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4 ^
RÉCLAMATION
D’ É T A T .
U n pere voulant ravir à fa fille unique & légitime
la fucceffion de fa mère lui conteft efa légitimité :
il lui f uppofe une fauffe mère dans une famille
étrangère : il lui refufe les alimens qu elle demande
en attendant la décifion de fon état
,
.
N ecare videtur non tantum is qui partum perfocat ; fed & is qui abjicit
& qui alim onia denegat.......... Leg. I V , Lib. x x v , f f. de agnofeendis , &
alendis liberis.
U ' tj f k.
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P A R I S
M.
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D C C.
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'¿oeo'Zy
,
D e l'imprimerie de P. G . S i m o n , & N. H. N
Imprimeurs du Parlement, rue Mignon .
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L X X X I V.
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DE MANDE
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m aintenue p ro vif oire en la poffe ffîon d 'é t a t ,
& provif ion alimentaire.
P O U R C a t h e r i n e - V i c t o i r e G r o m e a u , fille mineure ,
procédant fous l’affiftance &: autorité de M e C arlier, fon
Curateur ad hoc , & pour ledit M e C a r l i e r audit nom ;
C O N T R E N ic o la s - J e a n - B a p t is t e G r o m e a u , intéreffé
dans les affaires du R o i, fon pere.
Q u e l fort que celui d'une fille unique & légitime, qui
après avoir reçu de fon pere l’éducation la plus diftinguée,
& toutes les marques de l’amour paternel, fe voit tout-àcoup l’objet de fa fureur & de fa haine, repouff ee de fon
fein , & releguée dans la claffe de ces enfans défavoués
& malheureux, qui femblent ne refpirer que pour déplorer
le moment fatal de leur naiffance
Le fieur Grom eau, pour éluder le compte qu’à fa ma
jorité prochaine il devra à fa fille , prétend lui enlever
l’honneur de la légitimité dont elle a joui depuis fon ber
ceau , & qui lui eft affuré par les titres les plus authen
tiques & les plus refpectables. Il lui refufe les alimens dans
un Monaftere où elle a été obligée de fe retirer pour fe
A
j
Ch a t e l e t t
ARC CiriL'
rapport de m.
D uval , Coït-
fcillcF
�1
dérober à fa colere, à fes traitemens affreux. Quel eit fon
prétexte, fur le refus des alimens ? c’eil encore la bâtardife , comme fi un pere naturel ne devoit rien à fes enfans l
ainfi il foule à fes pieds la premiere de toutes les lo ix , celle
de la nature.
Que d’avides collatéraux viennent fouiller la mémoire
d’un parent & difputer la légitimité à fes enfans pour enva
hir fa fucceffion , c’eil un trait aiTez ordinaire dans les fartes
de l’humanité. Mais qu’un pere , loin de rougir d’avoir créé
dans le crime , proclame fans néceiïïté fa propre honte, fe
vante même d’un fcandale qu’il n’a pas commis, deshonore
une fille unique qu’il a reconnu légitime fur les fonds de
baptême , & aux pieds des Autels où il a été prêt de la con
duire dans deux mariages projettés ; qu’il refuie à cet enfant
des alimens dans une retraite religieufe, quand il vit dans
l’aifance & félon fes goûts j qu’il la diffame, la calomnie,
vomifle mille outrages j enfin qu’il lui fuppofe une fauffe
m ere, par le plus coupable attentat à l’honneur d’une fa
mille étragere, c’eil un exemple rare de la perverfité du cœur
humain. Il étoit réfervé à notre fiecle , à notre Capitale, où
la licence des mœurs s’affiche impunément fur nos Théâtres,
de voir un citoyen & un pere" porter cette même licence
jufques dans le faniluaire de la Juilice , y braver l’honnêteté
publique, & s’imputer des crimes pour ôter à fa fille unique
l’honneur de fa naiffance légitime , dont il femble ne faire
pour fon compte aucun cas j ce mépris public des mœurs ,
cette fouillure du Temple des Loix annonce le dernier degré
de corruption & de calamité.
Les Minières de la Juftice ne tarderont pas fans doute à
rçpoufler de leur Sanéluaire un fcandale auifi effrayant ; &
en confacrantpar provifion une poiTe/fion d’état appuyée fur
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les titres les plus facrés , ils apprendront à ce pere indifcret
à refpe&er les mœurs, la tranquillité des familles, l’honneur
de fa fille ; & à fe refpe&er lui-même.
Viftoire-Catherine Gromeau naquit à Paris rue B etizy, ^
le 3 Août 1 7 6 0 , du légitime mariage de Jean - Baptifte
Gromeau , alors Employé aux affaires du R o i , & de Ca
therine Calon , fon époufe. Elle fut baptifée en l’églife de
S. Germain-l’Auxerrois , fon pere préfent. L ’afte de baptême
eft iigné de lui ( 1 ) . C ’eft lui-même , qui loin de rougir de
la naiiTance d’un enfant qui feroit le fruit de fa débauche, le
reconnoît au contraire à la face de l’E g life , comme le gage
précieux de fon union , & vient dépofer fon état dans les
regiftres publics deftinés à fixer l’état des hommes.
Cet enfant perdit fa mere dans un âge trop tendre pour
avoir pu la connoître. Elle fut élevée depuis le berceau
dans la maifon paternelle. A l’âge de fept ans fon pere la
mit à Ruelle au Couvent des Dames de la Croix. Il la rappella au bout de deux ans.
Elle entroit dans fa onzieme année lorfque fon pere tra
vailla à perfectionner fon éducation chrétienne. Il lui donna
des maîtres dans les talens agréables. Le fieur Lejeune lui
enfeignoit le Deflin & la Peinture.
( 1 ) E x t r a i t d e s r e g iflr e s d e l ’ E g l i f e R o y a l e & P a r o if f i a le d e S a ïn t - G c r m a i n - V A u x e r r o i s i
L e 3 A o û t 1 7 6 0 , fu t b a p t ifé e V ïE lo ir e - C a t h e n n e , f i l l e d e N i c o l a s - J e a n - B a p t i f l e G r o m e a u ,
E m p l o y é a u x a ffa ir e s d u R o i t £ d e C a th e r in e Ç a lo n f o n é p o u f e , ru e B é t i ^ y ; le P a r r e i n ,
L o u i s B o n a r d , B o u r g e o is d e P a r i s ; l a M a r r e i n e , P ie r r e t t e N i c o t , f i m m t d e A r d r i - L a u *
re n t C h a l o i t B o u r g e o is d e P a r t s . L ’ e n fa n t t j l n è a u jo u r d ’h u i , & o n t f i g n e à l a m in u te .
S i S n e s ’ B ° n a rd y N i c o t , G r o m e a u . C o lla t io n n c à l ’ o r i g in a l p a r m o i f o n jp g n ê C u t i d e l a
P a r o i j f e , A P a r i s t « p J a n v i e r 1 7 8 4 » S ig n é , R i s G A R D .
A ij
�Elle viiitoit fouvent une tante, fœur de fon pere j elle
en étoit traitée avec des égards, des foins & une amitié
que des parens collatéraux ne prodiguent guère à un
enfant né de la débauche & du libertinage. Cette tante,
que la demoifelle Gromeau a encore eu le malheui
de perdre , étoit fouvent fa médiatrice auprès de fon
p e re , foit pour calmer fa févérité ,, foit pour obtenir de
fa tendreiîe paternelle ces légeres fatisfa&ions de la parure,
qui plaifent tant à la jeuneflc , & qui étoient le prix mérité
de fon application tk. de fon avancement.
Son goût pour la Peinture étoit déclaré j il devenoit même
une paiTion. Le fieur Gromeau qui s’en apperçut remercia
fon maître , & dit à fa fille que n’ayant pas befoin.de ce
talent pour v iv r e , il ne voùloit pas qu’elle le portât trop
loin.
Elle entroit alors dans cet âge où les femmes font
capables des foins de la maifon , & d’y procurer la féli
cité domeftique. Elle en fit fa principale occupation, &
fon unique gloire ; elle s’acquittoit par mille tendres
foins, envers celui qui avoit foulagé avec bonté les incom
modités de fon enfance importune , qui avoit guidé fa jeunefîe, & qui lui avoit fourni les talens , & les moyens
néceflaires pour fe dérober à l’ennui , & aux vices dont
on voit tant de vi£times dans un fexe foible & inoccu
pé. L a demoifelle Gromeau reconnoiiTante , méprifant les
charmes d’une figure qui pouvoit la rendre vaine , s’honora
d’être la premiere domeitique de fon pere , dans une infirmité
qui le menaçoit de perdre la vue. On la vit fubitement
paiTer de la vivacité de l’enfance & de la jeuneife, à un cara&ere folide , & devenir la compagne de fon pere, & fon
�4 ^
■
S
unique confolation. Elle avoit atteint l’âge de 1 9 ans }
n’ayant jamais cefle de jouir au milieu de la fociété de ion
état légitime.
A cette époque remarquable, le fieur A * * * * , ami de
Ton p ere, la demanda en mariage. Ce jeune homme pourvu
d’un état honnête & lu cratif, fe contentoit d’une modique
dot de 6 0 0 0 liv. On vit un moment où le fieur Gromeau
étoit prêt de confentir -, puis changeant tout-à-coup de fentiment il renvoya avec humeur ce prétendant qui s’étoit
montré avec le plus noble déiintéreiTement, & comporté
avec la plus grande décence.
La jeune perfonne ne murmura point contre cette con
duite de fon pere : cependant il la tint renfermée pen
dant trois m ois, à l’expiration defquels il la fit partir pour
Chartres nuitamment & à l’improvifte , & la mit au
Couvent de l’Union , comme ii elle eût été coupable. Il
foupçonnoit que fon cœur étoit bleiïe, & vouloit, difoit-il,
y ramener lô calme de l’indifférence. Falloit-il pour cela fe
porter à une démarche aufli inconfidérée, qui tenoit plus
de la diffamation & de la tyrannie , que de la follicitude &
tendre prévoyance d’un pere ?
Le 4 Mars 1 7 8 3 , la demoifelle Gromeau fut rappellée
dans la maifon paternelle, où le malheur l’attendoit. Elle n’y
trouva plus un pere ", les fentimens du iieur Gromeau avoient
été aliénés en fon abfence par une affeftion étrangère
dont les fuites ne furent que trop publiques. L ’objet de cette
affeftion ofoit publier qu’il étoit pere naturel & non légi
time de- fa fille. La diffamation étoit d’autant plus langlante
qu elle partoitde la bouche d’une commenfale de la maifon,
qui avoit pris un empire redoutable fur l’efprit du fieur
Gromeau. Les mauvais traitemens étoient toute la fatisfaç*
�1 .* •
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tion qu’il donnoit à fa fille fur ces difcours infolens , aux
quels il n’ajoutoit, difoit-il, aucune foi ; & la protégée nioit
le cas.
Cette calomnie parut refter affoupie pendant un certain
tems : elle fe réveilla dans une circonftance bien cruelle ,
mais bien intéreflante pour la caufe.
Vers la fin de Juillet 1 7 B 3 , le fieur Gromeau fit appeller le fieur M .. . . , Profefleur d’Anatomie , en qui il
avoit confiance , pour la guérifon de fes yeux. Ce jeune
Praticien devint bientôt l’ami de la maifon : il plut au fieur
Gromeau, au point qu’ayant conçu de l’inclination pour fa
fille , elle lui fut accordée.
L a favorite voulant mettre obftacle à cette union , fit
parvenir au jeune Médecin les propos qu’elle avoit ofé en
fanter. Celui-ci alla trouver le fieur Gromeau chez le fieur
M auduit, un jour qu’il s’y faifoit éle&rifer. Il lui fit part
des difcours qui lui étoient parvenus fur l’état de fa fille.
V oici la lettre que le lendemain il lui écrivit^ à ce fujet.
•C’étoît l’ex;
„ y ous trouverez ci-joint * , Monfieur , la réponfe à la
trait de b a p '
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7
•
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tême
de fa >» converfation que vous m’avez tenue hier matin chez M .
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» M auduit} vous pouvez même en faire part aux gens de
» la ville , & même à ceux de la campagne qui ont part
»aux propos infâmes tenus fur ma fille. Je fuis même en
» état dç donner d’autres preuves authentiques de la validité
»de mon mariage, lorfque les circonftances& les honnêtes
» gens l’exigeront. Vous n’avez pas beaucoup différé à
» réalifer. ce que vous m’avez dit il y a quelques jours que
» l’on cherchoit à noircir la réputation de ma fille : mais jç
»vous préviens que j’attends de pied ferme les canailles
»>qui oferont dire quelque chofe , parce que je fuis fon dét»fenfeur. Je fu is, & c .
G ro m eau ,
�4ÿ
i
7
» P . S . Vous voudrez bien me renvoyer cet extrait
» quand vous en aurez pris copie , & même fait la vérifi» cation. ».
Cette lettre du fieur Gromeau , rapportée en original,
parce que le iieur M ** * * a bien voulu la communiquer ,
porte une déclaration que les Loix ne permettent pas à un
pere de retra&er. Jointe à Faéte de baptême , émanée de
fa main à la fuite de la poiTeflion publique d’enfant légitime
pendant plus de vingt ans , c’eft le complément de tout ce
qui peut aiTurer l’état de la demoifelle Gromeau dans la
fociété civile.
Cependant des troubles d’un autre genre vinrent affliger
cette fille infortunée. Le cœur de fon pere fe, changea tout—à
coup ÿ il ne voulut plus confentir à aucun mariage, ni que fa
fille le quittât d’un feul inftant. Etoit-ce excès de tendreffe,
ou une véritable haine ? C ’étoit l’un & l’autre enfemble. Les
foins empreifés de cette fille auprès de fon pere menacé
de perdre la v u e , étoient fouvent reçus par des traitemens
ignobles, mêlés de difcours étranges. Elle fe retiroit dans
fa chambre en verfant des larmes ; elle y étôit pourfuivie
avec fureur.
Vingt fois elle fupplia fon pere de la reléguer dans un
C ouvent, puifque fa piété filiale & fes fervices domeftiques
ne lui étoient point agréables. Elle follicita même une dot
dans un Monaftere , pour y paifer toute fa vie. Il répondit
à cette priere en lui reprochant fon ingratitude. Vous
voule^ donc , difoit - il 9 m'abandonner dans mon infirmité à
des foins étrangers ?' Cette infirmité eft une vue obfcurcie.
Le fieur Gromeau, dans un âge peu avancé , jouit d’ailleurs
dune fante parfaite : les couleurs de la jeuneiTe nuancent
encore fon vifage •, aucunes rides ne couvrent fon front.
�8
'
Un jour qu’elle infifta pour la retraite , forcée par fes
tiraitemens extraordinaires , il entra en fureur , & lui dit
qu’il ne lui devoit rien , qu’il n’gvoit jamais rien reçu de
fa mere. — Eh 1 n’êtes-vous pas mon pere ? — N on j je ne
te connois pas : tu n’es qu’une ingrate , indigne de ma
tendreiTe & de mes bienfaits.
Bientôt les mauvais traitemens devinrent plus violens ;
les injures & les menaces étoient à leur comble : cette
malheureufe fille étoit même le jouet d’une domeftique audacieufe , qui avoit acquis ' cet empire par de viles complaifances.
L a demoifelle Gromeau ne put réfifter à tant d’outrages ;
elle fentit bientôt les atteintes d’une maladie mortelle. Elle
pria le Médecin de fon pere de lui procurer un afyle , en
attendant qu’elle pût fe rendre dans un Couvent. Elle y fut
reçue malade , & fut prefqu’auffitôt attaquée d’une fluxion
de poitrine , qui fit long-tems craindre pour fes jours.
Dans cet état de maladie & d’abandon , enyain fit-elle
folliciter fon pere de la fecourir ; les inftances furent in
utiles. Les fecours les plus preilans furent refufés , fous le
prétexte que la malade n’étoit qu’un.e bâtarde , à laquelle
fon pere naturel avoit donné un talent pour fubfifter ;
qu’après l’avoir nourrie & élevée jufqu’à l’âge de 24 ans, il
ne lui devoit plus rien.
Après fa convalefcence, la demoifelle Gromeau fit en?
core prier le fieur fon pere de lui indiquer un Couvent.
Il promit de faire réponfe , & garda le filence lé plus froid.
On fut obligé d’intérefler la religion & la charité des ames
honnêtes pour procurer à fa fille un Couvent.
Pans cette extrémité , elle fe vit forcée d’implorer le
fecours
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fecours des Loix. Elle forma fa demande au Chàtelet ,
en proviiion , d’une fomme de 1 2 0 0 0 liv. , en attendant
qu’il pût être ftatué fur fes droits légitimes & fur fon état c iv il,
& que par proviiion les termes injurieux de bâtardife fuiTent
fupprimés. Au fond, elle demanda que le fieur fon pere fût
condamné à lui communiquer l’inventaire qui a dû être fait
après le décès de Catherine Calon , fa mere , & les pieces
inventoriées , & de rendre le compte de la communauté
qui a dû exifter entre lui & ladite défunte dame fon époufe ;
finon , à lui payer la fomme de 6 0 ,0 0 0 liv.
Le fieur Gromeau crut oppofer une défenfe légitime à
cette demande en difant » que fa fille étoit bâtarde, qu’il ne
»lui devoit rien, & qu’elle devoit fe contenter d’avoir reçu
» chez lui des foins & une éducation que le vice de fa naif» fance ne la mettoit pas en droit d’attendre ni d’exiger. »
N ’efi: - ce pas infulter à un être malheureux que de lui
reprocher même fon éducation ? Nous ferions tentés de
penfer que quand la naiffance eft fouillée par l’incontinence
d’un pere , par fon mépris pour la Religion & pour les
Loix , les foins & l’éducation qu’il doit au fruit de fon
crime femblent mériter de fa part plus d’attentions & de
foins, afin d’expier fa faute ,• & d’effacer , s’il lui eft poffible , une tache dont un enfant innocent n’eit pas coupable ,
en procurant à cet enfant au moins la confidération &
l’eftime que les gens de bien accordent toujours au mérite
perfonnel.
Le fieur Gromeau ajouta » que la demande formée contre
»lui avoit tous les caraéteres de l’a&ion qu’intente une fille
» naturelle contre fon pere ; que fe prétendant légitime ,
»»elle devoit convoquer fa famille en l’hôtel du M agiftrat,
» s y faire nommer un tuteur pour s’aiTurer le fuffrage de
B
�» cette famille dans laquelle elle avoit deiTein de fe faire
» admettre : que pour établir fon état, elle devoit rapporter
» l’a&e de célébration de mariage de fes pere & mere ;
» qu’il n’y a qu’un pareil a£le qui puiiTe aiTurer l’état d’un
» enfant légitime. »
Il prétendit enfin que la mere de fa fille étoit encore exiftante, fe nommoit Marie-Catherine Calon; & quelle époufa à
Saint Euftache, le 19 Novembre 1 7 6 4 , le fieur Lacroix.
Il donne 'en effet la copie de fon extrait de mariage.
Mais ce n’eft-Ià qu’une affertion hardie ; car l’extrait de
baptême de la demoifelle Gromeau porte qu’elle effc fille de
Catherine Calon, époufe de Nicolas-Jean-Baptifte Gromeau.
O r , Catherine Calon & _Marie- Catherine Calon font évi
demment deux individus très - diftinéls par la défignation
des noms de baptême. Et quand Catherine & Marie-Catherine
Calon feroient un feul & même individu, le mariage que
Marie-Catherine auroit contra&é en 1 7 6 4 feroit-il abfolument la preuve qu’elle n’en auroit pas contraélé un premier
avec le fieur Gromeau ? Ce font de ces évencmens trop peu
rares pour en nier la poiïibilité. Mais fans éclaircir ce myftere , il fera aifé de démontrer qu’à la faveur de cet a£le
de mariage controuvé, le fieur Gromeau ne peut enlever à
fa fille l’honneur de la légitimité.
Cette queftion de légitimité ne peut être jugée défini
tivement en ce moment. Il ne s’agit aujourd’hui que de la
maintenue provifoire en la pofleifion d’é ta t, & d’une provifion alimentaire. Comme cette provifion doit être d’autant
plus confidérable fi elle eft adjugée à une fille que la Juftice
préjuge légitime, il eft neccfiaire d’établir la légitimité de la
demoifelle Gromeau. On ne l’établiroit pas , qu’il n’y auroit
encore aucun doute que fon pere fût condamné à lui
�payer également une. provifion alimentaire ; fk. en définitif,
une dot quelconque pour fon établiffement , félon le rang
dans lequel il l’auroit élevée.
Les principes fur cette matiere ne font plus chancelaos.
L ’illuftre d’Agueffeau & le célébré Cochin les ont fixés
dans leurs Plaidoyers immortels, & la Cour les a confacrés
par fes Arrêts. La légitimité des enfans , d’après ces deux
grands Orateurs , peut s’établir par la feule poffeilion d’état,
ne fût-elle accompagnée d’aucuns titres. C ’étoit autrefois la
feule marque, la feule régie qui diftinguoit les hommes & les
citoyens entr’eux. Les enfans étoient élevés dans la maifon
cles peres & m eres, comme les fruits précieux de l’union
conjugale. Les rapports des différens membres d’une famille
fe confirmoient , fe reiTerroient de jour en jour par la
notoriété publique. C ’étoit enfin la poileffion feule qui fixoit
l’état des hommes -, c’étoit l’unique efpece de preuve qui fût
connue j & quiconque auroit voulu troubler cette pofleiïion,
auroit troublé toute l’harmonie du genre humain.
Quoique nos Légiflateurs aient ajouté un nouveau genre
de preuves à la pofleffion d’état, elle n’en eft pas moins encore
feule fuffifante pour fixer parmi nous l’état d’un citoyen.
Nos Ordonnances ont introduit l’ufage des regiftres publics *
ce genre de preuves n’ajoute qu’un degré de force à l’état
qui doit être établi dans la fuite par la poiTeffion. L ’auto
rité que forme le concours de ces peuves eft inébranlable j
quand celle de la pofleifion & celle des regiftres publics
fe prêtent un mutuel fecours, tous les doutes difparoiflent.
Le genre d’éducation, dans nos mœurs, eft encore une
preuve , ou au moins un indice violent de l’état légitimé
d un enfant. L a voix de la nature & celle du feutiment
B ij
�s’expliquent par leS circonftances de l’éducation j c’eft une
fécondé naiffance : la premiere eft la naturelle ; celle-ci eft
pour ainii dire une naiffance civile & fociale.
Que iî la négligence d’un pere refufe à fes enfans cette
preuve de leur légitimité , la loi ne les abandonne pas pour
cela ; la moindre déclaration, émanée de lu i, opere une
parfaite conviftion contre lui jufqu’à ce qu’il montre manifeftement qu’il a été trompé. Développons tous ces prin
cipes.
§. Ier.
Pojfejjlon d’état fondée fu r le titre primordial de la
légitimité.
Il n’y a point de peuple fur la terre chez lequel l’homme
foit affuré de fon origine, & de fa qualité de fils légi
time.-En vain les nations les plus civilifées ont-elles cher
ché une maniéré certaine de juger du véritable état des
citoyens ; c’eft un fujet qui n’admet que des conje£hires >
des préfomptions & des probabilités. Les Légiilateurs R o
mains ont pofé pour réglé que celui qui nait hors du
légitime mariage s’attache à la m ere, félon la loi de la
nature ( i ) ; de-là, ils ont préfumé que celui qui a été élevé
par fon pere eft légitime. C ’eft fur ce fondement conje&ural
que la poffeffion d’état s’eft établie.
Cette pqffeilion ainfi acquife, l’Empereur Titus voulut
quelle eût l’effet de re&ifier même les titres de la naiffance
quand ils étoient défeftueux, afin, que l’état des enfans n’en
—i
(1)
1
"■■■ 1
—
—
Lex naturœ hac ejl, ut qui nafcitur Jint légitima matrimtnio, matrtm fequaturi
Leg. 24, de ihtu hom, ff. Q.
tit. 5.
�13
pût être blefîe, y fuiTent-ils déiîgnés fous le titre d’efclaves ou de bâtards ( i ) .
La difpoiition teftamentaire de Lucitis Tititts , citoyen
Romain , fournit un exemple remarquable de la poiTeffion
d’état chez les anciens. Son teftament étoit conçu en ces ter
mes : « Si Aurelius prouve au Juge qu’il eftmon fils, qu’il foit
» mon héritier » . La queftion débattue par les Jurifconfultes,
le Juge difpenfa de la preuve ; Aurelius fut déclaré fils lé
gitime , & fuccéda au teilateur (2). Tel étoit l’effet de la
iimple poiTeffion d’état chez ces Légiilateurs.
C ’efi: auffi l’efprit de nos Loix & de notre Jurifprudence.
Chez une nation foumife aux loix de l’Evangile la fociété
n’eft pas intéreffée à nourrir des bâtards dans fon fein ,
elle l’eft beaucoup au contraire à n’y rencontrer, & à n’y
reconnoître que des enfans légitimes , pour l’exemple des
mœurs. Un pere q u i, de fon vivant proclame bâtarde fa
fille unique , fe couvre parmi nous de' honte & d’infamie ;
& fa déclaration n’eil d’aucun poids. La poiTeffion d’état
fuffit à fa fille , fans juitifier même de fon extrait de bap
tême , ni de l’a&e de célébration de mariage de fes pere
& mere.
« D e toutes les preuves qui affurent l’état des hommes
»>dit le célébré C ochin, il n’y en a point de plus folides,
»de plus puiffantes que celles de la poiTeffion publique.
» L ’état n’eil autre chofe que le rang & la place que cha» cun tient dans la fociété générale des hommes ; & quelle
» preuve plus décifiye pour fixer cette place que la poffef( 1 ) Imperator Titus Antoninus rtfcripjit non lotiï ftatum liberorum ob tenorem
injlrurncnti'malèconcepti, ff. deftat.hom. tit 5. i. 8. Godeftoy, fur cette lo i, ajoûte;
Ut fi fervi , fpv.nl apptllaù fint.
(2) Loi 83 , ff, dt eçnvic, €•' dtmonft.
�V ^ V14
» iion publique où l’on eft d’en occuper une depuis que l’on
» eit au monde ?
» Celui qui l’a en fa faveur n’eft point obligé de remon
t e r à d’autres preuves: elle tient lieu de tous les titres
» que les Ordonnances deiirent ; elle fupplée aux aftes de
» célébration de mariage , aux extraits baptiftaires, & à
h tous les ailes qui font ordinairement employés pour fixer
» l’état des hommes.
» Mais il ce principe eft ii néceflaire en lui-même, ajoute
» ce célébré Jurifconfulte , il devient encore plus facré quand
» on oppofe aux enfans qu’ils ne rapportent pas l’a&e de
» célébration de mariage de leurs pere & mere. La raifon
» décilîve eft que ce titre n’eft point perfonnel aux enfans.
» Les titres qui leur font propres font leurs extraits bap» tiftaires. Ils font obligés d’en juftifier , ou de fuppléer à
» ces titres eifentiels par d’autres aétes , ou papiers domef» tiques. Et ii tout cela leur manque, la poffeifion publique
» de l’état vient à leur fecours j mais il n’y a jamais eu ni
» Loi ni Ordonnance qui ait exigé qu’ils portent la preuve
»jufqu’à établir que la qualité de mari & femme prife par
» leurs pere & m ere, leur a appartenu légitimement. Elle
» feroit réduire très-fouvent les enfans à l’impoffible. Com» bien y en a-t-il qui élevés tranquillement fous les yeux de
» leurs parens, n’ont jamais penfé à demander où leur pere
» avoit été m arié, & qui interrogés fur ce point après la
» mort de leur pere , feroient abfolument hors d’état d’y ré» pondre ? Combien y en a-t-il qui ne favent pas même où
» leur pere demeuroit dans le tems de fon mariage ?
»Jam ais, s écrie plus loin. l’Orateur, on a porté l’inqui» fition à de tels exces ; on s’eft toujours repofé fur la foi
vpublique, dans toutes les circonftances où la légitimité eil;
�*>néceiTaire : jamais elle ne s’établit que par l’extrait baptif» taire de celui qui fe préfente. S’agit-il de recevoir un Ma» giftrat, d’ordonner un Prêtre ? Son extrait baptiftaire fuffit,
» & jamais on n’a demandé Pà&e de mariage des pere &
»mere. Pourquoi cela ? C ’eit que l’enfant dont l’etat eft
>>aiTuré parles titres qui lui font perfonnels , ne peut
» être obligé de rapporter les titres de fes auteurs ; c’eft que
» l’autorité des titres perfonnels de l’enfant & de leur exé»>cution , prouve par elle-même Pexiftcnce des titres de fes
» auteurs, quoiqu’ils ne foient pas rapportés ; ôc pour tout
» dire , en un m ot, c’eit que la pofleilion publique fuffit par
» elle-même «.
Ces principes ont été adoptés par une foule d’Arrêts. Le
premier eil celui d’André Dohin, que Cochin rapporte. Par
fon contrat de mariage avec Colette Raquelot, il lui avoit
fait une donation univerfelle de tous fes biens. A fon décès ,
fes collatéraux contefterent la donation ,' fur le• fondement
qu’il n’y avoit point eu de mariage. La veuve déclara le
jour où elle avoit été mariée en la paroifle Saint - Jacques
de la Boucherie.On confulta les regiftres qui fe trouvèrent en
bonne forme, & l’afte de célébration de mariage ne s’y trouva
point: cependant par Arrêt du 7 Juin 1 6 7 6 , fur la foi de
la poiTeiîion publique de femme légitime où elle avoit longtems vécu , fon état fut maintenu, & la donation confirmée.
On trouve au Journal des Audiences, tom. 5 , un fécond
Arrêt du 1 7 Janvier 16 9 2 , qui a jugé que l’enfant n’étoit
point obligé de rapporter l’a&e de célébration de mariage
de fes pere & mere, & que la preuve de la p o fle ilio n d’état
lui fuffifoit.
En 1 7 1 1 , le fieur Miotte , accufé de bâtardife , fut
déclaré fils légitim é, quoiqu’on ne pût rapporter l’aile de
célébration de mariage de fes pere & mere j mais il avoit
�t')l
*
Ï<V
vécu dans la poiTeffion de la qualité d’enfant légitime.
En 1 7 2 5 , Marie-Anne Porchet fut déclarée légitime par
Arrêt de la C o u r, nonobftant la Déclaration de 1 6 8 o , qui
déclaroit nuls les mariages des Proteftans avec les Catho
liques. Louis Porchet fon pere étoit dans le cas ; & l’on ne
rapportoit pas l’extrait de fon mariage , qui devoit avoir été
contra&é depuis la prohibition de la Loi. On le préfuma
antérieur, & l’état de l’enfant fut confirmé.
Qui ne connoît PArrêt deBourgelat, plaidant M e Cochin?
Bourgelat étoit fils d’un premier lit. Sa veuve demandoit à
partager la fuccefïion de fon beau-pere, avec les enfans du
Îecond lit. Ceux-ci foutinrent qu’il étoit bâtard ; on ne rapportoit point en effet d’extrait de mariage : cependant l’on
jugea que fans remonter aux titres primordiaux, la poiTeffion
publique de l’état du fils fuffifoit pour le déclarer légitime.
Appliquons ces principes. Un enfant vient de naître au
fieur Gromeau ; il s’empreffe de le faire infcrire fur les monumens facrés qui affurent en même tems fon entrée dans
le fein de l’E g life, & fa-place dans la Société civile. C ’eil
un pere qui s’applaudit, & reçoit cet enfant^ comme un gage
précieux de la fidélité conjugale.
Catherine -Vi&oire n’a d’autre afyle que la maifon où
elle eit née. Le fein maternel eil la fource pure où elle
puife la vie fous les yeux d’un pere qui s attendrit à ce
fpe&acle. L ’époufe s’occupe des foins de fon enfance : elle
d^cede ; fon époux la remplace, & fa fille ne ceffe d’être
l'objet de fes foins & de fes complaifances, comme le feul
gage qui pût adoucir la douleur que lui caufe la perte d’une
époufe chérie.
Le pnoment de l’éducation morale arrive. Le Sr Gromeau
conduit
�JO I
17
conduit fa fille unique dans une Maifon Religieufe, où elle
fe prépare à Te rendre digne de s’unir à ion Créateur par
la nourriture myftérieufe qui purifie l’ame 'des vrais Chré
tiens. Eniuite il s’occupe à embellir Tes qualités naturelles
par des talens agréables. Le deffin & la peinture n’cft,
dit-il, qu’un métier qu’il a voulu lui donner pour gagner
fa vie ; mais le fait dément cette aiTertion. La demoifelle
Gromeau a z 4 ans, & jamais elle n’a fait la moindre dé
marche pour faire connoître au Public fon talent dans ces
arts libéraux. Il y a même plufieurs années que fon pere lui
fit abandonner fes travaux fur cet o b jet, afin de porter
toute fon application aux foins de fa m aifon, dont il lui
donna le gouvernement.
Enfin il a voulu deux fois la m arier, comme fa fille lé
gitime -, & cette inculpation atroce de fille naturelle n’eil
que le fruit de l’imagination d’une intriguante qui eit venue
à bout de pervertir le cœur d’un pere. Faites un pas dans
le crime , vous êtes entraîné dans un autre. Infenfiblement
le fieur Gromeau s’eft laiiTé fubjuguer au point que l’intérêt
le plus vil l’a porté enfin à nier l’état de fa fille pour lui
ravir fes droits & fa légitime. Tel eft lVffet des pafiions
malheureufes qui fouvent dénaturent les cœurs foibles.
Mais avant que le fieur Gromeau eût reçu ces impreflions
funeiles, avec quelle force ne s’élevoit-il pas contre les
ferpens de l’en vie, qui jettoient leur venin fur fa fille unique ?
J ’attends 3 diioit-il, les canailles qui ofent fe pei mettre ces
propos infâmes. J e f uis en ¿tat de donner des preuves authen
tiques de la validité de mon mariage, lorfque les circonflances
£ les honnêtes gens Vexigeront. Donnez-les donc, malheu
reux pere 1 Ces preuves authentiques qui d o iv e n t rétablir
votre honneur & celui de votre enfant ! Les circonflances
C
�/
i8
l’exigent ! la Juftice vous en fait un devoir ! & ii vous êtes
fenfible à l’eftime des honnêtes gens & à votre propre gloire,
vous ne tarderez pas à défavouer votre impofture. Si vous
y perfiftez , vous ne recueillerez de votre crime que la
honte & le défefpoir j car les Loix vous condamnent. Ecou
tez le langage d’un grand Magiftrat.
« Quand un pere feroit coupable, dit M. d’AgueiTeau ,
» quand il auroit l’indifcrétion de s’accufer lui-même, il
» n’eft point l’arbitre de l’état & de la deftinée de fon fils.
» La Loi rejette fon témoignage, & les Arrêts n’ont jamais
» eu d’égard à ces vaines déclarations fuggerées par la co» lere ou l’intérêt, infpirées par la haine, toujours fufpeftes ,
» foit de la part de celui qui les fait, foit de la patt de
» ceux qui les écoutent & qui en rendent témoignage «.
Le témoignage du iieur Gromeau eft fu fp eft, puifqu’il
ne doit le jour qu’au befoin de fe défendre contre l’aftion
en reddition de compte de fa fille : il eft fau x, puifqu’il eft
démenti par fa lettre datée du i Septembre i 7 8 3. Voilà donc
l’époque du premier trouble que fa fille a éprouvé dans la
poiTeifion de fon é tat, fi toutefois l’on peut appeller trouble
des difcours étrangers émanés de gens que fon pere appelle
des canailles. Elle a donc vingt-trois années de poifeiïïon
publique de fille légitime dans la maifon paternelle, confir
mée par ld déclaration du fieur Gromeau lui-même, qui
l’avoit reconnue en 1 7 6 0 fur les fonts de baptême. O r, elle
ne peut être dépouillée de cet état par provifion ; & au
contraire, par provifion , elle y doit être gardée & main
tenue : fpoliatus ante çmnia rejlituendus ejl. Autrement, un
enfant élevé dans la maifon de fes pere & m ere, comme
le fruit légitime de leur mariage, courroit tous les jours
le rifque d’être dégradé.
�19
En matiere provisoire, l’examen des titres qui femblent
combattre la pofleffion publique, fe renvoie lors de la difcuffion du fond de la queflion. Ainii la demoifelle Gromeau
pourroit fe renfermer dans fa feule pofleffion d’état certifiée
par fon pere. Elle lui fuffiroit pour obtenir des Magiftrats
la provifion alimentaire, & la radiation des termes de bâtardife^ comme injurieux & diffamatoires. Mais des intérêts
aufïi précieux exigent que nous traitions la matiere dans
toute fon étendue, comme s’il étoit queftion d’une décifion
définitive fur l’état de la réclamante. Nous ne faurions trop
difîiper les nuages & éclairer la religion des Magiflrats : il
n’eft pas moins important de porter la lumiere dansTefprit..
du fieur Gromeau, afin de le faire-rentrer en lui-même.
Détruifons fa confiance aveugle ; arrachons-lui fans vio
lence , &; par la feule voie de la perfuafion, les armes qu’il
s’eft forgées, & qu’il regarde comme capables d’afTurer le
triomphe du crime contre les efforts de l’innocence.
§.
I I.
Que le titre de la naijfance de la demoifelle Gromeau n e jl
détruit par aucun titre produit, &-ne peut letre par aucun
témoignage.
Si la pofleffion d’état d’un citoyen étoit équivoque, le
titre primordial en répareroit les vices. Il viendroit au
fecours d’une infortunée qui feroit privée des avantages
d’une reconnoiflance folemnelle. Mais la demoifelle Gro
meau a non feulement la pofleffion publique & non équi
voque de fon état ; elle a encore le titre qu’exigent les
5
C ij
/
�Loix civiles ( i ) & nos Ordonnances pour affurer la légi
timité des enfans. Son extrait de baptême, du 3 Août 1 7 6 0 ,
porte que Catherine Calon fa mere , eft l’époufe du iieur
Gromeau : il étoit préfent à la réda&ion de cet a ft e , & il
l’a figné. Voilà donc une preuve folemnelle, authentique
& invincible de fa naiifance légitime.
Cette reconnoiiTance du fieur Gromeau lors du baptême y
fait naître une préfomption de fon m ariage, telle qu’on ne
peut recevoir de preuve du contraire. C ’eft une Jurifprudence établie par les Décrétales : prœfumptum matrimonium
videtur. Contra pmfumptionem hujufmodi non ejl probado'
admittenda (2 ).
. Nous avons vu plus haut que les enfans ne font point
aiTujettis à rapporter l’afte de célébration de mariage de
leurs peres & meres. Il n’y a donc plus rien à deiirer d’après
l’a&e de baptême de la réclamante.
« Il ne peut jam ais, dit C ochin , fe former une queflion
» férieufe fur l’état d’un citoyen , quand le titre & la pof» feffion font d’accord à fon égard.. . . En vain articuleroit» on alors des faits, & demanderoit-on la permiffion d’en
» faire preuve , on feroit néceifairement accablé par le poids ’
» de ces deux preuves réunies.'.. . . L ’autorité que forme le
» concours de ces preuves eft: inébranlable. La p r e u v e tef» timoniale n’efl: pas d’un poids & d’un caraftere qui puiife
» leur être oppofé : autrement, il n’y auroit perfonne qui
» pût être affuré un feul inftant de fon état, n’ayant pour
» garant de fon fort que les regiftres publics & la poifef*
» iîon <♦.
( 1) Voyez la Loi 2 , cod. de tijlibus, & la Loi 2 4 , ff. de probat.
( i ) Cap. j ç , extrà de fponfalibut & matri 71,
�/ ô /
1
Si l’on a quelquefois emprunté le fecours de la preuve ■
teftimoniale dans les queftions d’état, c’eft lorfqu’il y avoit
une contradi£Uon palpable entre la poiTeffion & les regiftres
1
publics ; parce que la vérité n’étant pas marquée à ces caraéleres dont les Loix exigent le concours, il faut fe prêter
à tous les éclairciiTemens qui peuvent la développer. Mais
quand le titre de la naiffance paroît, aucune preuve néga
tive n’eft admiffible. En cas de perte de regiftres publics }
les Ordonnances du Royaume ont voulu qu’on eût recours
aux regiftres & papiers domeftiques des pere & m ere, pour
ne pas faire dépendre l’état de citoyen de preuves équivoques
& dangereufes, telle que la preuve teftimoniale, dont l’in
certitude a toujours effrayé les Légiilateurs.
Les pere & mere eux-mêmes ne peuvent oppofer leurs
propres témoignages contre l’a&e de baptême de leurs
enfans. Envain diroit-on de la part du iieur Gromeau, que
l’on doit regarder la déclaration d’un pere comme un ju
gement domeftique, toujours également décifif, foit qu’il
foit contraire ou favorable aux enfans ; que les noms facrés
& de pere & de m ere, & la tendrefTe que la nature leur
infpire pour leur propre fang , ne femblent pas pouvoir
permettre que l’on doute de la vérité de leur fuffrage*. Que
ce fut par ces raifons que les Romains accordèrent aux
pères la puiffance de vie & de mort fur leurs enfans, Sc
les ont affranchis de la peine des parricides „ ne préfumant
pas que jamais un pere put abufer de fon autorité , &
rien faire contre l’honneur & l’avantage de fes enfans.
Ce fyftême étoit à la vérité celui d’une ancienne nation
de la Grece j la déclaration de la mere faifoit la loi fouveraine de l’état des enfans, & quoique l’autorité du perene fut pa,s fi grande, néanmoins l’on y déféroit.
"À
�Mais il eil faux que ces maximes aient été accueillies
par les Légiflateurs Rom ains, quoiqu’en dife Bodin dans'
fa république. On a vu des peres condamner à mort leurs
enfans pour le foutien de la difcipline militaire : mais aucun
pere n’a été le Juge Souverain de la naiifance & de la
légitimité de fes enfans. Nous voyons dans leurs L o ix, que
quelque déclaration qu’une mere ait faite contre l’état de
fes enfans, la vérité confervoit toujours fes droits ; on la
cherchoit par toutes fortes de v o y e s, même après le ferment
de la mere.
Voici en effet ce que porte la Loi 29 , ff. de probat. &
præfumpt. « Les preuves de l’état des enfans ne coniiilent
» pas dans la feule affirmation des témoins ; & même les
» lettres .qui feroient émanées des meres ne pourroient
» avoir aucune force de preuve contre leur état ( 1 ) » . r
La même Loi propofe cette queilion. « Une mere en» ceinte eil répudiée par fon mari ; accouchant en fon ab» fence , elle déclare fon enfant batard adultérin dans un
»âéle particulier j elle décédé enfuite ab intejlat. L ’on de» mande il fon enfant tombe dans la puiffance du pere, fi,
»de fon ordre, il peut réclamer la fucceffion de fa m ere,
» & ii la déclaration de la défunte, faite dans un mou» vement de fa colere, peut nuire à fon état. Le Jurifconfulte
»>Scœvola répond que non; & que la vérité a confervé tout
» fes droits ( 2 ) » .
[ed
( 1 ) Probatìones qua de filìis dantur, non in fola ajfìrmaiione ttflium confijlunt,
& epiJìoUs qua uxonbus mijfx allegarentut , f i de fide eatum confluii ,
nonnullam v ic m
inftrumtntorum obtinere decretum eft. Leg. 29 ff. de prob. S i
prajfumpt.
( i ) M ulìtr gravida repudiata . filiurn enixa abfente marito , ut fpurium in ailit
pròf i f a
e/l, Quafiium efl : an is in proteflate patris f i t , 0 maire inteflatà mortud.ì
�Jo ï
2y
' Non-feulement les pere & mere ne peuvent ôter l’état cle
leurs enfans ; mais même ceux-ci ne peuvent s’en tenir à
leur déclaration & abandonner leur état légitime dont ils
doivent compte à la fociété. Deux Princes d’Italie furent
blâmés d’ignorance & regardés comme des lâches pour avoir
abdiqué leurs Etats, par une déférence fotement fcrupuleufe,
pour la déclaration de leur m ere, qui en mourant avoit ‘
aiTuré qu’ils n’étoient pas enfans de fon mari. Qu’une mere,
au lit de la mort, expie dans le fein de la Religion , par
de triftes aveux, l’adultere qu’elle a commis; le repentir eil
légitime: mais qu’elle décide que le complice de fon crime
foit le pere de fes enfans plutôt que fon mari ; c’eft vouloir
pénétrer aveuglement le myftere impénétrable de la nature ;
c’eft juger fans néceifité & fans droit contre l’autorité des
Loix ( 1 ) ; c’eft bleifer les droits d’autrui, qu’il n’eft permis à
perfonne de compromettre. Et des hommes qui adoptent un tel
jugement d’une mere expirante font dans l’ordre civil ce que
des fuicides font dans l’ordre naturel. La demoifelle Gromeau
fe doit donc à elle-même, & elle doit à la mémoire de celle
qui l’a portée dans fon fein , & qui l’a nourrie de fon la it,
de foutenir le titre honorable de fa légitimité. Combattre
fon pere en pareil c a s, c’eft le refpe&er, le forcer à fe
refpefter, & non lui faire injure.
La Jurifprudence Romaine fur les déclarations des peres
& meres contre leurs enfans, nous a fervie de modele.
«Q u i ignore, dit l’Orateur françois ( 2 ) , que les parens
jujfu '¡u s f hcreditatem matris adîri pajjlt ; ntc otßt yrofcjjio à maire irrita ß S Jre/pondu : veritati locum' fuperfore.
(1)
Pater 6- quem nujpùm démontrant.
( a ) C ochin. Plaidoyer de B o u rg ela t, canoniit par un A rrêt notable^
�24
» ne peuvent détruire l’état de leurs enfans quand il eft une
» fois établi ? C ’eft un préfent de la nature, ou plutôt de
» la Providence dont ils ne peuvent difpofer; il eft vrai
» qu’ils en font les premiers témoins : mais quand une fois
» ils ont rendu ( comme a fait le iieur Gromeau ) un témoi» gnage éclatant à une vérité ii précieufe, quand ils l’ont
» confirmé par une longue fuite d’aftes, & par le fait public
» de l’éducation, il ne leur eft plus permis de varier : il n’eft
» plus tems, lorfqu’un fils eft parvenu jufqu’à l’âge de trente
» ans avec tous les honneur d’une naiflance pure , de vouloir
» le faire paffer pour le fruit de la débauche & de la cor» ruption. L ’état eft form é, la poÎfeiTion eft acquife, rien
» ne p e u t l’ébranler » .
« C ’eft un principe général, dit M. d’AgueiTeau, auffi
» convenable à l’équité naturelle qu’à l’utilité de la fociété
»civile: qu’un pere & une mere peuvent bien aiïurer par
» leur fufïrage l’état de leurs enfans, mais qu’ils ne peuvent
»jamais le détruire».
Ce principe a été confacré par une foule d’Arrêts ; nous
n’en citerons que deux, rendus fur les conclufions de ce
M agiftrat, les i 5 Juin 1 6 9 3 & 16 Juillet 1 6 9 5 . Dans
l’efpece du premier Arrêt, la mere étoit accufée d’adultere;
elle avoit avoué en Ju ftice, dans fon interrogatoire , que
fon fils ne devoit la vie qu’à fon crime * & néanmoins après
une déclaration fi authentique, on déclara l’enfant légitime;
èc pourquoi ? Parce que le mari n’avoit été abfent que trois
m ois, enforte que l’adultere de la femme n’empêchoit pas
qu’on ne pût penfer qu’il fût pere ; & parce qu’encore ,
comme nous 1 avons obfervé, la nature dans fes produétions
eft impénétrable aux etres meme dont elle employé les or
ganes fecrçts, comme des inftrumens dont elle fe fert pour
opérer
�25
.
^
opérer fes prodiges. Il ne fuffit pas même , dit le favant
Magiftrat , de prouver l’infidélité de la mere pour en
conclure que le fils eft illégitime. La Loi s’oppofe à cette
conféquence injufte ; & elle fe déclare en faveur du fils
par ces paroles fameufes fi fouvent citées dans ces ma
tières : non crimen adulterii quod mulieri objicitur, infanri
prœjudicat ; cum p o jjit & ilia adultéra ejfe, & impubes defunctum patrem habuijfe. ( L o i i i . §. 9. ff. ad leg. Juliam de
adulteriis. )
Dans l’efpece du fécond Arrêt, Firmin-Alexandre Delatre,
méconnu par fon pere, étoit né trois mois après le mariage.
Le pere prétendoit qu’il n’y avoit pas eu de confommation,
& qu’il étoit impuiffant. La mere étoit accouchée fecrétement
à l’infçu de tout le Public, & même de toute fa Maifon. La
Sage-Femme fit baptifer l’enfant, & le confia à une blanchiifeufe qui fut dépofitaire de fa deftinée. Aucun témoin,
ni parent, ni étranger n’avoit aififté au baptême ; il étoit fait
mention dans le regiftre que le pere étoit abfent; l’enfant
n’avoit aucune pofleflion d’état ; fa naiiîance feu le, trois
mois après le mariage du fieur Delatre avec fa mere, étoit
certaine. L ’on préfuma qu’il étoit le fruit de la fréquentation
du fieur Delatre avant fon mariage; on le jugea légitimé
par ce fubféquent mariage , malgré le defaveu du mari &&
fon impuiifance dont il offroit la preuve.
Y a - t - il la moindre préfomption favorable à l’état d’un
enfant? les Loix la faififfent. Eft-il poflible qu’il foit né légi
time ? Elles le déclarent tel j elles veulent que ce qui n’eft:
que poifible foit réel & pafle pour confiant. Chœf-d’oeuvrc
admirable de légiflation, ce principe établi par la fageife Sc
1 expérience humaine, eft le fondement le plus folide de la
tranquillité
du repos des familles. Il faut être bien aveuglé
D
�iio
I \ »,
.
16
par Ta vanité pour ofer prétendre renverfer un principe
auili précieux
la fociété civile.
Majs quand l’homme eft aiTez méchant & corrompu poui
s’élever au-deffus des mœurs , des bienféances & des lo ix ,
dans quels excès ne tombe-t-il pas ? Qu’on en juge par ce
trait de la défenfe de notre Adverfaire.
Il oppofe contre l’aéle de baptême de fa fille , l’afte de
mariage d’une Marie-Catherine Calon, q u i, le i 9 Novembre
1 7 6 4 , époufa le fieur Lacroix en l’Eglife Saint-Euftache.
« Voilà votre m ere, dit-il à fa fille : vous l’avez crue dans
» le tombeau dès votre plus tendre enfance ; elle couloit
» fes jours dans les bras d’un époux légitime dont elle a
» aujourd’hui plufieurs enfans. Si votre naiffance eût été le
» fruit d’une union contrariée aux pieds des autels, & non
» pas celui de ma fédu&ion & de mon libertinage, Marie» Catherine Calon , mon époufe, n’eût pas pu fe marier de
w mon vivant. Elle l’a fait ; donc vous êtes bâtarde ; donc
» votre afte de baptême eft fau x, & j’étois alors moi-même un
» vil fauffaire fur vos fonts de baptême, me jouant de tout
» ce que les loix & la religion ont de plus facré » .
» Qui vous a indiqué , ou communiqué cet extrait de
mariage de ma prétendue mere, répond la demoifelle Groîneau à fon pere ? Eft-ce cette époufe légitime du fieur La
croix que je n’ai jamais vue dans votre maifon, que vous
ne m’avez jamais fait connoître , & dont j’ai ignoré toute
ma vie le nom que vous n’avez jamais prononcé ? Quelle
relation avez-vous pu conferver avec une femme dont vous
dites avoir féduit & trompé la jeuneflc ? Après un laps de
tetns de vingt-quatre années , vous avez donc.été vous préfenter chez cette époufe légitimé d’un citoyen , & vous lui
avez propofé de reconnoitre fa prétendue foiblcfle, de cer-
�î?
tifier l'illégitimité de ma naiffance , & de vous donner une
arme contre moi ? Mais eft - il dans l’ordre des vraifemblances, que il véritablement cette femme étoit ma mere ,
elle eût eu pour ion fédu&eur une ii lâche complailance ;
qu’elle fe fût expofée à découvrir fa honte à fon époux ,
au public , & fur-tout à fes enfans ? L ’avez-vous trompé fur
l’ufage que vous vouliez faire de fon' afte de célébration de
mariage ? Eft-il dans fon intention de produire cet afte pour
prouver qu’elle n’a jamais été votre époufe légitime ? J ’ad
mettrai cette conféquence ; mais prétend-elle que je fuis fa
fille ? Non. Son a £ e de mariage , loin d’établir ce fait , le
dément. Elle y eft nommée Marie-Catherine Calon, ck mon
a&e de baptême porte que je fuis née de Catherine Calon,
rotre époufe. L ’identité des noms vous manque par un effet
de la Providence , qui démafque le crime. Vous rapporte
riez la déclaration de la dame Lacroix qu’elle me reconnoît
pour fa fille naturelle, les M agiftrats, dépoiitaires de mon
honneur & de mon état , ne pourroient l’en croire. Le
doux nom de mere feroit fans doute fait pour m’attendrir ôc
me faire voler dans les bras de celle qui prendroit ce pré
cieux titre : mais pourrois-jereconnoître pour mere une femme
que je n’ai jamais connue, qui n’a pris aucun foin de mon
enfance &■ de mon éducation, & qui ne m’a jamais donné
le moindre figne de maternité ? Pourrois-je traiter en mere
celle qui viendroit prêter fon nom à un pere qui me refufe
des alimens qu’elle ne m’offre pas? Celle qui ne fe feroil;
connoître que pour m’ôter l’honneur , l’exiftence civile &
la vie même? Ainii,malheureux enfant, je ne trouverois donc
dans les deux auteurs de mes jours que des tigres qui fe
preteroient un mutuel fecours pour me déchirer le fein &
me couvrir de honte & d’opprobre ! O douleur ! O défefD ij
�;t{
18
poir ! Ah ! je ne puis retenir mes larmes.."».. O vo u s, mes
défenfeurs & mes Juges ! Ayez pitiez de mon fo r t, fauvezmoi de ma propre foibleiTe.... Armée contre un pere qui
me fuppofe une mere , je tombe évanouie à ce nom refpe&able. Je pouffe des cris & des fanglots , je ne puis plus
me défendre.....»
Soutenez votre courage , fille infortunée 1la fenfibilité de
votre ame pourroit vous tromper & abufer la nature : l’il—
luiîon nous arrache des larmes tout ainii que la vérité. Cette
fauffe mere ne vous reclame pas. Attendez donc qu’elle parle
pour confulter votre cœur. Il n’eft pas tems encore de vous
abandonner aux mouvemens de la tendreffe filiale >de verfer
ces larmes délicieufes capables de vous confoler un moment
d’une naiffance illégitime: non, il n’eft pas tems de décider
cette grande queftion d’état & de maternité.
Si cette mere de famille vient vous réclamer & vous appeller au nombre de fes enfans, vous demanderez à la voir},
vous chercherez à reconnoître dans fes traks fi les vôtres n >
font pas confondus ; & fi la nature parle, vous entendrez,
fon langage , & vous obéirez à fa voix. Par un mouvement
fubit & réciproque , vous ne formerez plus alors qu’un
feul être par vos embraffemens ; car la nature ne fauroit
tromper. Ce témoignage de l’ame , ces mouvemens prcffés,
ne font pas de ces accens que fait entendre l’impoiture, ni
de ces preftiges que l’erreur enfante ; c eft la force de la
nature qui les produit : c’eft fa loi fuprême qui commande
& fe lait obéir. Ainfi vous feule pouvez diiïiper les ténebres
dont on voudroit obfcurcir votre naiffance; & vos Juges *
m uets, ne prononceront que quand la voix de la nature fe
fera fait entendre.
Que fi elle garde un profond filence, la loi civile ne
�f (3
29
pourra vous forcer à rendre hommage à celle que vous
n’aurez pu reconnoître. Les circonilances de votre état font
telles , que l’éclat de la vérité ne peut briller que dans votre
ame , & ne peut fortir que de votre propre conieffion.
Prenez bien garde que les loix rendent le titre de votre
naiiTance inébranlable ^ indeftru&ible, & qu’il doit provi
soirement & définitivement triompher d’un a£te de mariage
q ui , rapproché de votre a£te de baptême , n’annonce pas
que l’époufe du iîeur Lacroix foit l’individu de qui vous
tenez la naiiTance.
L ’Ordonnance de 1 6 6 7 , art. 7 , tit. 2 0 , a é t a b l i que les
baptêmes, mariages &fépultures feroient fixés par des regis
tres en bonne forme qui feront fo i & preuve en Jujlice. Chaque
a&e fait donc foi & preuve de fon contenu. Que prouve l’ex
trait de baptême de la demoifelle Gromeau ? Qu’elle eft née
de Nicolas-Jean-Baptifle Gromeau & de Catherine Calon fon
époufe. Eit-ce Catherine Calon q u i, le i 9 Novembre 1 7 6 4 ,
a époufé le fieur Lacroix ? Si le fait étoit v r a i , il ne détruiroit pas encore la poifibilité d’un premier mariage avec
le Sr Gromeau : & non feulement ce premier mariage feroit
dans l’ordre des poffibles ; mais il feroit réel & conilaté par
l’extrait de baptême de l’enfant ; les loix canoniques & ci
viles le fuppoferoint ; elles n’obligeroient pas l’enfant d’en
rapporter d’autre preuve ; les Arrêts l’ont décidé. Donc fi
. c’étoit Catherine Calon , mere de la demoifelle Grom eau,
.qui eût époufé le fieur Lacroix, ce dernier mariage ferot
.nul; les enfans Lacroix feroient des bâtards adultérins , &
la réclamante feroit le feul 'enfant légitime de Catherine
Calon , époufe du Jieur Gromeau , par la force de fon a&e
de baptême, auquel la foi feroit due, & qui feroit preuve
complette aux termes de la loi.
�Mais il eil démontré fa u x , par l’a&e môme de mariage
que Catherine Calon ait époufé le iîeur Lacroix : c’eil un autre
individu, qui porte à la vérité le même nom de famille Calon,
mais non pas le même nom de baptême. Marie-Catherine
n’eil pas le même nom que Catherine. La différence eil pe
tite à la vérité : mais qui ne fait que ce font ces petites &
imperceptibles différences qui diilinguent les perfonnes dans
la fociété civ ile, les peres d’avec leurs enfans mâles les
freres d’avec les freres, les fœurs d’avec les fœurs, les tantes
d’avec les nieces , & même les êtres étrangers qui portent
fouvent le même nom de famille. On connoit à Paris Jean
Lefebvre ,Je a n -B aptiße Lefebvre , Nicolas-Alex andre Lefebvre ,
8c Nicolas Lefebvre-. ces quatre perfonnages font abfoluinent
étrangers entre eux.
Pourquoi les Ordonnances du Royaume ont-elles prefcrit
l’établiiTement des regiilres dans les ParoifTes, & ont-elles
voulu que les noms des citoyens recevant le baptême & la
fépulture* & contraélant m ariag e ,y fuifent infcrits avec la
plus grande exaétitude ? c’eil pour aifurer fans confufion
l’état des hommes. Le nom de famille eil celui qui appar
tient à toute la ra c e , qui fe continue de pere en fils, &
pafle à toutes les branches. Le nom de baptême eil celui
qui eil infcrit pour différencier ceux qui font de la même
famille, & qui doivent fo r m e r différentes branches de l’arbre
généalogique. Si vous ne diilinguez pas Jean de Jean-Baptiile , Catherine de M arie-C ath erin e , les individus ne pour
ront plus être diilingués que par les figures & la poifeifion
d’état; & les regiilres publics fi néceilaires, fi fagement éta
blis , auxquels les Loix & les Magiilrats veillent avec un fi
grand fcrupule , loin d’être d’aucun fecours, ne feront plus
�31
s u
que des monumeus inutiles, incertains , d’où fortiront les
ténébres les plus épaiffes, qui répandront au loin Terreur ,
le trouble & la confuiion.
Nous pourrions rapporter ici une foule d’autorités &
d’exemples j mais la matiere nous meneroit trop loin dans
une caufe où il ne s’agit que de ftatuer fur la maintenue
provifoire en la polTeiTion d’é ta t, & fur une provifion ali
mentaire. Nous finirons cette partie'de notre difcuifion par.
une réflexion fimple qui va faire fentir que Fa&e de
mariage des fieur & dame Lacroix , produit par le fieur
Gromeau , ne peut être d’aucune influence , • fur-tout au
provifoire.
Il eil de principe que nul ne peut nuire à un tie rs, ni fe
mêler du droit d’un tiers. Or le fieur Gromeau ne peut pas
attribuer à la dame Lacroix un enfant qu’elle ne reclame
ni ne reconnoît. En vain lui attribue-t-il cet enfant ; fa feule
déclaration ne fuffit pas. Il faut favoir fi la dame Lacroix
reconnoîtra cette propriété, & la maternité criminelle dont
on l’honore. Eh 1qui fait fi cette femme calomniée ne rendra
pas plainte contre le fieur Gromeau en diffamation de fa perfonne ; & fi fon mari & fes enfans ne reclameront pas dans les
Tribunaux l’honneur d’une époufe & d’une mere , & la
vengeance qui leur eft dûe contre leur détra&eur. E h ! de
quel droit le fieur Gromeau va-t-il lever dans les dépôts
publics l’extrait de mariage du fieur Lacroix , pour venir
flétrir la réputation de fa femme & l’honneur de fes
enfans ?
Le fieur Gromeau eft non-recevable à argumenter d’un
titre qui ne lui eft point perfonnel, & d’où il ne peut faire
refulter que la honte 6c l’opprobre d’une famille étrangère-
�3*
La dame Lacroix n’ayant fait aucune déclaration , aucun
a v e u , & n’étant pas dans la caufe , on doit ignorer qui elle
eft. En attendant quelle s’explique ou qu’elle paroifTe, la
proviiîon eft due au titre de la demoifelle Gromeau ; elle
doit être maintenue en la poffeffion de fon état, & obtenir
fa proviiîon alimentaire.
Quand il fera queilion du fond de la caufe, on pourra
y appeller la dame Lacroix, pour déclarer fi elle reconnoît
Vi&oire-Catherine pour fa fille naturelle : alors nous établi
rons avec plus de force & d’étendue les grands principes
fur la différence des noms de baptême : alors nous décou
vrirons le complot, & alors s’élevera cette grande queilion
de la fauffe mere que Salomon décida fi ingénieufement.
Mais il y a lieu de penfer dès-à-préfent que le fieur Gro
meau fera défavoué, & ne recueillera de fa témérité que
le blâme des Magistrats, & l’indignation publique.
§.
I I I.
Que la provijion alimentaire ejl due , quel que foit l’état de
la réclamante.
Dans toutes les caufes d’E ta t, jufqu’à ce qu’elles foient
terminées , le pere eft obligé de fournir des aliméns à celle
qui fe dit fa fille , ne le fût-elle pas , pourvu cependant
qu’elle foit en pofleiîion de fa filiation. C ’eft un principe
confacré par une foule d’A rrêts, tous fondés fur cette ma
xime : qu’il vaut mieux que celui qui peut être un enfant
fuppofé , foit alimenté ; que celui qui peut être véritable,
meure de faim. Satins eft eum qui forte filius non eft, ali ,
quam eum qui forte filius eft , famé necari,
Au
�Au mépris de notre Jurifprudence , qui eft confiante fur
ce point, le iieur Gromeau foutient fa fille non-recevable
dans fa demande en provifion alimentaire fur ces trois mo
tifs: i ° . que fa fille eft bâtarde ; z°. qu’ayant été élevée
dans fa maifon jufqu’à l’âge de 2 4 ans , & lui ayant procuré
le talent de la peinture, il ne lui doit plus rien; 3 0. quelle
peut revenir dans fa maifon, prendre foin de fa perfonne
infirme , & qu’elle y trouvera la v i e , l’entretien & l’hon
neur.
Il eft d’abord faux que la reclamante foit bâtarde. Mais
fuppofons qu’en caufe définitive elle puiffe être déclarée
telle , ce que perfonne n’imaginera ; du moins quant à préfent elle a titré & poffeiTion de légitimité , que l’on ne peut
lui ôter par provifion. Or il s’agit uniquement de cette même
provifion : ainfi l’allégation de bâtardife ne peut pas mettre
d’obftacle à la demande des alimens provifoires.
Allons plus loin : la demoifelle Gromeau n’auroit ni titre
ni pofleflion de légitimité, elle feroit bâtarde , Si fon pere
un concubinaire, où feroit encore le doute fur les alimens ?
il eft de jurifprudence confiante au Châtelet , & dans les
autres Tribunaux du Royaume , confacrée par les Arrêts de
toutes les Cours Souveraines, que non-feulement les peres
naturels doivent des alimens à leurs enfans, & une dot pour
leur établiffement félon leur éducation primitive , mais
même^que les héritiers de ceux-là en font tenus, modo
emolumenti.
Dans la foule des Arrêts nous ne citerons que celui de la
Grand’Chambre du Parlement de Paris, du 1 7 Juillet 1 7 5 2 »
qui , en confirmant une Sentence du même Tribunal où la
deBioifelle Groîneau attend fon fo rt, a adjugé une penfion
�34'
alimentaire de $ 0 0 livres à la demoifelle Bonnièr , fille na
turelle du fieur Bonnier de la MoiiTon. Elle avoit été oubliée
dans le teftament de fon pere. Les héritiers ont été condamnés
à lui payer une fomme de 2 0 , 0 0 0 livres, payable lors de
fon établiffement.
2 0. Ce traitement, dit-on, n’efl: point dû à la demoifelle
Gromeau. Son pere lui a donné un talent dont elle peut vivre
honorablement.
Jamais le fieur Gromeau n’a été dans l’intention que fa
fille vécut du Deifin & de Ja Peinture qu’il lui a fait apprendre.
C ’eit au feul'titre d’éducation qu’il lui a donné des Maîtres
dans ces Arts agréables ; il l’a avoué lui-même dans fa propre
défenfe. « Je lui ai donné , dit-il , des foins & une éducation
» que le vice de fa naiffance ne la mettoit pas en droit d’exi» ger de moi » . Ce n’étoit donc pas dans la vue de lui pro
curer les moyens de fubfifter que vous lui donniez cette
éducation , fi peu faite , dites-vous , pour quadrer avec
le vice de fa naiffance. Si au contraire votre intention
étoit que cette éducation la mît en état de gagner fa v i e ,
comme une fille qui n’a ni parens , ni patrimoine , cette
même naiffance1 vicieufe exigeoit donc de vous cette utile
éducation ?
Quel efi le traitement ordinaire des enfans, dont la nai£
fance illégitime fait rougir leurs auteurs ? ce n’eil point dans
la maifon du pere qu’ils font élevés * ils fuivent l’état & la
condition de leur mere j c’eft à celle-ci que leur éducation eft
déférée. Le pere ne doit qu’une penfion alimentaire à l’en
fant , & quelquefois une indemnité confidérable à la mere,
ou des dommages-intérêts, félon les circonihnces. Elle éleve
alors fon enfant félon fa condition ; elle lui fait apprendre
un métier, ou lui donne un talent honnête, félon fes moyens.
�*»*—
t
3t
Que fi la mere meurt, ou l’abandonne , le pere alors en cil
chargé : mais ce n’eft point dans fa maiton qu’ordinairement
il éleve ion enfant naturel : il le met dans une peniion ; bientôt
par l’éducation vulgaire qu’il lui donne, il lui fait ientir le
vice de fa naiiTance, & l’éleve de maniéré à lui apprendre,
que quand il fera parvenu à un certain âge , il doit gagner fa
v i e , puifque nos Loix veulent que les bâtards n’aient ni
parens ni patrimoine.
Un enfant naturel ainfi élevé , pourvu d’un métier ou
d’un talent dont il efl en plein exercice, à l’âge de z 5 ou
3 o ans , pourroit bien n’obtenir qu’une légere faveur en
Juftice fur une demande en alimens, fauf pourtant la dot ,
qu’en cas de mariage & d’établiffement, un pere naturel d’un
état ordinaire doit à fon enfant.
Mais une fille , prétendue naturelle , élevée chez fon
pere: depuis fon berceau , comme une fille unique & légi
time , traitée avec toutes les attentions, les foins & le s égards
dûs à ces deux titres précieux , une fille à laquelle fon pere
a donné des talens agréables , fans jamais lui faire fentir
qu’elle en dût, un jour fubfifter ; qui a partagé les avan
tages de fon rang & de fa fortune ; qui avoit été accordée en
mariage à deux citoyens honnêtes que le feul caprice du S r Gromeau a éloignés ; une fille qui a tous ces cara&eres n'aura
aucun droit 1 c’eft un enfant de cette claife particulière qu’un
pere prétendra obliger de fe faire un état & une profeifion
publique des foibles talens qui ont fait partie de fon éduca
tion ! un art que la réclamante n’a pas pu perfe&ionner, par
foumiiTion à la volonté de fon pere , il faudra aujourd’hui
qu elle en vive 1fi le fieur Gromeau vouloit que fa filie profefsat le Deflin & la Peinture , il ne falloit donc pas, il y a
quatre ans , la priver de fes Maîtres 7 & l’employer au fervice
E ij
�36
continuel de fa maifon ( i ) . S’il prétend aujourd’hui qu’elle
reprenne les crayons , la palette & le pinceau , dont elle
ne rougiroit pas fans doute , qu’il lui donne donc les meubles
& effets qui étoient à fon ufage dans fa maifon, les moyens
de vivre , la provifion qu’elle lui demande , en attendant
que fes talens fe faffent connoître, & puiffent lui procurer
une fubfiilance honorable. Veut-il que fa fille aille implorer
des fecours étrangers , & proftitue fa perfonne dans un fiecle
corrompu ? « On tue fon enfant, dit la L o i , non-feulement
» lorfqu’on l’étouffe, mais encore lorfqu’on l’abandonne ;
» lorfqu’on lui refufe la nourriture, & lorfqu’on l’expofe dans
» un lieu public, afin qu’il trouve dans les autres une com» paffion , dont on n’a point été touché foi-même envers lui » .
Necare videtur non tantum is qui partum perfocat : fed & is
qui abjicit ; & qui alimonia denegat ; & is qui publicis locis
mifericordiæ caufa exponit, quam ipfe non habet. ( Leg. 4.
lib. 2 5. tit. 3 , ff. de agnofcendis & alendis liberis ).
3 °. Que ma fille revienne chez mo i , s’écrie le fieur Gromeau en fureur 5 elle y trouvera la vie, l’entretien, & l’honneur.
L ’honneur ! Eh ! déjà vous le lui avez ravi ! ou du
moins tous vos efforts y tendent. Une fille légitime ne peut être
contrainte à rentrer dans une maifon où l’on répand fur fa
naiffance des doutes honteux , & où l’infolence des valets
fe joint au mépris du maître.
D ’ailleurs , la reclamante ayant des droits à exercer
contre fon pere , ne peut être contrainte à aller vivre dans
( 1 ) Il avoit une cuifm iere, & un la q u a is ; il renvoya fa cuifiniere lorfque fa fille
eut vingt ans. Il ne vouloit voir fur fa table que ce qui ¿toit apprêté par les mains de
fa fille ; il en avoit le d r o it, car les enfans font les premiers ferviteurs du pere de
fam ille. L es domeftiques ne font que des aides qu’il veut bien leur d o n n e r, foit
pour alléger leur p e in e , foit pour les occuper de chofes plus importantes,
�’ 37
fa maifon. Jamais en pareille conjon&ure les Jugemens n’ont
forcé les enfans à aller recevoir les alimens chez leurs
parens. L ’incompatibilité *d’humeurs , par exemple , n’eft
point un motif légitime de' refufer d’aller vivre avec fon
pere ; cela eft jugé par un Arrêt du 2 7 Juillet 1 6 0 9 :
mais le choc des a&ions juridiques fur l’état & les intérêts
civils répugne à l’afyle commun.
Il eft encore d’autres motifs de féparation que nous
enfeigne le Jurifconfulte de la Normandie , cet oracle dont
les fages maximes retendirent tous les jours dans nos Tri
bunaux } & même aux pieds du Trône. »Les enfans , dit
» le célébré Houard , en recevant de leur pere même les
w alimens , ( nom fous lequel il faut toujours comprendre
» toute efpece de befoins, en fanté comme en maladie , )
» peuvent être contraints à réfider chez e u x , fi ce n’eft dans
>»le cas o ù , par exemple , les moeurs d’une fille ne feroient
»pas en fûreté avec une belle-mere débauchée , ou dans
» celui qui expoferoit un fils tendre & honnête à des violences
» de la part d’un pere barbare & injujle. »
Ce ne font pas feulement les injures atroces & la néceiTité d’exercer fes droits qui ont forcé la Réclamante de
quitter la maifon paternelle. Des traitemens ignominieux &
déteftables lui en ont fait un devoir j s’il eft v r a i , comme
on n’en peut douter, que tout être foit obligé de veiller à
fa fûreté & à ia confervation. Ces mauvais traitemens ont
été dépofés dans le fein des Miniftres du Roi & de l’Eglife.
La Juftice ne forcera pas fans doute une fille trop malheureufe à s’en plaindre ; elle les a oubliés. Le refus des ali-*
mens • n’a donc ici d’autre caufe que le plaifir inhumain
d affliger'l’innocence. ’
Réfumons , en peu de mots , les objets fur lefquels les
�3*
Magiftrats doivent prononcer dans cette caufe importante."
L a demoifelie Gromeau s’occupoit de fon émancipation
& de FaiTemblée de fes parens & amis , qu’elle vouloit
provoquer en l’hôtel de M. le Lieutenant C ivil , pour s’y
.faire, ¿nommer un tuteur à fes aâions immobiliaires , lorfque
la maladie qui fuivit les mauvais traitemens de fon pere
l’arrêta dans cette opération.
Si l’humanité foigna fes jours,, la charité chrétienne lui
fit ouvrir les portes d’un Monaftere pour faire ceiTer les
_difcours injurieux de fon pere, qui, loin de la couvrir de
fon manteau , lança contr’elle les premiers traits de la ca
lomnie. Il fe garda bien de fe rendre à nos inftances de
mettre lui-même fa fille au Couvent ; il fe feroit ôté le doux
plaifir de la diffamer & de fe venger. Mais on y a pourvu
fans fon fecours.
Elle s’eft vue dans la néceifité de former une demande en
proviiîon alimentaire. Le fieur Gromeau y a défendu par
l’atroce inculpation de bâtardife \ ce qui a donné lieu à la
demande incidente en la poffeifion d’état , par proviiîon.
Ainfi , maintenue provifoire en la qualité de fille légitime j
provifion alimentaire d’une fotnme de i 2 , 0 0 0 l i v . , ou de
telle autre qu’il plaira à la Juftice de fixer , félon l’état &
la fortune du iieur Gromeau , laquelle fomme doit être
employée non rfeulement aux alimens de la Réclamante ,
mais encore aux frais de pourfuite de fes a&ions juridiques ;
enfin , fuppreifion de termes injurieux , avec dépens. Tels
font les objets fur lefquels la Juftice doit ftatuer.
Il
ne s’agit point de juger définitivement la queftion
d’état. La caufe au fond n’eft point encore portée au
dégré d’évidence dont elle eft fufceptible ; car l’extrait de
fnariage de la dame Lacroix femble y répandre quelques
|£nçbres, qui nç tarderont pas ¿1 fe diiHper entièrement
�X ?3
à la tueur des inftruâions que le terns pourra procurer.
Quelle eft donc en ce moment la lîtuation critique &
touchante de la demoifelle Gromeau ? Que fes Juges dai
gnent la confidérer d’après le tableau qu’elle a trace ellemême à nos yeux attendris, dans fes initruéUons fur les faits.
Contrainte de combattre un pere qu’elle voudroit
défendre , d’expofer au blâme celui qu’elle voudroit ho
norer, fon cœur eft déchiré par les mouvemens- divers de'
la tendrefle filiale, 8c de la jufte colere qui vient troubler un'
ii beau fentiment, fans y porter pourtant aucune altération1
réelle. Le feu de l’indignation1 nuancé fon vifage.... furieufe
un inftant.... mais bientôt vingt années de foins ,-de bontés
& d’affe&ions vraiment paternels viennent tout - à - coup
émouvoir fes entrailles, & exciter f a v i v e reconnoiiTance.
Elle voit comme encore préfentes à fes yeux , ces
mains dHm* pere toujours pleines de ce qui pouvoif
flatter les goûts dé fon'enfance &T de fa jeuneiTe ; elle’
fe rappelle avec attendriffement1• cette générofité fansbornes , ces riens fi précieux qui font le charme
des coeurs vraiment uni s , & fur-tout cette aimable égalité
où un pere femble laifler flotter les rênes de fon autorité ,
& à1travers laquelle une fille fage TaiiTe entrevoir fon refpeft
& fa foumiflion.... Hélas ! qu’êtes- vous devenus, ô doux
inftians-de l’amour paternel ! ô précieufes années- de paix
& de félicité l
Fille fenfiblë'! cœur fublime & reconnoiflant ! vous
vous attendriffez encore : je vois-! vos yeux mouillés de
larmes vous brûlez d’aller vous abandonner à la pitié d’un
pere
de vous jetter dans fon fein!.... Allez ,. fi vous
.croyez trouver un pere 5. volez dans» fes; bras ; la Juftice
va fufpendre fes oracles..,. M ais, hélas î vous vous flattez
�40
envain : il eft un âge &: des fituations où l’homme eft im
placable ; fes fibres endurcies ne portent plus à l’ame ces
fublimes impreffions qui ne font faites que pour la tendre
jeuneffe , ou pour des coeurs privilégiés de la nature. Vous
ferez repouffée , malheureux enfant !
Ah ! dites plutôt avec le Roi Prophète : » Un lion raviff eur
& rugiffant s’eft jetté fur moi : le confeil des méchans m’a
» affiégée ; il ont déjà partagé mes vêtemens. Je vous implore , ,o mes Juges ! vous êtes mes défenfeurs dès le
» ventre de ma mere : ne m’abandonnez pas , car la tribu» lation eft très-prochaine. » E h ! ne fentons nous pas qu’elle
vous accable en ce moment même ? Le devoir , l’am our,
la nature & la loi font violés en votre perfonne ; les moeurs,
l’honnêteté publique , l’honneur perfonnel, ce bien le plus
précieux du citoyen , ce frein des gens de bi en, tout eft
bravé , tout eft facrifié pour vous perdre. L ’audace de vos
ennemis va même jufqu’à. porter la défolation dans une famille
étrangère, au fein de laquelle ils vous fuppofent une fauff e
mere ; s’ils la couvrent d’opprobre , c’eft afin qu’il rejalliff e
fur vous. Mais votre état eft confervé dans les monumens
publics : vous êtes fous la garde des Loix & des Magiftrats ,
& bientôt vos Juges apprendront à ces perturbateurs du repos
des familles, qu’ils ne peuvent fe jouer impunément ni de la
foibleffe des pupilles, ni de la majefté des Tribunaux.
S ig n é , C a t h e r i n e - V ic t q ir e
G ro m eau &
C a r lie r ,
curateur.
Monf i eur D U V A L , Rapporteur.
M e H U B E R T , Avocat,
C A R L I E R , Procureur,
À PARIS, chez P. G, SiMOM, & N. H. Nyon , lmp. duParl., rue Mignon, 1784
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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Description
An account of the resource
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Text
A resource consisting primarily of words for reading. Examples include books, letters, dissertations, poems, newspapers, articles, archives of mailing lists. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre Text.
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Gromeau, Catherine-Victoire. 1784]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Duval
Hubert
Carlier
Subject
The topic of the resource
successions
légitime
enfants naturels
refus d'aliment
abus de faiblesse
diffamation
maltraitance
faux
vie monastique
Description
An account of the resource
Titre complet : Demande en maintenue provisoire en la possession d'état, et provision alimentaire. Pour Catherine-Victoire Gromeau, fille mineure, procédent sous l'assistance et autorité de Maître Carlier, son curateur ad hoc, et pour ledit Maître Carlier au dit nom ; Contre Nicolas Jean-Baptiste Gromeau, intéressé dans les affaires du Roi, son père.
Annotations manuscrites.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Chez P. G. Simon et N. Nyon (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1784
1783-1784
1774-1789 : Règne de Louis XVI -Fin de l’Ancien Régime
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
40 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G0809
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Paris (75056)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
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diffamation
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Faux
légitime
maltraitance
refus d'aliment
Successions
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