a S?llstalre ni ClllïO Ité, ni ambitio n. nt halOe.
',li jalousie , ,Ii intérêt:
'.11
Ce fut Mme d'Haute cour.
Celle-ci avait ÙU l'cst.; l'expéri ence des positio ns
�N'O~LE
musses, sachant être dignement, à la lOIS, jeune ct
vieille, riche et pauvI'c, boul'geoise ct a.rnd~
dame
;'umble et llère.
.
Bien des femmes, qu'on trouvait ou qUI se trou"aient taules j unes, auraient envié la grâce et la'
traicheur de sos trente-cinq ans. Mais son voile d(l
veuve et l'abnégation austère de son rôle maternel, li[
mettaient déjà au rang des matrones.
Elle avait un fils unique, Gérard, seul héritier d'uII
grand-pèl'e extrêmement riche et très âgé. Ce grand·
père, le vieux mar<tuis J'Hautecour, égolste et parcimonieux, n'avait lamai voulu Connaître, encore
moins assister, sa belle-fille et son petit-fils.
La cause ou le prétexte de cet abandon était la
mésalliance commise par son fils. Se mésallier, c'est
épousel' une femme sans fortune, à l'éPoque présente
où le rêve de tout gentilhomme qui sc respecte est
de devenir le.gendre d'un banqu ier ou d'uo industriel.
Nul doute que, si le comte d'Hautecour sc fût Conlormé à ce programme, son père n'eût laissé de ,~Né
les vieilles traditions nobiliaires de leur race; maIs
Mme d'Hautecour n't!tant que la fille d'un peintre de
talent, toute la. famille de son mari, jusqu'au moindre
cousin, se déchaîna contre une union SI mal assortie.
Cet accueil était fait pour aignr la jeune femme et
lui inspirer des actes capables de justifier l'aversion
qu'on lui témoignait.
Il n'en fut rien.
En épousant le comte d'Hautecour, elle prit toutes
les idées, tous les sentiments, et même quelques-uns
des préjugés de la caste où elle entrait. Elle finit par
trouver naturels et presque justes les déboires dont
on l'accablait, et chercha à se faire pardonner sor,
o.rigi!1e, à force de la démentir pat sa grâce, sa disttnctlOn, sa délicatesse.
Elle y serait peut-être arrivèe, si la mort de son
mari ne fCtt venue écarler d'elle tous ceux qui commençaient à s'en rapprocher,
.
Laissée dans une gêne qui est la misère pout .Ies
gens de sa dasse, la jeune veuvo eut toutes les fierté~
dignes de la noblesse pauvre, <:ln même temps qu,
les susceptibilités ombrageuses de la bourgeoisIe. '
Elle ne voulut rien demalider au père qui s'.:ztait
montré impitoyable pour son fils: et j tandi" ~lue
goutteux, souffreteux, mécontent de tout, pal'c~
qU'Il
t:tait mél:nntent de lui, 10 vieillard se rassasiait ~al1"
le mgimlril plaisir 4111
tUlIS
les. luxes
\JLlC
donne la
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'JI(O~L
rich esse. le crernier descend ant des d'Haute cour ne
subsista it que grâ.ce aux modest es économ ies léguées par son aleul matern el, le vieux peintre tant
déda igné.
Mme d'Haute cour avait appris à son fil s cet ait
hérolqu e de sauvega rder le s apparen ces qui est une
des conditi ons (ie la dignité chez les gens d'une haute
classe sans fortune.
Gérard savai t se passer du nécessa ire pour avoir
le superflu , cacher des inquiét udes poignan tes so us
un air sourian t et dégagé.
Il fréquen tait le meilleu r collège, et n'accep tait.
jamai s de ses camara des une politess e ou un bonbon
sans les rendre largeme nt.
L'appar tem.el1t que ~a mère et lui ocrupa ient, quar.
tier des Invaltd es, avaIt une entrée éléoant e, un salon
conven able, des chambr es minusculc";;, une cuisine
imperce ptible.
On y était très mal, mais les visiteur s ne pouvaie nt
le remarq uer: cela suffisait.
Person ne n'aurait pu deviner , non plus, les fatigues
physiqu es et m?rales gU'endu rait ce~t
jeune femme
élégant e et délicate . nen que pour Joindre !es deux
bouts.
_ Je mourra i peut-êt re à la peine, se disait-e lle
mais au moin s mon fils ne deviend ra pas un déclass é:
Courages~nt,
elle con.tinuait à cultiver ses
ancienn e s relatlOns et essayaI t de s'en créer de nouvelles, toujour s dans un monde très choisi.
_ Je veux que mon fils ait l'habitu de de la b:)!1 ne
compag nie dès son e~fanc.
Cela ne ~'acCJuiert
pas
ensuite . Je veux pouvol run Jour le maner, lui trouver
des protect eurs. .
Et elle s'en allaIt sounan te, la mort dans l'âme
babillan t ave~
cette grâce indiffér ente qui est le to~
des salons anstocr atIques , tout comme si elle n'eût
pas eu en tête d'autre souci que de prendre le thé
chez les autres ou de recevoi r le jeudi.
Mme de Boutreu il, alliée très éloignée et amie très
Jl1time des d'H~utecor,
ét~i.une
des rares personn es
qui compre nalcnt ~t adnyral ent cet hérolsm c.
Mme de Boutr~U1
~valt
hon'euT de la persécu tion"
et celle qu'on dmgeaLt contre la Jeune femme l'avait
·"u jours indg~e.
.
Elle lui témOign a une grande sympat hie à la mort
de M. d'Haute cour. La pauvre veuvc se se rait liée
volontie rs plus intimem ent av~c
une femme dont l'aie
�NoELLE
et le ca ra ctèl c, hll o frrai e nt un e pr0tecti o n, mais U1.
un e pe rSO l1ll e o ffi c ie use a va it r;l p l' 0 rt é à
~ P(JJ' hasaru
Mm c J 'Haut eco u r les pa ro les e nt c ndue
. dan s un sal on: « Mm e d'H aut eco ur cs t t ()u j u r ~ c h e .~
Mm e d e Boutreuil j il Y a lâ un b el h é rita
~e
p ou~
B éra rd . »
Fro issée clans un am our-prore q u'exc u sait le
malh eur, Mm e d'Ha ut ecour a vait peu à pe u es pacé
aut a nt qu e po ss ibl e ses vi s ites ch ez sa ri c he parente,
,qui, assez rech er chée ailleurs , le rema rquait à peine.
L'a rrivée cie Noëll e di ss ipa cc malai se . A pré e nt
qu 'o n ne pouvait p lu s lui prê tc r clesvues intéressé es ,
Mm e d'Hautecour r eprenait.s es a ncienn es habitud es
d'intimité.
Gérard, qui ve nait d'avoir treize an s , é tait un d es
gra nds favo ri s d e Mm e d e Bo utreui1. D'un e santé
d élicat e , il aimait l es di straction s pai s ibl es ct se
trouvait fort à l'a ise dans cet int én euI' tranquill e ,
entre sa vi e ill e ami e et N oëlle qui lui in s pira tout de
Suit e un e affe ction enth çu s ias te .
Deu x a ns aupa ravant, Mm e d 'Ilaut ecouravait pe rdu
Un e c harmante petite fill e d e neuf a ns , et Gérar d
épro uva d e cett e mo rt un d éses poir t el, qu' on craignit po ur sa vie. D epuis , il é tai t res té mélancolique,
langui ssant, ne p renant p!u s ci e plai sir au x jeux qu'iJ
avait pa rtagés avec sa petIte sœ ur, parlant d 'ell e sans
cesse et n e voula nt se li er avec aucun autre enfant de
Son âge .
La premi ère lois qu'il vit No e ll e :
- Maman, dit-il à sa m èr e, comm e ell e ress emble
;, Cl o tild e !
. L'age , la coul eur d es y eux et d es ch eveux, peutett e au ss i qu elqu e chose dans les mani (; res ct le son
ci e la vo ix, établi ss ai ent seuls cett e r esse mblance,
surfi sant e ce pe ndant pour qu e Mme d'Hautecour
!'elit égal e me nt re marqu ée .
Ell e n'e n fut po int afnigée, comme plu s d'une mère
Pelit été il s a place . C'étaIt LIll e Ge c es ames sans
am ertum e qUi save nt s e montrer d ouces, m ême enve rs
le mal he u l', et q u'o n appell e résignées.
A la m ort de sa chère petit e fill e, comme é. ~ ~le
de so n ma ri, c li c avait é prouvé L1n e d e ces d o ul eurs
qui bri oe nt le ca.: ur tout e nti e r et qu e le t emps mè<ne
ne peut al)a ise r.
é ~
Ell e serait Ce rta in e me nt mort e ~ i U11 devoir Imp
fi eux Ile 1\: lI1 oh li gée cl vivre . M a is si cli c cl)J1 tJ1luait
,Il dunn.;j' à sa t a~ he te.-relOtru ~ut
';11 Clu'~Hô
avait d.
)!lur,
�NotLLE
temps, <;l'énergie et de force, s~ln
~œL1r.
était ~vec
ses
zhers disparu s et ne les oubhalt laman; un II1stant.
Elle croyait honore r leur mémoir e en traversa nt avec
Mrénité la distanc e qui la séparai t encore d'eux.
~: L'émoti on qu'elle eut en passant la main dans les
boucles blondes de NOêlle ne lui fit pas de mal, et
elle fut reconna issante a l'enfant de rappele r vaguement la chère image qu'elle avait sans cesse devant
les yeux.
Lorsqu 'elle vit Gérard jouer avec la petite fille, et
reprend re les amusem ents tranqui lles délaissé s par
les f?arçons de son age et conven ant seuls à sa santé
fragile, elle n'éprou va pas de jalousie et le la~s
continu er cette camara derie qui lui faisait du bien.
Il ne lui restait que cet enfant; et elle éprouva it
pour sa vie une inquiét ude incessantp. et passion née.
trop justifiée par tant de malheu rs.
Gérard était du reste un charma nt petit garçon que
sa faiblesse même rendait encore plus intéress ant. Il
avait des traits agréabl es et des yeux magnifi ques,
bien que sa vue, très basse, en altérât un pou l'ex·
pressio n. Il était plutôt élégant que beau, plutôt dis·
tingué qu'intel ligent, peut-êt re plutôt doux que bon,
La personn alitl lui manqua it; on définiss ait avec
peine sa üature, simple reflet de celle de sa mère. Il
ne voyait, ne pensait , ne vivait que par elle. Il savait
ce qu'elle eût fait ou conseil lé dans les circons ·
tances ordinai res el s'y conform ait exactem ent; dans
les cas imprévu s, il la regarda it et lisait sur son
visage le parti qu'il devait prendre .
Mme d'HautecqUf était à la fois fière et inquièt e de
cette adoratio n .
- Que ferait-il, si je venais à lui manque r, se
dIsait-elle parfois, lui qui ne juge rien par lui-même 1...
ou si une influen ce remplaç ait la mienne . Elever
les enfants , ce n'est pas les conduir e seulem ent:
j;'est surtout leur appren dre a se conduir e.
Jamais rien n'avait détourn é Gérard de cette con·
fiance absolue .
Il nese laissa ~ê,.-e
aler~s
symI:at hie pour l'loelle,
que quand sa ~\,;re
l'eut bien et düment approu vér.
En quelque s Jours, Mme d'rraute cour aV;Ht remar·
qué la gentille sse de l'enrant , la bonté déjàl laternel le
avec laquelle elle surveillait son petit ami, 1'empé.
chait de se fatiguer, s'appliq uait ~l le distrair e.
Dan'i l'élat de santé et d'esprit de G6ra,n.\,une tt:lle
IiJ.'numderic était
inflP!)r~ca,\:.
~
�NOËLLk
Ce fnt en grande partie à cause de lui que!
Mme d'Hautecour accepta d'aller passer quelques
semaines à Trouville où Mme de Boutreuil s'étail'
mstallée pour l'été.
Les enfants en rapportèrent de délicieux souvemrs.
Dans tous les épisodes de la vie en plein air,
Mme d'Hautecour, qui ne perdait guère son fils de
l'ue, avait pu, du même coup d'œil, juger 50n insé~
parable.
'
•
Il n'était-..,as très brave, le pauvre Gérard, et Noëlle,
née intrépide, rougissait un peu de cette faiblesse
chez son chevalier, qu'elle tâchait d'aguerrir, tout
en lUI laissant le beau rôle, indispensable à la vanité
masculine. Elle employait pour cela des ruses
inoules. Ainsi, Gérard avait très peur de tous les
animaux, et pour l'empêcher de s'enfuir honteusement à la vue d'un chien, d'un chat, Ol! même d'un
insecte peu redoutable, elle affectait elle-même une
grande frayeur, et le rendait très fier et un peu vaillant, en réclamant sa protection. Le jour où Gérard,
enivré de ses éloges, captura un terrible ~.abe,
commença la guérison de sa poltronnerie.
. Par exemple, si le danger avait une appal tnce do
réalité, Noëlle changeait vite de rôle, et déployait une
prudence sagace qui émerveilla.it Mme d'Hautecour.
- Te ne suis jamais inquiète de mon fils quand il
est avec NOëlle, finit-elle par dire. C'est <iéjâ une.
vraie femme . Elle a l'instinct maternel . .
Mme de Boutreuil saisit ces paroles au passagê.
Après tant de blilmes ouvertement ou indirectement
émis, un éloge lui semblait doux, et celui de
Mme d'Hautecour avait du poids.
- Alors, vous trouvez que j'ai bien fait de me
donner celte peti te compagne?
- Elle est charmante, répondit lentement et évasivement Mme d'Hautecour.
- J'étais si seule, si triste 1 Rien ne remplace un
enfantf Et puis, je ferai son bon heur; je l'élève
Comme ma fille, je la doterai si elle continue it me
satisfaire, je lui donnerai mon nom ut' iour.
- Comment s'appelle-t-elle ?
Mme de Boutreuil n'avait pas préYu L:t::tte question
directe: elle rougit 16gèrement, ct Mme d'IIautecour,
s'apercevant de son IIldiscré1ion, rougit à son tour.
- Elle s'appelle ~; ~ ~le
Dreck, rGpondit enfit:
Mme de Boutrellil, après un instant de réflexion.
Et, comme f" .111 11I1lie, lin peu f;mbarrassoe. !iI(I
�NO ELLE
,1aisait, elle continu a avec effort. comme se croyan~
obligée de donner les exphcatLons qu'on ne IUl
àemand ait pas:
- La pauvre petite est orpheli ne.
Un instant, la pensée lui vint de se confier ~
Mme d'Haute cour, et de lui dire franche ment ce qUI
en était; mais elle s'arrêta prudem ment devant c tte
maxime dont elle avait souvent expérim enté la 7
JUstesse. « Une confide nce ne se rattrape pas; il vaut
mieux n'en pas dIre assez que d'en dire trop. »
Et elle conclu t:
_ Noëlle apparti ent à une famille très honora ble,
qui a eu de grands revers de fortune : j'ai voulu
réparer l'iniqui té du sort.
_ Des parents pauvres dont on n'avait jamais
parlé ... se dit Mme d'Haute cour.
VI
Mme de Boutreu il ne retourn a pas à Pau l'hiver
suivant , qui fut consacr é à l'éducatIOn de Noëlle.
La mère adoptiv e s'occup ait avec délices de ces
nouvea ux détails.
Elle choisit les profess eurs les plus réputés , les
cours les plus à la mode, où elle se trouva toute
fière de conduir e sa jolie petite fille, toujour s habillée
avec un goût simple et irréproc hable.
Le plaisir de faire ressorti r la grâce et l'élégan ce
naturell es de l'enfant avait remplac é chez Mme de
Boutre uilla coquett erie personn elle.
- C'est si ennuye ux d'essay er de se faire belle
quc:.nd on est vieille 1 disait-e lle avec une convict ion
nalve et doulour euse, et c'est si amusan t de rendre
cette pet~
encore p.lus jolie 1 ajoutait-elle con~lée.
MaIS SI Noëlle obtlOt au cours ses succès habitue ls
,je charme et je beauté, elle se trouva au dernieI
rang quand Il ~'agit
de science .
.
Son. IOstruction premièr e, plus que né8ligée, la
lI1ettalt en retard sur tous les autres enfants même
.bien plus jeune, qu'ellc, et Mme de Bl)ure~i
qui,
laute de compar aison, n'avait pas remarqué: Cdl\!
\~orance,
s'en trouva fott humIliée.
�NoELLE
57
'Pour comble de malheur, Nllclle lle se mil pas en
devoir de rattraper le temp~
perdu.
Son intelligence, si étonnamment dévcloPl-'ée cf!!
tout cc qui touchait aux choses de la vie. était abso~
lument rebelle à llétude.
Remontrances de sa mère adoptive, gronderïes de
ses professeurs, moqueries de ses condisciples,
bonne volonté énergique de sa part, rien n'y nt.
Dès qu'il s'agissait d'apprendre, NOëlie avait la tête
dure, l'esprit confus, la mémoire paresseuse. L'écriLure la désespérait, la grammaire, la grammaire surtout, fut sa terreur.
Elle, qui parlait correctement, montra pour l'orthographe une antipathie telle, que sa mère adoptive se
prit à douter qu'une réconciliation [ùt jamais possible.
- A quel àge Gérard a-t-il commencé à écrire sans
faire de ces fau tes énormes r demanda Mme de Boutreuil à Mme d'Hautecour.
- Il n'a presq lie jamais fUlt de fautes, répondit
orgueilleusement celle-ci, il avait l'orthographe naturelle.
Pour la fille du père Dreck, qui n'avait pas l'orthographe naturelle, cette année scola ire fut une année
de supplice.
- Mademoiselle a été dernière, annonçait régulièrement tous les samedis avec une compassIOn
hypocrite, la femme de chambre Ismérie, que Mme de
Boutreuil envoyait à sa place chercher Noë:lle au
Cours, chaque fois que :-evenait le jour fatal.
Oh, les samedis 1
NOëlle pleurait tellement que ses yeux en étaient
rouges pour jusC]u'au dimanche aprt:s vêpres, moment
auquel il fallait se consoler, car Gérard venait régulièrement à celle heure.
Elle versait encore quelques larmes en lui raconta!lt ses déboires; puis il lUI promettait que tout irait
mieux la sema in e prochaine: elle recommençait à
3.ourire en prendnt pour le lendemain des résolutlO.ns hérolques, ct tout allait bien jusqu'au samedi
SUivant.
Cepena:-.ot une fois, dès le jeudi, Mme de Bou.
treuil, qui venait la prendre au cours, la trouva san·
glotant, bouleversée, tellement hors d'elle-même
qu'elle en fut effrayée.
- Elle s'est disputée, JI! crois, avec une de ses
petites compagnes- expliqua la maltresse furt agitée ~
�l'J"Or:LLE
,'ptaIS absente ... le n'ai pu c\."Jll'l"endl'e cc ~!lji
s'e~
pass é ... je regrette beaul:ou lJ, madam e ..,
({ Un peu d'cau de lleur d'orang er!. ..
,! Mme de Boutreu ll avait pris Noëlle sur ses
genoux
<\t la questio nnait doucem ent sans pouvoir obteni:
d'autre réponse que les longs sanglot s qui secouain~
le corps de l'enfant .
- Calme-t oi, ma ohérie. Tu as encore eu une
mauvai se place ... Cela ne fait rien: je sais que ce
n'est pas ta faute.
- Au contrair e, reprit ~vec
empres sement lu
maltres se, qui craigna it fort de perdre une élève,
madem oiselle a très bien travaillé aujourd 'hui; elle a
eu un bon point.
Oublié et dédaign é, le bon point, qu'un autre jour
Noëlle e~t
brandi avec tant de triomph e, gisait sur
son pupitre .
- Allons, viens, dit Mme de Boutreu il, alarmée
des convuls ions qui agitaien t l'enfant et la portant presque jUS(:u'à la voiture 1 nous allons tout
arrange r.
({ Comme je ~uis
content e que ma petite fille ait un
bon point.
Crampo nnée au cou de sa mère adoptiv e, NOëlle
pleurai t plus doucem ent.
- Voyons , expliqu e-moï, je ne te gronder ai pas ...
tu ne dois rien me cacher; je veux savoir ...
A cet appel fait à sa franchis e et à son obéissa nce,
Noëlle n'hésita pas à répondr e, et, tout bas, la voix
entreco upée de pleurs, raconta sa petite histoire ,:
- On a changé de salle, et puis madam e a voui'
qu'on écrive le nom de chacun sur son pupitre ... et
puis, Mlle Claire, la sous-m aîtresse , qui est très
bonne, a écrit le mien en ronde sur du papier rose
pour me faire plaisir ...
Noëlle fondit en larmes.
- Et puis, Nancy Gerbot l'a lu ... et alors ... - 01,.
qu'elle est mé~hantel.
.. N'est-ce pas que je ne suit)
pas une mendia nte?
- Non .",~
.;na chérie, mais )e ne compre nds
pa~
...
- Elle est iT\1:!chante, Nancy Gerbot , me\.:lIdnle,
Inéchan te, mécllan te, reprit Noëlle avec une furcul
qui calma son désespo ir. Je ne lui disais rien, moi!
Et ct uand Mlle Claire a été partie, elle a pris le
papier, et elle m'a dit: « Pourqu oI a-t-on mis: « Noelle
Ile .604treui~
». J'~i
dit; « Je n.e s~i
pas ... Peu.t-~r
�N'otLLE
li cause de ma tante
». Elle m'a dit: «Tu ne t'appelles
pas de Boutreuil, toi, tu ne t'appelles rien du tout 1 ~
Je lui ai dit: « Si », elle m'a dit « Non ». Et puis, elle
fi dit: « Tu n'as ni papa ni maman, tu es une petite
".'endiante qu'on a ramassée dans la rue. On me l'?
iiit ». Je lui ai dit: « Tu es une menteuse. » Elle m'a
dit: «C'est toi qui en es une ». Et puis, elle a répété:
« Mendiante, mendiante, mendiante ». Et puis j'ai
pleuré. Madame est venue et a demandé ce que
J'avais; je n'ai pas dit. Et les autres petites filles ont.
entendu, et il y en a deux qui ont ri, et une autre a
dit à Nancy: « Tais-toi, tu es une vilaine, » et Nancy
a dit: « Si, c'est une mendiante, c'est pour cela
qu'elle ne sait pas même écrire... • et je ne veux
plus retourner au cours, jamais, jamais 1
Noëlle cachait sa tête dans le manteau de fourrure
de sa tante, et celle-ci, émue par cette douleur si
vraie, couvrait de caresses ses cheveux blonds, lui
expliquait que Nancy Gerbot était une vilaine petite
fille, que person.ne ne l'avait crue, que les jaloux
disent tous les jours de ces grosses sottises, mais
qu'on ne les écoute jamais, et que si elle aimait mieux
aller à un autre co~'s,
elle iratt certainement.
L'impression nerveuse avait été si forte, que Noëlle
eut la fièvre le lendemain, et resta plusieurs jours
triste, pàle et abattue.
Elle songeait à son passé, et sentait vaguement
qu'il pouvait encore la poursuivre; elle n'avait plus
la qUIétude qui fait le bon heur. Cette mélancolie fut
lente à se dissiper et Mme de Boutreuil, voyant l'enfant si sensible, et redoutant pour elle de nouveaux
froissements, résolut de lui faIre jJrendre des leçons
particulières.
Ce système réussit mieux, et Noëlle nt lentement
ùe légers progrès.
.
Mais malgré l'indulgence qu'inspirait un'e élève si
docile et si appltquéè, chaque professeur, sauf Ir:
mailre de piano, dut constater son peu d'aptitude.
- C'est une fille; elle n'aura pas d'examens à
passer, disait Mme d'Hautecour qui, plus expérimentée que son amie, voyait les efforts et l'impuis·!
sance de Noëlle; peu à peu elle en apprendra ase~
pour que son tact et sa grâce puissent suppléer à la
science qui manquera. Bien des femmes du monde
s'en tirent r Olnme cela. Elle est mu s icienn p , P.t c'est
le principal.
Gérard enC:llurageait aUSSl da snn mieux sa petite
�60
NO~LE
amic, sans ré" ,,,,,!r cepend ant au piaisir, tout m::tscu..
Jin, dc ,l'éboui~
.de sa l?ropr,e su périorit é.
, - Situ savais, lUI dlsalt-Ll, tout ce qu'on appren d
au collège : le latin 1 le grec 1 les mathém atiques , en
attenda nt l'algèbr e, la chimie, que sais-je'
La pauvre NOëlie l'écouta it, pleine de respect , et
Ile pouvait se rassasie r d'admir er la condes cendan ce
jl.vec laquelle il daignai t s'abaiss er à jouer avec elle
au volant, à 1-- balle, voire même à servir de père à
sa poupée .
Il se fortifiai t, il grandis sait, et sa mère parlait de
le mettre comme interne à Stanisla s à la rentrée
prochai ne.
- Il a besoin de vivre avec d'autrcs garçons de
son âge;, il est trop doI.:x. Si je le gardais' avec moi,
j'en feraiS une pehte fille, disait Mme d'Hautc cour,
ne trouvan t que dans son amour désinté ressé la
force d'envisa ger ur.c séparat ion.
En atten lant, Noëlle et Gérard , profitan t de Icur
reste, jouissai ent dcs dernier s jours d'intimi té. Et,
chose étrange , tout étroite qu'était cette intimité ,
jamais un mot n'avait été c',it par aucun des deux, du
tcmps qui avait précédé l'entrée de Noëlle chez
Mme dc Boutrcu il.
- Il rait jol imcnt froid cet hiver; tu doi bien
rcprette r Pau, ava:t observé une fois le petit garçon.
~
Oh,
n'ai pas peur du froid. Il ya bièn plus
de neige ans mon pays qu'ici, rGpond it Noëllc.
Il ne' releva pas cette allusion . Il avait appri, d'instinct la discréti on à l'école dc sa mère, ct se trouvait
trop heureux auprès dc ~a petitc amic pour soulcve r
aUCLll1e oer\sc.:;e qui eût )!U trouble r leur satisfac tion.
d'c
VII
.
L'annee d'après , Noë;llc tlt sa premièr e commu nion.
Mmc de Boutrcu il "css enlit IOUS lcs attcndr isseme,nts, t(,utcs I, ~ s ioies d'une vraie mère: elle l'était
d~vcnu.
il pré:-: t, el ~a
tcndres se pour Noêlle SE'
de~ag31t
pcu à pcu de l'égot :ime qui l'avait cll!1 cnd1'l'c. !,lIe eut cepcnd ant Ull mouvt.:lTIt.:nl dt.: Jalou s ie
e. -Ic t;oI)tl'ariGt(;, Il)r~(C.
Wl.!lS la scmall1 c qui pré-
�NOËLLE
céda le grand jGur, NoëLIe, l'entourant de ses bras!.
\li dit tout doucement:
. - Tante chérie, je vous demande une grâce; je
\'oudrais inviter â ma premii:re communion l'oncle'
Baue~
.
Mme de Boutreuil avait cru ce souvenir eteint
,;omme les autres dans le cœur qu'elle voulait acca\')arer.
Deux ou trois fois, à regret, elle avait fait écrire él
fenfant des lettres qui étaient restées sans réponse.
L'oncle Bauer avait oublié sa petite nii:ce. Voilà qui
facilitait les choses et dispensait de devoirs ennuyeux.
Mme de Boutreuil, que la proposition de N0611e
surprit désagréablement, se dit: « il ne répondra
pas », et accorda, avec moins de mérite qu'elle ne
parut en avoir, la permission demandée,
Noëlle obéissait-elle à un dernier reste des affections d'enfance, au besoin de vok aupri:!s d'elle un
parent, dans r.e jour où les autres enfants se trouveraient entourés de toute leur famille, ou seulement à un scrupule survenu pendant la retraite. 2
propos de ses devoirs envers son oncle? Quoi qu'Il
en fût, elle ne parut pas désappointée en ne recevant
aucune répnnse du docteu~
Le mati" je la cérémonie qUi devait avoir li eu <\
Saint-Philippe-du-Roule, paroIsse de Mme de Boutreuil, Noëlle était tout absorbée par ses émotion s
intérieures et par l'agitation de ceux qui l'entou raient.
Mme de Boutreuil avait les larmes aux yeux :
Mme d'Hautecour songeait à la joie qu'elle aurait
eue à voir sa chère petite fille sous ce loile blanc
qui attendrit tant les mi:!res. Les amis de la maison
offraient un souvenir; les domestiques pré~aient
le repas qui devait réunir une douzaine de personnes,
En entrant dans l'é~ise,
émue et recueillie, NOëllc
ne vit que l'autel, scmtillant de lumières, et suivit
machinalement la file des robes blanches <)\.l' \.a oré·
cédaient.
Elle était neureuse, mais elle 'wait envie oe i-~Leu·
-er. La m.esse fut tri:s belle, chantée par ja mc.]tlïse;
et les di . cours émouvants achevèrent de r"muc r
l'âme de la petite fllle. On recommandait aux enf"llto{je prier pour leur famille, et elle se demantlait si ce
devoir était fait pOUl' elle, comme pour les autres.
Elle n'était pas comme les autres. Ce sentiment,
.1ui la g6nait à chaque inst~
cie ~" vie, ven"it encore
l'op~)r(!se
à ce l:loment-la
�NO~LE
Son l'ère 1 ce nom, si doux ame enfants , êvoqua lt
pour eHe la figure repouss ante de Dreck plongé dans
l'abruti ssemen t de l'ivress e; le souven ir de son enJance misérab le, des coups et des injures que. lui
prodigu aient l'ivrogne et sa femme;. de la m.alson
glacée, ouverte à tous les vents, plelDe de cns, de
dispute s, de reproch es, de jurons grossie rs; de la
faim du froid, de l'aband on, de la haine; de ce der~
nier 'marcha ndage où on l'avait vendue ! oui, vendue
à sa bienfai trice!
Elle frissonn a.
Plus la vision s'éloign ait, plus elle lui sembla it
horribl e, monstr ueusè, presque invraise mblable .
L'enfan t chérie de Mme de Boutreu il était-ell e
cette même petite fille en haillons , grelotta nt de froid
et de peur dans un taudis dont l'image la poursui vait
sans cesse?
_ Remerc iez Dieu des gràces qu'il vous a faites
ju.s qu'ici, mes chers enfants , .disait le prédica teur, et
de celles qu'il vous accorde en ce jour. Priez-le de
vous en rendre dignes et de ne jamais vous les laisser oublier .
La tête de Noelle s'ablma dans ses mains. Du fond
d·u cœur, elle bénit Dieu de l'avoir tirée de cet enfer,
et lui promit d'être reconna issante envers; lui et
envers ses bienfait eurs.
Qu'avait-elle fait pour mériter tant de faveurs ? Elle
se reproch a le sentime nt pénible d'inféri orité,
Qu'elle éprouva it, et qui dispara issait à ce momen t.
- Nous somme s tous égaux devant Dieu, pensait elle.
Et, tout en priant du fond du cœur pour Mme dl"
Boutreu il, Gérard, Mme d'Hautecour, tous ceux qui
lui faisaien t la vle si douce, son cœur trop plein débordait de compas sion, de pardon , de tendres se envers
' ce~x
qui l:avi~nt
fait soufTrir, envers ceux qui
étalen'l: mOl11s favonsé s qu'elle, envers l'human lte
tout entière ...
Le prédica teur s'était tu.
Au sermon succéda it le dernier cantiqu e chant~
par les el.1fants: I~uis,
l'officiant murmu ra ]e conji.
teor ... p:I.11 S, plu s J'len ..
Et dans le silence qui régnai! au dedans et autour
d'elle,. No~l1e
n'enten dit plus que la voix de Dieu qui
remnhssD,l j'oule son ilme.
�VIII
Elle n'était pas encore rentrée en pos5cssion d'elll.,
même, que déjà se levant l'une après l'autre, avec un
frôlement de mousseline qui ressemblait à un bruit
d'ailes, ses compagnes qUlttaient leurs placej.} et reformaient Imtement la procession, guidées par les
,'eligieuses qui allaient ct venaient, rallumant les
.tierges engUIrlandés de roses blanches. Elle reprit
Bon rang la tête baissée, continuant sa prière en traversant 'l'église, ne s'apercevant pas des regards qui
la suivaient, sans remarquer Mme de Boutreuil qui
essaya cl'attirer son attention au passage .
A la sortie de l'église, lll1 groupe compact de parents, d'amis, de cousins, arrêta les premiers communiants qui se dispersèrent, chacun cherchant cles
yeux ceux qui l'attendaient,
On encombrait la place, malgré un faible « ci rculez. des sergents de ville, qui savaient ces réunions
sans danger.
Sans savoir comment, Noêlle se trou" •. serrée dans
les bras de Mme de Boutreuil et accablée de tenclres
questions .
Les groupes s'ollvraient péniblement, car chacun
était trop absorbé par ses wopres émotions pour
s'occuper de son prochain . fout à coup, une main
se posa sur l'épaule de NOëlle, qui se reto:.Jrna vivement.
- Qu'est-cc que tu fais? demanda Mme de Bout reuil (dont cette secousse fit tomber le lorgnon) et
qui regarda autour d'elle pour se rendre compte de
ce qui se passait,
Noëlle avait quitté sa main, et reconnaissant ~elL
qui avait attiré son attention:
- Oncle Bauer 1 s'ét~;l-eJ
écriée, en se jetant au
~u
du docteur.
M. Bauer était toujours Je même, aussi tranquilll:.
au milieu de la cohue parisienne que clans son vil·
lage et embrassant NOêlle, avec autant c1p odme que
rI! l'avait vue la veille.
- Eh bien , quoi J tu m'as demandw uc ·\"e nir à III
~)rcmèe
communilJl1, Je ne pO-":'ia~
~"s
refuser. ç,
�.-40ELLE
ne revient pa :; deux lOIS da ns la vie, ce j O lr~à.
Mal!.!,!'':: les so uvenir s d '::sagréa b les que ra pp ela It él
:.-tme J e Bou treuil la prése nce du d oc te ur Baue r, la
,11ère ad opti ve de N o~ lI e fut sen sible à cett e p reuve
J'affec ti on do nn ée il sa fille .
Le carac tère d e M. Bauer l L~ C' vait d u r este Insp iré
Il ne es time qui s urpa ssait son éloigne ment instinct it
po ur l' ex.térieu r et les faço ns du méd ecin de cam·
·. . c:~
n
e
.
:Elle lui tendit la main sans effort, avec quelqu es
paroles gracieu ses auxqu ell es le d octeur ré pondit
pa r un salut gau che et un grognem ent e,mbarr assé.
_ J e vo us emmèn e, d octeur: vous dé jeun ez avec
nous.
_ Vous avez d u m onde? demand a-t-il brusqu ement.
_ Non, quelqu es ami s se ulemen t.
_ Alors, je vo us rem ercie ; j'irai vous voir après
vêp res
Et to urnant les talons, il di sparut dan s la foule .
Mme de Boutreuil eut la satisfacti on de quelqu 'un
q ui a vo ulu faire un noble sacrific e, et qui s'en
trouve di s pensé .
Noëll e regretta le départ de son oncle el: fut un
peu triste pendan t le d éjeun er.
_ Est-ce qu e tu es fati guée? lui d emanda Gérard .
pl acé à cOté d'elle à tabl e.
_ No n; je s uis fac hée parce que mon oncle n'a
pas vo ulu venir ... il était il la mess e.
Gérard fut très intri gué par cette confide nce, et ne
put s'empêc h er d e dire :
_ Il ne vient pas souvent te voir, ton oncle ?
- Oh n on; il de meure très loin; èt puis il est
occ upé : il est médeci n .
'
- C' est cela ! u ne bran ch e déchue d e la famille
qu i s'es t vo uée au x profess ions Ilibérale s , se dit
Mme d'Haute cour, quand Gérard lui eut raconté
cette co nve rsati on.
L'o ncle Baner vint ch ez Mme de BOlltr'!u il entre
: hi en ct loup .
~
Il so nna di sc rètemen t et se gli ssa d ans II: sa\on.
' ~s t~n
dans l'ombre , comme qu elqu'un qui ve ut se
.Il ss lmuler. Il ne pronon ça pas un mot tant qu'un
-J omesti q ue fut il portée d e le vo ir ou d~ l'entend re,
et ce ne fut q u'un e fois les portes bi en referm ées e'..
en tête à tête avec Mme de Boutreu il, qu'il ouvrit Ir.
~o " ç h e . Noëll e n'''lllit pns en co re d escen due de sa
l
�chambre oLt elle avait ét6
S0
reposer, en attendant
l'arrivé e de son oncle.
Le uocleur avait prol1lenê autour de lui son regard
scrutate ur, notant, avec plus de fines1> 1 qu'on n'en
aurait pu attendr d'un rustiqu e, la : 'chesse de
l'ameub lement, l'élégan ce des bibelots , le charme ('~
~et
intérieu r paisible et distingu é.
- Eh bien! madam e, demand a-t-il, entrant brusquemen t en f?àtière , êtes-vo us satisfai te du parti qu~
~
vous avez pns ?
- Plus que satisfai te, docteur : indicib lement
beureus e 1
Il poussa un soupir de soulage ment.
- Alors, l'enfant est heureus e aussi; car. en ces
sortes d'affaire s, sil'on est content d'un côté, on l'est
égalem ent de l'autre.
- Je l'espére : du moins, je n'ai travaillé qu'à
cel a ... Mais vous allez la revoir ...
- Oh, un coup d'œil m'a suffi pour cela ce matin.
Elle a arandi, elle a bonne mine ..
- Vous voyez donc, docteur , que vous avez bie1\
fait de m'aider .
~ Pour le momen t, il me le semble , mais atten lon:l
la fin. En tout cas, la pauvre petite a échapp é à bie'l
des misères . Le père Dreck en est presque au de/~
riu1Jt tremens.
- Si cette famille a besoin de secours ...
- Merci, madam e; mais ce n'est pas à vous d'en
donner . On abusera it trop facilem ent. Je dois dire
pourtan t que Dreck, malgré ses défauts , malgré l'état dans leq uel il est tombé, a conserv é un sentime nt
qui étonne chez un être aussi dégradé : il ne veut
pas qu'on l'accuse d'avoir vendu sa fille, et ne veué
retirer aucun profit personn el de vos bontés. « Elle
est parti.:; elle n'cst plus à nous, je défends -qu'on
s'occup e d'clle, » répond- il à sa femme, toujour s la
még0re que vous con naissez .
q Il a rai on : No(!lle est sortie de notre
famIlle, cre
notre classe; ct la seule preuve d'arrect iou que n ' Cru~
puissio ns encore lui donner , c'est de ne ras venir
trouble r sr\1 ex i tence où nou ne pouvon s être
qu'une gêne et qu'un danger. C'esl pOlrqu~i
je n'ai
pas r(jpondu à ses lottres: Je me promet tais de nQ
Jlus la rLvoir.
, - Vou s êtes injuste, ct pour elle, el pour vous, et
pour moi, car vous ête~
le seul qui n'ayez perdu au..
cun titre à son respecl .
�66
Nol!LLm
_ TaraTèLlh J je suis un paysan, CI elle est un~
demoiselle. Qu'est-cc qu'clIc pCut faire d'un ~u s trè
çomme mo; ? A présent, je trouve que j'aurais mie\.!~
(tni en ne venant pas. Mais de loin, on sc fait des
illées ; je n'étais [Jas fàché de vdir une fois par mes
,yeux qu'elle était contente, "our être sCir de hlen
Jaire en ne m'en occupant 1 as:Et puis, j'6tais inquiet
de sa santé.
- Oh, sa santé est excellente, dit Mme de Houlreuil, pressée d'arrêter sur les lèvres du docteur
·jes prédictions funè:brcs qu'elle savait sans fonde·
ment, mais qui sont toujours désagréables quanCl
eIJes touchent à un être cher.
Et elle continua avec empressement:
- Pouvez-vous me dor\ner des nouvelles des
Dambry? Voilà u:: temps infini que je n'en ai eu .
Le saint-cyri.en n'a pas mis les pieds chez moi. pen:
dant sa dernière année il l'Eèole, <,'. c'est à peine Si
ma filleule m'écrit au premier dr j'an la lettre tradiionnelle:
« C'est avec bonheur que Je vois arriver cè beau
,our », etc. Ils me boude:1t.
Un sourire fi n plissa les I\:vres du docteur.
- Mes actions sont également en haisse, et, sauf
Mlle Marguerite que je rencontre au chevet de tous
mes pauvres malades, je ne vois pl us guère que de
loin toute la famille. La -dernière fois que j'ai aperçu
Mme Dambry, elle m'a semblé vieillie ( elle à l'air
fatigué, comme une personne qui a du souci. Son
aîné ne donne gùère de satisfaction.
- Ce grand benêt de Joseph?
- Il est en garnison à Lyon, et fait toutes sortes
de !oHises. U Joue un jeu d'enfer, sc lai sse plumer
par les usuners, ct Mme Dambry commence à avoir
~1e
la pei ne à payer.
«PaL'vre femme qv, aVêit géré cette fortune al'r:.:
tant d'onlre, d'é.::onomie, de dévouemenll
~
Et Pred?
.-: Fred ne fait encore que manquer ses examens,
MaiS, par exemple, il les rate tous. Ces garçon!:
n'ont pas d'int?lJigcnce; ils tiennent de leur pè:rc, ct
.'lvec cela, une lOdépendance, un entêtement 1. .. tout
COll1me la mère.
- Et les filles?
- Oh 1 les filles, <;n,,,".antes; surtout 1'a1116c.
- 1'.11" ne sc marie pUlS?
- Non; même on parJ~cle
couvc.Qt; <;'estlà un de~
�NOËLT.l:.
chagl'n a de Mme Dambry , d.it-on: l..lr elle .n~
fail
part à personn e de ses ennUIs. Jusqu'a u [fiSC quO
ne veut pas grandir 1
- Pauvre famille que j'avais vu~
si ,florissa ntet
C'est à cause de toutes ces préoccu pations qUIl
Mme Dambry ne m'écri~
plus. Elle est très fi~re
..
Le docteur sourit dereche f, mais l'entrée de Noëllt
interrom pit les connde nces. Elle avait été retenu(t
par Mlle Ismérie qui la recoiffa it, déchiffo nnait 511
rt)be, et l'entour ait de soins inusités . La femme do
chambr e, avec cet à-propo s spécial aux domest iques,
s'était trouvée à la fenêtre, juste au momt.:nt où le
docteur Bauer descend ait de voiture dans la cour de
l'hôtel. Ce premie r coup d'œil, et un second qu'elle
jeta sur le visiteur , de derrière une portii;re de l'an.
tichamb re, avaient suffi à Mlle Istnérie pour acquérir plusieu rs certitud es et former de nombre uses
suppos itions.
- Ça arrive de provinc e, (le la campag ne, ça n'est
lamais entré ici, et pourtan t ça a des droits à l'inti·
mité, puisque madam e le reçoit dans un jour comme
~elui-c
et qu'elle f<lit demand er la petite. C'est quel:ju'un qu'on ne Vé.:t pas montre r, puisqu' on ne l'a
?étS inVité au déjeune r. .. qui sait si ce n'est pas
un
parent de l'enfant !. .. son pi:re peut-êtr e 1
Depuis trois années que Mlle Ismérie chercha it à
pénétre r le my tl.:re qui entoura it l'origin e de NOëlle,
Jamais pareille aubaine ne s'était présent ée. C'en
était trop pour sa curiosi té; elle ou blia le silence
par lequel la petite fille avait toujour s déconc erté ses
allusron s indscr~te,
et essaya do nouvea u, non
pas une que tion directe, - on aurait pu la répéte:à madam e, - mais quelqu es phrases insidieu ses.
-Made moisel le est bien pille, bien fatiguée !. .. ~i
la personn e qui est en bas doi~
revenir , 11 vaudrai t
mieux ne pas descend re, et se reposer jusqu'"
jrner.
- Je ne suis pas malade , répond it Noèlle.
- Si madem oiselle veut, je vais demand er les
l)rL!rcs àmadam e; madam e ne serait pas content e si
muJem oi selle e forçait.
- lVlerci, j'aime mieux descend re, art l'enfant ,
c'chapp ant avec une certaine impatie nce aux: soins
l'Isméri e, et descen dant l'escalie r précipi tammen t.
Arrivée à la porte. du salon, elle s'arrêta , s~ sen~
!ant tout embarr assée. Pourqu oi? t;;lle nl: le sa vait pas;
mai., l'i.dée ct rencont rer le plus grand personn age
�68
NOELLF,
l'aurait moins imllnidée que celle de se trouver en
face de l'ol:cle Bauer.
_ Pauvre oncle 1 il a été si bon de veOlrW
Elle entra réso lument.
_ En(in! soupira Mlle Ismérie qui la guettait du
,1aut de l'escalier et qui descendait à pas de loup.
C'est un parent de la petite, j'en suis sÜre .
Ecouter à la porte était un rêve irréalisable. Celle
du salon était double, et Ismérie y avait plus d'une
fois perdu son temps. C'était un des défauts de la
maison. Faute de témoignages verbaux, il fallait sc
contenter des pièces à conviction. Ismérie les eut
vite analysées, avec sa rare compétence.
Il y avait d'abord le chapeau à haute forme accroché à la pakre du vestibu le, très démodé, bross(:
à rebrousse-poil, dont la doublure était mal ajustée,
et qui portait sur le fond bleu de ciel cette inscription presque effacée:
DURA.ND
Grande-Rue, Mé:;.ières.
Un chapeau de provincial, de pauvre, de célibataire, d'homme grave. Ce chapeau n'était certes pas
une marque d'élégance, mais une nécessité professionn ell e.
Le pardessus, à collet de velours râpé, jeté négligemment sur une chaise, confirmait les révélations
au couvre-chef.
Tout cela sentait le pauvre hère, forcé de garder
la tenue bourgeoise, et ne cherchant pas même à
réparer, par l'ordre et le soin, l'insuffisance de sa
garde-robe.
En(in la lourde canne trahissait une origine campagnarde ...
Mlle Ismérie considéra cct équipement avec
mépris ; et du bout des doigts, d'un geste dédaigneux.. scruta les poches du pardessus. Elle y trouva
') ne pIpe 1 oh, horreur!. .. un grand foulard à carreaux
fou ges, un bout de ficelle et une vieille enve loppe
àe lettre portant cette adresse:
Monsicur le Doctcur Bauer,
4 [..agny, pt-è,9 M6:{i~rl's
Ât'dMn't,
�Un mècrecin de camp~ne!
je ..:royais que c'é1 ait
encore pire que cela, grommela-t-elle avec désappointement.
.
:?uis, notant dans sa fiLlèle mémoi ro ce p:'écieur:
1
rer.:seignement.
- Lagny! le bureau de pOSte de Mme Dambryl
Un mouvement qui se fit dans le salon mit en fuit~
Mlle Ismérie. Mme de Boutreuil sortait sous un pré.
texte pour laisser Noëlle un moment en tête à tête
avec son oncle.
Leur entrevue se passa très afTectueusement, avec
une émotion sobre, un calme un peu gêné.
La présence du médecin, sa VOIX, les choses qu'il
disait, faisaient revivre pour Noëlle bien des SOl.lVeni;-c. déjà efTacés.
l).le se rappelait en même temps les bontés de cet
oncle bourru, le rôle de protecteur joué par lui dans
bien des épisodes douloureux qu'elle écartait généralement de sa pensée; elle comprenait mieux la part
q\.!'il avait prise à son salut, et, se reprochant de
l'avoir trop oublié, essayait de lui témoigner sa
recon naissance et sa tendresse.
Plus sensible qu'il n'elit voulu le paraître, bauer
ne pouvait s'empêcher de regarder, les larmes aux
yeux, la fille de sa sœur qu'il avait beaucoup aimée,
et d'éprouver en même temps une certaine fierté en
la voyant si gracieuse, si choyée, si à l'aise dans la
position brillante où elle était parvenue.
Il accepta de dîner chez Mme de Boutreuil ::!t
celle-ci remarqua les soins qu'il mit à ne pas prononcer un mot pouvant révéler son identité, son
pays, sa parenté avec Noëlle.
Cette discrétion plut inGniment à la mère adoptive.
A quoi bon faire connaître aux indifTérents l'Of!gine de Noëlle? Dal1s quelques années, quand elle
serait majeure, ce qui faciliterait le formalités exj.
gées par la loi, elle deviendrait légalement Mlle dt.
Boutreuil; ct, avec sa beauté et sa fortune, elle :1"
tarderait pas à échanger cc !"Jorn contre ~elui
du
t."ntilhomme qu'elle honoreraIt de son choIx.
Ce médecin de campagne pressentait tout cela; i'
l"ait vraiment du bon sens ct de la délicatesse. Emue
de son abnégation. Mme dc BOlitreu~
le pressa de
rC 5ter quelques jours à Paris.
- Moi? s'écria Je docteurl Moil mqis je pr~ijÇlf
çe Boil" le train de di~
lie m~R ...
tl ~p
,!
4
�Non, p,~lte;
mes mal?-ùes l1\'atend~,
d~min
n1atin, et dll reste J'al vu ICI tuut cc que J av~s
ay
voir. Je ne suis pas un élégant Llui court les th(;atres,
1i un homm" ·d'affaires qui va il la Bourse. Je me
ilUis assuré Llu e tu es heureuse et bien portante,
')our le moment. J'en ai remercié madame. A pré,
~ent
je n'ai plus qu'~
.filer:
.
.
L'oncle Bauer se dmj2ealt vers l'antichambre aprt.!~
avoir saiué Mme de .l:Soutreuil qui chercha vall1e,
ment il le retenir.
- Mais quand rèviendrez-v{)us? lui demanda
)!oëlle en l'em'brassant le cœur serré.
- Quand tu auras besoin de moi ... et j'espère pOUl
lOi que ce ne sera pas de si tôt.
Si Te cœur ne ressentait d'autres exigences que
ccl les de la nécessité, No~lIe
n'auraît eu, en effet,
aucun besoin de Foncl.e Bauer, pendant les années
il ui suivirent .
.c;:ette époque fut la plus heureuse de sa vie.
L'ilge, qu'on appelle il juste titre l'âge ingrat, est
peut-être celui qui laisse les meilleurs souvenirs.
Qu'importent les bras trop longs, les mains
rouges, le corps disproportionné, la vo ix rauque, les
mouvements gauches, les toilettes forcément dis~racjeus,
les coiffures qui vont mal, toute la niaiserie, la maladresse, l'ignorance ;et l'aveuglement
_lui sautent auxyeux des autres, si l'on se trouve beau,
aimable, gracieux, important et admiré?
Avoir treize ou guatorze ans, se ,croire une grande
j)ersoone, se passionner pour un délicieux ouvrage
~u
crochet en rêvant à son premier bal, raffoler d'un
ravissant petit chien ct adorer une amie dc son age,
avoir été ~n .. fois appelée madame par erreur dàns
un magaslt:, c'est peut-être réaliser la plus grande
;ommli ~:" sr,tisfaction qu'on puisse amasser ici-basLe t",n_1eur de J'enfance est grand, mais incon s.
ient et dépourvu des rêves dorés qui forment tou'ours la meilleure part de nos joies.
La leun(!sse. pleinement p:>~nou
i e,
es t l'lu s bril.
�7'
Jante e[ pluR gaie que cet âge de IranSltlOl11 ma If
déjà agitée par les luttes de l'existe nce, elle sent
'lu'elle est à l'apogé c de la vie et du succès, qu'clic
~e
durera pas, et qu'aprè s elle il n'y a pl'Js quP. liCE
!lorizon s désolés .
Le pauvre. âge ingrat, lui, graviss ant les premic. ·,
sentiers dc la fameus e colline, voit les sotllme b
encore si loin et croit avoir tant de surpris cs
radieus es à découv rir avant d'y arriver, qu'ÎI ne
songe pas à descen dre; il trouve le présent superbe
et rêve l'avenir encore plus beau.
Tant d'illusio ns ne vRlent-elles pas toutes 1 ~
réalités ?
Grâce â sa rare beauté et au charme simple de ~a
nature, Noëlle échapp a à la plupall des inconv0.
nienls de l'âge ingrat, et en recueill it abonda mment
tous les avantag es.
.
Elle eut plusieu rs amies de cœur qui ne IrlÏ
deman~rt
pas comme nt elle s'appel ait et ne parIèrent pas généalo gie.
Ces demois elles avaient à se raconte r les petits
potins du monde, recueill is dans le salon de leurs
maman s, et à se dire, avec des c~rémonies
qui
rehauss aient fort, à leurs propres yeux, l'impor tance
de leurs person nes:
- Ma chère, êtes-vo us allée au BoÎs? _. Ma
chère, quand ferez-vous votre entrée dans le monde?
Maman dit qu'elle m'y mènera dans cinq ans. Ma
chère, à quelle heure vous couchez -vous? - Je
veille jusqu'à dix heures. - Mme X ... avait hier une
toilette admirab le. - M. Y ... a un esprit divin 1
Elles ne voyaien t dans la vie qu'une comédi e délicieuse qu'elles jouaien t avec convict ion, ne se dou(ant guère des drames , en prépara tion dans la coulisse.
Et puis, qaand on avait bien rempli son petit rôle
de femme du monde, on oubliai t parfois sa dignité
devant un bon gateau ou un jeu amusan t don'! on
prenait sa part avec autant d'ardeu r que si on eù\
encore été une simple petite fille.
Mme de Boutreu il donnait de rart bons goûters~
tr<':s appréci és dans cette jeune sc~;ét.
- Il faut bien que je cherche à cret:,· .':.l\Jl)ëlle deb
relation s et des amis qui s'occup eraient d'elle si Je
venais à lui manque r i se disait nalvem ent l'excell ente
femme, ne se cloutan t pas encore que déjà chez ses
ieunes convive s. comme chez leurs parents , la
�10
NOtLLE
momolre du cœur n'était pas plus longue que celte
de J'e3tom!lC,
Mal~ré
SOli titre de bachelier, Gérard condescen
.lait à etre l'arne dé ces réunions,
Ses rapports avec No èlle, toujours aussi afectl1u~.
prenaient cette teinte chevaleresque d'un côté, réser·
vée de l'autre, qui distingue l'amitié de la camaraderie.
Il venait d'atteindre sa dix-neuvième année,
(,lériode de transition correspondant à celle qUI;
raversaient N oèlle et ses amies.
L'âge ingrat est plus impitoyable encore pour les
Jeunes gens que pour le s jeu nes Cilles. Outre la
gaucherIe et les prétentions de leurs contemporaines, ils ont en propre la moustache naissante, le
cigare précoce, la ~lausderi
des études forcées ~t
l'Il1dépendance atCtchée, qui les rendent parf lS
Insupportables.
Gérard sortit victorieux de cette épreuve.
La distinction de so n type et de ses manières, le
bon goût qu'il avait de continuer à suivre les con·
seils maternels, le faIsaIent agréablement è,ifférer de
ses compagnons d'infqrtune.
- Ce sera un homme charmant 1 disait-on à
Mme d'Hautecour en la félicitant de l'excellente
éducation de son Gls.
Elle sou riait, mais au fond die se sentait dévorée
d'mqul l:tud..:.
Oui, Gérard s'_'l'ait un homme charmant et, ce qui
rlus est, un tendre GIs et Ull bon sujet.
Jans s:? p()~it
i ()n,
cela ne suffisa it pas.
Il lui aurait l'i\llu être au s i un homme fort, aCtlf,
entreprenant, marchant salis sc dl:courager vers un
bllt éloigné, uominant le s CirCll!lstances, toujours
difficiles'pour un bomm e san s fortune ct qui deviennent presque imno ss lblcs , ,,' il CI la charge d'un
grand nom.
Sette dispan té, en1n: ses ressources L:t les eXigences de Rê. naissance, l:tHil pour Gérard un sup·
, 'I ce et un ,)b s tacle perpé tu el.
Il avai' tOLites les d (' licatcsses, lnu s les goûts
rlel":'s, t(l~
les in st inct s de sa race qui rendent la
l "e,.
mai s al~In('
d..:s pui~ances
e.l des
?<tuvrell' Oli,~
~[\'.jlCS
'1I1 1n51"11'<:: parfOIS lin san~
arlstocrallquc,
,t "IIi rlll.lt re mont e \', à la forc e du poignet, fUI ranI;
.)11 'on dt'" occuper.
.. t ..
Tant l'lU'U .:~1t
été enfant. sa m.èrc ét.\lt arnvee,
�~
NORLLE
grace à des prodige s de tendrs~,
d'haolle tè, de
sacriuc e, à lui faire oublier les privatio ns que tous
jeux s'impos aient et don t elleava it la plus grosse part.
Au colJi;ge, la bourse de Gérard était presque aussI
,;,emplie que celle de la moyenn e de ses camarad ef\
!(, grace à l'hérols me de sa mère., ,1 n'ava.it jami~
souffert dans sa fierté.
.
Il aimait son modest e intérieu r, ne le compar ait L
aucun autre et s'y trouvait heureux .
En devena nt homme , il vit le véritabl e état des
choses, il se sentit gêné parmi les jeunes gens de sun
monde ; plus mal à l'aise encore parmi ceux qui
n'avaien t pas une éducati on aussi raffinée que la
sienne .
N'ayant de vocatio n définie pour aucune carrière ,
il resta indécis , cJl'rayé des répugna nces et lies liimcuités qU'offrait chacun e et qu'il ne se sentait pas
l'énergi e d'affron ter.
.
Sa vraie vocatio n était d'être riche.
I! avait l'affabil ité, les goûts intellig ents qui
occupe nt dignem ent et utileme nt ies lOisirs d'un
homme de grande naissan ce et de grande fortune :
malS les talents qui aident à se créer une position
dans le monde lui faisaien t défaut. Sa santé, du reste,
ne lui permett ait pas la lutte pour la vie.
Il avait horreur de l'état militair e, auquel sa mère
l'avait toujour s dest in é, à l'exemp le des Hautec our
de tous les temps.
Gérard échoua à Polytec hnique, et, comme la plupart des Jeunes gens qui ne savent pas ce qu'ils
'/eulent , se mit à faire son droit.
Mme d'Haute cour se sentait mourir à la peine.
Elle n'était pas arrivée à assurer l'avenir de son fils,
Quand il était petit, elle se disa it:
- Que je puisse seulem ent suffire à tout jusqu'à
;e qu'il !lit dIX ou vingt ans, et, alors, il se fera lui.
même sa pince aU soleil. Du reste, d'ici là, il aure.
l'héritage CIe son grand-père.
Et, ornvement, la valllante femme reprenait &1,
tè.che aride et épuisante.
Gérard 6talt Un homme, à pl'é ent; ot, s'II aVlli1
gardé la soumis sion d'un enfant, il en av'\it conser vé
uussi l'impus~ance.
.
Tout reposaI t SUl' sa mère; ses forces étatenr' " f)(lut
cûmme seS ressour ces.
POIJr fHlbvenir :\ l'éduca tion de son flls, elle
aVlHT
'IHI/, nt!
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rit; 1I\1.\,;j;
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No'!r:f.F..
marqul' l d'Haute cour ne semblai t pas près de s'ouvrir .
;'0 vieillarcl, agonisa nt depui s vingt ans, était ~l1r
Lk C(;ii ètreC' liébiles qui n'ont qu'un soume
de vIe,
wa.' cl1ezlesquels ce souffle dure indéfin iment.
faudrai t-il finir par s'adres ser à sa pitié qui, dit
reSle, ferait probabl emont défaut, car, non seulem ent
il n'avait jamais donné le moindr e témoign age d'intérêt à soo petit-fils, mais encore on parlait de capta1ion, de manœu vres extra-légales pou r détourn er, du
rivant de l'alaul, une partie considé rable de sa fortune .
M. d'Haute cour ne pouvait aimer l'enfant qu'il
n'avait pas voulu connaH re, et, la raibless e de SOl'
age aidant, il se prêtera it à ce dépouil lement.
Jamais l'avenir n'avait paru si sombre à Mme d'Hau·
tecour. Ses cheveux blanchi ssaient, son fin visage
s'émaci ait de jour en jùur davanta ge; chaque souffrance, qu'elle croyait deviner chez s'on fils, retomb ait
doulour euseme nt sur son propre cœur, l'accab lant
d'un poids insoute nable.
Gérard ne se plaignait pas. Il ne faisait jamais allusion à son grand-p tre. C'est à peine si, en passant
rue de Grenell e, devant l'ancien hôtel à l'aspect riche
et aristocr atique où le vieillard demeur ait la plus
grande par'~
de l'ané~,
Mme d'Haute cour avait s.urpris dans les yeux du Jeune h6mme une expresslOn
de curiosit é et d'indign ation.
Sous ce calme, elle croyait deviner des révolte]
intérieu res, des convoit ises secrète s.
- Tout cek est de ma faute, se disait-e lle parfois.
J'aurais peut-êtr e dû l'élevor autrem ent, avoir pour
lui moins de fierté 1 Je croyais qu'il serait fort, énergique ... je le. jugeais d'aprl!s moi. C'était de l'égolsm e.
Mieux aurait valu étouffer ses instinct s, fausser ses
' ~oùts,
en faire '1n petit bourgeo is, ou alors, m'incliner, ""'efface!, reconna ltre 'que son père était cou?,abl( lue j'étais indigne , ct lui assurer la fortune à
oree de bassess es, en reno~at
à son respect ...
Quelqu pfois elle rep~nait
courage .
- Il est ~ncore
si Jeune! Il change ra en devenan1
tlo1'1.lme tout d'un coup. li a grandi trop vite; c'est sa
:rolS~nCe
précipi tée qui le rend languis sant, mou,
ndécls, Cela passera . Peut-êt re quelque événem ent
rn~évu
"ienc\ra-t-il à notre aide.
;rJ'ai tOI. de me décourap,er, de me plainar c, quand
'ni un fila ai Ion. Ili t hd j il <)~"i
",1 hi rI !11)
',"1lf)~It
Il' ~
111\ l'm
l"~
it .. ,'( ~\ 1\ \ 'l'"
f ! • 'hl/} ,-Qll!,!' ~ \0\ 11l1tt l
. ..
�Le aévoue ment, réputé si onéreux , es. peut-êtr e, al
fond, le meilleu r placem ent qu'on puisse faire de
forces vives du cœur et de l'intelli gence, le seul qu
rapport e des joies vraies et des consola tions efica~
Vivre par les autres et pour eux, assure toujour ;
aux épreuve s de l'existe nce des compen sations qU E
"es égolste s ne soupço nnent pas.
Se donner tout entier à ceux qu":>n aime, c'es',
d'abord oublier compli; tement ses propres peines j
c'est ensuite jouir bien plus qu'eux de leurs moindr e,
bonheu rs, de leurs plus petits succès. On soulTn:
nvec eux s'ils sont malheu reux, c'est vrai; mais l'idée
qU'on adoucit leurs chagrin s est encore une satisfac·
tlon intime et puissan te, qui console et soutien t.
Quand Mme d'Haute cour voyait sourire son fils.
elle avait des momen ts d'extas e délicieu se, et Géra~'
souriait souvent .
C'est chez Mme de Boutreu il surtout que la gaietl'
et l'insouc iance de la jeurtesse reprena ient sur lui
tout leur empire.
Dans Cette maison amle, presque aussi familière:
que la sienne propre, il se sentait aimé, choyé, ct
investi de la supério rité qu'un homme revêt toujour s
dans un cercle compos é uniquem ent de femmes.
Rien qu'en ouvrant la porte, il jouissait déjà de ses
préroga tives. Thomas l'mtrod uisait avec le respect
alTectueux d'un ancien serviteu r pour un enfant de la
maison .
.
Le vieillard, qui avait des idées aristocr atiques ,
:'risait fort la bonne mine etles mauii.!res distingu ées
.ie Gérard.
- C'est un vrai monsie ur, affirmait-il à la cuisine.
- Un parfait gentlem an, reprena it MIl.e IsmériC'
plus raffinée dans ses apprécI ations, malS dont Ill.
creul' sec n'échap pait pas au prestige que les trèF
',eunes gens exercen t sur les très vieiIles filles.
- C'est un gentilh omme! disait Mme de Routreuil,
faisant inconsc iemmen t chorus.
G~rad
était le héros de toutes les jeunes demoi·
~els
de douze à seize ans, le modi;!le de tous les
petits messieu rs du même âge, hôtes ordinaI res dt
Noëlle, l't Je point de mire de plusieu rs mi.!res prévoyante s, persuad ées que Gérard serait unchar mant
garçon d'ici quelqu es années, si le marqui s d'Haute ~our
finissait enfin d'agoni ser.
Tous les mercred is, revenai ent les réunion s dit
'"hôtel de Boutrei~
t>t les suc~
ete Gér.~d
�NOÎfLLE
Mme de Soutreuil recevait dans le grand salon, ~ès
et lt5gi!rement pompeux, avec son m.obLIJer
Louis XIV, recouvert de tapisserie des Gobelms.
Une large baie faisait communiquer cette pièce avec
'e petIt salon où la jeunesse prenait ses ébats,
Ce petit salon, qui était jadis le fumoir de M, de BouifeUlI, avait conservé, de son ancienne destination, un
aspect plus confortable qu'élégant,
,
Ses meubles de style moderne, larges et sohde:~,
résistaient vaillamment au dur métier qu'on leur faIsait faire. Les rideaux étaient habitués à servIr de paravent; les tables, de tréteaux; les placards, de
cachettes.
On s'y est bien amusé, dans ce petit salon, et il n'eo
est guère, parmi les plus célèbres, qui ait entend}"
autant d'éclats de rire, de joyeuses paroles, et laissè
.105 souvenirs meilleurs. Le vieux piano y a joué des
rondes et des galops interminables; la lanterne magique: y. a déployé les spectaclcs les plus merveilleux;
(.ln ya inventé les jeux les plus bêtes et les plus amuI
sants, et surtout on ya joué des charades.
Les charades firent fureur pendant une année entière t:hez Mme de Bouu"cuil, Pannée où Noëlle cut
q I.latorze ans,
Généra lement, c'était Gérard qui remplissait le
double rôle d'auteur et d'actcur lc plus goûté. Il avait
l'improvisation prompte ~t inépuisable, ce qui sLlffisait à ses audIteurs peu dlftlclles,
U Il certain mercred i surtout, il enthousiasma J'assemblée.
Lorsqu'arriva la dernière scène, ce fut un vrai
triomphe.
L'artiste était entré dan ; : 1 peau d'un Marseillais
racontant son voyage autoll" ,lu monde; et ses avcntures, assaisonnées d'un accent pris sur le vif, éta ient
s i .comiques et ~i inattenducs, que l'auditoire se rou:
laLt à forcc de l'1re, y compri s Noëlle . chargée de lut
10nner la réplique dans le r ' ersona~
d'une dame
anh~'-\i
<;e rencontrée dans un e lie dése'rte par le Mar,elllais.
PIUSi":.;ïS grandt.:::;
perso'1nes étaient venu~
prendre leur par~
du specla~,
~t ~esac';u
:s.voyai~nt
nl)n sans . orgueil, ce puhilc SCI"ICUX se 100ndre a I~
'lne assIstance,
: r i~é
d" son succrs, (lérard allait, illycnlanl Jes
rrnilès qui enlvai~t
IOULOUri' ù... nouveau;r' f'A:::,wl.Lssernnntfl,
él~gant
�SOUdain, au moment où il venait dè ~âcher
la plu!!
colossale drôlerie, il vit N oelle changer brusquement
d'expression. Ses yeux terrifiés regardaient dans le
I.~rand
salon. Ses traits se contractèrent, 30n visage
devint livide, et elle laissa tomber une ~rande
can~
qu'elle tenait à la main. Elle se baissa Vlvement pour
la j'amasser, mai s , quand elle se releva, Gérard s'aper,
çut qu'elle cherchait à dissimuler son émotion. Il na
voulut pas s'arrêter brusquement, et, tout en conti.
nuant, Ii jeta un coup d'œil dans le grand salon, d'od
l'alerte avait dù venir.
Une dame en noi~,
très grande, qui n'était pas là
tout à l'heure, caUSalt avec Mme de Boutreuil, en IlI\
tenant les mains. Deux jeunes filles debout, à côtf
de la dame.
Gérard s'aperçut que le regard effaré de Noêlle S(
fixait sur ce groupe. Il tourna court, et termina la
scène au milieu des félicitations universelles.
Chacun se retira en se donnant renctez-vl)us pour
le mercredi suivant, et il resta le dernier, comme à
!'ordinaire .
s'était blottie dans un coin du petit salon,
.~oële
aussi loin que possible de ~a lumi ère, ne répondant
q \le par monosyllabes aux questions de Gérard, et
semblant avoir oublié tous les plaisirs de la journée
pour une préoccupation importante.
Gérard se sentit mal à l'alse, comme le jour où elle
lui avait parlé de son oncle le médecin.
Cette petite amie si Sllnple, si confiante, qu'il
regardait presque comme sa sœur, lui paraissait, pour
la seconde fois, enveloppée d'un vague indéfinissable
et séparée de lui par uce barrière invisible. Sans
savoir pourquoi, il sentait que la pâleur de NOêlle
avait une cause inquiétante.
La dame en noir et ses deux acolytes étalent restés
seuls avec Mme de Boutreuil clans le salon que
Gérard n'osait pas traverser pour s'en aller, quoiqu'il
;enllt sa présence plus embarrassante qu'agréable.
- Noëllel appela Mme de Boutrcuil.
Noëlle tressaillit. Elle fit un pas, recula, puis,
:édan t à ses habitudes d'obéissance, appr0cha leneme nt, t('le hasse.
li la ~uivt
d e loin, avec la pensée vague de la pro
,1
t"'\",
La daine en n oir, ahsnrbée dans sa conversation
av'c Mm!' de B()utrcui l, n'eut pas l'air de la voir.
Une des leLmelit filles la 10le1.:\, sans rien dire. d'un
�NO~L)o;
re~ad
d.éaalgneux; l'a~Je,
une bonne grosse enfant.
1Ul tendit la mall1, en disant:
- Bonjour, Noëlle.
- Bonjour, mademoiselle Mimi, répondit Noëlle
("esque à voix basse.
Pourquoi celle déférence ? .. Gérard éprouva un
:entiment pénible.
.
- Comme elle se raprclle bien 1 moi, je ne l'aurau
,am~s
reconnue,.si je n'avais pas su que c'était elle \
s'éena Mlle MimI.
Gé rard avait hàte de sc relire ... :!! prit congé rapi,
dement, et alla rejoindre sa mère qui l'attendait p0Uf
dlner. TI lui raconta longuement la charade, et tr05
briévement le retit incident qui, du reste, entre l'avenue de La Molte-Piquet et le boulevard des 111\ alides.
lui sembla perçlre: beaucoup de son importance.
Mme de Boutreuil, elle aussi, avait été désaç,réahkment surprise par l'arrivée inattendlle de }vrme
])amhry: son usage du monde, sa, bonté Ilaturelle,
ct J'astuce que l'amour maternel donf\e à toutes les
kmmcs, l'aitl· rent à dissimuler cette impression ct
il rendre il J\1\1lLi Dambry S-:S protestations ct ses
tCI"\drc!;~.
1
Toutus deux n'curent gardo de se dire combiell
clics sc trouvaient vicillil,:s.
Chez Mme de 13outn.!uil, l'à!:!t: avait fait son œuvre
lentement, retardée par les n'ins, le repos,la r.;aieté,
lui permettent ù la kmme riche de sc défcn[~e
plus
lU moins contre les attaques de la vieillesse.
U avait pourtant fallu se rendre; ct la ml:re de
;·Toëlle était passée au rang de vieille dame, mais de
yieille dame prospi:re, .-'oignéc, élépante bien pOl"
tante et destinpe à JOU)\ encore de'long~s
ct heu·
reus~
an~es.
r.lle .avait ccc .embonpoint florissan1
".t facde à porter qUI ne messied ras nUX matrones:
ses cheveul !vlancs, tri:s abondants ondulaient avec
coquettc.:rie $llr un front calme ct' sans rides; nn
temarqllait cncore les lignes j)\lreS de son visage un
peu épaissi, ct sa to;J(~e
sombre avait la ~irn[)
li cité
riche qui est J'AléL!anr.~
rl,~
flranrl'ml!res.
�NÜ~LE
Chez Mme Dambry , au contrdi re, plu~
jeune de
bien des ann0es, les ridc:s étaient précoce s, et les
peineR, les souci, avaient rait oublier prématu rément à la mère de famdle les gràces et la rechefc h0
qui parent l'age mûr de la femme.
Ses traits contrac tés avaient perdu le calme digne
qui est le charme des femmes de son age.
Us ée par l'effort impuiss ant de sa volon:é , cil.:
s'absor bait dans une lutte vaine ct en voulait à l'univers de son échec.
Ses enfants ne suivaie nt pas la destiné e qu'elle
CUI' avait tracGe avec un dévoue ment aut
ritaire.
Sa belle fortune diminu ait par suite de la duret<:;
des temps et des prodiga lités de son fils alné, son
favori . Elle avait rêvé pour lui le sort le plus brillant, et mainten ant, après avoir dissipé toute sa
part de l'hérita ge paterne l, il n'avait plus pour dot
que sa carrière où son peu d'intelli gence, disait-o n,
-l'injus tice général e, disait sa mère, - rendait son
avancem ent très problém atique.
Fred marcha it sur es traces. Mathild e n'avait
pas de santé et était fort laide. Margue rite, qui pouvait espérer un beau mariage , entrait au couvent .
Mme Dambry avait lultG six ans contre cette voca·
tion. La jeune fille avait respect ueusem ent attendll
10 terme fixé par fé( mère et renouve lé, 10 jour de
se~
vingt-c inq ans, son inébran lable décisio n.
,\lIme Dambry la conduis ait au novicia t des sœurs
Je la Charité . C'était là le but cie son voyage à Paris,
Au milieu de tous ces plans avortés , Mme Dambry
n'oublia it pas la premiè re de ses décepti ons, celle
qui, croyait- cllè parfo'is, avait montré à tous les
autres malpeu rs le chemin de sa maison : l'adopti on
cie Noëlle par Mme de Boutreu il. La colère qu'elle
en avait éprouvé e l'avait 610ignée de sa cousine
pendan t plusieu rs années, sans qu'elle ?crd1t pour
tcla de vue l'hérita ge si àpreme nt convoit é.
Les gens chez qui l'énergi e et la volonté surpas~ent
encore la raison ne veulent et ne peuven t jamais
sc croire battus. Mainte nant encore, Mmo:! Darnbrl '
~p.
disait tout au fond d'elle-m ême:
'
~ J'arrive rai à mes lins. Joseph s'est ruinel .. ,
i!h
hien 1 un mariage riche '(rrange ra tout. Je dois
cédel' à 10. vocatio n dc \'larguc rito j çeltc voco.tion ne
t ,'\JI P 1'~lnt
III Il HlI lU! (1'\1' 1 [1\111'1111
~I
!\IHI
Cli"lIl\
1 \ Il
\
Il f'
lit
• \
I~
~j
JI fil'"
�NOËLLE
ou l'enf"
mourra, ou. en fin, il arn .,·ra quelque
chos e ...
Au ss i, :a ln ~re
de Mar~leit
raI'P~i
,\I!-e
le
p~ r
,:haque mot, par chaque Int'inatio n, qu'elle v~ya
l
'oujours la nll e de Dreck dans l'enri, ;lt adoptif de
Mm e de ]3ol'~reui.
Mai s le dédain était s i IlSgc r,
l'ironie si imp erceptible, que No ëll e et Mme de
Boutreuil les éprouvai ent sa ns pou voi r relever un
mot, ni démêler un e intention.
.
entraIt
Mathild e, la copie vivante de sa m~:re,
l'in stinct dan s le jeu, et <:xce llait déjà clans le talent
l e bles ser à coup s d'épingles:
.
_ Comme tu as changé, NOt:l1e, répétaIt-elle, ane~
tant le ton protecteur -.: mployé jadi s 1 al' des d<::lllO Iselles du chàteau vis-il-vis de la petil~
rem
i ~ r e, 'l'u
te souviens comme nous nous amusjo!l~,
excep té
quand Charlot était méchant ? li es t gnod, Charlot,
maintenan' L,. iVlaman le fait venir pour garder les
vaches.
Noêlle rougit jusq u'au b'an c des yeux, et 'e
retourna vers Mimi qui l' C disait ri en. Celle-ci en·
tendait toujours parler de Noëlle comme d'un être
méprisable, et n'en faisait pas grand cas , sa ns pour
cela avoir envie de lui faire de la pein ' ; mais l' esprit de .~mi
était auss i épa is. que cclVI de sa s~ ur
étaIt delle, el cil.:: la laI~st
parl er, ;,ans !l1';\l1C
comprendre ses intentions perfides.
- E st-ce que tu ne vienJras pas en 1 ()lTaine vo n'
tes parents' cC:1tinuait Math il ùè . Cd" :')lt bie n le
priver ùe ne. jam ais êt re avec eux.
- Je ferai cc que voudra ma ... NoC'11t- .;'arrêta; ell e
)'o sa il pas dire « ma tante II - Mm" "k 13oulr<.!lJll.
-- Ma marraine! ell e es t très bon ne: i '(l U r toi.
NoeUe n.e répondait .ric,: j cli c s~)uflrait
horrib lement, Sa Vie lUI apparaissait soudal11 d~ç(l
l( ~ée.
Oh,
cette petite Dree\{ qui venait enco re I,l poursu ivre 1
Cette petite paysanne tm hailloll!) qU'(ln exhumait
toujoul' du passé p()Ur la lI,1i remc:llrc sous les yl'~ h,
comme:. un ép ouvantail 1 Elle, qui avait tant d'anllt'9
si gentille/( 'lj an'cctuauses, comme elle se tl'ù\wail
ma1 b \!aisL aupr\:9 de Ces petit es filles qui lui par
laient <lvec un mépris et une autorité qu'elle ne pou'
,'Iait repousserl L'oncle Bauer, au ss i, lui avait ra r'"elé le passé , mais afTectueusement, sa~e
m e nt,
par
le!! bons cotés,lui montrant so n bonlI '\lr ar tu el et
no blo ss(\ pt en rien l'ôlrp. nn\,lveau qU' l:;,I" !>tait
~lI1!
. I~h
J~
à,lJ~!.fr:
"h
M 'Il'1(lI i,l' .-.I"D ti hr,l-'I ll,
�8,
plus reconna issa nte. meilleu re. Avec Mathild e et
Mimi, au contrai ', e, sa fierté exaspér ée se révoltait,
ses vieilles ble ss ures se rouvrai ent saignan tes, e~
une colère inconnu e bouillo nnait dans le fond de
Dambry se .leva pour prendre
son ame quand ~lme
congé de sa COUSll1e.
NOêlle entendi t avec terreur Mme de Boutreu iJ
l'invite r à dîner pour le lendem ain.
- Demain ? dit Mme Dambry hésitan te, c'est bien
difficile : Margue rite entre au novicia t après-d emain.
C'est la dernièr e soirée que je posséde rai ma fiJle.
- Cette soirée sera pénible pour vous deux, donnez-la-moi. Vous savez combie n j'aime Margue rite et
combie n je serai heureus e de la voir avant son entrée
au couvent .
- Peut-êt re pourrie z-vous lui dire un mot pour
l'ébranl er, quoiqu e j'aie fait, je crois, tout ce qui est
possibl e. Du reste, notre tête-à-t ête est une désolation pOUf moi. Nous viendro ns demain , d'autan t plus
que le repars après-d emain. Je ne veux pas rester
ici une minute de plus après qu'on m'aura pris ma
fille.
- Si c'est pour son bonheu r! objecta timidem ent
Mme de Boutreu il.
- Son bonheu r 1 est-ce que je ne sais pas mieux
ce qu'il lui faut qu'elle- même?
L es larmes montai ent aux yeux de Mme Dambr y.
Elle ne voulut pas faiblir devant sa cousine .
- Allons, mes enfants , il est tard; à demain donc~
chère Mathild e .
XI
ne mangea rien à d\ner, et lVlme de BO\I.
j~oOlJt
treuil devina fàcilement, par l'agacement étqu'elle
de la
éprouvait elle-même, la cause de Ta pàlem'
tri stes se de la hmne fille. Sachan t qU'elle nu détournerait pas des Dambry la pensée de Noêlle, la mère
adoptiv e !l'appli qua à lui faire du moins oublier les
èt à lui
inciden ts 1(' 8 plus pénible s de cette vi~te,
l. n(r · r sou s l'a s pect le moins somnt, la r6union
pr~s
,,,, Poi.''''''
... 1I ~y
b,.. Il.t1illtl
:. _~IV
4 .. l IIU .n ' lt~
�NOZLLE
Mme lJat'lbry repartait, et mieu,. valait qu'clle
icpartlt, sat isfaite de l'accueil re~u.
.
- Que pt.!llseS-lu c!e la vocatlOn de 1\1argLlente,
ch0rie? Sais-tu que c'est très beau de se dévoue,
ainsi aux pauvres et aux malheureux pour toute sa
vic et cela après mûre rénexion, car yoici bien des
aloul
n~ées émue.
qu'elle persiste dans sa décision. J'en suis
Noëlle se sel~ti
intéressée. Plus on est jeune,
DIL1s les grands sacrifices, dqnt on ne voit que les
~6tés
héroIques, t'laisent et entralnent.
No(!lle avait conservé pOUl' la pauvreté, Ylie jadis
de trop près, une horreur insurmontable, et la
pensée que M1Ie Dambry consacrait volntair~me
sa vie au soulagement des mi ères les plus abjectes
et aL1X travaux les plus pénibles, les plus repoussants, la fai:;ait frémir d'admiration et de pitié.
- Que c'est beau 1 dit-elle; ajoutant, après un
moment de reDexion :
,
« Je serai contente de la voir.
A l'âge de NOC:lle, on se figure que ceux qui font
une grande action se distinguent, même physiquement, cles vulgaires mor~cls
par un pre'ltigc tout pa!'ticulier, comme on crOit, étant enfant, que les l'OIS
et les reines vivent, marchent, mangent et dorment,
8.yeC une couronne d'or SL1f la tête,
'Toëlle fut dûoc trl!S élon née de voir paraître, le
kndemain soir, une Marguerite très ordinaire, la
Marguerite d'autrefois, avec sa douce figure souriante, vêtue comme toutes les autres jeunes filles,
;;mlsant de choses banales et mangeant de bon
ùppétit.
- Quel calme 1 observait amèrement Mme Dam ..
I)ry, à l'oreille de sa cousine.
- Le calme d~s
J:éS?lutions ~ien
prises; je ~l1is
Ilcurcuse ue la VOir alllSI. Les vraies VOcat ions scul~
nnt cette .a su~·ance
paisible. Elle n'agit ni par coup
de tète, ni par illu sJon.
Noëlle utait placée a c6té de Marguerite, er suivait des. .l'eux. lOL~t
ce qu'elle faisait, désappointée
Lie ne nen. I.UI VOir accomplir ù'extraordinaire. Elle
uttcnU.11t mieux d'une future sainte' Mimi ~"n
nUIrE voi!ln~,
no lui parl.ait que l'Ill' J;lon(sydahe~.
Cc 'Ill! lalSS'llt le champ bIne ù ses observations.
" A 111 rnorn nt dnnn(:, '\.;r~ul!itQ
110 tournil Y"r'!
: · ~"'I,.
1 t lui d'II ., IJOII ltl tl,,!, 'fil 1 1111""1'11111 'Ot
",' , ri Il Il 1 .. '/111/
16 ~H\l4,
111],\ U
W"
• ,Ill 1\ u "
�8..
.'
si aJTectueux, que le cœur oppressé dt! l~OIé
se dilata, elle ne sentit 1~lus
peser SUI' elle l'ostracisme dont la frappail.:JlI les autres membres de
la famille Dambry.
Marguerite ne la tutoyait pas, comme elle (p. {al·
sait autrefois, et l'appelait par son nom pour m: (las
la traiter en étrangère.
Elle ne voulait rien lui dire de pénible; et, er
mêmc temps, pour ne pas avoir l'air d'éviter toute
allusion au passé, ellc se mit à parler cie l'oncle
Bauer.
Avec quel tact, quel bon cœur, Marguerite se plut
à faire ressortir les mérites cie cet h0mme excellentl
Elle redisait, presque avec respect, ses bonnes
œuvres, son dévouement aux pauvres, riant doucement de ses saillies bourru cs.
NoClle se sentait toute c0ntente d'avoir un oncle
pareil et Marguerite ne sut jamais quel bien avait
fait à un être souffrant sa dernière soirée dans le
monde.
Mimi, dont la prochaine séparalion redoublait
l'affection enthousiaste pOLir sa grande sœur, perdait, en la voyant s'entretcniravec 'N0011e, les grand~;
airs qu'elle avait pris d'abord, sur l'avis de Mathilde.
Ellc se mêla ft la conversation, cessa de lutoyer
Noëlle, et la prin, sur un mot de Marguerite, de l'appeler par son nom.
Jall1üis ni l'unc ni l'autre des pctitcs filles n'oublia
l'im~rcson
quc lcur fit cclte soirée, ct qui resta
toujours un licn entrc ell es .
Marguerite commençait son apostolat, et bissait
déjà dcrrii.:rc ell e celte atmosphi.:re de paix et de
charilé dans laquelle sa vic devait s'écou ler.
Sa présence éloigna toute contcst:ltion, dissip<
lcs rancuncs ; on se sé l ara sans avoir soulevé alCn~
question pénible ou délicate.
Quand la jcunc fillc partit, Noëlle lui haisa la
main à la dérobéc, ct embrassa de blln cccur Mimi
qui s'avilnçait vers eJlc.
- Jt~ vous reverrai quclquefois, chi:re Marguerite,
liit Mmr dc Boutreuil, puisque vous nous restez, ct
'IOUS attirerez votrc 111i.'rc ici, cc dont nous profite.
ron s tous. Au revoir donc, chère cousine.
- Au rcvoir, répondit Mme Dambry.
C"UX,
�NotLr,;e:
XII
Cc rel'oir fut plus tardif que Mme de Boutreui! n",
'eüt cru, moins tardif en tout cas qu'elle ne l'eùt
Jésiré; car, pour elle comme J?our Noelle, la présen,ce
de Mme Dambry n'éveillait que de pénibles souvenirs
ct des méfiances instinctives.
Quatre années s'écoulèrent sans qUE!, rien vlnt rap~
peler à la mère et à la fille adoptive les épreuves qUi
avaient précédé leur vie commune.
Pendant ces quatre années, bien des projets crou.
lèrent, bien des espérances furent déçue.
Marguerite resta au couvent; les affaires de son
frGre ne s'amé liorèrent pas, et le caractère de
Mme Dambry, un in stant adouci par la douleur de
la sépërat ion , devint plus innexible, à mesure que
les obstacles se multipliaient.
Aussi é nergique, mai s gu id ée par le dévouement,
ct non par sa vo lonté propre, Mme d'Hautecour luttait
avec courage et sans aigreur contre les chagrin qui
l'a ssa illai ent.
vérarc\ avait terminé son droit, s'éta it fait inscrire
<Ill barrenu, et attendait des causes, Il éta it toujour le
meilleur des fils, et a jeunesse tenait les promesses
de son adolescence; mais il ne serait jamais l'homme
fort et énergique exigé par les circonstances et rêvé
par sa mère,
Des trois veuves qui avaient mis dans leurs enfants
le s espérances de toule leur vie, la mère adoptive de
Noëlle seule ne fut pas désappointée.
Jolie, gracieuse, tendre et dévouée Noëlle était, à
dix-huit ans, la p lus charmante ct Id meilleure des
jrunes Cilles,
, --:- Que ferais-je sans elle,.à présent (lue me \'{)il,d
l'lût/le et S(Ill\'enl malade? disait Mme te !30Utl'Cllt/
L1nnt la ~ant;
ct)ln~ai
ct s'altérer ct que ~a lille
sfli~'1at,
('gayail, déchargeait dc tous les petits soucis
rt rCln!,is~at
dl' \'"r~l(i
'lise rt'connaissallce
ijll'éprolll'c 1I11!' Illi rc ù 'd{ l'(lir il son enraut 1e honl.\eur de sa vie,
- De quoI 10 l,liraiS-Je ( dp q.uoi lera~
'l e occllpée,.
�NOËLLl!.
85
gui m'aime rait si je ne l'avais pets 1 se répétai t
':Ame de Boutreu il.
Cette te ndresse n'avait rien d'égolst e. L'excel lente
Çemme n'asp i rait qu'à remettr e son trésor en des mains
et sûres, et avait hate de fixer l'avenir de No ë lle.
~ ignes
- Si je mourai s, elle serait bien malheu reuse; elle
deviend rait la proie de bien des convoi tises: il faut
lui donner un protect eur.
Depuis longtem rs Mme de Boutum il avait jeté les
yeux sur Gérard, et c'est pre squ e avec joie qu'e lle
constat ait les angoiss es croissa ntes de Mme d'Haute
cour. Le manque absolu de fortune de Gérard come de NOëlle; ils avaient été é levéS
pe nsait l'origin
c
ensemb le, ce qui expliqu erait tout; et, malgré l'affection de Mme de Boutreu il pour ses amis, rien n'ellt
été plus désagré able pour elle qu'une circons tance
he ureuse, rétablis sant Gérard dans sa fortune , et
faisant ressort irla distanc e qui le séparai t de Noëlle.
Celte circons tance, Mme de Boutreu il ne la crais if '~ r"
gnait presque plus, tant on 'habitua it à con
comme immort elle vieux. marqui s d'Haute cour.
Néanm oins, elle aurait voulu presser les cbo __ " ,
elle était fach ée de ne pas vo ir l'amitié qui unis sa it
G·' rarJ et Noëlle se transfo rmer en un sentir:1 cnt
plu s tendre, et, dans ses momen ts d'imrat ience, elle
sc disait que Mme d'Haute cour était foll e de ne pas
tout arrange r en mariant son fils, et que Gérard était
à cette solution indiun niais de ne pas son~er
quée.
Imros s lble pour elle de faire franche ment les
ouvertu res ,
Ils en viendra ient à ce qu'elle voulait, c'était certain; mais pourqu oi perdre un temps si précieu x à
son age? TI fallait hitt er un peu le mouvem ent. C'est
su r Gé rard que ses manœu vres savante s trouvèr ent
d'a bord l'occas ion de s'exe rcer.
Jt:ra.rd, lui dit-elle un jourqu' elle recevait , seule,
au coin dn r u, la visite du je une homme (Noëlle
é tant so rtie pour prendre une leçon), est-ce que vous
av 7. rlii chagrin ? .Je vous trouve tout triste ce soir.
(l rl"a rd bC::S lt8. : il avait un chagrin , un vrai chagrin
lui J'0toul'f'ait.
TI se d éc ida, .. lIlt ~l coup à parler.
- Oui, je SIl IS Inquiet , horribl ement 'nqlllet <ie la
-"anté de ma ln ", r".
- J'ai r e mar'lu é en dIet que, depuis quelquo
Mais ce n'est
temps, elle était ,Q OVvent C\o~lfrante.
�1.'l"OttLLE
reut -ètr e nen . A-t-elle une maladie
, ou est- ce un état ?
_ Je ne sais pas, mur mur a Gér ard
avec cet ~mbar:
las dése spér é des hom mes dev
ant une questIOn qUi
l'est pas de }èur ress ort.
. '- De quo i se plai nt-e lle? Que
dit le méd ecin ?
- Elle ne vel\t pas voir le mêù
ecin et prét end
'-lu'elle n'~
rien ; mais· je suis
du con trair e. Elle
ne mangE> plus , ne dort pas la sûr
, peu t à pein e se
lenir deb out. Et puis , que l chanuit
nge men tl ne voye'h'
1I0US pas com me elle
a mauvais min e? Com me elle
l1aigrit? L'an née dern ière , elle eétai
t enco re si forte,
.Ii bien port ante 1 Vou s vou s rapp
elez , mad ame , nos
cou rses à pied ? Mai nten ant, mêm
c'e,;t un effort qui l'ép uise ... elle e pou r ven ir ici,
parl e, qu'e lle fait sem blan t d'êt resouf ire; qua nd elle
gaie, ce n'es t pas
natu rel, c'es t pou r. me tran quil lise
r.
- Et à quo I attribuez-vous cet état
- Je ne sais pas, je n'y com pren ?
ds rien , repr it
Gér ard avec déco urag eme nt,
s je crai ns que ce ne
'),Oit ·bien grave. Si vous savimai
ez
jorte, vaillante, dure à elle-mêmcom me ma mèr e est
1 Sa vie tout enti ère
n'a été qu'u n long sacrifice ... quaend
lC me t:ou vais plus gâté, plus soig j'éta is au collège,
né que mes cam a·
rade s nch es.
G\:rard s'ar rêta brus que men t.
Jam ais Mme d'H aute cou r n'avait
vant ses ami s les plus intim es son fait allu sion de·
man que de for·
tune . Étai t-ce à lUI de trah ir ce âsecr
et héro lque men t
gard é, que tout le mon de savait,
mais que le sile nce
Lie sa mûre avait touj ours forcé
les autr es à resp ecte r?
- Elle a tout fait pou r moi repr it-il
avec une voix
qui trem blai t; elle a été, à la ,fois
, mon père et ma
mèr e, ct, mai nten ant, moi qui suis
levrais la prot éger , je ne puis rien un hom me, qui
faire, pas mêm e
wnn altr e son mal. ..
Gér ard étouffait. Comme les natu res
fières et diss ill1ulées qui renf erm ent pen dan
mêm es un poid s acca blan t det des ann ées en elle sleur s, d'au tant
pIns amères Clu'elles sont cachdou
ées, il sent ait cet
,liTIas déb orda nt prêt :\ s'éc hap per.
Un rega rd hum ide, pres que mat erne
l de sa vieille
Jmic et l'affolement qu'i l éprouvai
t. de ne plus pou VOir dév erse r dan s le cœu
r de sa mèr e le troP-Ricin
ou sien, lui firent oub lier soud
ain ses Jongués labi tudes dl-, réserve.
QII'est-ce qu'il faut ql1e le fasse'? '
dit-il, tourlMlot vers Mme de Bou trPl la
sos p;rands yeu x sup -
�pliants d'eMan t malheu reux. Je n'ai que ma mçro au
monde : elle n'a que moi.
me .tenir lieu dp. tf'lut; à présent ,
, " Elle a su m'éle~r,
c est a mon tour et JC ne saIs pas. Je p:mxm oins qu'une
femme seule et entouré e de toutes les difllcul t6s ..."
m0ir:s que .res gens les. plus ordinai, ·0s ... que les
ouvner s qUI gagnent la VIe de toute leur famille. J'ai
vingt-tr ois ans; j'ai reçu la meilleu re éducati on au
je ne suis bon à ri('n,'pa s
pr.ix de tous les sacrif~e,.t
et ma mçre, ma pauvre
rn?me à me suffire à ~ol-n:;me,
mere, se meurt de l'inquIe tude qu'elle a pour moi.
et enfonça It ses ongle~
sc mordai t les lçvr~s,
G~rad
dans les paumes de ses malfiS pour ne pas crier.
- Oui, reprit-il avec une exubéra nce d'autan t plus
wn.tras tait davanta ge avec son
express ive. q~'el.
égolste,
calme ordinai re, J~ SUIS. un paresse ux, ~n
un sans-cœ ur, et Dieu salt pourtan t que Je voudrai s
travaill er jour et nuit, n'impor te à quoi: travaill er
pour ma mère! Mais je ne peux pas, je ne peux pas ...
"J e suis avocat: on ne me donne pas de causes. J'auautr.e carrière .. Quand i'ai choisi
l?rendre u~c
rais dC~
celle-cI, Je ne savais pas, Je ne croyais pas ... J'étais enfant. Ma mère aurait dû me forcer: elle n'a pas voulu .. .
elle ne pensait qu'à moi, à cc qui me plaisait le plus,
ct ne croyait peut-êt re pas que je serais une nonvaleur, un inutile. Quelqu efois, j'ai envie d'aller
m'engag er pour n"êire plus à sa charge; mais que
deviènd rait-elle sans moil et puis, ce serait renonce r
à rien gagner; et peut-êtr e, enfin, trouvera i-je à m'enA quoi ? .. Je prendra is bien un métier ...
pl()yer~
Qu'est- ce que cela me fait ? .. Mais si elle me voyait
déclass é, elle mourra it de chagrin j elle a lutté toute
sa vie pour que je conserv e mon rang.
Mme de Boutreu il prit douccm ent ta main dl:
Gérard :
- Voyons , mon chcr enfant, il p'ya pas à VOLlS
\ gêner uv'cc moi ... et vous pouvez me parler tomme è.
Ritualion di [.
votre gl'and'mi.'re. Vous ètes dans u~,'
IIcilc dont vous sortirez . Puis-je vous aider aattendr e!
Gérard rOLlgit violemm ent ct nuira sa main
- Attend re 1quoi? dit-il amèrem e"t. Ce que m'olTre
votre amitié nc serait qu'une souflran ce dc plus. Jo
uis dans unc position sans issue. Dc quelque côté
f 1serré par mille liens,
quc je me retourn e, j.: ~l1is
que
bl(lC] uu r.nt' mille obstrlcl e;,.:Da qur.lC)ull façon
J tl l)" 1 \""lM
l" ahn r~l,
!!Ü, 1 c l' 1 n nI
Il ~I
111 '
" , 'H 1 ~ht9l1'
,
tl)',11 t1' I~ 1 ~
Il, Il l'
�resouc
~ ; je IK .c;ux pas chan ger
ma natu re. Je
don nera is vingt ani:o de ma vic
po'u
de ga!"ner mon pain sans déch oir. r avoi r la lib erté
-- Eh 1 V0US fcriez une mau vais
e affaire, mOl , cher
enfa nt. A 'Iotr e age, on va touj
l'au tre ; de:: l'esp éran ce folle, auours d'un extr ême cl
dése spo ir, plus fou
enc ore; on voit tout en rose ou tout
en noir . Eh bien !
ni l'un e ni l'au tre de ces cou leur
de la vie. C'es t le gris qui est las n'es t vrai men t celle
nua nce ordi nair e.
" Cha cun a ses difficultés et ses
pein es, les tien \
cach ées, et ne sou pço nne pas que
auss i leur secf t:te part . Cha cun les autr es en aien t
a auss i ses chan ces
de SUCC l;S, ses atou ts, dan s la
de part ie de la vie.
Vou s avez votr e nom , vos gran
qua
votr e bon ne répu tatio n. Vou s n'avlités pers onn elle s,
votr e aven ir, et cc sont là des avanez en rien entam~
tage s cert ains qUI
en vale nt d'au tres .
- Et que puis -je raire de mon
tés et de ma répu tatio n? s'éc ria nom , de mes qua liteme nt, se leva nt de sa chai se et Gér ard avec emp oril gran ds pas. Tou t cela me sera parc oura nt le sa lon
riche . Pau vre com!Ue je le suis , ilit très utile sl j'éta is
me vau ?rai t mie ux
un tal ent, une apti tude que lcon
de me faire une posi tion , ct que , qUI me perm it
de ne pas lais ser ma
~ère
mou rir à la pein e.
- Pou r dire la véri té, mon che r
uais guè re qu'u ne seule situ atio n Gér ard, je ne con qui vous con vien ne,
,elle pou r laqu elle vou s êtes né : celle
- Je le sais bien , avou a Gér ard d'ho mm e rich e.
sem ent sa mou stac he pou r se en tiran t nerv eupun ir d'av oir des
larm es dan s les yeu x.
- Eh bien 1 mon ami , il faut le
dire le rede ven ir d'un cou p, et ce dev enir . C'es t-àpou r vou s qU de gagn er cent fransera moi ns difficile
cs par moi s, grâc e
1 une professI7On que lcon que .
Gèrard rega rda sa vieille amie avec
colè re et de surprise, se demandant un mélange de
si
elle se moquait
de lui, ou si ello allait
nalveté masculine.
- Quand 01' "lst blen né, agréable de sa
excellent sujet, .fu'on !i vingt-trois ans, personne,
que fait-on r
demanda Mme de Boutreu
lues tion très natu relle . il, comme si elle posait une
~l't.
lu~
donner un moyen tout
simple d'arrange!' sa vie, auq
uel il n'avait pas pensé,
ian s sa
_. Je ne sais pas.
. th bien , on épôuse unc ieun e fille
riche et quivollc
(
n
Im'J~r\l
~I&
.lnt
IA!Ju 1I~l!
11\ hl .. \,l'UH I.IU' , ~ ..
�tend sa femme! l1eureusù; on (Hève sas enfant!! j C'est
plus qU'il n'cn faut pour remplir utilement ln vie d'un
bonnute homme.
- Mals, objecta Gérard abasoÙl'c1i pal' Cê tableau
inattendu , mais je ne veuX pas me marier pour 'df'
l'argent.
vous marier pour
- Vous n'avez pas besoir. ~e
de l'argent. Vous pourrez cho SIr une femme qUi soit
à votre goût, et cela ne l'empêch~ra
pas d'être riche.
I! n'est pas nécessaire qu'une Jeune fille soit san~
dot, pour réunir toutes les qualités.
- Mais, continua Gérard, auquel cette solution-là
ne déplaisait pas, je ne puis pas rechercher une
femme qui ait de la fortune qL.3.nd je n'en ai point!
- Vous en avez, r~pliqua
Mme de Boutreuil avec
autorité.
Cette affirmation, qu'il ne pouvait admettre malp.ré sa
bonne volonté, ébran la un peu la confiance de Gérard.
- J'ai de la fortune! moi!
..
- Oui, vous ; et votre fierté n'a pas à s'inquiéter
d'un contrat. Vous avez ce qu'on appelle des espérances: c'est tr<:s apprécié. Votre grand-père vit et vilTa
encore très longtemps, c'est probable; mais, après
lui, vous serez nche. L'avenir compensera le présent.
- L'avenir, c'est loin!
- Voilà pourquoi il faut, en attendant, arrange,
votre exis tence et surtout celle de votre mère. Elle a
assez souffert, la pauvre femme ! l'inquiétude la ronge.
Ce mal-là se guérit vite par un peu de bonheur; toutefoi s, si le remède tarde trop, on peut en mourir.
Bi en des m ère y ont succombé.
Gérard frissonna.
- Je ne veux pas vous faire de peine, continua
doucement Mme de Boutreuil, mais j'a i toujours
trouvé qu'on trahi ssait ses ami', en Jeur cachant les
dangers qui les menacent. Si la vérité, dite à temps,
peut leur permettre de les éviter, se taire devient un
~rime.
OU!, je crois gue votre .m~re
es.t malade, 'lu~
,~es
forces sont épUIsées, mais Je SU IS non mOI,~
per~uad
que SOI1 moral seul est atte int ct que le
)on heur la gllérirait. fi n'y a qu'un moyen de le IUl
"I ssu l'cr: c'est d'être heu l'eux voUS-mf"l1e: soyez-l~
.. )[lC pour l'amour d'elle.
- Pour l'amour d'e[l ,Ji n'y a rien qUI' le n~ "1'''.irais faire.
Ils Ol11SaICnt encore qUil,,:j NMlle rentra, et la
Jeune fille Dou!'l~a
Illle exclamatlOl1 de s ur&lrise 1)1\
�NOELL'E
les retrouVallt ",.;sis devant le feu éteJO'r, ne s'étant
même ras aperçus qne J'obscu rité les envahis sait.
- Mon Dieu, qu'il fait noir! s'écria Noëlle; qu'il
fait froid! que vous vous soignez mal sans moi,
ch~re
tante 1 Thoma s, une bûche 1 de la lumiùre 1 Et
le th é? Vous n'avez ras pris votre thé ? Je ne puis
pas m'en aller une minute, sans retrouv er tout ev
désarro i...
.
Elle s'agitait , fermait les rideaux , tisonna it, rame~
.1ant la vie dans la chemin ée morne, la lumi l' re dam
Je salon obscur, la gaieté et la jeuness e dan's cet
,ntérirmr attristé par son ab ence.
Elle ôtait en hate sa jaquette de loutre et sa
toque garnie de fourrur e, découv rant les jolies bOI'cles blondes qui sautilla ient sur son front. Se s jOU{;
~
étaient encore rosées par le froid qu'elle venait
J'affron ter, mais elle ne songeai t guùre à se chauffe r,
car il s'agissa it de veiller au confort de sa tante et
de leur hôte.
Bientôt la bouillo ire chanta sur son trépied d'argent, et le thé répandi t son parfum hospita lier.
Gérard se sentait soulagé . Cette gracieu se vision
d'intéri eur rafra'ich issait son cerveaù fatigué.
- Ma mi;re serait heureus e dans un chez elle
comme celui-ci : TJne jeune fille vaut bien mieux
qu'un fils pvur éf!>':"J"er la vie. Qu'il fait bon ici ce
soir 1
Mme de Boutreu il éprouva it la même impress ion
-.)t s'applau dissait tout bas que l'entrée de NOêlle fût
3i hellreu sement venue complé ter l'efTet de ses conseils. Le silence de Gérart1 la satisfai sait. Quand on
le parle pas, c'est qu'on réOéchit et qu'on observe
.;éricus ement; et Mme de Boutreu il était trop sûre
du mérite de sa fille pour ne pas être persuad ée que
J'observ ation ou la réflexiol1 le feraient encore plus
puissdm meo' ressorti r.
Gérard s'en <llia tout songeLl". On était en décemhr, ct il faisait Lin I"roid ~lacj.
Le 'hemin q\li le ramena it chez sa mère lui paru!
'Ol1g, ct il ép nl\l\'a un se rremen t de cœur en
même
e(l1 ps qu'uv 'llaJai fw n' ysiq,·". en rentran t dan s cr
i)~!
it apr!.,m~nl
Depui s que Mme d'rlaute cour était soufTrante, on
transpo rtait dans sa chambr e, par économ ie,.le feLi
du ~alon
à l'heure où aucun'v isiteur ne pouvait plus
~e
pr(;senl er. Gérard trouva sa mère auprès de la
chemin 6e où n,,;rcis saient deux maigres tisons. Elle
�essayaIt oe lire à la lllt;ur d'urie petite .ampe, mais
la fatigue était si grande, qu'à chaque instant "e c
yeux se refp.rmaient malgré elle.
Gérard [ut frappé de sa pâléur et de la mafgreur
qui sc dessinait sous les plis de sa robe de cham
ore. Il baisa son front et le trouva brülant.
- Cela ne va pas bien cc soir, chère maman; vou\.,
le vous êtes pas soignée 1
- Si, dit-elle en souriant; je suis restée bien sage.
ment dans mon fauteuil.
- Mais vous avez écrit? je vois là deux lettres.
-. Oh.! presque rien: un l'l!0t à ce notaire pOUl
saVOl!' s'11 ne peut pas nous faire rentrer cette petite
créance .. . qui tomberait à pic ... et puis, à l'age;)t de
change, pour les actions à vendre.
- Vous m'aviez tant promis de ne rien faire qu'!
vous fatiguàt; je suis sûr que tout cela vous casse
la tête.
- Cela serait bien pis sI je ne m'en occupais pas.
C'est alors que je serais inquiète'
- Cela vous fait de la'peine de vendre ces actions i'
~ Ille faut bien, dit Mme d'Hautecour en soupirant; nous avons absolument besoin d'argent pour
la fin de l'année; quand le revenu manque, il n'ya
J!lus qu'à prendre sur le capital.
'- Et quand il n'y aura plus de capital?
- A la grâce de Dieu 1 répliqua Mme d'Hautecour,
assayant de sourire.
Jusque-là, elle l'avait considéré comme un enfant,
se figurant qu'il ne songeait pas aux nécessités de
la vie, et qu'elle pouvait en garder pour elle seule
Jes soucis.
Gérard avait un air inusité de mystère et d'importance. Il était fier d'avoir un secret, une idée à lui.
de montrer à sa mère qu'i\
et ne pouvait s'emp~chr
lui cachait quelque chose.
« Quelque chose de bien innocent, d'heureux
(leut-Nre,» se dit Mme d'Hautecour, lisant sur Jo;
visage de son fils cette préoccupation paisible.
Elle aussi était devenue un être faihle ayant besoin
~ i e soutien, ct ellc se rattach<:it d'instinct à la moindre espérance pour ne pas défaillir.
- A la grâce ete Dieu! répéta G(:rard. V(,us ver!"ez, ' mè~e
ch~rie,
que les choses iront mieù._. e' que
le saural, mOI, vous protéger.
Elle n'en demandait pa's davantage, henreuse d(
l'entendre.oarler ainsi. ut craignant. en e1"\rofondis.-
�NO~LE
sant les choses, de ne tr ._ ver qu'un enfantillage Iii
Oll elle croyait voir s'év iller un sentiment réel.
Elle regarda son fils a' JC plus de tendresse qu'à
l'ordinaire.
Il était silencieux, et remuait dans sa tête bien des
découvertes, bien des projets. Que cette chambre
éta it 1riste ! Il fallait du luxe à sa mère si délicate, si
distinguée . Qu'il serait doux de lui en donner (
Qu'importerait alors l'héritage du vieux marquis
Il'Hautecour; le vieiliard égols te et avare n'aurait plus
cette satisfaction cruelle de faire soufTrir les sien s .
Ce serait la revanche de sa mère, son triomphe.
Et l'intérieur qu'il rêva fut un grand salon
L ouis XIV, dans lequel une jeune femme blonde,
aux yeux bleus, allait et venait, active et tranquill e
à la fois, animant tout de son {egard, apaisant tout
de 50n sourire.
XIII
Il lui faIiut néanmoins trois jours pour s'apercevoi r que Noëlle réalisait cet idéal; trois autres jours
pour se douter que Mme de Boutreuil avait peutêtre elle-même entrevu cette solution.
La perspective du succès rapide ne le dégoûta pas
de son entreprise, au contraire . Plus le but paraissait facile et rapproché, plus il lui sem blait désirable.
La semaine écou lée, il commença à se lasser d'un
mystl:re qui perdait le charme de la nouveauté.
Et pu is il était si fier de so n idée, si heur ux surtout de la joie qu'il causerait à sa ml:re, qu'il ne put
y tenir plus longtemps ct, un beau matin, risqua sa
confidence.
Gérard choisit 1'heure où sa mère n'était pu<
encore levée pour se gli sser dans sachumbre, et lui
exposer la f\rande arrâ ire, assis sur un~
petite chaise
Il côté du lit, comme lors"lu'il était enfant, et qu'il
venait réci1er ses lecops ' avant de rartir ~ our le
f.ollège.
Rien qu'a l'aspuct ùe sa physionomie, !Vlf~e
d'llau:
teC01.1l' deVina qu'il avait une commurlicatllln à llli
t'aire ç t ~:omprit
0\1 il vonlnit ~n yc:ni r, di;f\ la r~"
l~r
ilr SIJ fi O! 'o\02!le mp if ail
�NO~LF:
93
Lui, cepend ant, se donnait beauc'><lp de peine
pour prépare r diplom atiquem ent les voies. Eile le
laissait parler, sans mot dire, craigna nt de gater Ir
et,
i Jltia~e,
ce~l
à p~endr
plai,sir q u:i 1 resn~ait
apres qu'il eul fim, tout Interloq ue par le silencE'
elle réfléchi t enCNe un instant.
inusité de sa m~re,
- Comme les enfanls grandis sent vile! dit-elle.
enfin. Je croyais avoir encore le temps de m _décider .
Il la regarda surpris.
- Oui, continu a-t-elle avec une maiice afectus~
Voilà des années que je songe à ce mariage , mais je
pensais avoir devant moi dcs années encore pour
luger, examin er, peser ~i ton bonheu r est là.
- Comme nt r vous aVIez songé ...
- Et de quoi veux-tu que je sois occupé e, Gérard.
si ce n'est de toi? Mais il ne m'est jamais passé une
jeune fille sous les yeux, sans que je me sois demandé si elle serait un jour la femme qui te rendrait heureux . Comme nl sc pourrai l-il que tout
d'abord je n'aie pensé à No(!lIe, à ton amie d'enfan ce?
Quelle respons abilill! pour une mère de se pronon cer 1 Commc nt voir d'assez pri:s, juger avec assez
de pruden ce, quand il s'agit de la vie entiè!re de ce
qu'on a de plus cher au monde ? Eh bien! j'ai sondé
à fond la nature de NOl:lle, je la connais comme si
elle était ma fillc, et je l'aime tendrem ent; je suis
sûre de son cœur.
des
« J'ai réfléchi à tout cela pendan t des jours el
que
depuis
...
temps
quelque
depuis
surtout
...
nuits
j'ai peur de te manque r; et je ne sais encore si elle
te convien t, si c'est sagesse ou folie, de ma parl, de
vous laisser l'un pri:s de l'autre, cie risquer ton
cœur, de permet tre un altache ment qui pourrai t être
•
malheu reux.
Mme cI'Ilaute cour parlait mainten ant avec solennité. Elle se souleva it sur son coude, ses yeux brillaient, a figure pitIe appuyé e sur sa main diaphan e
se colorait d'une rougeur légè!re qui lui J'p.ndait
l'éclat et l'anima tion de la santé.
- VOiS-lU, eontinu a-t-elie , je n'aurais pas abordé
ce sujet avec loi, de peur de te trouble r, de gêner
tles relation s naturell es, douces, presque de famille,
et qui sont à peu près la seule distract ion. Et [lIiis,
.::ntre la crainte de favorise r un projet dang reux cl
sans raison Jill! chance de bl>! l '
celle de repl1u~sc
leur in espérli, j'ai cru bien faire en mailWmanl
hm,
.tallt qUI, Il ru 'ul'u' HlW .J~Q
I~
�.NOFL~
Le r,lün ."nt est venu uc la pren dre
et jc ne <;;l1S
quel cun.scil :e don ner. ~{)u:.
la
pr'cm
iè:'c foi~
,'hés ite, JC n'~1
pl~s
c~te
mtUltlOn, ct~e
ft:rme~
ui n.e m'o nt JamaIs fatt défa
ut qua nd Il s'es t ag~
e tOI.
'
_ Mai s pvu rquo i tant d'in quié
tude s? ob~erva
Bér ard, éton né ct déco nfit. Pui squ
Noëlle à fond , que vous êtcs sûree vous con nais sez
vous un inco nvé nien t ou un dan d'el le, où voyezQui sera pou r vous une fille gcr à ce mar iage .?
plus tend re, plus
lévouée ?
_ Ce n'es t pas à moi qu'i l faut
_ Eh bien 1 repr it Gér ard avecpen ser.
émo tion , que lle
femme mei lleu re et plus cha
rma nte pou rrai s-je
trou ver?
Mm e d'H aute cou r s'ag ita avec imp
atie nce.
_ Il ne suffit pas, mon pauv
femme soit bon ne et char man te re enfa nt, qu'u ne
pou r faire le bon heu r de son mar i. L'af fect ion
mut uell e est la premiè re de tout es les con ditio ns d'un
mar iage heu reux ;
cc n'es t pas la seu le; ton cœu r
blemcl'Jt fixé. Il ne faut pas le n'es t pas irr6vocasans s'as sure r que les froi ssem don ner à la légè re,
ents , les diff icul tés,
les rigu eurs de la vie, ne vien dron
la paix et la joie de ton inté rieu r. t pas emp ois( \nne r
_ D'o ù vien drai ent ces froi ssem
ents , ces difficultés 1 dem and a Gér ard. Hum aine
sibl e de les prév oir. Jam ais je nemen t, il est imp ospare illes gara ntie s mor ales ; c'e trou vera i aille urs
t très rare de con na1t(e, com me on con naît sa sœu
épo use. Qua nt aux avan tage s r, la femme qu'o n
gran ds, trop gran ds :Noëlle est mat érie ls, ils son t
rich e.
- Oui , repr it Mm e d'Ha utec our,
com me se'p arla nt
'l elle-m6me, tout sera it parf ait,
ines péré
rais Di~u
si NM lle étai t la fille de Mm e ue, et je bén iBou treu il.
- Elle est abso lum ent com me sa
- Tu ne com pren ds don c pas fille.
1 s'éc ria la m~re
avec imp atie nce. Cett e Oligine
Noëlle Dre ck 1 qu'e st-c c que inco nnu e m'effraie .
cela , Ure ck? Mon
I)i~,
çe n'~st
~a
le. man que de part icul e qui m'in
.J.Ulde; maIs d'ou VIent cett
e cnta nt .~ que son t ses
pare nts, ? elle app elle Mm e de Bou
t\pp artle nt-e lle a lIne hran chc de trcu il. ma tant e •.
rar la pauv reté ou par une alliala famille, d<!chue
nce bou rgeo ise?
mais alor s, pou rquo I ce mys tère
dess us. Pou rvu qu'e lle ait dan s lcs? Jc pass erai s lùvcin es, d'un côté
au mOinS, un san~
égal au tien . 'iu'e lle app arti enn
e
«
l
�NoitLLh.
95
à ta classe, silhln à ta caste, eh bien! je trnuveralS
dans ses qualitô s personnelles, dans la protection
dp. Mme de Boutrcuil, une compellsatron suCiisante.
« MaIs, si son origine était absolument basse, si la
mésalliance était complè!te . .. non, mille fois non ..Je
sais trop ce qu'on souffre d'un mariagelmal assorti.
du mépris des siens, des réOexions du public; et
cela, malgré l'affection la plus vive, le dévouemenf
Je plus absolu.
- Mais, dit Gérard, vous oubliez ma situation . A
quoi peut prétendre un gentilhomme pauvre?
Mme d'Ilautecour se redressa.
- Je n'oublie rien, mais je ne faillirai pas. Pour
t'épargner quelq.ues, années, .quelques. mois peutêtre d'angO Isses, Je n entamerai pas ta vic ... et, quand
les mauvais jours auront pris fin, quand tu seras en
possession de ta fortune, que lU jouiras de tous tes
avantages sans que ton existence soit gênée par une
concession imprudente, alors, tu me remercieras
d'avoir tenu bon. Qu'est-ce que c'est qu'un peu plus
de patience, quand on touche au but?
- Et si vous n'avez pas la force d'y arriver? dit
Gérard à voix basse .
. - Je mourrai avant, voilà tout, n'ayant pas failli
à mon devoir, heureuse de penser que mon œuvre,
restée intacte, sera couronnée par l'avenir.
- L'avenir! je n'en veux pas sans vous, dit-il av c
une fermet6 qui ne lui était p~s
.habiyul!11e. VI)US
voulez que je ne songe qu'à mOl, j'ob~I.
VOLIS éle~
10llte ma Vie, tout mon bonheur. SI le vous VOIS
souffrir, que m'iport~n
les titres 7 1'arge1l1, .les cha:
teaux ct tout le ri!ste ? je ne pourraIs pas en JOUIr. s/
j'avais le malheur de vous perdre. •
La voix de GGrard faiblit.
- Il n'y a plus rien au monde qui pUIS~
m'inté
resser, me consoler, me dnllr,er une mInute d J
satisraction. Ne vous raites pas plus rorte que VOliS
n'êtes; vous ne me tromperez pas. JI n'y a plus que
01 re amollr pour moi qui vous soutienne. ;\ u nf)111
de cet amour, ayez pitié de moi.; laissez-moi s.aul'cl
mon ]-.lus cher trçsor, vous dL:livn:r dcs SOUCI qlJJ
vous rongent, vous entourer de soins ct de 1<·n·
dresse, vous de soins et de tendresse, vnus dnnn··
le repos, le spectacle de mon b~nheU1!
l'affecl if)
d'une filk, l 'S caresses de rellts en tants 1 Mn
Dieu, quel rêve de bonheur plus grand puis-je faire.
(1 ue celui de vous voir heurcuse par moil
�XIV'
~ genoux prèS du lit de sa tnère, il couvrait ses
mams de baIsers, se cachant le front dans les cou.
vertures pour arrêter de grosses larmes qui COlL~
aient malgré lui,
Elle ne faisait plus que de faibles objections, san{
vouloir céder si vite, nt prendre un parti grave,
Sous le coup de cet attendrissement communicatif,
Mme d'Hautecour se demandait si Gérard n'avait pas
raison, si elle n'était pas incapnble de continuer sa
tàche, si elle ne perdait pas la vie entière de son fils
en l'exposant à rester seul sur la terre, sans conseil,
sans appui,
- PourquoI prolonger nos souffrances? disait
Gérard, Pourquoi différer cette résolution, si nous
devons la prendre? Tout mariage offre quelque
inconvénient. Au bout du compte, que peut-il n.ous
arriver de pire? c'est que Noêlle appartIenne à une
famille de beaucoup inférieure àlamienne, D'abord,
je ne le crois pas; il n'y a qu'à la voir, q~I',i
l'ent~dr
parler, pour démentir rette Suppùsltlon qUI ne
repose sur aucune donnée sérieuse", Quand même
ce la serait, personne ne le sait, et du reste, qui pourrai, nous reprocher celle concession? Qui s'est
occupe de flOUS pendant nos années de misi;re et de
lutte? Qui donc aurait le droit de nous blàmer?
, Serait-ce M, d'Hautecour?
" Dois-je le traiter comme un grand-pè;re, lui qui
n'a jamai voulu me regarder comme son petit-fils,
qui ne s'est jamais demandé si j'étais mortouvivanL,
qui ne nous a fait que du mal, qui nous a vus sour.
:l'ir, sans le moindre gentIment dt: piti,; /li de honte ?" .
(11 '1l1C l'indirrérvl1t:e, pour ne pas dirt: lil hilinc,
1 ;j voi" de Gérard s'L'levait ami;re et "Ir' l 'Ilt,· A.
\ accent nOllv('<lU, ,.;a mère tressaillit.
- Gérard 1 s',;çria-l-cllc, C'Cgt le Jll'rc cie. (,,\ pi r",
~
Non, rCl'rit-lI ;j\,:C plus d'emp"rt IIH nt, Ct:
/1' s t, pa!>; !W)1 p,l'r<, [1uisqu'ill'a lai st: 1l1"'lriJ ;:;<lIlS le
rcvo!r, plll"\lI1'" Il.' \'nus a pas appcll'P Sil fille! .lc
ne lui ,dois compte: ni dt' 111"11 11()nl qu'il regrette do
rn~
VOir porLer, ni de ma vic ciJ.'il a faite aussi l'rusé-
�NofLLt
j'able qu~t!
a pu, ni de mes actions qu'il Il perdu lp
droit de contl·ôler. Je ne suis pas so n petlt-lils; je
suis ve,tre enfant, et voilà tout; Je n'ai que vous, VOU5
n'avez Ilue mol. Gardons-nous l'un à l'autrc; et
qu'importe le reste?
La coli:re de Gérard se termina par une nouveIlt
~xplosin
de tendresse.
Mais Mme d'Hautecour s'était sentie atterrée er
découvrant, dans l'âme de son fils, tonl de ressenti.
ments et de .d()ule~r
qu'elle n'avait pas soup~né.
Elle ne lUI avait Jamais parlé, que rarement et brièvement, du vieux M. d'Hautecour, ne voulant, ni altérer en lui le respect filial, ni lui donner des illusions
sur le caractère de son aleul. Du reste, Gérard évitait
d'instinct ce SUjet pénible; aussi, le croyait-elle
résigné, indifTérent ou. inconscient, tandis qu'i amassait au fond de lUI-même l'amertume c:t l'indignation.
Le malheur avait-il aigri le cœur de Gérard? En
[erait-on un revolté à force de souffrance?
Ce n'était pas le moment de le reprendre.. ni même
de le rai so nner.
EI:~
l'apaisa, lui pr0\.-I't,· de ne les sacrifier, ni l'lin
ni l'au" e, à des préjugés ans fondemcnt, l'amcna
~ioucemnt
à parlerd'autrechose,ctlerenvnyacalme
et souriant, sous prétexte d'une commission urgcnte
à faire dans un autre quartier.
Tandis qu'il s'en allait, actif ct pres '6, et que le
grand air, le mouvement et le froid viC qUI lui cingla
la figure achevaient de le remettre, elle rénéchissait,
anx:euse, avec cette tension d'esprit qui fait de la
pensée le plus rude des labeur.
C'est aill i qu'elle médita tout le jour, cachant so
préoccupation dans un sourire, 1uand son fils était
Iltlpri:s d'elle.
La r~p()l1se
aux deux lettres écrites la veille arriva
tldns la s oirée.
Le notaire informait Mme d'Haut ~cour
que la
...'a ncc, dont elle csp6rait le reCCiI vrem~t,
était
lévocah lement perdue; l'agent de ciJnnge, lut, l'aver'Rsait que les actions tlu'elle cOlTIlltail vend~
'!w<J ient cie subir une baisse c()nsidé'.~bLe;
s'en
d,'falre en cc moment serait fnlie.
Mais i\llTIe d'Hautecour n'avait pas li 'a utres moyens
de se procurer l'argent qui lui était n6cessaire. Un
emprun~
lui avait [oujour semblé la rir'e des extré.
mités. C'c~t
en se rési"nanl à tout t)ouffrir, plutOl
'~.lV
\ .
�98
NOELLE
que d'en venu' là, qu'elle était arrivée à j01ndre tes
dellx bouts.
Cela ne lui êté1:- plus possible à présent. Il avait,
Jallu subvenir ;U·éo ..... alion de Gérard, ct so11 revenu
.le pouvait y faire face.
Lamb~ux
par lambeu~,
l~
maigre capital s'en
dalt aile, et elle supputait a quelqucs Sema\l~:i
près, le temps qu'illui seraIt possible de subsister.
Dix-huit mois. deux ans peut-etre ... et pUIS. ses dernièJ'es ressources sel'alent totalement épul&ées. QUl:
devit lL1rait son fils, et elle, si, d'ici !iJ. Gérarù
n'avait pas trouvé un emploi lucratif, ou s. :~ vieux
;\11. d'Hautecour n'était pas mort?
Elle soutiait am1:rcment en ellc-même.
Cette pensée lui inspira un mouvement involnll
taire l't1C poi: et d~
désir qui la Cit rougir, comme
d'une mauyalse aCllon.
Il lui semblait que l'existence terne, égolste, inutIle
de ce vieillard, dérobait des anée~
de joie et de
prospérité à la jeune vic de Gérarù, ct un sentiment
haineux et violent s'éleva pour la première fois dans
cette lime si douce.
Toute la nuit, Mme d'Hautecour resta les yeux
grands ouverts,. fixés dans l'o.bscLlrilé, comptant et
recomptal1t toUjours puur arriver au méme résultat,
cherchant f~bnlemt
le moyen de multiplier ses
ressources, de tirer parti du dernier répit qui lui
restait avant de sc trouver face à face ave~
la misi:re,
ou, du moins, de prolonger Cc l'épi!.
H.éduire sc dépenses, cela n'étûl! plus pf)s~ible;
sl)n imaginatlol1 biltissait des conibil1<li OIIS folks
que sa 'raison faisait aussitôt crouler; des lueurs
d'espoir apparaissaielll,puiS s'éteignaient de nou veau.
EUe avait la fièvre. Vinsomnie qui fail puraHrc les
t cures IlIngues, les soufTrances intolérable!:!, la solittlde effruyallle, agitait !:!u tête fatigUée, lui l11011trunt
t\lut plus désespéré, le terme fatal plus pt'oche, les
\:hanccs d'y échapper moins nombreuses.
Bien souvent déjà. ses nuits avaient été troublées
\ 'Ir des ang0isses pareilles, mais alors elle se sent<iit
l'lus forte, elle se raisonnait, s'encourageait, et s'endormait ,\\'cc une prière.
C"ltc fois )en ne calmait son esprit en ébullition
,L'!o, ('uro) 's de (iérart! frappaient l'une après l'al1tre
SOlI (I~eil).
et elle finit pur::;e dinJ:
:e~t
lUI qui Il raison .•Je V'lIX taire le lart~H';,
ct méme II.! l'r'!s'<cr. car le n'ou ai pas puLlr lUllg-
�NOftLLE
99
tcrnrs, et Dieu sait ce que devienurai\ l,ion rauvre
enfant sans moil
Di;s le matin, elk appela Gérard, ct le reçut ave\,
~ln('
animation fébrile, dans laquelle il crut voir url
rcnouvcau ùe force et de santé.
~ Elle est toute contente; comme je lui ai fait du
bien hier 1 se dit-il fier et joyeux:.
- Je vais mieuK, r0pondi(-elle âses tendres que!'
tians, mais il faut bien que je me soigne, puisqu'il
s'agit d'entrer on campagne. Marier son fils, c'est Il
dernière victoire d'une mère; elle se repose aprl:"
sur ses lauriers. Aie confiance! je sui:'l un b011 ROI.
dat. N'oublie pas que c'est aUJourd'h~li
la veille do
Noël et qUÇl Mme ~Ie
Boutruuil t'a invité à sun
réveillon . Je voudra!s ~len
t'accompagner, mais je
suis raisonnable, rt je tiens à Gtre sur pied pour le
jou!' de l'an.
« 'Va ùonc acheter le bouquet dt: fête de NOëll
comme tOlIS les ans.
p
xv
La mère arrangea elle-même la petlle hotte db
roses de Nice cho'i'lie par G0rard; clic maniait avec
Dmuur les tiges délicates, et croyait ducouvrir dans
les corolles tremblantes un monde de sentiments et
d'esp0rance.
- fis s'aimeront, sc disait-elle, ievoyant Ilvee une
m61ancolie qui sc faisait douce, IfJ& jours dujà loin.
tains Ul! II;! Jli.:re dc Gérard l'avait nim6c, les ei]f'nn.
tillugos joyeux. do leur première ter:dres:;c, les
millu riens oui avaient marqué Culllmc t!es év0m;
1l11:nts, tians ~a m0moi re attendrie.
Cc hllllhcur, Gvanoui depuis tant d'années, clic
nllait le voir ruvivre cl elle fut presque c:fTrayée en
sentant combien, depuis la veille, CI;! prolet lui 6talt
devenu cher.
- Si ct: mariage 6tait lmposslllle 1 pcnsa-t-ellf.
avoc tOlTeUI'. lais' non; il est 0vident que Noèlle est
la ni<.,cc de Mme de Boutrt:uil pli~LJ1'e
l'appelle
iTla tante.
\' DI) reste, G0r'11J'd ne $'en~al.;
en
,
�JOO
nuant à VOIr nos plus anciens amis, comme il le fah
depuis son enfance. Di:s 'Ille je serai rétablifl, j'ap~
profondirai lef. choses .
E1le se coucha beaucoup plus calme, pendant qU€
Gérard se rendait chez Mme de Btlutreuil.
Sa vieille amie l'attendait avec impatience et fut
enchantée de le trouver un peu gêné, un peu ému :
l'emb arras Îmlsité avec lequel il offrit à Noëlle ses
JœUX et son bouquet n€' témoit5nait plus de l'amitié
franche et el Jfantine Qui avait Jusque-là régné emre
eux.
.'
Noëlle le 'compnt; mais ce changement, tout en
lui causant un certain 1ll;alaise, ne lui nt pas de peine.
Vanuement, elle senht que quelque chose de nouveau ~ntrai
dans sa vie et s'en trouva heureuse.
Deux ou trois vieux amis de Mme de Boutreuil
vinrent bientôt rejoindre Gérard. Mme d'Hautecour,
seule manquait à cette réunion annuelle, compos0e,
i epuis bien des années, des mêmes personnes.
La nuit était belle, pas froide, illuminée par un
clair de lune superbe.
•
- Si nous allions à pied jusqu'à l'église? dit
Noëlle. Le temps était si beau, la dIstance à parcourIr si court~
qu'on se rendlt à son désir.
La petite. .:aravane s'achemina gaiement vers
Sai nt-François-Xavier.
Ju;:;que-Ià, NoC!lle n'avait jamais vu revenir cette
belle rête, qui était la sienne, sans se rappeler un
jour de Noël déjà loint ";:in, d'où dataient pour elle la
?rotection de Mmp de Boutreuil et une nouvelle
existence.
Ce soir-là, le yassé disparaissait devant l'avenir
triomphant et radieux.
Agenouillée à côté de Gérard, Noëlle se laissait
aller au charme .touchant de cette poétique cérémonie. Lcs cantiques, les lumières, le rite majc tLlCUX, les chants d'allégresse, formaient un ensem':;:.; à la fois solennel et joyeux qui s'alliait aux seni: irnents intime' ...le son àme.
~n
~o . ·'an~.
de l'église, Mme de Boutreuil, un pet
fat Iguee>,. l'.flt le. br?s d'u n de Ses vieux amis, el
G0rard on nt le sien a Noëlle.
Ils '-\'en allèren.t tous deux, côte à côte, sans se
parle., mais devlnant l'un chez l'autre l'~cho
de
leurs pensées. Ils e trouvaient très he~rL1x
sans
bien savoir pourquoi.
TnQAlaS, 'lUi ~I:U"
O~.lVrj
1:' ourLe. l~ur
~t;)û
lJIl n....
�NO~LI!;
.ot
gardattendri et narquois qu'ils ne s!'u pçonnèrent pas.
-Je me suis t'Jujours dit que ça ~el"ait
Ull genti
m6nage, se mannutta le vieux servitc:ur, en àllant
mettre la dernil:n.: main aux pr6paratifs du réveillon.
Pui , pour se bien exhorter à ne pas dire ce qu'il
ignorait, il posa son doigt sur ses lèvres, en hochant
'a tête d'un air sienificatif, à la grande stupéfactioll
de Mlle Ismérie Qui n'avait pas la clef de ce mani::ge.
Le réveillon fut très gai; on se separa fort tard,
mais Noelle resta encore longtemps éveillée.
Ses méditations furent probablement aussi repo ..
santes que le sommeil, car elle se leva le lendemain
plus en train, plus l'miche, plus jolie que jamais .
Sa mère adoptive l'embrassa avec un redoublament de tendresse.
Leurs regards se rencontrèrent et se comprirent
sans doute, car la jeune fille sc cacha toute rougissante dans les bras de Mme de Boutreuil.
- Oh 1 maman, chl:re maman! murmurait-elle
tout attendrie, répétant d'instinct cette douce appellation c,lu'ellc hasardait Jans les jours de grande
tendresse
- Qu'as-tu, ma chérie?
- Rien; vous êtes bonne, je suis heureuse .
Mme de Boutreuil tressaillit de joie en disant:
C'est bien son bonheur que je fais 1 Elle l'embrassa
encore. Le bruit d'une porte qui s'ouvrait interrom.
pit leurs confidences.
Mlle Ismérie apportait le courrier de madame.
- J'ai les yeux fatigués; :iens, lis, dit Mme de
Boutreuil, jetant de côté les journaux, et tenllant à
Noëlle la lettre qu'on venait de lui remettre.
Un 16ger pli se forma sur le front de la jeune fille
,ui considérait l'écriture et le timbre.
- C'est de Mme Dambry.
- Ah 1 une lettre de jour de l'an 1
Les premières phrases ne contenaient en effet que
le form'Jlaire banal que rép(;tent docilement, à la
fin de l'arn6e, loutes les bouches et tC"ltes tes
plumes de France.
En tournant la feuille, NoClIe rougit soudam. Le
refrail1 annuel terminé, Mme Dambry écrivait:
~" Enfin nOlis allons nous revoir, .Je veux mettre
mon Benjamin à Stanislas, mais je n'ai pas le COllrage ÙL' me ~érac
enlièl"t':l11l'nt dl.! lui. Je pa~seri
dopc d';:IH·cr!<i+4~
. .\ oh!~
llJ:I(\(!l' \>,J,.11 ùr, l'ant~1i
�IO!!
NO~LE
Pans ou mt:;s filles pourront terminer leurs études
et trouver les distractions de kur âge. Vous savez
combien il m'en coûte de renoncer à ma chl:l'e solitude; mais je dois penser à mes enfants avant tout,
et Fidée de me rapprocher d€: Marguente est pour
beaucuup dans ce.tte décision. Je "vous retrouverai
clUSS! chl:l'e cousll1e, et vous pouvez penser avec
quel plaisir ... etc .•
NuCJle resta atterrée: Mme Dambry avait toujours
ét~
sa bête noire.
La perspective de sc trouVCI' à sa portée, de la
"encontrer sans cosse sur Son chemin, d'avoir avec
clic de fréquentes l'elatlolls, la faisait frémil', comme
devant Un danger inconnu.
- Singulière idée 1 s'écria Mme de Boutreuil, vivement contrariée. Mais ce qui est dit n'est pas fait;
on ne rompt pas si vite avec les mille liens qUl
attachent à un chez~soi
où on a passé sa vie.
Mme Dambry exécuta cependant son programme,
ot plus rapidement qu'on n'aurait pu s'y attehdre.
Dans les premil:res semaines de janvier, cile
arriva chez Mme de Boutl'euil, Ù l'improviste, comme
la premillre fois, et f1anquée des deux jumelles.
Gérard était là. Ses visites devenaient de plus en
plus fréquentes ct chacune d'elles laissait au cœur
de Mme de Boutreuil un espoir croissant et, dans
celui do Noêlle, III bonheur conflls et un trouble
pro rond.
Il ne reconnUT pas Mme Dambry, mais ressentit
la gêne qu'appo!·tait sa prosence. Pour cette rai on
peut-être elle lUI déplut souverainement.
Elle était douée d'ailleurs d'u ne voix jadis haute et
claire, à présent aigue ct perçante, qui ImprosslOnnait d'une façon désagréable les ol'eil1es délicates;
et les. démonstr~i
affectueuses CJ u'elle prodiguait
et qUI contrastaient. avec u ne grande sécheresse naturelle, ne la rendment pas sympathique.
Au bout d'un moment, Gérard sc leva et sortit.
- Quel ost ce jeune homme? demanda Mme Dambry après son duparl.
- Le fils de mon amie Mme d'Hautecour.
- Comment 1 c'est le petit d'lIautecnur que j'avais v!-l chez v0L!s tout cnr~lt?
11 ya plus de vin~1
ans, il est vraI. Mon I)IUU 1 que cela nous fait
viei!lcs 1 J'al beaucoup connu les d'lIautecour autrefois .
.- \~"nimut
1 r""'",ï":"fI (lVl'(' nl,gliAl!IICe Mme de
�.Boutlt..uil qUI ne (enaa pas à attirer sur GéJ'lM'd l'at~
tentioll de sa trop perspic ace amie.
- Mais oui, c'est singulie rcomtn Lon sertouv~
mOI. :dari était très lié avec les ù'IIaute cour qui som
Lorrain s. Je vois encore de temps à autre le vicul'
marqui s d'Haute cour chez ma belle-sœ ur.
,( Ils soht voisins de campag ne. Le chàteau d'rIal!'
tecour est superbe , entouré d'une proprié té immense. J'y suis allée avec ma belle-sœ ur. Quoiqu e le
marqui s soit très sauvge~
il nous ac~ueil
à merveille, à cause de nos anClcnl les relatlOn s. C 1est utl
holnme charma nt; mais il e. t infirme , très âgé du
teste.
Mme Dambr y S'arrêta tin instant comme pour
réfléchi r.
Mme de Boutr'eu il tisonna it silencie usemen t, craignant, en interror t1pant celte convers ation, de faire
remarq uer cotnbie n elle lui était désagré able.
Quoiqu 'il lui fût pénible d'enten dre le nont de
Gérard sortir de la bouche de Mme Dambry , Noëlle
écoutai t avec intérêt. Rien de ce qui touchai t son
ami ne pouvait lui rester indifTérent.
Mme Dambry conttnu a :
- C'est ce jeune homme qui est le seul héritiel'
de cette immerls e fortune , niais son gt·al'ld-père ne le
voit pas. On m'a raconté Phistoi re: une folie de son
pL~t·C,
un mariage mal assorti, une brouille . C'est
fort lI·ist~
pour le vieux M. d'Ilaule cour et il est
bien dur d1abanc lonner ainsi un vieillar d à une com~
piète solitud e; il est résjgn'~
\ le pauvl'e homme ; il
ne se !)Iaint jamais.
- 1 a t·aison, repartit viveme nt Mme de l3ou~
treuil, habituc e dès longtem ps à réfuter les jugcments superfic iels des guns qui s'ocCup ent d'nITail"cs
'.le ramille qui lcur soht absolum ent inconhu es, et
sc hittent de sc pronon cer cn faveur du plus riche
oU du plus fort. Mme d'Ilaute cour est lI,le femme
adtnirabl-.:, ct son beau-pè re l'a traitée avec autanl
d'injust icc que de dureté.
- Je ne connais pas les choses à fOOd; je sui~
enchan tée de savoir qu'on a exagéré les torts du
celte pauvre rcmme, quoiqu 'une rnêsalli ance soit
toujour s, à mon avis, une cllose irrcpara ble et malIJeureu se. Mais il faul plaindr e \.1l1e veUVl! rl!stée si
JCtHll. .... \TCC la charge d'un enfant. C'esl Llne
rude
tùche, quand i"l s'aait d'un ~a.\"'(on
j'en ~"I
1\ uL!lq ue chOSe.
�104-
- Et VI LI C gl'a~d
Joseph,. qyc devient-il? demanda
Mme de BoutrellJl avec Int.:rl;!~
.
,
Tandi s que Mme Dambry ?numéralt l ong~e:'t
les inforturie .'; de Joseph, les injustices dont il etait
victime, Noëlle se répétait ces mots qui avaient
résonné jusqu'au fond de son cœur: « une mésalliance est toujours une chose malheureuse et ir ~"
parable ».
.
Dans la nalveté de son premier bonheur, elle n'f..
'Jait pas songé à la distance qui la sépa rait de
Gérard distar1cc effacée à ses yeux par leur longue
intimité leur affection, presque fraternelle, à présent.
Les cha~rins
de Mme d'Hautecour lui revenaient à
la mé~re,
mais cet exemple la rassurait en même
temps.
.'
Ne fallait-Il pas les p:ejugés d'un autre âge,l'égOlsme incrllyable du vieux M. d'Hautecour, pour
repousser cette noble femme que. toute famille aurait pu être fii;re de compter parmi ses membres?
Et qu'importait, après 10ut.'àG
~rad
l'approbation
lie ce vieillard sans cœur ~UI
avait voulu rester pour
lili un étranpPf ? pourquoI se fier d'aJ!l~urs
à ce que
disait Mme D.,•. ,Ty, dont Noëlle connaissait li' malveillance 'r
La conversation des jumelles acheva de dissiper
forc éme nt les réflexions pénibles.
Le temps était loin où les deux sœurs, alors tout
enfants, se ressembjaient au point que les étranoers
ne pnllvaient les distinguer l'une de l'autre. Un 20ntruste, aussi complet que po 's ible, existait maintenant enlre elles. Mathilde était restée petite maiore
maladive. Son visa~e
poi.nt~
avait une vague ~la:
logie avec le profil de la jOU1l
~.
Son teint plomhé,
ses cheveu?, bruniS ne ra~pe.lnt
plu la petite fille
blonde et fra1che qu'elle etait autrefois.
Mimi, elle, avait gardé son éclat, ses boucles dorées, .sDn 1'I.re cnyantin. EI!e ~t it ~rande,
trop grande
peut-etrc, clanccc, .Ies traits regullers, l'air hien por.
tant, la ]îhyslo~m,e
douce.
la trouvait tri.:5 jol ie,
ct cCl 1 cndant, '1 1\1.1 ma.n(,1ualt que,I'lYC chose' cC;.
quclqlll' chose d 1Id~flS
S ahle
qUI disiinnue le
~YI-\J1(.'
"e l'oil!; celte grâce native qui rC'sidl! ~,n
ne
salt (h lUe'l r";;l'ml!, dont on reconnaÎI l'ab<i('nCl! ou
la pr~selc,
"ans pouv/lir dire ce qui l'ôte ou la
~)n
e, ct que ril!n ne remplace.
3es grands yeux hleus manquaient d'expression
lia gair.lé était UP peu uniforme. "'A douceur un pc~
<?n
�moutonnière, mais ht bonté qu'on sentait e" e1l(
la rendait allrayante. Son sourire, qui r<,:ssl!mblait à
celui de !"Iargueritc, acheva de lui gagner la facil y
sympathie de NoC:lle.
Toutes deux causèrent amicalement, malgré le ma,
laise qu'elles éprouvaient toujours l'une vis-à-vis de
l'autre, et que la présence de Mathilde ne cessait
d'entretenir. La filleule de Mme de Boulreuil fit
cependant beaucoup de frais, mais l'aigreur ue son
caractère se faisait JOur sous ses eff 0rts d'amabilité.
La visite [ut assez courte.
Mme Dambry s'en excu a, alléguant les courses
innombrables que nécessitait pour elle la recherche
d'un appartement.
Elle prit très affectueusement congé de sa cou.
s ine, fut gracieuse pour Noëlle, et daigna adresser
quelques paroles à Mlle Ismérie qui la reconduisit
jusq u'au bas de l'escalier.
- Vous voilà, ma bonne Ismérie, toujours à votre
poste r ... Vous allez bien r
- Madame est trop bonne. Je me fais viei lle ...
Madame est en bonne santé, ainsi que ce c.1l!moi·
selles?
- Merci ... un peu fatiguées de nos cours'"!s, IlWis
c'est Mme de Boutreuil que je t,rouv p ~hang
f;:. ~!
J 'en
suis effrayée.
- L'àge est là ! dit Mlle Isméne en hOI \;allt la
rète avec importance. Et puis, madame sc s·;rml:ne.
Il faut s'occuper de mademoiselle, receV01r, aller
dans le monde et encore se faire du souci. Ce n'est
pas raison nable.
- Non, assurément; mais ma cousine est si
bonne!
- Trop bonne.
- Je la raisonnerai: il est bien heureux que je
puisse me l'approcher. d'elle. A son âge, la famin~
ést une chose n6cess2lre.
i n nécessaire 1 soupira Mlle Ismérie, ~e Bépu.
, . \t l Mma Dumbry avec forclJ rrlvéreril'e •
(,hEl!' Int"'
J1J 1,1
1
, ~mù
,Wenuc
It
~1'lt
ql1'l:llle
r-J,vl~
un
JJatnbry 11'(jt\va l'appûrtutbenl tel. Sg! "&vell,
Lamotte-Piquet, prLi.l uo \ln f,.l(;\.l da l'Mt.I:1
de BoulrcuÎl.
PI:U Ù pl!U, No~le
(111 l'1t 1\ vf~lt
'lit
IÎlIl il ~
vllg\l 'In nt
\11.li,
~1\Hj
t
dut e'l1ccC)utUffil:l' t\ su {rd..
l'habit Icl/4 "11 rn nr:!
II
,1
1 •
�NOËLLE
Mme cro Boutreuil, elle aussi, ufccl'tajt mainte.
nant vtlltlnti<.:rs cette intimité qui lui rappelait sa
jeunesse, et {)ù eUf> ne voyait plus de danger .Dour
Not::lle .
.
Mme Dambrv avait été parfalteme.I1t discrète, et
,1e: JIleilleur mo)'en pour qu'elle ~ont,luà
était de
~)e
pa~
la mécpntenter, Il n'y avaIt d <\111eurs a~cun
nrétexte pour l'écarlier:..
.
~ Mimi et Noëlle s'almé.\lent plen; If! socIété de
lV1nf~
Dambry, une fois f!cceptée, distrayait Mme
de BuutreuiL
. .
Une chose cepnda~t
rest,~l
.JnsupportaOle à la
mi:!re cl à la fille adoptive; ç etaIent les rencontres
des d'Hautecour avec la famille Dambry; elles se
renouvelaient si souven" qu'on aurait pu croire
Mme Dambry exactament informée des hé.\pitudes
de Gérard et de sa mère.
- Il vaudrait mieux attendre, pour çonclure ce
mariage, q~e
.Mme Dambry ne [Clt pa.s ~i près de
nous, se dIsait Mf!1e. de Boutre~Il
qUI, malgré ses
raisoQnements {)ptlmlstes, sentait toujours un dangl,lr de ce côté-là,
.
Mme d'Hautecour, elle aUSSI, se donnait dGS
prétextl,ls pour temporiser. mIe craignait, en inter.
rogeant trop franchement son é.\ITIJe, de blesser 1.1ne
;uste susceptibilité.
1 Peut-être aussi, d~
plus en p\1JS inquiète de l'ave~
nir rlp. Gé:ard, a:,lt~e
reu~
de voir surgir ùes
oj:)stacles a ce qUI lUI paraJssal\ la seule chance de
bonheur de son fils,
son désir de voir s'accomplir cette
A mesure qu~
l'njon augmentait, elle. sc per~uadit
que .la réponse
de Mme de Boutreull, tou~ban
la naissance de
Noelle, serait satisfaisante, ct que, tout en commandant ~ Géré.\rd la prudence, l'indifT6rorlOe, elle
oe songeait pas, clans sor, ugolsme maternel, qu'elle
"jsqua~
de troubler, pileS q\.le celui de Gér~(I,
le
",pur alOjant cie ~()üle.
j)'une nature aussi volontaire Ot ardente quo
celle de G6 r ard élail douce ot faible, moins expér~
mentée e) par conséquent plus absolue que !L1l,
~yant
encore dans Pame 1" confignce nalvc de l'en ..
ïanl ct déjà le dévOllcmenJ passionné de la femme;
avec cette spDnta~i,
Cl:l1e candeur cct abandon
Cl ui l'avait
atée jadis Jans les brn's Je Mmt' de
..
(lU1I'cllil, No~l(\
tUII,lt'CIj \J. tllll
If'val
cJonnrJ aune hllllitntioll tOI,Hu
'Il, . IIQ
i \.l'll/,r 1\11 (1
�Nol!:LL r,
doutant pas 4u'il ne l'aimat COll".le elle l'è.o.lOlait, que
ion silence ne fût, comme le sien, une réserve
limide, et que nul obstacl e ne pût les séparer .
Et, si elle se fût confiée , et qu'on lui cut demanu e
sur quelle parole, sur quel acte de Gérard ellp. fondait sa certitud e, elle aurait répond u sans se trou':>Ier: Je ne sais pas; si sûre de son propre cœur
qu'elle no pouvait suspect er un lllstant celui de so(l
ami .
Lui, cepend ant, apporta it dans ces sentime nts
Ilouveaux la molless e, la docilité qui faisaief lt le
fond de sa nature, et que l'amour filial seul avait
chassés un momen t. La perspec tive de vivre désormais entouré de plus de tendres se, délivré de tout
souci, lui sembla it radieus e et il se laissait aller à
cc beau rêve, compta nt sur sa mère et sur les circonstan ces pour le transfo rmer en realité.
Il avait, pour son amie d'enfan ce, une affectio n
.. <lIme, douce, mesuré e, qui suffisai t à tous les
besoins de son cœur et sc traduis ait par mille
attentio ns délicate s.
Elle aimait beauco up les fleurs t.;( il lu; en donnait
souvent . Tl l'avait toujour s fait, mais à présent , aux
yeux de Noëlle comme aux siens, ces témoign ages
,.l'amitié prenaie nt unI:: signific ation nouvelle.
- Un vrai bouque t de fiancée 1 C:it Mme Dambry ,
trouvan t un matin No~lIe
occupé e à arrange r, dans
une corbeil!..: de vieux Sèvros, une gerbe de lilas
blancs.
La rougeur de la jeune fille prouva la juste:!5~
de
cette rél1exion.
- De qui ces Oeurs peuven t-elles bien venir 'f se
demand a Mme Dambry .
Et, comme il lui paraiss ait importa nt de le savoir,
e.lle fei/l,nit de ne pas s'eq soucier , se garda de ques·
tlOnner Mmt: de Boutreu ll ou NOèllc; seulem ent, en
Je retirant , elle dit néglige mment à Ismério qui la
recond uisait:
- Savez-v ous che~
quel fleuriste Mme de Bou·l'euil a trouvé ces beaux lilas ( c'est demain la fête
le lvlimi ct je voudrai s un bouque t sembla hIe .
- Je n'en sais rien, répondi t )smérie , de l'air pinc6
.. ' III domest ique auquel on refuse les conridc
llces
Oui lu' .;ont ducs ... c'est M. d'Haute cour QU II'
Apporte ces fleurs.
•
. - Gérard 1 comme nt ne t'avals-j e pas ùevlllé. Soi
~lt
Mme Damhr v Cil s'on RUant. songeu se. C'Oot
�t"'lS
tW!LU!
cela ... l'a!!1Ï d'el~anc
1... l'é1ernel roman du jeune
Ilomme pauvre 1. .. La dot de Noèlle est, j'en. suis
sûre, piu::> grosse que celle de mes filles l et Il n'a
pas un sou, ce Gérard, du mOIns tant que son grandpère vivra. Mais après l Et l'attente ne sera pas
lonoue . Mme de Boutreuil sait bien ce qu'elle lait.
La 'fille du père Dreck, mariée à un d'Hau1 ecour 1
Rien ne pouvait être plus désagréable à Mme Dambry que cette idée.
Le mot de mariage sonne toujours mal aux orellles
d'une mère quand il s'agit d'un~
.aulr~
qu.e de ses
filles. Si elles ne sont pas manees, Il lUI semble
qu'on leur dérobe une chance d'avenir; si elles le
sont, il ya encore à redouter qu'une autre ait trouvé
mieux.
DélllS lc:spet..t!, la ch~se
se compliquait d'une question d'intérêt. U~e
fOlS le co~tra
de NOèl~e
sIgné,
Mme de BoutreUlI ne pourrait pas se dédire et sa
fortune était irrévocablement assurée à sa fille
adoptive ou aux eofants de celle-ci, au cas où la
funèbre prédiction du docteur Baller viendrait à se
réaliser.
Mme Dam Dry se sentil aussitôt résoiue à tenter
un effort désespéré pour arracher à sa rivale cette
victoire suprême.
Le choix, que Mme de Boutreuil avait fait de
Gérard, achevait de l'exaspérer.
- Gérard, le dernier des d'ITaulecourll'hérilier de
ce chàteau, de celte fortune! Un des plus beaux
partis que puisse rêver une jeune fille riche l Car le
vieux marquis n'en a pas pour 10nf1;temp ,cl au resle
il désarmerait peul-être si son petit-fils faisait un
mariage convenable, et si on lui présentait la chose
avec un peu de diplomatie 1
;' .T'avais déjà. ar.rangé to.ut c.ela quand le p. ensais .à
Gerard pour MimI. Il s'agIt bien de ma fille, à present 1 Place à la petite Dreck 1
(
CI Je serais cuneusc de savoir si Mme d'Hautecour ~
:onnalt son .origine. ,I;;JIe a dll s'en informer aupri:s
de ma COUS1l1e; male; elle passe par-des",us tout à
cause de l~argTI\.
Du reste, ce n'est l'a" à die à sc
m~ntrc
dlff1CI, ...... pourtant il v "lirait moyen de lui
t~lrc
r"lm prC!ltlre ... Mais il Ill' faut pas que cela
clen/~
_;e mOI ... IOlll J'dfct s 'rait détruitl
Saur<Jlc\~
ues. rétice~s
habih.:s, q\lclquc\ ,,)olS
vague~!'r,t
mqmélal:ls Jetés au hasard, Mme Da~
br" ~e ~IlSa
don/' non échapper .. ur Cf' qui touchalt
�1°9
Noêlle devant la mère de Gérard. CCllC-.:i du reste
ne la questionnait pa , n'attendant que de Mme de
Boutreuil une explication assez difficile à demander.
Il était rare de trouver Mme de Boutreuil seule au
logis .
Et puis, la santé de la vieille dame déclinait rapidement; à la suite d'une petite attaque de paralysie
à peine caractérisée, son oreille devenait de plus en
plus dure; son esprit si vif s'alourdissait, sans toutefois perdre de sa précision.
Malgré cet affaiblissement, peut-erre mëme à caus~
de cela, jamais l'excellente femme n'avait été si entourée, C'étaient des arrière-petits-neveux inconnus
dont les sentiments de famille se réveillaient soudain
avec une force irrésistible; des parents, brouillés
depuis vingt ans, avides de réconciliation; tles
petits-fils d'amis, Impatients de renouer les relations
d'autrefois ; des jeunes filles qui ne pouvaient se passer de Noëlle, ct demandaient la permission de sc faire
accompagner par leurs grands frères; des jeunes
gens à peine sortis des bancs du collège, ct comprenant déjà combien une belle dot s'associe heureusement à une brillante carrière; d'autres plus expérimentés et pour lesquels l'hOtel de Boutreuil
semblait le port le plus désirable à atteindre après
une navigatIOn orageuse ; des hommes mûrs, persuadés qu'üne femme charmante et riche est la plllg
douce des retraites ; sans oublier les vu1l:laires cou'
reurs de dot.
Les m0res n'étaient pa~
aussi scrupuleusement
c1ifliciles que Mme d'Hautecour et s'inquiétaient fort
peLl que Mme de Boutreuil [lit la mère, la tante ou la
bienfaitrice de Noëlle, pourvu que cela ne nt pas de
différence par devant notaire.
Mme de Boutreu il ct sa fi.l~
laissaient bénévolement
s'ngiter autour d'elles ce tourbillon, ne voulant même
pas soupçonner des convoitises ou des rivalité,
qu'elles savaient siinlltiles.
Tout CE' mouvement, qui s'accentuait Chaque jour
davant<lge, finit pourtant par lasser, lv.ur f(l[:ce .. sinon
leltr p<ltil'oce; ct leur b(~lh'r
1l1tlll e etal.t lr0i"
,\.!r·alld pour qu'l!llc5 l1e deslrussent pas en JOUir <l
J';lhri de~
importuns,.
. .
Dans Jes premiers Jours dl' Jllln, l\lme de Boutrcuf(
sc dl:cida Il partir pPlIr Trouville.
Un plus lointain déplacemcnt lui aurait été une
fatigue, et i1 1ui f'~mbl.it
du reste orMél"able de ne
�~'10Ëtu:
1 JO
pas s'éloi~(.ej
ti'O(:1~ic
Gérard, au point où eh étaieht
les choses.
'
- J'ai loué la maison où nous avions passé UOL
saison ensemble il y a bien des annéGs, dit-elle à
Mme d'Hautecour. Pourquoi n'y pas reprendre, pen,
dant quelques semaines, notre bonne vie d'autrefois ? .. L'air de la mer achèvera de vous rétablir: le
'lous enlève 1
Mme d'Hautecour no sc fit pas beaucoup prier. La
perspective d'un peu de j'epos hol's cie Pans la ten·
lai t, ct cette intimité leur offrirait, pensait-elle, Pocèasion depuis si longtemps attendue, de parler à
;œur ouvert.
- Et les occupatiorts de Gérard? objeda-t-elle
fai b lement.
On convint gue Gérard resterait seul à Paris, et
viendrait chaque samedi soir à Trouville pour y
passer la journée du dimanche.
firme d'Hau teCour étaît chei Mme de Boutreuil
terminant avec elle les dernieI's arrangements rela~
tifs à leur dérat~
quan rl Mme Dambry 'Iint prendre
cong": dG sa COUSlOC.
~ J'cspère bicn no pas vous dire au revoir jusqu'à
l'hiver prochain, ma chère Malhilde. VallS Viendrez
nous voir il Lagny cct êté ?
d'àge à f~ire
des projcts,
- Je ne sui,s plus Bu~re
qut:lqüe sédUIsants qu'Ils me paraissent, répondit
Mme de BoutreuiJ. J'ai conservé un souvenir charmant de votre maison hospitalière et de votre beau
pays.
- Ou,i, le sile est pittoresque; l'air est bon HUI'tout. Lorsqu'on y esl habitué, on a peine à rospi rel
ici, l\h:s filles ont bien besoin de retrouver il: climal
natall Mimi est toute pale.
- C'est peut-être la croissance,
- Croyez-vous? eE" a dix-sept ans.
encore.
- Noëlle, qui en a dix-huit, ~rlndi
- Oh1 Noèllc, r." r.t différent. Sa croissance c~t
,'cturdée; clio sera t eaucuu P t,jus grande qu'cl k
~'est.
Il n'y a qu'à regarder ses pieds ct scs mains:
ds sont deux fois de la taille de ceux de Mimi.
l\Tm~
de Boutreuil rou[Jil vi0ll:mment. Les pieds Cl
,(;S ma1l1s de Noëlle, seule Jisgrilce de Cet être char01<1111" uVU'<!nl tOltjrlurs fili\ Il! désespoir de la m'.rl'
\ 1"[111 Vl;
-
A moins U~1
..:e na
':lOit
un sjgnc du ruce, con-
�NotLLE
,,,t
tlnua Mme Dambry à voix pre~lqu
basse, ne semblant s'adrCSSL!f qu'à Mme d' Haut ecour, mais Je
Caçon à être entendue de Noëlle. C'est clvmmage,
elle est si jolie 1
Ce coup frappa la jeune fille droit aù .:amr.
Elle comprit d'emblée l'inimitié de Mme Dambry
et tout ce qu'elle avait à en craindre .
Il lui fallait lutler contre une e nnemie cachée et
d'autant plus dangereuse; lutter avec des armes
sccri;tes, dont elle ignorait le maniement; lutter saŒ;
o;;ccours, car son orgueil lui défendait du sc plaindre
tle ses blessures, et même de ks laisser voir.
Elle regarda Mme Dambry.
,ramai la figure de celle-ci n'avait eu d'expression
plus biunveillante, jamai s sa voix ne s'était Caite plus
.tfTectueuse, pendant qu'e!le s'enquérait des projets
d'été de Mme de BoutretHl et de son amie, de leur
installation à Trouville, du temps qu'elles duvaient
r passer. avec une sollicltudc banale, exclusive à la
OIS de l'indifférence et de la CUflO~té,
- Je ne veux pas prolonger ma visite, ce serait
indiscret la veille d'un départ, dit-elle en se levant
au moment où Mme d'Hautecour se retirait.
~o
ë le
éprouva, en les voyant partir I~nsembl,
une: terreur impui ssante.
11 est plus difficile d'éviter, sans en avuir l'air, un
de ces petits écueils mondains sur lesquels sombre
parfois le bonheur de toute une vic, qut.! d'échapper
ft li n v ~ l'itabe
naufrage.
Le fait si simple, en apparence, de deux amies de
Mme de Boutrl.!uil descendant en même temps l'escalier de son hôtel, se mbla à la jeune fille un teribl~
danger, cuntre lequel il lui était impos s ible de so
défendre. Pour la pri.!mi1:re l'ois, un doute cruel su
dressa enl.~
elle et l'avenir qu'die a\ait vu si
radieux.
CI:! pr~"sent,lH
la remplit d'une lel.'eur j rl'Dl·
"onnét.!.
Elle Sb rappf.!la It.!s pil'ges qui lUi avaient été tcn,
dus , et quc, dang sa n'11veté, dit.! n'ava it pas dc\inés.
même apri:s y C:lre t((mbée; les allusions ci so n l'Lissé
il ~ a famille, à SI' place chez Mme cie BOlltrt.dil, s~
1")~ClrB,
si lég ~ ,·emt.!n
Indiquét.!s, qu'elle p"ait Cflt
sc lrompcr t.:n It.!s remarquant; la mani " l., h<\i~
d,,"t MIllt.! J)1l1llbry avnit, un jour. Îait rC,srl l'tir S'l',
1j.iIlOri.lllCU dU\ll11l (,6rard, en ln priallt d'(1cril'l IInl)
1"111' , ""Il" '1'1' ,,,111
nr Il m u.i f
if· '1.Il ,1 J
�NohLE
excuser - deux QU truis fautes de fran~is
ou d'orth~
"raphe.
" .
1) No':::lle cacha dans ses mains sun visage ualgné Je
larmo.!s des larmes do.! l:crf, forcé par la meute, et
qui, s~chant
la lutte impossible, se résigne à suc.romber.
XVI
Une fois sortie de l'hôtel, Mme d'Hautecour se disposait à quittel: l\[me Dambry, quand celle-ci lui dit
Ù brüle-pourpolnt :
- Je ne savais pas que vous alliez à Trouville
avec ma cou ine. Lorsque vous en reviendrez, je serai
partie pour !a Lorra1l1e ct, avant de ret.ourner il
Lag ny, J'aurais el! quelque chose.à vous dire. Nous
sommt:s à dcux pas de chez mOI; voulez-vous m'y
accompagner?
. .
.
.
Ml1lc d'Hautecour, qUI eprouvalt une Impressiun
presque analugue à celle ressentie tout à l'heurt!
par Nui:lle, !illalt s'~xcer.
.
- Il s'al'It des Interets de MonSieur votre 1ils
ajouta I1m~
Dambry.
..
'
Avec ces mots, on aurait fait alh:r la mi;re Je
GGrard au bout du monde.
- Jo.! vous suis, dit-elle.
Les deux femmes franchirent en silence le court
espace qui les séparait du logement de Mme Dambry.
C'était un appartement meublé, situé au premicl'
étage d'ui1e aRsez bellt; maison, d~cor6
avec; le
luxe froid, banal, impersonnel, dt;s demeures de
IU19&J'(I, qui ne rov~!t.,n
en rien les goûts, l'âge ni la
clusse de leurs habllants, et se bornent à laisser
Ù vinel' III prix qu'ils pouvent mettre à leuI' loye!'.
Lo moblJi 'r é ait d'une ~léinçe
me8(lulne 1
, , ltlrd .
Lu vie.
w e6ntJm nt du
hO/T!B I
qui l'l!uvent t' ndrr
nt dûfau'
t\lr yOI1\ 10 plL;!l modillltu il1l6rl\)ur, 'utsnJ
.. ce logis do pas Up,l!.
Mmu d'Hautucour s'a Sit sur le cunnp6 de velours
~uge,
dans le salon blanc et or, et attendit, non
tans o.ppr6hènsion, fJersuauûll qV?, 1;;\1 1."" l 1\11 Iii ",i
1
lIir
1111
r ppurt hA. NoiU",
;:,
�NottLLl!.
n n'<.;n
rut nen.
- Vous aile!. me trouver bien Inu,scri;te, dlf
Mille Dambl'Y d'un ton s~l'ieux,
plus n:l1l!lelt.!t moins
désagrt::able dans sa bouche 'lut.! les preott.!stationr
affectées ou les lieux communs qui détcJl1naient avec
<;on esprit froid et pratique. Vous vou~
choquerel
peut-étre de me vOir occupée de choses qui vou!>
concernent. Ma vieille expérience m'a appris qu'on
va au-dl!van t de semblables appréciations 10l'sq u'on
cherclleà rendre un service . Cependant je me risque.
car je croirai s vous faire du tort en ne vous avertissant pas . J'espère que vous comprendrez assez mes
int entions pour ne ras m'en vouloir, même si j'évoque
des souvenirs pénible; j'espère que les anciennes
relations de nos deux familles s'excuseront d'entrer
ainsi de force dans votre intimité.
- Vous avez dit, chi.;re madame, qu'Il s'agissa.it
de mon fils; ce mot suffit pour que, d'avance, le
vous sois reconnaissante.
- Je le savai , et c'est ce qui m'encourage. Je
dirai aussi que ses qualités, l'affection qu'il a pOUl"
vous, tout ce (lue j'ai vu et entendu de lui, a au~
menté encore l'Int é rêt que m'inspire le Gis d'un dè"
meilleurs amis de mon mari, et Je désir que j'éprouve
de le voir à la place dont il est digne.
Mme d'Ilautecour tressailli1- légèrement.
- Je ne vous comprends pa .
- Sa place, continua Mme Dambry, sans se t ... IUbler, serait, év idemment, dans ce beau château
d'l [alltecour où ont vécu tous ses ancêtres, clan~
cc
vieil hôtel que son gra!1~-èe
habite ~Ol1t
prè.s d'i ·i.
Je sa is qu'il en est pnve p.ar une sU.lte de clr~os
tances r c~retabls,
malgrt: ses drOits,. ma!gre les
secrètes Inclinations de son a1eul, qUI, bien des
fOIS, i'en suis sClre, a !louffert de ne pas avoir nuprè!s
,le lUI son petit-fils, le seul représentant de 80n nom.
- Pourquoi ne l'y a.t-i.' pas appelu? répliqun
Mmo d'Hautecoul' d Jn6 VOIX sourde.
. Pourquoi? pl:lfl;e qu'nn premier pAS fait 11am
mauvaiso voia en~ag
toujours Ay pereév'l Ill'
Pl\1'~"
'-Iu'H oet pr(!squo lmpossibltl il Iln Illelll do
\In
jC'lI'ts 1 à un viulllùru d~
rdconflnltru
renonder
qui ont
rt!gllJ sa vie; ù un homme d'un cnrat~
aUS81 altier,
a.ussi vindicatif que M. d'Hautecour, d'oublier St!~
t'laf~
plus ou O1oin" fondés, SIIB l'nnCl\I1U, m !l1;
aux jmjjuAés et aux principes arbi~l'[(,u;
1I.~lr
r.
~
01
fi,
,IJ
Ill'"
l
"
,11 ' 11 Jl~
1 Il
W
�NOËLLE:
~ d"un vieillayJ riche,.de gens m~chants
u,t cupides pour entretenir ses colc:r<.;s, exploller le!'
Drouilles el Caire tourner à leur pru(i! l'éloignement
des héritiers légitimes; et qu'Il manque toujours
d'amis assez dévoués, pour s'entremettre, adoucir
'es espril , rapprocher l'un de l'autre ceux que séparent des malentendus ou des difficultés ... au risque
d'être eux-mêmes accablés de reproches par les
deux parltes qU',ils ont voulu ùgalement servir .
- Je ne Cl'OIS pas, repnt un pell aml!remcnt
Mme d'ITautecour, que mon b"au-pùre ait jamais cu
besoin d'ètre ini1uencé contre nous; c'est bien de
lui-même, et en pleine connaissance de cause, qu'il
a agi.,
"1
ct
l
'
.
- OUI, maIs 1 y a e c.c a vIngt-cInq ans, et
vingt-cinq an;s suffisent à 6tel!1dre bien des col,~res.
Les chagrins adoucissent le cœur; l'age, les infirmités rendent la solItude pesante.
1< J'ai vu as~e
.vot,re be~u-pl;r
'pOUl' conoaltre,
non ce qU'Il a ete JadIs, ma,ls ce qu Il est à présent:
eh bIen 1 je vous assure qu'Ii serait heureux d'ouvrir
les bras à un pelJt-(]Is comme le sien.
- Que ne le fait-il alors"( Gela ne dépend que
de lui
- De ses habitudes, de 80n entoUl'age, de !'occa,
sion surtout, plus que de lui, S I vous saviez les
filets dont on l'enveloppe 1
- Oui, je sais : une :,Ioce trl ' ~ inté~e
sée qui est
preSL)u.e toulours ,aup~'ls
de IUIl mais on ne peut
Jl!sl1el'lter son petit-fils .
- Je VOLIS demande pardon; il Y a pour cela un
moyen trl!S simple,
- Qui est?
- De ne pas lah;s~r
d'héritage, J'ai toujours
soupçonnu, et Je connaiS à présent par 10 menu les
manWlIvres par lC'iquelles on dépouille d'avance
votre fils,
" Ce sont des capi.taux qu'on s'assure peu à peu
sous la forme Je prots, de dép6ts, de dons de Ir
main à la main, Je billets qU'on fait si~ner
au vieux
marquis. I le~'us01nt
p~ur
l'OUR, la plus grande
partIe d,' .; a"fortU.l1~
,consl!>te ell propriétés. Cela,
c'est plu" ,htflcJie a h1lre (lIspa raltre. On vient cel l ndant d'y il'~r.
J'ai i1ppl'lS Ce mUlin quo Iinl'lllL'our
I!.IJUlt ütrc miR Cil ventu.
dll GlÏrnrd,
- V (l 1"1) 1Io,lItQCOUl" r 8'c: .... 111 III 1~I·U
"rllnl\l ,U\I IlIln J ~Rlm
in li~'r(IW
llu' lit:! •• fl'\:l;Flmais:t1pr,~
�NoltLLE.
.d't! lèI~q10-à
pour ne fournir à cette étrangère
aucun sujet de s'ingérer dans sa epnfiance.
l'vIeis l'idée de la vente d'Hautecour la bou]cversalt.
Cc chateau princier, cette splendide terre de
famdle où son mari dait né, dont il lui parlait sans'
cesi:le, où elle rêvait de voir retourner S'lIl 1J1s, passerait et1 des mains étrang~cs
1
- Oui, vendre Hautecour! répéta MW3 Dambry
eatisfaite de l'effet produit.
« Une fois les champs, les bois, IF) chüteaù 1 convertis en argent, le vol légal sera lite complété; et
on pousse les chosesl vu l'age a~:lncé
Je 1\1. d'HautecOUf.
~
Et il conseutl il osel .. , il ira jusque-là i'
- Non sans répugnance; car, ne croyez ras C;L.e
le but de toutes ces manœuvres échappe à V')t re
beau-père. Il sc rend très bion compte de ce qu'on
veut de lui, seulement, sa volonté affaiblie ne pt It
seule résister aux in!1uences exercées par son entou·
rage, et il faut que vous veniez à son SOCOUI'i", s.
vo'us voulez sauver l'avenir de votre (ils.
- Moi 1 moi qu'il a toujours J"epoussce, relllée?
- Vous-même. Son age\ son litre palernel, les
intérêts de Gérard, vous permettent d'oublier tout,
ct il est temps, grand temps d'arrêter les dJlapida'
tiot1s,,, et aU Sei d'entourer la vieillesse du seul paren
qui rei;te à votre fils.
Mme d']fautecour ft-onça le sourcil.
ne l'l'';()llnaissait pas à Mme Dambry le drQit de la conseillel .
Celle-ci s'on apcrçu t.
- Je ne donne aucune appr6ciation personnelle,
dit-elle dOllccment,jai voulu sculement vous avertir.
Pcrsonne autre ne l'aurait faÎt.
« ,J'ai quinze ans lIe plus ([tll! vous, cl qui connaît
micul' quc moi les sollicitudes d'unc m.:re, d'une
veuve Ï' No vous froissez donc pas, si une \'icilk ,1I111e
'le voire familled0sire un rapprochement nl:ces;,aire
<!t Se met ù votre disposition pour y contribuer.
Le regard de J'l'lmo Dal11bry semblait si franc, ~; ~
il1tt;:nti(;ns ~erviablc
étaicnt si évidemment déU,~
~é
'8 .le tout intérêt. que Mme d'IlalltecClllr sc repentit
de sa su s c(:ptibIiilé mdiantc et la n:merci3 cor::a·
lement.
- flle permellt;lr\'llliS d'cssay.:r Wh i'}C'II • .;i!ië:'
tion, CI>l11l11e 1.11: lItlli-mémc'? dit 1\11111' ]),lIl1br ; If!
connais aSbCI. M. d'llautecllul' I)ollr a\'llir 1110, Irallc
purlor avec lui. Je l'al vu pIUeleU[:j fui" "lOI biv .."'~
mie
�No1tLLE
mals il me la(ialt le temps de sonder ses disposl.
tions ... ct la ni i:ce était d'ailleurs trop près. Je vais
le retrouver à la campagne ; il y sera seul pendant
quelques semaines, et l'en profiterai pour lui faire
wtendre I:aison, lui fournir une occasion qu'i~
attend peut-être. Voulez-vous me confier cette mission? Je ne vois guère que moi qui puisse la remplir; c'est pourquoi je me propose. Soyez sûre que
votre juste fierté sera ménagée, et que l'échec, si
échec il y a, ne retombera que sur mu. ~ 'uLp..
- Mais comment ai-je mérÎté ...
- 0h 1 ie ne travaille pas uniquement pOUl' vous,
je suis, de 'tout temps, attachée à votre famille. J'aime
M. d'Hautecour qui a toujours été très bon pOUf
moi, pour mes enfants, surtout pour MimI dont il
ratToLe, et je ne voudrais pas le voir mourir abandonn é, sans un enfant pour Lui fermer les yeux.
Mme d'Hautecour n'hésita pas à accepter cette
ofTre généreuse, faite avec tant de délicatesse, et
lJui, d'ailleurs, ne l'engageait à rien. Mme de Bou:reuiI lui avait toujours parlé de sa cousine comme
ù'une femme supérieure, et le rayon d'intelligence
qui a~imt
l.a ~gure
de Mn:e Dam!)fy, ~andi
s qu'elle
parlait, éclaIra it e' adOUCIssaIt slnguhèrement ses
trait s rigides.
- C'est uneexct:Jlente personne, se dit Mme d'riau1ec0ur, songeus·e.
- D'ici quinze jours je serai en Lorrall1e, conclut
Mme Dambry, et j'agirai le plus vite possible; je
vous écrirai. Voulez-vous me donner votre adresse
bi~n
exacte à Trouville?
- La même que celle de Mme de Boutreuil; nous
logerons ensemble.
.
- Cela me fait bien plaisir pour ma cousine; elle
a besoin d'amitié et dG distraction, malgré les soins
admirahles cie sa charmante NoC:lIe. C'est un vrai
trésor que celte jeune fille! qui aurait pu le croire
quand Mmc de Boutreuil l'a prise?
- Vous ':l'pn..tissiez No(';lIe avant qu'elle fùt che:,
Mme de BO\ltreuil? ne put s'cm pêcher de dire la
mere cie Gé:r;.>rd o...:I;)liant uo instant sa réserve habituelle.
1 mais le l'ai l'lie nallre, la
- Si je ~a r.ona·l~s(i
c)o,(:rc l'etitd
- Elle est un pClII1arente dc MI11(' dl' Bnu(rcuil?
demanda anxieusement Mme d'Hautecl1ur.
- Paren(e dfl Mme dl: Boutreuill Ah 1 vous ne
�Il'1
'NO~LE
savez donc ras", .Mon Dieu, ce que nous avons dt
mieux à faire dans l'intérêt de la pauvre enfant, c'est
de la considérer comme telle, et, quant à moi, j'aim"
trop ma cousine, et même cette petite, pOUf ne "'as
m'efforcer de le faire.
~
({ Er. )luis, elle est vraiment attacnEe a Mme Je!;:'
Boutreuil comme à u ne mère. Elle n'est pas ingraki
c'est déjà quelque chose dans sa situatIOn.
Mme d'Hautecour n'insista pas; cette discrétion
afrectée ne la satisfit guère, mais elle se dit:
Une petite jalousie ... à cause de ses filles, qu'elle
réprime de son mieux, jusqu'à faire l'éloge de Noèlle;
pourtant elle ne l'aime pas, c'est facile à voir, et s'il
y avait quelque chose dl! grave à en dire, elle n'aurait
pu s'empêcher d.e le laisser échapper.
XVII
C'est avec bne joie enfantine que, te a"aanche
,uivant, No<::lIe et Gérard parcoururent ensemble le
théâtre de leurs jeux d'autrefois, Ils trouv\:rent la
maison beaucoup plus modeste, le jardin beaucoup
plus resserré, la ville beaucoup plus petite qu'ils ne
les jugeaient alors .
La mer seule leur semblait plus immense; ils en
saisissaient mieux la splendeur imposante et ne pou~
vail!nt se lasser de sUIvre des yeux les vagues qui,
l'une a/xèS l'autre, se brisaicllt à leurs pieds.
La c laleur était torride ct le sable brCllant.
Mme de Boutreuil et Mme d'Hautecour, S~ sentant
fatiGu~es,
s'a,ssirent cNe à côte SO~l
un grand paraplllle japonélls Inslallé sur le pelIt perron qUI -do_
minait le jarc!in
.
.,
.,
Il n'était III beau, 111 vaste, ce larc.!tn. Au mIlIeu,
autour, une grande allée ciro
llne petite pelouse; ~out
culalre bordée de VICUX marronlllers. Au fond, une
t(1nclI~
qui occuj1:Jit ~n coin; une, petile fontai,ne en
occlipait lin autre. Pres dt: la maison, une 1 ale de
rlch~s
.1 un huisson de roses de Bengali
Des
Jier~
toulTus habillaient le vieux mur de cloture;
Je tout ne tenait pa~
un arp,ent, mais suffisait à de{
P<\risienli Fl~"r
.respire/; Il l'al e·
�118
l'O~L!.,
l'vlalgre tOut le luxe qui les enrouralt} MI.,. tle Hou.
treuIl et N0011e n'avaient pas de jardin à Pari.; c:f
n'0laient pas blaséc sur le plaisir. de fouler un s,?l
qui leur appartint j mê~
tcmpor~l!"en.
Le petit
enclos de TrouvIlle faisait leurs ddlces et les fleurs
maigres, planté~s
à la bille, qui s'y ouvraient pén~.
olt\mcnt, prenaIent à leurs yeux un charme qurtlculier.
Tandis que Noëlle faisait admirer â Gérard le~
merveilles rustiques.. qu'elle .seul.c POuvait décou
vrir visitait avec lUI les reCOin ' Illustrés par leurs
sou~enjr
d'enfance, Mme de Boutreuil, prise d'un
attendrissement su bit, se pencha vers Son ctmie :
- Vous rappelez-vous, lui .dit-elle, ce que nous
disions lorsqu'ils. étaient petits e.t ql!e nous les
vOyIOns ainSI counr dans ce même Jardll1 ?
- Non ...
- Nous disions : Quel joli couple ils [ont 1 et nous
pourrions bien le dire encore.
- Mais à présent, dit la mère de Gérard, ce nt'
~erai(
/1eut-étre pas prUdent.
- Pourquoi?
Mme d'Hautecour regarda tout autour d'elle' 01\
avait fermé hermétiquement, â cause de la chaleur
les portes-fnê~
du grand salo.n ql:l doru'aient ~u;
le pl!rron; leti en1ants, au fond du Jardll1,lne pouvaient
rien entend ro.
Ellc put dOI~Cj
sans imprudence, élever la voix de
façon à être bICn entendue de Mme de Boutrcuil, ct
}ui ttTOndre :
- 1 ourquoi? c'est qu'à leur âge ces paroles
duraient une grande signification.
- Eh bien?
- Et que nous dl!vons réfléchir aVant de la Jeur
donner.
- Croyez-vous que nOLIS n'avons pas assez réflé-,"
chi? contillua IranquillenLCnt Mme de 13oulreuil.
Voilà dl!u:-, ans, ma chère amie, qlle jl! VOus voil
méditer.
Mme d'IH'd.tecour Wunt: clic sc
~l!najt
en vovan t• .1I"l"I\,(>!' le mOlllent déCisif.
fI'
-
plus brav,
C'Lst \:u'il ne sul!lt pas de réfléchir, dit-elle, jl
'-t ellcpre caUSl'r.
.... Causoll?; personl~
ne nous n empêche.
- N(I~
l!nlant Ile Vlllcnl que le beilu ci>lé
'.:10 cs. C' st il flOU,., d\
; lvisa~!I'
les diffkl1lll's.
EnVJlial.!l!U1l5, ma .:/'è:rl! amit·. ('\1 V1S i.:I{.!conl>.
-
dc~
�f Y a d'abord les sympathies .llutllelles. l'âge"
:cs convenances personnelles,
" Je crois que nous ne devons pas trop nouoi
arrêter...
•
- Ne nous arrêtons pas; ce sera:t du tempS pf'rdu,
- Vient ensuite la, question de fortune loujllurs
délicate. Vous savez <!.l.le le ne ouis fllire pour :!10'a
\ils ...
- Permt~;
il s'agit de dot, et c'est la m~rp,
d',
la jeune fillÇ) que cela regarde,
« Je donne iJl11Tliliion et demi de dot à NoêUe a'.
Je lui en assure un autre par contrat.
Mme d'IIautecour re ta un instant ébloll1e,
Elle ne s'attendait pas à tant de fortune et de générosité.
- Si cela leur convient, continua Mme de Boutreuil, sans attacher la moindre importance à ce
qu'elle venait de dire, ils pourront h~biter
avec vous
le seçond de la ffiilison, de sorte que nO~lS
jouirions
autant que possible de nos enfants.
Ces petits arrangements, projetés à l'avance, raprell:renlli Mme d'Hautecour qu'un moment de silence
de pllls l'engagerait tacitement, et elle reprit;
- Gérard aurilun jour la. fortune de son gl'and-père.
- Si cela est, tant mieux pour lUi, répliqu~
l'lIme de Boutreuil.
Son amie crut démêler, dans son accent, un doute
conn.rmant. les appréhensions de Mme Dambry <:It
contll1Uil VIVement:
- Mais. la question de fortune n'est pas tou·, ,11 y
a la questIOn de naissance.
gl\e avait instin.:tlvement baissé la voix, ce qill
n'empêcha pas Mme de Boutreuil de l'entenOre.
La mère adof'tive rougit et répliqua, un peu émue:
- J'oublie sOllvent 'lue Noëlle I1'CSt pas ma fille,
mais je comprends que vous ne puissiez pas l'oublier
ausSI complètement.
" Je ne crois pas que nulle autre enfant ait pt\
"épondre mieux qu'elle aux S01l1S et à la tendresse
lonl elle est l'ohJet. Je ne vous ferai pa" son éloge;
JOLIS la connaissez.
SOli nom de r~lmi\e
est Dreek? dit Mme d'Haute.
cour, ramenant doucement wn amie à 10 questio!\,
OUI, répondit Mme de Boùtreuil.
Un silence embnrl'aslll: so fit, puis elle reprit aVCI!
r.lûc.:iaion,
_ lU
l,l' ~l'
I~
P
t'~
lt ~ 'ft ...
qu"tlt
IIJ, IU'/II 1
�nelJes seules \il:onr d~ciée
à en faire ma fille. Je puis
lui donner lI10n nom, Cl. j'cil ai tlluJ"urs t!u l'intentiun.
1~lc
;;'arrêta encure avant de franchir le dernIer
.6b staclE;. lui {a séparait d'ull aveu pénible .
,
4-. SOIl ongine est modest!.!, quoique t1"<::s honorable. Son père éta it un proi~tac
alsacien qui s'est
'uiné; sa mi:re, morte depUIS longtemps, était la
jœur d'un médecin, le docteur Bauer.
Tout ce la était la pure vérité. Mme de Boutreuil se
trouva soulagée d'un poiJs in supportable en voyant
que la l)h ysiol1omie de Mme d'Hautecour ne se rembrunissait pas trop.
- Un médecin, répétait celle-ci rêveuse, un propriétaire alsacien, de braves gens?
- Tout ce qu'il ya de plus honorable.
- Et la mère?
- La mère était unefemme parfaite, très bien élevée.
- Ont-ils que lqu es bonnes alliances? dit
Mme d'!Iautecour qui, sachant la conliance absolue
dnnt lv[me de Boutreuil était digne, aurait voulu
t rouve r dans ses paroles un encouragement de plus.
- Le grand-père de Noëlle .éta it officier. Du res te,
la seule personne d e sa famIlle qui se soi t jama is
Ilccupée d'elle est le docteur Bauer, un excellent
nomme.
- Elle est orpheline?
- Son père vit encore, mais i! m'a cédé tous e'c!S
droits s ur elle. Vous n'entendrez Jamais parler de lui.
Mme d'Hautecour resta pensive. Elle avait espéré
mieux que cela; .une par~n.té
avec Mme de Boutreuil, et redouté :~JS
: une ongll1e absolument infime.
Le calcul rapide du pour et du contre la satisfit
relativement.
Les yeux de Mme de Boutreuil, anxiellsement alta.
chés sur les siens, y lurent cette satisfaction.
- Je ne slIis pas sClIlju8e, dit la n11:rtl de Gérard 1
la famille de mon f' "ri dOit être conaultée, et vous
.o.vez com,llien elle
19l de mOI.
il
C I~\
irnpltoynblQ quand il
il'
~t
Cola donnv la \l~UI'1m
Jo on i justice et da ln
'llito
~
1
t
O
V
lu!
d
vez, M ru!s, mil chèl'~1
w
r
• umlR~on
III ol1N lu b llt,:cmCl1t, 1 fortu110 (ll'runl-!u bien Jos
choses.
Mme d'IHllllr. 'oLlr avait dujll fait cetto l'éf1exiot1.
Ses exigence;; dim:11ualent Ù me~ur
que s'augtnantail
~n
Il!'· ir de voir co J"!'InrhlR0 IIGCOmpJI. EH I.hJmaltnlt!
~ j.j Id",1 ~ li 1/\/1\ ~i 'II ! li ..... 1" 'Ill 111'10\-
ij ....
�Uf
m!er entretien avec Gérard, lui '3emblalent impossibles.
- Propriétaire, officier, médecin, sc <m,alt-elle
songeuse. C'est la bourgeoisie, la petite bourgeoisie.
mais enfin ce n'est pas Je peuple. Et cette dlspanté
de naissance n'était-elle pas atténuée par l'honora ..
bilité parfaite, la protection et la générosité dl'
Mme de Boutreuil? .
Que pouvait trouver de mieux Gérard dans sa
positio!l actuelle'r Et, au cas où l'héritage de son
granu-pi::re lui arriverait enfin, ne risquait-il pas, gn é
par une fortune subite, assailli par toutes les tentations contre lesquelles sa pauvreté le défendait maintenant, de faire un choix moins heureux ? .. Surtout
si sa mi.;rc n'était plus là pour le guider.
Comme si cette même pensée lui fût venue à ce
moment, Mme de Boutreuil posa a main sur celle
de son amie:
RéOéchissez encore, mais pas trop longtemps,
lui dit-elle avec une tristesse clouce, car je me fais
bien vieille, et je ne vell:, pas l,>~('r
ma chl:r~
petite
seule au mon Je.
.
Elle se leva pénib!cment pour regagner la maison,
appuyée sur la grande ombrelle qui lui servait de
canne, et Mme J'Hautecour se disposa à la suine.
Le mouvement qui se produisit ur le perron fit
disparaUre brusquement une tête, penchée à ulle
fenêtre du premier l:tage pendant toute la conver ation. Le parapluie japonais, qui leur servait d'abri,
avait dérobé aux Li 'ux amies la vue de ce témoin
attentif, et ni l'une ni j'autre ne se douta que
Mlle Ismérie se trouvait en tiers dans leur confidence.
Le soir mêmc, Gérard, mis au courant, repartait
,our Paris plein d'csl'0ir, avec la satisraction tics
:icns peu laborieux, qui ont terfJlillL: une tache JJf'Iicile et voient Licvnnt eux un repos assuré.
- Tl n'ya l'liis de raison de temporiscr, avait-il di1
à sa ml·re ..Je ne comprends l'as pourquoi nOLIS av()n~
li 'jà perdu six moic;. En cinq minutes nOLIs avons eu
toutes les ~);plicat(Jns
nécessaires. Que voulez-vous
~e
l'lus?
- Vous êtec; si jeunes tous les deux, répondit la
'l1i.!re encore hésitante, que je voudrais attendre.
- Attendrc qlJoi ?
- Le résultat des démarchcs de Mme-])ambry
Gérard secoua Jnl!latIemm onl la tête,
�1!i2
NO~L't.
- .te ne crl)._ pas aux promesse!' ' 1: lVime Dambrv,
dIt-il et je ne comprends pas bien à quel titre el1L
lient' se mêler de nos aIrai res. Du reste, rien de cc
'.J.ui peut arr.iver ne ~h.anger
ma. manièr.e de ,,:o!r. .5\
j'avais le droit de choIsIr, C'est Noelleque je CholslràlS.
Mme d'H.autecour était presque résolue à faire un
[las décisif, lorsq u'el~
l'e~ut
le jeudi une lettre ùe
Mme Dambry. Cette femme énergique n'avait (jas
temps. Elle était che.z sa. b<;lle-sœur .et
fJerdLl ~e
àvait déjà v~
M. d'Hautecour qUI a~nvlt
de Pans.
Pour ne nen cacher, elle reCUnnalssalt qu'à peine
le nom de sa belle-fille prononcé, le vieillard avait
ieté feu et flamme, ~apelnt
tous les griefs et se
Uvrant à toutes les récriminations que sa dignité
semblait exiger. Il s'était cependant radouci en parlant de Gérard, surtout en s'attendrissant sut' son
propre isolemeni, ~t s'était montré fort satisfait ù'el~
tendre vanter son petit-fils.
Un reste de sentiment paternel sotnmeillait évidemment dans ce cœur . On pouvait le réveiller, surlOllt
en ce moment, car la nièce avait été trop loin ert
ex igeant la vente el'Hautecour.
t'instinct du gehtilhomme sc révoltait contre Une
semblable profanation. Il ne s'était pa~
montré choq ué
de l'intervention de Mme DambrYj all contraire. Il
l'avait même priée de revenir le surlendélnaln, cll!s.;.rant Causer encore avec elle , apt"l;s mûre réllexiOrl
d'un sujet qui le touch~l
profondétnent.
'
La lettre ne contenaIt aucune appréciation, et St
borhait à rapporter, l'resq ue ~ot
à mot, Ct; qui s'étai t
passé. Mme Dambry flnlssmt par la promesse d'un
nouveau compte rendu prochatn.
Mmc ù'IIautecour attendit cette seconde lettre avcc
une impatience décuplée par la fibre qui l'avait
repnse.
Mme de BoutreuJl fut aussi tr(;5 souffrante No"llc
tiC donna bea~lcoup
de peine pour les s()i~nc
t011 1ûS
deux, ct clic etall toute pale quand Gér<lrd t'evint.
- Mais je trouve la mai~;on
transformée en I-d'I 1 i
tal J s'écria-t-il, ct l'inlirml\;fe a l'air plus fatÎguee LI ue
les patlcntsl
' ,
- C'est qu'clic a él(' trop bonne garde-millélde\ dit
Mtne d'I raLlte~nu
caressant le s .:hc\'eLlx blnl1lts ùe la
oCull.e fille cl .lu COll'!ant d'lin regard n1alernel qUI
diSSIpa soudall1 la paku r de son vi!:luge. l~ c nous a
soignées Gomme llne vrall; ~(urÎc.
- Peut-ëtl'C (lue 1;1 V!IL'llÜI)n m.. l)UU9S111
�NOËLL E
- Non, non, ras cela, dit Gérard avec une terreu r
qui fit sourire tout IL: monde.
- Eh, mon Djeu 1 qui sait ce qui peut arriver'
ûbscna mulicie usemen t Mme de B()utreu il. Vo' f>1
j"llutOt Margue rite Dambry .
- C'est une excepti on, gromme la Gérarll .
Mlle Dambry est une sainte.
- Et moi, Gérard, pourqu oi n'en serais-j e pas une::
II la rogardil , fronçan t le sourcil; puis, voyar.
qu'on e moquai t de lui, se mit à rire.
- Il Y a heureus ement des . aintes ailleurs que
daml les cou'V~nts.
Que devlend l'aient sans cela le:
pauvres homme s?
- Et les pauvres mères? eontll1u a Mme de Bou·
treuil, surtout celles qui n'ont qu'un enfant!
Elle regarda sa blle dans les yeux, l'embra ssa tendremen t, puis Mme d'Haute cour, l'attiran t à son tour,
la serra contre san cœur,
Cette effusion , si peu d'accor d avec les habitud es
de froideu r ct tle réserve imposé es à Mme d'n;lUlu cour pat Ile longu es années de mal heur et d'isolt;·
ment, surpril' ent Gérard au point de l'effraye r.
Il considé ra attentiv ement sa ml.:rc; elle avait sur
les joues une rougeur fiévreu se; dans les yeu>,: un
éclat inaccou tumé, dans la voix des, anglots Qu'elle
s'efforç ait de retenir.
- Il ,'est passé quelque chose, se dit~l,
impatie nt
d'interr oger sa m1:re.
Cc n'est que dans l'après- midi qu'il ,trouva le
moyen do la rejoind re dans sa chambr e.
- Qu'est- il an'ivé ? lui demand a-t-il, le cœur serré
par j'inquié tude.
- Rien ... presquo rien ... une lettrede MmoD umbry.
En achevan t ces mots, elle avait do la peine ù ne
pas pleurer . Gérard se sentit pourtan t so\i1agé;
n'a ,rant jamais attaché aucun espoir aux démarc hes dc
Mille Dambry , un 6chee no lui causait nulle ducl,!pt ion.
- Cela seulem ent 1Pourqll oi tant "'-uus en aflliger.
Nous noug somme s bien passés Jusqu'ic i de l'affecti on
de mon grand-pL'I'c, .et un dernier ,témoig nage dt.' son
intimité ne chanHc nen ù votl'C eXlst..:nce
~
Tu t trompe s ... ton grand-p ère ne sc refuse pas
;l renoucr vos liens dc famille ... Il tc rappell e /luprè"
le lui.
Mme tI rral'lec: our parlaIt par gaccadc s.
1~le
tira dl: sa l'()ch~
une lettrc qu'elle dépIJ~.
- VlIiC'i cc lit Il' rn't"'I'il Mn',.· J1:11l1hry.
�NOËLLE
Elle essaya at., lire, mais aes larmes obsclll'cis.
saic:nt sc!s yeux, ct, 1)()Sant,le pap,icl' SU l' l,a table:
_ I,i s toi-mëm e, dit-clic! a son 1Jl~,
se rep::tant dans
,on faut eui l, épuisée, ft:rm!il1t lcs, yeux, et.11ressant.
,'une contre l'autre, ses mains qUI tl'emblalent ,
et con;meç~
~ la déchiffrer,
Gél'aro pm la l et~
L'écriturt: fine, droite, serrc!e, offrait, malgré sa
régularité, des diffieult6s qui ,rendaient la lecture
assez pénible, et G6ra~
f~t
eflrayé en mesurant de
l'œil les douze pages nOirCies par Mme Dambry.
Il n'en fallait pas moins pour compléter le chefd'œuvre de diplomatie que constituait cette épitre, Et
cc que Mme Dambry avait à dire était assez difficile
les périphrases dom le
à énoncer pour exiger to~es
style féminin est susceptible.
La réponse du vieux M , d'Hautecour avait été
prompte et catégoriq~e
. Il consentai.t avec joie il
accueillir Gérard, à l'II1staller chez lUi comme son
uniL[ue h é ritier, à le faire jouir di:s maintenant de
tous les avantages de sa fortune et de sa situation à
renvoyer sa nièce et à garder ~Iautecor;
tout cela; à
\lne condition, une seule, mais sur laquelle le vieillard S'éta it, mon.tré intra,bJ~
C't:~
gue Gérard
serait à !LIJ, entlCrement a lUI, et Vivrait chez lui,
séparé?e Mme d'IIa!-ltecour que son beau-père continuerait à ne pas VOIr.
- Elle l'a eu vingt-quatre ans, c'est mon tour à
présent, disait le grand-pi:re.
Et, sans donner ~e conseils, ~n,idquat
par de
petites phrases pl~I1es
de s~nlbité
et coupées de
poin~s
d'exclamat,lOn, combl~n
,:ette, rancune était
regrettable, combien elle a\'alt fait d'Inutiles erforts
pour <,>bt,enir mieu,x, Mm~
Damb.ry insinuait qu'une
soumisSion complete serait le meilleur m'lyen d'attendrir le vieillard, de l'amener à une réconciliation généraie; que, peu à peu, Gérard prendrait su r lùi de
l'innuence, et que rien alors ne l't:mpi:!cbcrait tout
en habitant chez so n grand-pi!re, d'aller sans ~est:
voirsa m::rt: ; que, du re~lc,
la mort dt: M, d'fIalltt:wur, évidemment prochaine, lui rendrait bien toI
toute sa liberté, qu'un refu s am'\nerait la venle d'I!aute,cour, t: dé~ouïle':n
,in6\:itable, cl .c1~'enf,
I.e
devouemcnt d'une mt'rt: n avait pas de 1IIllIle et Irai
)ien jusqu'à se pr!vt:r, penda,nt Cjllclqllt:s moi s, dc Jâ
présence de son Id s.• 'tuanLi il !:l'agi s ait dl: si graves
int~r
èls.
•
~
f.,Ullt un I)oj) moment Aa~ri\d
PIJllr d~J1l"
•• r au
'1
�milieu ùe ces longues considérations, de cet encbevt:trement d'avis atténuts et de demi-Illots C,Jntra·
dictoires, ce qu'exigeait de lui ~ 11 grand-père, ct ce
que conseillait indirectement l'an1Ïc dévouée ,!pMme d'Hautecour.
Quand iL l'eut bien compris, il fit un bond, CT,
bégayant, à force d'indignation et de colère:
- Quoi? Qu'e t-ce qu'on veut! que je vous aban.
donne! bien mieux, que je vous in s ulte; car, enfin,
aller où vous ne seriez pas admise, reconnaître pOUl'
mon aleul celui qui ne vous reconnait pas pour sa
fille, c'est tout bonnement vous renier.
.. Mais, pour quel misérable m'ont-ils donc pris!
Préférer cet aleul dont je ne connais que la duret p•
l'injustice; qui est pour moi un étranger, un ennemi.
à vo us, ma mère! à vous!
Gérard suffoquait. Cette fureur généreuse fit ô\
bien à sa mère. C'était son fils qu'elle reconnaissait
dans cette chaude et légitime Indignation; elle se
reprochait d'avoir douté, non de son cœur, mais ~e
son impétuosité ; d'avoir craint qu'il n'écoulat celte
offre, et ne la refusàt qu'avec la froideur du raisonnF·.
ment, ou même qu'il ne cherchàt sagement Ul
moyen de transiger.
Il n'y songeait guère.
Les pages, si péniblement élaborées, de Mme Dam.
bry s'étaient envolées en lamheaux sous les mains
CrIspées de Gérard, et il partageait sa furep- p.ntre
M. d'Hautecour et son tror fidèle interprète.
- Oser me proposer cela, il moi!. .. vous l'écrire:l
vous ... et elle a l'air de trouver cette petite combInaison toule nalurelle J. ..
- Elle sait que rien ne me coûterait s'il s'agissait
de ton bonheur, Gérard, et peut-être au fond a-t-elle
raison. Toute ta rortune est en jeu.
'- Croyez-vous que, pour n'importe quelle lor.
tune je commettrais une inramie?
-'C'est un grand mot, ,érarù; il ne raut jami~
juger les au.ties qu'en se ~:laçnt.
à leur poin~
de
vue. Il e~t
éVident que, ù'apn;s ses Id t:es l son education, 1'6poque aussi où il est né el qui diIH:rc
absolum l:n l cie la nôtre, ton grand-père se croit en
droit de m'lm vouloir.
Gérard l'inlcrrol11pit brusqucment.
- A toules les époques, il; rcs?cct filial a él<: re, et aUl"lIll préjugé ne
garùé commc une c l' ~e ~a!'l"(e
P lIt s\:r\'ir d' ·(.'U~
, il (.!(.; '~uon!TI
IJr(l~)!:j',
�12~
NO~L
-- 11 faut cp.lJenc,'ant examl ner ce lU i résLlltera de
/un l'dus Ton grand-père sera easpéré; Il retombera plus LIUL: jamais, SOUS l'influence de sa ni;'ctl;
JI ye:ldra Hautecour, et son héritage sera à jama i,
' .
perd)- pour toi. .
....... âest affaire entre lui ot sa conscience, dit
']érard s'asseyant devant la ,able. Prendre du temps
pour réfléchir à une propOllition semblable, c'est se.
uéshonorer. C'est moi qui vais écrire li Mme Dumbry.
- Non; pas tanl que tu seras en colère .. . attends.
On ne renonce pas ainsi à son avenil'. Je t'en pl'ie,
Gérard, pour moi 1
de voir son fils se mOIlA présent que l'an~oise
irer ind,igne d'elle n'étreignait plus le cœur. de
Mme d'Hautecour, elle était assiûgéo pal' la Cl'I.\lntc
:Ie le voir compromettre irrévocablement a vie. Elle
aoyait de son devoir, à elle, de le forcer à accepter
~e que son devoir, à lui, le contraignait à refuser. La
colère de Gérard avait suffi aux exigences de la
fierté maternelle.
,
- Crois-tu, mon enfant, lui llit-e ll o, en baisant
son front brûlant, quo je ne serais pas heureuse de
te vuir chez ton grand-père, rétabli dans ta situat ion,
dans ta fortune, qUéITld même il m'on coûterait la
Joie de te posséder â moi seu le?
« Nous savons bien toutes que nos enfant nous
quitteront un jour; c'est pour cela que nous les
I~levon
; et, dès leur naissance, nou . envisageons
avec courage cc moment de Ja séparation.
«. Et puis, je s.ais bien aussi que ta tendresse P?ur
0101 n'en suufTrlra pas, et ma part sera encore bien
beHe. C'est moi qui te demant!t:, qui to suppl ie de
me quitter. Tu ne me refusa~
pas.
JI leva la tête et la regarda.
- Si vous aviez demandé pareille chose à mon
père, croyez-vous qu'il vous l'aurait accordée?
Et dans ces yell'l, dnns ccUt: voix, Mm,~
~l'Iauto
I:tIUl' retrouva le regard et l'accent du celUI qu'elle
Qvait lant aim(:.
~ Tu ~s
sop digne (ils; tu as raison, dit-clic,
'.:Olllmc rarrennle ct (:clair(:o par 10 souvenir que
venait d'{woquer Jérard.
1
Elle n'insista plus. Son (il~
vonnit du ~c montrer
Ifl h'Jn'1l1e (Jour Ja prt:mil'fe f()i~.
a J1.llllTlt: de (,~rad
cl!ll.' ·ait sur le papier sans
1, "sl latlt,.l. QlIunu 11 t:ut JII1I, Ji Il:ndil Il ~l' lTll:rt: Iii
k1lre o.u'il VI" <'il d'(!criri,:. üuelllucs phi abeR nettes,
�NokLLE
claires et fermes, déjouaient la diplomatie de Mme
Dambry, rdahlist;ai,;nt les choses dans leur '{tIR'
Jour, et coupalcht, c.our't à toute discussl\Jo.
Gérarll reJ1lcn':lalt Mme Damhrv de sa bonl1"
volonté, don grand-pèrc de ses Intentions généreu$à",
~l mettait courtoi ement fin aux pourparlers.
Il scella sa lettre avec un petit cachet à t;es dflXUI" •
..:t l'envoya à la poste.
Mme d'Hautecour le laissait faire. 5urprise de la
transformation qui s'accomplissait en lui.
Jamais elle ne l'avait vu SI gai, si calme, si résolu.
Un peu d'agitation nerveuse se cachait peut-être
sous cette tranquil!ité apparente. Rien ne semble
plus résolu qu'un lI1décIS, dont les hésitations se
trouvent subitement tranchées, et qui se jette, tête
baissée, dans la bagarre.
Une fOIS lancé, Gét'ard voulait profiter de cette
veine de fermeté insolite où il se trouvait, pour
abattre, tout d'un coUp, la besogne uifiicilc devant
laquelle il reculait dCIJLIlS si longtemps.
- ~t
mainlenant, mère chêne, nous voilà, le
pense, bien libres de nos actions, bien dégagés de.
tout controle. Laissons de coté ceux qui veuleut
nous sépat'cr, hous dépouiller, hous rend l'e la vic
amère .. \ lion ven; ceux qui nuus offrent l'aITeclÎon,
le bonheur, la tranquillité.
" ])emande, poul' moi la majn de Nn~le.
YoliS
n'<1\'e1., je pense, plus de prétexte l"lur attendre ct.
s'il VIlU:; esl pénible de parler, c'est me,' qui m'en
charge.
- L<(Îs~nI1S
passer, mon cher enfant, l'état d'exc~
latinn 1111 IlOUS somlnes tnus les deux.
- NI.! laissolls plus rien passer du tout. Foin de
la l'atience! Le sort en est jeté; cc soIr lout sera
arra,lgé; laissel.-1110i faIre.
Et,' l'embrassant el1..:ore, il s'élança hors Je la
chamhre.
- Gérard 1 s'écria Ni.lne d'Hall tècour, se demandant si son fils devenait fou ou rais()1ln .. bL~.
Il ne l'cntcndait 1~ILs.
Son pas rapide éhranlalt l'e calier. Elle se 1 récl'
\"'Ita vers la l'orle, 1T.'lis 01l fils était déjà en bas, ct,
en ouvrant la fenêtre. elle le vit qui cour:lÎl ver~
1('
;a'·<Iin .
.i\ Il hou! de J'allée, snr le fond ver! de la lonnelle,
St' dl'~"iH1t
\Ille robe rose, surmonlée J'un ldrge
dlapeau de ~):lt!
blandil!
�Gérard allait 11·",nchlr Je Rubicon.
Etalt-c.:e imprudence ou sagesse de l'arrêfer'? HaM
\'incertitude où. elle se tr?uvait, !"tme d'IIautecour
nut devoIr le laIsser IUI-mef!1e m.altre de son sort.
Et s'anenoulllant, elle prta DIeu ardemment d'éclair~
s7,n fils, de lui montr~
la voie où elle ne se
sentait plus r;apable de le gUider.
XVIII
Son petIt arrosoir à l~ ~ain,
NOë.lIe s'efforçait do
désaltérer quelques mlserables pIed de rl!illesmarguer!tes, d~nt
les tiges, grillées par le soleil,
retombaient pIteusement sur la terre sèche et
blanche.ll y avait l'cu d'espoir de leur rendre la
t'ralcheur, mais peut-être pouvait-~
prolongcr leur
agonie, et Noèlle, rouge e~
e~sou(né,
leur prodi"liait généreusement ses sOIns 112 ex/remis.
n ~
Remplisscz-m?i donc mon arrosoir, dit-ellc er,
f!'ntIant il Gérard l'Instrument de salut.
(,érard se souciait fort pcu, en ce moment des
malheul:euses reincs-marsueri.tes. !l prit eepel;dant
l'arrosoIr, a~l
le :empllr a.la (.ont.alne et le rapporta
à Noëlle qUI, apn'!s en avoir dlstnbué le contenu le
lUI rendit pour qu'il le remplit de nouveau,
'
Le jcune homme considéra avec inqUIétude la
longue rangée de fleurs et l'avidité avec laquelle la
terre aride buvait l'ondée bienfaisante, y laissant "Deme une trace.
, - Est-ce que vous alle?' arroser [oui cela?
-- Mais certainement; voyc?' comme elles nnt
'
,oif, ces l'iluvres fleurs l
- Vous leur rendez un mauvais service en les
désaltérant.
- Pourquoi cela?
- Parce qu:on I~e
doit lan~js
arroser les r lanlcs
(:11 pl~n
!i'dcil, dit do,'l11atlljUcl1lcnt "'rard, en:l1aI11<: de lrou\'cr dnns sa S(I~l1ce
l1orticolt.! lin
mil\,. Il ~ùr
de ml ttl'l. fin il cett!' occl'l'atillll intem'
pestlve,
.N o i!lIc, qui n'Gtalt pas 1r~'s
forle en jardlllagc, s';n.
chna c!cvllnt cette u6daratlOl1.
�NO~LE
Elle se laissa tomber sur un banc, placé près de la
tonn elle.
Gérard s'assit à côté de la Jt:une fille.
Bien que l'apr<:s-midi fût d éjà avancée, la chaleur
restait alioCablante.
Géral~
ramassa tout son courage, et retrouvant.
non sans efTort, sa voix dans sa gorge serrée:
- NOèlle 1 dit-il presq lIe bas.
,.
Elle le regarda vivement et rougit, devinant du
prerIlier coup ce qu' il voulait dire.
Le bonheur était là tout pr<:s; elle ferma les yeux,
recueillant, pour le mieux savourer, toutes les forces
de son ame, re~adnt,
comme effrayée par tant de
joie, le moment attendu avec impatience, et dont elle
n'était plus séparée que par un court instant. Cet
înstant avait une douceur infinie; elle le prolongeait. C'était son dernier rêve, puisque, en rouvrant
les yeux, elle verrait en face la réalIté triomphante
et radieuse.
Elle releva enfin ses paupières et regarda son
ami.
Le visage de Gérard avait repris son exp.- esslon
ordinaire, et n'était plus tourné vers el le.
Les sourcils froncés, il examinait un groupe qui
sortait de la maison et s'avançait de leur côté.
En tête, marchait Mlle Ismérie qui servait évidemment d'introductrice. Elle était suivie, à une distance
respectueuse, par une femme, un grand garçon et
un e petite fille pauvrement vêtus et d'allure campagnarde.
ûérard mit son lorgnon pour les mieux observer.
- Des pauvres, dit-il, aJoutant en lui-même: ils
choisissent mal leur moment.
Noëlle jeta de leur côté un regard indifTérent; elle
était trop heureuse pour ne pas avoir besoin de
sou lager les autres; trop absorbée, pour leur prêter
une attention quelconque.
Les anivant ,10 squ'ils ne furent plus qu'à quelques pas du banc, s'arrêtèren t, et Mlle Ismérie
s'avança seu le.
'.
.
- Des personne qUI VOuQralent parler à Made ..
moiselle, dit-elle avec son sourirp 1 ~ plus obsé.
quicux.
. .
Noclle se leva et se dlflgea vers les nouveaux
venus.
Le soleil, qui la frappait en race, l'empêchaIt (1
dj!itn~uer
ler~
traits.
0
67.V
�No:lfL~
La femme, cependant, s'etait dét':lchée du groupe;
quand elle ful près de Noèl~
qUI ne la regarl!lait
pas, occupee machll1alement a cher:her sa bourse
dans sa poche:
- Pauvre f'etiote 1 qu'y a donc longtemps gu'on
ne t'a vue! s'écria-t-elle, en levant les I:>ras au ciel.
Et avant d'avoir eu le temps de se rendre compte
de r'ien, la jeune fille ,vit t~u
près d'elle, touchant
rll'esq ue son visage,l~
face vIOlacée de la mère Dreck,
Elle poussa un cn de terr"!ur et se rejeta brusquement en arrière, dans les bras de Gérard qui
açcourait pou,r la protéger contre cette agression
incompréhensible,
,
,
Mais la mégère avait ~alsi
un, pan de la robe de
NOi::lle 'et s'y crampon,nalt, tar:tdls que le grand gard'un,e ,des
çon et la pet,fte fille s emparaient cha~n
mains de la Jeune fl1)e, et que tous trol~
s'écnalent
en chœur:
1
- Elle ne veut pas nous reconna,ltre 1
D'un geste brus,q~
Gérard leur fit l~cher
prise,
et Ics repoussa SI vigoureullemel)t, qU'Ils chancelèrent et eurent besoIn d'un instant pOUl' retrouver
jeur aplomb.
Profitant de c~ court répit, NOêlle s'enfuIt aflolée
du côté de la maison.
Mme d'Ha\jtecoUI', qui aVilit entendu son cri, descendait précipitamm,ent les marches du perron, suivie
. le Mme de BoutreuIl,
Gérard, lui, était res~é
il. la même place; les poings
:>errés, les yeux allumes de colère, ne Se demandant
m~e
pas ce que~ola.nt
ces Inconnus, mals ré istant avec, peine ,a l'envie de les mettre en pièces,
tant le fait tl'aYOlr osé s'attaquel' à NOëlie lui semblait monstrueux,
1)s comprircnt sans doute ses dispositions car
ils recul!!l'cnt prudemment.
'
Le jeune hOl~mc,
déaisn~
de leur adresser la
parole, s'en pnt à Mlle lsn~re
(lUI s'era~it
discr1:temt:nt, sans pourtant rien pert l'C de vue,
- Qui soot ces gens-là? demanda-t-il el comment
ies jlvez-vllus laissés venir ici :'
Ismédé Jissimulult avec pe;ne sa ' utisfactio!1 ~()US
'J ne mine bypocritemel'!t çom,p~sée
.
~ Mon J,leu,' MonSieur, J al cru bien faire.:; ce s
pers()~,n
disaient connaltre Made~()isl,
- SI nous la cln~asu
1 s'écna III 111ère Dreel,
11()nt l'a%lIraoce élalt reVenlll!. JI.! erui~
bien tIU'VIl
�NO~LE
peut nous laisser entrer! je suis sa mère; voilà son
frère et voilà sa sœur.
.
La Dreck jetait autour d'elle un coup d'œil triomphant.
Gérard était resté stupMait et sÎlencieux.
'
Cette af6rmation etait trop énorme, trop facÎle à
vérifier pour qu'on pût croÎre à une imposture, et
p'ourtant, il était inadmissible que cette mégère tint
oe si près à Noëlle.
.
Soudain, comme un éclair, cette parole de Mme de
BoutreuilluÎ revint à la mémoire l « la mère de Noëlle
est morte il y a longtemps» j et, reprenant confiance,
il s'avança vers Ja Dreck et lui dit résolument:
- Vous mentez! vous venez faire ici du chantage.
Allez-vous-en, et vite, sans quoi je vous (ais jeter à
la portel
A ce momant, une main se posa doucement sUr
l'épaule de Gérard.
Sa mère était à côté de lui, et Mme de Boutreuil
ramenait à la maison Noëlle, en proie à une crise
nerveuse.
La fureur de la marâtre était arrivée à 90n apogée,
empourprant sa figure hideuse, et dépassant les
limites que lui avaient jadis imposées la crainte et
l'embarras.
- Je mens 1 je fais du chantage 1 c'est ce que nous
allons voir, mon petit monsieur / avec les aendarm es
s'il le faut. Où est donc Mme de Boutreull? EJle me
connalt bien, eJJe, et eHe calera doux/ et de quoi
donc vous mêlez-vous, vous i' laissev-nous arranger
nos affaires de famille. Voulelt-vous bien lâcher
Charlot?
Gérard, ne pouvant s'attaquer fi une femme et
éprouvant le besoin irrésislible, que ressent tou :
homme exaspéré, de faire pssser sa colère au bout de
ses poipgs, avait pris Charlot p~r
les épalllo.s et II
pous saIt rudem ent vers une petIte porte qUI s'ou.
vrait sur la rue.
- Maman / Maman! hurlait le grand dadaIs, pliallt
sous ccl te poussée avec la cO\lardiSIl des paysans.
- Je savilis bien qu'elle n'avait pas de cœurl cette
petite / vocl, érait la milrs Dreck hile laisse il1llult<>r
sa famill e /
•• Moi s je sui R sa belle-mère 1 je l'ni élevée comme
mu propre fille 1 je suis Mme Drecl" dctnande?,-le
pill/ (){ à J\\adame.
Mme de Boutreuil avait compris ce qui scpnssait,
�WO~LE
d'après le" monosy llabes entrcou~és
qu'cI.le avait pu
arrache r à Noëlle, et eUe accoura it, se hatant, prus
que ses forces ne le permett aient" une telle angoiss e
peinte, Jur la figure, que les cramte s de Gérard en
reçuren t une terrible confirm ation.
- Votre manière d'arrive r chez moi est assez singulière, d!t Mme de Boutreu il avec une graI.Jde
dignité. SI v0l!s avez quel~
chose à me dire,
veuillez me sUIvre. VOUS n etes pas de trop, mon
amie, ni vous non plus, Gérard, ajouta-t -elle en Sp
tournan t vers les d'Haute cour.
Elle avait compri s tout de suite que Gérard et sa
mère savaien t tout, et que des explica tionsco mplètes
atténue raient, plutôt que de l'aggrav er, le terrible
effet produit par cette révéla,ti0!1' Et puis, dans son
orgueil de mère, elle se disait que l'affection de
Gé'''ard pour sa fille était mainten ant assez forte pour
résister à cet as~ut,
que, tou~s
deux, elles avaient
besoin de protecti On, de conseil.
Ils rentrère nt sans échang er un mot, laissant derrière eux Ismérie déconfi te,
Mme de Boutreu il était parvenu e à impose r le res]Ject à la Dreck, qui se pro~etai
du reste d.e se
rattrape r par un coup de théatre qu'elle méditai t.
ArrIvée dans le salon, Mme de Boutreu il s'assit
entre Gérard et sa mère et attendit .
La '!légè~e
se tenait debout, passant .et repassa nt
sa maIn nOire et malpro pre sur le dossier doré d'un
fauteuil placé devant elle, geste instinct if de tous les
gens du peuple, qui, lorsque leurs mains se trouven t
par hasard, inoccup ées, ne savent qu'en faire et leu;
choisis sent toujour s l'emplo i le plus agaçant .
Mue par le même instinct , la petite fille, une grosse
joufflue aux pomme ttes. rougeât res.. tripotai t frénétiquem ent l'n gland du rIdeau, tandis que Charlot se
content ait de retourn er sa casquet te e~tr
ses
doigts,
- Que me voulez-vous ( demand a enfin Mme de
Boutreu il, voyant qu'ils s'obstin aient à garder le
silence. Vous n'êtes pas venus de Lorrain e en Normandie sans un motif sérieux (
- Eh 1 mon Dieu 1 ma bonne dame, repl'lt la mère
,)rec.k, r~tovan.
l'accent tralnard et plaintif qu'elle
emplOyait d habitud e pour parler à SflS supérie urs
nous voulion s d'abord voir la petiote! C'est ase~
naturel, au bout de dix an& 1
- VOIlS Iluriez pu me prévnni r.
�NottLLF.
133
Je n'ai pas eu le temps 1. .. mon pauvre homme
baisse beaucoup ... Ça lui fait trop de peine de ne
pas voir cette enfant; il ne peut plus s'en passer,
voyez-vous. La place d'une fil~ . e, c'est. près de son
pèrel
- Enhn ...
- Je viens la chercher ... Nous sommes décidés à
la reprendre.
Mme de Boutreuil contint un 'ressaillement et
reprit avec calme:
- Vous oubliez une chose, ma bonne femme,
c'est que vous n'avez, vous, aucun droit, et que votre
mari a renoncé aux siens par acte.
- Il revient dessus ... nous reprenons la petiote.
- Vous ne la reprendrez pas, continua Mme de
BoutreJil. Elle est à moi, et je n'ai rien à craindre de
vous. Si vous avez besoin d'un secours, je suis disposée à vous l'accorder, à une condition: c'est que
vous cesserez de troubler l'ordre de ma maison.
La Dreck, jetant le masque, avait mis les poings
sur les hanches. Elle était hideuse à voir, dans sa
fureur de harengère.
- Des conditions 1 cria-t-elle. Ah, bien oui! un
secou rs? je m'en moque 1 j'ai le drol t pour moi.
Voilà les pouvoirs du père quime charge de ramener
la petite, et je la ramèneraI. Croyez-vous donc que
je vas la laisser, riche comme une princesse, pendant que mes enfants, à moi, ils gratteront la terre
comme des pauvres malheureux, toute la vie?
- Mais le meilleur moyen d'enrichir vos enfants,
observa doucement Mme d'Hautecour qui, en un
instant, avait compris la situation, serait cl'accepter
le secours qu'on vous offre pour eux.
La Dreck se retourna comme une bête féroce
attaquée par derrière.
- Ça, c'est mon affaire; ça ne regarde personne.
Je ne veux pas d'argent; je veux la petite: et je
l'au rai 1
Telles étaient en efTet les intentions de la mère
Dreck bien qu'elles parussent inexplicables.
Mm~
de Boutreuil, qui avait cru d'abord à un
simple chantage, s~aur
p.romt~en
Qu'".ucun
arrangement pécuniaire n étaIt pOSSible.
Quel motif poussait la mégère à reprendre NoC1Je?
Ce n'était certes pas l'afect~on,
mais l'intérêt. Quel
intérêt? Mme de Boulreuil ne put Je comprendre. ~t
sc sentit inquiète-
�134
NOËLl!..E
L'assur ance de l'a paysan ne l'.effrayait r brem qu'eUe
se crût à l'abri de toute rev.endlcé.l tlOn . .
.
Arrè-s une longue et pinlble dISCUSSion, moOére e
pal'}';> nnesse et la llrold'ehl lJ' .t1le lYlirne d'~ ~ i1ruteCUIl',
les Dreck finirent par se r~lic.,
s~n
faire d'éclat.
- Réfléch issez cette nUit, Je viendra i demalO
.p rendre la petite. Et q,-:'elle n,c f<l'55e pas de gLimac es,
dit insolem ment la m..:re DI eck quand la ponte se
refeI'ma sur elle.
Bien qu'épui sée par cette scène et par la tensior
d'eS{l~i
que sa s~rdité
rendait ~core
plus fatigaRtE
iWme· de BoutreU11 mon.ta aU'$Sltôt Qal!lS la, ehambI ;
tic Noëlle .
Le visage li,vide, l'a.ttitud e p~ostrée
de la pauvre
enfant eITra,yltrent sa m..:re adoptIv e.
- (!;e n'est rien, ma, chéne, dit-elle, la faisam
asseoir sur ses genoux , comme lorsqu:e lle était
petite; ta bel1e-ml!re e.st venue, mais elle Val repal1ti1'.
Tu ne hl verras. pas, SI t? ne le yeux pas.
- Oh, milre 1 s'ttc.rla la Jeune fille, laissan t
débord er toute l'angols .se de son âme,. est-ce que
Gérard sait ? ..
- Il n'avait r.ien àaprend~J
monerr fant; ilsav-ait
tout.
N<)l::l1e pouFsa un soupir de soulage ment.
- Mais que voulait donc ma ...
Elle hésita.
- Mme Dreck?
- Quelqu e folie, un peu d!argen t, je suppos e.
Nous aTrange rons tout cela, tu es la seule qui n'y
puisse rien. Repose -toi donc; c'est ce que lu as de
mieux à faire. Nous allone redesoe ndre.
- Non, dit NOëlle, tressail lant à l'idée cie revoir
les d'lIa.ute eour, de constat er. un changem ent c.lans
les manli.:res de Gérard. Je SUIS fatigué..:; je ne veu,'
pas dlncr.
"
Mme de Boutreu d pnt les mains de la pauvre
petite qui étaient glacées , malgré la chaleur .
- Tu ferais mieux de te couche r.
Ell e la dé ' habilla elle-mê me et 110 la quilta qu'arr/: .
l'avoir vLle prôle à s'endor mir.
Pendan t ",e lomps, Gérard el sa mère examin ai en:
avec all..:nllo!l le papier signé dix<ins aUl'arav.\ nt pal
le pi:r..: Drecl., cl que !llmc du BOUll'cuil venait dt:.
l"ur confier.
Qll'e\) punscs- lu, tui qui as fail Inn droit'? difll!lll': d'Ila1ltc t:our, 0011 sans in(luiéttJùu.
�NO:ttLLE
-
l35
Cela me semble réguljer; mais )e ne suis pas
grand juri scil nsulte pour me pron f )!1cer sur [a
lalidité d'un acte pareil,
- Il fau~\rit
pourtant bien que :\tme de Boutreuil
:;ût à cI uoi s'en tenir. De là dél end toule sa ligne d(
conduite.
- Si nous étions à 1-':1ris, nous serions vite rer.
seignés .
- A qui t'adresserais-<tu?
- Je ne sais trop; à un avocat expérimenté, à un
professeur de droit, à 1\1.< Lemonler, par c,x,emple .
- Si on le faisait venir?
- Cela se peut, il est à Paris, et avec une dépêche,
il serait ici demain malin.
- Nous allons donner ce conseiol à .Mme de Boutreuil.
Apr<:s s'être occupés cJes inquiétudes de leur amie
et des moyens de parer au danger qui la menaçait,
Mme J'Hau.tecour et son fils parli:!rent, à leur puint
de vue, de la visite intempestive qui venait de se
produire.
- Cette abominable harengère, la pareutc de
Toëllel ... portant son nom! dit G é rard avec accal&SeZ
.Aement.
-
(
Et de semblables visites toujour en perspective \ ajouta sa mère.
San ' Tien dire de plus, ils l';C comprirent.
Pour la yr mii.;re fois, ils sentaient, touchaient du
doigt l'obstacle qui séparait Noûlle de Gérard.
Entrevue de loin, présentée avec art, envisagée
avec complaisance, inconnue du public, la s ituatIO n
de la jeune fille avait fini par leur paraître simple,
acceptable, presque normale; à présent, toutes les
répugnances de Mme d'Hautecour se réveillaient, se
dressaient devant elle sous la figure repoussante de
la mère Dreck.
Elle se demandait avec stupeur comment, quelllucr
heures auparavanl, elle désirait a.rdemment t.:(
I11l1riaoc pOl'mettant, ccnseillunt à son fils de Je COlic1ure ,:">cl elle remel't.:iait la Providence qui uvait p,.":venu, ju s te à temps, .u~1tel
ùtl Il trc, en arrü1!ll.
G0ral'd ou ll1ument declslf.
- T~I
n'U5 rien dit?
- Rien.
Elle ~e se ntit allégGe d'une vive inquiGtudt..
Lui, Ile voyait pos k s t.:hoses d'un ,· rnonièn.: nus
.11,· (duc. Son' in tine! nri,;lllcrati\lll\!. l!l. l'L:\·.,h .... Cl>tll<
�l'lU:ËLLE
t>atlalt son affecli'1n devenue presque une habitude;
mais la lutte n'était pas égale, ct, la prem i<':re secousse
passée il reviendrait à ses douces espérances.
Mmd d'Hautecour n'ajou.ta riel~
à ce ~u'elJ
vena~t
l.Ie dire. No~le,
quand bien meme eLe ne devrait
an'lais être la fiancée de Gérard, resterait toujours
~on
amie d'enfance, et il s'agissait, à cette heure cri,
tique, d.e la p.r?téger, de la défendre, ~e
la sauve~
Vieillie et 1I1firme, Mme de BoulreUlI ne pouvait
se lirer seule d'un pas si ~imce.
Elle le comprenait,
et aussitôt qu'elle put qUitter sa fille, elle vint tenir
tonseil avec ses amis.
Ce fut l'avis de Gérard qui prévalut.
Avant d~ rien faire, il fallait connaltre exactement
Jes droits du pèçe Dreck. S'ils élaient nuls, on n'aurait pas de 'peine ~ se débarrass;r .de ses .réclamamali ons ; s't! y avl~
quoI que ce fut a en cra1l1Jre, on
chercherait à transIger.
Une dépêche appela M. Lemonier à Trouville.
Une autre dépêche informait le docteur Bauer de
la situéi.'ion, et le priait d'user de son influence sur
Urecl<.
~
Je ne peux pas m'expliquer l'attitude de cet
homme, dit Mme de.Boutreuil pensive. Il a toujours
étl: pa rfaite~n
t ind 1ff?r.en t. pou~'
,sa fi l~e,
et, je dois
le dire, parfaitement d'cs1l1leresse a son egard. Jamais
il ne m'a rien demandë, il a même toujours refusé ce
que j'ai plusieurs fois voulu faire pour lui. Quel motif
peul donc \e pous,~er
subllement à agir de la sorte?
XIX
Mo Lemonier arriva le lendemain malin,
.vtme, e .Boutrel~,
qui ne con naissait que Je réputalion 1 emlnent Jurt;;consulte, fut un peu surprise dc
~a
Jeunesse, au mOins apparente, de son éléoance
'.le ses manières distinguées. Elle eL11 mieu; aim6
exposer sa situation délicate à un vieil homme
d'uf'faires, cantonné deri~
ses codes, cl n'envisa,:(;unt les ch()ses qu'au pOll1t de vue légal.
.\1" LentoniN consacra d'abord à sa loiletll: el à
';UI. déjeunor dCll)' heures pendant
lesquelles ~
0
�137
N0ÉLU;
1auvre (emme haletait en altendant, comme
~(ln
arrêt de vic ou de mort, l'oracle qui allait sortir de
celle bouche autorisée. 11 se rendi~
ensuite alprè~
de sa cliente, écouta son récit avec une aimabl"
incliflérence, comme un homme bien élevé qui supporte courtoisement une histoire ennuyeuse, en lan·
çant de temps en temps vers la fenêtre un regard
fatigué.
Et quand la vieille dame s'arrêta, gênée et agacée
par cette désinvolture:
Veuillez me remettre la pièce signée par
M. Dreck.
Me Lemonier parcourut rapidement le papier. Il
avait parfaitement saisi tous les détails de l'affaire:
sa distraction apparente n'était qu'une grâce qu'il se
donnait et ne nuisait en rien à sa compétence remarquable, à son étonnante perspicacité.
- Cet acte est sans aucune valeur, madame, elit-il
avec un aimable sourire. Les droits des parents sur
les enfants sont inaliénables et une pareille cession
n'étant pas reconnue par la loi, rien ne peut empêcher M. Dreck de reprendre sa fille, quand il le
jugera bon.
Et il continua, citant les articles du code, rappelant divers arrêts des cours d'appel, employant les
mots techniques, suivi avec attention par Gérard,
avec admiratIOn par Mme d'Hautecour, a~ec
peine
par Mme de Boutreuil.
- Enfin, monsieur, dit celle-ci quand il eut fini, il
doit bien y avoir un moyen pour que je ganl.e celle
enfant que j'ai élevée, que j'adore 1
le juri s- Il n'yen a aucun, madame, ré'pondi~
consulte en s'inclinant avec galantene.
Elle pâlit.
- Mais, ajouta-t-il, content de l'effet qu'il avait
produit, nous allons en inventer un. Il y a d'abord
le grand remède qui s'applique à tout: l'argent.
- Nous l'avons déjà essayé. Il n'agit pas.
- Alors le mal est grave, clit Mc Le:nonier er
fron çant le sourcil. Eh bien 1 no"'1 ferons, ou plut6
laisserons faire un procès.
- Il ya clone chance de le gagner?
- Vous êtes absolument sûre de le perdre, madame, répliqua-t-il d'un air victorieu1:. VOLIS serez
dC!boutée en preJ1li,:re instance, condam~e
en appel
ct ca~soti()n,
avec fl'ai:, cl dûpons, sans Jubiier le;,
dommages et intérèHL,
�N"Ot!:LLE
- Eh bien 1 alors 1 3'écrla la pauvr~
Mme de BOf:Itreuil, au den.>r degré de Ihmpatlence et de la
tjésolation.
- Tout cela durera bicn deux ou trois ans, sino.n
plus; ct, ~andis
.qu'no sc l'a. cl:i.spu~era,
Mlle Drecl<
sera devenue majeure, c'es.t--a--dlre lilDre.
Mme de Boutreuil salsit a'Vec transpoJ1t les maim
clu juriscon~le,
s~
reprochan.t .de l'avoir mécon~.
EJte gardait sa fjlle.1 q u 7 tU1 unportalent, aupr~s
des angoisses qu'elle venait de traverser, les ennUis
et les dégenses cliuo.loog procè ?
- Le seul danger que nous ayons à craindJ1e
rreprit Me Lemonier, c'est que Dreck ne. vous fasse
pas de procès, qu'tlse b?rne to~
.slmplement"
sans aVOIr recours à aucun IP~bunal,
a:faue reprenore
sa fille par les gendarmes, SI elle ne se r;end pas de
bon gré à ses ordres.
- Et que faire en ce cas? demanda anxieusement
la vieille dame.
- Rien madame, c'est son droit. Mais il faut
~1pére
qu'il ne le conl1C1:lt pas assez lui-même- pOUl'
e'î usel, cl t)ue du reste II ne. voudra pas en Ven'1' là'.
On sornall en ce moment a la porte.
/" Ce sonL les Dreil\{, se dil Mlle Ism~rie
U' sc
précipil.al1t pou." leur.ouvrir.
Depllls que Jlll1finmllé de M~e
de Boutreui\ tor,<ait
toul· le monde à éleveIJ la VOIX, la caménistte avait
acquis bi~n
des .conai~se
~til.s
Et puis, cette
maison de 'UrouvLlle, petlteet balle économiquement
était bien commode pour toul entendre el toul
remarquer.
Ismérie aimait l'intimité. Elle appréciait aussi les
nouvelles re l,ali ilS, s'il faut en l'uger pal' les chuchotements amicaux avec lesque S elle accueillit les
Dreck.
- Vou' ez-vous me laisser recevoir ces gens ct
sonder ur peu leurs dispositions? dil aimablerr:ent
Me Lemorier.
- Faites entrer, soupira la mère de Noello en
so:t~n
du s~lon
pour allllr at~endr,
dans une piGeu
VOIsine, leresultat de la conferencu, avec l'angoisse
redoublée ~v'on
éprouve 11 sc trouver entre les mains
d'un opérateur habile, mais parfaitument indirf'::rll l11
il vos slJurr'ances,
- Tout \a bicl.), dit-un ;\ Noùllc conBigt~
dans sa
cl1ul\lbre, li qUI n'V!:id demullùur ùe plU5 1l1l1plllS
.. \$elgu<:JI ents.
Jo
�~OEL
139
xx
L'éloquence de M ~ ~emonir,
ses fi!1esses èe jUrl!:;_
consu Ile ne prod lJl 311'ent aucun eHet sur l'esprit
borné de la pa.ysanne.
Il fallt que les gens ,;oient ani\iéS a un certair
degré de culture morale PUUI ü1.rF\ aco~ibl"
aU.'
séductions de la rhétorique, au pouvoir du ra\<;nnhement.
L'éloquence de 13ossuet, l'habileté de Talleyrand
n'auraient pas eu plus de succès auprès des natures
rudimentaires des primitifs, qu'auprès des animaux;
et encore est-il probable qu'un chien intelligent ,ou
un cheval de race ne se fussent pas montrés mOIns
aptes à comprendre un sentiment qUI! la mère Dl'e..:k.
- Je veux la petiote 1 et je l'aurai! répondit la ml:~
gère, n'opposant à l'argumentation serI'ée dl.! l'avocat
que son IUnexible volonté de brute.
Elle ne daigna même pas s'expliquer sur les
motifs de Celle dêcision, ût la sourde oreille au.
of Tres de Mo Lemonier comme à se:; menaces.
- Dites-lui qU'elle ramaSse Ses hal'de et qu'clic
vienne, conclut-elle; ou, saJ1S ça, jl.! la ref.-tends de
force.
L'ambassadeur vint retrouver Mme de Boutteuil,
forl indirTêrent aux mauvaiscs nouvelles qu'il appürtait, mais très vexé cie son échec.
Il dissimula son dépit sou' la mine la plus sémillante.
- Mon Dieu, madame 1 les choses se passent
comme je l'avais pr~vu"
dit-il à I~. pauvre mère qui
l'attend""t avec une lDcllclble anxlllté.
"Mme Dlork s'ob'tinc à user dc ses droits, à
~mrloyt;
tou s It:~
moyens ... de gré ou .le force, il
faudra bien VOLIS sourncttre.
_ Comment 1 dit Min" de 13ouu'cuil LI "fa illan! e,
Stlccrocltanl au bras dl.! 9é~·a,.1
pour ne pas tllmllCi'.
- .J'ai rail tout ct.! que J'al pli, Continua J\ l" 1.1.!11H>nlet' livet: le d()l~X,
qrgllcil d:ull. hUI!lIny .LJII! ~ ·an
:urdt.!
dl'~
éloges llll!lïles, 1\1a III1'SIIlIl JUrldllJue ,~t
Il'1'lit:~
VellÎllct' Ille 1i'l,t~
\:I.'pl'IHlill\l vou' 1"'1111\1'1'
un cons -il (j'tU II, 1 VUU!! me pel'lncH Il d'ilmp)lIyt:r
~
�NotLLE
ce terme. Croyez-moi, madame, inclinez-vous ~evant
la nécessité. Que Mlle Dreck se Soumette et éVIte un
éclat en retournant de sop Dlein gré chez SOli
l'ère.
« Peut-être obtit:ndra-t-ellt: la permission de revenir auprès de vous; en tout cas, deux ans et demi
sont vIte passés et si!- majorité la mettra bientôt à
.l'abri de toute contrall1te.
~
Il salua et regarda sa montre, car il avait hàte de
reprendre le train ~e; Pari~.
".
- Mais vous dIsIez 111er ... un procc<; .. . je <;I1IS
P!'Pte à le faire"'l'e f',,;p.rai tout ce qu'il faudra, dit
Mme' de BOUtn':UI d'un ton suppliant.
Ses pauvr~s
~iels
ma~ns
tremblaient. De grosses
larmes mOUIllaIent son vIsage sur lequel ces deux
jours avaient marqué comme des années.
- Certainm~
nous fer~ns
u~
procès ... nous
reprendrons la Jeune fille, repondlt Me Lemonier
avec la condes~a
un peu méprisante qu'on
emploie pour apaIser les enfants ou les fous. Mais,
je le répète, il faut céder d'abord. Cette belle-mère
est enragée; v0l!s ne voulez pas at.tendre qu'elle se
fasse prêter maIn-forte par la poltce? Vous voulez
éviter un scandale?
- Et que m'imporre le scandale et tout le reste
pourvu que je garde mon enfant, s'écria la pauvr~
femme éclatant en sanglots, ces sanglots de vieillards, sourds et ?échirants, qui semblent risquer de
briser une machll1e usée.
Mme d'Hautecour ~sya
de la calmer, mais l'épuisement seul la contraIgnIt â s'arrêter. Sa dignité son
calme habituel, tout avait disparu devant sa dou'leur.
Elle se débattait, faible et impuissante, navrée par le
sentiment que ses forces ne suffisaient plus à
défendre son amour.
Me Lemonier, cependant, consultait sa montre
avec inquét~e.
çette scène le fat ig';l ait ; la cr~itude
qu'il ne pouvait ne!1 dans c.ette afTal re lUI 6ta!t toul
jntérêt pour ses cl~entr.
. qUI n'avaicnt qu'à sc résigner pui::;que la 1,?1 était contrc e~x
. .I1 aspirait au
silence de ~on . c~btn,I
. el ten/cl de s'cchpser, ne voulant pas, dlsalt-d. s lmpvser dans des moments si
cruels.
- Restù!., monsie'...r, restez 1 S'écria Mme de Boutreuil lJui, dan., ~Vl'
désespoir, Sc cramponnait a
tous !esappuis, si fal:"'ic~
qu'ils ru ssent.
-=- A votr~
~ré.
madame; V(jJJS !lteS! .nJaintenant
�NotLLE
prévenue de toutes les conséquences auxquelles
vous vous exposez.
- Eh bien 1 s'éc ria la mère, illuminée par une
e pérance soudaine, je saurai bien la mettre à l'abrif
~'Angletr
n'est pas loin ... je pars à l'instant et
J'emmène ma fille 1
Elle s'était redressée, radieuse, transformée. - Enlèvement de mineurel Y pensez-vous, madame?
Elle ne l'écoutait plus, combinant déjà ce départ
(Ians sa tête.
- Vous m'accompagnerez, Géütrd, et vous aussi,
mon amie; nous ne serons pas t·rop de trois pour la
défendre.
- Comptez sur nous, dit le jeune homme, les dents
serrées. Avant de la toucher, les Dreck auront affaire
à moi.
A ce moment, la porte s'ouvrit; Mlle Ismérie passa
la tête et dit d'un ton discret:
- Mme Dreck fait dire à Madame qu'elle attend
Mademoiselle et ne partira pas sans elle.
. La misérable! gronda Gérard.
La porte se rouvrit et Noëlle entra, pâle comfY.e
une morte.
Avant d'aller prévenir Mme de Boutreuil, Ismérie,
qui ne comprenait évidemment rien à la situation,
avait transmis à la jeune fille, comme une chose
toute naturelle, l'avertissement de sa belle-mère.
NOêlle marchait avec une raideur d'automate. Ses
yeux hagards, démésurément ouverts, semblaient ne
rien vou'; ses che"\"eux blonds pendaient sur ses
épaules en nattes épaisses. Elle ne remarqua pas la
présence de Me Lemonier, parut même ,~;:
pa:,
s'ape rcevoir de celle des d'Hautecour et, allant droit
à Mme de Boutreuil :
- Qu'est-ce qu'on dit! qu'est-ce qu'on veut me
faire? articula-t-elle d'un accent morne et saccadé
où l'on ne retrouvait plus rien de sa voix joyeuse
ct argentine. C'est am'eu)" 1... Je ne veux pa f: 1..
Gardez-moi!. ..
Mme de Boutreuil la serra f,ôotre elle.
\
Ces deux êtres débiles, crampûnnés t'un à l'a.!~re
fai aient mal à voir.
M ~ Lemonier, lui-même, éprouva un sentinwnt
pénib le qui redoubla son envie de partir.
SouJain une vuix brutale, une voi,'( enrou~
et
forte à la fois, s'éleva et fit tressttilhr chacun.
�- Ah çà! l!:st-ce qu'on va me faire droguer encore
.onotemps 1 J'ai pas le temp d'attendre 1 Qu'on
am~ne
la petite, ou Sat)S <;a, gare à cusses.
NOèlle frissonna, regarda aut~r
d'elle avee égarement, puis retomba sans connaIssance dans les bras
de sa mère.
- C'en est trop r hurla Gérard . J9 vais les leter
par la fenêtre.
.
Il s'élança hors du salon et couralt vers la mllre
Dreck bien décidé à lui faire un mauvais parti,
quand il heurtét l dans le vestibule, le facteur du
téléoraphe.
3 Une dépêche pour Mme de Boutreuill
Gérard la prit, hésita une seconde et, avant d'exécuter son projet, porta à son aaresse le papier
bleu qui pouvatt avoir plus d'influence gu/un coup
de pOlOg sur la destinée de Noèlle.
- Ouvr~
. lisez.
. . dit la. v{eille dame dont la tête
.~e
perdait.
- La réponse du docteur Bauer l s'écrit! Gérard.
A ce nom, NOêlle rouvrit les yeux.
Elle se rappelait maintenan.t celui. gui avait été
jadis son protecteur, et espél'alf en lm.
I( Dreck, très malade, télégraphiait le docteur, on
a profit~
de son état pour lui extorquer une signature. Il a perdu connaissance depuis hier. S'il 1:\ un
moment lucide, j'obtiendrai de lui une procuration
générale. Retenez! à tout prix, Mme Dreck Il
Trouville. l>
- Il Y ~ là \lne Idée 1 çlit Mo. Lemonier. S'il ne
s 'agit que de gagner quelques jours, la chose est
possible ; M. Bauer a tl'ouvé la meilleure solution.
Et, profitant cie ce pépit, il S'esquiva,
.
Mme d'Hautecour fut députée POUl' représenter à
la mi;re Dreçk que l'état de :>anté de NOOlle ne permettait pas d'informer la jeune fllte de sa présence
et la prier de ne l 'evcl~ir
qu~
le lendema/r1.
1
l'arlant avec froideur et aulorlto, la mère do
Gérard en Imposait, plus que les autl'es, à la harengère qui se contenta de grommeler en d<lclarant que
son séjour à Paubcl'Ae lui coû1tlit trop cher et que
du reste, dlle avait besoin de l'etourner chez clle. •
On est accommodant quand on est bief) Il)ur.
menlé, Mmt: de Boutl'euil en vint ù raire tnoltro la
Drecl~
à table et ft lui fAIre fleryir un replI~
SUCClj.
lI=nt •
... -= Gllsnolll dia tomps.
e dis It ln pfluvro m~re,
�NO.!t'LLE
La mégère, repue et égayée par une bouteIlle de
vieux cognac mise discrètement à sa portée, se
montra moins féroce.
Elle s'attendrit même en "Vantant les mémes de
Charlot et de sa sœur qui, bourrés jusqu'aux oreilles, se tenaient cois, le cou gonflé, les yeux écarquill és, dans le travail laborieux d'une pénible
digestion.
Ce que Mme de Boutreuil r,oufrrft pendant cette
journée, dans le voisinage de ces hôtes, personne ne
le sut. Elle-même, pos!:'édée par Son idée fixe, ne
songea pas ale mesurer.
Quand vint le soir et que l~ repoussante famille se
fut retirée, non sans que la Drecl< promit d'être là le
lendemain matin, prête â emmener la «peti~,
Mme de Boutrcuil était épuisée et, cependant, presque satisfaite, tant le malheur fait apprécier le moindre sou lagement.
- D'ici demain, le docteur Bauer aura fait quelque chose, e disait-elle.
Et, à demi éve illé e, elle pria Dieu toute la nuit en
surveillant le sommeil agité de NOë1Je dont elle
avait fait mettre le lit tout à coté du sien, pour la
mieux protéger.
Des le matin, elles s'éveilli:rent en sursaut.
Une voix, qui les avait poursuivies dans leurs cauchemars, se faisait déjà entendre dans la réalité.
La Dreck tempêtait e( vociférait au bas de l'escali er. L'apaisement de la . veille n'avait été que
momentané. EI~
réclamait sa proie, insultait le
vieux Thomas consterné, et ne parlait de rien moins
que d'aller chercher le maire et les gendarmes.
- Allez prévenir la petite, ou je monte moi~
même!
On entendait son pas lourd gravir j'escalier. Affolée, Noëlle, qui avait bondi hors de son lit et passé
à la hate un peignoi r, s'é lançant "Vers la porte de fa
çhambre qui donnait sur le palier, la ferma à double
lour, puis elle appela Mme d'Hautecour, dont la
chambre communiquait avec celle Je son amie .
Mme d'llautecour était d~jà
prête.
- Ne bougez pas, dit-ellc, je "V:lis descendre.
Mme ut! BoutreuiletNoëlle s'habillaient à la hâte.
Devant le danger renaissélnt, leur projet de fuite
leur l'I.!vcnait à l'c ~p rit.
Où iraicnt-elles -( Cela importait peu, l',,urvu
qu'elles fusst.:nl ensemble.
�NotLLE
Uo \égcr ....".J1' frappé à la porte aggrava lel'-'"
terreurs. (
- Cest nlOi, dit Mme d'Hautecour.
Uoèlle ou \Ti t.
- Tout est sauvé 1 s'ecria la mère de Gérard.
f?ersonne n'a plus le droit de vous reprendre votre
Gnfant.
Sans se demander comment s'accomplissait ce
miracle, la m ère et la fille étaient tombées dans les
bras l'une de l'autre.
Ce n'est qu'au bout d'un moe~t
qU'.elles ~ongc
rent à s'informer du secours providentIel qUI leur
était venu, à s'étonner de la gravité sévère de
Mme d'Hautecour, peu en harmonie avec la bonne
nouvelle qu'elle apportait.
- M. le docteur Bauer a envoyé une seconde
d épêche. Je me .suis permis de l'ouvrir pour vous en
é parnner l'émotIOn.
- Dreck a signé? interrogea avidement Mme de
Boutreuil.
- Non ... il est mort cette nuit ... le pouvoir donné
à la maràtre n'est donc plus valable. No ëlle est
libre ...
La jeune fille. cacha sa tête dans ses mains. Elle
était sauvée, maIs par quel moyen 1
Etait-elle donc assez malheureu se pour accu eillir,
comme une bonne nouvelle, l'annonce de la morl
de son père!
Il ne l'aimait pas. El~
~'avit
jamais reçu de lui
que des coups el des 1l)~res,
eHe se rappelait à
peine son vIsage et, depUIS dix ans, était d evenue
pour lui une étrangère.
Cependant, il était son père et, maintenant que
la mort, la grande réconcil.iatrice, venait de passer
entre eux, elle ne se sentaIt plus que du resl cet ct
Je la pitié pour cette mémoire et, cherchant dans le
passé un motif pour l'honorer, elle se rappela que
son père, en l'abandonnant, avait fait inco
~c iem_
ment son bonheur, et trouva la force cie le bénir et
de le pleurer.
Mme de Boutreuil. elle, était toute à la joi e de la
délivrance.
. La mère Dreck, si redoutable tOUI à l'heure n'avait
plus maintenant aucun droit. Elle le compdt tl'dlem(,'Illc. La nouvelle de la mort de son mari lui avait
prouuitla très légère impressiolO, causée aux natures
inutiles de
fru6tes, par la disparition des , mebr~
�NO~LiE
ta famille. Il y ava,t i longtemps que Dr"..:k ne tra'
vaillait pl,'., et le cabaret coûte si cher 1 Elle pnUSSél
cep end:- .• tles hauts cris et devint aussi 1',Irnble f:. :
doucr .euse qu'elle était, le moment c"av<!n l. vpni.
met' ,e et insolente.
LJle se déclara prête à partir Irnm cuiatement
sans bruit j à faire tout ce que voudrait « la bonnf:.
dame» et à ne plus jamais s'occuper de NOëlle, puis.
que l'ingrate l'avait oub! i:5e et que son pauvre dé·
funtn' é tait plus là pour demander après la "petite".
Son avis persopnel avait toujours été de laisser
l'enfant tranquill e, puisqu'eUe se trouvait bien où
elle était, mais il fallait obéir au pauvre cher homme.
On s'inquiéta fort peu de cette nouvelle transformati on de la manitre.
Noëlle voulut voir les orphelins et les reçut avec
une bonté gênée par leur fausse po it! on .
Eux l'appelèrent" mademoi elle. j leur tendresse
fraternelle fut absolume'lt satisfaite et leur douleUi'
lilia.le considérablement adoucie par les nombreux
cadeaux dont ils se trouvèrent comblés.
Ils remontèrent volontiers en chemin de fer. La
mère Dreck elle-même, dont le désintéressement
avait sub itement cessé, trouva que son voyage n'avail
pas été complèlement perdu.
- Pour une affaire ralée, ça a encore pas mat
tourné 1 se disait-elle en comptant et recomptant ce
que ses larmoiements, et le plaisir d'être délivrée de
sa présence, avaient arrach é à la générosité de Mme de
BoutreuiI. C'est sC1r que si j'avais ramené la petile
on me l'aurait rachetée son pesant d'or, comme mc
disait Mme Dambry. Mais dame 1 on prend ce qu'on
trouve et, puisque le vieux m'a làchGe, pour une fois
que j'avais besolll de lui, je ne pouvais palà mieull.
faire. Ah 1 misère 1
XXI
l
J eux journ ées len tes et paisibles s'étaient ecoulécs
f~epuis
ces scènes douloureuses.
Gérard était rcsté à Trouville avec sa ffi.:re. Ccllede la jeune
ci, quoique hicn décidGc il 1':I,~in.er
fille, avait lrop de tact ct ~
scnslbdlté pour ne pa~
�NO~LE
consacrer d'abO"rd, au moirts quelques iours, à
l'amitié et aux égards que réclamait une si cruelle
épreuve.
Bien cruelle, en efTetl Mme de Boutl'cuil aVait
gardé sa fille, et, dans le premier moment, ce bonheur lui avait semblé suffisant. Elle s'aperÇ:t1t bien\6t que la mère Dreck avait, cependant, fait à No6lle
un tort irréparable.
•
Les soins, les dem.l-mensonges, l'lOgéniosilé de
Mme de Boutreuil étaient p~lI·venus.
peu à peu, à
faire oublier ce qU'Il y avait de bizarre dans la
situation de sa fille adoptive. La grace sympathigue
de Noélle, l'indifférence du public qui admettait
facilement toute explication, avaient fait le reste. Ce
travail de dix ans venait de s'écrouler.
Amplifiée, arrangée, drama.tisée, recueillie avidement par les bavards! les Jaloux et le~
oisifs,
l'hi toire de Noêlle faisait le tour de la petite ville
chacun ajoutant une supposition malveillante su;'
s(Jn origine! une anecdote nouvelle ?-ux incidents
dont la maison de Mme de :Boutreull avait été le
théàtre.
La mèr" de Noêl.le, disaient les romanesques de
la bande, aval! exp"'é de douleur sur .le seuil d'où la
chassait sa fille imp!toyablc:. Non; c'était son j1l;re
cLui était mOl:t de faim, I~,
Juste. devant le p~rtai1.
Comme à peme un parti s'est-Il formé qu'Il s'en
forme un second pour comballre Je premIer une
versiol1 contradictoire circula aussitôt: NOi;J1~
C:tait
u ne jeune fille de haute nai!\sunce, et une bande
infame de voleurs d'enfants, avalent tenté de l'enlever à sa tante; pal' bonh.eur, la justice était là, elles
ravi seurs auraient fOft a faire avec ellc.
On les avait vus partir de la gare,en voilure cellulaire, les menottes aux mains, sous la conduite
d'un in pecteur de la sûreté, envoyé spécialement
de Pari.
Bien que très ennuyée de ces commérancs
Mme de. Boutr~il
s'en inquét~
relativement l;~u
le SOUCI cruel que lui causaIt l'effet produil sur
Gérard pt sur a m0re l'absorbait bien davantu"c.
A~li5
d "voués, il~
l'était.:nt p.lus que jamar', et
l'avalt.:l1t prouvé; mal' LIlle C'~rtU"le
g('l1e, Ja rés('1'I'e
de G,:: ra rd , la gravité de .Mme d'J lautc(,;()ur altestai\!nt
il. challgemclll S'!I'vunu .dans leur~
projets I]u'ils
étaient trop loyau", pour dlSSlllluler. Nulle déCision
~epcndat
n'tHait .t'1Ï~e
l'ilf CUJ(. A vrai dirc, il~
�NOftLLE
~47
.'avalem ~u,
ni le temps, ni la présence d'esprit
nécessaires pour y sO~1ge:.
.
No~lJe,
dès le pren1ler In stant, avait senU 80noon,leur irrévocablement compromis. Elle était mOl'lle.
ment tcrrassée, ne çlésirant plus rien, parce qU'C\leo
n'espérait plus rien. Tout lui devenait un sujet d~
soufTrance. La présence de Gérard, amical, fraternel,
dévoué, était maintenant pour elle- 1,111 supplice . Elle
conlparait à son regard calme d'aujourd'hui le regard doux et profond qui s'était Axé un instant sur
elle là-bas, au fond du Jardin, lorsqu'ils étaient tous
les deux assis sur le banc vert.
Cette comparaison, entre le Gérard d'alors et celui
d'aujourd'hui, la minait. Sa tète humiliée se penchait sur sa poitrine, un cercle bleuatre entourait
s~
paupières. Elle souriait d'un sourire pâle, parlait d'une voix atone, et le 'deui l qu'elle portait la
plus blanche, plus mince el
faisait l?araitre enCDr~
plus tnste.
Elle avait hâte de quitter Trouville et n'osait le
dire. En s'éloignant, peut-être romprait-elle le der"~ier
lien qui l'unissait à lui.
Quelque douloureuse que fM sa position, le moin.
dre changement lui semblait redoutable.
La tendresse me me de sa mère ne la consolait
plus; elle ne se plaignait pas mals, la nuit,
Mme de BoutreuH fa voyait s'agiter et pleurer cn
dormant.
Une nuit, pourtant, ce ne fut plus tL la mère de
veiller au chevet do sa fille. NoC:\[e appelait
Mme J'Hautecour, sonnait les domestiques, mettait
toute la maison sur pied.
Mme de B()utr~il
venait d'avoir une attaque de
paralysie.
Quand ene. v~t
~ans
connaissance, pr~9que
sans
vie , celle qUi. etait pour clle sa blenfa~1"IC,
~(ln
appui, sa famtlJc, presque son culte, la Jllune nll\.!
retrouva son <::ncrgie, et c'est avec tout l'aChat'lh;ment de la tendresse qu'elle la di3putP. à la murt.
Au bout de deux jours, Mme dû BoutreuÎ\';laii
hors de danl~cr.
- Elit: est 'sauvée \)our cette f(li~,
dirent It!s mé 1 cinsj c'est la !,(.!COl1te atlaqul.!, mai~
il ne ra Il.1 1 III
pas qU'lIne troisf~'m(J
v111t à se prUdulrc. l~pa'g
'1.lui les l'lltigut:s, les ~l1Jtirs
surtuut.
- CI! qunl ce!l SCl:l1es affreuses, c'est à caus>; ..le
mui qu'elle a fj,ülli muurir le ,lit NveUo, et luI.)
�NoELLE
traces mêmes Clue cette cri se terrible laissa à
Mme de Boutreuil la lui rendirent plu s chère.
Q\:and la vieille dame entra en pleine convalescen.: e, on put constater que ces traces ne s'eflacerl,;ent jamais .
La surdité s'était accrue et Les facultés avaient subi
une irréparable atteinte.
Elle aImait toujours sa fille avec la même ardeur,
mais cette affection était devenue naïve, dépendante,
exigeante et égoïste comme .celle ~'un.
enfan.t; il ne
fallait plus attendre d'elle, l1l con.;ell, l1l appuI.
Au contr:aire, Noêlle. devait être à présent le guide,
la protectnce, le sputlen. A to.ute heure, ~1
était
au~
mlJllldres rant~lse
de
là, prête à se .ple~
Mme de Boutreuil qUI, maintenant, avait mille capri.intérêt pour le~ gr~ndes
choses
ces, et perdant ~out
de la vie, s'apphq ualt avec une obstinatIOn enfantim
aux plus fatigal!tes ~inut!
es .
Cette maladie lUi avaIt alég
~ l'esprit de toute
préoccupation. Elle semblait avoir oublié la visite
de la mère Dreck, oublié aussi les projets formés à
J'égard de Gérard; el~
n'avait p~
perdu .la raison,
et aucune parole b.lzarre ne s echappaIt de ses
mais elle étaIt re" · ~nue
à l'ignorance insou!èv, ~s,
ci an! e de l'enfance.
Mme de Boutreuil ne se rendait pas compte de
son état, ne souffrait pas, el, d'après les médecins
cet affaiblissement moral devait être plutôt favorbl~
à sa gu érison physique.
Dès qu'elle fut sufi~,ment
rétablie, elle dema " oa à retourner à Pans. Le chez-soi et le voisinage de son médecin habituel étaient nécessaires à
son état, et Noêl~
fit imédat
c men~
ses préparatits
.et attn stée de quitter
de dépar.t, à la fOLS. he~rus
tette maisonnette ou e.le avaIt rêvé tant de joies et
!rouvé tant QG douleurs.
r'Ginze jour~
~ pei.n e s'.étl1i~n
écoulés depuis l'instant où c.e pent }ardln lUi av~lt
se,mbl é au ssi radi eux
qu'un cOin du CIel, et .:etô qUinze Jours avaient vu se
ll étrir toute s les Oeurs de sa vie.
Il lui restait pourtant UD rlcvojr. et ç'était encore
iu bOJ'lheul"•
........ of
�NOELLI
XXII
Mme d'Hautecour ne quitta NOêlle qu'aplès l'avoir
ramenée à l'hôtel de Boutreuil. Ayant satil fait, et au
delà, à toutes le~
exigen<.;es de l'amitié, ele n'était
pas fàchée de reprendre sa liberté, et avait hàte de
s'occuper de son fils. Le moment était V61U d'éloigner Gérard, et elle espérait pour lui unE position
en province qu'un ancien ami de son ptre s'était
offel·t à lui procurer.
En rentrant chez elle, Mme d'Hautecolr trouva
son fils tournant et retournant une lettre, éI'rivée la
veille, et que le concierge venait de lui remEttre.
- Que peut vouloir encore Mme Dambr;? dit-il
en la tendant à sa mère.
« Voyez 1 comme cela pèse 1
Mme d'Hautecour ouvrit la lettre qui lui était
adressée. De l'enveloppe, qu'elle déchira, en to mba
une autre sur laquelle étaient écrits ces mots,
Monsieur Gérard d'Hautecour
Gérard tressaillit. L'écriture haute, droit;, lég~re
ment trembléf', lui était inconnue, mais 1". cache! ~e
cire portait l'empreinte de ses armes.
- Une lettre de ton grand-père qU'.l te fait rarvenir par Mme Dambry, ne sachant pos ton adre!se,
dit Mme d'Hautecour, parcourant rapidement la
feuille qui annonçaitetexpliquaitl'ervoi ... Mme Dambry n'en connalt pas le contenu, -elle espère qu'il
sera favorable, - elle est bien dévJUée 1
Gérard hésitait à rompre Je cachet.
Cette première épreuve tangible de l'existente de
son grand-père semblait former <!ntre eux UI lien
myst é rieux. Il était ému, content,craintif.
Un passé qui devenait pour Iii fantastique, un
avenir, auquel il ne croyait plul, lui para.slaient
contenuS dans cette lettre.
Lui, le pauvre, fie déclassé , l'ébançon.lè, afait-r
r etrollver une famille riche et pui !santc, ct cont nuet
les tradition s de ses ancêtres, granJs seigœur~
dont il se croyait à jamais dé~hu
\
�Il se (~ciua
enfin à lIre.
La lelru Liait cuurte :
« "'ote mère a [ail de vnus un homme, ct qui plus
est, un gentilllomme. Ce1~
?uffit p.our qu'elle ai~
acquis mez nous drOIt de cIte. J'espère qu'un fils SI
tendre IDra le cœur assez large pour y faire une
place à m viellx grand-père, triste et waodonné.
« Smmdj :prochaio. 19 aoùt, ma voiture attendra,
i! Jagare de Vouziers, ma bcllt::-!l!h: el lIlon petit-fils.
({ MarLluis d'HAUTECOUR. »
-
Il v?us accueille 1
- Il t'appeHe!
eonclu~
Gérard, Qll'on
- Et lOUS vo):ez, ma ~nère,
ne perd jamais nen à fa~re
son ~evolr.
La bassesSt:
et la se"Vi1t~
ne pouvaient plaire au père de mon
père .
Peut.elre y avait-il là du vrai.
Peu:-être aussi le marquis d'Hautecour, qui avait
beaucoup aimé sa mère, appt"ouva-l-il la tendres se
de G(rard pour la sienne; peuL-être aussi - car les
?etittS raisons sont SOuvent les plus ct6tt!rminantes_
UI ~ 'cène désagréable avec sa nièce, la ré olution
Lie 1P.couer l'innuence dOl,t elle abusait, l'horreur de
la lilude et l'embarras où S'i/tait trouvé le vieillard
pour g'uverner sa maison et oc uper ses loisirs en
l'absen~
de celle qui s'était efTorr;ée de se rend re
jndispe~bl,
avaient-ils, au moins 'lutant que dèS
sellirncnls d'ordre plus élevé, détenhiné l'uleu l à
enourer sa ~iels
d'une famille ~réable
et
d~vouée.
Les ioies du foyer étaient les S011es auxqlellcs s n àg~lui
l?ermlt d'aspirer; il avail plus de
sat es e que dem6nte ft le comprendre .
de Gérard en jugea Q'Jtre. Le jeune enth~usjamc
melt. Vingt-troi3 années ~'ind(férec
et d'Ol:.hli
;'cra~ent
de sIn souvenir. 11 ne vit plus dans ce
crut! abandon CJ.:t'un mulentendu, dans cet aleul
égo1.le qu'un viii li an.! , allé mé de tendresse Ilt lui
ollvnnl les bl'as .
Sa 1'1: re !J~l'H
: , If!llJlt ~()ur
le ~I'and
parc, les
portlc '1 ., de lamill', la tortu ne, loul l!ela lui appal'ut
dan
~ l\ lu v;·;j')11 01Iuuis::.an: <:.
l'IIH SCl:l'liqul, mais non moins ave upl':t'
MUIt d"lauleçoursu disait: • 11 Gtui! hicn t:\idt::lJt
11Il! leI' onn!:', mêne de loi/l, n,· pouvuil rl , i~kr
Il
'-illr'l'J. Ju~l,-\"A
janell 1 Bun 6critul"Il 0111 f,lit plus
�qué les efrons de maJ'liie entièTe. Cher, cher enfant 1,..
On était au J 8, et le rendez-vous don né par
M. d'Hautecour pour le lendemain fut scrupuleusement observé.
Quand Gérard et sa mère eUTent dü adneu à ~ Jêl1e,
celle-ci, quittant un instant sa chère malade, alla
cacher, dans sa chambre, lp.s larmes qui s'échap·
paient matgré elle.
Sa. roate s'éloignait de plus eI'l plus de celle dl
Gérard;, j~ allait vers le succès, lai richesse, la joie,
tout ce qu'il y a de brillant dans la vie.
Elle, s'acheminait lentement vers un a'Venir sombre, \'ers l'abandon et la désespérance.
Oh 1 mon Dieu, si cela: pOUlVéllit être vers la mort!
Quand une destinée irrévocable vous ôte à ~o1!lt
jamais l'espérancef quam! UrT sort fatal transforme en
épines tout" ce qui tst rose pour les au<tre"S, quand
une marque originelle liait de VOIU un paria, si on
ne peul, ni effacer cette marque, ni conjurer ce SOTt,
enfi n si on n'a pas de plél'ce ici-bas, si on ne peu'
pas vivre, pOUlrquoi ne peut-on pas mourir 1
XXIII
Une auto très luxueuse atte1'ldait les' voya~eurs
à
la gare de VOll1.iers.
.
Gérard 6pl'ou va, lorsqu'il passa dans la cour d'hl'lnneur, une sorte d'ivres e.
Avait-il vu en ~onfre
ces tours, ces toits pointus,
ce chàteau magrlfi'1ue, ce vieux ombrages et cett(
chapelle, ct ce rigo)nnier et ce vieux pont-levis?
Les récits do on père, que sa mère lui avait trulIs·
Jnis, étaient-ils donc a, sez exacts pour qu il recon·
nü( cettedemeuredu premicl- c up d'œï? ou étai~ce
un in tioct naturel, une sOI"te de voix du san!}, qui
évoquait chez lui, en t'nco de ce vieilles pierre, ner,
coall de sa famillc,commo un sOllvl.!l1ir lointain 0
lu Sl.!nt i ment vnf.illl! d'Lille pa run tl! m \'s t0rieu e?
En haut du grand est:aliel" du ' marhre hlanc,
l\1. d'lIautccolir atl<.!n lait.
Lui aussi était bien Ml QP(, Gér;u'd Se l'2tait n'
�~0ËL:B
prë!l":\ 10.. ~ un 'f"and vicjTl~rd
maigre aux traits. ~ns
et ':Xj'I ".: -d s , à la grace anstocr~lque
un peu nglde
de j'at. >",r, ~emps.
.
Gérai-d s'eifaça pour laisser passer sa m'el e, et,
3.Vant d .:!mbrasser son petit-fils, le vieux marq uis
posa, pour la première .fois, ,>es lèvres sur le front
de sa belle-fille .
Cette rencontre, préparee comme une entrevue
diplomatique, . n'eut rien de s~len,
riel?- de
pathétique. SI M. d'I-Iautecou: etait. emu, il se
contint parfaitement; l'expressIOn satisfaite de sa
physionomie révéla seule que. la vue, de ses enfants
ne lui causait pas de déception, et Il les accueillIt
avec autant d'aisance affectueuse que s'il les avait
quittés la veille.
.
C'était peut-être le meilleur moyen de dissiper
tout embarras, d'éviter les retours fâcheux sur le
passé, de faire rentrer chaeun de plain-pied dans la
vie de famille.
Dès ce moment, Gérard et sa mère se sentirent
chez eux. Le jeune homme épr?uvait dans la société
<.le son aTeul un charme paISible, rappelant celui
qu'en~dr
une lougue ~abitude
.
Il lù! semblait avoir touJours connu Ce vieillard ct
jl retrouvait en lui une analogie indéfinissable a~ec
sa propre personne, et le souvenir un peu effacé qui
lui restait de son père. En quoi résidait cette ressemblance? il ne 'pouvait le dire. Rien n'était plus
différent que leurs idées, leur éducation, leur caract ère; et, cependant, ils se comprenaient, savaient
même se contredire sans se heurter, et s'attiraient
par une sympathie instc~ve,
qui leur faisait mutuel:
lement paraître leurs qualités plus grandes et leurs
défawts presque agréables.
Quand il fut rentré avec sa mère dans les appartements qu'on leur avait préparés, Gérard se livra à
une véritable explosion de joie enfantine vantant la
distinction et la bonté de s~n
grand-père', les splendeu.rs d'raut~co,
s:extaslant sur le beau jardin
qu'I l arercevalt au cJa~r
de lune par les hautes croisées de sa chambre, furetant dans tou s les coins
maniant c"aque objet, et s'amu sant des moindre~
·ùetail s .
C'était, nou ra s la ,I 0uissance orgueilleuse ct
étonn ée du. parvenu,. mai s la sati s faction du princ"
détrôné t JUI ret:llnqul c rt sa t:ouronne.
!i aimait tout :::v Qui l'entourail parce que tout cela
�~aist
partie de son apanage, de son nom, presque.
df;( sa p c r ~ one.
.
Pou r la première fois de !la Vie, il se sentait bien
\ui-même un véritable d'Hautecour.
Ce sentiment, si fort chez l'homme et presque inconnu à la femme, de l'attachement au sol deE>
ancêtres, à la propriété légitime, au passé de sa race,
avait déjà pris possession de Gérard, lorsqu'il s'en>,
dormit pour la première fois sous le toit de son aleu:.
Les jours suivants ne firent que resserrer davan.
tage les liens si vite renoués. M. d'Hautecour appartenait à la catégorie des égolstes raffinés et raisonnants, qui n'ont pas d'appétit lorsqu'ils dinent seuls,
et savent la solitude néfaste à l'homme né sociable.
Privé par son age et son état de la plupart des
agréments de la vie, il ne pouvait plus guère en
jouir que par les autres, et sa fortune était bien
employée en lui procurant une société agréable et
distrayante.
Il appréciait les avantages de son nom, qu'~jtai
désormais assuré de voir continué dignement.
Son luxe prenait un charme nouveau, car le jeune
homme savait en profiter et se montrer reconnaissant envers celui qui le comblait de gaterie .
Cela servait à quelque chose maintenant d'avoir
des chevaux dans les écuries. De son fauteuil,
M. d'Hautecour voyait Gérard caracoler sous sa
fenêtre, ce qui lui rappelait son jeune temps.
La distinction et la bonne mine de son petit-fils
le nattaient infiniment. La jeunesse de Gérard ensoleillait la vieille demeure où Mme d'Hautecour faisait régner l'ordre et le confort que procure seule
une bonne maltresse de maison.
La nièce, si bien remplacée, avait été vite oubliée,
et la surveillance jalouse dont elle avait entouré le vieillard ne créait plus autour de lui la solitude. Les
héritiers naturels n'avaient rien à craindre de personne, et les portes du chàteau s'ouvraient toutes
grandes maintenant à ceux qu'y attiraient les nou.
veaux maltres.
Les premiers hOtes - c'était justice - fure:l~
les
Dambry.
Mme d'Hautecour n...: pvtlvait oublier tll part
qU'avait dans le succès l'amie d6vou,~c
ct la manie.,a
adroite ct d61icate dont ct!lIc-ci !l(! d6roba à , 'us
rt!mt!rcicITIcnls al~mt!n
cn~ore
la JJr"titude p. la
confiance Jc la mi.:'n·
�J54
'Gerard, tUI, vu,dit (.o~jur:l
atl,el.! i-:.aisir de IilOU,eaux arrivant s . .
Un peu grisé par s?n bon~eur
soudain, et pressé
\.ie rattraper les annees cie )-eunesse per.due .da.ns
ce qui était
les soucis, il adorait le l1!0nde et tQ~
distraction, à présent qU'Il n'y lrOuv;llt plus ni .gêne,
ni humil-iation.
Quant au vieux marquis, il aimait la jeunesse..
Mimi lui plais.ait, l'vathidey~u
. sait
Jllar son esp>rit
moqueur, et JI leur. t.é mOlgnalt rm.têrêt 'p>a1.eIrne l
qu'illspirentà un vleJllard <!les -enfants dont .il .a
connu les grands parents.
_ Ces Dambry sont d'une exc.el1ellte famiLle<âe
robe. c'est vrai, mais très ancienne, tOHjours 1.rès
riC"hé, ct liée d'amitié 8,:,ec la nôtre depuis 'Un temps
im.mémonal. A chaque ms1an'l, leur '!lom se retll0'J:V.e
dans mes archi'Ves : témoin dans un mariage ... ,.larrain dans 'Un 'bap{ême ...
« Pendant la révolution, leur bisaleu~,
.le ?r.ésident, a été g~iJlotB
en f!1~e
temps C]ue mon
grand-oncle, sur.la place. pf1lC~e
·de Rocroy, -et
son fils, le conseüler, éta1'1: le me ll1eu'f ami de mon
p1.:re .
« Tout cela crée presque des lîens de pa1'emté. Il
y a eu même u ~e alliance vers 1 ~80.
Ce mot d'aliJance parut éveIller dans l'esp r it {'!l'l
vieillard des idées agréables. Car il souriaü en ajoulant:
- Mimi est une charmante fille .
Charmante. il est vTai, surtout dans ce .cadre majestueux d'Hautecour gui seyait admiraolement à a
~euté
un peu lourde, ~ans_
ce:tte vie de. campagt'le
mlJroe et bruyante, qUI faisait ressortIr sa galté
franche, sa bonne l~umer
et s<m aptitude à tous
les exercices du corps, apt·i 1ude bien servie par I!Ine
santé robuste.
Mimi était du reste la seule, parmi les femmes rasaemblées à Ilautecour, q~lIi,ar
son âge ou sa figLln~1
pc.: pr0tel~ù
à I~ bl."auk.
Cet a lUI ùonnalt une petite. roy~ulL:
qui. 1',,]t:!v3n\
lU- t ksl1~
dc sa mod-slc sltuatlOll d· plu s jelllle
membre tI'lllll' IrtJp nOl1lbreuse famille, la l'ell Illil 'Ù
la roi s confu s.; el contente.
~on
.c .· !r~n?e,1u
. né~s
. e faisait md1rc . Ilr le .C'Hlll'll l!
de la 1JI111dlle 1~It\nd"l
; e de sa ~I)nv
'1' all"n. "'Oll
manque d'imagn~lt
et d'idées.
.
J)iles par unt: )011" hOllche. il: .. nlOIOdrè!l i(l Iii i!\ '.
�ries t'fermen t un certain charme , el de beaux veux
doux pewvcl1t se pa.sscr d'expre ssion.
Et puil, MatJ!llJde était là, l'esprit en éverf, la
r épartie prompt e, toujour s prête à supplée r à ce
,) ",i manqua it à sa jw.mellc. ao point de vuc de l'inler·
lIgence , adoran t sa sœblr ~ f~èJ:e
ct n·eureu se de la
voir. douée de charme s cxtérieu.rs «ui lUI manql.'\alent
à elle-mê me, et se résigrllant voLontlcrs au rMe ingrat.
de repouss oir.
La l:>ealllté de Mimi étaIt d'él'lflc:UfS sa vengea nce.
Elle voulait en écraser toutes les femmes 'qui I~écrtli'
saie~t
elle-mê me et qu.'elle hals.sa.it de toute sa
haine de la.ide.
-QuelLe·b0l1lJl!e sœu.r! se drsaitM med'Ft autecou r,
ne voyant que pa. un. côté cette abnéga tion f6r~ce.
« Que.!' ou.bli. d'elle-mê.me! c'est unenà1 uredévo uée
comme sa mère,
De part et d'auls:c, les. appréci ations furent également bienvei llantes, er la prolong ation de cette
inümité ne fit ~le
les confiçm er.
Son séjour à Ha'ltec our terminé discrète,Jn~
l'lIme. Dümb.ry resta dans levoisig nage @ù sa benesœur la rctenai t, Les vacance s presque entières .
s'';;couli.:rent dans tous les plaisirs de foa carnjila8ne,.
partagé s ]Dar les Gleux famille s: pt'omen ade,. piqueniq.ue et ~yeus,
c;hevaués~
Rien n'est plu;; triste roùr les vrais Paflsle ns qu'
Je séjour de Pans pendan t le fort de 1'616.
Les étrange rs ou les provinc iaux qui yaf{h;"lll-t,
profitan t des .va~nceg,
~nt
émerv,iIl~s
de l'anima ·
tion de la gaiete, de l'ell;gance qUl font la pa:'urc
de la ville incomp arable. Pour les yeux ex.ercés,
l'anima tion est sans entrai.n, la gaieté sans lJ:'àce,
l'élégan ce sans disti nction, la pal'Url,; sans coquett erie.
Paris, livré à ces hôtl,;s de pas
s a~rc,
n'est plus
Paris. Ses habitan ts déRcrtent <;n ma sse . CCLIX que
l'dil,;l1l1ent de force dt.!!i rai so ns pGrclll/1[oirpS,
r()n~'I
ni leur J'l'ein. griSéS par celte alrnosp> ~\;:l'e
de
·'IIGUllCC S·.
�NotL~
Ce qui cl1al'me nu passionne, pendant dix m0is de
l'année, d~vient
insupportable pendant ces quel~
semaines où h repos semble une nécessité et, par.
tant, un droit.
.
Les boutiquiers Sto découragent, les restaurants se
pégligent, les demoiselles de . magasin s'enui~.
Les hommes d'aflalfes alangUIS battent mélancolIquement l'asphalte nauséabond. Les chevaux de
fiacre eux-mêmes ont des velléités de révolte en
rêvant des prairies d'Asnières ou des ombrages de
Saint-Cloud.
Les petits ,bourgeois, cloués par l'économie dans
leurs entres6ls, se fuient les uns les autres, fY
recommandent à leur co.ncierge de dire ~ tout venant
qu'ils sont allés en SUisse. De la SOCiété, il n'y a
plus trace. Les s.a~on
fo.nt ~elàch
comme les
théàtres, et un Panslen, qUI revient par hasard chez
lui pendant la canicule, peut se croire en plein
Sahara.
Noëlle s'en aperçut en re.t'\traf\t à l'hôtel de Boutreuil.\
Jamais elle ne s'était trouvée à Paris à ceLLe
époque, et elle y con.nut toutes les horreurs d'une
solitude rendue plus IDsupportable encore par les
tristes préoccupations dont elle était assiégée.
Elle se consacrait av('·c une tendresse et un dévouement infatigables à contenter, à distraire, à choyer
sa bienfaitrice dont les joies, les fantaisies et les
colères enfantines se succédaient presque sans
interruption.
.
.
Cette tâche de reconnaissance étalt douce et chère
â la jeune fille, mais l'épuisait.
Elle sortait à peine; et la sonnette de la porte
d'entrée, jadis si bavarde, se taisait maintenant
morne et délaissée.
'
Les arrière-cousi.ns, si empressés l'an dernier,
prenaient, eux ~USI,
leurs va~nces,
et les amies de
cœur promenaient leurs to!leLLes d'été sur une
grève ou dans des allées de parc.
Les vieilles amies de Mme de- Boutreuil els~
.mêmes étaient di persées dans de paisibles villé·
giatures.
Noëlle en vint à regreLLer même les indifférents.
Espérait-ell<- _ju'ils lui feraient uu instant oublier
Je vide resté béant dans son cœur? Non; mai~
i!
lui semblail qlle des bruits tle pas, dcs murmures
de voix. des figures connues. se mouvant autour
�NO€LLl!:
'0:,1
d'elle, dissiperaient ce silence affreux où elle eJ1tn~
dait toujours résonner le même nom, cette vision
persistante qui lui montr:!.it toujours le mêmfJ
visagel
•
Sa raison tentait en vain de la rassurer en lur
prouvant que Gérard allait bientôt revenir; que son'
séjour auprès de son grand-père était naturel et néces.
saire; qu'il fallait se réjouir de cette réconciliation.
Les lettres de Mme d'Hautecour, affectueuses,
'1leines de sollicitude pour la santé de sa vieille amie,
.e réussissaient pas mieux à la calmer. Y répondre
âtait pour elle un martyre.
Craignant toujours de laisser percer un sentiment,
un espoir, elle se mettait l'esprit à la torture pour
imaginer des phrases assez banales, des lieux corn·
muns assez courants, pour ne pouvoir prêter à
aucune interprétation.
Chaque lettre amenait un refroidissement, une
gêne dans ces rapports jadis si intimes.
Noèlle le sentait, et sa seule consolation êt ait de
pouvoir attribuer ce changement à sa propre fierté,
et non à l'abandon de Gérard.
Elle ne désirait même plus le retour de son amI.
Tout événement lui semblait maintenant devoir
'tmener dans sa vie un nouveau danger.
Elle était plus assiégée que jamaIs par ses idées
30mbres, lorsqu'un jour, en sortant de l'église, elle
fut accostée par Marguerite Dambry.
La jeune religieuse, attachée depuis plusieurs
années à l'un des grands hôpitaux de Pans, n'était
jamais revenue à l'hôtel de Boutreuil.
NOêlle l~ rencontrait de temps en temps, et lui
parlait touJours à la hâte, car les moments étaient
comptés; mais chaque fois, un regard amical ou une
bonne parole de sœur Elisabeth était venu raviver
l'affection enthousiaste inspirée à NOèlle par
Mlle Dambry.
Cette fois-ci, Marguerite s'attarda un peu, marchant à côté de Noêlle et la questionnant sur la
santé de Mme de .l3outreuil. Son coup d'œil, exercé
à reconnaître les souffrances physiques et morales,
avait tout de suite démêlé dans la physionomie de la
jeune fille des traces douloureuses et son instinct
lui disait qu'un être malheureux avait l:J~soin
~c
Ion secours.
- DItes à Mme de Boutreuil QUI' j'irai la voir,
�NOËLLE
dit-elle ên se séparant d~ No ëlle; une mnllldClj cèlr
fait partie de ma clientLle.
Cette clientèle des sœurs de dharité se compose
>de toutes les misères, de toutes les douleurs, de
tous tes abandons. Et c'est pourquoi, d'un bout du
monde à l'autre, C'est-à-dirè partout où il y a des
malheureux, on l'encontre la cornette blanchi
et le visage serein des filles dé .Saint-Vincent·dePaul.
Elles appartie ment à l'humanité, puisqûe l'hulnanité a besoin d'eUes, mais elles appartiennent, avant
tout, à la France et au ~atholicsme
dont elleS sont
l'incarnation la plus vIvante et la plus pure. Le
monde les voit de si près, que la calotnrt!e même
n'ose les attaquer, 11 ne fàut du reste pas longtemps
pour les conhaître; car elles ont la ftl1rtchllla cie
l'enfant. et la simplicité hérolque du soldat.
Plus pauvres encore que les plllà pll\lVres d'entre
Jes religus~,
elles ne possèdent pila mêmê une
chapell e. Les salles d'hôpItal, las mansardès où elles
seules pénètrent, les champs de bataille où elles
s ui vent Jes plus vaillants, leur tiartndnt lieu de
clollre, et quand leur dur labeur laisse Un mome nt
au repos de la pri ère; elles Je passent aonfortdues
nu d ernier rang d es fid èles.
3 ~ r va nt es
de Dieu dans les pauvres, son image 1:
plu s humble et la plus vraie; elles trouvent, POUl
chaque - souffrance, une larme de femme dOht la
piti é humaine s'attendtit, un soutire d'ange dont la
piti é divine relève et con sole.
Leur âme, qui regarde au ciel en même ttml!'9 que
s ur la te rre, voit, de si haut, les ihOrtnité s et lès faibl esse s d'ici-bas, que tous les homm es leur sembl ent égaux, malgré les distinctions qu'ils croient
é tablir e ntre eux; comme, vues d'lIne aurtrtino !llt;[uùe j les montagnes se confondent àved las vall ées ,
se mblables ft un ~ Tain de sable jeté dans UIInm e nsit é.
L es diffé renc es d e c'af. se, cie fonune, d' éduc ntÎon,
c' est pour cll es-m t mc s qu e le ~ !lŒ uts d a chnrit é l ~s
oubli e nt d'ab o nl. D e~
pr in!.: osscs ct ù c~
flll l.:s du
p e upl e ont, IlV CC la m ê me /l e rt é hlm1r.l e, app elé
Vin ce nt '1e P au l leur père ; c l1t r' ell es r"une Cf It e
dou ce éoalil é fraterne ll e q ui n'e ,H: lut p li'! l'Ii,div idllalité c l l'lnitiati ve, un e de J'm'!.: ,,!, de lel lr ordre , d llllf
l'es prit ve ut l'a bnégati o n vull"1 tai rt.! e t la ~ J t.: t i li cl.!
joyeux. !,Ollr r l! gJ l.! ~ sf!vl!re el Ùl1UC!.l. reml chaqu e
�NO~LJ!.
'59
à des milliers de religieuses Ullt: libuté
lu'ellt; " son t heureuses d'i.mmoler Je liOu veau, et
leur donne, cha lue jour, l'indépendance nécel'~air:
il leur mÎnisti.:re.
Elles nc fui en t pas le monde comme un dangcr;
elies le traversent sans crainte, comme leur cllemin
pour aller au ciel, glanant toutes ks rr.;si:res, toutes
les douleurs qu'elles rencontrent sur la rOll!e, et qui'
sont leur part de la moisson .
Marguerite Dambry réalisait entièrement le typ~
idéal de la sœUf' de cbarité que l'on admire toujours,
sans s'étonner jamais, tant on la rencot
~ sOuvent.
La sérénité, que donne une vraie vucation, était
empreinte sur sa figure calme ct animée.
NOêlle la regardait avec envie s'doign,er, pressée
de rattraper les ljuelques minutes d~pens0
dans
leur causerie, oublieuse de la chaleur suiToeante de
celte journée d'août, marchant de ce 9as léger et
résolu avec lequel elle aurait traversé, aussi facilement, les champs de batailLe ou les déserts sauvages,
~i sa mission l'y eût ap{)elée.
Les parol~s
la religieuse et sa pr.omesse avalent
t'ait du bien à la jeune fille; depuis longtemps pel.
sonne ne lui avait parlé avec une attitude aussI aisée,
une amHi6 aussi fmnr;he.
Elle n'éprouvait pas auprès de Marguerite cette
sorte de contrainte llui llll semblait parfois la séparéf dcs autres, comme une barrière invisible et
infranchissable.
- Que lui iml'orte mon nom, ou la condi1ion de
mes parents? sc disait Noëlle. Pour moi, com~
pOUl' tous, c'est une sœuc
Mar~ueit
Dambry ne se fit pas attendre.
Le lèndcma1n, elle arriva chez Mme de Boutreuil
lue celle vi ite enchanta.
La mald~
Il'(!taÎt cependant pas seule à attirel
regard pcrgpicacc avait l'U dans
M3J'glwritl.!. ~on
les tr:lil·" daos les mal11"'re ', dans le' parolt:s l',·
~IClk.
j H.:
soulTranCt profonde et cachée. I~.q
;\:tait touj (J urs int é
r l!~sée
à cette enrant dont el~
avnit d '\iné la nature Jéllcate, et lui lui rappelait
le telll11s Il li ' a vocatio 1 s'était é,~ile
J.llli ,en ,.,i·
~Ilantes
pau\'fcs de L:lgny .
p~ b,
sembla. mèl~
ne
. MUI'j.luerite ne li u~slOna
Jïell r '/llaft\ucr' mal t;. elle revint. C\ UII Jour uu 1:
douleur !:le luisait trop {ort.e, l'Isolement tl'('P nll'reu ,
1'1u01Ic, san~l
8(\1'011' comment. se trollva dans les bra'
n·~e
ae
�NOELLE
de la relilCleuse, lui ouvrant son cœur oppressé et
meurtri.
Moins on a besoin d'indulgence pour soi-m ême.
plus on en a généralement en réserve pour les
autres.
Les plus for,:; :;ont les plus enclins à soutenir les
plus faiblp-s, et, être dégagé de toute préo~uatin
humaine person nell e, e. t la première conditIOn pour
juger avec impartialité, conseiller sagement et excuser toutes les erreurs.
Marguerite n'encouragea pas les espérances qui,
malgré tout, sommeillaient encore dans le cœur de
Noëlle, ne les lui arracha pas non plus avec une
Drutalité qui eût effarouché la confiance de la jeune
fille et brisé ses derni ères forces.
- Peut-être vous êtes-vous trompée sur les intentions de Gérard; peut-être reviendra-t-il!
- Oh 1 si c'était possible.
- Peut-être aussi vous étes-vous trompée sur
votre propre cœur. A votre age, on ne;se connaîtguère
soi-même! on prend so uvent pour un sentiment le
moi ndre enfantillage; et l'on se désespère un jour de
ce que l'on aura oublié le lendemain.
~ Je donnerais la moitié de ma vie pour yut: ce
flit vrai, murmura NOëlle, d'un accent si convaincu
si déchirant, que -œ ur Elisabeth tressaillit.
'
Le mal éta it Iprofond. Avec adresse et douceur,
... religieuse y appliqua le eu l remède capable de
,ou lage r, s inon de gué rir les douleurs humaines;
cette 'rés ignatioQn dont le bon se ns fait une loi, et la
religion, une vertu.
Ct!tte so umis s ion confiante à la volonté de Dieu
ne d~fen
pas le s espérances humain es, et, lorsqu'elles so nt épuisée, leur en sl.:bstitue d'autres,
plus enviabl es et moin s fragiles.
Margue rite apaisa cette ame troublée et, l'élevant
à la haute ur de la s ien nt!, lui fit e nvi sager le s peines
}t les douleurs de la terre du coté du ciel, le se ul
par oli l'on puisse le s considérer, sans crainte et
sans horreur.
)près ce tt e conversation, NoC:llc se se ntit un nou1
au co~rage.
L'afrection indulgente de celle qu'elle
regardait presque com me une sa int e l'avait relevée
à ses propres yeux, et, en ~o n .Hea
nt
à ses paroles
elle sc rappelait que, même S I le monde enlier s~
Journait conln.: ell e, il lui reslerait encore le se ul
prutecteur (luissl\nl. le seu l al~i
v6rj
lab~,
�NOELLL
H si de nouvelles luttes absorL _.• ltes et doulou,euses vinrent bientôt chasser ces pensées consolantes, elle les retrouva un jour. gravées tout au
fond de son cœur.
.
xxv
Ce moi.s d'août qui ayait semblé à Noëlle le mois
le plus tnste, le plus fatigant qu'elle eût encore vécu
était enfin écoulé.
•
Les premiers jours de septemhre, rrais et déjà
brumeux, amenaient une amélioration sensible dans
l'état de Mme de Boutreuil, en la réveillant d'Ult
accablement léthargique, causé par la chaleur.
Par moments, les facultés de la vieille dame semblaient revenir, et c~s
écl~ir
fugitifs, Ol! reparaissait
sa nature d'autrefoIs, faisaient espérer, à l'inexpé_
rience de sa fille, une complète guérison.
- Comme tu es changée, ma pauvre petite, dit un
jour Mme de Boutreuil, en. passant la main sur If'
visage pâli et émacié de la jeune fille.
- Ce n'est rien, mère; l'été m'a un peu fatl"uée.
- Oui ... pe,nser que. tu es restée ~ ét(lure~ci,
à
cause de mOl; et pUlS, tu t'ei' ennuyée là toute
seule?
- Est-ce que j~ peux m'.ennuyer auprès de vous?
- Pauvre chéne 1. .. MaiS Gérard ? .. OÛ donc est
Gérard?
- Vous savez bien, chez son grand-père.
- Ah! oui, j'oublie touj~'s
ce, grand-père. Il
s'est révélé si soudainement, SI mal a propos! Je ne
comprends pas pourquoi Gérard , , ~st
aV,ec 1u,l, à prése"t, au lieu d'être avec nous '\ 1ü sais ... 1,1 devai1
jemeurer ici .. , au second .. , apn;s votre manage,
Mme de 130utreuil par/ail tout naturellement.
comme un enrant qui ne comprPlld pas la portée db
3es par,Jles,
,
Elle était restéc sous l'ImpressIOn de son entrelfen
avec Mme d'lIautt.!cour, et ne se raFi')clait plus rien
du temps ni des circon s:""ces .'I~i
l'en !'éparaient.
- Depuis lJuand (;érard es t-il a fl<ute:(~Ir?
t:onti.
oua-l-clle, essayant de c;Jlt:ulcr el j'rnbrollillant dans
67-VI
�NO~LE
sa pauvre ~ te le s jours, les semain es et les moi:;,
que N Oël.le fût. parven,!e à at~ire
sur un.
jUsqu'à ~e
autre SUjet sotl esp rlt vacdlant et Incerlall1.
Le nom der Gérard revenait pourtant sans cess"
dans la Cooyenation de la malade, et chaque fois
1u'elle le prooonçai t, elle s'arrêtait un instant, re,nuant les lèvres sans parler, comme faisant un
suprême effort pour renouer la trame rompue de sel
pensées.
.
Un jour cependant, apI'M une courte méditation,
ses yeux s'éclairèrent de leur regard doux et tendre
i'autrefois, et, d e cette voix calme et grave que
No ëlle avait cru ne plus jamais entendre, elle lui
dit :
- Ne t'inquiète pas , ma pàuvre petite, tu crois qlH!J
Gérard t'oublie qu'on le détourne de toi, que, peutêtre, il a été eitrayé par certains obstacles ... IMais,
etois-moi, il te reviendra malgré tout. 11 peut se
laisser convaincre un moment mais plus il verra le
monde et les autres femme s , plus il comprendra que
rlen n'est plus beau Iii meitteur que loi, et que flen
ne poutra lUi tenir lieu de ta tendresse.
Mme de )3outreull se tut, comme 6puisée par cet
eITor!. L'amour maternel avait un moment réveillé
toute sa raison el ce sûr instinct ne devait-il pas
servir à la jeune fille d'oracle et de guide?
Noëlle se laissa aller aveuglement li 11espoir qu i renai ssa it en elle, et il lui sembla que la prédiction de
sa m ~re
se réali sait déià, lorsque, ouvrant la porte
du sa lon, le vieux Thomas, d'un ton où perçait 1e
tri omrbe, annonça:
- Madam e d'Uautecour!
La visiteuse ,'avançait, affectueuse et souriante,
vers Mme de Boutreuil qui l'accueillit avec une
oveuse exclamation.
De rart et d'autre, Je revoir tut tr~s
cordial. Mai sT
lout en embl'assanl so n amie, Mme de Boulreuil
promenait un regard inquiet autour du salon, surprise ct gênt.:e dc ne pas tro uver, ClllTIme d'habitude;
le fils a côté de [a tn è re.
- RI Gt:rard ? demanda-t-elle.
- Gérard est resté à Hautecour. Je ne suis venu
pas:; e r ici que quarante-huit heures pOLll" organi~e
"otre démt:nagemcnt.
Nc,.;J1e res pira.
l)(;livrt:c t.le l'émofion 'lui l'oppre ssait depuis l'en~
tr(;e deMme d l 11auLCCIlur, elle l'examinait à pr6sent
�NOELLE
lotapt les changements qui s'étaient accompltp sur
ce vlsage SI familier .
. Les plis tourmentés du front s'crlaçaient, la physIOnomie avait revêtu cette quiétude, cette assurance
pai?ible, propre. aux gens dégagés de to.u~
préoccupatlOn. La dignité un peu raide du mall1tlen s'était
as ouplic ; la santé revenue, grâce au repos de l'esprit, donnait, à cette figure régulière et fine, un regain de jeunesse el de fi·alcheur.
Mme d'Hautecour, tout en expliquant à Mme de
Boutreuil que son bail étalt expiré, et que, devant à
l'avenir hl'lbiler chez son beau-père, elle faisait transporter tout sop mobilier dans l'hôtel de la rue de
Grenelle, observait, de son côté, la jeune fille dont la
dépérissement la frappa douloureusement.
Ce fut peut-être ce qui mit dans sa voix L1ne douceur partICulière, quand elle s'adressa à la pauvre
enfant.
Elle parla peu de Gérard, beaucoup de M. d'Hautecour, pas du tout des Dambry, par une réserve
instinctive. De menus détails sur sa nouvelle demeure, la vie q\.l'on y menait, les projets du vieux
marquis, alimentèrent une conversation qui restait
intime, sans toucher li. aucun sujet important.
La visite sa prolongea.
Mme d'Hautecour, surchargt:e d'occupations penclant son séjour àParis, avait voulu d'abord Caire la part
de ses élmies, ne sachant pas quand elle p.Durrait les
revoir.
- Quand partez-vous? lui demanda Mme de
Boutreuil.
- Après-demain soir, ou jeudi malin, au plus tard.
Mon beau-père n'a pas voulu me d0nner un plus
long conDé et je suis épouvantée par la besogne qlic
J'ai à fair~
d'icI-là.
'( Pardonnez-moi donc, chère amie, si je ne revien5
pas demain; en tout cas, je ne partirai pas sans l'OU:
vous dire a~ieu.
Mais Mme d'Hautecour n~ repa.-ut, ni pendant les
deux ;ours suivants ni <.la~!)
la soirée <.lu mercredi
ni da~s
la matin~c
'du jeudi, où Mme de Boutn:ui
J'attendait avec lIne impatience enfantine, soult.:vant
le rideau de la feilêtre pour guctter Jans la rue,
cf"tlyanl à chaque mjnut~
entendre retc:ntir .Ia S~JI1.
l1eltu de la p()rte, Cl répdant avec une obs tinatIOn
d\.: malad\.:;
- Elle devait partir Coi mattn. et vl..:nÎI' me djl'~
�~otI.LE
adieu! ille Fa promi~
Pourquoi n'arrÎve-t-elle pas?
Vers midi, comme cette agltatiton fébrile augTTIc;{Itait d'une façon inquiétante, NOèlle dut calmer la
malade en consentant à aller voir si Mme d'HautecoUl
ttait partie.
Cette démarcne cootait à la jeune fille, mais
Mme de Boutreuill'exigeait et NOêlle céda, répugnant
plus que jac"!:!is depuis que l'autorité de sa mère
adoptive était diminuée aux yeux de tous par la maladie, à tromper sa confiance, en éludant un de ses
.>rdres.
Elle partit donc avec Ismérie qui l'accompagnait
presque toujours, à présent, dans ses sorties.
La femme de chambre apprit, non sans un vif intérêt, que la maison de Mme d'Hautecour était le
but de leur course. NOêlle, malgré l'antipathie instinctive, mais injustifiée, croyait-elle, qu'elle avait
éprouvée, dès le premier jour, à l'égard de la vieille
servante , se montrait toujours douce et afTable à son
égard.
La jeune fille hésita un instant lorsque le concierge
lui eut appris que Mme d'Hautecour avait été forcée
de retarder son départ de quelques heures, et qu'elle
étai t là-haut. '
- Montons, mademoi selle, dit Ismérie, madame
votre tante sera bien contente d'avoir des nouvelles.
- Mais je vais déranger Mme d'Hautecour?
- Du tout, il est déjà venu du monde ce matin,
affirma le concierge, spécimen rare et sympathique.
Noêlle gravit, jusqu'au quatrième sans s'arrêter,
l'escalier clair, un peu raide, très propre, de
Mme d'Hautecour.
La porte était entre-bilillée.
- Entrez, rép,'ndit-on au coup de sonnette discret.
Toutes les porteb étaient ouvertes aussi dans l'in·
térieur, et l'appartement, dégarni de meubles, encombré de caisses, de débris de paille et de vieux
papiers, apru~
dans sa nudité, dans sa simpli cité
misérable, dissimulée si 10ngtCJ:c'lpS par l'ordre ingé.
nieux~-'s
artifices touchants d'une femme qui avait
employé à cacher sa misère, sa fierté, son intelli·
gence et son dévouem~t.
.
Que les l)lafonds étalent bas, les pièces étroites ,
ies papiers fanés, la distribution défectueuse 1
Noêlle le regardait avec un serrement de CŒur, ce
rOMis qui lui aVf\it été si familier; qu'en son en·
�NO~LE
fance ellt! trouvait si coquet dans ses dlm~nsio
ïestrei ntes!
Les maisons, ces choses inanimées, empruntent à
ceux qui les habitent un tel souffle de vie, un tel re~1
flet de pensée, qu'elles finissent par noul; sembler
presque vivantes .
Comme des amies, elles possèdent et gardent une
partie de notre cœur.
Persolinification des douleurs et des joies qu'elles
ont renfermées, elles encadrent si étrOitement le la~
b,Ieau de notre existence passée qu'elles arrivent ~
se confondre avec lui dans nos souvenirs.
Si ces souvenirs sont tristes, on éprouve néanmoinal -'
une certaine émotion à les laisser derrière soi à
a
voir se refermer pour toujours une porte qu'o~
franchie souvent.
Mais quitter, pour n'y plus revenir, une maison
où l'on n'a vu s'écouler que de douces heures, 'c'est
une séparation cruelle, c'est un ë. -:lieu à une période
sereine de l'existence, adip.u d"n':; l'incertitude de
l'avenir accroH la mélancolie.
Une partie de l'enfance de No!!lle 's'était passée
dans ce petit appartement. Mme de Boutreuil avait
trop de délicatesse pou r ne pas accepter souvent la
mod este hospitalité de son amie pauvre, et les deux
enfants s'amusaient encore plus à l'aise, dans cet
humble logis, où tout était à leur discrétion, que d?us
l'hOtel de Boutreuil.
C'est peut-être aussi parce qu'elle aimait Gérard
qu'elle avait tant aimé le lieu qu'animait sa présence'
et dont il était si nalvement fier de lui faire les hon:
neurs.
Et, à voir ainsi ~bl:ndoé,
mis à ~u,
~épouil
de
tout ce qu'Ils admiraient dan~
leur SimplICité enfantine, cet abri de leurs jeux et de leur affection d'autrefois, il semhlait à la jeune fille voir tomber ct Sc:
disperser en mê!TIe temr~
les rêv~s,
I~s
espérances,
le s illusions, qUi avalent, Ju sque-la, fait le charme de. _
.
leur vie à tous les deux.
Où la retrouveraient-ils maintenant, cette amitié
d'enfance, cette intimité fraternelle?
Gérard serait-il le m6me, dans le cad 'c inconnu où
elle Je reverrait?
Mme d'Hautecour allait ct venait dans l'appartement, donnant aux: emballeurs ses del'~S
illHtl'LlCti ons.
gn l'attendant, Noëll,' s'était assise SUI' Ulle ch"lse
�NottLLl!.
de paIlle, rt:stée dans le vest ibule. Elle sc sentait esSQufftéed'avoÎr monté l'escalier; des malaises qu'ell(
.n'avait jamais éprouvés jusque-là l'assaillaient de
puis quelque temps.
Les cho cs lui apparaissaient avec un réalisme;
'effrayant, désolé, qui cou pait court à ses dernières
illU SIOns.
Elle cherchait à se rep~snt
la nouvelle demeure
ete Gérard, et la silhouette fantastique de M. d'Haule cour, cc terrible aleul qu'elle redoutait jadis
comme un croquemitaine, ct dont on parlait, à présent, comme du plus tendre et du plus aimé des
grands-pères. Elle songea à tout ce qu'avait s~ufert
de lui Mme d'Hautecour, et se demanda, en fnssonnant, ce q!le dirait ce vieillard, aux préju;.;és inllexibIcs, si son petit-fils aQ1enait un jour comme fiancée
la fille du père Drecld
Elle se souri! à elle-méme d'un sourire méprisant.
- Mon Dieu 1 que j'ai été folle, sc dit-elle, en
\lassant la main sur son front OLt elle ressentait une
douleur étrange.
Pu is , lIn brouillard, à 11 avers lequel lui appa rurent,
~ome
dans une vision, l'appartement tel qu'il était
autrefois, G0rard et elle enfants, vint sc placer
Jcvant ses yeux. Dans ce temps-là, leurs mè!res, les
voyant si joyeux, disaient avec un sourire :
.
- Ne les prendrait-on pas pour le frère et la
sœur?
Ses oreilles hourdonnaient.
- Qu'avez-vous donc, mademoIselle? lui demanda
lsmérie en la voyant devenir toute blanche.
Noëlle cs~ay
Instinctivement de sourire, mais le
sourire expira sur ses lèvres pilles, ct, si la femme
de chambrc ne l'ell! retenue, elle se serait lai ssée
glisser sur le parquet. J\1me 'd'Hautecour était neI,""ru c.
- Un évanou issement l la chaleur sans doute 1 ouvrez les fenêtrcs .
...... Que maùame n", s'inquiète pas. Elle n'a pas dt
sUllfé, il faut s'attendre ù ces accidents-là, murmura
bllléric en s'empressant uUl1rt·s dc la jeune fille.
Au hout d'un In stant, J\:o(:lIe t'Ouvrit les yeux; E'!
lellL; était son él~ergi,
que ~()1
seul )'cl1timcnt, ( .
l'cp!" 'l1ant connaIssance, fui la honte d'avoir :.tlil
J'allcl1liol1 de l'lIme d'IJaulecour.
Cdlc-.:i ClIl11pril . a COl1rU<.;i"l1, et lùclw d ... l.. distoipe!' en dilllinw"lll'impof"lf'P"/) dl 1';II ·,' idt.;lll.
(
�NOËLLll
. - Ce n'e. t nen, dit-clle . VOLIS ,Fic? '~rimp<
l:-;on
vite nos quatre étages. Quand "pus \1c;ndrl!Z ml' V"lr
da~s
mon nouveau logis, vous n'aurez l'ilS Illiit de
petne à m'atteindre.
Encore étourdie, Noëlle avait Ollhlié sa l ""CCtlpation de tOllt à l'heure et entendait Ù l,cine CL qll'on
lui disa it.
Mme d'Hautecour la ramena chez elle.
- J'allais justement dire au revoir 21 Mme d~
Boutreuil; je pars ce soir décidément.
_ Vous ne direz pas à ma tante ...
- Bien sûr eue non. Un petit éblouissemen t.
cela arrive à tout le monde.
Cet accid"nt avait cependant causé à Mme d'ITall.
tecour une vive impression qu'elle emporta en
Lorraine.
En arrivant chez son beau-père, elle y trouva
Mme Dambry, et répondit à ses questions affectueuses sur la anté de Mme de BOlltreuil.
_ Notre vie ill e amie va aussi bicn CJue possible
pour son étal. 1'1ai.s c'e~t
Noëlle qui me préoccupe.
_ Noëlle 1 s'ccna Gerard en changeant de couleur.
_ Oui; elle a une mine 1Cet été :\ Paris l'a épuIsée .
_ Pauvre petite 1 s'exclama la Cil III [latL sante
Mme Dambry.
Et, se penchant ù l'oreille de Mme d'Hautecour:
- Ce que vous me dites me rait bien de la peine.
Elle ressemble tant à sa mère 1 Pourvu q u'ellc ne
linisse pas tle même 1
_ Comment? demanda Mme d'Hautecour très
attentive .
_ La pauvre femme, une créature ch8rmante
idéale hl onde ct l'raiche comme NOl~I(',
Cst l1()rt~
d'ulll! 'maladie de p<litrine, hér~dital'c
dans la l'ami Ile.
_ De qui parlez-vous? demanda le vieux marquIs
qui n'avait entendu que le commenCt'TlH':l1t dl! celle.
convl.!rsatioll. Ce nom de B(lutreutl me ral)pelle
.ILlC lllllt.: chose.
.
_ Mml' de Boutreut! est ma C()I~1',
C\I,II':m\
!\{me DiI!1lhr '. La mi.;re de 5011 ill;lIi ,f lit une
Dam hry.
_ I.:t • '1)";110 c.,1 une jeune fille qu'c:llc ;1 ,"1 , ; .l!,
contil1ua i\lathildc avec l'iilll'rt:vo ':lIlCl' d~ ""n . 't,\!,
la fille d'un hOl1lH1IllI11C dl.! Lailny, d'Ilil 1"'l'1l1l, ·r ...
Un CIlIII' d'<t;il sévè;re de sa Ill,' re COUP,l CU'.l t ù
celte IndiscrétIOn ~tolrd1e.
�NOËLLE
M. è'Haulecour n'y avait, du reste, pas fait grande
attention.
- J'avais entendu parler de cela. Adoptd 1 dit-i;
~n
haussant les épaules. Ramasser, n'importe où, un
_nfant qui ne vous est rien, en qui se développent,
50US vos yeux, les instincts et les vices d'une classe
inlérieure! Car le goût du terroir ne se perd jamai s .
Il faut être fou 1 Voilà qui ne se serait pas vu de
mon temps 1 Comme si on pouvait remplacer un
~nfat,
un héritier Iéaitime !
Son regard satisfa it, complaisant, presque attendri, alla èbercher Gérard.
Le jeune homme s'était brusquement apr,?cb~
de
la fenêtre dans l'embra ure de laquelle Mimi falsalf
de la tapis serie et, se penchant vers la jeune fllle ;
- Quel joli ollvrage vous faites 1 Comme vous
êtes adroite! lui avait-il dit.
Ce compliment, tout à fait inconscient, n'en natta
ras moins celle qui le reçut, et Mimi était si ingénue
qu'elle ne remarqua pas même la teinte cramoisie
'lui recouvrait le visage de son interlocuteur.
XXVI
Poitnnalre 1
Ce m(lt, qUI sonne comme un glas funèbre, fit frémir Mme d'Ilautecour, d'horreur et de pitié. Elle
s'expliqua soudain le changement em'ayant de
Noëlle, dont elle s'é tait émue , inquiétée, ct , tout
bag, accusée. NoëlJe avait-elle deviné les projets si
/)r(;s de se réaliser jadis, et maintenant ind c:fln imen t
ajournés? L'él'lignement lit.: Gérard portait-il à sa
~anté,
~omrnc
à son cœur, un coup mort el?
Cette pensée oppre sa it Mme d'lTautecour comme
un rcmOl ds, et elle se demandait si, dans ceg conditions, l'honneur de son fils, à défallt de sor> alTection, ne sc trouvait l'as cngaf.\L:.
'vIais non; Gérard était libre. Aucune promesse.
,.1Icunc parole n'avait ét':' échangée. NoC:lIe n'avait
,ien deI inL:, n'était l'our Térard qu'ul1e amie l!'enfance, l'l't' 'Ille 1111<.: ~'l:Ir,
et ~i ell<.: d01',:'rissail 1'11!ellll:ll l' ~a
fi<!lIle diaphalle' ['J'(:llait ~t.:l
ht.:aUlé
mélalll:IllltJlIC dc~
étrc~
IcUlles qui Il'M~inJru
pas
�NoftLLl!.
la viels~,
la cause de son mal <.ltalt SlIllt "v, .. ùturelie, ct ne devait insl'irerà ses amis que des inlJuié.
tudes sans remords.
Tout en se sentant atterréE: devant cet arrêt fatal
tombé à la légère de lèvres indifférentes, Mme L~'naU
~ecour
éprouvait donc une sorte de soulagement à
ne se rien reprocher, et à voir un poids décisif jetG
dans la balant.:e où, depuis quelques semaines, elle
pesait avec angoisse la destinée de son fils.
A Trouville, un instant, elle avait cru les deux
jeunes gens attirés l'un vers l'autre par une sympathie providentielle, destinés à trouver le bonheu!
dans un mariage d'amour.
L'abandun de leurs parents les faisait presqUt
égaux par des raisons contradictoires, et soudain
les deux familles, qui jouaient un rôle si secon:
daire dans ces jeunes existences, étaient sorties
de l'ombre pour rentrer en scène. M. d'IIautecour
avait élevé Gérard jusqu'à lui; Noë:lle était retombée
jusqu'à la mère Dreck!
Immense, infranchissable, cette disparite de situati n les séparait maintenant comme un ablme
caché qui se rouvrirait tout à coup; se dressait
entre eux comme un fantôme, deven u soudai n malGrie l et palpable.
Et pourtant, rien n'était changé en eux; aUCun
mensonge démasqué, aucune promesse trahie, ne
ôonnaient il Mme d'Hautecour le droit de dire il
son [ils :
- Ce que j'approuvals il y a deux mois, je le
défends aujou:·J 'hui. Riche, tu dois renoncer il celle
que, pauvre, tu te serais trouvé heureux d'obtenir
pour femme J
Gérard redoutait-il cette défense? l'attendait-il au
contraire?
La mère remarquait, non sans a,Jpréhension, l'in.
nuence qu'avaient pris, .sur cette . nat~re
faible et
facilement grisée, l'espnt On, et, IronH,l ue de SOI.
aleul, 1"Jr~ueil
LIu 110m, les Jouissances dt: la fort unt:.
Toul cela suffisait pour le moment à él~'
',I( (1~
voyait rien au delà .d'lIautec()~r!
et pa.ra,lssan nu
g"!lger 'lu'an!c ennuI à LIes declSlOns ultencure.s! et
voilà qu'au milil'u de ces ,sc.ruple~
de ce,s hCSllalions, ';e 111,,1 lerrible • pOltnnall'i.! » tlll11btll l ""mme
1~
~',Jlio1
lugubre: et irr'::vocahle"
.
11.n Il1tl:rrogeaPl( Mme Dambrv. la m"""
Gerard
"t'
�J~0
sut ()lentât IOUS les détails de la '.'ort de la pre·
mière i\lrne Drcck, de l'adoption de Noi::lIe, des pr~
dJ<.:lions du docteur Bauer.
Cette fois, nulle autre considération n'était plu à
envisager.
1
MarIer son fils à une poitrinaire t aucune déli·
catesse ne peut y obliger. Il n'était plus besoin de se
préoccuper de la résistance de M. d'Hautecour 0\
:les autres obstacles.
Ce mariage devenait impossible. Mme d'I-IautecoUl
l'avait plus qu'à le faire doucement comprendre à
;on fils et à laisser le vieux marquis former pour
l'avenir de sa race les projets les plus sédui,ants.
- Je veux voir ce garçon marié,avant de mourir.
'e serai sûr au moins qu'il ne fera pas un choix
absurde comme son père, avait dit souvent à
Mme Dambry le vieillard chez lequel la récoqciliation n'avait pas éteint certaines rancunes.
Et, bien des fOIS, l'alliance de T580, entre les d'llautecour et les Dambry, était revenue sur le tapis,
aVec de discrètes allusions.
fant de choses nouvelles avaient passé dans
l'esprit ct dans le cccur de Gérard quand il revit
Noi::lle à son retour à Paris, que les impressions
laissées par le séjour de TroUVille, et restées pour
~le
si vivantes, avaient perdu, pour lui, leur nouveauté ct leur vigueur.
L'aisance de son maintien, le naturel de ses
paroles affectueuses ct cordiales, furent pour la
Jeune fille plus significatifs que ne l'eût 6té une COI1tenance fmide d embarra sée.
Elle sut ne rien laisser deviner du martyre que
G~rad
lui infligeai1.
Elle était si pâle maintenant, que l'altératinn
mL:lllt.! de son l'isage ne la trahissait plus j mais
quand il fut enfin parti et qu'ellt.: fut remllntl:e dans
sa chal11l)re, tomhant ù genoux, 11ur cc.: muuvement
instillctif qui as::.illlile la douleur à la pl"lerc, \.:lIl
fondit en larmes.
Le droit m(;llle dc pleuret' ne lui restait plus, ..:al',
lU hOllt d'uil in~tal1,
fsmt.!rie, frappant à ,il port"
/"L dit ([III.! .\111\\.: de Buutreuil la demandait.
r Cc. t \THI, pensa NuC:lle, il y a encore quel.
qu'unqlli a ilC~uJ
<I<':ll1oi; jl,; no peu' [lU:llnc If\i~.
jcr
•
~l\
III Il li J'i 1 •
dl.:tll:\""IIt, ll.ll:!
j'eux brillants, le teint IUllm6
�NO~LE
l'une rougeur subite et trouva sœur l':is,h~tn
auprès
de la malade. La religieuse aussi unit dans la
physionomie une expression inusitée. J:!!" n'1I1lermgeu pas Noëlle, mais sembla attendre d'clic unit
conrJcience, et, la confidence ne 'tenant P']';, se contenla de la regarder avec une compassion sin!Ti!liè're,
et de l'embrasser au départ, en disant, cùm~
malgré elle:
- Pauvre petite 1
Le cœur cie Marguei~p
l)ambry battait I)lus fort
qu'à l'ordinaire sous sa robe de bure ~rise:
ct tout
en s'en allant, pressée de retourner à set, J'2voirs
quotidiens, elle faisait cie vains efforts pour recouvrer sa sérénité habituelle,
Le matin, elle avait reçu de sa mère, re1· n lll.1C à
Paris depuis quelques Jours, une lettre faisant clairement allusion au mariage de Mimi avec G':!'ard
d'IIautecour.
La tendresse et le respect filial n'avaient l'lm LI li à
Marguerite que plus dou!~elx
le manque de fl'lnchi se, de bonté et de Ju stlce du caract;:re do sa
m~re;
et, sans !a ju ger, elle la sentait impitoy11)le
pour ses ennemIS.
Fallait-il qu'elle comptàt, pJrmi eux, cette p~u;'re
petite créature inoffensive, consumée déjà l'JI' !e
chagrin et la maladie, et qu'elle la punît, parun C"Il[1
mortel, cie torts imaginaires?
Marguerite se rappelait I.a coli.!re fmide r;.!
.Mme Dambry, lors de l'adoption de NOëlie, cl SOl\'l
çonna it involontairement que le plaisir de la revanche avait sa part dans la joie maternelle causçe 1'':':'
l'établissement avantageux de Mimi.
Toutes ces cOl11birlaisons semblaient entachées
d'égo1sme ct de déloyauté, à l'csprit d:oit ct pur cie ia
s(cur de charité, d'autant plus apte à Ju ge r le mondr~,
qu'elle en était plus dégagée.
En voyant les siens PJ1l;S de commetlre cc qu'eJle
regardait comme une faute, Marguerite sc sentai~
CI1\.:ore fille et sccur.
- .Je leur parlerai, se dit-elle. Et, di:s qu'uo
devoir plus impérieux ne réclamu pas son temps,
ellu se rendil cher. sa mère.
,vlme Damhry et ses filles étaient sorties.
Pilisieul's jllllrs SI.: pass;:rent avant que s(cur Elisabeth plit les joindre.
Elle trollva enlin Mimi à la maisun, rentrant d'une
promenadl.: à cheval.
�NotL~
Le fr",J était vif, mais n'avait pas seul t'~n!
de
rose le visage de la jeune fille qui, pour la première
fois, se !r()uva emban:ilssée sous le regard de so:
sœur.
) - D'où v;ens-éu ? lui demanda ceÏle-cÎ.
- Du bois. Il fait très beau. Maman était en voi.
ture. Nous suivions à cheval.
- Nous? Mathilde monte donc aussi?
- Non; tu sais bien qu'elle n'a jamais pu se tenir
:n selle. J'étais avec M. d'Hautecour.
L'incarnat du visage de Mimi devenait de plus en
plus f~ncé
et, jetant de côté sa badine avec un geste
1mpattent :
- J'aime mieux te le dire tout de suite, d'autant
plus que tu devines tout. Je suis süre que tu le sais
déjà. Maman dit que M. d'Hautecour veut m'épouser.
- Mais il ne suffit p~s,
répondit Marguerite, de
la volonté de M. d'Haut&our.
- Oh! maiS' q}aman veut aussi.
- Et toi?
Sœur Elisabeth fixa sur Mimi un regard sérieux
qui la rendit écarlate:
- Moi ? .. je ne sais pas ... j'aimerais autant
rester comme je suis. Je m'amuse beaucoup. Je n'ai
pas du tout envie de me marier et d'aller demeurer
avec Mme d'IIautecour qui est si sévère ... il est vrai
que maman est sévère aussi ... mais elle ... je suis
habituéc. '
Hochan. "a Jolie tête vide, Mimi soupesait, en faisant une moue, les avantages respectifs des deux:
situations.
Sœur Elisabeth songea au visage désolé de Noëlle,
et n'hésita plus.
- Vois-tu, ma cbérie, dit-elle en attirant affecrueusement Mimi, je n'aime pas à t'entendre parler
ainsi du mari~e
qui est la chose la plus grave de
.ia vie.
"Là, plus que partout ailleurs,avant de consulteL
son inlérèt ou sa commnclilé, il faut savoir si l'on
a~it
conformément à son dcvoir el à la volonté dt..
Dieu. Es-tu bien sûre d'avoir le dévouement infatt
gable, la paticnce, la douceur, l'abnégation de tOI'
nécessaires encore dans le mariage quI.
même, pl\J~
la sympathIe mllteellc ?
Mimi écarqli~
ses grands 'eux trop doux, el sa
Illain, occupée à arnlllgér graclcuscment les plis de
soo ~mazone.
retomba avec \ln '!cste a(fravé.
�173
-
Je n'ai pas songé à tout cela ... j'aituerais autant
~e
me marier que dans deux ou troIs ans.
Son effarement était si nalf que sœur Elisabeth
50\1.l"It ~n
réprimant le mouvement d'impatience
:ju II1splrent, à une àme forte et généreuse. la molesse et l'indifférence d'une nature sans élan.
- Alors, tu ne tiens pas sp "cialement à ~ ' l)Ouser
Vi. d'Hautecour?
- Oh ! lui o~ un autre,. ce.la ne me tait pas grand'chose. n. es t trcs bIen,. tres 1I1tellIgent, très instruit.
Un bâIllement soulIgna cet éloge, et Mimi continua:
- Maman dit que je ne trouverai pas mieux
voilà tout...
. ..
- Et lui ? demanda Marguerite.
- Lu!? je ne sais pas; il est très aimable pour nous,
Il me prete un de ses chevaux, et son grand-père nous
aime beaucoup.
- Mais enfin, est-ce qu'il a demandé ta main?
- Oh non 1 s.'écria ~im;
nous n'en sommes pas
là: seulement hIer matin, maman m'a dit: «Au cas où
je te proposerais ce parti, m'obéirais-tu volontiers?"
- Et qu'est-ce que tu as répondu?
, ~ Mais, répliqua la jeune fille avec impatience tu
sais bien que quand maman nous demande quelque
chose, il faut toujours dire oui, ou « comme vous
voudrez », sans cela, elle ne nous consulterait
pas.
. . d' 1 1"
- Ecoute, Mimi, It are .Iweuse avec une gravité
qui répandit l'alarme sur la I?lIe figure immobile de
sa jeune sœur, il y a des occasIOns graves, dans la vie
où l'on ne doit décider que d'après sa propre cons~
cience de ce qu'on va faire, étant ob li gé un jour d'en
rendre compte à Dieu.
e Tu es resRonsable de ta vie, et avant de l'enga.
.
ger, tu dois r éfléchir toi-mê~.
. - Et à quoi veux-tu que Je ~énclsS?,
dlt 12
Jeune fille épouvantée par cette tache Inu Sitee.
- A le s propres sentiment, qui ne me semblen\
pas bien profon ds, ct à ceux de M. d'Hautecour.
- A ceux de M. d'Ilautecour 1 c'est trop fort!
,'écria Mimi, pleurant p~equ,
comme un enfant
luquel on impose un travaIl ImpossIble. Et co mment
veux-tu que le les connaisse?
.HeIJr Eli sahl.!th sou rit de nouveau,
VO)'III1S 1 depuis combien de temps crois~tu
qu'il oense à toi i'
�NOtLLJ!';
- }<;st-,,(: que le peux savoir? je Ile le conna!ê
guère que depuis ces vacances.
rléjà vu l'année derni~?
- Mais tu l'avi~
- Oui, chez Mme de Boutreuil. Mais alors.,.
- Alors quoi?
.
maman
- Nous ne nous parlions guère ... et m~e,
-le l'aimait pas du tout comme maintenant.
- Vraiment! et pourquoi ne l'aimait-elle pas?
- Je n'en sais rien.
Un pli se formait sur le front blanc de Mimi: son
;erveau, peu habitué à un semblable effort, trouvait
ce travail fort pénible. Elle continua:
- Peut-ëtre parce qu'il était souvent occupé de
Noi;lIe ... et, tu te rappelles, maman n'a jamais pu la
supporter.
- Puisque M. d'H~uteco:
a regagné ses bonnes
grâces, c'est donc qU'li ne VOlt plus Noêlle?
- Mais je n'y ai pas fait attention. Il est presque
toujours ici ou avec son grand-père, et il ne doit plus
avoir le temps d'aller aussi souvent chez Mme de
Boutreuil... et même, quand on lui p?rle de Noëlle,
cela semble le contrarier.
Mimi devenait sérieuse; son esprit, allant pour la
fois à la découverte, croyait apercevoir une
j1remii:re
ueur indistincte.
Elle reprit, rèveuse :
- Noëlle a l'air si triste! si malade!
Elle s'arrêta, cherchant une conclusion; pui~
désespérant de la trouver toute seule, se tourna vers
sa sœur en s'écriant:
- l'Viais qu'est-ce que tout cela peut avoir à faire
avec mon mariage?
Naturellement docile, elle n'avait jamais subi aucun
ascendant avec plus de plaisirque celui deMarguerite,
ct sc cramponnait d'instinct à ce guide doux et sür.
- Dis-moi ce que tu penses ... tu vois hien qued'e
ne peux pas deviner. .. et que j'ai pourtant envie e
raire pour le mieux! aide-moi. Je ne tiens paf;) du tout
à M. d'Hautecour, mais pas du tout. .. Veux-tu que
je dise à maman qu'il me cl6plait? Oh! je le lui
lirai ... Seulement explique-moi pourquoi ...
Elte secouait sa t6te blonde, m.:re de ce projet
~I
la cieux.
.
... Pourquoi \ reprIt Marflucritc. Parce quc m1'
Il 'C? petite SCCt'\' 'le voudrait pas d'un bonhcur fait
'IX dépens d'un\) at,lrc.
Mimi. lcrri06e.
- Oh 1 ~'exclarf
�175
- Vals-tu, chérie, j'ai des raisons de croIre que
l'année dernière M. d'Hautecour avait pensé à un
autre rrariage ... et l'on ne peul pas changer SI vile .
. « Il faut s'assurer que rien ne l'engage ailleurs, que
tien ne peut lui laisser un regret ou un scrupule, et
le temps seul peut le prouver. Je te conseille donc d~
dire ce qui est vrai, ce que t~ penses toi-même: que
tu es trop jeu ne pour te maner; et à ne songer, ni à
lui, ni àun aucun aLltre, tant que la volonté de Diel
ne se sera pas clairement manifestée à toi.
- .Je s~lÎ
s~r
q~e
c'est Noëlle qu'il a vo.ulu ~pou.
ser I s'écna MimI tnomphante de sa 'persplcaclté, ~t
puis, que Mme d'Hautecour ou le VIeux grand-père
n'ont pas voylu, et que c'est pour cela que la pauvre
Noëlle est SI pale!
D'étape en étape, son esprit un peu lent était enfin
arrivé au b~,
et son bon cœur réveillé parlait haut
et vite.
- C'est très triste, cette histoire-là! moi, je ne
veux pas jouer un vilain rôle. Il connaissait Noëlle
depuis bien plus longtemps que moi ... elle est si
gentille ... si jolie. Seulement, c'est la Olle cl:! Dreck 1
Comment fera Gérard pour l'épouser?
"
La bonne petite fl~
avait déjà oublié ses intérêts
personnels et cherchalt, avec une ardeur généreuse
le mot de l'énigme insoluble.
•
,
- C'est bien malheureux; je ne vois pas moyen
d'arranger cette chose-là . La naissance, cela reste
tl,ujours; quand on est pauvre, on peut devenir riche;
quan~
on est malade, on pe~t
se guérir; quand 00
est laId, on peut même embellIr, pas bcaucoul' - mais
un peu - et puis, les gens qui vous aiment vous
trouvent bien. Mais le nom! pas moyen de le changer,
pas moyen de ?~
le cacher, mêr.ne à soi. Gérard,
uevenir le beau-!n:re cie Charlot qLII garde nos vaches l
Elle eul envie de ripe, s'en repentit. aussitôt, et
r"prit son air désolé :
_ Et celle pau vrc Noëlle, ql~i
est é levée comme t oi
et moi, ne peut pourtant pas epouser un paysan. E'I
si elle ne peut pas non plus épouser quelqu'un <.le
notre monde que faul-il faire? c'est très ennuyeu lt
IJ'être né dan~
une classe et élevé dans une autre, il
de n..: se truuver chez soi dans aucune.
La pauvre petite cervelle de Mimi se mettait telleioent à la torture, que s(cur. Elisabeth intervint.
~ Il faut St: fiel' il ia Provj(.ln~e,
pUllr arraogt:r Cil
lli nOlis 8emble impo8111blo, et fiU~tl
borner, pout
�notre parr, a une délicatesse e~csiv.
On n'est
jamai trop scrupuleux quanJ il s'agit du bonheur des
autres, et je suis bien, bien heureuse que tu puisses
agir ainsi sans faire un sacr ifice.
- Un sacrifice r pas le moindre 1 et, tiens, à prc:seot, j'ai de la peine pour Noëlle, mais rour mon
compte, je suis tout à lait soulagée. Depuis hier, je
me sentais mal à l'ai se, aoacée. Décidément, cela
m'ennuyait horriblement de me marier; je n'osais
pas le penser, Je peur de facher maman; mais à présent j'ai du courage, puisque je fais bien et que tu
m'approuve'; , et je suis contente, tri::s contente.
La grande : enfant se mit a gambader tout autour de
Jachambre, si oublieuse de sa taille, disproportionnée
avec sa raison, qu'elle heurta de la tête un petit lustre
de verre d e Bohême, et son rire argentin se mêla au
bruit des pendeloq ues de cristal qui s'entre-choquaient . .
l Sœur Elisaoeth sourit avec indulgence .
. - Où donc est Mathilde! demanda-t-elle, en
' :ga rdant la pendule qui lui rappelait d'autres devoirs .
: - Avec maman, au Bon lv[arché. Elles m'ont lais~e
ici en passant. J'é!ais de.,.t rop mau vaise humeur
pour counr les magasIns.
- Je n'ai pas le temps de les attendre.
- Mais tu reviendras?
- Pas de cette semaine toujours; ni de l'autre,
qui est la semaine de Noe!. Nous avons des malades
en quantité .
Les mains dans ses manches, la sœur de charité
s'en alla, ne regrettant pas cette heure employée à
faire du bien, se félicitant de l'heureux caractère de
sa sœur, et songeant, malgré elle, à la béatitude pro·
11i se aux simples d'esprit.
Mimi, elle aussi, resta enchantée de sa journée,
')oulagée d'un grand poids, et parfaitement tranquille,
ouisque la haute autorité de Marguerite présidait Li
.)es décisions, et elle disait:
- Quel bonheur qu'on m'ait avertie à temps r
En revenant du Bois, elle n'avait pas reconnu,
venant en sens inverse, la voiture de Mme de Boutreuil, ni aperçu à la portii::re une figure pâle et Jeux:
grands yeux tri ste s, qui la contemplaient, chevau.~hant
cOte à cOte avec Gérard.
�NutLLS
:XXVII
Par un suprême raffinement d'égolsme, le vieux
M. d'Hautecour voulait être regretté, choisissant, pour
pleurer sa mort, ceux-là mêmes qu'il avait opprimés
pendant toute sa vie. A cet effet, il se hâtait de faire
oublier les lon$ues années .d'abandon, de martyre, à
force de gâtenes, d'attentIOns, de bontés tardives
entassées dans les quelques mois qui lui restaient cl
vivre .
Gérard en était venu à perdre le souvenir des amertumes passées, presque à s'en accuser lui-même.
Comment n'avait-il pas été plus tOt au-devant de cet
aleul si tendre, qui ne demandait qu'à lui ouvrir les
brasl
En le voyant si heureux, Mme d'Hautecour en serait
douce ill,-!sion filiale, si la
venue à partager ce~t
mémoire de son man et de sa petite fille méconnus
et persécutés jusqu'à leur lit de mort, ne se fùt Souvent
placée entre ell e et le vieillard, maintenant si afJabIc.
et si paternel.
Gérard n'avait pas vu de près jadis la dureté révol.
tante de son aleul, et le vieux marquis lui était
reconnaissant de cette ignorance .
?assant d'un e~trê
à l'au~re,
il l'en .recompensal t par une géneroslté prodigue, une tndulgence
aveugle, qui inquiétaient parfois Mme d'IIautecour.
Une vie trop facile. trop heureuse, produisait sur
Gérard l'eflet dangereux d'une nOljrnture surabondante, ofTerte à un affamé. Il se grisait de plaisir, de
luxe, d'insouciance. Il perdait la tête, et Mme d'Haucecour craignait parfois pour son cœur, toujours bon
~t loyal, mais dont la sensib ilit é, jadis excitée par la
~oufTrance,
paraissait maintenant s'émousser s ur
;ertains points. Il devenait homme du monde et
ports man avant tout, ct sa nature malléable, jetée
dans ce moule commun, perdait beaucoup du charme
pt)rsonncl que l'influence exclusive dl! ~a mi-\·e "vai~
réussi à lui imprimer.
Elle avait craint qu'il nl! J'LIt trUtl attacl,,: à Noilll.:,
mai s cil!;! vit, avec plu s d'appréhen sion encore, com.
bien J.[ s'en détachait ;acilernenl.
�t7.8
~ans
parlet des autres obstacles, la maladie qui
ronsumait lentement la jeune [llle devait les séparer,
mais non sans que celte afr(:clion d'enfance coûtàl au
moins une larme à Gérard.
Celte larme de son [lIs, qu'el!eattendait et désirait.
la mère de Gérard ne la vit pas couler. Il eut parfois
"J'air un peu embarrassé, un peu contrarié, lorsq u'unt'
allusion quelconque lui rappelait S0n rêve passé'
mais ce fut tout; et, avec autant de doci\ité et d'entrain gue si nul souvenir ne sommeillait en son
cœur, 11 suivit l'impulsion de son grand-père qui le
poussait vers Marie D::tmbry.
Ce n'était certes pàS la belle-fille qU'avait choisie
Mme d'Hautecour, mais Gérard n'était pas non plus
l'idéal que son rêve maternel avait un instant cru
atteindre.
Sa tendresse clairvoyante sentait son fils retombé
11 niveau commun qu'elle espérait jadis lui faire dé\esser. Elle craignait tout maIntenant, et n'osait s'opIOser à un mariage qui le préserverait au moins de
JvuveaLlx dangers.
trisle, regrettant le temps où, dans sa misère, elle
fQssédait son fils tout entier, la mère de Gérard
tachait de borner son ambitlon à celle des mères ordinaires, et de se contenter qu'il fût honnête bomme,
bon fils et heureux suivant ses aspirations. Elle s'étonnait qu'il ne fit aucune différence, entre lajolie
figure un peu nlàise, la bonté Un peu simple de Mimi,
et cette grâce ircésistlble, celte perfection des traits
et des sentiments, qu'il avait jadis almées en
No~l1e.
l)'un œil mélancotlque, Mme d'Hautecour observait l'in .oLlc!ance et la belle humeur de Gérard.
Il faisait de courtes apparitions chez Mme cie Boutreuil où J'on était triste, et allail sans cesse chez les
Dambryoù l'on 'amusait! il montait à éheval avec
MimI, patinait avec Mimi, jouait du piano avec Mimi
et, presque tou s les soirs, dansait avec Mimi, fort
Vlondaiol' cette al1l1ée-là.
I.e vieu. M. tl'IIautécoUl', que la paternilé altolait,
,'Ia jUsqU'à dOnl1L!r un bal qUI Il! trl!ssaillll' d'étoI111C.
ment le::. vieilles muraille s sév~re
Je sun hôtel, si
'"nl;ll)1l1pS catmL! et silent.!icux.
\ la premii.:re noul'e lle qui s'en répalldit dans lé
•;'I,IJ'lid, \utile s les portières a t'fi rll1L'rc Il 1 qU'un tel
.' lil·nüth " n.· ,l ''l' nit préBa~\1
'lUt\~
irand ~vénQ·
l', · r I ' lalul1111
�179
Der'~
I :' "011 entretien avec Mar8ucrite, Mim, ne
songeait plus à Gérard . Sa sœur al'ait Ltésappmuvé
ce prrJjct et, clans sa simple dwitu('(.:, la jeune fille
egarclait cette afTaire comme l'églée. Mai', parce
-lu'ellc n'épouserait pas le petit-fils, fallait-il 1'cl'useI
au grand-père de condu ire le cotillon à son bal1
C'était convenu clepuis un mois.
Elle le conduisit donc avec Gérard, comme de
juste, et même fort brillamment.
Noëlle avait été invitée et avait acepté.
Comme tous les gens qui n'ont à choisir qu'entre
l'illusion ct la désespérance,
pauvre petite se
raccrochait encore à la moindre chimère. Elle ressent~i
une déception poignante c1~aque
fois .qu'elle
voyatt Gérard, ct elle n'en attendall pas mOIns avidement une nouvelle visite qui dissiperait l'impression désolée, laissée par la précédente.
Noëlle éprouvait toujours une humila~on
et unegêne douloureuses en pénétrant dans ce grand et
pompeux hôtel d'Hautecour.
Ces meubles anciens, ces nobles tapisseries ces
r.ortraits cie famille altiers, l'é~rasient
de leur splendeur aristocratique; elle, l'enfant sans famille, \I$urpant clans la société une place qui ~e lui était pas
réservée; et, cependant, elle n'aspiraIt qu'à franchir
ce seuil redoutable, ~e faisant si humble et si .petite,
que le vieux marquIs n'avait pas même daigné la
soupçonner.
Et, sans savoir pourquoi, elle se réjouissait d'aller
à ce bal. Elle en était toute fière, et s'était composé
une toilette ravissante.
En l'essuyant, elle se trol,lva jolie, elle espéra ; son
visage éclail'é rappelait la Noëlle d'autrefois, et
Mme cie Boulreuil la regarda en joignant les mains
d'admiration.
Mais un rofrolJissement subit Jutemps se produ~
sit quelques jours avant le fameux bal.
On entrait tians la seconde quln~ai
dt; clecembre
NoëlJe sc mit à tousser; ce la lUi arnvalt souvent \
ct le médecin lui Jéfendi[ de sortir.
Pendant toute celte nuit, la jeune fille, évehtée,
croyait ntendre un orchestre fantastique et voir
lies couples
)a.sser .<'-:vant ses yeux grands ou\'~rts
~als
et Joyeux.
l~n
sc li'vant tard le lendemain, clic se ,>cntit si
Jasse q lI'e1le cn fut efTrély6e.
- Bien sûr qu'on va vr'nir me voir pour me racon.
la
�.80
NO~LE
ll!r la fête; et l:omme on va me trouver laIde 1 MImi
'iendra, c'est certain; ell e est s~ bonne!
La bonté de Mimi était grande, il est vrai, surtout
depuü, les conseils de sœur Elisabeth.
L'excellente enfant se croyait astreinte enverf
Noëlle à des devoirs particuliers, et celle syroç.;.1..:hie
~tai
douce à celle qui en ignorait la cause.
r _ Mme d'Hautecour viendra aussi, peut-être
~érad
...
Noëlle apportait à sa toilette un soin particulie',. .
Ne comptant plus sur sa beauté, ni sur l'indulgence
aveugle d es yeux qui la regardaient, un peu d'art lui
semblait nécessaire, et cette coquetterie du désespoir avait quelque chose de triste et de touchant.
Ismérie, peu empressée d'ordinaire, vint lu i offrir
de la coiffer, ce que, contrairement à ses habitudes.
la jeune fille accepta avec plaisir.
Assise devant son mirOIr, elle abandonna sa tête
aux soins de la femme de chambre, et, ne pouvant
s'empêcher de parler de ce qui l'occupait, elle lui
demanda, d'un ton in souciant :
- Avez-vous entendu dire quelque chose du bal
/
de M. d'Hautecour?
- Oui, mademoiselle: justement Mariette a rencontré la cuisinière de M. le marquis.
- Eh bien?
- C'était très beau. Il y avait, parait-il, des massifs
de verdure et des plantes superbes partout, le long
de l'escalier, dans la cour 1 et des lumi ères 1et des
autos!
- Beaucoup de monde, alors?
- Je crois bien. A peine si l'on pouvait circuler.
A six heures, on dansait encore. A pré se nt, tout doit
<être dans un joli dcsordre, là-bas!
Chacun envisageant les choses à son propre point
de vue, Is mérie soup ira en songeant à la dure besogne qu'imposaient aux domestiques des d'Hautecour
les plaisirs de leurs ma1lre s, e't continua:
- Ça ne sc vo it pas tou s les jours dans une mai.
son, un pareil remue-ménage, heure usement; et
elle-là "tait hien tranquill e Jusqu'icI ... Mais enfin,
~a
sc pmprenJ, Jans une pareille circonstance .. .
Surtout quand on n'a qu'un enfant!
Is m,\n e :luissait le ton, comme une personne bien
~ Iev
éc
qui 1,'{,le discr,lelllcnt lin suje t connu, ct RO U S
chaufler k r el'~ ' fri ser, elle ~e retuurprétc:-Ie de ',I~re
nait lJUUr CIl..:I.!/' un sourire.
�l-TOËLLB;
J8t
Dne nouvelle question attendue ne venant pas, et
la nalveté de sa maltresse, rendant nécessaire de
mettre les points sur les i, elle continua. p.ssayanl
sur des papiers la chaleur du fer, pUIS t:uroulant
autour l'une des mèches dorées de No ëlle:
- C'est bien regrettable que Mademoiselle n'ait
pas pu voir cette fête, mais il va y en avoir bien
d'autres. Car il paraj.! que le mariage de M. Gérarû
sc fait avant le carême.
« Mon Dieu 1 j'ai brûlé Mademoiselle, que je suis
fâchée; je ne m'attendais pas à ce qu'elle remuât
ainsi tout à conp. Je lui ai fait bien mal... MademoLseUe souffre ... elle a l'alr de se trouver mal... je
vais aller chercher quelq ue chose.
- Non, ce n'est rien, dit Noëlle.
Au moral comme au physique, c'est au moment
où l'on reçoit une blessure qu'on lasupportele mieux.
et, par un dernier effort de dignité et de jalousie
cuneuse, elle put demander encore d'un ton calme:
- Et la fiancée de M. Gérard était là?
- Je crois bien; ils ont conduit le coti1Jon ensemble. Tout le monde l'a trouvée la plus jolie du bal.
Elle est si belle, Mlle Dambryl conclut la femme de
chambre avec enthousiasme.
Et, tout en arrangeant avec un soin méticuleux les
boucles blondes, prenant des précautions infe~
pour ne pas arracher un cheveu, elle voyait se refl éter dans la glace la pauvre petite figure pale et
navrée, et ressentait une vive satisfaction.
Ce plaisir inexplicable que prennent les natures
basses et lâches â torturer un i!lnoc~t
qui ne peut
se défendre, à se venger des bIenfaIts, de la grace,
de la s upériorité d'un être délicat et souffrant, grisait
la femme de chambre.
Aussi gênée de dissimuler sa joie que l'était
N o~le
de contenir sa souffrance, Ismérie se retira
au ss itôt que ros sible. L'important étail fait. Personne ne lui ravirait la gloire de porter le premier
coup. Voilà bien des années qu'elle attendait un
triomphe se mblable; et à peine le brui(qui circulait
vag~emnt,
du ~arige
de Gérard 1 paryenu à se~
oreilles, elle aVait se nti qu'elle tenait maintenant sa
r evanche. Sa vict im e la lui avait lai ssée tout 6Dtière.
Fallait-il que ce lle petite rût so tie ct présompleuse
pOLir ne s'ê tre pas attendue ù ce dénouement, pOLIr
avoir csp6r6 Lill in s tant lutter cuntre Mlle Dambry,
une vraio -;!emoisellc 1
,
�Lorsqu'on "eut s'élever, et qu'un talcnt ou um
morale justifie celte aspiration, ce n'est
pas des gens placés au-dessus de soi qu'il faut
attendre le mépris ou l'inimitié, mais de ceux qui
restent au-dessous. On supporte sans jalousie une'
disparité de situation établie par la naissance; on ne
la pardonne pas si elle est clue à des avantages personnels ou à, des circonstances particulièrement
favorables.
Les parvenus, les enrichis, les nobles cie fr;:.ich<.'
date, ne sont jamais trahis que par leurs égaux dE
jadis, devenus leurs inférieurs, qui rappellent, avec
un mépris comique, leur origine commune, ct en
ar~vent.
pOUl' I~s
rapetisser, à grand ir et à exalter la
~rale
anstocratle.
Tandis que la feillme de chambre se félicitait de
"oir ~l! sang des Hauteçour échapper à une mésaliiance, Noëlle était restéo à la même place.
Bien des fois elle s'était dit que Géra~l
ne l'épouserait pas; jamais ses craintes n'avaient été plus
loin ; jamais elle n'avait entrevu cet abnndnn rrrévotable, lui enlevant jusqu'au. droit de ga rd er le souye~ir
de son ami. La vague jàlousie que lui inspirait
Mimi ne l'avait mf!me pas éclairée, elle se sentait
trop supérieure à ell e pour la craindre.
-.. '1 nouvelle, brusquement annoncée, et dont e ll e
n~
songea même pas à mettre l'autlilenticité en doute,
la ~'lngeait
dans une stupeur inconsciente. Elle ne
pleurait pas, elle ne souffrait pas, tant le coup l'avait
étourd ie, et ne sc rendait plus compte du teml)::; qui
pas~it.
Elle desceqdit machinalement. Darla et
mangea comme de coutume.
On ta prévint que ,"\imi était au salun; e lle edit
malade et s'enl"uit.
- .J e la recevrai, moi, dit Mme de Boutreuil,
enchantée d'avoir des nouvelles, et de se faire
\Iétailler les invités, lC" toilettes, et les mille petits
incidents de la veille.
Mimi jac.:'.s$u comt,laisamment, heureuse tic faire
?laisir.
NOêllc $()ull"rait ilOrribkment. L'idée de sentir ce
bonheur si \1I'l!S de slln malheur l'(llrntait.
Elle:.n venait ù halr Mimi, à regal'der COlllme une
\nsu lt e son arrivée intempestivè, à voir dans sa
douceur un e tn!llislll1.
Ses yeux namho)'aienl lorgqu'dk vil enfin pill' (<1
tj.!nètre J'vU te Dam b"v ... 'é1oit..!,ner. es';ot'tép nar s~l\;rnme
~\lpériot
�NO:ltLLI!. -
de chambre. Presque au même moment arrivait une
vieille amie de Mme de Boutrcuil, et celll.!-ci, occupée
et distraite, ne songea pas à trou bler la solitude où
NOëlle se livrait à une douleur, maintenant sans con.
trôle, ct que toutes les réflexions avivaient jusqu'à la
folie.
e de N?ël; so lennité qUt
Ce jour-là était ~'avn.t-eil)
Mme de BoutreUll avaIt toujours celébrée comme la
fête de Noëlle, son jour de naissance, et l'anniversaire de leur première réunion.
Rien n'est plus pénibleen certaines circonstances
que les époques rappelant, dans une année triste et,
sombre, d'autres années gaies et heureuses.
Noëlle se souvenait amèrement de tous les
bonheurs qu'clle avait encore l'hiver précédent.
- Et maintenant, se dit-elle, il ne me reste plus
que ma pau.vr~
mère, son afTection in.consciente,
son cœur qUl Vit encore, quand ~on
esp.nt se repose
déjà. Qu'elle est heureuse d'avoir oublJé 1 Ma seu le
consolation, c'est de pe~sr
q~'el
ne verra pas
mon chagrin ... qu'elle croira toujours avoir fait mon
bonheur.
Noëlle bassina d'eau froide ses yeu~
rOU~i.
Il y
avait près de deux heures que la derIllere VIsiteuse
était partie, et Mme de Boutreuil n'avait pas encore
7éclamé sa fidèle compagne.
- Pourvu qu'elle n'ait rien deviné, se dit la
jeune fille, inqui ète de ce manque aux habitudes
d'exigences ordinaires, en redescendant l'escalier.
Elle s'arrêta devant la porte du salon, s'y reprenant ~ trois fois pour refouler l.es .larn;es qui
l'étouflaient et, lorsqu'elle crut yavoli' reusSI, entra,
l'air résolu ct affectant la gaieté.
Son sourire sc glaça soudain sur ses lèvres, et elle
poussa un cri terrible.
Mme de 13out.reuil gisait au n:il.ie.u du salon, sans
apparence dc VIC. Noëlle se pn!CIj1lta sur son c()rp~
inanimé, ct se trouva bil:nt6t entourée de tuu s les
dOlllcsti'lucs, accourus à son al pel.
La vil:ille femme respirait encore d'un suurne
pé n i bll: et saccadé.
LI.! médecin arriva au bout de dix minutes.
-; La t rOI.sil·me atlaq,ue 1 di!-iJ. . ,
L e:<. pressIOn de SOI) vlsago lljoutalt: fout e~t
perdv
011 l:lllpltJ)'a, salis succès, les reml:d\!s USités.
Debout au pied du lit, raide, pale, glac(:c , N(,;il .
n'clll lJl1S une <l~f\iance.
l'uull.l sa v.itl utaH cun.:c.,·
�NOËLLl:.
trée dans ses graoos yeux bleus, hagards, d l.'meSI\.
rément ouverts, fixés sur le ~isage
de l'être qui ':" an
'5on seul amour et son seul bien.
'avez-vous aucun parent, aucun ami? lui demanda le médecin, voyant que tout etait inutile et
.;ffrayé de l'isolement etdu désespoirdela jeune fille.
Le nom de Gérard vint aux lèvres de Noëlle, mais
~Ile
le repoussa, et, détournant la tête, répondit:
- Je n'avais Q..UC: ma mère; il ne me reste, ni amis,
'il! parents.
Tout à coup, elle se souvint qu'elle venait de proferer u,! blasphème et en même temps elle sentit un
espoir surg:;- en elle.
.
Elle se rap;)o'!la, comme dans les heures critique5
de sa vie pasé~,
celui qui ne l'avait jamais abandonnée et dit:
- Mon oncle .. . le docteur Bauer. .. qu'il arrive
tout de suite.
Le médecin prit l'adresse, télégraphia et revint au
chevet de la malade.
Un prêtre y était déjà.
- Mon enfant, vous ne devriez pas rester ici,
Jirent-ils tous deux à la jeune fille.
Noëlle tremblait de tous ses membres, et sa ((!lIX
creuse et persistante alarmait le médecin.
Elle refùsa de sort;r et resta là sans parler, presque sans faire un mouvement.
La nuit fut horrible; mais au matin Mme de Boutreuil vivait encore.
- Cet état se prolongera, dit le médecin, elle reut
~,urvie
.... quel.ques l~e!rs,
ajo~t-il
à l'oreille de
Ihomas; Je reviendrai vers midI.
Il se retira.
peux garde~JOls
expérifl.lentées Je rem plaçalCnt et continuaIent son traitement, san nulle
chance de succès.
Quand le docteur revint, il trollva sous la porle
cochère un voyageur qui ùescendait de vuiture, cl
lui lui demanda:
- Comment va la malade?
Le ùocteur Bauer ?
- Lui-même.
- li est temps que vous arriviez, Mme de n \11rrcuil fI'ira pas JlI~'à
,!t;l11ain.
".:n vuvant entrer son .. ncle dans la cilallll're .
.\loC ll e sc It:va, ct, éclatant en anl!Juts puur la pre.
m\èr .. ['Ji!;. s'écria:
�NOËLLI- Guériss ez-la, oncle Bauer. .. ne I1"'lban donnez
pas 1
Il la calma; elle reprena it auprès de lU! a docilité
et sa confian ce d'autref ois. Elle était süre maintenant, que 1,: pos.sibl e, serait f~it
par lui, ~t n'rtvait
plus qu'à pner DIeu d accomp lIr l'Imposs iblE:.
Le docteur Bauer ne se pronon ça pas, échang eant
selilem ent un coup d'œil signific atif avec son conJrt::re.
Le souffle de Mme de Boutreu il. était plus calme el
.~Ius
réguiJer . Elle sembla it dormIr. Pendan t toute lê!
fournée , Noëlle espéra fol~ment.
Mme Dambry , avertie l'ar Ismérie , était venue el
se plaigna it aigreme nt (lu'on n'eM pas Îug..é bOI{ de
préveni r plus tôt la famillè cie Mme de Boutreu il. La
malade la regarda , comm(: sembla nt la reconna ître,
puis ferma les yeux avec un gémisse ment, et sa
main, que tenait NOëlle, se crispa.
Les d'Haute cour arrivère nt plus tard, très émus.
Depuis que Mme Dam bry s'était retirée, les traits de
la malade avaient repris leur sérénité , et on crut 11>
voir sourire .
- Je resterai ici toute la nuit, dit Mme d'Haute cour. Repose z-vous pendan t quelqu es heures, me.
pauvre Noëlle.
Noëlle secoua la tète et de:-.. èl1ra ellfayan te dans
~on
immohi lité muette. Mme d'l-Jaule Cour ne se senti! pas le droit d'insist er.
Vers le soir seulem ent, sœur Êlisahe th, qui venait
d'arpre ndre le malheu r et qui avait 0btenu l'autori sation de passer la nuit près de la mouran te, e'ntra
dans la chambr e. Au son de celle voi,: amie, Noëlle
se.mbl.a, pour la p.remiè re fois, compre ndre ce q~'ol
lUI dIsaIt. L'épUIs ement physiqu e comme nçait ë
dépasse r l'énergi e morale, et elle se laissa aller.
presque défailla nte, dans les bras de:a religieu se:
- Il faut sortir d'ici un momen t, mn chère petite,
disait celle-ci avec une douce autorill ;; il faut re?rendre des forces pour le cas où votre mèr~
aurait
DeSOlll de vous. Je resterai à votre phce, et Je vous
promet s de VOUR appeler s'il se rrOUUh ,. ., c}-l'lngement quelcon que.
Nni::lle se laissa emmell er, presqJe emport er, ave,
l'aide du docteur Baul.!r, jusque dans sa chambr e.
située au-dess us de ccIII' de J'llllle dl.! Boutrcu iJ. Ses
l'al'l'I'' res se fL-rlllaient; ,;a tête vacillait . J\larglle ritc
J'aida Ù l!.n~'w
son lIt, Sllr Il:\jllt:le lle se jt:l:\ tuuI habiJl0e, ayanl ft JH.;llle la furce d,' n1lJrmll rCf:
�486
l'l"OELLE
-- Je v,ais rede-"cendre ... vous m'appellerez 1. .•
Sœur Elisabeth sortit avec le docteur et, aussitôt
,e seuil franchi, lui rie.Q1anda, profitant de cet instant
de tête-à-tête:
- Que pens~-vou
de l'état de Mme de Boutrellil ?
- Rien à faire: d'ici peu, l'agonie commencera.
Ils crurent entendre dans la chambre de Noëlle
comme un gémissement, mais sœur Élisabeth, rouvrant la porte, la vit immobile et déjà endormie.
- Pauvre petite 1 dit la religieuse; elle aussi m'in.
:J.uiète bien! vous avez remarqu": celte toux?
- Oui, rél?ondit le docteur; elle est plus malade
qu'on ne crolt. Le germe fatal qui est en elle se développe, et la moindre imprudence peut déterminer un
accldent.
Le reste de leur conversation Se perdit, tandis
qu'ils s'éloignaient; mais, dans son àeml-sommeil,
Noëlle avait entendu et compris. Elle s'endormit
cependant tout à fait, n'oubliant rien, ne perdant pas
conscience de son chagrin, mais envahie par une irrésistible torpeur léthargique.
Elle se réveilla en sur aut au milieu Cl' O,1. cauchemar Cl promena autour (le sa chambre des yeux égarés.
Quelle heure était-il? Très tard, pour sûr.
Dn n'avait pas fermé les volets et des rayons de
lune, blancs et brillants, éClairaient la pi<.;ce. Le [eu
s'était éteint; il l'ai ait très froid. Noëlle fl'issonna.
Son malheur se présentait devant ses yeux, plus horrible qu'elle ne l'avait vu, et, en même temps, les
paroles du docteur Bau cr et de sœur Élisabeth, les
dernii;res qu'elle eClt entendues, lui revenaient à la
mémoire, avec leur fatale précision.
a mère était perdue; il n'en rallait plus douter 1
Etait-clic déjà morte comme Noëlle venait de la voir
dan un rève am·cux ... oU faudrait-il encore assister
\ son agonie?
La jeune fille passait et repassait la main sur sa
tête brClJante. PUIS elle se dressa sur son séant, [(Iule
tremblante. Il lui ~embla
~ntedr
du bruit, ct un
éVl:nement ne 1 ollvait qu'être une catastrophc 1
Ensuiu'. l'id6e lui vint que sa mi.·re expirait, qu'il
ràlJait sc; "àler pour recevoir son dernlcr soup"',
pour profiter du dernier moment qui lui restaIt a
ce serait finÎ. .. Noëlle st.:rait toute st.: LI le
vivre. Apr~s,
qui \'aimnt, qui dit bcau monde, ....'115 p~rSolH\;
'lin d'elle!
Alors. jlOI. rqu()/ ~lnor[(
le supplice de ta vic?
�Les cloches sonnaient; c'éta.:t la mCt>:,,,, Lle milluit.
La jeune fille sc souvint de la joyeuse Yeil~
de
8001 dernier; puis, par une étrange illusion, elle se
trouva reportée à bien des an nées en arrière, revit
l'arbre de Noël d~l
c!late~\,
de Lagny. Mme de Bou.
Ireui: telle qu'e)le IUl était apparue la première fois
les jumelh:s avec leurs boucles blondes, et Charlot:
ct maintes figures, presque effacées, de son entou.
rage d'alors .
. ~out
cela reparaissait av~c
unevivacitéet une préCiSion telle des mOindres detaIls, que le Vieux refrain
oublié du cantique, qu'elle chantait ce jour-là se
posa de lui-même sur ses lèvres:
'
Toc, toc, frappez plus fort.
Elle fredonna presque le premier vers. Sa tête
s'égarait.
- Je chante pendant que ma mère agonisel
Elle se leva. Sos genoux s'entrechoquaient; il lui
était presque impossible de se tenIr debout. Elle sc
heurtait à chaque meuble. Le rayon blan(; qui tom\~ait
de la croisée l'attirait.
La fenêtre ouvrait sur un balcon; le balcon était
tapiss6 d'une neige épaisse. La petite cour int?rieure,
sur laquelle donnait ce côté de l'hôtel, les tOIts, tout
ce que No;;lle pouvait apercevoir, étincelait de blancheur. Cc spectacle rendit sa vision encore plus prédse. De nouveau, elle se crut à Lagny, grelotlant,
lorsqu'elle était petite, dans sa chambre sans fcu, et
régardant, pour se consoler, la bello noige douce et
brillante. Elle penba, comme alor , qu'il serait délicieux de s'y coucher et de s'y endormir pour toujours. Puis, reprenant rossession d'elle-m0me, les
années écoul0es depuis cc temps lui revinrent en
m0moire al'ec leurs joies cl leur. tristesses; et la
.Ioulour, qui la torturait maintenant, lui sembla
l'elllporrer tell-.!01ent dans la balanct!, qu'elle se tord; : I<,:s mains, en disant;
- Pourquoi suis-je Rortie de la position ()1I UICU
111'i1l'ait rait naître? Si j'yélais rt!sll:c, jl! n'aurais pas
lïlllllU ma mère et Gérard. je nt! Ic~
pleurl.!rais pas
:tlljourd'l1ui. Et pui~,
avcc la I1lt:re Dre<.:k, je n'auraiG
pa" 'l:Œ longtemps 1l'oncle Bauer le disait 1Et maill'
Il.!l1ant JC dnrmirais bit!11 lranquilk dans lc petit'
<.:inll:lii're, lù-bas, sous la neiFt!!
Le J'roid CIH!ou"di ss ail ses 'llt!mbrl s . Elle ecouta
\
�.88
NoELLE
un instant iou1 bruH ne se produisait uans ta chambre
de Mme de Bn, ·-~uil.
Ce si lence, c'élait la mort 1
Il n'y avait plus de doute. Le dernier lien, qui la
retint à l'existence, se brisait.
Elle jeta un regard affolé autour d'elle . Les forme~
indistinctes des meubles, les reflets de dorure, quo
!tincelaient dans l'obscurité, lui faisaient peur.
Elle se rapprocha ~e
la fenêtre, cherchant commi
Ime protectIOn SOLIS cette lumière blanche et froide
.:t, le tront appuyé sur la vitre, regarda dehors.
Dans un grand vase de fatence, oublié sur le bal~on,
un superbe pied de chrysanthème avait gelé la
veille. La tige noircie, les branches fanées apparais'Jaient, à demi couvertes de neige.
- Le froid, cela fait mourir ... pensa Noëlle tout
haut.
Et elle ajouta, répétant les paroles de son oncle
Bauer: '
- La moindrt: .,aprudence peut la tu er 1
Sa main se posa sur la crémone de la fenêtre.
Mais soudalll, eUe se rejeta en arrière. ,Un SOuvenir s'était placé entre elle et son désespoir; il lui
semblait entendre la VOIX de Marguerite Dambry,
redisant ces paroles, si souvent prononcées:
- Pour apprécier les choses de la terre à leur juste
valeur, il faut les comparer aux choses du ciel ; et
plus de
alors, il n'est plus de doule.ur incoslab~,
malheur sans espérance 1 DIeU vous les avait donnés,
Dieu vous les a repris: soumettez-vous, ne murmurez
pas contre sa volonté. II n'abandonne jamais ceux
qui se confient à sa miséricorde.
Noëlle ne se sentit pas encore la force de se soumeTtre, mais, prosternée, dans un doute plein d'angoisse qui n'était plus de la révolte, elle disait:
- Comment me résigner? que puis-je demander
maintenant à la Providence, puisq u'elle ne fait revivre
ni les morts, ni le passé? Vous-même, mon Dieu 1
Qouvez-vous me secourir?
. Elle: porta les mains à sa poitrine que cléchiraitune
douloureuse quinte de toux. Un flot de sang s'échappa
Je ses lèvres.
- Voilù le se<.:ours 1 dit-elle avec le sùurire extatique \les martyrs .
'"
• • • • • • • • • • o.
A. ce moment, Mme dl! 130utreuil lJui n . donnait,
dep";" ln vl'ille. aucun sl,I6ne d~,
COIII1 ,11 " o.InCl!, avait
�NO~LE
un lég~r
\1 ~saiJlemnt.
Ses yeux, déjà clos, se rouvraient et sefixaient sur le docteur Bauar, sans trouble
sans nulle surpri se de le trouver là. Puis, d'une voi~
naturelle et tranquille, comme achevant la conversation d'il y a dix ans, reprise dans un rêve, elle dit:
- Avouez, docteur, que vous vous trompiez, et que
l'avais raison d'adOpter cette enfant. On meurt con·.ent lorsqu'on a fait le bonheur de quelqu'un 1
La mam de la mourante s'étendit, cherchant à
saisir une chose invisible, puis se éeposa doucement
sur les couvertures.
Marguerite se précipitait vers la porte pour appeler
NoeIle.
- Attendez, lui dit le docteur, penché sur Mme de
Boutreuil.
Le sourire, qUI entr'ouvrait les lèvres de la pauvre
femme, ne devait plus s'effacer. Elle s'était endormie
<jans sa dernière pensée d'amour et de joie.
XXVIll
NOêlle reçut avec un calme surprenant la nouvelle
de la mort de sa mère.
- Dieu m'a consolée 1 repondit-elle, aux douces
parole s de Marguerite.
Et quelque chose dans l'express ion de sa physionomie fit comprendre à la sœur de charité que ses
exhortations étaient superflues. Une fi èvre viQlente
qui prit NOêlle le soir et dura trois jours, lui épargna
les détails funèbres de ces alTreux moment s.
Aussitôt celle cnse passée, elle voulut se lever, et
recevoir tous ceux qui avaient pns Int érêt à eJ!,~
et
aimé sa mère. (
.
Quand elle fut descenùue au salOn et assise dalis ur,
grand fauteuil au coin du feu, on se rendll mieux
compte du changement opé ré en ell e par cette courte
'l1aladie. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-mLme;
lIais ses traits s'étalen t détendus, ses grands yeux
!;!eus démesurément agrandis, éc lairai en t, d'un e
luaur 'se rein e, son fin visage aux t ) I1 S de cire.
C'es t la cllllva lescencè 1dit tout haut le méllec in.
-- C'est ln mort 1 dit tout Las le. docteur Balter
�NO~Lb
C'est ta. délivrance! pensa sœur Margvcrite qUI
ne la quittait gui.:re.
Mimi Dambry se présenta, la constientt! bien à
l'aise.
Elle avait déclaré en face â Mme Dambry et â
Gérard lui-méme qU'elle n'épouserait jamais que son
;ousinJacques, un brillant officier, retour du Tonkin ,
retrouvé au bal de M. d'Hautecour, et qui, en UI.
tour de valse, avait changé les içlées de sa jeune
cousine sur le mariage.
Mme Dambry n'osa dire non. Tous ses plans avortaient; les folies de son fils alné creusaient chaque
jour davantage dans sa fortune un gouffre impossible
à combler: elle devait se trouver heureuse de marier
une de ses filles avant que.Ia ru]ne ne fût devenue
inévitable.
Gérard vint aussi avec Mme d'Ilautecour mais s'en
alla vite, tandis qu'elle demeurait. Une sorte de
€'.morJs éloigna'it le fils et retenait la mère.
Pour tous, Noëlle eut le même accueil afectu~
J'autrefois.
Le notaire de Mme de Boutreuil fut également
Admis. Il apportait à NOêlle une grande enveloppe
fèrmée, déposée entre ses mains par la morte, et que
Je moment etait venu cie remettre à son adresse.
La jeune fille l'ouvrit en présence du docteur Bauer,
ùe Mmt! d'Hautecour et de Margllerite, ct y trouva
une lettre et ~n pli cacheté sur lequel Mme de Boutreuil avait écrit « Testament ».
Noëlle luI presque â genoux cette lettre; paroles
suprêmes du cœur qUi l'avait tant almée, et la mouilla
àe ses larmes, larmes sans amertume, et les derIJi~res
qu'elle dût verser.
Pu lS, se relevant, elle répéta, songeuse, cette
phrase:
« Dispose à ton gré, p01,.lr ton bonheur, et sans scru,
pules, de cette fortune que je suis libre de te laisser. »
Elle se rassit, et, rompant de nouveau le silence
qui s'était rait autour J'elle, murmura:
-- Tl n'y aura donc J'ilS dc preu ves d'amour qu'cU"
J1e .n'nit données?
bill! retourna entre ses mains diaphanes le testa
ml!J1t fermé cl, changeant dl! ton, demanda:
~ Que serait-il arrivé si Mme de Doutreuil n'avait
llas fd il dll ieslament?
- Mui!:., r0jlondit Mme d'Ilautecour, surpl'lse et
Msilanlc. sa fortune s~ralt
rc!ournée à ses héritiers
�NoELLF.:
naturels, ft ses plus proches parents; elle a un cousin
germain.
un mot, sans rien qui
D'un geste brusque, san~
pût faire deviner sa résolutIon subite, Noëlle jeta ie
testament dans le foyer embrasé.
Mme d'Hautecour s'était élancée vers la cheminée
mais elle n'arracha aux flammes qu'un papier noirci
et tombant en lambeaux.
Debout, souriante, NOêlle regarda la fet.:ille réduit!
en cendres et dit:
- Ainsi, rien ne restera du rêve de ma pauvre
mère 1 Personne ne le reprochera à sa mémoire. Ce
sera comme si je n'avals jamais existé.
- Malheureuse enfant 1 s'écria Mme d'Hautecour
~onsteré.
Qu'allez-vous devenir à présent?
- Moi 1 répondit Noëlle avec une exaltation triomphante, moi 1 Je n'~i
pl.us besoin de ri~n;
je n'ai plus
à soufTrir du méprIS, Dl des cruautés; Je m'en vais à
Celui qui est notte Père à tous; qui nous a tou s tirés
du même néant, pOlU' nou~
con.duire à la même éternité; devant la grandeur mfiOle duquel seulement
nous sommes tous égaux et frères ..
Et, se penchant vers Marouente Dambry, e1le
ajouta, illuminée d'une joie et June fierté enfantines:
- Les beaux anges. aux. ailes bla}1ches ne ~e
demanderont pas où Je SUIS née. 01 comment )".
m'appelle 1
FIN
�. Si VOilS avez un jardiD,
Si fOUS habitez la campagne,
~~
Si fOUS river d'y finir l'OS jours,
lisez
•
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La collection Stella est lancée en 1919 par les éditions du Petit Echo de la Mode. Ses fascicules sont des suppléments mensuels...<br /><a href="https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/exhibits/show/fondbastaire/collection_stella">En savoir plus sur la collection Stella</a>
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Editions du "Petit Echo de la Mode"
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Noëlle
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Champol (1857-1924)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
[1922]
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
191 p.
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Collection Stella ; 67
Type
The nature or genre of the resource
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fre
Rights
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Domaine public
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