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1
Les naufragés de l'iceberg
Roman d'avent lires inédit
par JACQUES
CTIAPITRE
CHA~lBO)l'
PRE~UEn
DANS LE BnOUILLARD
- On n'y voit goutte, .Tean Cadiou!...
- Jamais je n'ai rencontré un failli chien de brouillard pareil, pitchoun, pas même quand nous pêchions
la morue à Terre-~euve 1. ..
Le Marseillais .Tean Cadiou ct le mousse breton Yves
Bénézeeh attendaient, accoudés au ba s tingage, enveloppés dans leurs cirés tout suinlants Il'humidité. )1
semblait qll'i1s fussent actuellement isolés clans 1111
Illonùe il parI, royaume du froid ct rlll silence. Ils
n'entendaient !)!us, tout près d'eux, que le clapotis des
vagues qui se )risaiclll contre la coq1le de l'Espérance.
- Si ,e ncore notre Irois-mâts naviguait en Iller libI'c,
repril le :\Iarseillais, mais avec ces maudits icebergs,
ou Ile sail jamais! Brr ! j'en ai fl'oit! dans le dos ril' n
qu'en pensant que la mort nOLIs frôle ù chaque instant!
Les deux compagnons s'arrêtèrent doC parler pendant
un mOlllent; anxieusement ils prêtaient l'oreille. C('rles, clans ces parages des mers arctiques où s'avcnlllr~,crvés tOlU ùrolls clr traduction,
~hédlrc et nu c1uélllutogmpbc.
Sont
/lU
d'adnptntlon. do mIse
P.R.A. n° 228
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LES NAUFRAGÉS DE L'rCEDEnG
rait leur navire, ils n'avaient aucune crainte de sc
heurter contre un autre navire ... La navigation était
plutôt rare dans celte mer lointaine de l'extrême
Nord.
Ils étaienl pourtant partis l'un el l'autre courageusement pour la grande aventure. Le Marseillais avait
une femme ct trois gosses à nourrir, quanl au Breton.
sa maman l'attendait à Saint-Guénolé ... Mère ct veuve
de marins clle n'avait connu dc l'exislenc<! que les
souffrances et les durs sacrifices. Trois f1Jles lui demeuraient, dont l'aînée, Maryvonnc atteignait à peinc
douzc ans! Yves envoyait chaquc mois sa maigre pension, ne conservant pOUl' lui que le strict nécessaire.
L'EspéI'ClIlce élait partie pour lIne croisicrc d'un an
au moins, le patron Ker~uoz qui le commandait voulail chasser la baleine, c est pourquoi il avait mis le
cap au Nord el s'avenlurait vers les mers de plus en
plus dangcrcuses. L'équip:1gc sc composait cle l'Ucles
gaillards donl la bravoure demeurait à toute éprcuve,
des Français pour la plupart qui avaicnt hOllrlingué
sur loulcs lcs mcrs du globe. Ils étaicnt partis soit
poussés par le besoin, soit attirés par l'aUrait ct le
désir de l'aveuture.
Les trois pl'emières semaines de lu nuvignlion
avuient été exccllentes. Lc tl'ois-mnts avait longé les
cùtes de Scn ndinnvie; pendanl longtc1l1 ps il ava it
sui vi le liLLol'al entrecoupé de fjords, parsemé d'îlots
. où nichaicnt d'innombrables colonies d'oiseaux. Puis
les brul11es s'étaient faites de plus en plus épaisses
après un séricux coup de chicn, ct l'on ahol'(lail ' la
rcgion particulièrement dangereuse (ks icebcrgs.
On sait quel péril ces blocs de glace détachés dc ln
hanquisc préscntcnt ']JOUI' la navigation. Emportés il la
dérive, ils Hottent UlL hasard vers le Sud, sc désngr{~
geant ùe plus en plus il mesure qu'ils navigucnl cl
}ll'Ovoquant, qualld ils sc retolll'l]('nt SUl' ellx-l1Jêmcs
de violents tourbillons. Qlle de désastres lJlarilillle~
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEnERG
.,
n'ont-ils pas été provoqués pal" ce fléau depuis des
siècles 1 Du Titanic, de sinistre memoire, aux plus
petites barques de pêche égarées dans le brouillard,
que d'épaves s'étaient englouties sous les flots après
être venues donner malencontreusement contre un de
ces blocs ùérivants!
C'est pourquoi le marin cl le jeune garçon attendaient, dans l'angoisse. Insouciants de la fraîcheur qui
les pénétrait tout entiers ct qui s'infiltrait sournoisement à travers le ciré el les chauds lainages qui les
protégeaient, ils avaient laissé leurs camarades au
carré de l'équipage, puis ils étaient venus là, attirés
par une force mystérieuse.
Que pouvaient-ils voir cependant? Absolument rienl
Tout autour d'eux c'était une veritable <! purée de
pois ), si bien qu'ils ne discernaient même pas le fell
qui brillait au grand mât. Ils savaient que le pilote
demeurait à son ,poste, C]ue; les matelots de quart attendaient, eux aussi; mais leurs pensées vagllbondaient
surtout vers la mer, ils cherchaient il voir, il entendre.
Et une angoisse inexprimable oppressait lems CŒurs ...
- C'est curieux, .Tean Ca(liou ! .Tamais je Ile me suis
senti aussi inquiet. J'ai tout à fait l'impression qu'il va
nous arri ver quelque chose 1...
- Un peu de cran, 'pi~choun 1 Je te croyais plus
courageux 1...
•
- Courageux, je le suis, par saint Yves mon palron!
protesta aussitôt le mousse, je l'ai bien prouve au ùcrnicr coup de chien 1
- C'est vrai! Quand je t'ai vu dans la hune, ]1cn(1anl que l'Espérance tanguait, balloUée an gré des
flols comme une vulgaire coquille de noix en plein
dans le pot au noir, j'ai bien cru que la dcrnièn'
heure Clait al'J'ivée ... Tu t'en cs tiré 10llt ùe même ù
Ion avantage. AujoUl'd'hui, la mer est calme, ct jc ne
vois pas pourquoi lu le creuscs ainsi la cervellc ...
Le Marseillais cut beau raisonner, il ne parvint pas
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LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
à apaiser les alarmes de son jeune compagnon; Yves
Bénézeeh attendait tOUjOUFS, les mâchoires contractées, les sourcils froncés ... La hantise du danger imminenl persistait chez lui, et sa pensée vagabondait
sans cesse vers la pauvre maison de Saint-Guénolé où
l'espéraient la mère et les pelites sœurs.
Le Marseillais, de son côté, s'efforçail de se tranquilliser. Eh quoi 1 cc n'était pourtan t pas la première
fois qu'il naviguait dans la <.: lHlrée de pois ». Il avait
subi des typhons, échappé il des trombes, affronté les
plus rudes coups durs, ct il s'en était toujours tiré
sans une égratignure ... Pourtant il se sentait, lui aussi,
obsédé par un sinistre 'Pressentiment...
Pendant combien de temps demeurèrenl-ils ainsi
l'un auprès de j'autre, dans cette atmosphère si étrange
qu'elle eût lHl paraître irréelle, separés du resle dn
manne par le voile opaque de la brume '1 Ils ne s'en
rendirent point comple ... Les minutes s'égrenaient,
terriblement lentes. l'ourlant l'Bspérance poursuivait
toujours sa route, cap au Nordj SOli étrave fendait les
flots glauques que les marins ne pouvaient plus percevoil' en raison de la brume trop épaisse.
El voilil que, tout d'un coup, le choc sc 'Produisit .. .
Brutalemenl, le Marseillais eL le Breton sc sentirent
précipités l'un contre l'autre, puis, incapahles de conserver l'équilibre, ils s'écroulèrent ct roulèrent sur le
pont tout glissant d'humidité ...
En quelques instants, des appels sc firent entendre
dans le brouillard. Le trois-mâts avaiL craqué <lans
toutes ses l1Iemhrures, maintenant il tanguaiL fortemen!. ..
~ ::\1alheur 1. .. La coque est éventrée il b:îbord !
_ Nous sommes perdus 1.. . Aux ehulonpes 1...
- Aux chaloupes 1...
. .
Cette fois, ee fut la voix du capitaine Kerguoz qui
retentit arnpliJiée par le porte-voix; pourtant c'était
:'t pein~ si on l'entendait... Le hrouillard semblait as-
�LES NAUFRAGÉS DE J}ICEBERG
.'
r-
sourdir les paroles, entraver les efforts de ces misérables pygmées qui avaient eu la témérité de s'aventurer sur les mers glacées clll grand Nord" .
A l'aveuglette, les marins montaient sur le pont,
~'1.bandonnant leur carré chacun cherchant à échappe;
àl'en<1loutisselllent, mais Je trois-mâts, frappé à mor~
par {'iceberg qu'il venaiL de rencontrer dans le brouil lard, donn:üt de plus en plus fortement de la bande
et penchait avec une telle rapidité que tout secour:
paraissait inutile ... La hrèche ouverte dans la COqll"
par l'énol'lne bloc de glace etait énorme, et l'eau s'y
engoulTrai t avec une vert iginellse rap idi té.
- Aux chaloupes !". Aux chaloupes 1. ..
Le commandement se renouvelait, sans cesse répéV'
par le capilaine. Etourdis par le choc qu'ils venaien '
d'éprouver, le mousse et le ~1arseillais se relevèrent el'
,sc cramponnant au bOl'dage lauprès duquel ils étaien :
venus échouer. Jean Cadiou s'était heurté douloureu sem ent le front contre unc éclisse; sa tempe saignait.
loulefois sons s'inquiéter de la souffrance, il cherchai'
cn l:llonnaot son jeune coml(agnol1 riant il apercevait
il peine la silhouette estompee par la brume ...
- Eh, pitchoun 1. .. Approche ...
Elrndnnt la main, le Mal'seillais l'amena contre IllJ
le jeulle garçon sans souci du tumulte qui sc produisait à bord, il lui cria:
- Agrippe-loi à moi cl fCI'me !.. .
Puis avant même quc le Brelon ait pn lui répondre,
Jean Callion surenchérit:
- Pas le temps de courir aux canots!... On va plonger ensemhle !.. , Tu es prêt?
- ,Je suis paré!
Le hateau penchant de plus en 'Plus, ils avaien'
grand'peine il conservel' leur équilibre; pourlant, en
tftlonnant, ils réussirent il enjamber le bastingage
A Dieu vat, Jean Cadiou !
- Allons-y pitchoun 1...
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LES NAUFRAGÉS DE L'ICEDERG
Au juger, ils exécutèrent un douh1e plong~on. Pendant quclques instants l'cau était si froide r: " 1 r ~i1lirent couler à pic l'un et l'autre; pal' bonht,
i instinct de conservation 1CUl' permi t bien vite de dominer celle éphémère défaillance. :Fendant courageuse~
ment les flols, ils revinl'en t presque en mème temps
il la surface.
Quelques seeonùes durant, ils nagèrent de conserve
de toutes lel1rs forees; jls savaient bien, en effet, que
d'un instant à l'autre, l'Espérance allait s'engloutir à
tout jamais sous les flots ct qu'elle menaçait de les
entrall1er dans son irrésistible tourbillon ... 1111assablement, dominant l'engourdissement, souteuus par une
seule pellsùe, celle d'échapper COlite que coûte :'t la
mort glacée, ils s'en furenl. ..
Dans le brouillard, la tragédie se consommai, avec
une rapidité foudroyante .. , Si le rideau de brume [vait
pu se déchirer tout d'ull coup, les dellx cl)mpagnons
eussent pu apercevoir l'étrave du trois-mâh blessé à
1110rt sc redresser hrusqul'rl1ent pendant quelques secondes à la snrfacc ùes flols, puis s'enConcer et disparaître au miliell d'un tourbillon. Déjà l'iceberg Catal
s'elait évanoui il travers la brume ... Il dérivait toujours
vers le Suù, instrument inconscient du ùestin.
Pendant nn eOlll't mOlllent encore deS! appels ]solés
sc succédèrent il la face des 11ots, appels dechirants ...
Puis plus rien, .. Le silence 1 un silence funèbre ct
glacial 1
Jean Cadiou Pl Yves Dénézech nageaient toujours un
• juger, plus décidés que jamais il luller j\l~qll'à l'extrême lilJlite rie leurs forces. Enfin, le premiu', lc Marseillais rompil Ir silence.
- JIol:i, pitchoun!...
- HOU1, .lean Cadiou 1...
Le Marseillais pOllssa une exclamation satisfaite. 11
nppréhendait (Ille son ,jeunc comp::Jgnon n'cftt pas cu
le courage de résister jusque-là.
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBEnG
7
- Du nerf, pitchoun ... Rapproche-toi l. .• A nous
deux nÇlo')~) serons plus forts!
C..
.iseiIs décuplèrent l'énergie du jeune garçon,
il ne v~\ait pas son compagnon, et sa voix lui semblait encore lointaine, mais il savait que le hl'ouillard
atténuait les voix, aussi obliqua-t-il, ct bientôt il discerna un point sombre qui se déplaçait il la surface
de l'eau en même temps qu'lI surprit un clapotis.
- Courage l... J'arrive 1...
De son côté, Jean 'Cadiou mullipliait les efforts pour
sc rnpprochel' ùe SOn jeune compagl10'11, et bientôt, ils
se retrouvèrent. Jl était temps, déjà le Breton sentait
ses forces l'abandotner.
.
- Té l. .. Espère !. .. Je suis là 1
L~.' mousse sentit la poigne énergique du Marseillais
qui l' ,retcna:t à la surface ùe l'cau; alors il Se blollil
cont~:e lllÎ, le bras de Jean Cadiou passait autour de sa
taillc' cl le retenait vigoureusement. ..
QllelcJlleS minutes durant, ils progressèrent ainsi;
pourtant leur situation demeurait de pllls en plus critique' . Ils ne pouvaient continuer bien longtemps. S'its
ne déC'ol1vraicnt pas le moindre appui, ils se verraient
contnlints d'abandonner à tout jamais la luite et de sc
laisser coulcr ...
Déjà Yves sentait le désespoir envahir son cœw',
quanti il cn1endit son cOll1]lagnoll quI s'cxclamait :
- A dl'Oilc, pitchoun 1 A droite 1
- Quoi (Ionc? interrogea le jeune garçon •
.- Quelque chose L .. Unc épave !...
Une épave 1. .. Aussitôt Yves scntit son énergie se
renouve1cr. C'était, en effet, la possibilité (le contillllC\'
ct tle prolonger III lutte. L'épave allait leur l)Cnllellre
de se soutenir plus longtemps.
L'ombre apparaissait de plus en plus distincle, h
forme était assez allongée et bientôt le Marseillais s'aperçut qu'il s'agissait là d'une cmbarcation flottant, h
coquc en l'air.
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEUERG
- Les pauvres bougres! grommela-t-il. Ils ont chaviré l. ..
Il s'agissait, en effet, d'une embarcalion de l'Espé!"aIl ce. El tout de suite les deux compagnons reconsU.uèrent le drame rapide qui s'élait déroulé au mo°nent du naufrage. Leurs camarades, surpris par la
;oudaineté de la catastrophe, n'avaient pas cu le temps
lc rejoindre la chaloupe, il moins que dans la coufu·: ion résultanl de l'embarquement dans des circol1stal1';es particulièrement difficiles, la barque n'cftt été mise
trop tôt ft lu mer' el coulée.
Pour l'instant, il ne s'agissait plus de revenir sur le
!)assé. Jean Cadiou nageait vigoureusement, soutenant
~ oujotlrs son jeune compagnon. Et bienlôl il laissa
: chapper une exclamation salisfailc. Ils étaient près
rie la chaloupe.
- Veux-lu m'aider, pitchoun?
Yves sc remit ft nager toul seul; puis unissant ses
"{forts à CCliX de sOJ:! compagnon, il réussit à remettre
:t flot l'embarcation retournée . Alors, le premier, le
'1arseilla is s'agrippa au bordage cl après un l'établis~emenl, il s'inslalla à l'intérieur même de l'esquif. A
peine venail-il d'exécuter celle gymnastique que son
~iré rendait d'au tanl plus délicate, qu'il se ]lcneha;
tendanl les mains au mousse, il l'aida à venir s'instal! cr auprès de lu!.
Dès qu'Yves sc fut laissé tomhe[' à bord de l'embarcation, il poussa un profond soupi[', puis il s'immobilisa, élendu, incapable de prononcer le moindre
ilJol. Les efforts qu'i! venait de llIulLiplier l':l.vaient lit'éralcJlIent anéanti. Il n'avait plus l'énergie de penser,
de lutter.
Le Marseillais, lui Aussi, était il bout de souffle. Pen.Iant longtemps il s'était débaLLu, 'maintenant la réac~ ion
s'opérait. UI! engourdissement insurmon table
~'emparail de tout son être
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
Coquin de sort! murmura-t-il en essayant de se
redresser une dernière fois.
Mais il relomba inerte, et l'embarcation, à la dérive,
cJ1lporta vers l'inconnu les deux naufragés de l'Bspérance.
CHAPITRE II
ENTRE LE CIEL ET L'EAU
- Mon Dieu ... Où diable suis-je?
.
Cc furent les premières par.o)cs du Marseillais quand
il rcprit conscience. Tout d'abord, il voulut se redresser, Hluis ses membres lui parurent lourds comme du
plomb ... Il se sentit paralysé par un complet engourdissement.
- Aïe 1 Que signifie ...
.Tean Cadiou s'urmait de toute sa volonté pour
rchapper à l'inertie; il se raidit, se crall1ponna au
banc voisin. Dans le mouvement qu'il fit alors pour se
redresser, il sc heurta à une forme immobile auprès
cie lui.
- Le 11itchoun 1 C'est vrai 1 J'avais oublié 1...
Ln présence du mousse auprès de lui rappela tout
de suite au Marseillais le drame dont ils avaient été les
11él'os. Il évoCJua le nnufrage du trois-mâts dans le
brouillard, plllS la dure lutte qu'ils avaient engagée
contre les flots, enfin la rencontre de la chaloupe chavirée, misérabl e coquille de noix ù bord de laquelle
ils voguaient maintenant vers l'inconnu.
- Misère de nous! Pourvu qu'il ne soit point morll
Cette pensée rappela tout à fait Jean Cadiou à la
réalité; en dépit du froid qui lui pénétrait le corps ct
�10
LES NAUFnAaÉS DE L'ICEBERQ
de la gêne que lui causaient ses vêtements qui se col.
laient toujours contre lui, il VOLùut s'assurer si le
jeune garçon vivait encore et, paternellement, il se
pencha vers le malheureux.
Le hrouillard s'était quelque peu dissipé. On voyait
maintenant au moins :i une encablure à la ronde;
mais, pOUl' l'instant, l'attention du Marseillais demeurait uniqucment concentrée sllr Yves Bénézeth. Le Breton, les yeux clos, demeurait immohile; pourtant, Cil
se penchant sur lui, Jean Cadiou surpri t netlement le
bruit régulier de sa respiration.
- Bonne Mère 1 Il vit 1...
Un éclair brilla dans les prunelles du brave garçon ;
Mil ivclIlcnt il déboutonna le ciré ùe son voisin, puis
il appliqua la main contre sa poitrine. Le oœur battait toujours.
Alors, encouragé par cette double constatation, Jcan
Cadiou s'eIrorça de soigner de SOIl mieux le Breton.
Il commença de le frictionncr vigoureuscmcnt, s'acharnant il réchauIrer son corps et ses membres glacés.
- Dommage que je n'nie pas un simple bidon d e
gnole, grommela-t-il. Je ne connais pas de meilleur remède pour ravigoter 1
Mais, hélas 1 Le Marseillais se trollvnit dénué ùe
tOut 1 Il IIC conservait sur lui que son conteau de pêchc
qu'il avait pris la précaution d'atlacller soli(1clllcnt Ù
sa ceinture de cl1ir. De provision, pas la moindre 1
Par bonhcur, Jean Cadiou n'était pas de ceux qui
se découragcnt, même dans les circonslances les plus
déses»i·rées. Il se remit vigoureuscment à frictionnel'
le mousse, s'arrêtont 11 de brefs intervallcs pOUl' soufflcr lin peu. Crs mouvements qu'il esquissait lui étaient
bienfaisants; il sen lait (Ille sa. circulation sc f;lÏsait
he:llIcolip Illicux. Et, déja, des gouttes de sueur' 11crlaient :'t ses tempes.
- Mfllin 1 Il est dur au l'éveil, le pitchoun 1
Le Marseillais commcnçait lA désespércI', quand,
�:LES NAUFRAGÉS DE L'rCEnERG
11,
soudain, Yves laissa échapper un faible soupir.
- A la bonne heure!
Le visage de Jean Cadiou s'épanoLlil. Ses yeux
anxieusement fixés sur le .ieune garçon, il put constatel' bientôt. qu'un peu de rose apparaissait à ses pommettes. Yves entr'ouvril les yeux, puis il murmura
clans un souffle:
- Maman 1. .. Petite maman!
- Ce n'est pas la mère, pitchoun 1 C'est l'ami Cadiou !
- Ah 1... Jean Cadiou !...
Un pauvre sourire effleura les lèvres du petit gars,
sa main glacée étreignit la rude -poigne de son voisi n.
- C'est vrai! Je me rappelle maintenant. .. L'Espél'a1lce ...
Un voi l e de mélaneolie passa dans les regal'ds du
Breton. ]1 l'aimait son beau troi s-mâts à bord duquel
il avail quitté la Franee, son souvenir ému allait vers
teus CCliX qui ne reviendraient pas ...
Üll', maintenant, il n'y avait plus de doute possible,
le rapitaine cl tous les gars de l'équipage avaient sucCOlll!>!;, Jalllais plus ils ne reverraient leur pays tant
aimé 1
Pendant quelques instants, les deux compagnflns
demeurèrent sans mot dire, étreints par la même angoisse, obsedés par les mêmcs pcnsées. Unc larme
perl a entre les cils du mousse et coula SUI' sa jOlie
brenzée.
_
- Courage, pitchoun! Il faudra cssayer de nous el1
lirer, 1I0US 1
Yves sentil les doigts de son ami qui se resserraient
ct qui l'étreignaient plus fortement encore,
- Embrasse-moi, Jean Cadiou 1 murmura-t-il. EIllhrasse-moi comme le ferait la maman 1
- C'est pas dc refus, pitchoun!
Le Marscillais plaqua deux bons baisers SUl' les
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LES NAUFRAGÉS DE L'rCEUERG
joucs froid es de son interlocuteur, -puis, réagissant
brusquement contre l'émotion qui le gagnait, il mur~
mura:
- Maintenant, pas de sensibilité. Il faut songcr à
nous, à tout tenler -pour nous lirer de là 1
Puis, hochant lentcment la tête, le Marseillais grommela:
- La sitllation n'cst pas fameusc 1
Certcs, elle n'était pas fameuse la situation. Sans
vivres, sans arme, isolés dans ces -paragcs inconnus dc
la mcr arctique, les deux malheurcux paraissaient Condamnés à la plus terrible des morts, celle par la faim
ct par le froid 1 Aussi loin que lcurs rcgards pouvaicnt
discc1'l1cl', c'était un décor dc tristesse et de désolation. La mer était calmc, mais lc ciel demeurait d'un
gris sinistrc, incitant plutôt il la tristcsse ct au deuil
qu'à l'espérancc 1
Un long momcnt, ils demcurèrent ainsi, Yvcs reprenait de plus cn plus contact avcc la réalité, quant
ù Jean Cadiou, il attardait ses rcgal'ds à la surfacc
glauquc de la mer.
Soudain, le jcune garçon sc rcdressa, puis élevant
lc bras ct po .i ntant un doigt vers le ci cl gl'jS :
- Vois, .Jean Cadiou 1
- SuOi c1onc, pitchoun?
nc mouette 1
Lc Marseillais s'cmpressa de regarder dam la direction que lui montrait Yves llénézcch. Et tout de suite
il aperçut l'oiscau dc mcr qui zigzaguait capricicuscmcnt. Durant quelques instants, il survola l'cmbarcation ft la dérive, puis il se pcrdit dans le brouillard
moins dcnse, et lcs dcux compagnons se retrouvèrcnt
seuls.
Le Marseillais et le nreton ne se dirent ricn, mals
l'apparition fugitive dc la moucttc avait éveillé chez
eux Ics mêmcs espéranccs. Une mouctte t ... C'élait, en
principc, une prcuve que la terre n'était pas très éloi-
�LES NAtJFRAGÉS DE L'ICEBERG
13
gnée. Et la terre, c'était pour eux, sinon la définitive
sauvegarde, du moins le moyen de sc ravitailler, de
pêchel', d'échapper à la faim dont ils commençaient
déjà ù sentir les premières affres!
- Espère, pitchoun! Tu verras que le bon Dieu ct
~a bonne Mère, qui nous ont permis d'échapper au
naufrage, nous protégeront dans la suite! Tu la reverras, ta maman! Et je retrouverai le Vieux-Port,
avec la femme ct les gosses!
Jean Cadiou sc sentait hien un peu alangui par les
eITorts qu'il n'avalL cessé de multiplier, mais il persévéra. Il voyait d'ailleurs le visage plus screin du
1l1011s~e. Les bonnes paroles qu'il venait de prononcer
rendaient à Yves toute sa confiance.
- Si seulement nous avions un aviron! soupirat-il.
Par malheur, il ne l'estait rien, absolument rien . Jls
curent beau regarder à la surface des 110ts, ils n'aperçurent pas le moindrc débris, pns la moindre épave.
C'était l'isolcment le plus complet. Plus que jamais ils
étaient condamnés il sc laisser emportcr au gré des
flots!
Par bonheu1', la mer était bonne, J'embarcation voguait tr:Ull[uillclllcnt. La hrume s'évaporait dc plus
en plus SOliS les attaques des timides rayons d'un soleil
blanchftlre.
- On vnit plus loin, pitchoun! Beaucoup plus loin!
-- Un iceber,.::!
Le Brelon se leva au milieu de la chaloupe. Il aj)errevait une masse blanchc qui passait il trois encnhlllJ'es seulement de l'esquif. La surface émergée du bloc
de glace paraissait infime.
- Il ne tardera pas il fondre sous l'action incessante des flots, pitchoun, hasarda Je Marseillais. Et il
s'abîmera sous les flots!
Pendant <'!lleI9ues minutes ils suivirent des yeux
la masse qui s'cloignait peu à peu. Ils songeaient il
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LES ~AUFRAGÉS DE L'ICEBERG
l'autre Iceberg qu i avait 1H'Ovoqué la perte de Jeur
trois-mâts el la mort tragique de tous leurs camarades.
- Faillis chiens d'icebergs! 'g rommela Je mousse.
- Que veux-tu, pitchoun 1 C'est le sort de tous les
marins 1 Nous savions bien que nous ne dormirions
pas toujours clans du coton quanq nous avons quitté
la France!
.
Yves ne répondit pas, il se sentait agité de frissons.
COlllme il avait faim! Il évoquait à ce moment les
bons fricots de Morel, le maître-coq ct même les repas
plus modestes qu'on prenait jadis dans la chaumière
de la maman t Sa gorge était sèche terriblement.
De nouveau cc fut le silence. Un silence sinistre ct
glacé. Plus ils continuaient de voguer au ha sa rd, plus
les deux rescapés sc sentaient envahis par une sourde
amertume. A quoi bon avoir tant lutté, tant espéré
puisqu'ils seraient sans cloule condamnés à une mort
plus afl'reuse encore que celle de leurs camaradcs!
Ponr les matelots de l'Espérance, ç'avait (~lé, cn
eJret, la lin sournoise mais rapide. THIHlis qll'ils devraienl tous les deux subir l'interminable agonie.
Sous ]e ciré, la main ferme dn :\-larscillais étreignit
le coulean qu'il conservait tOlijOlll'S attaché à sa ceinture . Après tout, ne valail-il pns micux cn finir tout
cie suile ? 11 Y avait bien la !lIOllctte, qui éLlit apparue
peu de temps auparavanl, mais c'élait lit un bien faible espoir cl COlllme l'on n'avait pas rcpén': d'autre
oiseau, la terre lant souhaitée devait êlre loin encore 1
La mouette elle-Illl'me s'élait sans doule égaréc.
Yves prinil. En présence de sa misère ct de son impuissance, il suppliait le sOllvrrain Maître de loutr,
choses. Il n'ahandonnait pas tout espoir malgré toul,
et il lui sCll1hlnit encore entendre la voix de la lllPman qui lui conseillait toujours d'avait· confiance cn
Dieu.
Une cxclHmalion sourde du Marseillais anaclta le
jeune garçon à ses absorbantes méditations.
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERQ
- Coquin de sort!
- Qu'y a-t-il donc?
Le jeune Breton s'était tout à coup redressé, il
, ' oyait le Marseillais, debout regarder avec insistance
wr sa droite . Et, presque aussitôt, il repéra, lui au.ssi.
une m:lsse d'une blancheur éclatante, qui semblait
harrer tout l'horizon.
- Terre !... Terre 1... s'exclama aussitôt Jean Cadiou. N()us approchons!
Cette fois UJle joie délirante succédait an désespoir
qui s'était emparé du Marseillais. Il agitait les bras
absolument COl11me s'il eût espéré être aperçu pal'
quelqu'un. Pourtant la barrière blanche avançait. Et il
ne surprena i t pas le moi ndre point noir, pas la moindre silhouetLe à sa surface.
Des moucttes apparurent, en petits ~roupes, certaines sc posaient à la surface des 110ts à peu de distance
du riv8ge.
~ jJ faudra aller là-bas, r>itchoun.
L'embarcation se rapprochait, bientôt, les deux rescapés ne furent plus séparés que par uni! distance
!l'une cinquantaine de brasses; alors le Marseillais se
pencha vers SOn jeune compagnon:
Jl faut essnyer d'aborder, te sens-tu suffisamment
d'attaque,' pitchoun?
Yvc~ secoua afJirm:llivel1lent la tête.
Alors, avec
leurs hras, ils s'efl'orcèrent, d'un mouvement régulier,
de sc rapprocher. Une telle manœuvre leur demanda
plus de cinq minutes d'efforts; la sueur coulnit abondamment le long de leurs visages hâlés. Malgré tout,
jls persévéraient, et une double exclamation (le vicI.oire leur éChappa quand ils ressentirent un choc
sourd. Le canot venait d'accoster.
- Saute, pitchoun 1
Déjà le Marseillais avait bondi hors dQ l'embarcalion, avec une Ildresse déconcertante, j) calcula son
(1 an, sauta. glissa sur le rebord de la croûte glacée,
�16
LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
mais il put se retenir jus te à temps à unc arêtc. Alors
se cramponnant à cet appu i suffisammcnt solide. il
prêta une main secourable au moussc qui arrivait à
son tour.
- Ouf 1 Nous y sommcs 1
P cnda nt quC'lqucs instants les deux compagnons sc
re~ardèrent, lout heur eux du nouv el exploit qu'ils venalcllt d'accomplir; mais il leur Callait songer au callot, at(ir tout de suitc afin rlc l'cmpêchcr de s'en aller
à la dérivc 1
- Prcnds l'amarre, pi lchoUI1 1
En se cramponnant à la ccinturc de son compagnon et cn se baissant aussi fortcmcnt que le lui pel'mcltait la surfacc glissante du tcnain, le jcune Brcton
réussit à alleindrc la corde qui pendait à l'avant d e
la chaloupe; alors, unissant leurs efforls, Ics dcux rcscapés réussirent à amarrer sufl1s:lI11lnenL l'esquif.
- JI nc s'en ira plus maintenant 1
Cclte indispensable précaution prisc, lcs deux naufragés inspectèrcnt lcul' nouvcau rcfugc. Unc falai se
de glace asscz haute s'élcvait à fJuelqucs )las de l'endroit où ils vcnaicnt d'cclloner; toulcrois, un pCll plus
loin, la pcntc paraissait assez dOllce.
- Si nous montions là-hauL 1 Nous vcrrions exactement f)uclIe est cetle terre 1
- QUl sait 1 Il existe peut-êtrc tout près de lit un
villagc de pêcheurs ou d'Esquimaux 1
Couragcuscmcnt, les deux amis aho"cIèl'cnt leur
cscaladc. Le Mnrseillais avançait Je prcmicr; parfois,
quand l'ascension paraissait difficilc, il sc munissait
de son couleau cl il creusait dcs ouvcrturcs dans la
glace qui pel'mellaicnt cIc poser le pied. La monléc
reprC'nait ensuitc, exLénuante; mais soutenus pal' lellr
cJi'sir cl'atteindrc Icur but, les rcscapcs <le l'Espérallce
progressaicnt encore.
Enfin, ils allcignirent Ic faîtc clc la falaisc; ils sc
sentaient LOllt helll'ellX d'avoir accompli un tel cx-
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
17
ploit. A peine pourtant y furenL-ils parvenus que leur
allégresse se Lransforma en déception CUlsante. De
l'éminence qu'ils venaienL de rejoindre, ils pouvaient
embrasser assez loin aut.our d'ellx. Et la Lerre qu'ils
avaient gagnée se trouvait entourée d'eau de toutes
parLs.
- Une île! grommela sourdement le jeune Breton.
Nous sommes venus échouer sur une île!
- Tu te tr ompes, pitchoun 1 reclifia amsitôt Jran
Cadiou, nOLlS ne sommes pas sur 1111e î!e ! Nous avons
échoué tout simplement sur un grand iceberg!
crrAPITHE III
L'OURS DLANC
Un iceberg 1 Le mousse frissonna en entendant ces
mots. Une fois cie plus ils étaient emportés à la dérive,
vers le Suc! ! Désol"JlJ:'tis il fallait écarter louL espoir
de rencontrer Je moindre pêcheur, le moindre indigène qui pCtt leur prêter secours ! Leur abandon s'affirmait plus toLal que jamais 1
Cependant, témoin de la mine déconfite de SOI1 voisin, le Marseillais voulut réagir:
- COl1J"nge tout de même, pitchoun! Nous trouverons peut-être qllelque chose, quelque gibier! Si
nOlis portions chncun (le notre côté il. la découverte?
Yves Bénézech acquiesça. Bien qu'il sc i>cnlÎl quelque peu fatiguc ft la sui le de ses récents en'orls pour
abOl"cler et réussir l'escnlnde de la falAise, il cprouvait le hesoin d'A gir, d'écarter les pensées qui accapHrnienL son esprit.
�18
LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
Je vais contourner l'iceberg de ce côlé, déclarat-il. Tu passeras de l'autre. Nous ne tarderons pas à
nous rejoindre.
« Le premier qui aura découvcrt quclque chose appcllera l'autre! repartit le Marseillais.
Ils sc Cjuiltrrent donc et s'avcnturèrcnt chacun en
scns invcrse lc long dc la falaise. L'iceberg était entouré dc hrumc qui ne permetlait pas de voir très
loin, pourtant quclques groupes de moueLLes volaienl
toujours aux alentours, cl ceLLe seule préscnce des
oiseaux réconforta lc moussc. S'il pouvait seulement
découvrir des œufs, ou alleindre un des oiseaux! Mais,
],élas, toute capture de Illême qlle toule pêche demeuraient momentanément interclitcs 1
Yves marcha, il avait hâtc dc se réchauffcr, ses vêtcmcnts con1>crvaicnt toujours cellc humidité qui n'avait cessé de lc pénétrcr depuis qu'il avait rcpris connaissance. Avec quelle joie il cÎtt souhaité la présencc
d'un hon fel! 1 !\lais hélas, avec q\loi fairc du feu? ][
n'avait mêmc pas ft sa disposition les moyens rudimentaires dont usent les Esquimaux pOUl' allumer
leurs foycrs 1
Le jeune garçon franchit une distance de quatre
cellts pas environ, il se retourna pour voir s'il apercevait encorc le Marseillais; les mouvements du terrain le lui dissimulèrent. Il ne s'en inquiéta pas malgré tout et continua d'avancer il la mêm(' allure. Cc
fut ainsi qu'il atteignit l'autre extrémité cIe l'iceberg.
Parvenu il cet endroit, le jeune garç'on ' s'arrêta ct
se pencha. Les vagues venaient moudr contre le rehord glacé de l'énorme bloc qu'cll('s rongeaient lentement; il entendait toujours <!onstalllll1ent leur clapotis.
Yves allardait ses regards li la surface calme <les
nots, quand il sc redressa brusquement. Il lui se1l1hlait en eITct surprendre un glissement insolite il peu
dc di~lance au-dessous de lui:
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
19
- Hohé 1 cri a-t-il. Est-cc toi, Jean Cadiou?
Pas de réponse. Alors le mousse s'arrêta, il comprit
qu'il ne pouvait s'agir de son compagnon. Le Marseillais ne pouvait encore avoir eu le temps de faire le
tour lie l'iceberg.
- Alors, quoi". Il y a quelqu'un?
Le oœur du jeune garçon battait plus fort que de
coutume. L'idée lui vint qu'un pêcheur pouvait avoir
abordé sur l'iceberg en même temps que les deux rescapés du trois-mâts.
- Hola 1 QueltIU'un? insista-t-il en se penchant plus
encore.
L'iceberg descendait · à peu de distance en pente
douce vers la mer, c'était à cet endroit que se produisait le bruit singulier qui avait alliré l'attention du
mousse. Ne recevant toujours pas de réponse, il se décida à s'aventurer à la découverte. Après avoir longé
le rebord même de la falaise SUI' une dislance d'une
vingtaine de pas, il se hasarda sur la pente.
La nature glissante du sol rendait la manœuvre dl!
mOllsse parti cul ièrement dél i cate. Sans s'i nqu i éter des
écorchures qu'il se [aisai t aux paumes des mains, il
s'accrocha il toute anfractuosilé et il loute saillie qu'il
rencontré sur son passage. Mais bientôt une arête ~
laquelle il se cramponnait, craqua et se cassa brusquement. Dès lors, incapable de sc rctenir, Yves ~e
sentit emporté à une allure de plus cn plus accélérée
vers 1cs flots.
Impuissant ft réagir, le malheurcux vit arriver J.
moment où il irait ('choucr dans l'cau ~1:1céc; par bonheur, il ent Je temps d'cntrevoir une sorte de bloc qui
pointait vers Je ciel gris ft quclquc dix mètres du rivagt', étcndant la main, il s'y agrippa.
Une secousse violcnte se produisit alors, mais l'appui s'affirmait surnsamlTIcnL solide, il résista. Encorc
lout étourdi par l'accidcnt qui venait dc lui arri\'cr,
lc mousse se relint avec l'énergie du désespoir. Il se
�20
LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
sentait si courbatu à la suite de cette difficile gymnastique qu'il crut avoir les membres hrisés.
Yves dut attendre encore un moment pour reprendre son souffle, deux fois il voulut crier, appeler à
son secours le Marseillais, les sons s'étranglèrent cIans
sn gorge. Alors, il s'assit. Une sorte cIe nuage de vapeur l'entourait, la sueur ruisselait le long de son
visage.
L'infortuné pestait contre sa maladresse, quand un
hrllit singuliel' attira cIe nOuveau son attention; surpris il rega rda sur sa gauche et bientôt, il blêmit...
Une silhouelle apparaissait ct avançait lourdement le
long du rivage où il étall venu échouer de façon si
brutale ...
- Un ours blanc! ... murmura le Breton.
Le plantigrade avançait de son pas de lourdaud, ses
petits yeux sc fixaient sur le rescapé qu'il venait d'apercevoir ... Un sourd grognement lui échappa ...
Yves s'était levé, ses regarcIs n(' se d('Lournaient pllls
du monsLrc <[ni était de belle taille ... Bien souvent, au
cané de l'équipage, le jClIlIC garçon avait cnteJldu
raconter des histoires d'ours blancs ... Il savait que ce:>
animaux étaient particulièrement féroccs ct qu'j]s
ét::ient doués d'ulle force pl'Odigieuse ... Certes, s'il
avait disposé d'une bonne carahine, il n'eût point hésité ;\ all'ronter le fauve, mais il demcl1rait désarmé,
incapable de la moindre réaction, à la complète merci
dc cc compagnon aussi farouche qu'imprévu 1...
Par bonhcur, le mousse réussit ;\ secoucr la torpeur
qui s'emparait de tout son être ... Il sc redressa, puis
animé d'une force incroyahle, poussé l)ar l'instinct
d'échapper coflte que coôte au mOllstl'e, il sc mit à
courir le long du rivage ...
La surface de la croûte glacée était perfide et glissante ... Yves en lit la cl'ucJJr expériellce ... Plusieurs
fois, lJerdant l'équilibre, il s'étala, mais il sc releva
�l.ES NAUFRAGÉS DE L'ICEDERo'
2f.
aussitôt, insouciant des meurtrissures qu'il venait de
recevoir ...
L'ours blanc continuait d'avancer derrière le fugiUf. .. Il avait quelque peu accéléré son allure, et il avançait en grognant et en dodelinant de la tête ... Yves
senlait son odeur lrès forle que lui apportai 1 la brise
glacée, pourlant il courait, il courait encore, il courait
toujours 1...
Cependant le ,jeune garçon atteignit bien vile les
limites de l'cpuisement! ... Il avait trop présumé de ses
forces ... Une dernière glissade le fit s'élaler il quelques
pas seulement de la mer; pOlissant un grognement d"
triomphe, la bête s'approcha ùe lui avant même qn'il
eût pu sc remettre sur pied !...
Yves sc vit perelu, il sentil l'haleine empestée dn
monstre qui se promenait sur SOn COll en même temps
qu'une des pattes énormes s'appuyait sur se, épaules ...
L'infol'tullc voulut crier; pourtant il se rappela que
le moindre mouvement, le moindre mot de :,a part rll
semblable occurrence, pouvait lui devcnir fatal. .. Il sc
souvint de certaine histoire raconté<:,. pal' un des matC'lots du trois-m:lts qui s'était trt>uve en tl'le ft tête avec
un ours hlanc dans des circonstances à peu près analogues ... L'homme aV:1it fait le mort, ct ainsi , il avait
pu cchappcr ù la voracité du 1I10nstrei
Yves dcmeura donc immobilc ct muet; l'ours ]e flaiJ'ait maintenant, ft deux reprises il lui happa l'l lui
emprisonna Je bras entre ses mftchoircs; pUI' bonhelll'
lc cuir Nuit épais ct rcsista aux morsures des crocs ...
D'un coup de patte, la hête déplaça légrrement le
corps inerte, le visage du Breton apparaissait maintenant en pleine lumièrc ... Immobile, retenant son souffle ct comprimant les battements de son cœur, l'infortune s'attendait ù tOlite seconde à être ùcchiré par les
terri hies griffes du monstre .. .
Le dangercux tête-:'t-tête sc prolongea quelques mil1lltes qui pal'llrent des siècles au jeune Brelon ... Les yeux
�22
1
LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
fcrmés, il SC raidit... La scènc se prolongeait de façon
alarmante, loin de sc lasscr dc son jcu cruel, l'ours
hlanc continuait de Hairer lc corps immobilc du rcscapé ...
Tout à coup, \ln léger bruit se fit entendrc .. . Yves
frissonna ... Avant qu'il eût 'c u le loisir de se rendre
compte exactement de quoi il rctournait, une forme
<;ol1lbre, partie du haut de la falaise, qui surplomhait
li cet endroit le rivage de trois mCLres, pas plus, s'élanS'ait ct retombait de tout son poids sur la hête!. ..
L'animal, surpris, cxécuta un rapide écart cl poussa
un grognemcnt de fureur ... Mais déjà une main armée
d'un couteau solide s'abaissait et le frappait à la
gorge ... La peau épaisse du monstre résista; se J'Cloumant il voulut abattre ccl adversaire imprévu,
mais l'homme, profilant de la surprise qu'il venait
de provoquer chez le monslI'e, mullipliail ses attaques.
Pendant que l'ours sc déballail furieusement ct, avant
même qu'il eüt pu lui emprisonner la ,m ain dans ses
1crribles crocs, le nouveau ven u réussit à lui enfoncer son arme juS'l,.u'a u mancllc clans la gorge ...
Un flot de sang jaillit aussitôt de la blessure béante
pt inonda le visage de l'homme ... La bêle s'agitait,
I)alayant de grands coups cIe palle la crOllte glacée
cIe l'iceberg ... D'un saut rapicle, son vainqueur échappa
:'t son étreinte, puis se rejelant vers le mousse qui
élait parvenu, grâce à celle diversion à se mellrc
hors d'aLleinle :
- Cours, pilchoun!. .. Va plus loin!. .. Encore plus
loinl. ..
- Jean Cadiou!' .. s'exclama le jeune garçon en reconnaissant la voix qui lui était si familiérc ...
- Tél... Vét ... Jean Cadiou!. .. El il est rudement
content de tc revoir, le pôvrct ... C'est égal, tu peux
le vanler de lui avoir causé unc belle élllOlioll, pilchoun! ...
~l'oul en prononçant ~es mols, le Marseillais csql1is-
1
�:tES NAUFnAGÉS DE L'rCEllE'nd
23
sait encore quelques '[las auprès de son protégé .. ,
Enfin il s'alTêta, puis se retournant, regnrda en
direction de l'endroit où il avait laissé le plantigrade
blessé à mort.
L'ours ne bougeait plus. Pendant quelques instants,
il s'était débattu dans les dernières convulsions de
l'agonie ... Le coup que lui avait porté son courageux
adversaire avait cté mortel. .. Baignant dans une mare
de sang, qui se I1geait aussitôt, congelé par le froid,
il se raidit, poussa un cri rauque qui parvint jusqu'aux deux rescapés, puis la mort passa.
- Cette fois 1. .. Il a son com pte 1...
Le Maneillais se réjouissait de son exploit; mais il
sentil bientôt son voisin qui lui prenait la main en
même telllps «u'il s'exclamait:
- Jésus Made!. .. Vous êtes blessél ...
- Ne t'affole pas, pitchoun!. .. Je n'ai écopé que
quelques égratignures, c'est le minimum 1. ..
- Poul'tant cc sang...
Le mousse désignait le sang qui tlégoullait le long
du ciré que les grifi'es de la bête avaient copieusement
lacéré ...
.- Té!... C'est celui de l'ours!... Je l'ai saigné
comme un vulgaire cochon!... C'est égal, ce n'était pas
facile! ... Le drôle avait la peau plutôt coriace! ... Mais
j'avais déjà chassé ses conf{éneres an cours d'une'
croisière dans la 111er de Déring ... J'avais forcément
l'habitude!...
Le brave garçon trouvait son exploit tout naturel.
Il savait pourtant l\ quel immense dnngel' il s'était
exposé... Si l'animal surpris avait pu se reprendre
assez vite, et surtout s'il n'était point parvenu il
!'allcinc\re à un endroit vilal, c'en était fait cie lui,
tout simplement... La hête, beaucoup plus p,uissante,
l'ellt écrasé sous son poids ct l'cÎlt llIis en Pièces 1
- Allons, occupons-nous du compagnon ... Je n'ai
qu'un petit bobo de rien dn tout!...
�24
LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
Les deux amis s'en reLournèrent donc vers le lieu
du sanglanL ct rapide combal ... Déjà des mOllettes attirées pal' la présence du cadavre ùe l'ours, tournoyaient
au-dessus de lui, impatientes de s'abattre à la curée ...
- Pas si vite, Mesdemoiselles, leur cria le Marseilbis... Charité bien ordonnée commence par soimême!. .. VOLIS serez admises un peu plus tard!... En
attendant, nous allons songer il déjeuner!..,
- Comment, hasarda alors le mousse .. . Nous allons
manger la viande cruc?
- Avec quel hois espères-tu la faire rôllr? objecta
le Marseillais ... Pas avec des morceaux de glace, j'imagine?
Et COPlme le jeune garçon esquissait une grimace,
Jean Cadiou de surenchérir:
- Fnute de grives, on mange des merlesl. .. D'ailft'urs, tu verras cumme c'est exquis la viande crue
ri 'ours blanc 1. ..
- - Tu en as déjà J1Iangé? ..
- Cette quesLion!... NaturellemenL flue j'en ai
mangé!... Et je n'éprouve aucune répugnnnce il renouYClel' l'expérÏ.Cnec, car je COllllllence d'éprouver de sévères cram pes ù l'estomac 1. ..
Yves Bél1l'zech dut convenir ù son tOUl' qu'il avait
Irès faim, la nouvelle aventure qui lui étail survenue,
~'ajolltaJ1t il ~()J1 état de fatigue, lui fil rapidement dominer sa répugnance ...
- Aide-moi il le tenir, pelit, nOLIS ollons le « dépiauter ~ un Jleu lJOllI' lui prélever un jambon!. .. Cela
nous permcllra toujollrs de durer un peu ·plns!. .. El
puis qui sa.il, je conserve toujours un certain espoir!. ..
Toul Cil prononçanl ces lIlots, le Marseillais, 'Par mesure de précautioJl hasardait un rapide coup ùe pied
vers l'Ollrs ... Le corps était déjà roidi:
- C'est hon!... Il est hien 1I10rl!. .. El maintenant, au
t ravail!. ..
Courageusemenl, Yvcs s'ngenouilla ct sc mit il sc-
�LES NAUFRAOÉS DE L'ICEnERG
25
cenùer de son mieux son compagnon ... Jean Caùiou
'Cut quelque mal il entamer la peau du monstre, elle
était épaisse, il en avait déjà fait l'expérience; pourtant, armé du couteau qui avait dcjà accompli de la
si excellente besogne, il réussit à découper un fort
morceau de chair, puis, le partageant en deux parts, il
en tendit une au jeune Breton:
- Mords lit-dedans, pitchoun 1... Et mastique-moi
cal...Tu m'cil diras des nouvellesl. ..
- Yves ohéit aussitôt. Certes, la viande était fade et trop
ferme; tontefois il éprouva une profonde satisfaction
aux premières bouchées, ct il s'hahitua IJien vite ...
Auprès de lui, sans manifester la moindre rcpugnance,
le Marseillais allaquait son déjeuner à belles dents ...
Tout autour, les mouettes apparaissaient de plus en
plus nOl1lhreuses; elles s'aventuraient parfois jusque
auprès des deux compagnons en poussant de petils
C\"is perçants; certaines gratifiaient le cadavre à peine
(' nt:'llIlC cie l'Olll'S hlanc de coups (le bec ... Et Yves ct
Jean Cadiou sc virent souvent obligés d'interrompre
kur repas el d'intervenir bruyamment afin de chasser les trop avides animaux ...
CHAPITRE IV
L .\ FI" nE J:ODYSSI~E
Quand les deux rescapés sc sentirent ras~asiés, Jean
Cadiou pOllssa un petit grognement satisfait :
- Si nOLIs avions seulement un peu de fcu, dit-il. ..
Ce serail le rêve!...
Le l\tarsei\lais et le Breton se sentaient envahis moin-
�26.
;LES NAUFRAGÉS DE L'ICEnER~
lenant par ce doux bien-être qui précède la digestion,
Le repas substantiel qu'ils venaient de faire, leur insuf.
flait une nouvelle vigueur et les réchauffait. Toutefois
les mouettes devenaient si nombreu ses auprès d'eux,
que Jean Cadiou se leva brusquement, puis exécutant
de grands gestes, il écarta les trop importuns volatiles :
- Ouste !... Filez, les petites 1...
Se tournant alors vers le mousse, le Marseillais s'em·
pressa d'ajouter:
- Si nous ne prenons pas la précaution ùe meUre
en lieu sûr les meilleurs morceaux de l'ours blanc,
ces coquines auront tout fini avant vingt-quatre heures! ...
Yves comprit le bien-fondé des paroles de son interlocuteur. 11 fallait subsister à la sul'face de l'iceber :~
cL, comme il était probable qu'un autre ours ne manifesterait pas sa présence il borel de l'lle flottant !',
mieux valait prendre toutes les précautions nécessaires.
pour emmagasiner le plus de viande possible ...
Les dellX rescapés travaillèrent donc pendant lonhtemps encore, tout d'abord à dépouiller le cadavre cl)
sa peall, cnsuite li recueillir la chail· ... Ils le fil'cnl
avec cour<1ge ... Grftce à son précieux roulcau, le ~hJ.r
seillais aVôlit creusé dans la surface glacée de la fn lai sc unc ouverture l1SSCZ large et a .~s ez profonde pour
contenir la ]J1'ovision de viandc fraîche... Le froid '
pourrait conserver lon gtemps ces vivres provid e ntiels ...
EnOn, la provision néces sa ire fut dis si lllllll'c SOl1~
un amoncellement dc morceaux de glace, .. D('sormai"
les mouettes ne réussiraient pas il fl' u~lrel' les naufragés de lellrs vivres ... Satisfails de la besogne qll'iJ~
avaient accomplie, les deux rescapés purcut prend n'
enfin un repos bicn gl1gné, ct la pc:m d'ours leur 5el'-4
vil il se mieux protéger conlre les attaques perfides de
la brise ...
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEnERG
27
Dès lors, une dure existcnce commença pour les
malhcureux... Ils savaient que leur iceberg dérivait
"crs Je Sud; c1wCjue jour, ils se relayaient au bord de
la falaise ... Arri·tant anxieusement leurs regards à la
surface de la mer, ils espéraien t toujours repérer une
fumée, une voile qui leur cCit permis de sc faire recueillir par un navire.
Mais, hélas, aussi loin que les regards des malheureux pouvaient voir, ils ne discernèrent rien, que les
poi n ts blancs ou les ruasses glacées constituées par
d'autrcs icebergs qui voguaient il la dérive, comme
celui sur lequel ils étaient venus échouer...
Et, pcu il peu, les flots accomplissaient leur travail,
rongeant le bloc de glace ... Chnquc jour, les naufragés de l'Espérance pouvaicnt se rendre compte des
J,rogrès de la mer ... La surfacc de l'icebcrg diminuait
de plus en plus il mesure qu'il descendait vers le Sud ...
Après une sel11aine de séjoul', les dcux naufragés purent
con!-.Iatl'l' qu'il avait diminué all moins d'lin Liers ... La
con\ei!'llcc trl's nette d'un terrible danger se présentait il leur espriLl ...
Crrtcs, pour le moment, les malheureux n'avaient
lJ1a ,~ à redouter' la famine, il leur rrstait une provision
de vianùe d'out's suffisante pour passer une quinzaine;
mais le travail constant des flots fll comprendre au
Marseillais que le déplaccment du centl'e de gravité
cie l'iceberg Ile tarderait pas li se produire ... Alors
l'éllorme masse' constamment réduite de volume, basculerait SUI' elle-même ct sc retournerait. .. Celle fois
les rescapés ne 110urraient évitcr la terrible catastrophe ...
Cha(flle jOlll', Yvcs ct Jean Cadiou sentaient que le
péril sc llréei~aiL, s'accentuait. Parfois, des craquements sinisll'r~ se f:lisaient entendre ... De nouveaux
hl()c~, clétachés cie l'iceberg, s'écarlaicllt ct allaient se
llrrdn' sur les îlols ... Dcs fenles se dessinaient nombreuses, zébrant le bloe de toutes parts, .. Les naufragés le
�28
LES NAUFRAGÉS DE L'IcEBEnq
voyaient se désagréger de plus en plus, et bientôt une .
catastrophe vint augmenter leurs craintes et rendre
leur situation encore plus critique ...
Depuis qu'Hs avaient abordé sur l'iceberg, à plusieurs reprises, Yves et son compagnon avaient fait
en sorte de déplacer leur embarcation ct de l'amarrer
assez solidement pour empêcher qu'elle ne fM entraÎnée loin de l'iceberg ... 01', un malin qu'ils avaient'
dormi dans une anfractuosité de la falaise, jls purent
constater, attenes, que l'esquif avait disparu ... Toute
la partie de l'iceberg auprès de laquelle on l'avait
amarré s'était effondrée dans la mer ... Maintenant, le
canot devait floUer à la dérive il cles milles de Iii ...
Ses anciens occupants sc trouvaient dans l'impossibilité la plus complète cie le récupérer! ...
Les deux rescapés firent cetle constatation avec une
douloureuse stupeur... L'embarcation pnrtir, c'étnit
sans doute le dernier espoir de s'échapper qui leur (-tait
enlrvé ... Peu fi peu, ils Claient condamnés à subir
l'inévilabl!l engloutissement...
Pourtant, le Marseillais s'efforçait de rassurer de son
mieux le jeune garçon:
- Espère Ull peu, pitchoun, lui répétait-il sallS sc
lasser ... Nous (lescenc!ons de plus en plus vers le Sud ...
Les icebergs que nous rencontrollS sc fonl de plus rn
plus raresl ... C'est bien le diable si nous n'arrivons
p:~s en vuc d'un b~tealll... Nous devons ne plus être
101 Il des parages frequentésl ...
Par malhcur, la réalité ne confit'mll pas ces TlaroJc~
optimistes de Jean Cadiou. En vllin les deux naufragcs de l'Espérance s'évcrtuaient-ils i\ rrpérrr le navire
lant attendu; Lout autour d'eux, c'était toujours l'immensité glauque de la mer ... Elle les eillprisonnait (]e
toutes parts, il semhlait bien qu'elle rflt étrangement
calme depuis qu'ils naviguaient ainsi. On cCtt dit vraiment qu'elle pr11 plaisir il prolonger Icur agonie, à les
faire mourir pell fi peu, dans ln parfaite conscience de
�LES NAUFRAGÊS DE L'IC"EBERG
29
ce tille pouvait, d'un instant il l'autre devenir leur destin ...
En ces heures d'attente et d'angoisse, les pensées
ùes malheureux vagabondaient souvent vers la France
tant aimée L .. Yves songeait à la maman et aux petites
sœurs qui l'espéraient en vain au pays, ct qui, sans
doute, ne le reverraient jamais -plus!. .. Quant au Marseillais, il revoyait la Cannebière, les visages familiers des copains qui venaient prendre le pastis avec
lui dans un café du Vieux Port... Il revoyait l'épouse
qui vendait des clovisses et les enfants qui aimaient
tan t leu l' papa L ..
Le décolll'agelllcnt faisait dc lents progrès chez ces
deux natures dc fer qui avaient -pourtant déployé tant
de courage ct tant d'énergie; ils sentaient leurs forces
:-'alllclIuiscr, tressaillant au moindre craquement qui
SI' produisait sur leur refuge et s'attendant de plus en
plus à l'inévitable!. ..
Un soir, au jour tombant, les deux amis croynient
nvoir atteint le slImmum du désespoir .. . I;cur provision
de viande touchait à son terIlle; de plus le Marseillais
dcvenait plus nerveux .. . Yves le surprenait parfois qui
l)l'()non~'all des paroles incohérentes; il commençait à
s'énerver ct à s'impatienter de cette situation sans
ccsse plus cdtique, ct pour rchnpper il la hantise de la
C'atastropht', il par!a~t ouvertement d'en finir tout de
suite ct dl' se précl]Htcr dans la mer ...
Maintennnt c'ctait ail jeune garc:on de l'éconfor1('1' son cama:'ade; il lui prodiguait des paroles de confiance, lui parIait de Dieu, du pays ...
La courag!'use persévéranc!' des rescapés devait enfin
obtenir sa récompense . Le :\Iarseillais qui ne se sentait
pas Ires convaincu par les propos optilllisies du mousse,
avait repris sa place de veille au sommet de la falaise,
il allait sc replonger dans sa prostration habituelle, en
proie :'t un morne dcsespoir, quand soudain, il sc leva
d'un bond:
�30
LES NAUFRAGÉS DE L'rCEDERG
- Miséricorde! ... Je ne me trompe pas\. ..
Jean Cadiou se dressait, debout sur l'extrême rebord
de la falaise; il venait d'apercevoir il l'horizon <Ill
Sud une colonne de fnmée qui se délachait de plus
en plus nettement sm: le ciel gris ... Pendanl quelques
secondes, il resta ainsi, les yeux agrandis par un
joyeux étonnement, se demandant s'il n'était point
victime d'une illusioll et craignant causer une fausse
allégresse à son jeune cam pagnon ...
Bientôt, le doute ne fut plus permis! ... C'était bien
un navire quj croisait dans ces parages .. . Un cargo ...
TI sc rapprochait peu il peu de l'iceberg où les deux
compagnons s'étaient réfugiés naguère .. .
Des lors, le Marseillais se miL à crier de toutes ses
forces:
- Yves! ... Pilrhoun! ... Monte vilel ... Un navire!. ..
A plusieurs reprises, Jean Cadiou renullvela ses
appels; J1lais le mousse l'avait lléjà entendu, il accourail, escaladant rapidement la glace, pris lUI aussi par
un fol enthousiasme qui lui faisait oublier tOlites les
angoisses, tou tes les tribulations passées 1...
- Un navire!. .. Tu as raison!. .. C'est un navirel ...
- Pourvu «u'on IlOUS aperçoive ù hord 1. ..
Les deux amis agitajent maintenant les bras avec
frénésie; ils appréhendaient de Ile pas être aperçus
SUI' leur bloc de glace. Pourtant ils constati:rent avec
salisfaction que Je cargo, loin tle voguer :lU large, se
rapprochait sensiblell1ent de leur refuge ...
- Tls nOLIs ont vus!. .. s'exclama hientôt le jeune
Br('[on ...
Les deux rescapés avaient, en elTet, été aperçus :\
bord; de leur place, ils purent apereevoÎt· les silhourltes (les malelots qui agiLaienl les mains pour Irur 1'1'.pondre ... Alors des exclamations de joie délirante leu!'
échnprèrenl .. .
Snuv(·sl ... NOLIS sommes sauvés!. ..
- - Ils /llcLLen l une chaloupe à la 111er! ...
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEllEnG
Si
I.e cargo parycnu à trois cncahlures cnviron de
J'iccbcr rr stoppnit, en effet; quclqucs-uns de scs hommcs se "laissaient rapidcmcnt glisscr le long du ]1)01'lIage jusqu'à J'embarcation qu'on venait de metl'Fe à
flot, cn pcu de tcmps, les matelots, souquant ferme
slll.'lrurs avirons, picluèrenl délibérément vers le bloc
de glace .. ,
Celle fois, les naufragés de l'Espérance s'cmpressèrent de descendre jusqu'à l'exlr~l1le rebord de leur refuge .. , Ils continuaicnt d'agiter frénétiquement les
mains; bicntôt l'embarcalion accosta .. , On s'imaginc
avcc quelle rapidité les malheureux s'empressèrent de
J'('joindl'c leurs sauvclcurs qui lcur lendaicnt lcs bras .. ,
El landis quc la chaloupe virait de bonI ct reprenail
la direcl ion du cargo, ils s'empressèrent de raconter
leur dramalique odyssée .. ,
Le cargo Lise(fa qui dc'vait faire escale à Bergen,
l'l'cueillit donc à SOli hord nos deux amis .. , L'accueil
gl'nt'rcux qui leur Iut fail, les soins empressés CJu'jls
1'l'~'UI'l'J1t leu!' firent bien vile oubliel' les tristesses dc
l'allcntc cl les soull'rances sans Jlolllbre qu'ils avaienl
endurées ...
Pourlanl, pendanl qu'ils s'éloignaient ainsi, vcrs la
l'je vc'rs le monde civilisé avec leurs nouveallX COIl1pa':nons, .Jean Cadiou cl Yves Bénrzech, aecou<!és nu
ha~lin'ta"l', contcmpfaienl longuement l'iceberg sur
n
,
' N on sans m,l''1 aneo l'le )'1 s
kqul'l " ils
aV:llent
vccu...
voyaient diminucr de pIns en plus le POl/lt blanc ... 1\
:i1I:lil s'estomper dan,s la brume, 9uand, tout à coup,
Ic jl'UIlC Brr!ol1 sent~l I:! rude pOlgn,e dc son COII!IHIgnon qui s'ap]l<,snnllsstl!l sur, son cpuule( en IIll'!lIe
telllps il ('nll'nelait sa VOIX ClalrOI1JHlnte qUI grondaIt:
- Bonne ~fi'I'('! .. , Nous l'avons échappé helle!... Tu
peux dirl', Illon pitchoun, qn'il exislc unc Providence!
Elle nOll~ a hit'n prolégés, ct cOllllllenl! ...
Yves nc répondit pas ... Le cœur serré il venait de
�LES NAUFRAGÉS DE L'ICEBERG
32
voir l'iceberg basculer sur lui-même puis se retourner
dans un rapide remous ...
- II était moins cinq! ... murmura-t-il simplement.
Et ils s'attardèrent encore, immobiles, 'Pendant que
la Lisetla les emporlait vers le Sud, vers la France où
ils allaient enfin rejoindre les êtres chers qu'ils
croyaient bien, naguère, ne plus jamais revoir ...
Fl~
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Title
A name given to the resource
Le petit roman d'aventures
Relation
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Title
A name given to the resource
Les naufragés de l'iceberg
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Chambon, Jacques (1898-1967)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1941
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
15 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Le petit roman d'aventures ; 228
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Roman_Aventures_C95466
Relation
A related resource
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33786c677ec8e8a06875cc1bf7f09d1d
PDF Text
Text
��C. ..... l.J.~
L'enterré vivant
Roman d'aventures in édit
pal' JACQUES CHAM<BON
CHAPITrm PfŒMIER
L'ENTERnÉ VIVANT
hicn sùr quc la pisl1c cst libre, que
'l1ou~ n'uvon'J à craindre aucun,c ullaquc '1
h:olllll:Jr Jc Mong()1 secoua aflirrnalivclllent la têtc à
cdl';) qllc:;lion que lui posait l'exploratcu'l' frallç.ais
François Souillant
- J',en fouis ah~ol, ul1lcnt slÎr, maîtrc 1...
- Quc devi,cnflcnt pourtant c'cs bandits dcs stcppes
<lont 1I0US avion~, cnlcrHlll parlcr avant dc nous ovcnturer ù ll\lVCrS IJ' Gobi 1.. ,
- Cc:; h al1(~il~ Il'exi~;taicnt certainement que dans
l'imaginntioll {J,cs '[Icll'rins ct dcs caravanier.~ que llOll~
avons croisés SUI' notre chcllliu . .cc malitl CllCOl';), je
-
Alors, tu
C3
Sont rése .. vés tous
»lIse ou tlt Mtrc et
ùrolt~
~u
de traclu clIon, d'adaptatlon, do
clllématogl'Ol'tlc,
P. R. Av! n· 170
�L'ENTER RÉ
VIVANT
rien
~milS parti en ceconn aissanc e vers le Sud, jc n'ai
remarq ué de suspec t 1. ..
Franço is Souma rd s'al'rêta pendan t quelqu es inslanl s
les sourcil s froncés , en dépi,t de J'assur,a nce que munid'elit'a it son guide, l'·exploroateur sc sentait encorent proSur
f.ondém ent inquiet . Enfin ses T.e.gard s se portère
auprès
pie
accrou
it,
attenda
qui
femme
jeune
Eva, sa
du feu, sous la yourte :
- Tu vois bien ... Kouma r a raison 1 Tu as tort de
te tourme nter 1
Le Fl'ançoais ne Œ'épondit pas à ces paro],es de sa compagne. Ceptes, s'il avait ,été seul à travers ces plaines
Immens.e de l'Asie Central e, aux confins méritliO llullx
de la Mongol ie et tle Ciet immenlSe tléser,t de Gob.i, il
n'oe(Jt pas éprouv é la moindr c appr,éh ension, maL~
<Iu'il
c'était surtout pour la sécurit é de son épouse s'il
le
trcmll.Jlait. Si le dan,gel' ne lui faisait pas peur,
de
er
rnpêcll
5'c
t
pouvai
IlC
il
lraire,
conJ
au
hait
rechcrc
frisson ncr en songea nt aux risques que pouvai t courir
sa compag ne ...
- PourLa nt, les caravan iers me panliss aient hien
du
a,ffl.rrnalifs quand nous les avons rencon trés an picd été
grand plateau , insista- t-i!... Trois des leurs ont 1. ..
abattu,., à coups de carabin e }Jar les }Janùils mongQl.,
De plus, leur grou'p e a perdu sept chamea ux IOl1l dement cba'rgé s ...
- Ces hOlllmes men laient. .. Ils déteste nt les BJanc .~
el
et ils te parlaie nt ainsi afin d'accro ître tes :llarmc6S'jJ
!. ..
te faire <juiLL,cr le pays ,dans le plus href délai
fallail croire Ioules ·l,es histoire s de fantôm cs quc I1f)UII
:lVons cnten(! ues depuis notr'C dél)arl, nous n';Hlrio ns
certes pns fr,anCihi nlle lieue ! ...
D'une chi<Jue naude, J(oulllal' éc:w,la J.c couver cle de
la théière où l'cau comJnenç'aH de bouillir . Son llIa",crue derncUI'ait hnpéné lrable. Sous la calotle dc cui,·
pomcnlour,éJC d'une hordur e (J.c Jaille, le visage aux
n de n'cx_
:l/lln
e11
fenùus
rrgal'ds
aux
es,
saillant
mellcs
prüllai t jamais la moindr e émo'lio n ... En vain les deux
�L'E~TERRB
VIVANT
3
França is avaient -ils cherch é, au cours d·es semain es
précéd entes, à sllil"prendre sur cette physio nomie d'Asiatique la moindr e express ion de peur, de gratitud e,
d·e plaisir. Il sembla it que Kouma r fût de bronze ; ou
de
mèllte sa robuste constitUilion résistai t aux pires fatigUles ... Pendan t -des journée s entière s, il ·r eslait sur son
}J'etit cheval mongol avcc INluel il paraiss ait ne faire
qu'un, s'absen tant ,r égulièr ement c.haque jOlll' pour
exéculc r une neconn aissanc e dans la dir.ec tion où
allai·en t s'cngag er lcs deux époux.
Franço is Souilla rd et Eva s'étaicn t ,avenlu rés à
v>Ü'rs le Gobi afin d'y rechcrc her ùes vestigc s detrala
périoùe .préhis loriquc . Savant d.e valeur, hien qu'il
ne fûl âig.é que cI'une l,renlail le d'année s, P,ranço is avait
loujour s été hant,é pal' ces s'olilud,cs mystér ieuses de
l'Asie G;)ntrale dont il s'était promis de sllvprc ndl'e les
secrels .. , Bt Eva qui le second ait dans ses rechero hes
avail insislé avcc forClc pour accomp agner son maTi,
au pl'ix dc fatigue s ct de dangc'r s sans nombr.e, ils
avait~l1t paI'cou ru ces r~gions où les Blancs
n'avaie
jamais pOl,lé les pieds, cxamin ant minutie usemen t nt
la
lIat une d li lerr·ai Il ...
Les chamea ux qui accomp agnaien t le petit gmltpe
l'appor taient d'ussc7. nombrc ux bagage s; la randon née
lointain e des deux FraIlt;'ais n'avait pas ét,é vainc en
emet, (I.ans une groUe 'creusée à même la fal.ailS,e, l'explorllile ur avail trouvé dcs œufs ùe ùinosau re ct nombre d,e vestige s de fossiles . Les hypol'h èses qu'il avait
parfois hasardé es et qui scmhla ienl audacie uses à nombrc cie sc') collè~ues, devena icnt maint.c nant des certitudes, Les eartcs soignel1SICI1lClllt l'ectiflées qu'il rappor tait donnai ent de nomhnc uses précisi ons concer nant
la llatUI"IC du lerrain ... Des milliel' s d'année s aupura VIl\lIt, ces solitud es avaient &té hllbit6c s et pal'cou
rue3
'Par une faune groui.Uante d'anim aux de lout,es sortes .. ,
Mainte nant, i.l s'agissa it ùe revenir par la pisle du
Suc!, >('Il les (1 iffi cuItés s'an \lonçai ent nombre uses ... La
guerre il1lplac able qui opposa i,t Chinoi s eL Japona is
�4
L'ENTERRÉ
VJVANT
fav.orisait dans dé nombreuses 'Provinces :de la Chine
le dévelo])pclllent d'un bri.galHlagic éhonté. Bicn certains (Je n'êlre point tr:1ql1é1s et punis par les aulor1tés régulières qui avaient fort à faire déjà à maintenir l'ordre dans lcurs dislricts respectifs, des band,cs
de gens sans aveux ct ùc cavali,ers J'urO\1ch'Cs rpj,Jjaicnt
lc,s ca'l'!l\'anes, rançonnaient ou ,t orlu,raiiCnt les voynIge ul's qui tOll1haicnl\. entrc leurs muins ... C'est pourquoi FrançQi s SouJl1:1'rù ,se s,enlaiL en proie à une
mélianee de 'l )lus en 1JluS ,g randlc à mesurc qu'il s'éloi'g nait flu gl'and ,dése rL où il uvailL l)U jouir ])ellflnnt unc
longuc périod,c ,d 'une .sécurité P,l'osfJue compJèllc ...
-- Ecoulc, ](oumar, tu vas resler :1l1 C."lIl1]J avec nos
hOmllH.'s ... Ma d'cmmc et moi, nous nllons csquisscr une
'l,JClilic rccl)nnnisS:ll1rc 1...
Une lu,e ur HI pélillcr les prunelles du Mongol:
- Comme tu vOlltlrns, m~lilJ'e ... Mais je crois bien
<flle tu 'Pc;'ds ton 1('11'1)5 1... Puisque jc l'ni (IH!, .. .
- Qll'illlpo,r lc L.. J,c 'préfèrc me TCIJllI c comple par
mOi-llIt'HW 1.. , Un rclarll dc quclques hcures mc selllbl.e inJinimcnt '))r,éféJ'3 b.le à une c.aplivilé de plu>!licuJ's
mois 1. ..
LlO guide n'insi ,~ la '))as. JI vcr,~ a J.c thé bouillant <lnns
lcs deux tasscs déposic~ fmprès dc lui. II 5e J1I Cl16uit(!
lin as-s'Ûz lon'g silencc. Fl:lIIçois d Eva '))lcnaie'l1'l kUl'
'r epas d 'u n1nlin, r-cjlaS fI ugal Icn vérité, cl qui S'C 1'0111llos:lil de thé tr<:\5 chaud, 'tIc biscuils cl d'uJlI' boite clc
Jl.nl'icol,~ en conserves. Lc.:s pr'ovisiol1s sc nlrc"1iaicnl Cil
t,'lfC't /Ct J'explol alcur avait Il:"lIc de rejoindre un dllke imporlant afin IJ'y ,r enouvelcr Ii( ,~ vivlJ'es.
.
- Prl'pare les deux chev:lllx, ]{Olllllar 1... dccJnr:l
enfin François Ijuantl il BC fiH r,tconforlé...
.
•
- Tu n'as pa'S pCllr I]lle la )lIn1,11 C\~ .<;IC :-.,e .fallgl!'C. , ...
-. Ma décision csl pl ise, ){OIIlIl!lI', ,l'Cp:)) IlL la jCl1l1e
fcmmc, nous ~)arlir()lls 'lol1s les ~1~~ lJX 1...
Le Mongol ne J'l'pondil pa,~, il ,~olliL Et les Ik,ux
l'POUX M! Inell'Ol1vèrCJlt ,~CllJs.
-
Ç'lCst singulier, depuis quclquc temps, je trouve
�L'ENTERRÉ
VIVANT
5
l'attitude de Koumar Ull 'Peu bizarr,e ? hasarda le Français en sc penchant v,ers sa compagne, QII'cn poenscs-tu?
- Je trouve seulerncn't que ces Asiatiques ont un
cal'actèl'c bien diff,érell.t dlC celui des Eu,rop('cl1s 1. ..
Bi,c'n fin sera celui qui pou,rr.a deviner .cxae,tentent ce
(lu'i!'s .<J.ésiren,t et oc qu'ils pensent !. ..
- En tout cas, \'aunonc,c que je lui 'a i faile n'a
'pas semblé Illi causer de ,plaisir ... ,P our J.a première
f'ois depuis que nous voyag~ons ,é)n sa 'compagnie j'ai
~;ul'pris une ,expression cie mécoIl'kntement sur SOli
llHlsC(u'e ! ...
- J(oul11a,r est notre guide ... Il nous doi,t ohéLc;sance 1 Nous le Tlayon,~ ,suoflisamll1ent d'ail"~l1l's, ct il
n'a pa .. ~I nOllS 'r C'procher de J'avoir mal'lrait.:: 1 Touj'ou'rs, 0.0115 l'avons eOllsidéré conUlle un ég'll 1. ..
- Boh !... Nous aurions tort ,de per,dre notr,e lemps
fi (loe vains bavard llg s 1. .. 'l'II t.c sens d'a'ttaqllc l ?
- Comme toujolll'S 1 Tu sais bien qu,e j'adoL'e clle'Vaucher il travers cc,s .~ol!llldcs imm';:lI';es ... Et Maki,
~non }lP<lit cheval mongol est si fou~ueux. 1. ..
L(~,5 ,deux ôpoux \~I() prl'purèrent Id.tivell1 e at, ch:\cun
tls<;ujC'l'Iit s'n]i<ltcllleilt a ulou!' d,c sa t:lille unc ceinlture
d'armes qlle compléhien,t i l'c ux étuis ~I 'rcvolvers, pllÎ ~;
ils pn<;shcJlt kllr,~ c'll"llJines.cn hanclolllièrc, mircnt
leur.~ éperon ... , ('oifTér,r",l Icnrs ca~5ql~e s de LoHe, dont
Jc:" hon/!; ass"z l[)r~cs II''; 'p rot('gcaicnt con'lre les rayons
d'un ,s olcil parfojs imph c.dJI,e. th complôtèrcnt Jcu'r
HCColl'tr!'i1lI'! llt cn melL:lllt d t'!> lun ebtcs noirC;5 nnn de
)\lieux. ,~c r1l·reudl'c ('oul,l'!) l'aveuglante rév>cdJél'alioll
'<10 la IUl1lÎère stlr les suul.c,' ...
- En l' oute 1. ..
F\'JIl\'oi ~; t 'I !HI COl11p ' II-Pl,e sOl'tirent rkl la yourle. Et
toul dl' suite le '(J..;,(' 0 l' du C:lI1l)l s'étala sous leurs y';~lIx.
I/.~ ~'(,Iniellt ('Iahli!; sur lIll p!.llC:1U {le dil1len!,jon<; assez
r(',lrcintes. 1\ ICIlI' g:Jllclw' ,\e drrssai,! ).:.\ cbain,c des
1110ntagncs du I<'han ·Oula, I(lIi, 'au début de c,' i[[~ matin ('C', se pa ra i t do' (. i Il't(''; l'figes d li pl1l8 ré,[',riq Il c ('(rd ...
Ail loin, :\ une dil".IÏlle de milles Idc là. <:~loll\l)éo par
�6
L'ENTER RÉ
vrVANT
une brurrue légère, une nappe d"cau, très vaste, reflétait 1e..'S 'p remier s rayon s <le l'astre du jour. C'était let
Djerata 'i Dabass ou, le dernie r grand lac qu'ils devaien
contou rner avan'l de }?arvcn ir dans la va!léc '.du Hoang
Ho. Et, 40ut autour, a pel'te de vue, s'elal::u t la lS'u li,tu'ùe imm,e,ll se des sables ct des ùunes, sans cesse modelées, détrui1 es !Ct renouv elées par le vent aigre venant
du Gobi .. ,
:] {oumaI ' attenda it avec les dC'llX chevau x qu'jJ \'e nai~
dtC hl'idel' el -de seller. Les hètes piétina i en t dïmpa tioence cl raclaie nt le sol rocaille ux du bout de leurs
6:1bo(8. Pourtan L, avant de les, rejoind re, le França is
atlarda un Jong regard sur ks dix-sop t convoy eurs ou
chamel iers qui compo saient sa caravan e. En ce
mOlllcnt, ,tous élaient accrou pis autour <les kux qu'ils
alimen taienl avec de la fie,n le sèche ... Les (renle-L rois
chamea ux aHenda ient, couché s auprès dIes bagag,cs et
des caisses eonlen ant les vestige s découv erts dan\~ l'e
grand désel'lt, grâce à 1',o pilliâ1r elé infatiga ble de l'explomtle ur ...
Déjà Eva rejoign ait.sa mon111re. Revêlll e commc
toujour s d'Ull costum e mascul in de toi.!,c l,alti, la jeune
femmc n1Îll lcsteme nt le pied à 1'étrilcl', ~antlis qlle lc
gli'ide mainte nait toujour s le petil cllev~l mongol , elle
sauLa en seLle. Franço is s'Icmpr essa d 'imiter son cxelllpIe. Un lég,e r claqucm ent de langue, el le couple s'éloigna au trot, pendal1.t quc le guide, les bras cr,oisés , !les
J'cgnrd ait descen dre, immob i,Ie, les penLes assez abrupIles qlli aholltiss~ÜCIll à ]a plaine ...
P,cndan t ulle dizaine de minuLe s, les d<!L1x FHlI1çai,~
pns, reLenan t
s'aven~ul'èrell't avec tle muMipl es précauU
lellrs bries qui .f!·nncb iss:ücnl lin Lerrai n parLicu lièrement difllcile ... Enfin, jls alfeign irent la base du plateau .. , La premiè re, ~ouLe heureu se de pouvoi r enfin
avance r à son .g ré, Eva 'talonna vigoure uselllen t les
lIanes tic son coursi er:
- En avant 1... ,Q ui m'aime me suive ! ...
La jeunc femme }HlrLit au grand galop, imméù iate-
�L'ENTE[\[\É
VIVANT
7
ment suivie par .son compagnon ... Et, dL1l'ant un oor'tain ,temps, ce fut entne eux une course de vitesse. Ils
se sentaient enchantés d'échapper un peu à la monotonie du voyaqe et d'abandonner l'altitude un peu trop
rigide qu'ils étaient contraints de l'onserver en présence de lenr guide et de leurs autres serviteurs. Courb&e contre l'encolure d,e son pelit cheval à longue crinière, qui filait, rapide comme le vent, Eva se 1'otoo.rnuit parfois pour narguer son mari demeuré à une
quinzaine de pas ,en arrière, Mais bientôt, l'explorateur
activa l'allure de sa bête, il parvint il la haut,e ur de
,sa comp agne, QU:lnd ils se ,s,entirent las de galoper de
conserve, ils s'arrêtèrent nel, et Eva laissa échapper
un éclat de rire ...
- Allons ! ... Tu es encone un cavalier pr'ésenLable !
s'exclama-t-elle en essuyant d'un revers de main les
goulles de sueur qui perlaient sur son visage hâlé par
l,e soleil du déserL... .
- Assez plaisanté 1. .. Il s'agit maintenant d'être
sériel! x !...
Prançois sc dressa sur ses étri,ers, puis meNant BU
ma-in à la hauteur des tempes, il inspecta {lltenlivl'ITI'Ül1t
J,~.~ envir·ons. fis s'étaient rapprochés du Khan-Oula qui
dt'oCsmit i:t quelql1es mines seulement ses cimes majrstueuses ... Des pislrs serpentaient à r~el1 de distan,ce ...
Un point bbnc qui <;e détachait Sl11' le rond roussMre
des sablo(!s allira tout dc suite l'all.cl1lion des deux.
l'poux ... C'élait un squeleLle de chameal1, depuis longlelllp~ nettoyé pal' les rapaces du déserl ...
Cet'te c lrcas~e ne provoqua pas la moindre émotion
chez les dC'lx Français. Ils élaient habitués il en rcncontrer c!'innolllbrabl,rs au cours de lellrs randonnées
le long de la pis!,e des caravanes. Pourtant François
lais~ ,1 échapPN bientôt lIlle brève exclamaLion.
- Que sc passe~t-il donc? interrogea \Sa compagne,
surpris-c ...
- Heg'lrde, h-iJas ! ... r.es lloinLs noirs dans ],e ciel!",
La jeune fe1llme S'elll[H'1C~Sa de regarder dans la
�8
L'ENTEnnÉ
VIVANT
dil'ection CJlle lui dési'gnait son mari. EUc s'iItJmobiIisa
pClllhlnt quelques sec o ndcs, puis hasarda:
- J'n])crçois Cil cfl'et dc nombl'cux points noirs ... Cc
son,t vraisemblnblclIlcnL là d cs corbcaux 1...
- D'où nOLIs devons déduire que la prés,ellce de crs
rapaccs est unc, soit à J,a prés,cn c e <l'un cndavrc
d'homme ou d'animal, soit :'t celle d ' uJl camp abandonné dcpuis peu par de,~ caravnnicn; 1
- Si nous allions pOllsser unc pointe là-bas?
llasnrda la jeunc femme intl'iguée ...
- Gest ég:lleilllcnt mon avis 1. .. En roule 1. ..
D'un COll1JllIlll accord, les d e ux époux firenl s'éhran1er leurs c,hcvnux. Pcnllan'[ 1111 ].ong moment, jls CbDy;1'tIch~renl dc conscrvc il travcrs la "<1s lc é,liCnllluc
~;abll)nJlclls,c ... Le soleil implacable sc réverbérait loujours ~111' les dlllles légùl'cllltcnt on'ùulées, pourlant les
FI':lllçais nc prêlaient qu'unc asscz médiocrc aHcJ1'lioll
li cc décor qui ICllr élait dcopllis hien longlemps fnmiJi.el'. LClI1s regnl'cls s'nllard:ücnt surlont SUI' lcs poiJll~
noirs de pIns en plus JlOJl1br~ux 'lui cOJl'liJluniN1L de
l1':1('CI' cIe grands ccrcles c1:lIlS le ciel...
Ils sc rapproc!Jaienl ,des JllOnl:l:)I1,es clont les flancs
l' ocaillellx {~' l tléchicJllC'lés desc{',n(1alcnl jllSfjU';lll d(,~'ÛI'I,
'((lllllld Franç()i.~ oJ'C' péra, Jc l'remicr, un minlJ.~culc ]Joint
noir <lni /;c délachniL :'t la slIrf:lce d,cs sables. C'é~:lit
:lll-tlessn .~ de lui quc toul'lloyrlicnt les OiSC;lllX ...
- C'est singulier, fit la 'j eunc fcmme ... Qu'cst-ce que
(,cla pru1 hic n [,ll'c '1
NOliS n'alloJls priS lardcr il le slHoir, lC'j) :wtitt lu
Franc;nis, En av:mll...
Ils l:\lonnèreul ,d e nO\lvcan lrllrs COlll'sirrs rlvee
Yi~~lJellJ', A meslIre qu'ils :lIJlprochaienl, ,ils ])o\lv;licnt
crHlsl:ller (lile ],eu]" :l']Jp:ltj'ljOJl llwll:lit {',n fniloe bon
(le corbc;lllx qui s'étaienl pos':') loul olllon!'
de l'uhjrl (>lr:lI\gc qu'iJ .~ n'av:lir '!1,1 ']l11 crwonc i,dentillcr.
Cc fnt Eva qlli, ccth~ foi'), eOll1pril l'alrtH'IC r{';1lilé :
- . Mon DieH 1. .. s'('xclallla-l· e]Jl', )lcndnnl 1]11(' liOn
cheval JiJait ycnrll'oC à ICI re ... C'c~l Ja Il'lc d'ull hOllllllC 1. ..
nombl'l'
�l.'ENTEnM
VIVANT
C'élait la tête {l'un homme en cIT·e't, mais non point
une tête coupée, et Françoi's 'Put se re,n ùre comp,t o
qu'un malheurcux avai,t été ,cnterré là, seule sa tête
émcrg,c alt du .sol, let c'était autour d'elle que voletaien t
lcs rapaces qui üontinuaient d'amcuJ'.s à exécuter de
grands. eoercles dans le ciel...
Parvenus à quclques 'Pas scukment de l'cJ1{1roit où
l'inconnu ùemeur:lÎl enseveli, les (Jcux époux sautèrent
rapidement à ·b as de lcurs mOJ1otmes. Quelques corheaux ,q ui s'aUar.daient enc,orc dans leur voisi.nage
immédiat, s'envolèrent il J."oCgr€t .. Et d ,éj:\ Eva .s'agcnouillait U1I1)rès du J1Jalheunellx ùonol ],e visage émacié
~lpparaiss::dt, cl1sanglnn'lé 1)al- l,es coups ùe bec que l'u i
avaient fléjù port.és les rapaceS ...
- li vit 1... s'excl:1ma-t-ellc en voya,n t s'entr'ouvrir
les v:wpières (lu sUP'P!icié qui l:lissait flllr,er ...'ers clic
un léger regard, C't qui la conleml)]:ül fixement, commc'
dans un l'éve,.,
CHAPITRE II
nÉl'OUR A LA YOUR'I'E
Fr.'lIl(,'ois put 5C rcndre compte que le sahlc avai,t Hé
Ioulé par llcs pieds ,n ombrcux touL :luLOUI' de l'enterré
,'jvnnl. .. Des ,e mpreintl"s odc chevaux sc des,si,n"icnt
également lin pell })Ius loi,n, mais pOUl' l'instant l'cx1>!oJ'alrllJ' négligea ccsconslalalions pour porler t;e~olU.<;
a l'inconnu. Por!:lll't la J1lnin an bidon de· :rhum qu'H
('Il1\>IlJ'!:lH toujollrs av,cc lui, i] prit le ~'écjopj{'nt, Je
débolll'JI'1l >et 1':lJ>ploehn des lèvres 1111 mnlhcurCIlX :
- Buvcz 1. .. Nous nUons vous \J,éHvrcl' CIJSUÏ11C .1 ...
�L'ENTEnRÉ
VIVANT
L'homme remu,a faiblement la tête, il bu'l uvidement
trois .gorgées, puis 'p oussa un profond soupir. Uu collier de barbe noire encadrait son visage buriné par la
souffrance, ses yeux clairs élaieut entourés de larges
cernes noirs. C'était, à n'en point douter, un Europben ... D 'ailleurs, Eva ,et François furent <tout de suite
fixés sur sa nationalité 'quand Ils l'entendirent qui leur
murmurait, d'une voix il peine perceptible:
- Thank IloU ! ...
Les deux époux parlaient l'anglais aussi parfaitcm~nt que leur langue rna,ternelle :
- Patience! Nous allons vous secourir ! ... fit E\'a
en nouanl aulour <le la tête de J'inconnu un foulard
pOUl' le protéger contre les aUeintes des 'r ayons ~ In
sol'eil. Se munissant de leurs couteaux, ils sc mirent il
creusel' l'un et l'autl,e lont uulollr de l'enterré vivant.
'Lu terre ayant été fraîchement remuée ne leur opposait pas la moindre résislance. TJs parvinrent ainsi, en
moins d'unc hClll1e tl'Ull ,travail soutenu il Iibérel' <,I.e
son tombeall le supplicié. Ce dernier penchait la tête
maint e nant, les p:wpièr,es closes. Incapable de résister
plus longtemps, il avait perdu coonaissnnce ...
Enfin Eva ct François curent creusé assez fortement
pOlir dt·gager l'infortuné de la fosse. Le Français l'e
soul'eva alors sous les a,isseIles, puis l,e dégagea uvec
l'aide de sa compagne . Cette dernière ne ')Jul répl'imcl'
une exclamation horrifl6e quand elle s'aper~~ul de l'état
dans I,e qltcl se trouv:ül l'inconnu ...
L'enterre v,ivnnt lIC porlait pOUl' tout vHemenl qu'un
simple cal,cçon de toile, mais SUI' son tOI'.~e !lU, de !;
raies sanglant,es apparaissaient. Il a,laildù être tortur!::
avec une elTroyahle sauvagcl'ie avant d'être enseveli
par S<es bourreaux. El tandis qu'ils l'élendaiell't tout
doucement Sl1l' I,e so l, Frull\'ois ne put s'empêcher <le
&onger aux déclanlliolls si optimistes de 1(011 mal' J
Mongol.., La dramatique découverte qu'il~ venaient de
fai ne, démonotrailde façon prohan tc' que le~ al'entour.'!
(llaielll fréquclll('s pal' (les bandes de hrigands Iran.)
�L'ENTERIte
V IVAN'.l·
aveu. Et, ùe nouveau, Je Français sc 6.en!i:l assailli par
,d'e ,n ouv,elles appTéhens,ions ...
Mais, ponr l'instant, il import,a,it avant tout de secourir l'inconnu qui pouvait succomber d'une seconùe ù
J'auJtre ,tant s'affirmait profonde sa faiblesse . Une fois
encore, ils 6'agenouillèren1 auprès de lui, 1andis quoC
François s',cfi'o'rça,u d'ouvr,i'r les mâchoires du supplicié avec son couteau, Eva tentait d,e lui faiTe absoTber
quclques gorgées fie WhUlll... Mais l'épuisem ent du
malhcureux pcrsistait. Ils ne r,éussirent ,p as à le .
ranimer ...
- Nous ne pouvons n'ous atltard,cr là plus lon,g lemps,
déchIra l'explorateur. n faut le Ifamen,er sous notre
youp(,c !. ..
La jeune 'fcmme acquiesça; soulevant l'inconnu j'n animé, ils lc trans'p o'rtèrent vers Les deux chevaux qui
aHendaient à quelqucs 1)as de là. François plaça
l'homme en travers de sa selle, -puis .il enfourcha sa
montul'lc, imité aussitôt par sa compagne. Leur chevauchée r,e prit, cn sens inverse celle rois. Dé,<;us par l'in~el'v('nliol1 des nouveaux venus. ,qui leur ar,r achaient
lcm }lroj,c, ks cor'b eaux continuaient de voler dans le
ci-c) Cil poussant d,c lugubrcs croassements ...
Ceri cs, lc chemin dll reLour t'nt accompli dans tm
t·tal d 'esprirt assez dilfércnl ùe c,elui que les deux éP011X
l11anife.!>taient fi leur départ cn reconnaissance. Cette
~ ' e l\c()ntrc inaLlcndue :llI'torisait évidemmcnt ],es pires
~oupçons, et Fronçois sc r::tppelait l'aWLude de son
eu id,e c'L li'CS ::tffirlllaliolls qUoi conlrast"ient si fortement
av,cc J.a véritable situation.
Le savant n'avai t priS Cll le temps d'examiner longu,cment les traces (lui se rlétach::ticnt sur Je sol; pour~an~ , il put fair'e une 'r ap,ide constatation, c'est qUle ces
(;1Il11l'l'illl(;S dcs chevaux étaient toutcs fraîches; de
plus, ' l'é lnt Ile l'inconnu démonlrait qlle ses bourreaux
dai,cn'L 1Jar tis p CII de tcmps nvan4 l'intervention dc{)
deux Fr:lIlç'ais ... !:li ces derniers avaient tard~ d'ull
�12
L'ENTERRÉ
VIVANT
quart d'hcur'e à peine, tou,t incita,it à pense.t: cn cff'e t
qu'ils n'auraient décou v,crt qu'un cadav're ....
Fra'nçois ,et sa compagnc n'échangèrent qu,e quelqu,e s
monosyllabes sur le chemin du l'(!lour. L'un ct J'aulre
se sentaient accapar,é s pa'r l es mêmcs craintes. L'appa~'itjon d,cs bandit.s dans la rég,ion ,qll'i1S ISe propo s ai,en.t
de trav erser avant d'atteindre l es pays civi lisés, consütuait UJl sérieux -écueil. Il j,eur ,fauùrait veiller étroitement sur lcur sécurité qui' pouvait êtrc à tou t
momcnt m,cnacéc ...
Enfin ,ils atteignirent I,c platc an. L'un dcrr,jère l'autrc, lcs chcv.aux sc mi,t'ent à gravir ra'piÙ-COlcn,t Jc véritable chcmin d ,e chèvrc qui 'p ermcll,tit (l'accéd e r Cl.lt
camp. TJC chcval de F'ran~>ois, cn dopit de la d'ol1],1,~
chargc qui lui élait imposée, l1t preuve d'lIne c11duranC>2 .ct d'une agililé 'vér.ilublcmcllt l'c,I11al'qllJa>lcs ... JI
avait le pelage tout hlanc 'd',écUInc quand ,il s'ulTl'11 .. ,
Aup-rès ,de la yourte, lcs feux conlillliaient de brCI'1
ICI' ICI ],e .~ CO].OIl11CS .doc fumée de mon'ler v,e rs le ci'cl.. .
J ,cs dellx époux ,continuèrent d',uv<ll1crr . Leul' relour
~. :: rnblait provoquer ulle {;,e rlaiuc inqui é.tudc chez l'Curs
scrvilcur,~ qui soc lev;li ent -ct accouraicnt à leur rcncon'Irc .. , KOllmar },c MOIl'golnrrivait lui au .~<;i, ct :'t
,p eine François -cut-il lIIis pied li tlcrn~, quc lc gllidc
s'approcha, ct, lui désignant l'inconnu:
- Qui ~st cd homlllc, maîtrc 'Z
- Un maibelll'eux 1... !rcpartit simplement l'explornl,cur ...
Le Fran'çais put surprcn,c1re le léger fron cemcnt de
sOl/l' c il qu'csquissait ù cc momcnt Ic Mongol...
- l~h Quoi 1 lui di,t-il, tu r slcs immobile ... Tu a:;
l'air soucieux '1 ...
- .l'e n'UÎllle pas b(>aucoup }.es ék:lngers, n1!lîtrc 1.,
- Eh hien. hl vas lIl'aÎd,cl' à porler œ Hlalh(,lIro~u'{
il l'il1lérielil' de la yourte!... QU'lllt li IOÎ, Ev;!. lu VU:I
lll'éparcr immédi atemen t la boi,le rie (l,harmacic. Il faut
a tout prix CJll.C nouq le tirioll f; d , ~ là 1.. ,
Koutnar 1)0(: x·épondit pas -cl ohéit tlocilemen'l à 1.'0r-
�:r.'ENTERIŒ
VIVANT
Gre du FJ'ançais, il 'priL l'inconnu sous les aisselles
~andi ,s que F,rançois l,e .soulev:li:t sous les genoux ... Tout
,autour, Jes gens d ,e la caravane sc p 'r ess:üent cndeu- .
.se 111 en t, observant k masque décharné de l'etranger ...
Une sourde angoiss c pe.~ait sur lous ces hommes quand
dIs ,conSlalai,enl l'étal ]amenlab],e de J'indivi'du ... Le5
51ries san,gJal1'lcs qui zébraient son torse leu!' t1émontraient qu',il avait clc <to'r lurc impitoyable ment... Et une
visible Slll'pell'r s'cmparairt de tous ecs in,digènes faci),cmenl impr.ess ionnable'5...
Mais u,cja Jes deux hOlllmes s'inlroduisaient sous la.
yourle avec leur vivan,l f,a rde3ux ... Ils 1'€lendirenl avec
préC:1lllion sur une cOllv,e l'lure, pui,s Eva s'empressa de
lui ])l'otl'igll,e1' tous .ses soins. Toul d'abord, il conveilait de ]):ln5e'1' les terribles plaies <Jui menapient ùe
lS'env,enimer. Eva }Jos,s édail un haume que lui avait
donné cell:lin chaman all cours de son avontui,eubc.
voyage. Elle s'cll1pressa ·clonc d'en enduire le torse
'lllcl1rtri dll malheureux. P,cJ1,clal1't cc ~ 'CJl)'pS, FI'.a nçois
et Koumar dcmcuraient immobiles auprès d'elle ...
- Si lu VCllX nùm croiroC, mailre, souffla le Mongol
:'t l"o'l~eille (J.c l'exploraleur, tn aurais mi'C'llx fai ,l de
laissr-r cet homme où lu 1'~1~ T,c ncon'iré ... Ce cloH êlre
un de ces brigands des ~Ieppcs venus ~In Nord ...
- Cet hOU111lC ('sl un malhcurellx; il sOlllIl'c, cela
mc suffit !... Ma ,femme <Cl moj ·nous mclIrons tout en
'œuvre pOlll' l'llrracher à la mOI' 1 ! ...
Ces pa'l'olcs f1lrent 1)rOllOncécs sur un tel ton que
J,() MOIlg-ol ,n'insisla plus, il ,~avait ql1e toute vhjocclion
">c hall·rlerait à la volonlé foerJncmcnl arrêté,c (le 6CI>
maÎlres. Il nll:lÏl sorlli r; quand François ·le l'eU'filt ~.Jar
)" llH1JlC,MC :
- Non, 'resl,e 1;\ !... Pl'épnre Je panscme'nl 1...
Force flll à l{ournm' d ' obéir. Et pr()n(lan~ un long
momenl Eva conlin'ua llc laV'N leI> Tllaies de l'jnconnu.
Sans dou'lc \~cs soins .s'affirmèren1-ils salutaires, car la
)Hlill'inc lIu sl1'pplicié sc soulevait à inlervaHes l'CgUlicrs, jJ luissa bl,cnlù-t éc.hapJ)er un ]oll'g soupir.. ,
�L'ENTERRÉ
VIVANT
- Courage!... Il va revenir à lui 1...
Le visage de la jcune femme s'éclaira ... Elle se rendit compt,e, en eff,et, que ses efforts inlassables étaient
couronnés de succès ... ,Les paupiènes du blessé s'ouvrif(mt, scs yeux clairs s'en furent de nouveau sc pOSC1~
.sur sa bienfail'ric.e ...
Tout d'abord, l'cxpression dn malheureux fut toute
de surpnise, il doutait de la réalité et se dcmandait œl'tainement qui pouvait bien être c,e tte voisin,e ... Une
fée bienfaisante sans cloute ... 'P cut-être vagabondait-il
dans un autre monde ...
- A boi·re 1 balbutia-t-iL.. J'ai soif 1...
- Vilc, Koumar, passe ]'outr,e 1. ..
Le Mongol s'.ex6cula, alors la jeune femme s'occupa
de faire ingurgiter lentement quelques ,g outtes au supplicié ... Gelte fois, il bu.t avidement, un furtif sourire
passa sur ses lèvres ... François saisit sa main amaigric
el la sena vigoureusement:
- Couragc 1. .. NOLIS vous Lirerons de là 1...
L'inconnu parut faüe un grand effort sur lui-même,
pllis il interrogea d'une voix sourd,e :
- Qui ê/.cs-vous?
NOLIS sommcs dcs amis, vous le voyez bien !. ..
NOLIS chcrchons à vous guérir ... Vous n'avcz rien il
craindt'c auprès dc nous 1. ..
- C'est vrai, 'rien à craindre 1 fit l,e blessé cu
secouLlnt l.cnlcmcnt la lête.
Il scmhlait quc le malheurcux dul sc plonger de
nouveau dans unc <complèle illlll1obiliolé, quand, 10ut li
coup, lin brusquo sursLlut 10 secoua toul enliel· ... Son
masquo inexpressiC se contracta ... Scs yellx clairs S'Ollvri renl démesurément. .. Il regardait par-dessus l'épaul·c
de François ...
- Mon Dicu 1... Qu'avez-vous? interrogea Eva qui
croyai.t quc Ic hlessé allait se trollver cn l>r.oi,e à UlloC
crise ...
- Lui 1... Je le reconnais!... bal1mtia-t-i1...
Le.s deux éPOUll se l'CloUrllèrent. ... C"!Lail Roumar
�L'ENTERRÉ
VIVANT
15
~ue
l,e bloClSsé c~nsidérait avec une telle insistallœ,
Koumar ql1i paraissait décidément avoir provoqué chez
~lli une impression considé'ra.ble ...
- Va-t'en, Koumar ! :fit simplement le Français ... Ta
présence paraH cxc,iter filcihe'llsement ce malhel1reux !...
Le Mongol haussa ironiquement les épaules:
- J'ignore pouu'quoi, maÎtI',e, déclara-t-il ... Koumar
n'est certainement pas bien terrible !...
- Sans doute te prend-il pour un autre !...
Le ,guide n'insista plus. 11 sorUt. Epuisé par l'effor,t
qu'il ,'enait de fournil', l',i nconnu retomba de nouveau
sur sa couvertnne. P,e ndant un mom('ut il pr{)nonça
des paroles (Jue François et son épouse .s'efforcèrent
vainement de comprendre ... Pourtant, ils se regardèTen,t éton'nés . La scène rapid,e qui venait de se jouer
il l'intérieur de la yourte, les avait profondément émus.
-:- Veille-le 1 murmura tout bas- François à sa compagne ... On dirait <lU'U s'assoupi,t. .. S'il dort, il est
l:iauvé !.. .
Ln jeune femme acquiesça d'un signe de tête ... Alor.~
le Français .sc leva sans bruit, d'un geste a-apide, il
souleva la toile qui pro'tégeait l'entrée du rduge ... Et
:\ 11eine se dressail -il sur ],c s'cuil, qu'une exclama:IJon
lui échappa ... Un homme était là qui &e penchait,
prl'Hu1l l'orellle, ct cet homme n'étaH autre que
}{OU1113r ...
- Qlle fais-Ill là ?
Le Mongol sc redressa hrusquement ... François avait
fait si peu doC })nlÎl en so,r lant, qu'il 'ne s'était pas
aperçu de son :tpproche. Pen lIant 9u<clques instan1s,
c'mbnrrassé p~lI' l'altitude de son mallre <lui le consi11érai L nvec d,cs l'('gn rds empreints d,e méfiance, il s'immobilisa .sa'ns mot dire .. ,
J'écollt3is "i l'étrangel' parvenaH enfin à parler,
mnHre. ropondit-il.
- C'est ))on 1... Va rejoindre les aulres 1...
KOIlJll:1l' s'éloigna au pIns vite. Immobile devant la
YOlll,lr, Franç'ois l,e regarda .~'éloignel', le front plissé,
�16
L'ENTER~
VIVAN'l'
le visage i,n quiet ... Les allures du guide commençaient
en effet à llbi susoHer les plus vives ap'pr,éhensions.
L'émotion provoquc.e cbez le Mongol par les quelques
paroles prononcées pa'r le su'p'p licié autorisait bien
de.~ soupçons, et le fai,t que Koumar fût d,emcuré là il
épier démontr,a i't qu'il n'avait pas la conscience tres
tranquille ...
- Il faudra que je y,eme au grain, se «ht Je, s,avant...
Pourtant la situ:ltion ne m a nquait pas de préocc upc!'
forL!1me·nt Je Fr.ançais. Si le Mo'ngol cherchai't il le
trahi,l', s'il .était de c·onnivencc avec lcs hanrks d,c brigands dont il avait toujours nié forme ll eme nt l'ex islence dans ces parages , les pires C{)mplication.5 dcm,curai,eru! à redouter ...
Cependant Frallç'oi,3 ne la,i s~a rien 'Paraîtrc de ses
craint,es. Il .~ 'cn fut vcrs les {cux dc bivouac, C:r.hr1l1gea
qUoClqucs mots avec socs ·gc ns, s'assura quc les bagngcs
demcuraient 1011jours en p!ace.
- Tu feras hicn 'de pO ~lt,cr d,c ux scnti nelles arll1re.~
de cambines, l'N'o,tnlllanda-t-il il KOlllllar ... Le:l piste,
cruc nOlM avons décOllVCl'lc .~ , ce matin, nOLIs engagent
à redouhf.cr de vigilance 1...
.
Et cOlllmc le M'D'lIgol a,~!;lIrait encore qll'c Ic pctit
groupe n'avai,t ahsotulUenl rien ~t crain,dre, le 1'1':111p,is ~é'Pondit d'un ton qui iI1'admcttait poin·t de
l'éplique :
. .le noC ti e ns Ilullement il '~lLhir Joe ml-mc r.ort que
le malheul'cllx quc nous vCllons dc l'al1l.('lIer!
Son insp{' c tion lerllLiné c cL s'cs pré cuu'tiou,; dc sc:rll!'iLé lIne fois :lITêlc:es, Fl'an ~:() i ,.~ rc:inL('g ra la YOll,..t,c ...
Eva sc trouvail toujours accroupic :lll'prh du hlcss{'.
Il .~'aperç'ut a!()r:; qllc !'inco nnu c'tni,t de nOllvetlll
évcillé, .~cs yeux grands ouverts s':wrêtaienl sur la
jellne femme avec une exp/'cs.<;>ioll dc rccounaissa n,'ü
infinic ...
- Allons, Dieu soit loué!... Je croi :; <[u.e nous Je
tirerons ,de là!...
L'inconuu comprit ces 11(\rolc.1 que l'exploraleur
�L'ENTERRÉ
VIVANT
venait de prononcer en anglais ... II redressa faiblement
la lèle...
.
- On dirait qu'il veut nous parler? hasar.<fa Frall~_
çois,.,
- A'Pproche-toi... Il fait « OUll :. de la tête !.. .
Le savant suivit le conseil de son épouse ... Il se
pCmch.l à c{neur,e r le visage tourmenté de son pr·o>Légé :
- Eh IJicJl. que voulez-volis dire? dema.nela-t-i!. ..
Le hlessé fit un nouvel errort sur lui-même, sa main
(lée!harnée s,c posa sur le 'Poignet du Fran.çai·s :
- Gct h0111l11e ... Ce Mo-ngol., 'qui éta.it auprès de VOLIS
tout à l'heure? hasarda~t-il dans lin souffle ...
- Cet homme n'cst anü'e que not're guide, répondit
François ...
- Prenez gard,c !... Cet h0111 me est Un traître !...
l'épondioL simpkment l'inconnu.
CHAPITRE III
1'IIAlIISON
t
Epllis6 par la révélalion qu'il venai,t de faire,
j',h omme s'élai·l de nouveau ,éLcndu. Fran · çoi ,~ ct sa com~
pagne échallgèrent un r('~ar,1 chargé d'inquiétude.
L'('xpl()ral'~ur sentait ses soupçons se 'pr6ci8'::I', Il s'ex]Jliquait l'aHilude de ,plus en plus susrwcte du Mongol
(JcJluis ([u'il uvai·l ramené le supplicié Il la yourte ...
l'OLJl't1llt il s'cfi'orça ,d'olJlcnir d'autres détails:
- Pal'l,('7., au nom du oiel, fil-il. .. COn1l11ent pouvcz~
VOll~ savoil· ...
-- A hoir,(! encore !... Après, i,e VOLIS dirai ...
Celle foi :,. ce fll'l le bidon d·e rhllll\que la jeune
felllllle tendi·t an IJ\e·s sé. Il hut à plusicurs 1'oC'j)l'isics,
�18
L'ENTERRE
VIVANT
pui.c! \lin l.é.geor sursaut le secoua, ses pommettes s'cmpourprèrcn 1, ses regards se finent plus brillants ...
- Merci 1... Cela va mieux... Beaucoup mieux!. ..
l\fai·s ('Cou'tez-moi maintenant. Il y va de votre vde !...
L'inco.n·n u commença son réci·t Mais sa faiblesse
tl.emeurait( Ielle qu'il dut s'interrompre à plusieurs
reprises ... Pr<tfondémenl émus, les deux époux purent
ainsi connaître sa 'Pitoyable odYllsée ... Il étai1 explorateur, comme eux, cl il .s'étaoit enfoncé il la découverte
à trav,ers les solitudes ·du Gobi, sa parfaite connaisl!anc·e des dialec1es des indigènes lui avait permis lout
<l'·a bord de se dirige·r , puis, penuant des mois, de parcourir sans inoident ces pays perdus ...
Un beau soir, Eric Salv,er, tel "tail le nom de l'Anglais, avait allumé un feu sur les pent·es de Khan-Oula,
quand des ombres surgirent dans la nuit. Des bandits
mon.g ols qui erraient à travers la ISteppe avaient repéré
sa pist.c, attaqué <le toutes 'ParIs par lme quinzainc dc
démons. jaunes, le malheur.e llx leur opposa une résistance désespérée, 'Illa,i s il ne tarda 'p as il succomber,
assommé par un coup de crosse qu'on lui avait asséné
sur la tète ...
Dès lors, J.c prisonnier dut \Suhir un lerrib],e calvaire ... Les' bandits le Ilépouillèrent ùe ses vêlemen1s
C't l'emnwnèrenl il dos de dlullleau, sous lÎn ~ol ,cil de
plomb ... Assailli par les mouches, Je dos zébré de coups
de fOllel dont les Jaunes le .gralifiaient de l('mp~ à
:lntre, Eric SaI ver ·t enta deux .fois de s'évaùoe r. JI fut
tout ue sui1c r.cpl~is, 1lcrpU dans l'imm.ensité des sablts,
alors, ses ravisseurs le soumirent, pour le punir, il
d'épollvan tables snppli ces, .j Is J'cnlcrrèren t ensuite il
l'endroit même où François ct sa compagn'e J'avaient
tl.écouvcrt. ..
Jusqu'ici, le savant ct son épouse ne voyaient pas
cillel rapport pouvait 1Hésenlel' la dramatique odyssee
de l'Anglais avec la dnplicilé tle Jeur guide. Ils n,c tal'ùèren t pas ,\ êl re fixes ...
- Mllis noire guide, J{oumar ? hasarùa Eva ... VOliS
�L'ENl'l!RRÉ
VIVANT
19
Connaissez cet homme? Vous avez paru l'identifier
tout à l'heure?
Eric Salver s.ccoua afIlrmaliv.emcnt la tète:
- J'étais, hier mati'n, ligoté auprès du feu des handits jaunes, reprit-il, après avoir pausé quelque peu
pour reprendre ses forces, quand un -caval.ier rejoignit le groupe des écumeurs du désert... C'était ce
Illl'me individu que vous avez auprès de vous et en
qui vous semblez avoir mis toule vott'e confiance !."
- Hier matin? C'es't vrai 1.., Koumar avait tenu à
pnrlir tout seul e n rcconnaissn noe ain.gi qu'il le fadsait
très souvenL,
- lt ne s'agissait là que d'nne man.œuvre que le
coqu,in esquissait afin de mieux vous tromper et de
comploter votl'e pert,e, car votre pel'te est actuellement
déc idée !. .. Vous avez été vendus aux bandits par ce
trallroû 1..,
Eva avait préparé une .tasse de t,h é bien sucré, de
'tcm ps à autre elle faisait hoine au hlessé 'lme gorgée
du hienfaisant bl'euvage .. , Le cœu'r é-treint par une
inquiétude de plus en plus grande, eHe elüendait les
explications que fournissnit son protégé:
- Votre guide s'est appl'oché du ,fCll ... continua le
hles~é, Je connais sUffiSamll1ent ],(l dialede mongol pOUl'
comprendre qu'il dénonçnit votre .présence, il aÜ{)lltail m(:ome que vos autres servileur,q lui demeuraient
Itout acquis, ,ct qu'ils n'attendaicnt qu'ull si,gnal <le lui
pOlir triompher, la nuit prochaine, de voire résIstance
et vous tenir ensuite il leur complète merci 1...
Les deux FI'nnça,is écha'ngèrent un nOllveau coup
d'œil. La situation apparaissuH décidément plus grav,c
~ncol'e qu'il ,~ sc l'Maient lllla,g ille tout d'abord. Jusqu'ici, ils <Ioulaient seulement de J(oumal', et voilà
que ces ,'évélations lelll' fournissa,icll,t la preuve écJutUlüe qu'ils étnient trahi~ par ces indi,g ènes enVCt'S qui 1
ils.'j'eUli.cnt montrés loujOlll'S généreux et bons .. ,
- Quelle puissun'ce de dissimulation ont oes Ja~,llcs!
�,~o
L'ENTERRÉ
VIVANT
s'exclama la jeune femme indignce ... Nous ne nous
\Sommes 1)3S imag,inés un s,cul jnstant.,.
- L'attaque d,cs bandits <loit avoi'r ]i,eu au cours de
la I1llÎt ]Jrod1:li ne, précisa l'Anglais ... J'ai compris que
voire guidc devail vous faire abando,nne'l' le plateau au
.cours dc la journéc, .ct vous emmcnCI' camp,er al\ bord
du lac ... C'cs,t alors que vou,s ser.cz 'p lac&s ode tcllc faç 'on,
t()alls un enllroit dén'udé, quc toulc résistance vous s,cm
Tendue pratif)utemcnl ûm]lossihlc 1... Ensui,lc, le traître
!Cst reparti ... Sac'h ant volrc présence, j'eusse donnc tout
au monde ]lour vous avcrti)' du tcrriblc danger <lui
VOliS menace, mais je mc 'Lrollvais é-lroill.:! /Ilcnl garolté,
ct mcs forces dMailJanl,cs ne m,e pe,rmcttaicnt pas
d'agir ... D'aillcnr.5, ces coquins ont chcrché Ù ISC tléharJ'asSl(~r ,<lc moi ode la façon fluC vous S3V-cZ L" Si vous
n'éliez inlervenu, je succomba~s Ù bl' èv~ érhcance ...
- Commcnt vous .exprimer nolrc gl·a.!ltulle !... VOliS
nOlh~ sauvez à votrc tOllr 1
L'cxploralcur ,~erra v i'goureus,cJl1ent la ma i n <le l'An,glais, il .sc lcvait déjà quand le ,b lessé lui 'd cmanda :
- Où allcz-vous '!
- Mais (lémasqucr tout ll,e sl1ittC ces misétrables t
reparUt Fr3n~·ois .. , Vous Il'int:tgi,ncz tout (J.c ml-llIc pa!>
(Juc jc v3Iis la,is.~cr sc prolongcr un IcI éla'l <lc c!tos('s 1. ..
- Au nom ,du ciel, n'en laites rioell, conpa Eric Sal~
v,cr ... C'est di'jù trop qllc mon élolln>cmcnt nil é\'(!ill{'
)a mé/l.mct() dc v'otre guidc 'lui m'a ('cr,laincment
reconnu 1.. , Jusqu'à nouvel o rr}l'e , ces .lnlll1<Cs d()i"cn~
jgnorcr G1IIC vous êtes désormais édillés il Icm égard 1.. ,
- Nous n,e pouvons ponrlant ]);1S nous lai.% cl' capturer 'Ol1 massacrer .. ,
- Ccrles, mais ,ces Jaunes c]1cl'chrnt à vou,," JIlanœl1vl'er ct à 1riomp,h er dc vous par I:t 1'l'aÎ Il'j~c cl la
l<îchdé .. , POUl qlloi ,n e Ics cOJllballl'j,ez-vous pas, de
vOIre côlé, p:n' la J'lise 1...
- Mais alors, CJuc faire, C)ne tcnlc!' 1...
- Avnnt tic vous jnslnllrr il l'endroit mt'me que
voIre guidc a choisi, :vous Lrouv,C)'rcz ccrlain,cllIenl un
�L'ENTERRÉ
VIVANT
21.
pré1cxle pou·r VOUS déroober ct pOLIT éviter l'irrépa·
rable ...
- Pcrmoellcz, cela équivaut à fuir honteusem.ent, à
~ba:ndonner nos J)ag.a.ges ...
. - J,e ne vois pas d'autre alternative, coupa l'An·
gluis ... Il me semble que vos exist'e nces sont pJ.u.g chères
que tou·t oc que vous pouvez 'l'apporter du désert!
II .'YC fit Ull court silence à ]'rintéri,ell'[' de Ja yourbe.
François et Eva s.c scntaientalleH,és il la seule pensée
'qu'il lelLr faudrait aba'ndonll,er le {rlli,t de JCllrs longues
,reelterr.hes; 1outefois. ·d·e vant la gravité de la s·i.l.ualion,
ils comprirent le bien-fondé des déclarations d.e le ut'
])l'otégé, ·aucun·:) autre solullon ne pouva.it évidemment
(··trc IrOllvée ...
- Nous emp(}rlerons Ics plans da'ns nos sacoches,
fit cnfin t!'explor.a teur ... POUL' le reste, :\ la grâce lk:
1).i cu!. ..
Eric SaI ver s'était arrêté, ,épltisé 'Par l'eITOt't qu'il
y'cnuit dc fournir; pencl :wt u·n long- moment, il demeura
immohik. ll1:.tis sa l'oC spil·:t·lion sc faisait moins sifflanle.
Eva rI Fr:tn~··ois él u,icnt stî·rs, dés o rmais, dl!: le " iret'
~Ic lit. Alors, rapi.dc lll ent, lan,di,q 'qu'il sommeil.lait, lcs
(\f'llX {'poux ar['(:~tè l'cllt Icul' pbl!... Hi.;!·n ne serait
changé it l'ltot'air,~ du départ, on lèverai·t 10 camp
Commc il avait Hé prl~vll pUl' Koumar ct le.q c:u·uva·
nicl's, c·ns·uilc, CjuUI1(i le gr'oupe aurait alHlndonné le
}llaleau pour I;'·engager à travers la v:tslc 'Plaine con·
<luisant au J)j ~ l'atnï - l)ao"assou, )eq dcux Français pré·
If'xl,crai'c nl ulle recolIll:.Ji r;s.tllce pour s'éloigner au plus
ville ... Et COIIIIIIC illl (li :;posui C'nt de dcux chevaux d.e
JJ,H. ils cllll1l(\ ncr.;Ji.cIIl avcc ,cux l'Anglais ..
L'exploralcur cl son épOll'i<C .<l,nIII eUfl\loCnt cn elTet
fCl'lllelllellt (Iécic!és il sauver leur prolégé ... Une seulc
npIJrl\!len"iOIl Icul' re s tait, c',esl que I,e malheurcux ne
!Jùl les suivre jusqu'au boul, cn raison ùe son cxtq'êll1c
'fitihles!)c. Toulcfoi .q, ils persislèrent dans leur av,enlu·
l'CUY.. proj,et. .. Au bout U'Ull momcnt, François sortit
de la yourte ...
/
�22
L'ENTEnRÉ
VIVANT
Tout scmblaitl calme sur le <pJateau. Les caravaniers
:préparai,ent les chameaux et commençaient de charger
,1cs bagages sous la surveillance du guJ<le: Dès qu'il
~perçlll Je Fra·nçais, Koumar s'empressa auprès d{:! lui.
Le savant put surprendre il cet instant une certaine
anxiété sur le masqu.e du traître . Le Mongol se demandait évidemment quelles révéla lions l'AnglaJs avait
Ibien pu faire sur son compte. 11 .~e l'appelait rort bien
avoi-r vu le prisonnier quand il s'êtait ren<lu, la veille,
·auprès des bandits pour organiser a\'lCC eux sa ]1erJide mu .. œuvre ...
- Ce pauvre homme a Jlerdu la raison, déclara simplement François en dési.gnant la yourte ... It nous u
nlconté des choses extravaguntes ... Maintenant il dort! .. .
Un sourir,c 5éltisfait épanouit la physionomie du
guide:
- Koumar a bicn vu que cet (-tranger avait la folie
SUI' son visage .. , Tu ferais mieux, maître, de l'aban.lonner là sur le plateau 1... Il ne p.cut être pour nous
(lu"un-e cntrave 1. ..
- Qu'importc, nous l'emmène-l'ons jusqu'à Dinkol1 !...
Là-bas, sur le Hoang-Jlo sc trouve lIl1 couvent de ltlisl'Iionnaires ... Nous le confl<crons il ces hr~1VCs gens ct
nOlis ncJlèvcron~ notre vOy~lg.e ...
Le Fran~-ais s'arr('ta ]Jendant <Iuelques instants, puis
il reprit en regardant fixcment Je guide:
- Les pisles <les brigands jaunes que nous avon~
:repér.ées, ma femme ct moi, m'inquiètent... Qu'en
Jl~nscs-tu, Koumar '1 Ne me ùechlrais-lu pas, jl y n
quel<lll{,s heures il peine, {lue nOlis n'avions absulument r,icn il redouter pOlir noIre lIérurill' '?
- l{ounHlr sail Corl bien qu'il !o.'agil Iii cie bnndil<;
ISnl1S importancc. C'cst Ù 1lcil1<C s'its .sont tme quinzaine ... Dnns ces conditions, commcnt '·'CllX...tU qu'ils
nous attu<jllcnt '1 .. ,
- Ils sc Bont certainement :11H'I'ÇUS de noire ]Jr(·lSe-ncc ... Ils ont VIL }.es ,fumées .ue /lOS fcux SUI' le plateau 1. ..
�L'ENTERRÉ
VIVANT
23
- C'est pflobable, maîlre, mais ces bandits doivent
être des gens inlelligents et non des démenls comme
l'étranger que tu as si complaisamment recueilli... Ils
ont rélléchi en repérant nos trac,es que nOlis sommes
plus nombreux qu'eux .et bien armés ... Dans ces COIld itions, j'imagine qu'ils hésiteront avant de hasarder
la moindre attaque ..•
Et le Mongol de conclure avec un clin d'œil satisfait:
- D'ameurs, nous n'avons plus que deux étapes il
franchir aV~1I1t de parvenir au Hoang-Ho 1. .. Dans la
vallée, lu n'auras plus rien à craindre car la polic~
~Ies l'oules ct ucs pisles s'y trouve heaucoup mieux
organ isée !. ..
- Tu cs un guide hahiloc ct sûr, Koumar 1...
Le Jaune parut très flatté du compliment, il. S~
déparlit quelque pcu de SOIl ill1passibilil~ coulumière
ct le Français. quilis:lil clairement clans son jet! mainI,ennnt, comprit qu·c ses craintes récenles s'apaisaient
tou't il fait. Le misérable se dj~ait en elTct que son plan
criminel pourrait êlre réalisé sans illconvénient
aucun ...
- Parlons-nous tou jours à l'heure fixée, maitre '1
interrogea-t-il...
. - J,e n,e vois pas pourquoi nous changerions notre
lUnél'aire, repartit François. NOLIS quitterons le platle au dans une h eure au plus lal'd 1. .• Avertis les autrc.~
qu'ils doivenl plier la yourte 1...
l(oLlll1ar ne sc lit pas répét,er l'ordr·e, il s'en fut ver.~
les gens du groupe, multiplianI les appels. En quelques instants les .Jaunes s'affairèrent, la tenle ful
d('pliéol', les bagag.('s assuj.ettis aux chameaux. Ce fut
l'agitation hnhiluelle des déparls.
François s'occupa de faire seller un des chevaux de
hât (IU'il dcstinait à Eric S::t1vcr, il s'assura ensuite
ql~e I·cs carIes qu'il avait tracL'Cs ct <lui lui avaient
demandé tant de peine ct de faligue se trouvaient
'.Pliées soigncusement dans les fonloes de sa s<eUc ct
�L'ENTERRÉ
VIVAN'l'
de celle d'Eva, il prit soin ensuite de rassembler ùes
vivr,es ,en quantité suffisante ...
L'Anglais était toujour.~ dans un l'laL 1)i!oyahlc quand,
une fois la yourte enlevée, il fallut le hi~ s el' sur lSon
cheval, on dut l 'attacher solidement; toutefo is, par un
aùmirable prodige de \'olonLé, le malheureux demeura
droïl en selle. Ji s'en fut se placer enlre Eva et son
mari ...
Un COllp de sifflet strident rle ]{olllllar donna le
\~ignal du di·part. Le 'petit woupe s'l-brnnln. D'ahord les
cavaliers; le gui tIc Oltvra:t la marche sur lion alezan,
puis venaient les trois Européens, cnlln les rhamenux·
-el leurs conùllcleurs qui s'éloignaient ù la llle, lente-
mcn t ...
- Où rompt,es-tu camper? interrogea au bout d'ull
mOll1ent Fr:Jn~'ois en 'rejoignant KOlllllUI' ...
Le 1Iongol étendit la main cL désigna la large nappe
du Djerataï-Dabassou.
_. Je cOllllais lin endroit aclmirabl·e au horrl tin 1nc ...
Lù-hns, nou') troU\(:J'ons l'cau nécessaire à nos
-besoins !...
- Le lieu Ille parait remarquablement hien choisi ...
Mais .allpar~1\'ant, je tienùrai à pousser ulle reconnais,~allce 1>111' nolrr droite ...
Le savant désigna l'ént)l'lllC m:l,'~e J1lonlagn'Cllsc do
l'Ala-Chnn qui ba\'rait J'hOlÎzon du Sud ... ]{OUllHll'
hOcJll1 la tète:
A quoi bon le falïgucr ... 1..'(:1:11)e de tlc'lll3in sera
longue 1...
- Qu'importe L. NOliS 'p:\l, til'()n~, ma femme <,1 moi,
cl l1/}ll~ serons rie T,ctoU\' au cnm}l ovanl k coucher du
~okT1...
])e \.clics ~lSSlirances trnn(Jl~ill.isl:ren~ 1lndailelllcnt Jr
Mongol qui poursuivait toujours la l'(u~sile rie .\On Illan
'Cl'iminl·1. 1'OIII'I:1I1t il pHut .~'t"lollnl'\' <juclf)lle 1)('11,
quand l'Anglais, qui chevntlC'hail silcnl'Ïcux, ('nlre 1iI .~
deux FI·;lIl1.'ais, J1Janift·sl.\ le Msi!' (Ille ses .Itux COIll!)USIIOIIS ]'emnH'nasscnt...
�L'ENTERRÉ
•
VIVANT
25
"- Dans l'état où vous vons trouvez, vous ne pouvez che\'aucher bien longtemps, objecta la jeune femme
pour la l' o 1'111 e .. ,
- J'ai réllcchL ... J,e ne v_eux pas aller jusqu'au lac,
Jnsista Eric Salver ... Je VOLlS indiquerai 'lm enùroit où
vous me laisserez!... 11 sc trouve à cinq milles de là
en direction ·de l'Ala-Chan ... J,e s.ens que ~e ne pon:rr.ais
aller plus loin !...
l{ol1J1Jar rcs'pirnit ùéoi{lémen'l, H ne se senlait pas
fâché de sc sbpnrer de cd homme qui pouvait I.e
dénoncer d'un instanl à l':lllh~e, dès qu'il aurait recouvré sa complète luci·clilé ... 11 ·n e présenta d onc pas ].a
moindre objection, quanù FJ'anç'ois 'lint à fai re présenl d'un des chevaux ,de Lît av-ec des Il'r ovisions et
'd cs munit,iollS à son comlHlgncn LIe renconlre ...
- V,cille hi,en sur les bagages, 1{oumar 1 recommUll(la le Français avant de s'éloigner ... E! si jamnis
des complications sUl'venaien'l, allume le feu 1... Nons
apercevrions de très loin la colonne de fum6e eL nous
v.icnd,rions à la -r,cscousse !. ..
- Tu l'leux compter sur ma vigila·ncc 1... Tu seras
renll',é aV;1I1! cc soir, maîlre ?
- Avant rc ~()j ' r ! ...
LI' MOlIg!)1 ré]ll'ima difficiJ.cment 11n souriI'C. A la
J'l,ncxion il s'e.~ljJllait sa'lisfail de ce tlé'par!, (Juand les
deux Fr;lI1(;:1is S'~l1 Teviendr::l Îent, ils senlÏenl fourbus,
11'111" résislnnce an cours doC l'~ülaqtle Il,(' nuit s'affirm,e1':1i1 'llone infiniment 1l11lS prohlélllnliqlle ...
- Al ors, :111 revoir !... Nous nOliS rC'lrouveron.s SUl'
la rive .tll D}cralaï-Dahassoll 1. ..
Les l'fOis cavaliers n'insistèrent lllll~; s'écartan.t du
Hl'ouJle des challJocJj,ers, ils ohlilJllèrent délibérément
VoI'rs la dr oi le. Les drux Français :waienL le cœur serré
Cil sc dél'ohanl :linsi, mais ils comprenaient! bicn qu'ils
nc IH11IV;Jipnl !rOllVle!' d'aulnc sollliioll ... L'intervenlion
lll'OvideJlliell1' ·d'Eril, Snlvcr Jrli'l' évilait tic IH) débat'lre
à hrève écht'ance dans tille .situation salls issue ...
�26
L'ENTERnll
VIVANT
CHAPITRE IV .
PÉRILLEUSE nETR\ITE
Tout d'abord, les deux homm~s .ct la jeunc femmc
s'éloignèrent à unc allure norlllale, ils ne tenaient pas
il évciller les soupçons des Mongols. Leur départ ne
d~vait aucun·ement ressembler il une fuite ...
VOliS sentez-vous plus solide 'f hasarda François
en sc tournant vers le blessé.
Ede Sulver acquiesça ... 11 avait pris un repas suh.' lantiel pendant que les Mongols prl'puruient Ic départ,
maintenant il sc sentait prêt à tout tente!' pour sauver
ses dl;)ux bienCaiteurs qu'il savait menacés par un tel'l'ibl,e danger.
- Tou va pour le mieux! déclara-t-il. .. Ne VOUq
occupez pas de moi. .. Ils ne se SOllt doutés de rien !.. .
C'est égal, à plusieurs reprises, j'ai éprouvé une Bériell ... e
envi.e d'ahatLrc cc Iraitre à COU» de J'evolver 1... Mai>
mieux valait t-crgiverser -cl llollnCl' le change à ces b:.IIIllits qui Ile valent pas mieux que IC .5 ~CualloClII'S {lu
désert... Ges d·cl'l1iers, au moins, attaquent franchement ct 1'011 n'a point à sc faire d'illusion concernant
leurs intentions!
A plu~ieurs l'l'prises, Eva ct François se retoul"lIèrent, leur petit ~rolll) pc)ul' ~lIivait Il'ntell1ent sa llL'rcho VNS 10 Sn.rI, ri('1l n'indiCJuait Cju'il se pas~ ~Ît Ftbas quoelfJuC chose d'anormal, ct que le,; deux Eul'op.éens, que J{oumar .cl ses :Jcolytes s'app,'êtaicnt il ("'{lturer cl à ,'ançOl\lIer, fussent en Irain d'exécuter tille
p"udentc rel raite ...
Ali bout ·d'un moment, J'Anglai.s manifestait un·:! si
proCond,c faiblessc, que François sc décida il le prcn-
�L'ENTETIRÊ
VIVANT
27,
:dl',e avec lui et il le placer .col1l,r e l'e'l1coluroe d'e lSon
coursier. Ils chevauchèrent ainsi, sc retournant fréqucmment; les mouv,cments du 1crrain les dissimubient maint~manl. Ils activèrent donc leur 1'epli en
,direction des monta'gnes, ..
QU3'n d la nuit ~omba, lc 1rÎ-o fit halte au pied d'lme
dune. 11 était temps qu'on se r,e posâL. Evitant d'allumer UI1 foCu pour n'être point sur'prilS ])al' les poilla.rds
du désert, ils mangèrent quelques biscui1s, bUI'ent un
'Pcu d'cau, puis sc couchèren 1..: L'Anglais SUl'tout avai 1
tgrand bcsoi'n dc repos, jl ,IJoe s'était sout,enu jusqu'ici
~ruc par un admirable effort de volon lé ... Coû1e que
ùoùle, il voulait ,éviter de relomber entre l,es main,s de
ses bourreaux qui ne l'eussent certainement point épar.gnt·, c,t surtout protég,er s,cs deux sauveurs ...
'l'l'ois hcures durant ils pausèrenl, puis François se
leva le pr,cmier. Il convcnait en effrel doC prcôpiter ln
Tctl'aite après oet IÏ nd is'pensabJe arrêt... Là-bas, au
}JOrd dll Djerat:ü-Dabassoll, l{oumar et ses acolytes
tlevai,e nt sc rendre comptc qu'ils avaient été joués ...
Les Français s'étaient esquivés avec l,cul' protégé e·n
emporta'nl avec eux 4011t le,ur argent. .. Les ba,g ages ne
(ontenniellt que pCll ÙIC choses susccptibles d'éveiller la
convoitise des bri,g ands jauncs que les fossiles 111'
dcvaient certainement pas inlerress,cl' beaucoup ...
Sous le ciel éloilé la ,fui{c re'p rit donc. Françojs
emmenait ,touJours avec lui ]e blessé <Ju'll mainlcnait
c' ontrc l',cncoluœ de son cheval, les secousses nom]lreuses qlli elaient imprimées el qui ravivaient les
1)lnics de son dos à vjf dcvaient certainement faire
~olltr'rir lm vél'ilabl,e murlyr,c à Eric Salver; pourtant
il ne proférait pas une plainl,l', les scules 'Paroles qu'il
Ila~, aJ'(lnit de lemps il autre ct que Iles deux compagnons
llouvaien't ul'I'iver il cOl1lpr,endr,c, étaient toujours:
- Plus vite 1... Encore 'plus vitc 1...
11 potlvait êtrc (Iuatre b.cnres du matin ct déjà les
1r'C'lllièrf's bandes nacrées de l'aube apparaissaient à
j'horizon quand Eva poussa unc joyeuse cxclamatiop ...
�28
L'ENTEllRÉ
VIVANT
A quelque. quinze millelS ,en avant, la jeun'e femme
aperocvai,t ell effet le large ruban du Hoang Ho qui se
d.étachait de plus cn plus net à m esure 'qu,e se levait
Je soleil. Le ct.és.crt tout -entier el l,es mon,La,gnes avoisinan tes ,s e ~eint,ai,cn,t de ros,e ...
- gnc'ore une heul'e, et nous serons e'll sécurité .. ,
Jamais ks ba,ndils n'e songeront à nOLIs pours.uivrc
jusque là-bas .. , Tls s'éca'I' Le'l'aient be a'llcoll'p trop du
déseI' t leur habiü!!Cl Clhamp d'action c,t risqlleraie,nt
d'ètroc surpris par les cavaliers réguliers qui veillent
sur la sécurité de ceLLe fNlil1C !l'égion ! ...
Eric Salver v,enait il pei'ne ,de (J'l'ononeer ce!! rassu rantes ,parole!'!, quand tout à coup, François se
retourna .'1UI' sa scJl,c ... Ses regards u,e[)uig longtemps
habitués ;'t )'ohscmit,é .fouilIai,ent à travers le désel"t.
- Malédicti'on! hurla-l-i1. Le~ voi c,i ! ...
D'un commun accor,d, la jeune femme et l'Anglais
se relou'rllè,nent, ils aperçur,ent alors un nllag,c de pous~~ièl'e (fui sc pl'éci~ail ,de plll~ en 'plus ,enlre les dun.es.
A n'en poinl dOl~ler un grou'pe importa'nt de cavali,ers
accourait,
- Vil-c 1... E.%ayez !l,Cl 'l'ejoindre celte dune et de
vous retrancher .~'oli(lenNlnt ail ,<; Ol11n1(;,I... Pour ma
,p art, laissez-moi prend,re I,e cheval de hM ... .Te ferai
de Illon lI\iNIX pOlir man(x.~Llvrel' ,ces c()ql/ill~ 1. ..
- C'e.<;t impossible!... V()lI .~ voy·cz biell que VOl!~
êles JlOrs d'élat de parcoudr un seu.l mille pwr VOG
Jll'Oprcs moy<c n~ 1...
L'Anglais étouffa un ,':0 Ut'.(l juron. Tl se rendait
comple en .cITel de son exlt'ème railJk~s s c ...
- Allon~ vite nous ret<ran chcr lous ]('<; [rois, hurl.l
FI'I\.llç'oj,s . Si cc ,<; coquiw; nous ait uqu':) lll, il!; trol/\'eIl'ont il qui pnrler 1. .. NOll.<; avons <le qlloi Irur l'épnlld·re avanl 'qu'ils n'aient le ICl1lp~ de nOll:; J11a ssaerrcl' 1..,
La galopade reprit de plu ,' hene, tes qU.llre c1l ('VllX se cOI11[lorlaient I11ervcil!."usemenl, en dépit <Je ff
.erforts incssanls qu'ils Y('lIaient de rOIl'mir. Toutpfois, François {lui se retourna il pJu ~lieur!; a' cl~l"i~c~
�L'ENTER RÊ
VIVANl'
29
put s'assurer quc les banditsgagnai,ent peu à peu
lSur le petit gl'OU'Pe ... Avant un quart d'heure ils l'au.
trai,ent certainement rejoint .. ,
Mais Je Français esp6raiL ·b ien .qu'cn ce Japs de
temps, il pa·rvienùl'a:it avec Eva ct l'Anglais à sc réfu.
gicr SUl' la oùune, d.éjà, soulevant un ri ua.g e de pons •
.sicrc, l,es banùi.ls ja\.Mlcs contournai,ent l'éminence.
- Vile 1... Enlevez les scl.1es, fit l'Anglais.
A pe.ine Eva ct son man eurent·ils mis pied à
t(,l'r,e qu'il s'empr,cssèrent ,de 'ù Cfaire les sangles
ensuite 101lnlement chargés de leurs selles, ils esca1a:
dèrenl rapidement la ùune, la jeune femmc s'élendit
au faite }Jendant que J,c Français l]""C,ùcsccn,dail au plus
vile pouraitler Eric Salver à achevér son ascension.
Des hurlemenls fLl~' ieux l]"'clcl1tircnt, accompagnés
d'un martèJ.cJJ1enl s ourd. Les h6gal1ds j:mnes arri.
vaient. .. Tout sc passait a'insi quc l'avaient supposé
les dcux hOll1JJ1e~ ct )a jcune fcmmc ... Koumar le Mon.
gol avait atlenllu vainemcnt le r,elotl,r de ses maîtres,
])uis, vers Ic début de la nuit, le guide comp'ri,n qu'il
nvnit étl~ joué... Qua'nd les bandits du ,désert, ses aco·
lytes alleignirellt le camp où devoil êlre déclenebôe
l'oal1n'CJue, il.~ trouvèrent buisson oreux ...
·L es ,Jwlll'eS qui sc p:lssère,n.t ensllHe en discu.~sjons
ct cn ])a];.ülres en'lore Je .~ d,eux 'g ro llfp es, accordènent :lU
11'io 11'11 ])01 écictlx répit cl lui pC'rJ)JÏorcnt de prendre
olme avanre .~érÏlcllsc ... Ensanglantant ct talonnant les
flancs lie leurs chevaux, !ors Jaunes, qu.i croyaient
<'ulin I,enil' :\ leur .merci les fugitifs dont j]s /lu\vaient
11epuis longtemps ]" piste, pOll.%èI1cnt ,des burlements
'Ile f'ureul' ... Mais, tléj:i, la jellne ·femme et ses tleux
'Colllpagnons sc trouvaient retrallché.~ nu sommet de
)a dun.c ... P]usirurs délOJ1:1lions t:clnlèrcnt; devon(,'nnl l'al1nque des bl'ig:mùs, ]cs flJgitifs di.riogeaient
'Contre el1x \ln f.cu ,n ourri ...
Les halles provoquèrent quelque dCsarroi parmi les
.'nulles qlli '<;c Irouvni~nt au ll'omhr.e O'une trentaine ...
Trois vidèrcnt les ar~ons, un aul'r·c /le .crAmponna :vai.
�ao
L'ENTERRE
VIVANT
'l1emcnt à sa selle, allcil1.t en pleine poit'rine, il ne
tarda pas à s'écrou1er à son tour .. ,
Ce premier su.ccès ne ralentit pas l'ard.eur de . la
meute, De nouvelle .~ détonations éclatèrent, les ballcs
semèrent die nouveau la mort et la désorganisa·Won
p 'a'rmi l,es Jaunes. Bric Salver n'euL pas ,d'e mal à reconnait>re le chef qu.i. avait c·ommandé son supplice, alors,
avant même que Je ,g redin, qui venait d,c mettre pied
à terre ait eu le temps de se 'p laquer conLre le sol, j 1
épaula la carahine quc lUli avait nemise Prallçois
avant son départ du camp, et tit'a .. , Al~eint à la tcmpoe,
le forban se redressa tout droit, battit l'ai,r de s,es lJra.5
Domme pour lenler dése.sp,érémcnt d,c ,c onserver son
équililmc, puis il s'écroula Ic vis::1,g e conlrc ·Lcrre, rou~
gi.~sant le sablc du sang qui s'écbappai.t à flots -de son
crâne troué ...
Une telloe perte c1éconcel'ta les autres bandits qui se
rel'e vaient en rampant ct commcnç::1icnt à gravir la
dun'Û .. , Les coups de fell .s.e succ(,·daicnt. La jcune
f·emme .cl scs dcux compagnons nc tiraient qu'à ooup
sÙr ... Trois Jaunes s'aballirenl .cneorc .. ,
AI·ors, une véritable puniqulc s'cmpura de tOllle la
bande, La disparilion ·du chef enlev:ül toule coh.ésion
à oas pillar<is du désert, toujOll·rs prêts ù allaqll'Cr Dl!
à massacrcr l,es groupes sa'ns défonse, mais veules et
Blches dès qu'il s'agissait d'[dflionlol' un lHlversairo
bien résolu .. , Dans un incroyahlc désordl'o, les survivants l'e{]lIèr,ent v,ers leurs 111onllll'<'S .. , Tous ne rejoignirent pas sains et suufs leurs chevaux, Ile 1I0mf)rcux corps jonchèrent le sol crevas:,é P::11' la chalellr ... Lc.s rayons éblouissants du soleil avell~laiel\l
l,cs assaillants et contribuaient pOUl' une lalf.te par,l à
précipitcl' loul' défaiLe .. , En peu de temps, ils s'éparpillèl'CnL dans toules les direction'!, cherchant avanl
toul à éviter l.cs projectiles qui sifflaicnl cacone dange.
reuscment ft leurs oreilles .. ,
- R'Ûgarde ! murmura bic·n tôt Eva en se plcnohant
vel'S son mari,
�L'ENTERRÉ
VIVANT
st
François s'aperçut tout de suite que 53 VOlsme lui
désignait son ancien guide. Kouroa'r le Mongol faisait
partie de la trOll'pe qui s'était é'lancée sm' les tra ces des
Irois fugiljfs ... Furieux d'avoir été joué par les deux
Français ct Ipar Eric Salver, le misérable avait juré de
pren'dr<! sa reva·n che maintenant, fOll de rage, il assistait an désastr,e ... Peou soucieux de s'attarder plus longtemps, jJ raltrapa un cheval qui errait ,~ans cavalier,
sauta lestement en sclle, puis, tcndant un poin.g haiJloCUX vers lc sommet de la dune où I.e h'io demeurait
él,roitcment retranché, le Mon.gol voulut battre en
rctraiLe Cil touLe hilte et rejoindre ses compagnons
alTolés ...
Le 1raître nc réussit pas à parcourir une centaine
dc mètrcs. Froidcmcnt François le mil en jou.e, puis
lc visa ... UIlIC dHonation éclata, la dernière qui vînt
troublc!' le silence de ces solitudes immcnses ... La
~l'uque fracassée, l{oumar tomba lourdement :l bas de sa
monture qui continua d,e s'éloign,cr :l fond de train ...
Alors tlll cri de triomphe parlit du sommet de la
{lu.n e. Cclte fois, la leçon était sévèrc ... Les b a ndits
jaunes IlC rcvicndra.ient ü erlainclll cnt plus imp ol'lullcr
Je peUt groupe qui pourrait rcprcndrc en toutc tr:m(l'llillité la l'oule du Hoang Ho ...
Après avoir pris un bref l'Cp OS, Eva iCI SoCs (Jeux com·
pag·n ons ·sc décidèrcnt à s·e remettrc en roule ... Les
s\I,rvivant.s ·dcs écumcurs ·du désert ava.ieln:t depuis long~emps {lisparu, mais, déjà, dans le eicl, apparaissait 1111
Jlllage sombre ... L e ,> corbeaux accourai'cnt il tire d'aile
~llin d.c .~Ie prLcip.itcl' à la curéc ct de se repaître tles
onzc cac\av'l'cs qui gisaicnt j,n,crtes ·IlU pied dc Ja dune.
Pend:,"l un mOlllcnt , c1farollchés par la presence des
<lrllX Frnnç a is ct dlc l'Anglais, ils évitèr.c nl <lc sc p osc r ...
Mais déjà FraJlçois l'ctl,escendait el s'cmprcssait de
TCjoindrc les chcvaux dcmcurés il quelques mè11'1CS CIl
arrière ...
Celle rois. c'était bien la (Icrnièl'c étap.e avant do
rCCOUVl'tc,r la &écurité complète ... Dominant leur lassi-
�32
L'ENTER RÉ
VIVANT
tude, l,es trois compag nons s'en rureut laissan t le
champ librea nx rapaces qui s'abatta ient voraoe ment
sur les cadavr es ensang lantés des ban,dils ...
Désorm ai,s, Franço is cL Eva TIte d.evaie nt plus affronter de séricux o!Jstacloes, ils aLL~ignirent sans cneomb re
Dinl~ol1 et Jc Hoang- Ho, cmpo'rt ant avec eux les précieuses cartes. Des r,ccher ches engagée.~ par la suilc
avec Je concou rs des autorilé s -chinois es leur permi-s
rent cie récu,pé rcr l,eurs bagage .., que ],cUTS s'e-rviteur
dér:lilla nts avai'c nt abando nn,és auprès GU Jac... EL,
bi,cnlôt , sur le chemin d'Il l' clol~r, ils ouhlièr ont avec
Eric Salvcr, mainte nant rcmis de sr~s faligne s et de ses
souffra nces, les dramat iques épisode s qui !ellr avaient
'perm is ' de nCllconl fcr, d,e secour. lr 'c t ,de sallvcr: le SlIp,p!ieié de Khan-O ula ..•
FIN
Pour paraître mercredi procha in:
L'empire du démon blanc
Roman d'avent ures- inédit
pal' PAUL TOSSE L
L'imprim erfe Moderne , 171, roule de Clu\t111ou, Monll·ouge.
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Title
A name given to the resource
Le petit roman d'aventures
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Title
A name given to the resource
L' enterré vivant
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Chambon, Jacques (1898-1967)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1939
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
15 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Le petit roman d'aventures ; 170
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
Rights
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Domaine public
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Roman_Aventures_C95463
Relation
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c4f311167888b3c4dfa3828f5f86c651
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FOnÊT EN
FLAMMES
3
Un jeune noir monh'a sa tête crépue d;ns l'entrebâillement de la porte et le c'onsidéra avec de grands
yeux craintifs. Ne pl'ésageaut rien de bon de la colère
de son maître, il se hflta, nccompa,g né par 'u ne bordée
d'injures. et apporta une JJout.eilile et un vern.
- Où est Badhelat ? poursuivit Vanderrikx.
"
- Tu sa is bien, Blanc, qu'il est presque toujours
\SUl" le::; chantiers.
- Est-ce que ça voudrait dire que je n'y suis
jamais 'l
Et cOlllme l'indigène se rec ulait, apcmé, le Hollandais, avançant une main trem blante, hcurta le verre
qui se brisa S UI' le sol de ciment. Il fit un bond en
avant av,Cc un air menaçant, el gifla le malheureux
dont la tête heurta rudement le montant de la porte.
- Je va is t'apprendre à me donner des leçons, sauva~e ...
.l\1ais un lambeau de chemise resta entre les doigls
du blanc ct ,le boy se rua au dehors aussi vite que Je
lui permettaient ses jambes lIe vingt ans. 'Interloqué,
aveu glé par- la colère, Vandertikx demeura sur la porte,
d'ressé sur ses jambes écartées.
Il se calma d'un seul coup.
A cc momellt mêmc, Barthelat frahchissnit la petite
clôture ue roseau x., le r'usil SOIiS 'le bras, 'le casqtlC
SUI' la nuque, suivi d'ull être bizarre qui pOl'tait cn
sautoir une gazelle au vcntre clait' dont Je museau saignait. C'élait Ull maigre vieHlard à la barbe gl'isonlIant'e, accoutré d'uu l'idiculc jupon de raphia autour
duquel s'entre-choquaient des os jaunis cl des coquillages su~pcndus il des lanières de CUil". Alllolll' !le ses
}loigncts ct de ses chevilles hrinquebalaient des
anneaux de métal; LIn sOt"ciel' de village Sans aucun
doute.
-:- Allons, tu as encore le vin mauvais, à cc que je
VOIS, Ulurmura Hnrthelal dont le visage s'était assombri. Décidélllent J'ail' de la ville ne te vaut rien. Unc
�LA
FORÊT
EN
FLAMMES
a,utl'e fois, c'est moi qui ferai ~e voyage, j'y pas's erai
moins de temps.
Le Hollandais grogna des ehoses confuses. Puis ils
prirent p~ace t<>us deux à la table sans dire mol.
Vanderrikx, gêné par le lfCgard de son camarade
qu'il sentait peser sur lui, !S'avi,s a toul à coup de la
présence du vieillard qui sur le 's euil de Ja porte sc>
débarrassait ma'ladroilement de sa gazelle accrochée
parmi 10us 's es gris-gris :
- Allons, 'vieux singe, dépêche-toi de nous ùébarras,ser de tes sales ori peaux!
L'autre voulut protestel- :
- Mals le Blanc à qui j'ai porté la b['le m'a fût mOll·
ter jus9u'ici et m'en a promiS un quartier. Je partirai
quand JI me l'ordonnera.
Vanùerrikx se rapprocha de lui :
- Et si je t'ordonne, moi, d'aller au bas de la roule,
chercher ma motocyclelte et dc me la rapporter ici ail
plus tÔt, attendras-tu que je t'y accoll~pagJle à coups
de pied?
Le sorcier fit quelques 'Pas cn arrière ct prit une voix
implOl'ante,
- Tl( vois bien, Blanc, que je suis trop faible pOlIr
accomplir une telle besogne. Tu ne manques pas d'autr'es boys qui sont à tes ordres ct que lu vayes pour
t'obéir. Laisse-moi recevoir Je sala,ire qui m'a été promis ct regngner ma paillolle en pnix.
Barthelat s'était avoncé Illois avant qu'il pÎlt lntel".
venir, Vandel'rikx s'empara de la longue canne <lu sor-cier et lui Cil cingla sauvngemcnt le front. Le sang jaillit et Je vicilJ:1rd trébucha. Il ballit le vide de ses bras
maigres, cherchant un appui, 'S'nccl'ocha de ses doigts
noueux à la cI110lle du Hollandais dont la poche t;c
déchira en craquant.
Les deux bilJets en boule rouli'renL sur ,l e sol. Bal".
thelat 's'en cmpaJ'a el éearta vigoureusement SOI1 cama.
rade,
�LA
FORÊT
EN
FLAMMES
5
- Qu'est-ce que ccla signifie? s'écria-t-il. C'est de
cette façon que tu prends soin de notre argent? Cesse
cette scènc f'idicule, je t'cn p'l'ic, cL rcntre, tu cs horrible,
Mais l'auLI"e nc sc pos,~ é(Ja,it plus. Il rentra en clfet,
cn haletant commc ulle bête, s'cm para du fusil abanùonné par le chasseur un instant auparavant, ct, se précipitant au dehors, sans épauler, ,l a crosse sous le bras,
il appuya sur la détente dans la directi'On de l'indigène.
Celui-ci, CI1 criant, avait b'Ondi en arrière. Barlhelat
avait saisi le can'On à pleines mains et la décharge
laboura Ja terre.
Le s'Orcier t'Out tremblant 's'était jeté dans un fourré
ù'épines et sa voix chevr'Otante retentit sitôt après la
dét'Onati'On :
- Il Y a de bons Blancs qui se f'Ont obéi .. , mais toi
tu es un mauvais Blanc el 'te sorL te punira bientôt. )
'l'1 .. ('e par Barthelat, la porte de la case s'était rercl'mée, Dans la dcmi-'Ob,s cu'rité les deux h'Onl1n~s se l'CgUI'lièrent Cn silpncc, Lc I"J'Ollalldnis, l'air twgard, accolé
au mur ~c laissa (\t:'sarJller sans résistance, la hou che
10/"(luc SUl" cles Illots indistincls, les poings scrrés. L'uutl"(~, haussant les ép ttult,S, u'lfullln unc lampe à acétylène
C[lÜ jeta tout li uLoUI' de la tablc unc clarlé vive ct bht').
fante.
Puis il env'Oya r'Oulcl'" la b'Outeillc dc bicre daos un
coln somhrc, s'assit MU' une chaise-Ionguc et p'OsémcnL
Jlrit Ja parolc :
- II Y u l'OngL~II1[)~ que je suis las de ton muuvair;
cUl'aclcrc, La :;cène de cc soir doit y meUre 1In ·terme.
Faisons nos comples ct cc!-;s'Ons de raire r'Oule cnselllhl('.
N'Oll"; ne pouv'Ons plus n'Ous acc'Order, lu d'Ois le c'Omprendre,
Et, landis que le rront h:\I'gneux, Vanderrikx tir'ait
des papiers de ses poches ct les étalait SUI' )a table, au
�6
LA
FORtT
EN
FLAMMES
dehors, le cuisillic!; qui du sommet d'un arbre avait
sllivi la scène, aicuüt le sorcie1' à s'arracher de sou
lJUisson d'épines.
II
Ce fut Barthelat qui dicta ses conditions. Vanderrikx, déjà peu communicatif, n'onvri t la bouche que
pour accepter tout ce qn'i 1 proposa. Il parai ssai t bourrelé de remords mais préférait demeurer renfrogné ct
boudeur p lutôt que de manifestel' son repentir par de
bOlJnes paroles que le Français attendait en vain . Celuici avait peine à voir se rompre une collaboration de
deux années ct il ne lui souriait guère d'avoir à dcmelll'Cl' longtemps encore senl dnns cettc brousse avec
commc scul vo.i sin un Blanc qui désormais ne lui ad l'CSserail plus la parole ct qui ne turderail pas sans doute
il devenir, d'abord un concurrent gênant, ensuite un
tnnemi vindicatif ct dangereux,
Pendant quelqucs joul's les boys qu'ils avaient SOI1S
lcurs ordrcs cessèrent tous travaux dc culture Ou d'extraction de pierrc ct ils sc mirent, à l'autre lJout de la
conccssion ù édificr une casc de l'importanc'e de celle
où les deux Européens avaient jusque-lit pal tagé Jeur
existcnce. De telles con s tructions s'élèvellt vite lorsque les branchages, les herhes sèches c t les feuilles larges poussent il l'entour ft profusion. En moins d'unc
semaine le nouvcau logis était achevé el aussi rtl~li
fluement meulJlé que 'le prcmicr.
La conccssion s'étendait sur des collines ct des plateaux qlle traversait, dans son lit étroit ct sinueux, la
I{afouboll, se dirigeant vers le Congo. Les deux Blancs
coupèrent el1 deux par llll aligncment dc pieux ct de
gro!>~es pierrcs lc s te!'l'es et la ri vicre, se pnrtagcant
au micux les fourrés impénétrnhles, les clairières susceptibles ùe devcnir ùes bananeraies on des champs
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FORÊT
EN
FLAMMES
7
de manioc, et {es fonds llllmides propres à la culture
,du l'iz . Puis ils se répartirent outi1s ct matériel, et rassemblèrent leurs travaillct1l's. Ils en formèrent deux
groupes, en s'c[OI'Çant de laisser ensemble ceux de
même race. Et ils tirèrent à la courte paille, laissant au
hasard le soin tic les, dépm-tager.
BarLhelat conserva 'l a vieille case et la partie de concession qui.l'entolll-ail. Les indigènes du bas-Congo lui
échur·eJ1t. Ils étaient physiquement les pIns fa,i bles, les
plus malingres, mais aussi les p'IUI; .soumis cl Ils manifestèrent bruyamment, Nyama à lell!' l-ête, leUl' joie de
demeurer à l'avenir sous les ordres ùu Fr:mçais.
VandelTikx, toujours contracté, groupa aussitôt ses
indigènes, des noirs musclés du haut-Congo qui, comprenant déjà la haine qui allail désormais sépareT leurs
maîtres, se mirenl il brandir leurs arcs et leurs lance:;
avec des cris sauvages, en prenant ole chemin de leur
HOll vcau cam peJllenl.
El les deux hommes, pOli!' la bonne ,!'ègle, convinrent
de proIltet' de la proximilé de la ville pou!' faire régulariser leur nouvelle situation par devanl llotail'e.
III
Une auto grise semblait dormit' dan's l'ombre bleue
de la case.
Sous la véranda qui entourait l',h abiLation, lroi'S hommes étaient allongés sur des fauteuils do rotin, accablés de chaleur, parcourant d'un œil las des !)apiers
qu'ils s{) passoienl rie main en main.
Maître Brl-lIle, le jeune notaire lJelge dont les tournées en Ill'ousse étaient rares, ovnil hàte de regagne!'
Sta nleyvi Ile pOlll' l'etrollver ses cafés ombrogés ct ses
boissons gl~IC ~es. li vida il ((emi son verre de whi.~ky
tiédi pur le soleil cl lendil à chacun de ses interloc.u-
�8
LA
FORÊT
EN
FLAMMES
teurs une feuille de papier timbré couverte de ~ignes·
serrées:
- En résumé, {lit-il en souriant, voila comment .ie
conçois voh-e aceord sur votre désaccord. Après deux
années de travail en associalion, VOLIS décidez de YOUS
séparer et de partager votre exploitation et vos terres.
Vous, monsieul' Vunderrikx, vous ga rdez la moitié norù
de la concession et le COUl' S de la Kafoubou qui la tI'averse, Vous, monsieur Baltbclat, VOlIS conscrvez l'autre moitié sur laquelle est eonstruitc celte case ct tout Je
lit aval de la rivière. VOliS continuez clwcl1n de votre
côté vos cultnres et l'extraction du granit, libres de
VOI1S faire la concurrence (jlli vous plaira. C'est ce Que
je me suis elTol'cé de condcnser en ces dcux pagcs ct
SUI' ce plan, (juc je vous pl'ie dc signcr ainsi qu ' un troisièmc excmplairc quc je c'Û!lscrvCl'ai à mon étude.
EL il tendit son stylo aux deux colons qui s'exécutèrent snns dire mot.
.
Vanderrikx .~e leva 10unlel11ent, glissa la fcuille qu'il
tenait !Ians la pochelle <lc sa chcmise ouvcrte ct sc
cailla fic son cns(juc :
- Si loutcs ,l es forlllalil·és sont remplies, permettez
moi de regagner mn cnse.
Il serra la J11<1,in du nolaire et, snns le J1Ioindl-e regard
vers Bm' lhclnt, s'cn fut 11 gl"andc!> cnj:1J11béc.5 en sllÎvant
J'ombrc IIcttc des bouQ\1ets de bnmho\1s.
- Quel Olll'S ! Ilt Jc notaire CIl Ic regarclant pnrlir, il
n'n l'jen gardé dc la trnditiolHlelle ntl'nbilité hollandaise, Je ne comprcnds pas qlle VOliS VOliS soycz entcndus pendant si longlcll1p~~,
fol n'a pas tOlljfJlIrS Cil si 1II:1I1V:lis Cllrnrtère, rf'poIldit A<ll'thCllal. .lc l'ai cOnnll travaillc\1\', ~{'riclIx, ~ohl'c.
SOli :1utorilé SUI' les noirs, son sens des :10':1il'('s étaient
inl'ontcslahll's. Ikpuis 1l1I1'11I\1eS Illois lc soleil équiltodal, l'alcool, le cafard l'ont rendu hargllclIx, parc,%CUX
négligent ... el lIIalhoIlllêtr, pui sqlle jr me séparc de lui
pour dcs difficultés 41e règlement q\1e je ne veux pas
�LA
FORÊT .EN
FLAMMES
9
approfondir. 11 est naturellement furieux de cette décision mais j'étais las d'être le seul à m'occuper du cllantier tandis qu'il s'absentait de·s semaines entières pour
chasser ou s'enivrer. Je suppose qu'il comprendra et
cherchet'a il redevenir ce qu'il él:Jit.
- La comp:Jgnie du chemin de fer va continuer à
vous acheter lie la pierre?
- 11 le faut hien. Nous sommes les seuls à posséder
~a partie r·o cheuse du lit de la rivière. Part{)llt ailleurs,
il n'y a que bouc et sable. C'e~, t notre tt-avajJ le plus
rémunérateur c:Jr nOlis sommes Irop loin de la ville
vour tirer bénéfice de nos fruits et fIe nos lég~mes.
Et puis mainlenant nos boys sont très habiles à ~aire
sautel' les oJ'ocJlcrs à la dyn:llnite ct à faire éclaler les
petits blocs!>1Il' des feux de bois. Mais nous avons cu
du mal à les dresser.
Le notaire sc leva à sOn l(lur. Il montra du doigt au
milieu de la rivière qui serpenl:1it d:1l1s un bas-fond.
une roche rOse que le courant bordait d'un collier
d'écullle.
,-Voih\ lù-h:1s un famellx bloc qui vous donnert'l quelqlles l11ètre ... cuhes de moellons.
- Pas dll tOllt, car celui-IiI restera intact. Mes noirG
ne veulent. J1:1S y tOllcher sous ]Jrétcxte que c'est une
pielTe sacrée. Hs l'appellent « 1:1 pierre de fortune >.
])rô!e !le nOJl1, car si je lùlvais que des rochers sacrés
lie celte sorle, cc serait vite la ruine. Venez la voir.
Soulant de' J'oche en roche :llHlesSlls de ]'eau claire,
Hg s'npprocllèrenl du bloc rose. Sur sa surfuce lisse
élai! gravé lIll dl'ssin primitif; un at·c tenùu coupé par
une Ilèehe. Barthclal poursuivit;
J.I 1l:1r:1Î1, Ill'ont dit mes indigènes, que <l'après une
tl'ès vieille légende, tette flèche indique le chemin qu'il
fallt suivre pour atteindre nn Il'':sol' r:1ché pu-r un très
l'iche chef dl' tribu. Mais à quel'Ie distance? Nul n'a
)lll III cie dire ...
Et leurs "egnnls, suivant la d.ireClion tracée, se pel'-
�10
LA FORÊT EN
FLAMMES
di·rent vers des frondaisons épaisses d'où émergeaient
par endroits les cônes grisoâtres de termitières énor-
mes.
- Je vous souhaite d'obtenir un jour des renseignements plus précis plaisanta maître Brême. Vous me
ferez ·r evenir pour régulariser le constat.
Et H regagna sa voiture qui, 'Un instant après, disna~ut sur la pl.ste de sable.
IV
Les premiers jours qu'il se sentit seul, Vanderrikx se
mit au travail avec acharuemenl. Il avait conscience
que 'les griefs formulés par son ancien n1Isocié contre
lui étaient justifiés ct qu'il avait consirlérabtement perdu
de son énergie ancienne ct de son acti vilé.
Pendant dix ou douze heures chaque jour, il s'agitait
parmi ses noirs l~!ll1S la clail'ière où Ju I{afoubou s'étalait entre les rochers, sous une voCtte sombre tachetée de soleil, remplie de chants d'oiseaux ct d'où pend~ient des brancbcs tordues ct des lianes souples.
Les hommes, presque nus, liraient hors de l'cau des
pierres énormes qu'ils transporlaient sm leur tête crépue brisaient à la masse les blocs les l'lus tendre" Olt
perforaient les plus durs avec de lounles harres à minc.
Parfois le vent hrûlant apportait les bruits du chanticr de Barthelat qllÎ, llli aussi, LravaiJJaiL tOllt le jOli!',
ou l'odem' musquée des crocodiles qui remonlaicnt Je
coul'ant lorsqu'une pluie abondanle grossissait la
rivière.
Voulant trouver un passage plus l'étréci, facile à interdire à ces bêtes infectes qui semaient la tCI','cur parmi
ses travailleurs, Vanderrikx se mil à la têle d'une petite
équipe de hfrrherons et descenclil un malin la J(afoubou. Entre deux falaises verticales il découvrit un amas
�LA FORÊT EN FLAMMES
de rocs de belle taille qu"1l se pr'Ûmit d'exploi leI'. Tandis que, les bottes dans J'eau, il tâtonnaiL le fond pour
repérer un gué, H s'entendit tout à coup héler par un
de ses boys:
Blanc, encore une pierre de fortune pareille à celle
de ton camarade. Hegarde !
Entrant , dans l'cau jusqu'aux hanches, le HoUandais 'S'approcha et examina le dos arrondi de l'énorme
pierre; Je mêmè dessin s'y reproduiollail: l'arc et la
llcche grossièrement burinés.
l'l observa 'la position du soleil, puis le tronc des
arbres que le lichen tachait de clair c1''l1l1 même côté.
- Mais la direction de celte llèche n'est P(I'S la même,
remarquu-t-il. Je crains bien que vos légendes ne soient
quc des con les à dormir debout. Et si celle pierre au
Jjeu d'indiclll(,\, le chemin d'un lrèsor en cachait tout
ht::te-ment un? Demain, nous en aurons Ile cœur net,
nous la ferons sautel'.
, L-es indigènes eune'nt un cri de prot.estation.
- Il ne faul pas, Blanc, lu sais bien que c'est une
piclTc sacrée .
Vandcrrikx eut un gros rire:
V<lllS n'êtes que des enfants et vous ferez ce que je
vous dirni de fnire. Demain, j'apporterai des cartouehes el nous verrons bien ce que cette pierre a da,n s
Je ventre .
El pOUl' occuper SOn après-midi, il sc mit à tailler en
poin te de )ongs bambous dont il 'se servit llour jalonner
!'lll' le !elTain la direction marquée par la Jlèche. Vers
Je soi)' une flle de piquets monlait en biais /lU flanc de
la colline, vers uu angle de la conc~s~ion de Bartbel!ll.
�LA.
FORÊT EN
FLAMMES
Le 'lendemain, oH dut se mettre {'o rt en colère pour
Irouver une éqlli'pe acceptant d'exécuter le travail qu'il
avait projeté. Tous les noirs qu'il dési~na s'esquivèrent,
les uns avant d',è lre à sa portée, les autres, le dos cinglé
par sa cravache ou la mâchoire endolorie par une taloche. Ce fut avec un énervement rageur qu'il n:ussil à
group('r quelques parfaits sauvages, descendants d 'authentiques anlhropophages du Iwut-Congo, aux jOlies
boursc>Llflées de latouages répugnants ()t qui, ignorants
des coutumes de la ré~ion. consentirent à Je suivre.
Sans entllOus,iasmo toutefois ct plutôt avec des
regards crninUfs et des murmures, ils sc juchèrent SUI'
e la pierre de forlune ~ rt sc mirent à y crcuser des
trous de mine.
Le Hollandais les quitta pour remonter à la clairière
puis revint vers midi après avoir noyé sa colère dans
de généreuses rasades de wh isky.
Surpris de ne I)as entendre le battement l'égulier c1"s
barre-s cl'acier il s'approcha en se dissimulant et sen'a
de nouveau les poings en pr'o ré'rant des hordée ,~ <le
jurons. Ses boys étaient debout, immobiles SUl' la ro(''he
et tournés vcrS un étrange vieillard qu'ils écoutaient
avec une grande atlention. Le nOUVC1Hl venu, Jlerché sur
un tronc cf'arbre qui tcnait licu de 'Passerelle enlro
deux pierres parlait aVl'>Cj volu~)' ilité en s'accompa(otnant, de grand,~ gestes. Il était vNu d'orirctllIX, lIll
Jupon de ra,phia dissimulait le haut de ses jambes maigres. rI porlait en sautoir de .~ 'Os et des peaux: lTIulticolores do petits l'ongeul'i;. Deux: vieux chapeaux <le feu.
tre s'cmboitaient l'un dalls l'aulre sur sa tNe. Sa longue bal'he "lanche en !J1'ow;.saille s'agita'it avec véhémence entre ses hra ,~ osseux.
Vandel'rikx n'eut pas de peine à reconnaitre SOUri
�LA
FORÊT EN
FLAMMES
13
cet accoutl"ernent ]e sorcier qll'il avait malmené et il
se mit à courir pour le chasser de 's on ~hantier. L'autre, tout il son discours frénétique, ne vil le danger que
<luand le Hollandais fut à quelques pas de lui. Il voulut
'p rendre Ja fuile mais le Blanc, les yeux étincelanls de
colère, saisit l'extrémilé ,du tronc d'arbre sur lequel
'le vieillard s'était posté et le
basculer d'un seul
coup.
Le sorcier poussa un cri, s'enfonça d::ms les tourbillons cl reparul à la surface, cramponné au tronc
qui flotl:lit, avalant une gorgée d'eau il chacun de ses
hurlements. -Les noirs, convaincus pal' ses paroles cl
craignant l:l fureur du Blanc, jelèrent leurs outils il
l'eau el déguerpirent de pierre en 'Pierre vers la j'h'e,
dispm'aissu,nl dans le four,r é épais.
Dehout SUI' ulle roche, jambes écartées, Vandenikx
cut un éclal tic rire qui sc répercula entlle les arbr(;[;.
Au milieu de ln rivière, de pIns en plus étroite el de
JIliS en plus rapide, le lronc d'm'bre mait, entraînant
e vieillard <Illi s'y agrippa,il (lésespérémcnl, tandis que
le,s cleux chapeaux t011rnoyaient à quelqucs mètres en
aVllnt colllme 'Pour 111i fraycr un chemin.
La ]{nfollholl décrivait <Iuelques courbes avant de
s'élargil' pour entrer d~ns la concession de Barthclal.
Celui-ci, <le la rive, commandait ses boys qui circulaient de leur pas élastique, la tête chargée ct les bras
levés, SUI' des troncs couchés en travers des roches. 11
cnlendit les cris qui 'lie rapprochaient et vit briller le
cr8ne chauve du vicux nQir, ]lOrs de l'cau écuman,le.
Conn:lissant bien les caprices du courant, jl se posta
entre deux pierres ct tendit sa canne recourbée pOUl'
aC~l'ocher l'arbre au passage . et l'nltil'el' à lui. A cc
flHlment Je vicux jcla un ')1Ul'lement ùéchirant qui clou:)
tous les boys bur place. L'cali, outour ùe lui se teinta
d'un ))rouil)nrfl éC::lrlole. BUI'lbelol le saisit aux aisselles et le r::llllena lilll' la berge. Sa jambe était sectionnée
justc 3u-deslius du genou aussi 'llcllement qu'avec Ja
nt
J
�14
LA
FORÊT
EN
FLAMMES
hachc -la micux affûtée. Et au déplacement sinueux du
nuage .rouge à travers le courant, on devinait les crooodiles s'enfuyant en se disputant leur proie.
Le's noirs étaient atterrés. Darlhelat déboucla sa
ceinture et la serra de toutes scs forces autour de la
blessure pOUl' anêtcr l'hémorragie. Mais, tout antoIll'
d'eux, l'herbe et la telTC ruisselaient de sang.
Le pauvrc vieux était évanoui. Sa tête lourde pendait
lamentablcment et prenait une teinte grise. Sous les
gifles d'eau froi.dle, une ombre J'ovint à scs pommettes
et lcs vcines de scs tempes se remircnt à battrc faihlcment. Il frôla doucement tIe ses doigts déjà froids la
main de llarthelat et mmmura :
- La picrrc de f'ortunc ... cclle de l'autrc hlanc ct la
ticnne ... Quand les deux flèches se croiseront.., Là cst
le trésor... Chcrche.
Puis ses yeux se voilèrent, sa tête chavira. Il était
mort.
VI
Vanderrikx, après avoir vu disparaîtrc sa victime
dans lc courant ct scs boys Sl1\' la rive, sc mit à appclcI'
en vain dan's tout.es les dircctions. Scntant CI'OÎlI'C sa
fUl'eur, il rcgagna sa case, chcrcha à calmcr ses ncrfs
dans quelques verres de whisky, mais le résultat nc sc
fit pa5 attendl'c. Bientôt, ivre dc colère et d'alcool, il
sema la teneur dans le cami> dc scs travailleurs en distrihuant il tort et à travers des volées de coups de l,atOll
puis il rentra ct s'endormit tout vêtu cn travelOS dc son
lit jusqu'à ce que le grand solcil entrant à plcine porte
vlnt lui rappeler par une caresse brülante qu'il est fort
imprudent dc s'exposer à ses l'ayons, mêmc les plus
obI iql1e ,~, Sauli casquc,
D'abolldantes ablutions lui rendircnt des idc'es claires, El ,sc l'appclant vaguemcnt lcs scèlles de la veille,
�LA
FORÊT EN
FLAMMES
15
iI chargea quelques outils 's ur son épaule et se dirigea
vers « la pierre de fortune ~.
Obsédé pa.r son projet de la faire sauter, il l'escalada et se mit à creuser à petits coups de barre les trous
commencés par les noirs. La tflche élait ardue et le
soleil hmtal. Il se rafraichissait de temps en temps à
l'eau claire qui coulait autour de lui et reprenait son
travaill avec entêtement. Lorsqu'il jugea ses trous suf·
fi sament profonds, il y introdui sit des cartouches de
dynamite, fixa d'un eoup de dent des détonateurs sur
·des morceaux de mècllC dont il régla 's oign eusement la
longueur et, après avoir enfermé ses explosifs sous un
houcJlOn d'argile, il alluma l'extrémité des cordons
qui se mit à grésiller. Et, sautanL d'une roche sur une
autre, il courut se cacher derrière le tronc protecteur
d'un é'norme eucalyptus.
A ce moment, bâton à la main, veste sur l'épaule, Bar·
thclat débouchait d'un pas pl"omeneur 's ur la rive. Il
s'élaiL laissé guider de loin par les coups que frappait
Vanderrikx qu'il savait seul, ayant interrogé ses boys,
mais, n'entendant plus rien depuis un instant il avait
ralenti son pas. Il regarùaH de tous côtés surpris de
ne pas le vOÎl'. 11 a'pcrçlll tout à coup la file des ja'l ons
plan lés de la veille, s'an'êta pour examiner la direction
qu'ils indiquaient ct fixa ail loin sur une croupe, un
haut papayer clair placé exactement dans leur alignement. Puis, se retournant, son regard fut attiré par la
volumineuse roche rose qui émergeait de l'eau rapide
ct d'ol! J'us:ül une fumée légère. Avant qu'il ait ell Je
t emps de réI]{'chir, trois explosions formidables relentin'nL coup SUI" coup, se répercutant comme un tonnerre ('lIlre les arbres, un épnis nuage sc mit il bouillon·
IlCI", poussé par le vent, tandis que les éclats ùe pierre
jnillissniellL de tOIlS côtés, hachant les brl1nches, cisaill:lnt les Irones, ct retombant en wêle anlour de lui.
Instinctivement, il s'était jeté sur Je sol et ne bougeait
plus.
�16
LA
FORÊT EN
FLAMMES
Vandel'ri'kx sortit de sa cachette, profondément
étonné de le voir indemne.
~ Tu vois qu'il peut t'en ,c oûter cher de venir sur
ma concession, Tu sais bien que tu n'as plus le droit
d'y mettre les pieds, Je t'in vite donc à déguerpir au
plus vite.
Et il serrait fortement sa lJarre à mine.
- Tu aurais pu au moins me prévenir qu'il y 'avait
danger répliqua l'aulre en se relevant. Je venais justement te pl'oposer un arrangement au sujet de celle
fameuse pierre.
- JI n'y a plus d'arran,g ement possible, hurla J'autre
qui avait hâle de connaltre les résultats des explosions, cette piert'e es,t chez moi, hicn à moi, allons file 1
Et il brandit sa barre d'un air menaçant.
- Comme tu voudras, dit le visiteur 'c n lournÎlnt les
talons, mais je saurai te parler sur le mêmc ton si tu
viens à ,franchü' mes cIÔl'urcs.
Et il s'éloigna d'un pas tranquille !lUI' la pcntc dénudée ver's Je papayer qu'il avait observé tandis que Vanderrikx, rageur, courait vcr.~ sa picl'I'c éclatée, Ioule
fissurée de lignes noirâtres. Jusqu'au soir il la brisa ù
grands coups de masse, écartela les bl'o cs ébranlés, mit
à nu le lit de sable sur ,lequel elle reposait, jusqu'à ce
qu'i'I ne l'estât pl us qlt'Un amas informe de pienes cassées où nul trésor n'apparaissait. Lus et déçu, il ref.(agna sa case au coucher du solei l, réfléchissant que seule _
sans doute la flèche avait une Si'f{llificalion et qu'il
avait bien fait d'Cil jalonne," la direction.
VII
Doo le jour suivant, llarthelat SC mit en recherche ft
son lour. La flèche Ul'uvée sur sa roche piquait droit
vers un épais fourré haut dc qualrc ou cinq mèlres
�LA
FORÊT
EN
FLAMMES
17
dans lequel il n'avait jamais pénétré 'ct qui recouvrait
la partie la plus sauvage et la plus accidentée de sa
C'oncession, une. suite de cr.o upes rocheuses séparée,!}
par dcs vallonnements marécagcux d'où jaillissaient
des roseaux et des -bambous, Une douzaine de noirs
armés de hachettes et de faucilles se mirent à percer
lIne .<.orte de tunnel rectiligne à travers les broussailles
et ,l es branches entrcmèlées faisant fuir devant eux les
reptiles et les rongeurs qui avaient trouvé là un asile
conforlaiJle et sûr,
Le travail allait lentement car il fallait ramener hors
du fourré toutes les branches aùallues ct toutes les
feuilles coupées, Une semaine fut nécessaire pour réa.pparaître au grand jour, à 'l'assaut d'une colline, SUl'
des étcndu('s vel'tes où les herbes acérées comme des
épécs dépassaicnt dc beaucoup ,la taille d'un homme,
Il fut dès 101'5 heaucoup plus .facile d'y tracer, à la suiL~
du tunnel ,~olllhl'e, un chemin à la faux entre doux
Inln'uillcs de venlurc d'où sc dégagcaicnt une c,h aleur
étouffante et des vrombissements assourdissants d'insectrs,
A la tombée du JOUI', Bal'thelat, atteignant le 'Sommet
de la colline, apel'\:ut au loin le papayer qu'il avait
remarqué dans la concession de Vanderrikx, $oous les
dernicrs rayons du soleil. à la jumellc, il distinguait
nellCl1ICllt le tracé ébauché pa.[' les boys de son ancien
as~ocié, li fit rajJic\cmenl aligner trois de scs indigènes
dans le flrolongetlleul de celte ligne et s'aperçut que
celle nouvelle dit'celion et celle indiquée par sa flèche
convergeajent vers Ull petit hoqueteau d'où émergeaient
ûes anws de rocs ai,gus, li n'y avait aucun repère plu,",
caractéristique ell vue, Nul doute que cc fut là la clef
de l'énigme.
�J8
LA
FORtT
EN
FLAMMES
VIlr
Le SO'leil avait à peine ,r edressé les iherbe's , courbées
toute ]a nuit sous une rosée abondante, qu'il était de
retour au même point. Il avait consulté son plan avant
lie partir pour constater, malgré l'absence lie clôture,
,q u'il était toujours sur sa concession. 11 partagea !ion
équipe en deux groupes, J'un pour continuer le tracé
commencé, à la suite du tunnel, l'untre pour prolonger celui dont il avait aperçu l'ébauche chez Vanderrikx. Deux ou trois observaLions rapides dans le COllrnnt de ln joumée lui permirent de voir au loin, pareils
à des fourmis, les indigènes du Hollandais, coupant les
herbes, abattant les bambous, suivant eux nussi la direclion indiquée par la flèche mais avec beaucoup de
retord. Au soir, les deux sentiers frayés par les deux
gr,oupes se rapprochaient sensiblcmcnt, piquant tous
les deux vers le boquctenu. Le but maintcMtl1t était pro'
che. Encore un jour ou dcux, et, la lisière atteinte, il
faudrait de nouveau avnllccr il la hachclle.
Le matin où ils s'apPI'êtaicnt il travailler de ln sortc,
Ics j,ndi,g èlles Cu débouc'h anl du tunnel s'arrêtèrcnt
muets et npeurés. Les hcrbes élniclll couchées à droite
et il gauche, comme bousculées pm' le passnge d'unc
bèle en orme, et lIes palles larges ct pesnntes avaipnt
Jllarqué leur emp'l 'einlc SUI' le sol amolli pal' la nuit.
Barthelat examina ces Iraces avcc nllention.
- C'est un léopat'd, chuchotnient les boys <,{frayés,
ct un gros léopard. Pourtant, c'est une bête qui, d'habitude, préfère les sons-bois ct les bonIs de rui~seallx.
Le blanc s'étonnait ~urtoul dc voir que la hète s'était
promenée le 10nE( des deux tracés ù'où pourtant l'odeu!'
de l'hommc aurait dù l'éJoigll<'r. A voir ses piétinements, elle AVilit lent(· de pénétrc)' dans le hoqllelC:1l1
~ans y parvenir ct étnil repaJ'tie pu,r le ll'acé de V.. nderrikx.
�t:A FORÊT EN FLAMMES
19
-,C'est un animal lal'ge et court s'exclamait Barthe.
lat. Ses palles de devant sont très écartées l'une de
l'aotl'e et sa foulée est moins longue que celle d'un
léopard ordinaire. Pourtant la trace des pattes nettement imprimée est la même. Qu'importe, mettons-nous
au tl'avail !
Mais il cut beau usel' de la persuasion, cie la raillerie, de la menace, il ne parvint pas à secouer la tOI'peur des indigenes qui, avec une mine terrorisée rerulièrent de se mettre en chantie •. A la fin, malgré quelQues claques distribuées aux plus rebelles, il ne réussit .qu'à les faire fllir à une distance respectueuse. Puis,
l'lin après l'autre, ils s!engouffrèl'ent sournoisement
dans le tunnel et regagnèrent leur camp sans vouloü'
utilisel' les hachettes qu'ils avaient apportées.
Devant une telle (oree d'inertie, Barthclat fut bien
Obligé d'ab:wdonner ses recherches. Le front barré
d'ull mauvais pli il regagna sa case, se munit de provisions, prit 1I1l fusil cl revint examiner la piste.
Puis pensant que le fauve ne devait 1)1IS être trè~
éloigné, et pourrait l'evenil' à la nuit, il se posta SUI" h
branche d'un manguier et attendit patiemment, la pipe
:lUX dents.
L'après-midi s'écoula sans que rien d'unormal appal'nI. Seuls, quelques singes sautillaient de branche cn
hranche en se pourchassant et des vols de perI'oquet3
vel'ts rasaient la cime des arbres dans un hruyant jacas·
sement.
Comme l'ohscnrité s'étendait brusquement dès que ln
houle de feu du soleil se fut aplaLie derrière une crête,
il !:l'apprêtait il descendre de ~Oll obsel'Vatoire pour
allull1er SJ. lampe de chasse, lor,;qu'un frélllbsclllent
d'herbe altira son attention. Un animal au pelnge moucheté, un léopan\ à n'en pas clouter, dl'coupait sa silhouette trapue sur le sentiel' venant de chez Vanderrikx, mais il n'avait pas la démarche souple cl féline
/
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LA
FORÊT EN
FLAMMES
de son espèce. TI avançait lentement, en clopinant, par
sacca.des, la tHe inclinée vers le soL
Etonne, le chasseur épaula, prit son temps et lâcha
la détente.
La bête poussa 'Un véritable cri Illlmain et, cho se
extraordinaIre, se dl'essa sur ses palles de derrière
pour faire demi-tour. L'homme bonùil sur le sol ct
s'avança la crosse sous le bras , jusqu'à quclques mètres.
Il avait devant lui \ln nègre atl'uhlé d'ulle peau de léopard attachce sur son dos pal' des lanières. A ses mains
ct à ses pieds étaien t fixées d'cnOl'll1es grilrc ~ de fer. Il
saignait alJondamment de l'épaule cl soutennit son bl"as
gauche avec ùes gl'imaces de douleur.
- Que signifie celle mascatade cl où allais-tu ainsi?
L'autre tomha à genoux:
- Pardonne-moi, Blanc, j'obéi ssais à mon maître.
Il m'a envoyé pOll1' que je lui rende comple du travail
de tes hommes. II les a vus travailler de loin et m'a
fait ,h abiller de celle façon pour <Jue la trace de mes
pas n'éveille pas les soupçons. Pardonne-moi et soignemoi.
- Te 'Soigner, rkana Barl,h elat, après t'avoir ble's sé
sur mes !Jcr·l1es comme un vil espion que tu es . Va (,e
faire soigncr pnr ton maître ct <Ju'i,1 comprenne qu'il
est dangereux de se risquer ainsi chez moi. Et dis-lui
bien qu.c j'en ai aulant ù sa disposition s'il ne Se conlenle pas de sa proprleté pour se promene ...
Le noir ne se le fil 'pns dire deux ,fois. Lnissant sur
place lIne veritable mare do sung, il s'éloigna en geignanl de douleur sans se retournel"
IX
Autour des fcux, le soir, Barthclal exposa à ses noir's
regroupés le résultat de son alTûl, non sans leur faire
une dure leçon SUI" leur mauvais esprit ct leur j ndisci-
�LA. FORÊT EN FLAMMES
21
pline. Il décida d'atteindre coMe que coûte Son but au
plus tôt ct de prendre avec lui tous les hommes disponibles, même son cuisinier ct son laveur de vaisscJ1e.
lt avait l'intention de poster des sentinelles à la limite
de sa conccssion pour le cas OU Vanderrikx tenterait
dc s'approchcr.
Tous, au pctit jour, s'enfoncèrent dans le tunncl de
hranchages, le u!anc fcrmant la marche pour être bien
sûr qu'aucun de ses boys ne se déroberait. Mais tous
(;e,mblaient cn lJollnes dispositions, bavardant et plaisantant hruyamment dans cc couloir étroit et somùrc.
Tout à COI:,) unc série de sifflemcnts bizarres les clo l!a
sur place ct leur fit faire silence. Des traînées lumineu>
~es zé.IJraient le ciel all-dessus du pl [,fond de feuillagcs
ct souclain le fCll crépita en dix endroits autour cI'eux
avcc des jaillissemcnts d'étincelles. Unc fumee épaisse
les entoura ct dcs flammes rougcs appal' urcnt devant ct
derrière cux.
D'un seul coup le blanc comnrit. Les noirs de Vanr1elTikx ayant Huetle Icur dél?,rt venaient, avec des
!lèches enna.Jll/llees, de mcUre le feu au four' ré, PCIIsant lcs griller tous comme des lapins dans leur terrier'.
PousslInt dcs cris déchirants les pauvres indigènes
Sc mirent il sc housculer, à sc bnllre, ù s'écraser pOUl'
cherchcr une issue. Mais les bl.' owmli ll cs :'t droite et
à gauche étaient imlJénétl'ahles. Chcrcher' une ruite en
avant c'était se hcurter à un rirlcflu de flammes et tom hCI' il coup sür dans IInc crnbmclldc. En rcbroussa"t
chemin il n'y avait qu'un seul <»bstacle il franchir, le
fcu. Ce fut la solution que choisit le blanc. Il appc!:,
ses boys qui di~paraissaient clans la fumée épaisse avec
ÙCq hurlclllenls étouffes, déchira sn chemisc ct s 'cn
lnasq,uu le vi1>:J/{c, IHlis d'un grancl élau, il s'élança :',
travers les nalllll1C~ qui, appeléeq par le courant d'air
du lunn el, (\v(\uçaient avec un ronflement luguul'c,
�22
LA
FORÊT
EN
FLAMMES
x
Après un long évanouissement et des heurQS de délire,
il revint à lui et ouvrit des yeux égarés. Il était etendu
sur une natte dans une case sombre et étroite tout cn
<:hnume. Une porte basse laissa·it voir un petit coin
du ciel bleu et un régime de bananes autour duquel
bourdonnait un essaim de mouches. Il ressentait /Sur
lout le corps une al-roce brùlure et malgré ses elforls
ne pouvait faire le moindre mouvement. Baissant les
paupières, il vit qu'il élaÎl entièrement recouvert de
feuilles vertes et ficelé dans des lianes f1nps comme
une momie dans SO
cs bande.lctl-cs. 11 poussa un grognement douloureux et, dans le rectangle dc lumière, sc
découpa la 's ilhouelle d'une négres~e, vétue d'ample,>
cotonnades. Elle s'approcha et pencha vcrs lui sa face
ronde où brillaient de grands yeux anxieux:
- Tu n'es pas mort, Blanc, dit-elle doucement
Amali savait bien que les herbes de la forêt guériraient
tes brûlures. Je vais te donnel" un peu de nourrilure ct
de l'cou fl'aiche car voilà trois jours eotiers que tu v,i s
dans la fièvre.
- Où suis-je et pourquoi suis-je attaché, gémit-il, et
il tordait ses épaules POlIl" romp'r e ses liens.
- N'aie pas peur, tu es chez Amali, la f.emme de ce
])nuvre Nyama, ton cnisinier, qui a brùJé lIans Je bois
avec lous ses camal"ades. Toi seul as survécu, et si je
,ne t'avais pas retrouvé, sans connaissance sur le flcnlier, tu serais mort maintenant de les brùlures. Mnis
je l'ai soigné comme je J'ai pli et voil:i maintenant ln
vie qni revient. Je vais détacher les feuilles (illi t'enveloppent cl en remettre de plus fraiches, mai') ne fais
pas un mouvement. Si tu savais dans fluel état je t'ai
ramené ici.
Toul en parlant de sa voix enfantine, elle coupnit les
lianes cl faisait lomber 'tille Ù ulle les feuilles larges (lui
�LA.
FORÊT EN
FLAMMES
23
entrainaient avec elles des lambeaux de peau morte.
Bal'thclat vit que son corps était tout couvert de larges
plaques blanchâtres. Le d.erme apparaissait pal'
endroits noir et humide mais une peau fine et l'Ose
semblait repousser déjà. Ses mains étaient comme
dégantées et de grandes bandes retournées parei Iles à
du parchemin n'adhéraient plus que par les ongles.
Quand la negrcsse l'cut matelasse de nouveau dans
des feuilles fraîches il se sentit soulage et avala goulûment deux œufs crus qu'elle lui lendit et une calebasse d'cau claire. Il fallut qu'elle lui cxpliquftt
qu'ell'rayéc par les flammes ct les cris de détrcsse des
noirs clic était accourue et l'avait trouvé la face contre terre, couvert de loques qui achevaient de se consumer. Très robuste comme toutes les femmes habituées aux travaux durs dc la tcrre, elle l'avait porté
jusqu'à sa case. Et, désespéréc par la mort de SO\1 mari
et de tous les indigèncs qll'clle considérait commc ses
Crèl'cs, elle appelait sur la têtc de Vandcrrikx et dc ses
boys les malédictions du ciel.
Avant la I1n de son réCit rempli de détails comme
seuls savent en accumulel' les noirs, Barthelal s'élait
endOI'l11Î sans voir le reu sombre qui brillait dans ses
grands yeux lorsqu'elle Icvait deux doigts en l'air cn
faisanl le sermcnt de vengel' tous les hommes de sa
tribu.
XI
,.
Lorsquc le Hollandais eut vu le foulTé e)l flammes
d'où le vent Jui npportait les cI'is d'agonie de ses viclimes, il fut biell pcrsuadé qu'aucun des , occupants
n'avait survécu. Armés de longues bl'anches, ses indigènes rouettaicnl les herbes pour limiter la pad du fCII
ct ils lui rendircnt comple que tous Ics COI'I}S calciné.;
gi~aient cn tas, s'élant agglutinés les UliS contre les
�24
LA
FORÊT
EN
FLAMMES
autres dans leur frayeur comme des gazellcs apeurées.
Quand les derniers tisons ne dégalg èrent plus que de
minces filets de fumée blanche, il emmena ses hommes à la lisière du boqueteau qu'alteignaient les deux
pistes tracées pa)' Barlbelat. Les arbustes étaient asscz
clairsemés, les buissons peu fournis. En quclques hcu~'es les deux équipes de bùc,h erons qu'il avait formées
$C rejoignirent dans une pctite clairière dont le centre
éLait occupé par une énorme termitière, cône ùe tcrre
grise de sept à huit mètres de hautcur qu'il ~xamina
avec attention sur toutes ses faces. Une chose le SUl'prenait :
D'orelina ire, les term ites, const ructeUJ's J1l inuscules et
ubstinés qui creusent leurs gnleJ'Ïes ùans Je sol, fonl
surgir, COmllle les laupes, dcs ll1asseS rIe terl'e qui avec
les années, les siècles même, deviennent de véritnbJes
collines. Ces insecles ont atteint tlfl tcl dcgré de civilisation que les sallcs d'inCllbation, qu'ils superposcnt
pOUl' l'éclosion oe leurs œufs et Ic Ileveloppcmcnt rie
leurs larves, jOllisscn 1 de Icm pératllres di rl'érenles par
une sorte dé cll:luO'age centr:ll natmcl. Dc véritables
cou loi rs fon t communiquel' ccs divers etagcs, se tC1'minllnt ~IU SOIDmct tic la colline pn!' une ou plusicUl's
cheminécs dans lesquclles, en enfollçHnl le bras, on sc
rcnfl comptc dc la cbalcur dégagee par toulc celle vic
sOllterraine.
01' (!n escalAdant ce qu'il avait pris p01l1' une tcrmitière VaIld'c rrikx n,e vil auclln onJi('c. Snns nul doule
c'était un monticule trompeur fnit pal' la main de
l'homme Cil des temps plus 011 moins rcculés, et lit étail
la clef de l'énigme posée ]}:ll' les « piel'l'cs de fortune :.
()t leurs JJèchesJ
Et il fit :lttnqllcl' lcs noncs dc tel're grise à grands
eoups de pioche ct dc pelle PO)' scs llOys Qui s'étaicnt
él(,114Iu.~ dans l'herbc, exténués.
Au bout -d'un momcnt Ics outils ~c hcurtercnt il une
�LA
FORÊT EN
FLAMMES
25
sode de muraille circulaire, faite d'un véritable rumen t,
que les fers les mieux affutés sc refusaient il entaIT'c~r,
Mais l'un des nohs poussa un cri de joie, Il ven ail de
décollvril' une pierre verticale, enchâssée comme une
porte, sur laqueHe étaient gravées deux flèches entrecroi sées,
Le visa,ge tourmenté du blanc s'illumina de satisfaction, 11 saisit lui-même une pioc-be ct sc mit à frapper
la pierre il couJls redoublés pOlir la bris(']', à dégager le
jOint qui l'entourait pOlir la faire basculer, mais ce fut
en vain,
- Il va falloir employer la dynamite, grogna-t-iJ.
- Nous n'en avons plus, Blanc, 'Sc risqua il murmurer l'ull ùes noir s, Tu sais que tu as el1lllloyé les dernières c:ll'tol1ches à faire sauter la pielTe -de fortune,
- J'en trouverai, poursuivit le Hollundais, Il faut
nhsotllJncnL nOlis frnyer un passage, N'ah:lIldonnez cette
c1nj ri ère SOIIS :lucun prétexte, même si je mets quelqlle tell1ps :'1 l' cvenir, El je n'ni pas he soin ùe vous dire
d'éloigner tOIlS les importuns,
Et il descenùit d'llll pas rapiùe ù Il'avers les cendres
du fOUI ré maintenant éteint, vers la case de BarlhelaL
II eUI vite fait de crevel' la [oile mOllstiquaire de la
porte pOUl' y penélrer el' -d' ouvl'ir Je eoO're (le tôle où
wn ancien cOlJlpagnon abl'·itnit ses explosifs mais il
pOllssa lin juron en n'y trouv:1I1t que quclques rouleaux
de l'onlon ct lIlle douzaine tic détonateurs, 11 continua
Ile fouiller la {'ase sans Il'o llvel' cC qu'il cherchait, jelant
de l'age au milieu de la pièce le linge, les ustensiles de
cuisine, les ]lapicl's f!ll'il décollvrait. Onvnlol l'armoire
il H)lt' n:ut toul ù ('OU]) les pupiers contresignés pal' lui
cl ]laI' le notaire, Il dl' plia le plal1 où s'jll~crivnien[lel1/'s
l'oneN;siolls r('spcclives l'observa un mOlllent et, l5entnnt 113Î1/'e ulle idée soudaine, il la mit dans lia poche
ct continua ses l'l'cllcl'l'-hes, P('ine I1CI'IIIIe, Salls doule
B,1J-the)HI nV:lil-il épuisé lui MIssi ses cnrlouclles ou 6e
sCI'vai[-il d'ulle autre cachellc llIoins dangereuse dans
�26'
LA
FonET
EN
FLAMMES
une case facilement inflammable. La meilleure solution
était d'aller se réapprovisionner en ville . Certain que
ses boys n'abandonneraient pas leur post'e, il regagna
sa case, mit sa motocyclette en route et partit, comme
le soir confondait sous un voile violet le ciel et l'horizon.
Dès le tendemain malin il faisait l'achat de quelques
kilos de cartouches et se présentait chez maître Brême
a vant l'ouverture de l'étude. Le nolail'e le reçut le tors'e
nu, un rasoir à la main, se demandant quel molif pouvait bien provoquer une visite aussi inopinée.
- Excusez-moi, maître de passer chez vous à pareille
heure, mais je ne viens que l'arement en ville el ne
dispose que de peu de temps. Je voudrais profiter de
mon passage pour consulter mon dossier, ayant égar-!
le papier que vous m'avez fait signer récoIllll1ent, ct
cerlains détails m'ayant échappé.
Très aimablement, Je notaire le fit asseoir, étala
de'{ant lui les papiers demandes, ct le quitta quelques
minutes pOUl' achevel' sa toilelte ,
Sans perdre de temps, le Hollandais ouvrit le plan,
et d'un coup de gomme et d'un fruit de cl'ayon bleu, fil
passer dans sa concession la parlie de tennin contenant le boqueteau et l'éminence autour de laquelle veillaient ses boys, Puis, prenant quelques notes pOlir donner une raison valable à sa visile, il s'cx,cusn une fois
de plus et repl'it le cJJemin de la broll~se.
XII
Après unc nuit entière d'un bon somll1ri! réparaleur,
Bm·thelat fUl éveillé brulalr\ll('nt pm' une sourde détonaLion. Il ne sentait l)1'esquc plus ses brCJlures et élU'OU'
vait le gr'and désil' d'allonger ses Illelllbres engourdi"",
Il appela AllIali qui, s'ell'orçal1l ùc sourire, (l1)parul aalls
l'encadrement de la porte.
�LA
FORÊT
EN
FLAMMES .
27
- Tu as entendu?
- Oui, ce sont encore ùes pierres que le méchant
blanc fait sauter sans doute.
Intrigué, Blll'ihelat réfléchit un instant:
-. Va jusqu'à ma case, tu prendras dans l'armoire
une petite valise où se trouvent des Holcs et dcs panseIUcnl~. A l'odeur, tu reconllaitras les remèdes qu'cmploient les plancs. Tll me l'apporteras ct m'enlèveras
touLes ces feuilles qui me recouvrent. Elles m'ont CCl'les [ail beaucoup de hiell mais désormais je me soignerai comme les docteurs savent le faire ct je guérirai
encore plus vite.
La femme partit en courant. Granùe fut sa surprise,
en arri van t à la case de voi r la porle ou verle, l'armoire
béanle, ct tOIlS les objets Cil <\chordre sur Je sol. Elle
n'cut aucune peine à trouver la valise de pharmacie
que le blanc lui avaH décri le et eIle sc hâla vers son
JH!tit logis, tourmentée ft l'idée d'avoir encore a annonCl:1' une mauvaise nouvelle.
Comme elle longeait la piste de sable, un bruit de
moteu\' 'c t ·un fnlcas métallique allirèrenl son alLention. Une ailla grise s('mb'lant venir de Ja ville surgissait ù un tOurnant. Elle pOSH 'Sa vali'se à terre et se
mit ù poussel' des cris perçants en agitant le foula,r d
dont elle était coiffée. La voiture 's 'anêta ù côté d'clle
ct le notaire sans lâcher son volant l'interrogea:
- Que me veux-tu?
- Blanc, répondit-elle, jJ y a là, chez moi, le Fran~ai" qui faisait éclater les pierres. Il a fai']]i mourir et
II rallt que tu viennes le voir, Peut-itre allais-lu chez
lui?
Maitre Brême ouvrit la portière et suivit )a femme
d'lIll pas rapide e11 lui demandant des dClails, mais,
essoufflée par sa course et par la joie de l'amener tille
LOlllIC visite, elle haletait:
11 l'expliquera, avec mol ln ne comprendrais pas,
c'est tl'Op cl ifJiciJe.
�28
LA
FORÊT
EN
FLAJI1M'ES
Les yeux de Barthelat exprimèrent un grand plaisir
à la vue du nouvel arrivant, inclinant sa haute taille
pour franchir la petil'e porte. En quelques mots il le
mit au courant çles événements el mai[re Br,ème, tout en
l'écoutant, entreprit de lui faire des lavages ct des panMments plus conformes aux règles de l'antisepsie et do
l'hygiène. Et la négresse contcmplai't avec ravissemcnt
celui qu'elle avnit sau\'é, debout, s'étirant doucement
avec uue évitlent'e satisfaction.
- Je venais precisémellt vous voir pour celle affaire,
dit maître Brême, ,lorsque Barthelat eut fini de parler.
J'ai commis une lourde faut'e. Votre ancien associé cst
v~nll à mon étnde avant-hier, sous le préicxte de consulter son dossier. Je le lui ni conlie sans méfiance et
me suis aperçu a[>l'ès SOIl dépurt qu'il avait profité de
mon abs-ence pour cOlT,iger le plan sur lequeJ vous éliez
.ù'accord. Avant ù'entreprend,re quoique ce soit, je
vouùrais voir l'exemplaire que VOliS possédez pour Ille
rendre compte de ce qu'il a pu modifier.
Entendant par les quelqucs IllOts de français qu'clic
comprenait qu'il était question de papiers, AlIlali intervinL:
- Je n'ai pas eu le temps de te d'ire, Blanc, que la
ca~e a éle visilée et qu'on a <Ill te voicI'. J'ai trouvé les
portr}) ouvertes ct tOIlS le.~ objets en désol'dre.
- Le bandit, Illurmura Barthelat, toutes ses précautions etaient pl'ises.
- Vous sentez-vous In force de marcher, demanda
maître Brême?
J):lUtre serra les poings:
- Non seulement de marcher mais de faire payer
cher à ce -coquin tout le mol qu'il a voulu HIC fall·c.
Donnez-moi unC goutte de eognac et allons c'Ilez llIoi.
Et s'appuyant sur le lira." de son compagnon, il nt
quelques pa.~, retrouvant s~s force .. dès qu'il fuL :.tu
grand air et quo ses jambes se lurenl réhabituées ù le
porter.
�LA
FORÊT EN
FLAMMES
29
Ils ne purent que constaler l'effraction et la dispal'ition des documents, D'une malle allongée, Berthelat
sortit deux fusils de chasse:
- Nous en aurons sans doute besoin, dit-il en crispant ses mâchoires; il doit avoit- profite de mes recherches, ct si nous ne le trouvons pas à la rencontre des
deux p,i stes, nons iroJls le délogel' de sa case,
La négresse les suivait à distance à travers les cendres du fourré, détournant ses regards des cadavres
calcinés parmi lesquels gisa,i t son ma,I,heureux époux.
LOI'sCju'ils furent an pelit bois, ils s'approchèrent avec
précautions de la clairière d'où partaient des éclats
ùe voix.
Les deux blancs, dis'S'imulés derrière lin arbre, considél'èl'(~llt a vec surprise le mon ticule entoul'é d'un ccrcle
de tCITC fraîchement remuée. A côté d'une pierre brisée, 'l1l1 11'011 béant faisait une tache noire. De J'intél'ieur partaient des rumeurs, des cris, des conversations.
Ils avancèl'ent alors sans bruit, le doigt 'Sur la
gâchette, jusqu'à l'ouverture 'Sur laquelJe ils sc penchèren t. Quelques marchcs grossières, retenues par des
rondins, descendaient dans une sorte de grotte où s'agitnient des ombres qui brandissaient des poignées d'herhes cnl1alllmées pOlir s'éclaircI" Les parois ct la voÜtc
semblaient fniles de pierres elltnssées les lInes 5\11' leI>
antres sans mortier. Sur le sol IIne dhwine d'indigènes
que dOlJ1ilHlit la silhotlelle bla,n chc de Vandel'ril(x
entouraient un las vollllllincllx de défenses d'élép'h anl
longues et cour,b es qui brillaient sous l'éclairage dcs
tOrchcs.
C'était donc là le trcsor dont le Hollandais s'imaginait avoir pris possession et sur lequel il se pencha'it
UVCc tant d'int,crêt. Les deux blancs descendirent quelques marches; Amoli, toujours sur leurs talo,ns, sc
glissa elle aussi à leur suite.
Tout il coup la voix claire de Barthclat fit résonn.cr
�LA FORÊT EN FLAMMES
la voûte d'un ~ haut les mains 1> retenti'!.sant. Toutes
les faces noires se tournèrent vers l'entrée :avec tlne
expression d'ahurissement ct de frayeur, tandis que
Vanderrikx accroupi disparaissait den'ière le monceau
de défenses.
Dans un silence de mort troublé seulement par le grésillement des torches tombées à terre, dellx coups de
feu partirent et les b:llles ricochèrent SUI' le mur entre
les deux assaillants. Vandcrrikx ven:üt ùe ramassel' son
fusil cL tirait, à l'abri dcrrière les dêfenses il ira vers
lcsquelles il pouvait voi,', la porte laissant filtrer ln
lueur du jour.
Br&me et Bal'thelat regagnèrent l'entrée à l'cculons,
'Snivis de deux autres coups ùe fell qui n'curent d'autres
résultat que de faire gémir les noïl's, tous à plat ventre sur le sol. L'un d'eux comprenant le danger de leur
situation, s'écria:
Laissez-nous sortir, nous n'avons pas d'armes 1
- Combien -êtes-vous? demanda Barthelat.
- Dix 1 répondit la voix.
.
- Alors, SOrtez l'un après l'aulre, doucement.
Un premier indigène atleïgnit alors le llauL de l'escalier à quatre palles, puis 1I11 autre, puiS les dix boys
sc trouvèrent bientôt rassemblés delIors, devnnt le fusi l
de mallre Brême qui leur faisait rouler de gros yeux
tcrr!liés.
- Et toi, Vanderrikx, tu sors Ou tu restes ? inlel'ro~r.a
Barlhelat.
Pour toute réponse une balle siffla à ses oreilles, brisant des branches uu-dessus de .lui.
- Je vais t'infligcr la peine du lallion, bandit, ct Ic
faire griller li ton tOUI" Et le Français sc tourna vers le
notairc :
- Faites leur faire un grand Ceu d'hcrb~s à vos prisonniers pOUl' qu'ils sc l'achètent el qu'Us enfumcnt
cet ~milllai dans sa tanière.
�LA
FORÊT EN
FLAMMES
31.
Maitre Brême saus quitter lcs noirs de vue, chuchota:
- Mais Amali, est-elle sortie '/
- C'est vrai, murmura Barlbelat, je ne l'ai phl's
revue, ct il a'p peJa anxieusement dans l'escalier:
- AmaJi, Amali, sors à ton tour!
La voix aigüe monta du fond de la grolle:
- Il faut quc je me venge d'abord, Blanc, .
Vanderrikx tapi dans l'ombre et entendant celle voJx
tout près de lui, fit un bond et poussa une exclamation
dc douleur. La femme venait d'empoigner Son fusil ct
de lui mordre violemment le -b ras, puis saisissan t lIne
défense, e,l le 's 'en servit comme d'un épieu et la lui
l:ln~'a de toutes ses forces dans la poitrine. Mais le
Hollandais s'était emparé du poi~llet de la négresse qui
sc débattait comme une fude. De son bras libre elle
tâtonna pour cherchcr une aulre armc. Elle rcferma III
Inaill sur une lourde boilc métalliquc dont elle voulut
sc scrvil' pour écraser la face du blanc. Mais le couvCl'cle tomba sur le sol et des cartouches de dynamite
sc mirent il rouler les unes après les autres parmi les
herbes des torches qui lançaient encore leurs étincelles ct leurs llammes tordues,
Au moment ou Barlhelat, entendant le bruit de la
lutte, faisa it quelques p:lS dans la descente, une explo~jon fOl'Jlüdaùle sc produisit et un souffle puissant Je
"cjeta au dehors au milieu des noirs qui culbutaient
Hvec BI'ême sous ulle plule de pierrailles.
Un cratère s'était ouvert ou sommet du monticule
pareil à celui d'un volcan el lorsque la fumée noire qui
s'en échappait sc fut d issi pée, lcs deux blancs se pen.
chèrent pOUl' regarder dans la grolle.
Les défcnses brisées jonchaient le ~ol de leurs débris
hrillanis, Vanderrikx horriblement déchiqueté baignait
(Ians une IlIll/'e de sang, La négresse cl'umponnée il lui
Il'l~tnit plus qu'ulle masse molle d'éloll'es <lui achevaient
de flamber.
�32
LA
FOnÊ'l' EN
FLAMMES
Barl'helat, très pâle, répétait d'un air hébété:
- .Pauvre Ama-li, ·p;l.uvre Amali !
Les indigènes pelotonnés les uns ,c ontre les autres, '
levaient les bras dès que Maître Bl'êmc jetait sur eux
dcs yeux Curieux. Au bout d'un moment les deux hommes se relevèrent.
Le notaire, la voix chal1·gée, déclara avec son savoureux accent belge:
- Cela fera quand même lIlle jolie somme, savezvous? Vous connaissez le cours d'e l'ivoire?
- Non, mais j'espère que vous me le donnerez quand
je VOus règ,(erai vos honoraires, car après l'aide que
vous m'avez apportée, je comple vous payc!' en nature
,p lutôt qu'cil espèces.
Et les deux blancs s'étreign irent v,igoureuserncnt, tan ..
dis que les boy .. voyant leur visage s'éclairer, bl'jssnient
lentement les braS, se sentant rassurés sur leur sort.
FIN
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La forêt en flammes
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Chambon, Jacques (1898-1967)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Ferenczi et fils
(Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1939
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
32 p.
15 cm
application/pdf
Description
An account of the resource
Le petit roman d'aventures ; 170
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque de l'université Clermont Auvergne
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BUCA_Bastaire_Roman_Aventures_C95464
Relation
A related resource
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/43/78159/BUCA_Bastaire_Roman_Aventures_C95464.jpg