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COLLECTION FAMA
94. Ru e d 'Al és ia
PARt S (XtV Ç\
�:!JI' Il UI I l ' ••••• DI ••••• '1' Il , ••••• Il U'" IU.l11 kU ••• III Il ........ Il Il U II!:
~ LA COLLECTION" FAMA" ~
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BIBLIOTHÈQUE RtVÉE DE LA FEMME ET DE LA
JEUNE FILLE PAR LE CHOIX DE SES AUTEURS
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L'Ëloge de la COLLECTION FAMA n'est plus à faire: elle est
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pratique autant que le charme captivant de ses romans expliquent
son succès croissan t.
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ÉDITIONS DE I~A
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�LE CHATEAU
D'ORÉMUSE
�JEAN TI-IIÉRY
LE CHATEAU
D'ORÉMUSE
ROMAN
SOCI~TË
D'I::DITlONS
PUBLICATIONS ET INDUSTRIES ANNEXES
94, rue d'Alésia, 94. PARIS (Xiv e)
�LE
CHATEAU D'ORÉMUSE
CHAPITRE 1
D ~ ux
heures. Sous le grand soleil de juillet, SaintPierre-en-Balise dort, volets clos, portes closes. Sur la
façade des magasins, tentes, rideaux et stores sont baissas.
Dans les rues, vides de tout êlre humain, des poules gloussenl, éparpillant du crottin au milieu de la chauss6e. Un
ehien trotte, press6, à ses alTaires. De temps à autre,
passe une carriole, ou bien une auto rapide hurle de toulo
la Carco de la sirène, puis disparait dans un nuago de
poussière. Et le silonce reprend profond, assez profond
pour qu'on enlendo voler les mouches.
Saint-Pien-e-en-Baiiso somble engourdi dans des bourdonnements. Sur ses petits jardins, SUl' le3 tilleuls en
pleines neurs do la grand'place, sur los 1'0, iers du presbytère ct los balcons Heuris de Jo. directrice des postes, de la
femme du médecin, du pharmacien, comme sur les volubilis qui grimpent à la longue galerie de 1'6cole dos filles,
des zinim; et des pétunias qui décorC'nt le seuil de la marchanùe de fromages ct aussi l'enlrée du marchand drapior, du bourrelier et mêmo du bouchor - pauvres
fleurs qui v6gètent en dos pots hors d'usage, des
boites de fer-blanc, des caisst's portant le nom
d'une donr60 quelconrJlIO, - sur tous les calices 6clos volètent des myrüldcs d'insectes: guêpes, abeillos, frolons ct
�6
LE CHATEAU D'ORÉMUSE
surlout dos mouches. Saint-Pierre-en-Baiise semble I<J
patrie de s mouches ; la mouche y devient un fléau, une
calamité. Du maLin au soir on lutte contre elle et tout cc
qui se peut inventer pour la détruire est mis en usage.
Malgré tant d'eUorts coalisés elle vi t, elle survit, elle réside,
elle triomphe . 1.\ Sa.int-Pierre-en-Baiise on ne parle que
d'elle, de ses méfaits sur le linge, les vitres, les plafonds;
de ses noyades dans la soupe, les plats, les v erres; de ses
engluements dans les sirops, les confitures. L'hi ver a raison de cello importune. Et encore? A peine a-t-on le
temps de se féliciter que d éjà elle reparaît.
Aujourd'hui, par ce jour d'ét6 01\ geux: et lourd~
il
semble qu'clle ait pris à t âche, pal' ses bruissements
d'ailes, de bercer la sieste de tous los habitl!nts, à l' excepLion peut- être du forgeron, dont 011 entend de temps à
:JULre mollement frapper l'enclume, et de l'employé deE
conLribulions indirecles, lequel, jouant de l'ophicléide
dans uu concert d'amateurs, éludie avec p orsévértltlce la
par Lie qui lui esl dévolue: poum, pOUll1, poum ... poum,
poum, poum ...
Du haut clocher de l'église romüne lombent, avec des
vibration<; lentes, I ~ s quarts, les demies, les heures. Le
toc- Loc de l'horloge est di s~ rait,
comme lassé de toujours
répéter aux hommes qui l'enlendent si m:1.l, que le temps
passe, que la vic esl brève, que les min utes fuient pour ne
jama.is revenir.
Des moineaux pépient, dos martinets fondent l'air à
tiro-d'aile. Posées wr 10 fil ùu l6l6graphe dos hirondelles
lissent leurs plumes. m, tl'OS IW.ut dans 10 ciel, des buses
planent.
La l'U O principale de Saint-Pierre est. fprm ée rar lu
route toujours se conlinuant, qui relio Porpignan à
Bayonne, on passant par tout le Midi de la FmDce. LH
vic do SainL-Piel'l'o-en-Baiiso so concenLre au bord ùe
celle roule. Là s'élève l'égi
~o , I::t mairie, le buroau de
�t.'Il CHATEAU n'OR~MUSli
1
poste, le principal café, - le café de Pari;, -- ré,tude du
notaire, Me Echalasse, l'Hôtel des Voyageurs, vJste
immeuble qui servait de relais au temps des chaises de
po~te
et <les diligences, ct qui retrouve un peu de son
ancienne splendeur depuis que sur les vieilles routes de
France circulent les auto" .
Ainsi, SUl' des centaines et des centaines ùe mèt res ,
Saint- Pierre-en-Baii se échelonne, égr ène ses maisons qui
Leutes, à dl'oite ct à gauche, ont des jardins, d'humbles
petits jard ins avec des carrés de choux ent ourés de
pierres.
Au sud, un cana l aux eaux profondes semble forc6ment
les limiter; mais, au nord, ils s\iLenùent, prolongés p ar
des champ. , qui bornent à leur tour des collines couver les
de bois et de vignobles.
La principa le, ln plu,> ho nle, est dominée par un petit
rast el moyenûgeux, dont lu façade est toujours infiniment
gl'ise, infiniment trisle, que le soleil brillo ou que ID pluie
tombo.
C'est le châLeau d ' Or~mu
se .
Jadis ceux qui l'habitaient étaient les soigneur;; du
pays ... Mais lout passe 1 Les derniers d(ls PorLenbeau,
bj~n
que restés très !lers, lrès nohles do cœur, d'idées,
mènent sur 10 domain') paLrimonial une existence végétative
'l se liennent à l'écart du monde avee un p eu d'elTroi de
(:0 qu'il es t devenu . EJTroi qu'encouragent le rjuoLidien qu'ils
c(~
r eçoivent, les livres qu'ils li sent et lmp c or e3 pOnÙ
suivie avoc des cousins, des alliér.:, qui, en d'aulres Iccalités do France, vivenL ct pensent exacte ment comme
eux.
"-
La fa mille se compose de 1\1 11os Anaïs ot Céline et do
MM. Celso et Od ot, doux jumenux, 10 dernier considéré
un pen comme 10 Benjamin. Quel ost au jusle leur âge?
Sont-ils plus jeunes quo ne le CeTaient supposer leur
Vi~age,
pareill ement t anné, brunl; ridé, que rend pr f's qu~
�s
LE CHATEAU
D'ORn~IU
S E
semblable un indéÎliable air de famille ? Mll es Anaïs et Céline,
plus que leurs frèr es, semblent s'éloigner de la jeunesse,
uu t emps dont elles jouirent trop peu, sans doute, pour
avoir eu gr and souci de le prolonger.
Énergiques, ac tives , m aigr es, nerveuses, elies s'occup ent
de tout chez elles et r emplissent à LeI point leurs journées
que, sans cesse , clles se plaignEnt d'être orr ivées à la Hn du
jour sans avoir su comm ent. .
La ferme, la basse -cour, la vacherie, Je potager, l'égliilC,
les pauvres, les mab des, les t racas d'un ménage, sans
compter les travaux d'aiguilles, absorbent leurs instants.
MM. Celse et Odet, de leur côté, fonL valoir le bien
familial, une cenlaine d'hectar es qui entourent le chât eau.
Puis , à leurs moments perdus, ils chassent et mènenL,
avec infiniment de dignité ct de r éserve, l'existence qui
devient si facilement vulgaire, du gentilhomme camp a gnard. Les r cpos les réunissenl et , le r este du jour, cha·
cun· va de son cô té à ce q ui l'intér esse , ce don t il a pris la
charge. A t able, ils causont des lravaux de saison, de ce
qui a lrait à ce domaine d'Orému se qu'ils :liment, et qu' ils
onl préféré laisser indivi s, plulô t qu e de le morceler pour
un p ar tage.
Sonl· ils hem'eux ? ... ]Js doivent l'êlre. Silencieux, r enIerm és, ils parknt peu d'ùux -mûm es. Leurs opinions, leurs
m anièl'es de voir sont, du r es te, r ar emenl différenles et,
lorsque le lail so produit, p OUl' n'altérer en rien la bonn e
harm onie, ils évitent de disculer.
Par trndiLion familiale, aucun d'ou.x ne tutoi e l'au tre eL
ce IJOUS cér umonieux semLle plus qu'une hahitud e trullf; mise d'âge en âge , presque un état d'ûm e.
Ils s'aim ent. Les sentim enls fral ernels les plus fOI'ls les
nnissenL. JJ f\ flt) Aonti enn c nl cl tl ollll c r n ionl sa nA un e 1t{· ~ i
ta ti oll JUill' \'le J'u n p our l 't\llLl'o. J'; ntJ'\) e ux , "('pcuùu u l ,
n'exisLe point ceLLo camaraderie (lui porlu J'ou vortll re ÙlI
cœ ur. On dir3il qu'ils évite nt dC' CI' n lo n t l'!'l' CP qu ' il ~ sont,
�LE CHATEAU D'ORÉMUSE
9
comme ils le feraient vis-à-vis d'étrangers. Quoi qu'il
arrive, jamais ils ne se plaignent, jamais l'un d'eux ne
réclame pour lui-même le moindre avantage. D'humeur
toujours égale, ils vivent sous le même toit dans une
étroite union, mais sans intimité.
CHAPITRE 11
Quatre heures. Saint-Pierre-en-Baiise sort de la léthargie. Les tentes, les stores se soulèvent. Les volets, les
l'ide:mx s'entr'ouvrent. Sur les seuils que déjà gagne
l'ombre, apparaissent des hommes en bras de chemise,
des femmes en camisole, qui traînent sur le trottoir de&'
chaises poisseuses et s'y laissent tomber.
a Que de chaleur aujourd'hui 1 »
à l'autre de Saint-Pierre-en-Baiise cette
D'un b~)Ut
constatation s'échange de voisin à voisin. On y répond, en
s'essuyant le front.
- C'est le temps de la saison.
- Faul cela pour mûrir la moisson.
- Quinzo jours de ce soleil et le blé sera dans la grange.
Assis tout le long ùu trottoir, prenant le frais, SaintPiel're-en-Baiise est dehors. Des enfants crient, d'autres
jouenl dons le ruisseau sous l'œil de leurs mères, des
chiens aboient ct ... la terrible mouche vole.
- Elle ne mourra ùonc jamais?
- Il n'y a pas d'épidémies pOUT clio ...
- On devrait olTrir des prières pour l'exterminer.
Des maisonsouvortess'échappent des odeurs de sueur." de
renfermé, docrasse, auxquelles se mélangentle relent de sang
ct de viande dos boucheries, les exhalaisons de morue des épi('0,.;0"', ù ' uLsiIlLho, ùu liquOlll'lI uL d,. l ab ac ~ o rl ' cJ IJi
ù t!~
tluberges ct, enfin, l'horrible olleur I.jui monltl des cav€'~
ùo lu murchrUlùe ùu fl'omuges.
�10
LI: CHATEAU n'ORÉMUS&
Le soleil baisse. A l'orient, la route se perd dans
l'ombre, à l'occidenL elle semble monter vers un ciel d'or.
Partout s'allument les feux qui cuiront le souper. De"
fumées s'élèvent et ce sont d'autres odeurs: ail frit, choux
cuits, graisse rance, qui s'ajoutent à celles déjà existantes.
On y est habitué, nul n'en paraît gêné.
Le sonneur court mettre en branlo la cloche de l'Angélus. Des gens reviennent des champs, d'autres àes marché~.
On les interpelle. Le curé passe, son bréviaire sous le
bras. Le ms Ecllulasse s'en va à bicyclette. L'un des
messieurs de Porlenbeau rentre che7. lui. Mmo Pl'inLanip,r,
la femme du ~nédci,
apparaît, en peignoir rose, Ü l'lon
La1con, jette sur l'horizon ùes regards nostalgiques. T.:,)
directrice de la poste met 10 nez à sa fenêtre 10 temps
d'un soupir et d'unrcgard à la première étoile. EL encore SU I'
le trottoir on bavarde, on clabaude, mais on ne parle plus dt"
la moucho, car, régulière en ses habitudes, le soleil coucté,
elle est allée dormir ~ur
une poulre, une corniche, un pli
de rideau.
~ur
l'enclume du forgeron 10 marteau ne retombe plus ;
mais le receveur des corttribuLions indirectes a repri;
l'éluùe do !la pnrlie d'ophicléide : poum, poum, pOUnl ...
poum, poum, PQum ...
La nuit se fait. La lune se lève. Elle passe au plein.
Elle est brilIanLe.
Vn i.t un les 11abitants de Suint-Pierre-en-Bliise onl
regagné leurs logis. Les portes se referment. Lu vent su
lèv;), balaye la rue de ses odeurs malsaines. Les arbres
bruissent.
Au delà des jardins, dans la campagno, los blés onùulenL. Dans les bois les hulotte::; se répondent. Les Ghauvcssouris, les engoulevents sont en chasse. Du haut du clocher, l'horloge semblo plus Jasse encore de sa Lâche inutile.
Ce fut à l'heure ùe minuit qu'une grande auto, phare!l
allumés, s'3r~ta
devant l'Hôtel des Voyageurs, plus sim-
�LE CRAn; AU n'ORÉMU S!!:
11
plement appelé par les uns « chez Subrebie ,l , par les
autres « le r elais ): , ct que deux femmes en descendirent ,
demandant un glte pour la nuit.
L'une était jeune, min ce ct grande; l'autre petite, lourde
d'aspect, et ex trêmement gémissante. Tout es deux s'cnveloppai el!t d'amples manteaux, d'ampl es voiles.
" Ouvrez! li cria la plus jeune d'une voix autoritaire,
après avoir plusieurs fois cogné à la porte de l'Hôtel des
Voyageurs.
- Ah! 'l'hyra, mon chut , mOJl pauvre chat, si je ne:
trouve pas à m e coucher, je meurs sur cc trottoir; je
souffre... jo soufTre .. , soupirait la plus âgée des deux
femmes.
- Léonce, il faudrait obtenir unc réponse à e ces gens-
là ...
L éonce , le ch auiTeul', so contenta de pr esser sur la
corne d'appel et d'en tirer des beuglements il. t el point prolongé:; et formidabl es, que dans la rue de Saint -Pierre
des volets s'ouvrirent brusquement, des vi sa3'es épouvantés sc montrèrent..,
Au premier étage de l'hôtel app.lI'ut une l~ l c roUlée
d'un madras couleur fnu, la tôte du prop riétaire, du sieur
Sttbrebie lui-m Gme .
- Ah! çà, huda - l-il, nom de nom, qu'es t -ce que cet te
plaisanterie ?
- Monsieur, (,'est une dame m alad e .. .
- Thyra, mo n cha t, mon p auvre cha t, expliqu e- lui ...
•
C'est ma crise de foio...
- Un e dame maiudo? .. Qu'olle aille au diable !
- Thyra, 'l't yl'a ... il ne me roste plu3 qu'à mourir ...
- Ma tante, voyons, un peu de courage ...
- 'fllyra , mon cha l , je n'en ai plus ...
- - Monsieur, s'il n'y a point d'autre hôtcl dans coLLe
ville, je VOus ol'donJ)() de nous loge r.
- J e n'ai d 'ordre il rccevoir uc p er:50Illlc ... li n'y a point
�12
LE CHATEAU D'ontMUSr.
d'autre hôtel à Saint-Pierre; mais à trente -quatre kilomètres vous en avez une vingtaine, au chef-lieu ... Allez-y
et ficll ez-moi la paix. Ici on ne loge pas à cette heure ...
Rien n'est prêt ... le monde est couché ...
- Thyra, mon chat, mon pauvre chat , trente- quatre
kilomètres ... c'ost au-dessus de mes forces.
- Monsieur, il me faut un lit ... et tout de suite ...
- Thyra, mon chat, et un mérlecin aussi, dis. .. un
médecin ... demande un médecin ...
- Le médecin, vous l'avez on face, c'est le docteur
Printanier ... Mais nom de nom, à cette heure, quand on
est de bonne éducat\on, on no court pas les routes et l'on
ne dérange pas les gens. Apprenez-le si vous ne 10 savez
pas, et allez vous faire lenlaire 1 Mu maison n'est pas un
hôpital.
- Subrebie, co n'ost point. humain ce que vous faites ...
Recevez ces dames... jo descends, cria dans la nuit uno
bolle voix gl·uve.
L'hôtelier vit, dobout su r le balcon ùe la ffiaisond'en face,
le docteur Printanier, un homme de haute Laille, qui
achevait en hâte de s'habiller.
Cela p orta Shbrehie à remarquer, dans la ru e, des
t êtos pencMes à tout es les fcntîtres .. . Il en devint craintif.
- C'est que, monsiour 10 docteur, franchemont, à co tte
heure ... J e dormais, corbleu , je dOl'mais.
- Madame es t malade, recovoz- la.
- Ahl c'est bien pour vou s, monsieur 10 docteur, c'est
bien pour VOUf!,
Aussitôt, devant les voyageuses, la porlo du roIais se
d6vorrouilJ a. L'une soutenant l'autre, elles travorsêrenL
une pièco sombro qu'empuantait uno odeur de rnangeaillr.
Elles gagnèront un escalier el, enfin , une chambre, où
dans de grandes corbeilles, sur dos draps 6tendus, dos
fl eurs séchaient.
Mi·vêtur, lrainanL ses savale;,/ eL à Lel point endormie,
�L E CH ATEAU n'on ll M usE
13
que Lournant sur elle-mème, elle ne savail où elle en était,
une m alheureuse servante venait de recevoir l'ordr e de
rang3r cet te cha mbr03 , d'enlever ce qui gênait.
M. Subrebic, les coques de son m adras dr essées comme
les cornes du diable, s'efforçait d'accélérer le mouvement
et achevait d'ahurir la malheureuse, en faisant p asser sur
elle la colère qu'il éprouvait d'avoir été arraché à son
prem ier sommeil.
- Nom de nom, bourrique! si vous croyez que je vous
paye pour dormir quand il y a de l'ouvrage ... Est- ce que
je dor s, moi, en ce moment? Est- ce que je dors? ..
Débarrassez-moi ce lit, cette cha mbre ... el plus vite que
ça !...
- Je ne sais p as où il faut. le m ettre, marmottait niaisement la servan le en désignant le contenu des draps et
<les corbeilles.
- Mettez-Je au diable.. , mais enlevez-le.
- M.1dame m'a recommand é de ne rien tonch er.
- Qu'elle sc lève, alors, m adam e... qu'elle vienne r a n grJr elle-même, au lieu de me laisser tout à faire.
- ,rrhyra, mon ch at , ils n'auront ja mais fini ...
- Ma tante, encor e un peu de courage .. .
- Dis -leur q ue j'ai une crise de foie ... dis -leur qu'ils
aient p itié ...
- Quell e idée d'encombrer touj ours cette chambre,
rugissait l'hôtelier, cela fait qu'elle n'est jama.is- prêt e,
qu and on l'a besoin. Et l'on voudrail que mon hôtel soit
un hôtel m oderne 1 Nom de nom de nom, il faudrait
commencer p ar m 'y aider, vraiment.
- Th yra, mon ch a t, qu'est-ce que ce Lte fille emporte?
- Du lilleul, m a tante.
- Ohl ThyrD, p ar grace , dis- lui de m'en faire une
infusion ... Non, mieux , un b ain .. . Oh! un b ain de tilleul 1
Quelles d ~ li ces ! J 'ai les nerfB tellemenL surexcités ...
- Un b:.lin ? ... il ne ne nous m anquait plus que ça 1...
�:OF. CHATEAU o'oR J.h IU SE
Ce till eul n'est pas à vendre. Un bain à celte heure ... Ah
bien, il faut être enragé... D'allleurs, du diable, si je sais
où je trouverais la baignoire l
- Thyra, ils n'ont pas de baignoire? En quel pays m'astu arrêté?
- Si, nous en avons une... de baignoire 1. ..
- Où est'·elIe, alors ? .. Thyra; demande-le-lui.
- Elle court.
- Elle court? Une baignoire qui court, mon chat ... On
ne s'est jamais vu ...
- Comme la seringue du bétail ... elle est chez qui en a
besoin. On se la passe. Et dame, comme on. n'a pas nécessité tous les jours ...
- Thyra, mon chat, je ne veux plus de bain dans cette
baignoire publique, ce tte baignoire qui sert à tous, comme
cet autre in.strument pour le bétail.
- Ma tante, voilà le docteur.
- Ah l docteur, vous êtes mon sauveur ... Je ne puis
aller plus loin ... Je suis rompue, brisée... J'ai ma criso de
foi e.. .
- Madame, nous allons vous soulager ... D'abor.:l, il
serait sage ùe VOlW coucher.
- 'rhyra, mon chat, dis donc au docteur... fais-lui
comprendre que je ne puis me dévêtir sous les regards de
ce furieux, - elle désignait M. Subrebie, - sous les regards
de cette idiote, - elle désignait la servante. Et puis.
mon Dieu, que cette chambre ost laide... Elle sent
l'herbe... l'herboristerie ... il me somblo que je vois des
crocoùiles s6cMs qui 50 balancent à des fils, des oiseaux
empaillés et auLres horreurs... Docteur, votro présence
me ran ime. J e pourJ'ais peut- être fairo ces trente- quatre
ki lomètres et loger dans une jolie chambl'e, dans un hôtel
propre. Ce serait une leçon pour cet hôtelier qui nous
l'cçoit si mal... et qui n'a pas de baignoire, quelle horreur 1
J 'en garderai le souvenir toute ma vic... Una baignoire
�LE CHATEAU D'ORÉMUS!:
15
pour toute une ville 1. .. Thyra, je me sens des forces nouvelles. Dis à ce bon docteur que nous repartons ...
MailS, par malheur, M. Subrebie, un instant disparu,
revint et perçut ce dernier mot.
- Partir, maintenant que vous m'avez fait tout démeubler? .. Plus souvent que je vous laisserais faire, même
pour de l'argent ... Vous ne me connaissez pas.
- Thyra, fais tairo cet énergumène. Donne-lui ce qu'il
Voudra et partons .. . partons.
Mais le docteur intervint. La nuit était trop avancée; il
valait vraiment mieux attendre au matin et prendre un
peu de repos.
Au même instant, du reste, la dame poussa un grand cri.
Thyra, Thyra, mes tranchées ... Ma crise ... Vais-je
être condamnée à périr en ces pays barbal·es? ..
Ahl mourir ici, quelle abomination 1... Soulagez-moi,
d?Cleur 1. .. Je souffre de.puis des kilomètres ... Faites-moi
VIvre encore ...
- Vous venez de loin, madame?
- De très loin, oui, de Paris .. . non, de Vienno, je no
sais plus. Thyra ... dis co qu 'il fauL..
La jeuno fille haussa le::; épaules ct, louchant. son front.
du doigt, fit signe au docleur QUO sa lanle divaguait.
- Allons, madame, nt aussitôt celui - ci, un peu d'énergie. Couchez-vous, si vous continuez à souffrir je vous
ferai une piqûre ... Vous passero:t. une bonne nuiL et demain
il n'y parattl'a plus.
- Tu enlends, 'l'hyra, mon pauvre chaL, comme ce bon
docteur arrango les cho3eR? Domain il n'y parallra plus.
Je mo résigne, je me coucho ... Thyra, dis au docleul'
co:nbien il est bail, combien je le rcmer.:il' .
. Un peu plus tarcl, laissanlla malade apaisée dans son
hl, le médecin se relirait La jAune I1lle l'accompagnanl
jusqu'à l'escalier, il ful alor5 frappé de sa beaulé 1 mais amsi
de son air de lassiLude.
�16
LE CHATEAU D'ontMusE
- Demain, madame, votre t,ante ira mieux, affirma-til, mais c'est vous, madame, qui ' tomberez malade si vous
ne prenez du repos. N'avez-vous pas pOUl' vous une
chambre?
- Je n'y ai pas songé.
- Youlez-vous que j'aille trouver Subrebie ... que je
demande ... que j'exige...
- N'en faites rien, je vous en prie.
- Cependant...
- Ne vous préoccupez paf; de moi ... tout sera très bien.
- Thyra, Thyra, mon chat ...
La jeune fille salua aussilôt 10 docteur ct revint près do
sa tante .
- Ouvro la fenôtre; cotte odeur d'herboristerie, do crocodile 86c116 m'écœure... 'l'hyra, veux- Lu la moitié do
mon lit?
- Merci, ma tanto .
- Commen!. vas-tu faire pOUl' la nuit?
- No vous tourmentez pas ... ot par grâce, dormoz.
- Je vais dormir. Mais co crocodilo est-il bien morL ? ...
Ces herbes vont-elle "[1rclldrc feu? ... Tous les herboristes
sonl. sorciers ...
-- J>ormez, dormez
Au dehors, on entend:.t it l'auto se garor.
Dans la maison, M. Subrebie continuait il groneler
comme un tonnerre. La servanto, mieux éve i1l60, commonçait à lui réponùre. Une troisième voix glapissait;
- Alphonse, si tu me fais pal'tir la bonne... prends
garùel Je n'ai pas envie de rester encore sans, trois mois.
- Fallait tü lover, au lieu de faire la princosse . Toute
ma nuit fichue ... tu crois que c'est amusnnL?
- Thyru, mon chal, cette piqüre que m'u faite le docteur, c'est le pnradis .. . Lo pu-ra-Jis ...
- Dormo'l, dormez .. .
- Que vas- Lu devenir sallS li t?
�LE CHATEAU D'ORÉ~1USE
1.i
- Dormez, dormez ...
Lorsque la respiration de la dame put faire croire il
Thyra qu'elle s'était assoupie, la jeune fille s'approcha de
la fenêtre. E lle eut la surprise de s'apercevoir qu'elle
Ouvrait sur une terrasse en bitume, que les mauvais t emps
avaient creusée par places. Thyr a n'avait point enlevé son
manteau. Au garde-fou d.e la terrasse elle alla s'accouder.
A ses pieds sc trouvait un de ces affreux jardins
à earrés de choux . Plus loin, les eaux profondes du canal
Coulaient, charriant des reflets de lune. Plus loin, c'était
la campagne, les champs, sur lesquels noUaient des
ér:harpes de brume. Plus l oin, un gave aux reflets d'argent
€:t, plus loin, dessinées à l'horizon comm'} un décor de
rêve, les Pyrénées.
Aucun bruil ne Lroublaille calme de la nuit, pas mêmo
l'a igre chanson rles grillons clans les champs. Nul souffle
de Ven!. ne passo.it pOUl' faire bruire los feuilles.
Toujours acco udée à la balustrade de la terrasse, lu jeune
fill e demeura les yeux fi xes, les SOUI'cils noués.
El, peu ù peu, le jour se lev:) . L'orient dovmt rose . Les
contours des dl(lses f:>O précisèrent . Ce lurant des cha ni S
d'oiseaux. Des coqs échangeaient de ponluiilers à poulaillers du lriomphants cocoricos.
L'Ang61us sonna.
Dans les chemins dos champs s'entendaient dos sonnailles
ol le « D6boué 1 » des laboureurs .
Jama is la jeune fille n'ava it as i st~
au lever du jour, ne
s'étaiL raH une idée du cllarmc de ce tte heure.
l'Irais, Mins, .tans l'Hô Lei des VoyageuI's recommencè rent
~cs
« nom de nom» do S ubrobrie , les gémisEOmenLs de son
opollse qui glapissai t:
- Malheur ;) Loi Alphonse si Lu me fais partir la
bonne...
•
,
La jeune HUe soup
ir~
:
�18
LE CHATEAU D'OIlÉMUSIl
- Comme tout serait beau sur la terre s'il n'y avait pas
l'h umanité 1...
Avec nervosité elle tendit les bras vers le ciel et murmura:
u Et maintenant? .•• Et maintenant? »
CHAPI 'l'RE III
C'est dimanche. Mllllll Anaïs ct Céliné de Portenbeau
viennent de quitter le château d'Orémuse. Elles se
hâtf)nL vers Saint-Pierl'e-en-Baiise pour la première
messe.
Dédaigneuses de la mode, elles portont de très simples
cosLumes de toilo blanche et noire, qui vonL commo ils
peuvent, ot des chapeaux faits , sans doute, par' l'une
d'elles ot qui no ressemblent h den.
Lours cheveux châtains, sans reflets, so rolèvenL serre:;,
déjà clairsemés, sur los t ompes oL la nuque; JeU!' toint
déjà surchauf16 50 congost.ionno parce qu'elles marchent
viLe.
Vers l'église , los paroissiens s'acheminent. D'autres, qui
« sel'onL do la grand'messo », balayont lour souil, on
jetanL poussièro oL détritus au ruisseau qui, jusqu'à la
}lrcll1ièro pluie, les gardora SUl' son oau noire.
La chaleur est grando,
On so l'annonce :
« La journée d'aujourd'hui sera commo la journée
d'hier» - remarque bien inutilo , COI' à Saint-Pierre-enBaiise, qu'il fasse froid ou chaud, tous los jours ;' ressemblent.
Déjà les stor~,
les rideallx, les tcnLI'fl cOlllmencenL il
l'etomber. A pdno l'air a- L-i! cu le Lemps de pénlHrer dam;
Ins habiLaLions quo déjil l'on en lôL les f pnêLl'C!o ,
Mlle Célino diL Lout ù coup;
�I.E CHATEAU U'O tUhIUS2
19
- Ma sœur, enlendez -vous la cigaie ?
- Oui, mQ sœur, c'est la premièro fois de l'été.
Toutes deux s'en réjouissent comme d'un heur.3Ux présage. La cigalo aura chan Lé .. .
FlUes arrivent ù l'église. Maisles voiliJ. prises d'une inquié LUd e l Pourquoi touLes les bonnes femmes les dévisagent.elles avec celllJ curiosité, s'attardent- elles sous le porche
pOUl' les r egarder, tandis que des jeunes rient sous cape et
tlue Mme Printanier, elle-roême, - la femme du doc leur, a peine à dissimuler un sourire ? .. Pourquoi Mme Subrebie,
l'hôtelière, dit-elle SUl' lem' passage , :\ seul fin d'attirer
leltr attentioll; a Faut qu'il y ait du dérangement pour
lous ? .. » Pourquoi les enfants de chœur guettent- ils leur
urrivéc, près do la grillo du sanctuaire, en les montl'ant du
seul doigt qu'ils n'ont pas dans 10 HC? ?
Mlle Céline r egaJ'(le Milo ,\naïs: a-t-elle en s c~ vêtements quelquo choso qui prOte ù la risée ?.. jWle AnaN
~ {'g( H'de
Mlle Céline avec la mil'!llo préoccupation ... NOII,
JI semble que les demois 11er; ùo Portonbeau sont bien
commo à l'oruinaiI'e, point du Lout de ce siècle et ne s'en
~o.uciant
L e~ gens ont envi de l'iro ? qu'ils rient... On a
l(;!-bas tant d'or,('asions de pleurer 1
Et dressant 11n pet plus la Lôte, saluant ùo ci, salu an t
do là ... , mais saluant peu, en somme - cal' à la campagno
tout sa perd ct pl ~ que tout la polHesso - ellos entrent
ùans l'église.
'~jens
1... quoIqu'un est agenouillé sur l'uno ùes chaiseil
qUI, depuis la Révolution, r emplacent 10 banc seigneurial,
- co banc armorié qu'occupèrent en cotte môme nef, :J.
celto mêmo place, les Portenbcau des siècles pas56~.
QuoIqu'un est agenouillé SUI' la chaiso d'Odet, une femme,
une. inconnue, étrangère au pays et à ses usages , san~
quoI elle ne se fût certainement pas permis ...
Chacun il Snint-Pierre-de-Baiise u sa place, sa chaise,
et con3idère l'une et l'autre commo un droit sacré. De
�20
J ,F, CHATr.AU D'Or.I:~lUSE
père en fils dans les f&.milc~,
on rrie >ll't>glise de son vila~('
en un coin convenu ct poiLt ailleurs. Depuis les Porlenbeau qui sont au premier rang - bien qu'on sc plaise il
dire avec une joie méchante, qu'ils n'y sont plus que là
- jusqu'à Philippa, la vieille Espagnole voisine du bénitier, en passanl par le cenlre de l'église où se placenl les
Printanier ,les Subrebie, les commerçants, les propl'iét;J.ires,
chacun a son fief dans la maison du Bon Dieu, sa petite
concession. Empiéter sur cette superftcie , ne serait-ce
que d'un centimètr,' , suffit pour déchaîner des guerres
auprès desquelles les historiques démêlés Jes Montaigus
et des Capulets, des GueHes ct des Gibelins ne sont rien.
Qu'o.llaient faire :Mlles de Portenbeau trouvant à leur
place une étrangère? ... L'en chasser? ... « Ces personnes ont
tant d'orgueil 1 »
En roulo on était en tr6, ann de jouir du spectacle de
celle exécution.
Mlo~
de Portenbcau, sans paraitt'e remnrquer l'intruse à
leurs chaises, I;'agenouilll"rent ; - sous quelque forme
qu'elle soit oiTerte, les Portenbeau surent toujours pratiquer l'hospilalité ...
Cc quo voyant, on marmotta avec la l'age que mettent
les pelites gons ù tout ravaler li leur niveau:
- Si Plie n'avait pas porlé chapeau, vous auriez vu ça,
tenez ... l
- Parce que c'est une dame, sans quoi ...
La messe commença. Mais combien, par cotie 6LrJngt\rC', les pauvres demoi<;rlles de Porl,enbeau étaient troublée31 Quoi qu'elles flsscnl, ell cs ne pouvaient s'empêcher
d'obs(rvor ft la dérobée celte porsonne cl do l'admirer, cal' vraiment clIc étaH admirable, a vrc ses yeux noirs, ~:.l
houche fière, ses grands trai~,
son ieinl mal cl quelqul:!
choso - on ne fiavait quoi - qui lui donnail un air de reiul'.
Elle élait simplemf'Jll habillée J'un tailleur bleu qui
alluit ù merveille et coilYéc J'un chapeau ol'Oé d'un simple
�LE CHAT.EA U n'OnÉMU SE
21
ruban. Elle avait une fort belle taille et en tous ses mouvements de la grâce et de l'aisance . Les mains qu'elle tendait
vers l'autel étaient des mains de patricienne, Hnes, longues ,
.
blanche s...
Ah 1 que de distract ions! Les demoiselles de Portenb eau,
l'âme bourrelée, en demand aient pardon à Dieu, humble ment, bien humblemenb car la beauté de l'étrangèl'e, sa
jeunesse, son éléganee f sa fraîcheu r leur donnaient, par
cOmparaison, le sentime nt d'être ternes, laides, déshéritées du don de plaire, comme aussi de beaucoup d'autres
dons. Maintenant, elles avaient presque honte de leurs
mains d'actives ménagères, de leur modeste petit chapeau,
de leurs chaussures fortes et poussiéreuses, d'un manque
de. eoquettlill'ie qui leur apparai ssait presque un manque de
SOIns .. . On vit comme on peut à la campagne, on use
que l'on a, ne visant qu'à êtro simplo, à passer
~o
maperçu, à s'éloigner du faux luxe, des colirichots dont
s'orne la mise paysanno. Auprès tle$ difficultés, des tourjournaliers d'une exploita tion rurale, la question de
m~nts
lOll€1tte al'rive à paraître bien secondaire. Il en était
ainsi pour les demoisellos de Portcnb eau ; cependant, ellos
no, savaien t quoi, mainton ant, changea it lours idées, les
fals,ait douter do leur justesso ot les transpo rtait en des
réglOns où ellos no rotrouv aient plus lour sérénité ...
Il sumt d'une légère brume pour tornir l'éclat du soloil.
sur notre âme des
suffit d'un rien pour fairo p:\s~er
, entraîne notro
coup
il
tout
quif
s,
Impressions obscure
ct nous les
nnes
quotidie
es
habitud
dei;
loin
très
esprit
lont renier. L'orùro vito se rétablit ; mais, ]a minuto qui
a été dangereuse, elle n montré, on rogard do la
P~sait
t êtro ot
VIC telle qu'eUe est , la vio telle qu'oHe pourl'ai
elle cn a laissé 10 regret, l'umer r egrot, 011 nrracha nt des
soupirs , peut-êt re plus, des pleurs, cos pleurs si brùlant s
que l'on Vl'1'30 RUI' soi-mùme ...
!l
Ile, ",ilisa est!
�22
LE CHATEAU D'OR~MU5E
L'étrangère jeta une dernière fois les yeux sur l'autel,
fit JE' signe d':) la croix, quitta sa place et, après une génu-
flexion, le regard planant au -dessus des têtes, ne paraissant rien voir, elle sortit de l'église.
Mlle Céline se tourna vers Mlle Anaïs et Mlle Anaïs vers
Mlle Céline. Ah ! quelles sont donc loin du monde, loin du
siècle ... qu'elles onl donc toujours été loin de tout 1
Les voilà. sortant à leur tour; mais, sous le porche, elles
sont harponnées par Mme Subrebie, avec qui sont arrêtées
Mme Subrébie so
d'autres femm es mourant do cu rio~té.
juge l'égale de tous ct so plalt à le prétendre; olle apostrophe les demoiselles de Portenbcau cavalièrement:
- Est-ce que ça serait de vos parentes?
Ça signifie l'6Lr;mgère. Mlles de PorLenbeau qui ont connu
Mme Subrebie gamine, jouanL dans les ruisseaux, répondent froidement à tant ùe familiarité.
- Virginio, nous ne la connaissons pas.
TouL 10 mondo appolle l'hôtelière madame, gros comme
le bras. L'effet de ce pr6nom est extraordinaire. Il
rappe]Je la mission du bâton blo.nc des gardiens de la paix,
chargé Sllr le boulevard do fairo reprendre à chacun la
flle ot passer à son nng. Mme Subrebie sous son chapeau à
fleurs fait la grimace.
- Vous ne la connaissez pas ct vous la gardez à vos
chaises? ricane- L-elle.
~
Cette perilonne s'y était mise pal' m6garde, on ll0
pouvait l'en fairo sorLir : on doit être poli avec les 6trangers.
- Faudrait con LeI' ça il mon mari pour qu'il prenne
exemple. Co qu'il osL malcontenL de les logor ...
La chose n'inl6resso plus Mllos ùe POl'Lenbeau. Biles 60
salivenL.
Mme Subrebie, malgl'6 cela, cont.inlle, - bien que d'un
wall vais regard olle pour.5ui vo cellrs qui sc refusent lJ. plus
long ent.l'Iltien :
�LE CHATEAU D'OnÉMUSE
23
- Il me faiL une vie ... cet Alphonse! Il a d'abord bouleversé mon tilleul qui était dans une chambre, pOUl' la
~oner
à l'une; puis, il a fallu une deuxième chambre et
1} a bouleversé la provision de sureau ... Un train pour
arranger tout cela... vous pensez 1 J'ai cru dix fois qu'il
allait me faire perdre la t ête et la bonne ... Il sc fâchait,
elle r6pondait ... Oh 1 elle répond beaucoup, cette fille .. ,
QU'est-ce que vous voulez, ça n'a plus le r espect de rien ...
Ah 1 il faut s'en voir quand on ne peut tout faire soimôme. 01', je l'ai dit à Alphonse, mon mari: « Ne compte
pas Sur moi, je no ferai pas tout ce qu'il faudra. Je ne
t 'ai pas épousé pour l'écurer les marmites. ))
- Il doit leur faire payer une belle pension à ces étran gères.
-
Elles paieront ce qu'il faudra, mais le démngemenl:,
y pensez-vous? Maintenant, il n'y a rien d'assez propre
Pour elles. Il faut s'en tourmenter tout 10 temps. Hier,
SUI' le coup de minuit, la vieille voulait un bain, et avec
du tilleul, encore 1 C'est mon mari qui l'a envoyée se coucher sans bajn ...
- Oh 1 il n'a pas peur de parler aux gens ... lui 1
- Il s'en charge. Ce qu'il vous l'a traitée, cette exigeante 1
- Croyez-vous garder ces personnes longLemps ?
- Est-co qu'on saH ... Elles ont une auto ...
- Est-co une garantie? Prenoz garde qu'elles ne vous
partent sans payer, un jOlll' qu'elles auront été en promenade ...
Mmo Subrebio parut subitement terrifiée.
- J'en parlerai à Alphonso . Oh 1 c'est bien simple". je
lui dirai: Cc Écoute, Alphonse, prends dans l'auto quelque
chose ... qu'on ne puisse pas partir sans avoir ... n
- Bn voilà une qui est rusée 1 On ne l'attl'ape pas
facilement, cria-t-on ù la ronde.
- Ah l j'en sais des tours, 1'6pliqua, très flattée,
�LE CHATEAU n'oRtMuSE
1\1 me Subrebio ; c'est pas à moi qu'il fDut en apprendre. J oen
sais, et des bons.
- Gélrdez-en le secret, ça sert toujours ...
- Soyez tranquille.
Et Mme Sul.Jrebie, toute grasse, toule rouge, s'esc.lafTe
sous son chapeau à fleurs, s'éloigne, se rengorgeant, et
regagne sa demeure ...
CHAPITRE IV
Comme Mlles Anaïs et Céline remontaient vers Orémuse,
leurs frères qui, eux, « allaient être de la grand'messe )1,
descendaient du château. Ils s'avançaient, tous deux
grands, maigres, nerveux, le visage bronzé, l'œil noir, le
liez fort, la moustache en croc, incarnant le typo du cadet
ùe Gascogne, ami du Béarnais.
Les deux frores Je Porlenboau so ressemblent à tel
point qu'on a poino 1.1 ne pas les confondre. Les traits
accentués et dnrs qui. font de leurs sœurs dei> femmes
laides, ne sont point déplaisants che? eux.
FrèrE's ct sœurs s'accostent.
- 11 fait grand chaud ...
- 11 Y a de l'air, cependant. ..
- S'il cesse on pourra Cl'aindre l'orage ...
- Un pou de pluie ne ferait pas de mul...
-- 11 est arrivé des étrangères à Suint-Pierre ...
- A l'Hôtel des Voyageurs ...
- L'uno d'ulles était à nos chaises.
- A votro chaise, Odel.
- Personne no l'a donc a verLiù que ...
- Nous n'avons pas osé.
- Qui.sont-ellcs?
- D'ou viennont-elles ?
- Nous n'avous rien delllandé.
�LB CUATEAU n'ORÉMUSE
25
- Ce que je puis dire seulemellt, - j0 m'en confesse,
ce n'était point le lieu de l'examiner - c'est qne la perRonne qui était à, nos places - à votre place, Odet - est
l'avissante.
- Oui, ravissante , vraiment.
- Puis, si bien mise ...
- Et ses moindres gestes onL une élégance ..•
- Elle u:;e d'lm parfum exquis.
- Je déteste les parfums, dit Odet.
- Oh 1 les femmes ùont on peut raire cette remarque ...
ajollte l'autre avec une petit.e moue méprisante.
- Je vous assure que ce parfum-là n'avait rie'n de ... ce
que vous croyez ...
Le dernior coup de la grand'messe sonnait, ils se séparèrent.
- Est-ce quo vous chantez à la messe, Celse?
- Il le faut si le chanlre n'y est pas ... ct si j'arrive à
temps.
Les deux hommes marchèrent plus vito. f,aint-Pierreon-11nii8e avoiL, sous le soleil, repris son a~pect
de ville
Inorte. Quelques gruupes, cependant, so hât:.tient vers
l'église.
.
Sous le porche, Celse et Odet se séparèrent. Le premier
n10nta au lutrin, _ cal' il n'y avait, en effot, pas de
chantre. Lo sccond alla se mettre dans los chaises
familiales à Il la place d'Odet» qu'avait occupée l'étran·
gore, oL il s'agenouilla, le vis:lge onroui dans ses mains.
Quand, 10 prûtro 6tnnL à l'autel, Celse entonna l'Intl'oït
du jour: C( Soyez mon juge, ô mon Diou , eL, lliscernez
ma Cause de collo ùes pécheurs» OdeL releva la tête et,
comme au sortir d'un l'Gye, son visag\l parut allcl'o, moins
grave, moins dur, moins éncrgique.
Odet, au physique et au mural, se sentait déprimé
depuis quelque temps. Il éprouvait <.:ette impression do
lassitude, d'ennui de vivre qui, lorsqu'elle s'empare même
�26
LE CHATEAU n'On É MUSE
d e::; plus vigoureux, des plus sains, des plus forts , a r aison
de leur vaillance. On p af'/ient à rétablir en soi l'équilibre ;
mais il faut le çouloir. Or, précisément, les inlluences
myst érieuses, inexplicables, qui sont la r.ause nu mal,
r endent cet effort difficil e. Or il s'impose, sinon ] 0. machine
humaine se détraque, a des ratés. Et chacun sait qu'avec
des ratés , - en langage de chauffeur, - ' on ne va ni loin,
ni long temps .
Quo sa passait-il pour Odet? Le piro de tou t ; rien.
Cepf:ndant, il avait conscience de traverser une de ces
rises où l e soloil somble sans rayons, le ciel terne, où la
chose que J'on fait pm'aiL fas tidieuse et Je hut que l'on
pOl1l'suit inaccosRible ; ou l'on es t dégo ûté de lout GO
que l'on a, ou l'on souhai te tout ce qll l'on n'a pus ...
Ainsi Odet, qui jamais n'aur ait voulu rion distl';.\ Ïre
pour lui-m(\m o du mince (woir do la commun::lIllé, litait
possédé dll désir dl! s'en '\lIer L uu loin, d 'entrepr ondre un
lon g voyage . 11 lui aur.lit paru bon de l'e..;pirer un autre
uir sous d'autre,> eiellx , libre de lui-m ême, libre d'è ll'C gai
ou bien lrisle à mouri;', sam, qu e nul ne s'en étonn .ll.
A ne plus se :;enLir LeI qu'il él,ail naguère, leI qu'il ùoit
ùemcw'l'l', sa prièro rI vient pltH! ardenLo. On a b nt b eso in
de Dieu dans les p eLites choses commo ùans les grandes,
de son :üdo, de son soutien, do SOIl suprême {'..icontol'l!
Odet l'cmel su t êle duns ses m oins el S'l'Mou ce en des
méditations.
Il cherche à voir en lui, à disculer lo!> efIels et les causes ;
mais quo vite il es t disLrail de ccl exa men 1 Voilà quo
monte vers lui uno senteur douce, si donce qu'elle sem hIe
raile de lous lc<l p arfums de l'éLé ; p arfum de l'herbe nouvelle, du loin coupé, de la vigno en fie Ul', des {'os('s, des
'h ~\' l' e f e uil
es , des héliolrop es, parfum do miel, de sève,
p arfum oxquis comm<J en charrie la brise du soir ... Ah 1
qui ne soi L le pouvoir d'un p arfum el do ce qu'il évoqu e
de mirages.
�LE CHATEAU D'ORÉMUSE
27
Odet se redresse. Le voici debout, face à l'autel, les
bras croisés, l'attitude fière . N'était l'inélégance de son
costume, qui b9.ille aux poches et marque aux genoux, il
serait très bien, celui que l'on appelle« le cadet des Portenboan ».
Odet debout no sent plus l'exquis parfum. Il se retrouve'
ou du moins il espère se retrouver. Mais, traîtreusement,l
l'odeur monte jusqu'à ses narines. Au lutrin, Celse chante
sans prétention, simplement, avec bonne volonté, bon
cœur, pour remplacer le chantre absent.
Odet envie le calme de son frère. Celse achève l'Agnus
Dei et demande à Dieu d'avoir piti6 des hommos, de leur
aCCorder la paix... car, bienheureux sont ceux qui la,
Possèdent.
Après la communion, 'Odet s'asseoit. C'est alors qu'il
aperçoit, sous son prie-Dieu, un chiffon mauvo, un petitl
nlouchoir, à l'angle duquel pourrait se lire un nom si leI
froissoment de l'6toffe n'en cachait la broderie. Odet
regarde sans bouger cette petite chose perdue, puis, brusquement, il sc baisse, la ramasse et la pose sur le pri-ebieu. L'exquise odeur se répand, le nom apparaît ;
« 'fhyra ... )) Un nom étranger, un nom de chien, un nom
<10 b{, le ... Odet se souvient qu'un soir, dans une ménagel'ie, pendant une de ses périodes miliL::lires, il a assisté aux
exercices d'une panthèro qui s'appelait Thyl'a ... - Quel
souveniJ·, et en co lieu 1
Odet forme les yeux; les distracLions l'obsèdent. La
l~es
esl dito; mais, au lulrin, Cp.lse chanle, comme c'est
1 usago, l'Angélus, un angéluz viellx comme 10 monde, sur
un ail' enfantin. Odet écoute, a.Yantl'impressil)l1 quc son
[rore est très loin do lui, en des régions sereines, ûont lui
a été chassé.
~n
SOl·t. Odet est prêl au d6part, mais uno chose Je
rellOnt : le chiffon mauve. Qu'en fera-t-il? Le laisser là,
devenir le jouel dos enfants de chœur? Non. Ill'omporle.
�23
LI.: CHATEAU D'ORÉ .IUSE
Sur le seuil de l'égk;e nIle bouffée de vent ci'été Jlas~e
cL lui jette au visage toutes ses senteurs. Odet hume l'air,
regarde le ciel, sourit à l'éclat du soleil, :'lIa radieuse splendeur de cc jour, à la n ature si belle. Odet sourit au vent
qui passe et serre dans sa main le petit mouchoir. Et,
maintenant, que va-toi! faire de cette menue chose? 11
laisse partir Cuise vers Orémuse ct sc (lirigcvûrs l'Hôte! dos
Voyageurs pour aller simplement déposer (je qu'il CI trouvé.
L'Hô tel des Voyageurs est sens dessus dessous. A la
clientèle ordinaire de richards, de paysans aisés, qui
viennent Je dimanche y demander un déjeuner fin, à (jos
étrangères arrivées depuis la veille, se sont ajoulûs des
automobilistes, des cyclistes ...
'l'ous veulent manger au même momont . On a battu le
rappd des voisines. Tablier relevé, elle courent, elles tournent , olle 'virenl , pr6t.endcnt aider. Mais à toutes il manque
quelrjue chose qu'on ne sait où trouver ot qu'on cherche ...
qu'on cherche ...
.11'1. Subrebie crie à la bonne:
- Nom de nom, de noto, de nom, où l'avez-vous mis?
La bonne répond, fort excitée:
- J'ai pas lOlleh6 ... J'sais pas 1 Madame l'aura serré ...
- Madame ... Où ost-elle, madame?
- Cherchez-la!
" Madame" ayont enlev6 son chapeau il neurs, ayanL
mi ; force poudre de riz, millaude avec le3 éLrangcI's, fail
l'éLalage de son éducaLion ct déclare se refuéer à entendre
ces questions do cuisine ...
En J'ace do l'hôtel, SUI' un balcon fleuri de gurnniu.mslierres, MJn~
Printanier, s'abl'iLant d'une ombrelle, suit (['un
a'il vaguo tcutes ces aUées el venues eL s'efforce, malgré
l'ardeur du lloleil, ùe prendre dos disLracLions là où olie Jes
trouve. A Saint-l'ierro"cn-Baijso par le beau temps, par
la pluie, 1'6t6, l'hiv01', Jo rlimuuchc cL Lous les autres jours,
LÀ ji:Une fLHlnlO s'ennuie ;'1 mourir!
�LE CIlATEAU D',)nL~!USE
29
Odet de Porlenbeau se demande comment, dans ce
le
tohu -bohu, il pourra se faire entendre et ce que d~Yienr
pelit mouchoir en ces mains poisseuses. Il souhaiterait le
remettre lui-même... Comment le demander? .. Quelle
élrange exigence ct de quoi aùrait-ill'air?
Une corne d'auto 10 tire de ses perplexités. La limousine
arriv6e la nuit pf'~c6dent,
l'oblige à reculer. Elle sort de
la cour, vire avec majesté et fuit rapide.
Odet a la vision d'une femme qui lui parait excessivement jolie. Sur la terrasse, une dame mûre crie avec un
ge31e d'adieu, bI t n quo de l'automobile on ne puisse pas
l'entendre:
- 'rhyru, mon chat , mon pauvre chat, ne m'a}Jandonne
pas longtemps.
Subrobic, en bras de chemise, débr-1illé, le col couvert,
apel'cev'-1nt " un de ces messieurs d'Orémuse » debout,
inllnobil(), cn plein soleil, accourt emprnssé.
- Esl-ce quo je puis quelque chose pour votre service?
l'orlenboau reponl! :
- Rion, moreL .. jo pasgais ...
- Ahl tant mieux ... j'ai déjà tnnt de combat. .. -- et ,
plus bas, il confio, interposant entre l'ardcUl' dn soleil el
son crâne, sa grosse main velue l'lrgc ouverte: - C'est
agréable de gagner ùe 1'3rfpnt, mais faudrait le gagner
Comme aux courses, ùans un fauteuil J •• Puis, ma femme
ne m'aide pas ... puis, la bonne ne veut rien Caire ... puis,
le clienl est exIgeant... pui;, celle chaleur ... Ah! c'est à
crev(!l', vl'aimcnLl '"
La vieilh Ùame a fJuitl6 la terrosse .
. Mmo Printanier, pour trompc:r son ennui, continue à
risquer uno insolaLioll. Son mari survient.
- Rl'ntre donc 1 f:ut-il alarmé.
JI se heurte fA PorLcnboau.
- Tiens ... qu'est·ce quo vous faites si loin ù'Orému:>e, à
C('llc heure et pal' colte tt'mpéralure ?
�30
LE CHATEAU D'ORÉMUSE
Et encore Odot répond:
- Rien.,. je passais ...
II lui plairait d'intorroger 10 docteur sur l'arrivée au
relais do ces étrangères. Mais il ne trouve pas 10 mot qui
comE\n~ra
cette conversation et il rep :lI't un peu confus,
considérablement troublé, emportant le petit mouchoirl
CHAPITRF. V
- C'est Lrès drôle, cela sent comme à l'église ce matin,
ne trouvez~s
pas, ma sœur? C'est une odeur douce,
douco ..•
-- Je 10. sens, en ITeL, depuis un moment.
Les demoiselles de Portenbeau, MM. Odet et Celse, aprèfl
avoir dit le Benedicite comlUe ils diront l es Grdces, pieusement et debout, so sont assis et déjeunent.
11 est tal'd. On a li û aLtendre le cadet qui mettait à l'on·
lT'or ùo !'6glise plus ùe temps qu'à l'ordinairo.
- No senlez-vous pas, Celse?
Celse ne sent l'ion. Comme chaque fois qu 'il u chanlé la
messe il a grand apI' élit. Puis il s'absorbe ùans ce qu'il l\
chanté, 1 notnnt, l'analysant, pOUl' le comparer ensuiltl
au pur plain-chant grégorifln, dont presque partout, par la
faulo dos chantres, l'annotation s'osL ultéréi"j d qu'il aimerait voir rétablir.
- Ne sentez-vous pM, Odet,?
Odet s'agito sur sa c1utiHe et prOlend no rien senlir, hien
que 10 petit mouchoir soil dans su poche. Il pourrait conter son aventuro, elle est drôle; y aurait-il grand mal? 11
se tait ... Voilà qu'il a pour des réflexions do ses sœurs, der;
railleries de son frère. Il a l'air soucieux, du reste. Depuis
quelquo temps il se dit atteint de maux. de tôte. Ses sœurs
s'inquiètent.
- SouITrez-vous encore, Odet?
�LE CHATEAU D'ORÉ~1USE
31
Odet répond avec un sourire qu'il ne souffre pas. S'il ne
souffre pas, qu'a-t-il? ... Ses sœurs le regardent et soupirent ... l'ont-elles offensé sans le vouloir? Elles souhaiteraient l'interro ....er lui demander tendl'ement ce qu'il a ...
1~ 1
" ,
.c, es ne l'osent.
Celse frappe la table du bout des doigts, retrouve
ainsi le rythme de quelque antienne.
Son but est pieux ot ne semble pas incorrect. Il ne
parait pas que co soit « chanter à table» que de bourdonner, entre deux bouchéos: lèvres mi.-closes, un petit motet.
un air do psaume ou de litanies.
En général , Odet aime à voir se prolonger le repas. Ce,
matin on le dirait pressé de sortir de table. Il sc plaît il
Orérnuse et, d'hahitude, ne descend il Saint-Pierre que
eontraint ct forcé. Aujourd'hui il n'a rien à y faire et
voilà qu'il cherche un préLexte pOUl' y retourner. No
devrait-il pas aller voir le Dr Printanier, auquel il se souvient devoir une visite? Le docteur est un hommè instruit,
capable, de bonne compagnio. Odet de P01'l.enboau aurait
pu s'en aviser plus Lôt cL jouir do sa société.
JI n'en tient cas qu'aujoud'h ui.
Les PorLonbcau Gont servis d'ol'dinaire pal' un peLit
vnlel. Donatien, aujourd'hui, t ilL absenL; il assiste dans
son village à la Cète locale. Los plats sont apportés, les
aFs/oltes changées par uno vieille femme, qui a passé la plus
grande partio de sa vic à OJ'amuso, y étant arrivée CI: du
temps du pauvre dMunt, monsieur ùo Portonbeau ct de la
d6funte madamo )l. Ay ant donc conllu les enfanls tout
?otits. elle no so gllno point avec eux et, sans façons, los
lllLel'pello ot ajoute, si J'idée lui en vitmt, son moL à ~e
qu'ils disent. IWo sc nommo Mal'the, mais uno cCl'Laino
tendanco à l'irascibilité b. nt SUl'nommer, par le défunL
M. do PorLcnbenu, Moutarde, et le nom lui en est resté. Elle
arrive portanL UII O fricassée de poulet, on lui fait accueil.
Le plat sont bon, on voit qu'clio l'a ontouré de Lous ses
�Le CHATEAU D'ORÉMIJS~
soins et qu'elle y a mis toutes les herbes de la Saint-Jean.
Moutarde ne se déride pas. Elle finit toutefois par bougonner :
- Les étrangères prennent place de la famille mainte nant, et on ne Ioui· dit rien.
- C'était difficile, marmottent avec ensemble les deux
sœurs déjà. confuses . - Elles ont tout de suite compris'
que Moutarde pense à l'inconnue de l'église .
- Si l'on s'arrête clavant uno di!l1culté ... reprend III
vieillo plus acerbe ...
Celse est do l'avis de ses sœurs, Odot ne dit rion. Marthe
poursuit:
- Tout Saint-Pierre en est é tonné.
J ~ h hien ! qu'il en soiL étonné, qu'il on soit ébahi, qu'il cn
tombe à la renverse, qu'est -ce fJllC celo peul nous faire? ...
A moi, du moins, l'opinion do ces gens-là n'importe
gllôre", n'importe pas du lout.
nos lour t endr e jeuno!'ise « lr:s ellfants )) onl, été drossés
il Jl I) point Lenir têLo à MouLarde : qu'a donc 10 cadel à
preIldro feu ainsi?
- On m'a demandé: si c·ôi.ail une 1'0rLûllbeau.
- Qu'avc:z-vous répo ndu'!.. .
- J'ai repondu ... j'ai l'ôpondl1 ... cc qu'il y avait à dire:
(!Il' O!1 ne b c.onn;\';;;;uit pas ! .. ,
- 'J'ouL est dit. 'en purlolM plus.
- Si on ~l l o quc
uu qu'en dira-t-on il colle houl'p, ..
- Oui, on S'I Il moqoe ... C'est ce que l'on a de mieux:
à [<.lire,
POlir un pou , :\loul.ardo:;o signeruit. Duns la vieille salle
fi manger, aux panneaux de lapif
~o rio
encadr6s de vie ux
chô)\I!, :l lu chomin':c à hauts lalldiers, à« cœ ur» armorié,
il ~(Jl1
hl e quo, touL à coup, CI)S paroles résonnent comme
unl
~ prophétie.
CdHe donne raison à :;on cadoL, On {ail co qu'on juge
t1t.l'C hion; c,/uauL au l'caLe. A, l\)pi oion d(,f:i gonJ ...
�LE CHATl':AU D'Onrt~lUsE
-
33
El ce n'est, point parce que que:qucs mégères higotes
et méchantes se mêlellL de Be gui ne les regarde pas, que
l'on modifiera sa manière de voir et d'agir.
Comme le débat s'étend 1 Il soulève maintenant presqué
Une d6claration de principes. Odet, si calme d'ordinaire,
paraIt très monté ... Aurait-il cu à souffrir de commérages?
Qu'est-ce qu'il lui prend tout à coup?
Pour faire diversion sans doute, Celse annonce qt:o« sitôt
la chaleur tomMe » il descendra à Saint-Pierre. Il sc
déelare subitement curieux de voir des étrangères autour
dl'equelles, à propos desquelles, il se fait tant de bruit.
- M.'accompagnez-vous, Odet? foit-il en babin:mt.
Cetto qucsLion semble mettre le comble à la mauvaise
humeur qui est une dérogation aux principes les plus stricts
de la famille, lesqueli; exigent que J'on soit lout sourire
à lablo, lont enjouemenl; que l'on dépose sos préoccu
[lations (si l'on en u) dans sa chambre, en sc lavant les
11111ins cL que l'on melte, à défaut d'habit de cérémonie,
Un lllaSf[UC ... le masque souriant de l'homme heureux.
Heureux? Odot ne l'esl pas. Pourquoi mentir? Ce
m'lsque, il vient de le rcjete!'. JI quilte la tahle ot monte à
Son nppArlement. Épr:!'dues, les cieux sœurs so regardent.
Moutarde grommelle :
-. Tout ça c'est de la fum6e fJui ne sent pas bon ...
Celso r6pond au coup d'roi! d'<Jl1goisse que 1l1i jettent ses
sœurs:
- Laissez-le tranquille. N'y failes pas attention, cela se
passera.
Moutarde ne désarme pas.
- Monsieur votre défunt père et madame votl'e MIulIte
mère, mensieur Celse, en auraient di., de ceHe méchanceté de caractère que montre monsieur Odel ; «11 y a
quelque choso : faut le chercher avant qve 'la n'augmente.
l~aut
cherchor à metlre le pieu sur le mal avant que 10
lnal n'ait le deusus, sinon ... »
ft
3
�CeÙle interrompt.
- Quel mal youlez· vou,; qu 'il y aH'? N'l'xacrél'ons rl an.. ,
n'exagérons rien.
J\Iouto.rdo comprosso, ')Cr(\80 de ses doux large:;; mains Ril
Y;tste poitrine ct Cil tire cr cri p l,l th6tlqUCl, [IU'olle aCcom pagne d'un regard vers le ciel :
-Si maintenant ces enianls, que j'ai vus naîtro, me contredistmt Dt ne voulent plus m'entendre, c'en ost Hni pour
moi... c'en est Hni 1. ..
Et elle s'en va, laissant les porles ouvertes, et l'on ontend
sa voix qui gl'onde, so perd, et motlrt au loin comme un
éclat de tonnerre.
Odet occupe, dans l'aile gauche d'Orémuso, une chambro ,
un caLiuot do toiletto ct uno autre chambre qui lui sert
do d6ban,ls. Son frère csL log6 pareillement dans l'aile
droite et ses sœul's 130 partagont 10 miliou do l'habHation.
Odet a regagno sa chambro cL s'est joté lQurdoment sur
son lit, un gl'and lit à piliors, il pa villon ot courtinos de
vol ours cramoisi.
Orémuse osL m~)1Jblé
«à l'ancienne ll . Dans la plupart. ù os
pièces so trouvent des vostiges d'anLiques splcnc(ours. Do
tout os ces choses qui furont - ot du roste son~
oncore Lellos, mais (lue le temps a marquées d'un sceau de vétusté,
il sc dégage uno impression do mélancolie.
La chambru osl obscuro, dos boiserios on chôno sombra
cachent les murs. Au plafond, tics co.issons régulierBr eliont
les poutroa massivos. Dû:; mouches bourdonnant, un ver
tal'aude le bois d'ull crissement régulier.
L'insLant est propice Ü bouhaiL pOlir une siosLe, l'air
engourdissant et lourd somblo versor la sommeil. Odet,
sur la courLe-pointe do volours, qu'il frol SIi!' (1l déplace, flO
tourne, se rotourna, profl què honLeux de lui-mômo.
« Qu'e3L-ce <lue j'ui... Mais qu'ost-co que j'ai?,. fait.- il,
tourmenté par 10 p l' l' ~e H l , pal' co que som l'a vl ~ njr,
t;Ï[ no
...ül pll.ls pruLiquQl' l'auwir..lble ver~u
(j'oudura.ll.Oe. Je ut
�LE CHATEAU D'ORÉMUllE
35
puis songer à changer ma vie, à vouloir autre cht>se que
ce que j'ai volontairement choisi. .. Non, non, je ne puis y
songer ... »
h:t plus il le repète, plus le malheureux y pense ...
CHAPITRE Vl
L'aulomobile qui emportait, la beUe étrangère n'était pas
il. deux lieux, quo déjà MOle Sllbreble, saisissant son mari
par le revors de son gilet" s'écriait:
- Mais, Alphonse, pour qu'elle soit parlie comme ça ...
tu ne m'as donc pas écouté? Tu n'as rien pris dans
'auto?
- Je n'en ai pas eu le temps ... Si lu m'aidais un peu ...
Mais j'ai tout à f(lire, j'on pords la tête 1
- Excuse-toi en m'accusant 1 Ça, c'est bien les hommes!. ..
Je pense à tout, moi, je p?évois tout. Toi, tu ne m'écoutes
Pas. Et que 'lu ne m'écoutes 1\o.s, c'est encore de ma
fnule.
-:- Je le dis que je n'elllendsrien aux autos, .. Je pour·
ral~
Casser quoI quo choso d'essenliol.,.
- Bh J bien, après?
- Ou me prendre les doigts dans lin engronage ...
- Voyez-vouf\ ça, le poltron? ...
- Après je l'aurais sonti, nom do nom... Que n'as- tu
ét"e 1c faire
. . à ma. place?
, - Je ['aurais faH, mossicu Subrcbio,,je l'aurais fait pOUl'
~ , ur~
si j'avais cru quo... que tu m'en jugeais capable ...
iamlennnt nous serons bien avancés, si la dame ne
roviont pas ...
- Duh 1 Il n'y a point ù crnindro cela, puisquo la vieille
est là.haut.
-
Et si on nous l'a laissée pour compte?
Oh J comment... oh J pourquoi?.. D'aillenrs, c'est
�36
LR CHATEAU D'O~MlSB
peut-êtN la vieille '1ui a de l'argent ... Puis, du reste, la
dépense d'une nuit ct d'un matin, ça n'est pas énorme.
- Pas énorme, as-tu dit? ... C'est qu'abrs tu ne sais pas
t'y prendre pour faire faire aux sous des petits. Ainsi, pa~
'3xemple, ce hain ...
- 011 ne l'a pas pris.
- Ah 1 c'est vrai... Mais le tracas d'en a voir entendu
parler, de S'CIl 0Ll'e tOUl'menté ... JI fauL que tout se paye.
- Ça c'est des ennuis professionl1e]s, le clienL n'y peut
rien.
- Tout de mômo, Alphonsc, si tu lui portais la note, à
lu vieille? Nous verrions bicn, a lors, si elle u de l'argent ...
Ça so devine tout de suite, dans les gesles, la manière de
r6pondre.
- Veux-tu t'en charger?
- Volontiers. On no me met pas dedans, moi 1. .. Alphonse,
Alphonse, tu gronùes toujours tu femmo... Tu en ag
r;ependanl bi n bosoin 1
Un instanl après, M. Subrobie ayanL torturé son imagination, afin d'élablir une facture des dépcllsl!s quo les
Jeux 6lrangères avaient faites dans su maison : Une
ehambre... 10 francs.
Une seconde chambre ...
10 francs. - Deux déjeunors du matin ... 3 fl',.mcs. - Deux
déjeuners do midi ... 10 Irones. - Les fl'ais du chauffeur ...
1.0 francs. - Le garage de l'auto ... 10 francs. - Le service
et l'éclairage ... 2 Ir.Ancs, on apporta le total, soil r)5 francs,
ù sa fummo qui ne put tenir un cri d'udmil'alion dovant
l'habiloté de son époux. Du coup, de plmüeurs degrt-d,
Alphonso romonta ùans son oslimo.
A llondrie, 0110 s'écria:
- Ça, c'cRl trrros bien ... trrrl'os bien ...
Puis, s'emparant de cette racture, elle d6elara avec
importanco : « A présent, j'en fais mon alTaire ... Nous ne
pouvons cxposrr IlOS peines, nos fatigues elle dérangemont
à dl:5 risques el. dt.:s périls. Jo vuii:l monter che:/: la dame,
�LE CIiATE, t ' J)'ORtMU~E
37
et 8i elle ne paye pas sur l'heure... on va voir!»
Le rez-de-chaussée de l'hôtel était encorEJ plein des gens
qui, après a voir déjeuné, goûtaient, en l'umant cigares d'un
son sur cigares d'un sou, en prenanL pousse-café sur
pousse-café, verros de liqueur sur verres de liqueur ... le
repos du dimanche. Au dphors, si la températ.ure était très
chaude, à l'intérieur, le dallage abondamment arrosé,
les stores de toile grise bordée de rouge se balançant
devant les fenêtres, donnaient une illusion de fraîcheur.
Mmo Subrebio jeta un coup d'œil dans les salles, recommanda à son mari do veiller aux consommations, gourmanda la bonne pareo qu'elle somnolait, assise sur la
première marche de l'escalier, le visage enfoui dans la
servietLe qui servait à essuyer les verres.
Maussade, la bon nu répon~it:
- J'ai pas d'ouvrage.
-- J.t.h 1 bien, ma fdlo, il [nuL en chercher, on en Lrouve
qUAnrl on a dEJ la bonne volon Lé ... Alphonse, prends donc
gardo, la nlle est sans occupation.
- Nom ùe nom, de nom, de nom, et moi qui m'esquinte ...
trf\ce-Iui de la bClïogne.
- Jo no peux pns ... je vais voir la dame ...
Mmo Subrebio, écra~oe
sous le poids do ses charges eL
rosponsabilités, monta chez la dame.
Vue au plein jour, la chambro où, hier, one ore séchait le
tilleul s'affirmait horrible, banale. Les murs étaient tondus
d'un papieI', sur le fond vert empire duquel sc jouaient des
COuronnes rouges de myrte et do laurier. Ce mélange de
teintes se retrouvait dans le tissu ropsé dos rideaux do la
fenêLre et du lit, dont une couverturo au crochet sur un
transparent ponceau cachait les couvertures. Des meubles
Cil noyer, une LabIe de toiletto au marbre terne, à la gal'nil,urc do faïenco ébréch60, un fauteuil cL deux chaises
d6p'arC'illées, complétaient Jo mobilier.
Assise prt-s dl) Ja porte-fenêtre ouvrant sur la terrasse,
�3S
LE CIIA7EAU D'OREMUSE
la vieille dame s'éventait. Elle paraissait lasse, anéantie.
Ainsi la laissaient LoujoUl'S, disait- oIlo, sos crises de l'oie.
Elle portait un ample peignoir mauve doux, franfreluché
de dentelle, ot sur ses cheveux blancs était posé un
bonichon do tulle el de rubanE. Madame Subrebic
frappa.
- Entrez.
- Vous n'avez pas voulu aller il la ville, madarnl'?
commenç.a-t-elle avec un sourire qui dôcouvrail ses denls
jaunes, ses gencives pûles., un sourire qui n'6Lait fju'ul1e affl'eus\I
grimace.
- Ma sant6 IlO me 10 pm'mot pas.
- Vous soufir(:z encoro?
- Gl'[lce au bOll doctoUl' je suis soulagée; mais il me
l'este une grande faiblesse,
- Ah l la faiblesse ... Ça me cOIlnaît, la faiblosse ...
Et aussitôt Mmo Subrebio, do sa voix chanto.nto au forL
accent gaBcon, énuméra ioutes los occasions où ello s'cm
était trouvé atteinle ... « de la faiblesso ». Une fois <;n
l'evonant du marché, cHe avait cru Lamber au bord de la
roulo .. . ça l'avail prise comme un coup do foudre dans
l' 'slomac, puis COJ1lmo uno boulo qui serait monLée, doscendue ot tout le tomps, « comme ça ... commo ~.cl ., c'étaiL
lerriblel »
L:l vioillo damo 6eoutaiL. Visibloment Mme [-:lllbl't'lLit; \;J
fatiguait. Mais t;cllc-ci n'on ten&.nt compLc pou1'5uivail, (!1\
minaudant, l'énumération de ses sOllvonil's ... C'étaiL, Uil
autro jour, en rovonant nOll plus du lUUl'cM, mais do 1'1
meSSQ ... Ah 1 cette fois, pur exemplo, l'elT'.)!. du lu faibJrssu
ful si 01l'r..tyant quo Mmo Subl'ebio s'(,l:lit dil ; ~ 'l'ions,
pauvro ... je crois qllo tu vas mOllI'if ... » Oui, olle so 1'6Lnit
dit ... ct ello 10 croyait. Aussi vrai quo le bon Dieu esl
grand, ollol'uvuiL Cl'u.
Cc dernier récit ramena à parlol' dr. In hrièJvoté de tu
vie... Ah l Co que nous sommes 1. .. - puis, sans transition,
j
�LE CHATEAU
D'ontMusE
39
de la cherté de l'existence. - ( Bientôt, on ne pourra plus
manger au prix où tout. est ... ça fait p eur J. .. »
Puis, tout à coup, son sourire s'effaça, on ne vit pius
que ses d.ents. Les aiIaires sont les affaires. - bJn
Mme Subrcbie mourait 13. femme du monde, qu'elle s'était
flattéo d'être quelques instants, ct revivait l'hôtelière.
Ex abrupto, clio tendit sa note.
- Ici c'est l'habitude. Chez nous on paye tous les
dimanches.
-- Ah 1 mon Dieu, madame, vous me surprenez.
- C'ost l'habitude ... c'est l'habitude.
- Et à. combien s'élève cette note, s'il vous plaît?
- Rogardez-Io..
La ùame fouilla dans les dentelles de son corsage pOUl'
y lrouv er son face-à-main. Elle avait de pauvres yeux
Vogues, d'un hlcl1lavé ot les ges tes tâtonnants d'une personne
qui u'y voit guère. Le face-à-main ne se trouvait pas, et la
vieille dame n'avait au. ~ une
idée rie l'endroit où elIQ l'avait
I1oM. TIl1t' pria iVtmo 15llh1'ebio de lui renùre compte de sa
nole.
- Faul-il J(1 totul ou 10 dél8il? demanda WI'·e Subrebie
Uvee Ufisurancc.
- Mais Jes deux, :-.ïl vous plaît 7
- Le total, t:'osL cinquante-cinq francs.
La vieille damo se récria. Ello déclara ne s'être jamais
boaucoup préor.cup6e ÙU coOt des choses, mais pouvoir
cerliner que do lels prix étaient 'oxIJZérés .
._- Cinqnantc-cinq francs, voyn~,
c'est insensé, concluteUo,
- fnRPnsé?,. Ah 1 bien ...
<l'uno voix ::ügro, lu bouche lordue pal' un
. Et :l1s ~ iLôt,
fJelus mut:hilnt, Mmo Subrehle énumértl: Une chambro,
10 Ironcs; une outre chambre, 10 fl'::lIics; déjeuners du
matin, :1 francs; ùéjeuners de midi, 10 francs; 1(3s frais
du ehaulTeur, 10 froncs; le gal·J.ge de Paulo, 10 francs;
�40
LE CH.\1'F;AU D'ORÉMUSE
le service et l'éclairage, 2 fl'ancs . Égo.le: 55 francs.
A chàque chilTre, la dame levait, puis laissait retomber
lia main en un geste de surprise. Elle finit par s'écrier:
- Mais, ma bonne mada me, j'aurais passé la nuit à
l'hô tel Brislol ou à 'frianon-Palace que cela ne m'eût pas
coûté plus cher .
- Qu'est-cc que ces endroits?
- Ma bonne dame, les premiers hôtels de France.
- Ali] les premiers hôLels de Franco .. . Et sans doute
que vous auriez payé là ce qu'on vous aurait demandé,
sans barguigner, tarrdis qu'ici.. .
- Je vous avoue qu'en effet, je l'eusse fait plus volon.
tier,; ...
- Sans doute que ces hôtels sont. plusbeaux que le nôtre?
- Oh] mon Dieu ... un peu .. .
- Eh] bien, allez-y ... ct avant de partir, payez-moi.
Ici, on ne marchande pas, c'est prix fixe .
- Je ne puis accepter ce que vous me demandez.
- Si vous n'êtes p as contente de nous, faut pas vous
gêner ... Nous ne sommes pas mariés ensemble.
La vieille dame eut le malheur de marmotter en sou.
riant:
- Heureusement.
Ce qui exa&péra Mm. Su\.JreLie.
- Vous n'avez pas besoirl ùe nons tant dédaigner, la
route esl là, vous savez ... il n'y a qu'à la prendre.
larù.
- J'y comple bien ... un peu p lu~
- En attendant, c'e,:t pas tout que do mJ faire lu coup
ùu mopris .. Payez-moi ma nole .
- Je p arlerai de vos exigences il ma nièco quan J elle
reviendr.l.
- h:l si elle ne r() ,icnl pas?
MUle Sullr ebie avait probablement lancé colle phr'lse
comme elle eüt dil aulrc choso. La vieille uamtl en pal'ul
suffOQuée.
�L'C CHATEAU D'OI\É~!USB
_
_
_
_
Qu'avez-vous dit?
J'ai dit que votre nièce pourrctH ne pas revelùr.
Qu'esL -co qui vous 10 fait croire?
J'on ai toujours eu l'idée rien qu'à la voir.
L'idée .. . pourquoi l'idée ... Qu'est-ce qui a pu vous
la dOMer?
, - Té ... des choses.
- Des choses ... quelles choses?
Lo visage de la vieille dame se décomposait, ses yeux
se dilataient d'épouvante.
_ Est-ce qu'on sait ce que ça veut diro quand des personnes vous arrivent comme ça à minuit. ..
_ Mais, madame, il est bien permis de voyager au clair
de lune ...
_ Oui, el de descendre Jans un hôtol qu'on trouve ase~
bon pareo qu'on est mieux 1. ..
. _ Mais, madamo, je ne dédaigne pas votre installation ...
le trouve simploment. votre noto ...
_ Ne parlons rle ma noto que pour la payer. Je ne m'en
irai pas do celte chambre sans en remporter mon argent.
Et, assez parlé 1 J'ai autre chosE' Ù faire que la dame de
compagnie.
_ Mais, madame, je voudrais vous payer que je ne le
POurrais pas ...
- Vous ne pourriez pas?
- Mais non, je n'ai pas d'argent.
- Vous n'avez pas d'argent'?
- C'est ma nièce qui ...
__ Naturellement c'est celle qui est partio qui... Fallait
s'y attendro 1. .. !Dt vous croyez que jo vais me contenter
de la monnaie de vos paroles?
_ nIe faudra bien, jusqu'à son retour ...
_ Oui, et je vous l~ répèLe, si elle ne revient pas?
_ Mais, maùame, il n'y a, que je sache, aucune raison il,
I;cla ... à moins, toutefois, qu'on ne roe cache Quelque chose ...
�LE CHATEAU D'ORlhrun
- Et si on vous cache quelque chose, voulez· vous dira
que j'an serais de mes débours et de mon dérangement? .•
Du l'este on me l'avait dit.. . oui, on me l'avait dit ...
- Qui vous a vait dit? .. .
- 'fous ... On so méfiait do vous 1
- De nous !
- Tl n'y avait que moi, comme une bonne bêt0, qui
avais confiance.
- Mais, madame ...
- 'renez , il m'arTive une pensée - l'hôtelière venait de
s'apercevoir que la dame portait dos brillants aux oreilles
-- si co que vous me dites est la vérité, donnez-moi en
gnge une de vos boucles d'ol'ellles ...
- Une de mes boucles d'oreilles! Perd03z-voUS la tête? ...
Certainement non , je Ile la donnerai pas.
-- Pl'enez garde qUfJ ... que je ne la pronne de force ...
- Mais daM quelle caverne de voleurs, 'rhyra ... Thyra,
mon chal, m'as-tu laissée !.. .
- Voleurs ... caverno do voleurs? cria .Mmo Subrebie
1'11rieuse. l!Jt, courMe,!e poing en avant l « Non, mals
répétez- lo pour voir ... répéLoz-Jo ...
- Mols jo 10 répète ... J o 10 répétorai.
- Voulo?'-vous, oui ou non, me payor?
- .Tf) no paiera i pas cel Le noLo ... le lie quolle est.
- Ah 1 vous no la payerez pUll ... vous ne la payerez pas .. .
Altendoz, vous allez mu yoir ... vous ne me connaissez pas .. .
Alphonse, Alphonse, mon Le un peu ... monte un pe~ ...
~Qu'osL-ce qu'il y a?
- Monte voir ... Mndo.mo no veut pas noU;1 payeI'.
-- Nom do nom, de nom do nom!
- mile nous traite do (';(vorno, do volours.
- Do voleur, moi, Alphonse Subrobie ... Venez Lous le
lui dire un peu,\1cnez tous ... volatil· .. . oh! voleur ... voleur,
mol ?...
L'heure sonnnit où génél'lIlemonl dans lo!l salles du rt'z-
�tR CHATEAU D'ORdMUSE
43
de-ehau ssée, les buveurs ) à force d'ajoute r petits verr,-s a
petits verres et d'entass er soucoupes sur SOucoupes, perdait fadleme nt la nette compré hension de Ce qui se passaU.'
~ Au voleurl D Voilà ce qu'on crut entendr e.
Au voleur i Ah 1 Ah 1 il Y avait un voleur? Ce voleur
où était-il ?... On allait lui régler son aiIaire.
Ce fut le recul de chaises, un bruil de voix, un brouhaha ... On prit d'assau t l'escalier, des gens couraie nt de'
tous côtés ot, avant qu'elle ait pu so rondro compte de ce
qui arrivait , la pauvre vieille dame vit sa chambl' o envahie
por des gens en bras de chemise , à faco avinée.
- BIle m'a traii6 de voleur 1 hurlait Subrobi e, de voleur 1
Bien que tous fussent d'accor d pour pensor que jamai:.;
sous la calotte des cioux ne s'6Lait énoncée si grande ct si
hell e v(;rHé, on 50 crut en devoir de proteste r, par crainte
du ressenti mont des Subrebi o, ressenti ment qui se ~erait
traduit en man quo do complai sance, on refus do servico et
/Surtout de crédit - or chacun sait que lorsqu'u n hommo a
soif ot qu'il n'a pus d'urgen t, jouir d'un peu de crédit esJ.
assez agr6abl o.
- C'est eUo qui on cst une, glapissa it l'hôt.olière, elle
rofuso do donner co qu'ello doit.
- Jo ne veux pas choz moi do gons qui no me payent paIS.
- Mais, monsiour, par grâce, veuillez m'6ooutor.
- Payez-m oi ... ou, 1I.ussi vrai que je m'appel lo Alphonse
SuLl'obi e, pOUl' lll'avoiJ' tl'aité do volour je vous fais jeLer
done lu rue.
-:- Monsieur, jo VOliS 011 prie, je vou::; en conjuro, lnissezrnol m'oxpli quor...
- Doux cL deux fonL qtl1tro nvee moi, et non pas cinq.
Vous mo dovez cinquan te -cinq InUl es, donnez- los-moi , ou
Sorlc:; do mon hô ~o l.
- Jo ne Borth'ai pas.
- Quatro du mes amis vous emporte ront de force, dans
Votre fautouil même, si vous refusez Je marche r.
�LI: CHATE AU n'OJ:ÉM l' SE
- Mais c'esl indi gne ... c'est abominable 1. .. li ne se trouvera donc per sonn e p our me défendre? .
- J e vais envoyer cher cher pour ça la gend armerie.
- La gendarmeri e... , rép éta la vieille dame avec épouvante. Ah! gr ands di eux , la gendarm eri e 1... Non, non,
n'appelez pas la gendarmerie ...
Il 50 fit une clameur .. . chacun r épétait ;
- Elle a peur ... Comm e elle a peul' 1
- Là ! J 'étais sûr d'avoir r aison de vou
~ ... Sûr, sûr 1
cria Subrcbie triomphant.
Malgré Lout, s'il y eut des gens qui s'amusaient encore de la
dispute, il y en eut d'au tres qui jt1 gè l' ~ nl quo ce diable de
Subrebic, Lout excusable qu'il fût, puisqu'il éLait pris de vin,
allail trop loin . Puis on n'aim e pas à se trouver mêlé à des
hisLoires d'ivrognes: on Ile sait jamais comment ça fi nit.
Aussi, lorsque la vieille dame, se mblant vraimen t prête
à s'évanouir, murmura monlranL Subrebie :
- S'il est p armi vous un homme do cœur, qu'il aille
chercher le médccin. Lui seul, lui seul mo délivrera de ce
for ce né.. .
Des gens se glissèrent dehors cL parLirent en loute hâ le à
FI l'ilcherche dll docteur. Et en roulc, il. lous ceux qu'ils
l'encontralent , ils connaient quo « si 0/1 n'y prenait garde, il
allait y avoir d.u laid, r apporl aux da mes étrangères , il.
l'H ôtel dos V o yag
c lJr ~ ». Il n'en faul p as d avantage pour
meUre en rumeur une petile ville.
A co momenL du jour, préci$6rn ent, comme tous les
diman ches, en ha bits do fête, les h abi tants de Saint-Pi erro
sortab nt. Lentoment, p ar coupl es ou pOl' group es, ils
déambul r' ionl le long de la l'ue princip ule, Lan lôt ... ors
l'es t ... CI côté de l'l'glise )J, tonLût ver,; l'ou esl , a côté du
r elois >. EL, sans sc tusser, on r eco mm ençait indéfinim ent
cotLo prom enade, t anl,is que sur 10 trolLo ir, assis dovunt
les portes, des eommèl'es , cles femmes alluita nt leurdel'nierné, des vieux, suivaienl avec cUI'Îo.: if.é ce va -c L-vient cL
�Ll:: CHATEAU n'Ol'.r./.!VSE
45
en tiraient mille déductions. Cette lente en-allée du
dimanche était l'événement hebdomadaire de Saint-Pierre,
celui dont il serait question toute la sem3ine. Là, s'ébau-/
chaient des intrigues; là les jeunes « se parlaient .; là
s'échangeaient des promesses, promesses folles ùont autant
en emporte le vent, promesses graves qui mènent droit au
mariage. Donc, augurer de oe qui devait arriver, l'annoncer, était un jeu qui consolait coux qui s'y livraient de
n'avoir plus à p!'élendre à mieux qu'à ce rôle de speclateur.
a Il va y avoir du laid» à l'Hôtel des Voyageurs ... PÛl'
celte phrase, l'ordre de ce dimanche fut troubl é.
- Il va y avoir du laid ...
- Allez-y voir ... Il ne fait pa;; bon raconter ces choset>.
Après cela on vous prend co mme t émoin, il faut aller
déposer en justice 1...
- Où courez,volls?
- (.h ercher le doct.eur.
si grave?
- C'~t
- Oui ... oui ...
Aussilô :. , le cœlll' ballant ùe 10. crainte et de l'angois,>c
de ce ({u'ils allaienl voil', ton s f\ .' p l'{>c ipt
ère
n~ ..
La cour de l'hôtel fuL noi!'\) de nr onde.
Mm
~ PlÎnLanier qui, ap rès Wl couel so mmeil, vr.nait de
reparaître SUI' son ha!co:l, ne vil dans la ru e ct les alenlours
de l'hôtel que des bras dressés, une Ioule grouillante.
Qu'allait-il sc pass6r? M,me Print:Jniel' S3 troublait de ne
poinl apercevoir son m ari, que plusiours fois on éLail venu
('hercher, lorsque, ~u iv
de !'a; n6 des Portenbeau, il pass,\
en courant.
Elle leur cria:
- Qu'y a-l-il?
lis Il' e ntcdiI'
~l
pus. Ce Iut une l'cm me qui lui répondit :
- Unr dom o U \'ulù chez SuuI'ebid ...
- Une dame '?
�4(;
'des
LE CIlATEAU D'ORÉMUS:!
De celle!> arrivées cette nuit 1...
Ce n'est pas croyable ...
Elle Il volé cinquante-cine; francs.
Où?
Là où était l'argent.
Comment?
Comme on prend les choses d'habitude, avec la main.
Alors?
On lui fait un mauvais parLi. .. Mette:G-vous à la place
8ubrebie ...
Mmo Printanier restait incrédule; ce qu'elle savait des
dames étrangères hü faisait assimiler ces explications à Ull
de ces fantastiques récits qu'enfante l'imagination populaire.
Cependant M. SubrebievenaiL ùetrouver quatrtl hommes,
quatre amis, quatre bons camarades de beuverie, se disant
prêts à fai.re n'imp0rte quoi pour le satirifaire. Il leur avait
intimé l'ordi'e d'emporter la vieme dame et d'aUer la déposer " n'importe où D, pOUI'VU qu'ils l'enJùvent de l'hôtel.
Le doctc'ur Print.anier, entrant dans la chambre, arrêta
net le mou vement.
- Ehl bien, que se passe-t-it? Qu'ost-ce que tout ce
monde? .. sorLez tous 1...
Le gesto du docteur était péremptoire. 8ubreb10 entrepr·jt des explications.
- Sortez, 10 premier, Subrobio. Ce que VOI,lS faites est
indigne J... Quand vous serez dégrisé, vous en serez honteux.
- Ce n'ost pas moi qui pm'tirai, mais maùame J Ou bien
il faut que quelqu'un me garantisse ~a d6ponse, celle qui
est faito, celle qui est à fair;) ...
- Je la garan lis 1 cria une voix tonnante.
« Le cadet d'Orémuso J) vonait d'entr('r.
-- Qui vous?
- Moi, Odot do PortenbeauJ
Et cc nom claqua commo les oriflammes, les gonfalons
�'lue, dan s toulu la liuite des temp s, d'au tres Celse, d'autres
Od et de Portenbeau Ol.vaient déployés pour défendre la
plus intéressante à Oil causes: la eause de3 faibles.
Suhrebie ricana :
- Votre garantie, peuh! .Je cannait, t.l'OP vos moye.ns ...
- Vous les ignorez ...
Et avant que l'hôtalior ait ou)o t emps do rép ondre, il
se sentit pris au collet, entratné, tiré, enlov6, ct se l'otrouva
dehors au miliou de la cour, entouré de ge lls qui riaient
dt) la ff;lçon dont lui, si fanfaron, si va ntard, il s'était lai
~6é
emporter, ainsi qu'il voulait le faire d ) la vieille d:mlù.
- Et maintenant, si vous osez re monter, gare 1
- Nom de noml Je suis ici chez moi et nous ne sommes
plus au tomps des seigneurs ...
._~ Nous sommos au temps des goujats. Vous venet d'en
fOUl'nir ]a preuve!
Qu'allmlL répondre Subrebie? Le cadet d'Orémusc nliai til pnsser un mauvais quart d'heul'o L.
l'ilS du tout. LOl'sque l'alcool ou 10 via M rer.daient. p ae
SubJ'cbi e !uriouJ\, ils le rendaient pleurnicheur, geignard eL
Souvent c~s
dillél'cnts éLats d'humoul' sa succédaient, sans
iransil2on. Aujourd'hui onoore co phlinomène se produi.
~iL.
L'hÔtelior ,,'ùn prit, avec des larmes dans lu voix, à sa
l emme: " C'ôtlliL Mme SulJrohie qui avait touL rail ... qui
l'av'o.iL monté, lui, uno si bonne pâte d'homme, urt agneau
du bon Diou ... I!lt maintonant eUe so MchaH, on ne la
trouvait nulle part, la misérHblo l. .. »
Depuis que le docteur é tait arrivé a uprès cie la vleillo
dame, 011 ne savait en offot où déc;:luvrir Mme Subrebie,
Avec lâchoté, 0110 laissait son puu vr0 upoux seul, seul,
oxposé aux injuros, aux snrc.o.smes, aux l'aillad es .
- Cal' j'ai bien toujours oru, moi, que III dame payerail"
l1on
~je l1'
de 1 orlonboall, in ~isl,ajt
-il.
.. Ce !'ju o j'on Hi d.it,
c'est qua .. 1.0n01. ... \IA chaloW' ot Wl coup d o trop m'y fol'-
�liS
LE CHATEAU n'OnéMUSE
çaienL.. Jevousremercie de votre gal'antio, elle m ') aullit 1...
Votre parole est pour moi <ie l'or. Merci!
Au même instant, une limousine parut, cherchant à virer
d ans la cour.
- L'aut.re dame! murmura-t-on.
Une jeune femme, penehée à la portière, regardait anxieusement ces gens qui entouraient l'hôLel ct cherchait à
comprendre la cause qui les r assemblait.
Se sentant le point de mire de tous les r egards, elle
s'inquiéLa plus, ct ce fut d'uno voix tr emblante, qu'elle
dem anda ce qui so possait. Quolqu'ull r épondit:
- Subrebie s'esL disputé avec la vieille dame.
On s'attenda it à de l'indignatio n; l'éLra ngÎJ1'e ne répondiL l'ion.
Subrobic crut alors de son devoir de s'avancer, chapeau
bas, le dos e n rond, pour dire d'une voix pleino de larmes :
- Madamo, madame, fauL m'oxcusor. Ma femme,
lll<l dame Subrebie, me monLe, me pousso il. mille sottises,
puis clio va be ca-::her pour n'avoir à supportor ni la rcsponsabilil 6, ni J'ennui de co qu'elle a déchaî né... M. de
Porlenbc3u m'a traité de goujat, jo le mérilel Commenl
moi , qui HllÜ ce qu'esL ]'éùucation, me suis -je laissé aller si
loin '? Ah 1 monsieur do PorLcnboau, quoi malheur quo vous
ne soyez pas arrivé plus tôt 1 Vous m'auriez sauvé Je ceHe
honLe, cal' je suis honleux, lrès honLeux, absolumonl honLeux ...
SuvrcIJi e so rotournaiL pour adresser co discoul',; au cadoL
ch PorLenbeau qu'il croyaiL derl'i('l'e lui : Odet avait
disparu.
L'éLrn ngère ne sembla prêLor aucune HtLenLion à ce dis Cour!;. lJi8LraiLe, clJo sn hâtait vors la cham brl) do sa LanLe.
Là oncort' J'aLlelidai L uno surprise. Auprès de la vieille
dame à demi d6faillante, s'em
pre
~s:lic
nt
10 Dr Printanier cL lIll élr angor.
- 'l'hyl'u, ThYl'.!, mon chaL, j'a i l'I'U mourir ... ils ont
�49
LE CHATEAU D'ORÉMUSE
failli ... j'ose le dire, m'assassiner! Je suis tombée sur d~s
gens bien méchants, mais j'en ai rencontré d'autres bien
bons ... Le docteur a fait évacuer' ma chambre, monsieur
m'a sauvé la vic ...
Celse de Portenbeau déclara que son rôle se bornait à
peu de chose, s'accusa même d'avoir manqué ·de présence d'esprit. Prenant ces dires pour un excès de modestie, la vieille dame se récria:
- Thyra, remercie-le ... Si tu avais vu avec quelle énergie, il m'a débarrassée de cet hommel
- Madame, j'affirme n'a voir nul droit à votre reconnaissance ...
La vieille dame inLerrompit :
- Thyra, mon chat, monsieur est trop modeste!. ..
- La cause do tout ceci, qu'est-elle? demanda la jeune
Illle, la voix un peu rauque.
- Thyra, Thyra, mon chat, la note l3xagérée de cet
hôtelier ... cinquante-cinq Irancs pour quelques heures de
Séjour ... crois-tu ... crois-tu?..
- 11 fallait les donner.
- Donner cinquante-cinq francs? ... On ne m'eût pas
demandé davantago à l'hôtel Bristol ou à Trianon-Palace .. ,
D'nilleurs, je n'avais pas d'argent. Tu as, remarque bien,
emporté avec toi tout l'argent ... Lorsqu'ils l'ont su, ils ont
déclaré que tu m'avais abandonnée, que tu pouvais ne pas
rovenir... ils exigeaient en gago une de mes boucles
ù' oreilles.
- Il Cali ai t la donner.
- Thyra, une de mes boucles d'oreilles? Tu cs folle,
mon petit, complètement folle.
'l'hyra regarda sa LanLe dans les yeux ct dit s6vèrement:
- TouL uuruiL mioux valu que ce bruit, ce tapage ...
La vieille «amo marmotta:
- Je pensais bien que cc ser,.lit tout co que tu aurais li
ft
�50
LE CHATEAU n'ORÉ MUS E
me dire ... Docteur, affirmez à ma nièce que j'ai échappé àI
un danger.
- C'est vrai, madame, j'ai eu très peur 1.. . Au point où
se trouvaient les choses lorsque je suis arrivé, je crois que
madame avait tout à craindre. L'homme doublé d'un
ivrogne est une vilaine bête. Et, bien que je ne doute pas
que Subrebie, une fois degrisé, ne revienne à des sentiments
meilleurs, je vous engage, malgré l'extrême faiblesse de
madame votre tante et toutes les émotions qu'elle vient
d'éprouver, à repartir immédiatement.
Le visage de la jeune fille prit une expression d'angoisse.
- Ma tante, qu'avez-vous fait?
- Si, si, Thym, mon chat, partons, puisque le docteur
le p ermet. Allons-nous-en ... si tu savais comme j'ai hât e
d'Otre loin d'ici 1
La jeune filIo répliqua sourdement:
- Je ne puis partir ...
- Thyra, mon chat, je t'en conjure...
- Vous sav ez comme moi que je ne puis m'éloigner.
La vieille fomme eut un geste de désolation.
- Tu ontreprends des choses surhumaines , murmura -telle.
Le doeteur et Celse échangèrent un regard de surprise.
Le docteur crut cepondanL pouvoir insist er.
- Madame, je suppose la raison qui VOll S fait agir de
toute première im portance et je m'incline... CependanL,
il me semble qu'après ce qui s'est pass6 , vous soriez mieux
ailleurs qu'ici.
- Thyra , si tu t'entôtes à rester ici, dis au moins à ces
messieurs qu'il s nous proLègont ...
De plus en plus, la jeune nlle parut troublée. Il était
clair, qu'à son gré, sa t anLo parl aiL trop.
- Demand er il ces messieurs de prot éger d oux personnos
donL ils ne savent ri en, leur par aîtra bien 6Lrange l fit-ello
avec un LrisLe sourire.
�LE CtlAtEAU
b'On~MuSE
51
Suivit un silêncc, de là gGlle, Les deux hommes Se
lovèront pour pl'endro cong6.
Thyra euL un geste qui les reLint,
Puis, soudainement, èomme si elle prenait une de ces
r~solutin
qui portent à jouer le tout pout II! tout, elle
déèlâl'a d'uile voix qUe l'énïotion rclidttH tf'èrhblanta :
- Messieurs, en eUet, ma tante et mdi avons grand
besoin de proteotion ... Nous sOmm!ls victimes d'évéttèmenLs
très pénibles. Je confie cela - qui est, et doit resttJt,
seoret ........ Ii votr!! discrétion, li 'VtHre honneur ...
Ellle tendît une main ail jeuno médecin, l'autre Il l!alné
des Pnrtenbeau.
,
Cèlui·d ln prit et, s'!rîcllnaiit t!ièll blis comme pour iln
bUi!UJr dIJ cIJur, dit tout d'uM haleine:
- Jé mo montrerai digné de votre confian<le, madame,
'
Ilt VOliS assure de mon complet dévouément.
Et èos mots parurent prtmtlre la solennité d'tln engàgemeht.
Lo docteur déclara simplèl11ettt avèc un bon sourire:
- MlidUIt1e, j'habite en face do l'h6tél l de jour, de nuit,
comptez, sut' moi.
Les d!h1X hotrtmü9 sè retitêrent. Mail! ils n'o~ète
ni
S'interroger, ni échanger un tntlt sur ce qui venait do lour
~tl'e
révélé, SUr ce qu'lIs s'étulent engagés Ô. CalM ...
CHAPITRE VII
Le soir de co mÔmo jour, non !lcUl!mlent Odet do POl'lcnbeati so tnit Ô. tablu avec un vlSàgo do plus en plus fermé,
Celse lui-môme avù1t un air SoucieUx. L'urt et l'aUtre évilortmt toutd ullusiott à co qui s'était passé à Elaint-PltJrrtJon·l~aHse
et uU ralo q1l1jls y uVaiént joué.
Odet voyait, ùu reste, do moins en moins chlil' en lu1tnêmo et cherchaiL à analyser le sentimenL qui l'uv ait
�52
LE CHATE AU n ' ORlh I USE
poussé à défendre, avec un tel emportement, une vieillo
dame do nt il no savait rien; Celse se demandait jusqu'où
l'engageait une promesse qu'il ne songeait point du rest e
à renier. De plus en plus inquiètes ét aient .Mlles Anaïs et
Céline... Que devenait l'aimable t radition voulant que,
quoi qu'il arrive, on montre un visage souriant autour de
la t able de famill e? Odet avait la mine sombre déjà depuis
des jours ; fallait-il qu e Celse fùt aussi gagné p ar cette
contagion?
Comme toujours, les pauvres demoiselles n'osant ques tionner, se p erdaient en conjectures, faisaient leur examen
de conscience. Avaient- elles dit quelque chose ayant eu
pour résultat de blesser l'un ou l'autre de leurs Irères?
Tourmentées par ces trist es réflexions, elles passèrent
une mauvaise nuit. Mais qu'é taient ces tourments ne reposant sur rien, ces anxiétés vagues, aupras de ce qu'elles
ressentirent. le lendemain, quand, au retour de la messe,
« Moutarde» , coillée de tra vers, leur app arut gesticulant,
Je visage congestionné, Jes yeux gonflés de pleurs.
- Ahl qu'il s'en passo ... quo no suis -j e morte a vant
d'avoir entendu co quo j'ai entendu 1 Savoz·vous ce qu e
nos deux messieurs ont été faire l'autre dimanche, qu and
ils sont sortis après la chaleur ?
Mllee Anaïs et Céline s'immobilisèrent et, devenues
blômes, répondiront : '
- Nous préférerions ne pas le savoir.
Mais comme, malgré ceUe déclaration, elles ne s'éloignaient pas, Moutarde en profiL a et poursuivit, avec une
véMmenco impressionnante ;
- Jo vous 10 dirai quand même.. , Ces choses- là ne peuvenl res ter secra tes ... Le pauvre défunt Monsieur de Por tcnbca u ct la pauvro dMunle Madame m'auraient dit ;
cc Moulard .. , vo us il vez raisùll de pr6venir CC!; dernoiliellos ,
Elles sa uront... elles sauront... c'es t déjà beaucoup do
savoir, J
�LE CHAT E AU n'OR É MUS E
53
Les deux sœurs sc regardèrent, se blâmant mutuellement
d'écouter de t els propos , mais ne s'éloignant toujours pas.
Moutarde fit alors la déclaration suivante :
- Dimanche, la chaleur passée, ces messieurs sont des cendus à Saint- Pierre. Ils ont été se battre à l'Hôtel des
Voyageurs...
Les deux sœurs, stupéfaites, eurent un p areil geste d'horreur.
- E t savez- vous pour qui ... ils ont rait scandale ?
Toutes deux répétèrent la voix faibl e, tremblante, et
toujours sans s'en all er:
- Nous préférerioll'J ne pas le savoir.
Moutarde, sans en t enir compte, lança :
- P our ces étrangères de malheur ... pour ces étrangères ...
Malgré ce coup droit, les deux sœurs retrouvèrent assez
vito l' a ttiludeq u'elles devaient avoir. L'une d'elles demanda,
comme si son esprit était délivré de toute inquiétude ;
- Ces dames sont donc encore là?
L'autre ajouta :
- Je.los aurais cru par ties.
Moutarde tonna de toute la force de ses poumons :
- Oui, elles sont là .. . non, elles no sont point parties
et mon avis est qu'olles ne partiront pas de longtemps.
Les deux sœurs auraient voulu ne pas questionner; cepondant elles Ile puront s'empêcher de demander il Moutarde
co qui lui donnait à penser quo ces étrangères resteraient
longtomps. Biles s'attirèrent ce tto réponso, torriblo à forco
d'obscurité :
- l!:st-co qu'on sait co quo ça vout, ce quo ça chorcho.. .
après quoi cela co urt, qu el lièvro celn poursuit, cos gens
qui, comme los bohémi ens, s'arrêtent. au hasard des routes?
- Moutarde, que voul ez- vous diro?
- Vous 10 saurez touj ours assez lût .. . P our le moment,
apprenoz co qui s'ost pass6 : NoLl'o M. OdaL a à moHi6
Us~o
lm
6 Subrebio...
�54
LE CHATEAU n'OnÊMUSE
- Odet... lui, si doux, aurait ... Subrebie?
- Quant à notre M. Celse, il aurail aidé le docteur
Print,anier, à meUre la moitié des habitants de Saint-Pierra
hors des salles, où ils buvaiont ot faisaient de la dépense ...
Vjrginio Subrebie se plaint que notre M. CoIse lui aurait
fait perdro au moins cent francsl
- CoIse ... lui si raisonnablo, si pondéré, si mosuré ...
- On s'étonne qu'après toulle désordrefaità cause d'ellos,
ces damos no soiont point I?arties. Non, ollos sont 1(1., lranquilles, installées commo chez ollos. Elles ont changé les
garnitures do toiletto; oUes parlent de mottre d'autres
papiers, d'autres ridoaux à lours chambros. La jeune a
payé cinquante-cinq francs pour pas tout à fait vingtquatre heures de séjour en tondanL avec des airs de reine
un billet do mille francs ... S.. brobio, ébaubi, ahuri, était
à plat vontro, faUait voir 1... Virginie, sa fommo, qui a 10
nez plus fin, pensait quo cotte joune damo avail agi commo
ça pour lui en fairo accroiro. Elle criait à qui voulai t
l'entendre: On no m'en imposo pas, à moi, car j'on sais
aussi dos tours ... j'y vois clair.
Et quand on a voulu la félicitor d'avoir empoché cinquante-cinq francs Bi facilement, olle u dit qu'elle avait
demandé autant exprès pour décider ces dames à porLir ...
Car on n'aime pas avoir chez soi du mondo qu'on ne connaiL pas. Si olles ont payé la noto domandée et sont resLées,
c' st qu'il fnuL qu'il y ait là· dessous des choses ... En Lout
cns, ponr moi, domoisollos, j'aurai tait mon devoir cn vous
a vel'tissanL. Faitos 10 vôtre, conclut Mouturdo très majostuouse.
En co fatras do parolos, los demoiselles do Portonboau
eussent été bien ()mpôchée~
de domûler quoI pouvait être
Jeur devoir.
Co malin-là, au d6jeunor, les l'ôlC'1l Curent inlorvorLis. Lei'!
frères firont prouve d'uno certain') liberté d'esprit, les
sœurs parurent lourmenLées. BlIes mangeaionL du bouL dos
�LE CHATEAU n'OnÉMUSE
55
lèvres, l'ail' sévèro. Toutos deux auraient aima parler de8
étrangères, o~ purco quo leurs frères n'en soufnaiont mol
ct qu'elles n'osaient en rien diro, nulle autre question ne
les intéressait.
Enfin comme le repas finissait la cadette, peut-être un
peu plus combative que l'aînée, risqua;
- Ces dames étrangères sont-elles parUes?
Celse répondit:
- Elles sont encore là.
- Comment le suvez-vous? dit Odet.
- J'ai été prendre de leurs nouvelles ce matin.
Les deux sœurs échangèrent un regard horrifié·
- Et peut-on savoir comment vont ces dames? fit Odet
d'un ten narquois.
- Mieux, calm6es, tout à fait calmées, répondit Celse
en jetant à son frère un coup d'œil qui, surprIs par ses
sŒlurs,leur lU pincer les lèvres. A tel point calmées même,
que Mo EchaJasse me dit avoir reçu la visite de la plus
jeune de ces dames ..• qu'Hu trouvée, du resto, par parenthèse, «remarquablement jolie ... ohl mais jolie ... ce qui
s'appello jolie J m'a-t-il déclaré d'un petit air émoustillé.
en laisant d'un gesto rapido filer son calot de velours
complètement sur une oreille. D'ailleurs, continua Celse, comme s'il se complaisait en cette digression, - la beauté
do Mlle Thyra, si elle charmé le pore a, parait-il, complètement avougl6 le fils. « Commo ce prince d'un conte
des Mille et uno Nuits qui resta frappé de cécité pour
avoir vu sans voilo la princesse Sch6hérazado J, m'a encore
conné MO Echalasse. Alcide, son fils, en a la cervelle complètement dérangée pour avoir rencontré une fois la délicieuse personne descendue au relais.
- Quel crétin 1 gronda Odet.
No jamais dire du mal de personne était encore une
tradition de famille. Odet venait de rompre en visière avec
elLo. Les deux sœurs s'écrièrenL o1Iusquées l
�56
LE CIIATE AU D'ORÉMUSE
- Odet, vous n'êtes point parlementaire.
L'autre r épliqua, haussant les épaules:
- Voilà qui m'est égal.
- Cette admiration excessivo du fils Échalasse pour la
jeune étrangère, continua Celso, va, parait -il, peser sur
les destinées de la famillo Échalasse. ft Comment voulezvous, m'a encore confié le porc, que jo laisso mon étude à
un gamin qlli, sitôt qu'il éprouve une impression vraiment ... impressionnante, prend son luth ct chante, versicule, comme un véritable nourrisson des Muses? En ce
moment, je trouve des essais de sonnetfl , de madrigaux,
en marge de toutes les copies d'actes quo je lui donne à
lairo ... A-t-on idée do cola? ..
- Et il s'cn vante, ce vieil imbécile 1 Il en est fier, glorieux, gronda Odet.
- 11 m'a r évélé aussi, reprit Celse, comment cette manie
de traduire en vers ses sentimonts so manifesta pour la
première fois chez Alcide. ft A l'occasion du premier de l'an,
Alcide étant tout jeune, offrit 11 ses parents un compliment
dans lequel Échalasse rimait heur
~ u se ment
avec calebasse .. ·
Sa mèro admirative, trop admirative, eut 10 malh eur de
s'écrier: « Notre fil s sera poète 1 » Il n'on fallut pas davan·
toge pour qu'il so croie vraiment 10 favori d'Apollon.
at ion
de vendre
u Et voilà pourquoi jo serai dans ~'oblig
mon étud e, mon cher monsieur Portenboau. L poésie et
le notaria t, voyez-vous, ça no sc court pas enprix couplé ... »
«Cobon ltch lasse, on m'exprimant cola, poursuivit C.clse,
hoch:J it, secouait sa petito tOlo à luneltes, qui jamais
n'avail ou uno aussi surpronante ressomblance uvec l'image
do M. Thiers. Il lirait son mouchoir à carreaux, ouvrait
s' tabalière, humai t uno priso ... el moi j'avais uno tristesse ... Quaud il aura disparu, me diR:lis- je, sera mort
uvec lui 10 dernier nolaire à cravate blanche, i:I luneLtes, à
tabatière. Co sera oncoro quelqu'un ou Iludquo cho!le uue
nous no reveJ'rons plus ...
�L E CHATEAU D'On ÉMU SE
57
- Toul cela ne nous apprend pas, nt Odet sèchement.
co que cette étrangère allait faire à l'étude.
- Elle allait demander si, dans le pays, il n'y aurait
pas une propriété à louer ou à vendre.
Les deux sœurs accueillirent la nouvelle avec cc cri
d'alarme :
- Ces dames veulent se fixer par ici?
- Probablement.
- Qu'a répondu Échalasse?
- Qu'i! ne connais5:lÏt pas de propriét és ; mais, comma
je passais dans la rue, il m'a app elé pour me demand er
si nous consentirions à louer Orémuse.
Co fut un cou p de théâtre. Celse, du reste, le prévoyait.
- Louer Orémuse 1 rép étèrent M lles Anaïs et Céline, sur
le lon qu'elles eussent pris peur cri or à l'abomina lion ùe
la désola tion. Vous a vez, nous l'espérons, vertemenl r olevé
Me Échalasse du désir qu'il avait de dressor ce bail ? ..
- J'ai dit lu soule chose qu'il y avait ù dire : Or6muse
n'est ni à vendre ni à louer, présentement du moins .. .
- Ni jamais l dircnlles sœurs avec feu.
- Oh 1 cela, qui peut l'affirmer ? répondit Celse avec
mélancolie. On ne vit pas éternell emenl... et quand on
n'est plu s là ...
Cette phrase fut suivie d'un silence. On eût ùit qu'en
passant, un ange, du bout de son aile, avait glacé les
cœurs.
Celso poursuivit lentement, comm e s'il répontIait à ses
propres p nsées :
_ Comment en sera- t -il autrement ? Nous ne somm es
mariés ni les uns ni les aulres, nous n'avons a ucuno dcscenùun 0 ...
Nul ne J'épond it.
Les deux sœurs se senti rt!nl fri ssonner.
Oh 1 combi on peu t enuieul donc b. ell es ces choses Qui
�58
LE CIlATEAU n'OnÉlI1USE
leur étaient si chères 1. .. Dire qu'il suffisait qu'ils eussenl
tous fermé les yeux pOUl' qu'Orémuse, contre un peu d'or,
s'offre à un étranger pareil à ce qu'il est aujourd'hui, sans
que rien n'en modifie l'aspectl Et voilà qu'elles ont peur
tout à coup de ces possibilitÉs, que leur frère, en les énonçant, semble rendre proches. Que sont ces idées nouvelles?
Pourquoi germent-elles aujourd'hui? Comment rainé de
la famille ose-t-il prononcer de tels mots ... de ces mots
qu'on ne pourra oublier, qui saperont le courage et enlèveront le courage de tout effort?
On vivait unis, calme, heureux. D'où vient que ce calme,
ce bonheur, celte union paraissent subitement minés par
quelque sournoise puissanoo? A quoi songo Odet . avec cet
air sombre.:. Et combien plus inquiétante est la résignl;l.tion avec laquelle, comme un fait inéluctable, CoIse accepte
ce qui sera, puisque aucun d'eux étant marié, un jour ou
l'autre, fatalemont, Orémuso sortira de la famille? A quoi
so heurte-t-on pour quo, sans cause définio, toutes ces
questions soient agitées ct donnent l'effroi do l'avenir?
Sont-ce encore ces étrangères et J'élément nouveau que
Jour présence apporte quo J'on doit rendro responsables do
cos changements?
L'llme bouleversée, les deux sœurs se souviennent do
l'impression qu'elles ont ressentie en rencontrant lu plus
jeune des deux dames à 1'6g11se, dos dislro.ctions que leur
causa sa présence ... elles en ressentent encore du malaise,
de l'eJTroi. Et un peu de ce qui les agite se traduit par
ce cri poussé par l'une d'elles:
- Enfin, qui sont-elles, CElS femmos?
Celso répond, distrait l
- Jo n'en sais rien.
- Leur nom?
- Je n'en sais rien.
- Ont-elles de l'urgent?
- Je n\m suis rien.
�LE CIIATl!AU
n'oRtMuSE
Ihl
- Qu'esL-ce qui les a poussées à venir plutôt ici qu'ailleurs?
- Je n'en sais rien.
- Et cependant Celse, vous allez prendre de leurs
nouvelles?
L'alné répond en souriant :
- En effet, mes sœurs, je vais prendre de leur nouvelles.
- Et vous y retournerez, sans douto ?
- Mais ... peut-être.
- Et nous apprenons qu'Odet a, pour elles, presque
étranglé un aubergisto 1
Mais le cadot ost moins endurant. Tout beau 1 11 recul()
sa chaise, sa dresse.
- Oh 1 oh! Je vois quo Moutarde est passée par là ...
fait-il, la voix coupante. Et sans égard pour son caractère sacré tIe vieux sorviteur, je compLo la prier de ne pas
s'ocouper de moi.
Puis, l'air excédé, il jette sa s erviette ct 50rt.
Celse tapote sur la table, commo lorsqu'il chorcho il
retrouver un air d'église cL il no sembla pas remarfIllcr le
gcsto du cadet.
- CoIse, vous devriez dire il Odot ...
Mais l'a!né interrompt sagement l
_ Mes pauvres sœurs. comprenez-moi. .Te n'ai rien il
dire il Odat, il n'y a d'aillours l'ion à lui dire. Ne perdons
pas notro temps on vains discours. Allons droit not.ro
chemin ot faisons-nous mutuollement conflanco ...
- Coponrlont Moutardo ...
_ Moutardo est un danger po~r
vous, mos sœurs, m6Hozvous.
Et co fut ainsi qu1autour do la table o.e famillo, dans ce
qui, jusque-là, avait paru nn ciel limpide ot Rcrein, sc
rorma pour la seconde fois un orage.
�60
LE CHATEAU n'oRIlMusE
CHAPITRE VIlI
(( On se tire de l'ennui comme des mauvais chemins ",
a écrit Mme de Sévigné. La jeune Mme Madeleine Printanier ne faisant aucun eiTort pour s'en « tirer », on eût dit
même qu'elle appliquait chaque jour to.te sa volonté à
s'enliser davantage dans cet ennui. C'était sans doute sa
façon de prendre sur la vic, qui ne lui avait pas donné cc
qu'elle en attendait, uno sorto de revanche ...
Élovéo comme boursière dans un pensionnat, avec des
jeunes filles riches, ello a voit 1'3vé d'un avenir aussi brillant que le leur . Quand ello voyait do ses compagnes
quitter la maison en automobile elle ne 103 enviait poinL,
parce qu'elle so disait; « Un jour viendra où j'aurai aussi
la mienne. » Et cela exprimait plus qu'un vague désir,
tout un état d'amo.
Hélas 1 sur co chapitre ello n'out quo les plus amèros
déceptions.
Ses paronts, de peLits commerçanLs, avaienL eu le tort de
donnor Ù lour IUle uno éducation mal on rapport avec leur
situation.
En revenant chez elle, ses études finies, elle se trou va
dépaysée, malheureuso. Ello comprit que ses rêves do
grandeur no sernient jamais qu'illusions, et s'on arrtigca.
Des partis so présonlèrL'nt pour elle. lis étaient si
modostes que, s 'Jns pilié, elle se refusa à écouler toute
proposition. Dédaignouso, ollo les écarta. Lo tomps passa.
Elle aUait coilTer Sainte-Catherine, - co qui commençait
ù la tourmenlor, - lorsquo 10 docteur Printanier la
domanda. Tr{>s loyalomont, il lui dépeignit l'exislence
qui l'attondait à Sainl-Piorre-en· Baiisu. JI no lui caclla
rien. Madalaine l'écouLa li paine. Puisque la desLinée lia
lui accordait pas co qu'ollo dispensaiL si largomont à
�L E CH AT EAU n' ORÉMUS E
61
certains, vivre ici ou là , épouser le docteur Printanier
ou un autre ... tout lui devenait indifférent.
C'est en de p areils sentiments qu'elle vinl ~a bit e r, à
Saint-Pierre-en -Baiise , la petite maison en face du relais
et qu'elle y vécut, ne s'intéressant à rien, même pas à son
mari - dont elle méconnut toujours l'admirable caractère.
Elle s'occupa peu, abandonna le souci du ménage 'ù une
vieille bonne, n'accepta, comme relation et conOdente, que
la directrice des post es , M lle Poché, aussi malheureuse,
aussi désorbi tée qu'elle-même ...
Le docteur se mon
~ r a d'abord un peu inquiet de l'état
d'esprjt qu'il découvrit en sa femme; puis, avec optimisme, il espél' l que « 'cela passerait »_ Il comptait pour
ce miracle sur la malerrù té j il n'y en eut aucune espérance.
Alors, tristement, il dut reconnaître s'être tromp é.
Il ne se fâc ha, ni se révolt a ; il traita simplement sa
femme en malade, l'entourant de précautions et de soins,
trop heureux lorsqu'elle m:m ifestuit un dési r, une fant aisie,
ce qui n'arri vait, du res te, que rarement. Cependant, comme
vaille que vaillo, MDlJ Printanier avait à combler le vide
des heures, ét endu e sur une chaise longue, elle lisa it.
Lorsqu 'elle avait en main un livre de son go ût elle res suscitait, elle vivaiL et faisait partager sa bonne fortune à
Milo Poché, sans ap C'l'cevoir le danger, pour toutes deux,
de ces lectures qui, généralement, n'ét oienL qu'un étalage
de fausses joies, do faux bonheurs et d'aventures invraisomblables.
Celle nuit-là , chaude et lourde nuil d'aoû t, le doc teur
Printanier étanl absent, M m? Printanier, couchée depui s
Un instant, se releva. Elle étouffait dans sa chambre, bien
4ue les f e n ~ Lr es de la p elile maison fu ssenl ouverles hormis celles dll rez- de-chaussée par crainte dos voleur3.
MmD Pl'Întanior passa dans son salon , lequcl ouvruit sur
e ba lcon. Quoiqu' il n'y eût pas la Inne, la nuit n'élait pas
oLscure. Sur 10 cH brillant J 'é loiles, les o.rLres se décou-
�62
J.E CHATEAU D'ORÉMUSE
paient en masses profondes ct nettement se pl'ofilaiçnt les
lignes des toits, A l'ouest. derrière un château de nuages.
s'allumaient des éclairo.
Mme Printanier s'avança vers la fenêtre quo voilait un
storo de perles. Elle eût aimé rallumer la lampe; reprendre
sa place sur sa chaise longue et rouvrir le roman commencé;
mais la crainte des chauves-souris, des moustiques ct surtout la pensée des curieux. des voisins, du « qu'en dirat-on, D l'en empêcha.
Au dehors. on entendait. de quart d'heure en quart
d'heure, l'horloge de l'église. - qui ne se lassait pas de
rappeler que la vie est brève, la fuite du temps rapide.
- et; de temps à autre, le poum ... poum ... poum ... exténué de l'ophicléide de l'employé des contributions indirectes, lequel avait pris le parti d'ôtudier ses accompagnements la nuit. la chaleur du jour lui ôtant le
'soufr1o.
Mmo Printanier s'énervait de cc peum ... poum ... poum ....
s'énorvait des tintements d'horlogo qui l'atlristaienl
comme un glas, lorsqu'elle en lut disl..raiLe par un {jclat de
rire semblant partir do la cour du relais etpar le Il chut»
bref qui 10 suivit, avec d'auLres rires et d'autres huchotemonts. Il n'en faUait pas d'avantage pour l'amener à
se mettro on observation derrière le store de perles.
A la lueur rouge d'une lanterne de papier atlachOe au
guidon d'une bicyclette. ello aporçut, causant ensomble,
un homme et une femme, colle-ci vêtue de blanc.
- Tu es folle, marmottait l'homme, qui veux-lu qui
nous entende?
- Nulle part plus qu 'icI. les murs n'o~
des oreilles; lu
ne peux t'imaginer il quel poinL on est méfiant.
- Co n'était pas la peine ne m'entraîner si loin.
- J'ai cru bien fairo en m'arrOlant ici ... Toul y paraissait calme, paisiblo, si parfaitemont endormi sous lu lune ...
Le lendemain, j'ui été jusqu'au chef-liou pour to prévenir
�L E CHATll AU n'OR ÉM US E
63
et, pendant mon absence, ma pauvre t ante a failli tout
perdre.
- Elle est si peu la femme de pareilles av entures l Je ne
comprend s pas comment tu t'en es encombrée.
- Fallait-il qu e seule je cours les routes ? De quoi
aurais-j e eu l'airl
- Qu'as-tu décidé, puisque nous avons tant fait?
- J 'ai décidé que, pour ne plus nous quitter, tu allais
remp !acer Léonce.
- Jouer le fidèle serviteur, le chauffeur d'automobile 1. ••
Ahl c'est trouvé; mais, je te l'avoue, cela ne me dit rien.
- Mon pauvre chéri, fais cela pour moi ... pour moi. ..
pour moil
C'é tait dit d'un accent de priè-re.
- J'aimerais mieux tout lâcher ... car, tôt ou tard, tu
verras ...
- J e t 'en suppLÎe, je t'en conjure, si tu m'aimes, aies
piLié...
- J e L'aim e, j'aurai pitié, je fer,lÏ co que tu voudras ...
Mais à un e condiLion, c'es t que, brisé de fatigue tel que je
suis, lu me laisseras me repose r.
-
Où ?
- Dans l'auto.
- Le garago ost fermé à cl of.
- Hô bien, dans t a chambre... Oh 1 je t 'en prio 1 A ton
tour, si tu m'a imes, consens- y ... N e me laisse pas coucher
Une fois do plus à la belle étoile.
Mmo Printanior n'en lendit pas nettement co qui fut
répondu; clio crut comprendre toutefois que la lemme se
récriait.
Lui jn ~is t a :
- Qu'os l- ce qu e cola te fait ? .. J',Ji du reste tant de
choses à te dire 1
- Puisque nous ne nous quitterons plus ...
- Moreil Co sora piro quo l'absonco. Il mo fauc;l.ra lout
�64
LE CHATEAU D'ORllMUSE
le temps reprendre la troisième position... laisse-moi
monter...
- Et ma tante?
- Il faudra qu'elle en prenne son parti.
La conversation se perdit en chu~temn.
Après un
temps, Mme Printanier entendit de nouveau;
- Teddy, ne te fâche pas ... je ferai tout ce que tu voudras.
Puis elle perçut un bruit de baiser.
Presque aussitôt l'homme alluma une cigarette et à la
rapide lueur du briquet, Mme Printanier crut apercevoir
son visage. Il lui sembla jeune ct fort joli garçon. Après
elle ne vit plus rien que le point rouge de la cigarette qui
brûlait, répandant une Hne odeur de tabac d'Orient.
L'homme alors se fit pressani.
- Je tombe de fatigue, laIsse-moi monter.
- La bicycletLe?
restera où elle est.
- ~10
" Et si on l'enlève?
- Tant pis!
- Vions ...
Appuyés l'un à l'autre, ils disparuront.
Mmo Printanior avait beaucoup lu <10 romans; ello n'cn
avait jamais vu mettro en action.
PalpiLante do curiosité, derrière le sLoro de perles donL
elle écartait les r~anges
du bout des doigts, elle resta au
guot jusqu'au matin.
A la prime aube, Saint-Piorro-on-13aiise dormant encore,
elle entendit uno porte s'ouvrir. Avec millo précauLions,
la jeune étrangè['e sortait de l'hôtol ct inspectait la roule à
droite, à gaucho. BÎm vile, sans douLe à quoique f;ignnl
conveJlU, un grand garçon ln rejoignit. JI porLail un cos ·
turne do cyclisle el, en bancloulièrl', lm sac juune qui
dovait cOIlLenir tin Kodak. Encoro une fois ils so jelèrent
dans los bras l'un de l'autre. Ils sombluient s'aimer pas-
�LE CllATEAU n'OaiMUSE
CS
sionntment. Puis ils se sépal'èrE.nL. Lui, enlourcha sa
bicyclette, elle demeura penchée, le regardant s'éloigner
et lui envoyant un dernier baiser dans un geste d'adieu.
CHAPITRE IX
Mme Madeleine Printanier ne t enait plus en place. Elle
attendaiL impatiemment qu'il fût une heure convenable
pour courir au bureau do posLe et aller conféror avec
Mlle Pocho do ce qu'elle avait surpris.
Cela lui donna l'inspiration d'assister à la messe, cc
qu'ello ne faisait jamais pendant la semaine. Ce serait un
prétdLe à sorLio matimlc.
Vêtuo d'un cos lume do toile tout simplo, elle parUt. En
arrivant au bureau de poste elle 'faillit entrer, puis y
renonça... Qu'aurait dit Saint-l'ierre-on-Baiise en la
voyant ùe si bonne h euro ot on l'absence do son mari, :l
leI point pressée d'aller chercher ses leUres? Il fauL
savoir lenir compLe ùe J"opinion des gens.
A l'égliso oll e vit, prosternées, à leurs places habituelles,
les demoiselles de Porlonbeau ct, plus loin, au hasard
dans les ellai ,es, la demoisello du relai ;.
« Oh 1 ohl quello hypocrisio 1 )) se dit Mmo Printanier.
l!.:t oubliant qu'il no faut pas juger pour no pas êLre jugé,
ello s'abandonna aux pirès supposiLiorw.
Sa chaise n'Mant pas très loin de l'étrangèro, Mmo PrinLanier passa le temps do la meSS\3 à observer collo que, dans
sa pens6c, clIo app elait « colle personne )).
Sériouso, très pâle, les yeux baissés, ses longs cils fai·
sanL plus sombre le cerno de ses yeux, l'élrangèro ét:lÎL
absorb60 dans sa prièro.
Mmo Printanier regarda l'auLel ot sembla dire à Diou
I"[ui, pOUl' 0110, éLait on cot insLant roprésenLé par la porto
du tabernacle l
�66
LE CHATEAU n'ORÉMUSE
« Moi je ne pourrais pas ... noo, noo, moi .ie no pourrais
pas ... que voulez-vous, je ne pourrais pas. »
La messe finie, les demoiselleG de Porlenbeau quittèrent
lour place, jetèrent en passant un regard curieux, dur, cl
cependanl chargé de c~'ainte
sur l'étrangère. Mme Print.anier sorLit à son tour. L'étrangère, les yeux baissés,
priait encore.
« Je ne pourrais pas ... que voulez-vous, moi, je ne pourl'ais pas, » se répétait Mmo Printanier.
Et maintenant, comme il n'y avait aucun inconvénient
il cc qu'elle dise bonjour en passant à MllO Poché, et
comme coL arrèt, vraiment, à une tello heure eL en de
telles c0ndilions, pouvait ne pas prêter à la malveillance,
olle entra au bureau do poste. Mais olle out la surprise
de n'y trouver qt1'une remplaçante; Mlle Poché venait
d'être appo160 par d6pêche auprès d'une de ses parontes.
- Ah 1 que c'est dommagel s'écl'Îa Mmo PrinLanier.
Déçue, elle ne sut que faire d'elle-même oL de touL ce
qu'ello savait cl conjecLuraiL. Elle sc disposait, déjà reprise
d'ennui, il revenir chez elle j lorsque l'éLrangère entra,
ùomandant son courrier.
La cho3e parut à Mmo l'rlntanicl' de nouveau si intéressanLo, qu'afin de s'accol'der un prétexte pour en être
témoin, elle s'absorba dans la lecture d'un roglcm'Jllt
administratif, coll6 au mu/' par des pains b. cacholer.
- Le courrier de qui? nt la remplaçante.
- De lu baronne do Blancas.
Et aussitôt, devant la jeune 6trangùre, fu\'ent dupo.,us des
loLlres ol oeil jOUl'Jlo'u'X.
Ello nt flantl'r la bande do l'un <l'eux avec tant de hâte,
que Mmo Prilltanier jeta un regard par -drssus l'6pau)o dc
« cette personne )) ot Lâcha do savoir cc qu'olle lisait. Mais
elle avait compté sans la dIfférence do taille: Mmo Prinlanior n'était. point assez grande pour {aire ain ~ i franchir
dcs obstacles à son rcgard. To~tfir"
nlle Cl'ut apercovoir
�LE CITATC.\U D'Or:lb!U~.E
67
un trait :m crayon bleu désignant un article, dont le l11re
commenç3it : « Suites de l'échauITourée de .. .
Un peu confuse de ce qu'elle avait osé, Mmo Pl'intanier
sortit presque aussitôt du bureau. Mais ce fut pour être
rejointe par l'étrangère .
- Madame, pardonnez-moi si je me présente à vous ... Je
vous ai aperçue si ,sou,vent sur votre balcon qu'il rntil semble
vous reconnaître .. .. J'ai; d'ailleurs, tant entendu parl(j)r <Je
vous Par potre bon docteur .. .
Mme Printanier recula, saluanL avec méfiance,
- Il a été si padait pour nous, que jo suis heure\lse <J e
s;lisir l'occasion do vous le dire, Madame, de vous o~prim
touLe la reconnaissance que nous lui ell avons ... Du r~se,
ce matin, j'aurais désiré le voir; ma tante est fatiguée ...
eL l'on me dit, qu'il est abs:mt. Le sora-t-illongtemps?
L'étrangère regardait, en parlant, la femme du çlocLel,1l'.
'l'hyra avait les plus beaux yeux du monde, de ces yeux
qui, tou~
do suite, " demandent le cœur».
Mme Printanier eut à défendre le sien de cetto ~mgestion
ol (( les pires suppositions» qu'elle a vail failes lui revenant,
olle répondit sèchement ;
- Je ne sais pas, Madame, quand 10 docteur reviendra.
- .Alors, il mo faudra envoyor l'anLo chercher un autre
Dlédecin ... sinon ma tante se croirait morte, et je ne veux
la mort de personne ...
La jeuno fille avail dit celo. d'un LeI ail' de faLigue, que
Mmn PrinLaniol' finit par avouer qu o, Helon toute probo.bilito, son mal'i roviendrait vers l'heuro ùo midi.
- Voilà qui va touL simplifier... Ayez l'ol;JligoQI1Ce,
Madame, de 10 prévenir quo )lOUS serons ù6~irouse
s de le
voir aussitôt quo cola sera possible.
- J e n'y manquerai p as.
- Mais, au fait, vous revenez chez vous?
- Jo rentro, en effet.
- Vous plairait-il que nous Cassions rOIlLe ens mble?
�68
LE CHATEAU D'ORÉMUSE
Cela ne pouvaiL se refuser. Et malgré SoJS préventions,
malgré toujours les « pires suppositions ", Mme Printanier
revint chez elle en causant avec l'étrangère et dut s'avouer
n'avoir jamais trouvé moins longue cette rue principale,
qu'en toutes les occasions ct circonstances il lui fallait
suivre, de bout à bout, sous l'œil ùes gens épiant par le trou
des volets à l'heure chaude, comme ils dévisageaient du
seuil de leur porte, à l'heure fraîche.
Lorsque les deux femmes arrivèrent au relais, Léonce,
le chauffeur, s'avança tendant une dépêche.
- Je suis obligtJ de me retirer pendant quelques jours
chez moi, Mademoiselle, pour des afiail'es de famille. Afin
de ne pas laisser Mademoiselle dans l'embarras, j'ai trouvé
au chef-Jieu un ami qui, volontiers, me remplacerait.
- Ohi Léonce, comme c'rst ennuyeux! Est-il bon chauffour, au moins, votre ami.
Léonce déclal·a qu'il ne proposerait pas un homme fJui
110 fût hon chauffeur. SOli ami n'avait qu'un défaut, celui
d'aimer aller trop vile.
- Si co n'est que cela QIl le mottra à la raison.
- Ce sera dilncile. JI a un peu mauvaise tête et n'aime
pas beaucoup être repris sur sa façon de conduire.
- Mais, Léonce, si votre ami a tous ces d6fauls, je n'en
veux pas ...
Léonce expliqua que « Mademoiselle» en soraiL contente,
qu'olle pouvait s'ell rapporter à lui. Cependant, il avoua
oncore qu'il était probable que son ami ne consontirait pas
à laver l'auto ... c'6tait même à pr6voir. Ennn, pour pou de
jours, on trouverait peut-être bion quelqu'ull disposé à 10
faire et Mademoiselle consontirait à ce sacrifice, atin do ne
pas avoir d'histoire ...
- Quand partoz-vous?
- A l'instant.
- Quand arrive votro ami?
- SiUlL quo jo l'aurai averLi.
�LE CHATEAU n'OREMUSE
69
- Comment s'appelle-t-il?
- Léonce, ainsi que moi. ..
- Bon, nous n'aurons pas à nous Lromper.
Mme Printanier écoutait, un rict.us de mépris tordant sa
lèvre.
Qu'est-ce que la comédie qu'on jouait? Si elle n'avait
pas veillé toute la nuit, et guetté, et surpris, comme elle
s'y seraiL laissé prendre 1 Mais elle avait veillé toute la
nuit et guetté .. . eL elle se proposait de veiller et de guetter
encore l, ..
- Alors, Léonce, allez ... et bon voyage 1
- Bonne santé et bonne chance, Mademoiselle.
- Merci. Ail! j'en ai bien bûsoinl fiI.-elle avec un petit
rü'o où sonnait une infin ie lassitude ...
« Ça c'est trop fort! se dit M me Printanier avec révolte.
Je veux bien para1tre bête, mais pas b. co poinL-là.»
Et sans plus ollo prit congé de l'étrangèN.
Mais cello·ci mit toute sa grâce à l3. reLenir.
- Ahl Madame, je vous en prie, n e consentiriez-vous
pas à entrer au r elais? ... Ma tanLe rêve de vous conna!Lre.
Chaque fois qu'elle vous aperçoit sur votre balcon elle ma
dit: f( Thyra, je t'en prie, va demander à la gentillo poUto
femmo du doctour do mo fairo le plaisir de traverser la
rue ».
Le ricLus qui Lordait la bouche de Mme PrinLanier s'acC,'Iltua. L es f( pires suppositions » do nouveau assaillirent
« la gontille potite fomme du docteur n . Sans accopter, ni
rofuser, olle questionna:
- Vous comptez séjourner encore longtemps nu relais?
La joune mie b alLit un peu des paupiores, puis, sans so
lroubl er , ello r6pondit :
- Quelque lcmp3 encoro ... Nous cherchons à achotcl'
une pl'opri6lé dans ce pays .. .
- Qu'esL-ce qui vous y relient?
- f'u bcauL6
�70
LE CHATEAU D'ORÊMUSE
-- VOUS connaissez donc autre chose que Saint-Pierrecn -Baiise, car Saint-Pierre-cn-Ba iise •..
- Certainement, je connais autre chose.
- C'est vrai. .. quand on a une auto tout est facile ...
. - C'est si agréable!
- Trop, pariais, trop, répliqua Mme Printanier machia.
véliquement.
L'étrangère la regarda fixement.
Mme Printanier poursuivit, agressive:
- Vous habitiez à Paris avant de venir ici?
- Nous habit,ons à Paris, à Nice, un peu par-tol!l. L'hiver
dernier nous l'avons passé dans le Tyrol.. . l'été d'avant en
Norvège .
- Et vous alléz vous mettre au pied, avec de tels goûts,
ce terrible boulet qu'est une propri6 té?
- Bh 1 oui ... Nous soupirons après un port d'attache.
- Vous avez résolu do 10 chercher en cc pays?
- Bn eifel.
- Avez-vous trouvé quelque chose?
- Pas encore.
- Et vous n'aimeriuz pas mieux, en attendant d'avoir
Il'ouvé, être ailleurs que chez cet affreux Rubrebie? .. Au
chef-lieu, par exemple...
'
- Nous redoulons la chaleur.
- Avec cela qu'on ne cuit pas, qu'on ne rô tH pas ki 1
Ah 1certes, si l'l'n me donnaille choix, ce n'est pas SaintPicl're-en-Baiise que je choisirais pour uno villégiature
estivale.
- Vous avez peut-être raison ... '01\ reste, rion no prouve
que demain nO\18 soyons encore ici. On boucle sa valise, cl
l'on s'en va ... Nous sommes, ma tante ct moi, si libres!. ..
L'éLrangère, la eso de cos questions sans doute, avait pris
à son tour un accent déLaché, une voix sèche. Dllo n'insista
plus pour faire n,onLer la fomme ùu docteur ct ce fut elle
qui la quitta. BL Mm6 P1'inl.anicr, '\prl~ô
avoir r,rll un illslflnl
�LE ClIATllAH r; ' OREMUSF.
71
prendre, en ce roman qu'elle avait découvert, un rôle prépoudérant, comme par exemple déjouer les complots, confondre les coupables, etc ... , elc ... , eut l'impression qu'on
lui fermait le livre au nez et qu'elle n'en saurait jamais la
nn.
CHAPITRE X
Le docteur Printanier ne revint que le soir. Sa femme
j'avertit aussitôt, un pen aigrement, flue leurs voifiines, les
étrangères, désiraient le voir.
Bien que l'heure fût avancée, il y couruL.
Il tl'ouva les deux fommes absolument bouleversées,
parce que ]e chauffeur· qu'elles attendaient. n'était point
~Irivé.
- 'rhyl'a, Thyra, mon chat, c'est aITreux qu'on ne soit
pas là.
- :Ma Lan Le, il peut arriver encoJ'e. L00nce ne l'anra
pas rencontré ...
- Tant de choses surviennent qui ...
- Ne vous montez donc pas la tête ...
- Puis, vraimont, madame, nt raisonnabloment le docLeur, n'auriez-vou:> pas ce chflu!Teur·lù ... VOllS en trouverez
.
certainement un autre.
- On no le connaîtra pas.
- Je m'oITre à vous en !aire avoir un en lequel vous
pourrez avoir loute confiance.
- Allons, ma tante, calmez-vous, vous savez que le docleur no11S Cl promis de nous prot6ger, fit la jeune [omme.
Raconlez-lui VOl:! misères el nc pensons plus à autre chose.
- C'est plus facile à diro qu'à fairo ... On so sent vraimenL prisonnier quand on n'a pas d'auLo ... abandonné ...
- Mndame, .i'ai recueilli tout à l'houre cn venant un
détail d'existenco qui vou" amusera, se mit à raconter le
<lor.tcur pour faire diversion. J'ai rencontré la baignoire!
�72
LE CHATEAU D'0RÉ~tUSE
- Qu'est -ce qu'elle faisait?
- Elle voyageait -- car elle n'était ni grJ.nde, ni lourde
- sur la tête d'un homme! A Saint-Pierre-en-Baiise se
préparait un événement: quelqu'un allait prendre un bain,
à titre de médicament, hâtons-nous de Je dire. Un pauvre
diable, tombé du haut d'un char de gerbes, allait sc t~em
pel' dans un peu d'eau._. de feuilles de noyer.
- Docteur, c'est efTrayant comme l'humanité est sale...
- Mon Dieu, madame, c'est vrai. .. elle a généralement
peur de l'eau.
- Docteur, prêchez la propreté, sinon nous allons tous
mourir du choléra 1. ..
- La propreté, madame, est certainement le remède
dont mes malades se refusent le plus à roconna1Lre l'emcacHé. On n'a pas l'cau chez soi; ïl faut l'aller chercher au
canal, c'est une peine, un travail qui ne rapportent rien;
on ne s'y résout qu'à la dernière extrémité, quelquefois le
matin élu dimanche pour mouiller un coin de torchon ot Je
passer pnr-ci, par-là.
- Docteur, je vous admire ... JI n'ost pas de rôle plus
héroïC]ue que celu i de médecin do campagne.
- On s'y fait, madame.
- Vraiment, peut-on s'hQbitucr aux mauvaises odeur.. ?
A ce moment, en bas, dans la salle où s'attardaient encore
quelques buveurs, entra un beau g,lrçon, tllto /tauto, l':ür
très fier. Il était vlltu d'un costumo gris fer do bonne coupo,
d'une culotte bouffante, de leggings en poau de truie.
11 Loucha de la main le chapeau de fouLro dont il éLuiL
,::oiffé et annonça d'une voix brève qu'il étai L le chaufTcUl'
qu'on aLLenda it.
- Ohl oh 1marmotta Subrebie héberlué, olles choisissenL
1... ))'où
bien leurs vn.lets, ces darnes." quel c~rabi[le
venoz-vous, jeune homme?
- Do Paris_
-
Oh 1 oh 1 si les domestiques onL ces allures dans la
�LE ClIATEAU n'OP.1hWSE
73
capi tale, je pense qu'il fait bon voir celles des maîtres 1...
dit encore Subrebie.
Et prestement il se mit en devoir d'aller annoncer aux
étrangères que l'homme qui devait remplacer Léonce venait
d'arriver.
- Ah 1 enfin 1 cria la vieille dame avec autant de joie
que sl on lui annonçait la venue d'un de ses plus chers
parents.
- Vous voyez, madame, tout arrive, fit le docteur.
- Qu'il monte ... qu'il monte .. .
- Mais non, je vous en prie, corrigea la jeune mIe, qu'il
ne monle pas ... Nous n'avons que faire de le voir à cette
heure. Voulez-vous, M. Subrebie, lui indiquer sa chambre?
- Qu'on lui mett.e au moins des draps propres et de
l'eau ... de l'cau propre ...
- Mais oui, mais oui, ma tante, M. Subrebie va faire
le nécessaire, n'est-ce pas, M. Sllbrebie,? Installez ce .. .
cet homme de votre mieux, faites-le souper, remettez -lui
la clef du garage ... Ditfls-Iui que nous le verrons demain.
- Ohl 'l'hyra, Thyra, mon chat, pourquoi pas ce soir?
J'aurais tant voulu le voir cc soir 1. ..
- Parce que, ma tante, c'est inutile, - et plus bas,
avec reproche, la regardant, bIle murmura: - Soyez donc
raisonnable. .
- Ah 1 doclcur, docteur, quelle comédie que la vie ...
Avouez-leI
Le docl eur aVOllU tout ce qu'on voulut, prescrivit une
fois do plus 10 calme, 10 r epos ... et pas de préoccupations,
cc qui JiL se réc['ior la vieille dame: « Comme si cola était
possiblo 1 Les médecins sont donc do bien mauvais psychologues pour so complairo à des ordonnances pareilles; car
<l'un bout à l'autro do la Franco tous disont b même
(:hose, lous 10 répètont avec enlrain, comme s'ils ignoraient
co qu'est 10 cœur humain ... Ahl docleur, docleur 1. .. »
Le lOIl do la vieille dame ôtait celui qu'ello eût pris
�74
LB CHAT R lU
l·OR}~MUSP.
pour d,écréLer la faillite de la médecine et de Jo. scien ce .
Le docteur en riant la quitta .
Dans la salle principale du relais, où les buveurs s'alt.:Hdaient pour observer à la dérobée le « carabinier, » celui.
ci semblait déjà chez lui.
- Ces dames vous r ecevront demain, lui annonça
l'aubergiste.
- C'est bien.
- Elles m'ont r ecommandé de VOUf: r.o igner.
- Saperlotte, je l'espère.
- De vous meUre d es draps propres.
- Vous n'amie7. pas trouvé cela sans eHes?
- Non ... Je pensais que les draps de l'autrl> ... Ici, il
faut qne les draps serven t plusieurs fois.
Le c h ~\l r e!l r ne r épondit qu'rn lan çant à Subrebio, en
pleine figure, nn mot , un seul mot, assez peu parlementaire et désignan t l'animall:ôpllté le plus snle de la création.
Sllbrebie a ussitôt riposta :
- Je fais ça pour les gens qui passe nt, mais nntur€'lIe .
m ent pas pour moi.
- Vraiment.
Et, encore une fois, l'allbergisto r eçut , (In ploine figure,
le nom de l'a nimal r éputé le ph1f; sale de la création.
Du resLo , on ne s'en tint pas ù ceLto discusion. 'l'out on
causant on agissait.
Lo « car ab inier » ayant d6clal'é qu 'il avait faim, ruclamait à manger, li boire. Il CXigcD it même du bon vin
blanc, de l'cau fraîche, (1 0 la gl[l.co ... ]'lh 1 quoi, n'y avaitil pDS de glaco d:ms co pays de loups?
Et comme Suhrobio avo uait n'en avoir .iamais possédé ,
il se vil immédiatement écrasé de d 6dain, do mépris .
- A Paris, dans 10 moindre caboulot on Il. de la
glace.
- Ici, Ce n'esl pas l'habitude.
�LE CHA.TEAU D'ORÉHUSE
75
- Faudra la prendre avec moi, mon Vi~lX,
j'entends
en avoir dès demain ...
- Si ces dames là-haut veulent la payer.
- Les patronnes? faudra bi'3n.
- Eh! eh! suffiU J'en aurai, j'en aurai.
Bt ahuri, ébloui de ces manières, se réjouissant de penser que môme les gens riches, il ce train-là, ne pourraient
plus être servis et qu'avec de:; « types de cette qualité l " ~
les plus beaux revenus seraient sabolés vite et proprement ,
y voyant une juste représ:ül1e du travailleur sur celui qui
ne fait rien que « jouir l , Subrebie trottait, courait, bousculait la bonne, parce qu'clle no servait pas assel vite
« Monsieur ». El Mme Subrobio clic-mêm e, qui avait toujourB l'œil ou l'oreille :JUX aguets, parlageant pOUl' une rois
les sentiments de son mari, s'cmpl'ossait auprès du nouveau vellu.
En avant! en avant 1 la dépense! On la fora payùr aux
patronnes!
}j;t clio ouvrait deG armoires, y prenait son linge le plus
blanc, du vin fin, sa meilleure eau-da-vic, ses plus exeelJentesconserves, celles clcfoie gras, qu'ils seréscrvaienl pour
les grandes occasions.
Jamais encore nul n'on aV.1iL autant imposé aux hôLeliera quO) ce chaull'elu' beau pal'lour, mal embouché, grand
~cjgneur
cepondnnt, qui venait de Paris, leur donnait d( )~
noms d'animaux ct ll'aitoit ses maltres en poys con'luis.
1..0 docLeur ayant accepté ùes buveurs altub16s. u pour
11e pas Jeur refuser», un doigt d'unisetto, considérait, lui
aussi, le nouveau venu avec un ~ourie
narquois.
« Si tels sont désormais les gens do maiEOn, se disaitil, bien houreux les simples qui s'en passeront ... LieTÙleu,
l'eux ceux qui Ilauront se GCl'vir eux· mêmes 1 »
Et, SOUg le ciol 6Loi16, )e docteur Printanier tJ'rlversa la
rue, S3lisr(lit de peM!'!' que 10. rn()d~lic
de 1>:1 situation le
�76
I. E CH AT E AU n'oRÉ MUS E
mettait à jamais à l'abri d'avoir sous ses ordres de p areils
gaillards.
'.
Il eût aimé on faire sur l'heure sa confidence à sa femm e ;
mais celle'-ei, épuisée p ar sa nuit de veille, s'était enferm é e
chez elle.
CHAPITRE Xl
La nuit ét ait silencieuse, ch aude, sans lun e. Odet éto uf ~
fait dans son lit à pavillon, sous ses courtines de v elours.
Il sc r .::leva , se mit à la fenêlre, puis, comme at liré invinciblem ent au deh ors, il se rhabilla et sorti t. Puisqu'il no
pouvait dormir, Odot se décidait il aller au h asard , deva nt
lui, dans la nuit; à errer pour cal mer la fièvr e qui 1'3 tourm entaiL, car il ne se reconn'ü ssaiL plus et il avait peur de
l'ê Lre nouveau, exigeant, volont aire et exaspér é dont il
avaj t à subir les l'ovoltes et calmer les désirs.
« La vie s'en va, cri ait. C0t êtr e de so uIT1'c\nCe ; rien ne
lrim
enr.
r et tu n' a uras p1S go ûLé o.u b onheur ...
o eut la r û~o
quoi bon t ant de 10nCl ues eL fas tidieuses journ,j JS , q ui
semblent une pénible mo nt6e vers un but inutile? A quo i
bon tan t d'efforls, d'oubli de so i? Pou r cons .Jr ver inLac t
aux tiens Orému se qui vous reLomber a sur le CCC:! l' un
jour, à tous, du poids écrasa n t d o ses vieilles pierres ? ..
« Que raire ... que faire? )) r épond-ü t Od oL à celto voix d o
misèr e.
Et cc q\li lui é Lail conseill é l'épouvanLui t, p.lf (:e q ue e'6taH 10
bouleversoment, l ' an 6an
ti s~o m e n t Ùl) Lout co à quoi lu i,
comme son fr èro et sos sœurs, avait )ib re m:Jot co nsenti:
Or6muse Yonùu, m or celé, partag6, eL 10 prix de cette mu tilaLion mis en p ortefouille, p our ac heter ùa n<; ri vrefise , la
joie ct l'illusion, les maLériaux r ares eL prociellx d ont on
espère faire du bonheur .. .
Da ns le chemin qui dùscendaiL vers SainL - Pierre, Odet
respira mieux. Des bourrées d'air passu ient, ch argées d O
A
�LE CHATEAU D'ORÉMUSE
l'aromatique senteur qu'exhalent les chaumes quand, la
paille coupée, sont mis à découvert la menUle poivrée et
le réséda sauvage. C'est la bonne et saine odeur que resd'un champ
pire le chasseur, lorsqu'à l'heure rose il cour~
il l'autre après la caille ou la perdrix.
Odet aime la chasse avec passion. Il est de ceux qui
partent à l'aube, le fusil à l'épaule, le chien sur les talons,
un bout de pain et de saucisson au bissac et dans la
gourde une pinte de ce vin aigrelet que l'on boit à la régalade.
Jusqu'à présent ces choses avaient été sa vie. Or, la
chasse ouvrait dans huit jours, et en tout autre temps il
n'ent pas trouvé qu'il avait trop de huit jours pour se préparer à « faire l'ouverture ». Déjà il aurail mené son chien,
l'honnête Fox, reconnaître où était le gibier. Il eût bourré,
chargé, serti nombre de cartouches, astiqué le choke-bored
qu'j! s'offrit l'an dernier et, avec Celse, on eût indéfiniment discuté sur dlJs sujets cynégétiques ... EnIln, il aurait
fallu renouveler non permis, sa tenuo de chasseur, ses gros
souliers.
Non ... même le goût de la chasse, - peut-être pour un
homme le dernier ù mourir, - Odet ne le sentaiL plus en
lui.
. Que désirait-il alors?
Sa course dans lu nuit l'a conduit jusqu'à l'ancien cimetière, dont le mur hérissé de pierres en saillie, qui permettent en mo.ints endroits de .le franchir, encercle l'église
mi-romane, mi-gothique de Saint-Pierre-en-Baiise.
Odet s'est assis sur l'une de ces pierres et c'est là
les coudes aux genoux, la tôte do.ns ses mains, tandis quo
l'horloge 6grèno ses quarts, ses demies, et rappelle sans se
lasser aux humains que 10 temps est court et la vie brève,
qu'Odet voit clairement ce qu'il souhaito, ce qu'il veut, e
qui, pour lui, emplit l'avonir, trouble 10 présent, abolit Jo
passé.
�78
I, E CIL
~ TEAU
l>'OI\ Jl lllUSE
Odet se voit à Orému se -- il Orémuse qu'il ne songe
plus à quitter, puisque le bonheur désormais l'y retient.
OdeLest marié... marié... comme tant d'autres .. . N'est- ce
point une destinée plus naturelle quo l'accord qui intervinL,
dans le but pieux de ne pas morceler 10 domaine, 0 ntre
lui, son frère ot ses sœurs? Quelle part leur fait -il en
l'aventure ? Évidemment, dans la réalité, on y aurait
ppmvu, mais en rOvant sur sa marche de pierre, Odet
oublie qu'il n'est pas seul au mond e, OdoLoubli e Lout, 9 çlnS
le rêve qu'il caresse.
Mais qui a -L -il épousé? ... 1\hl comme Odel la voi t celle
dont il fait la comp agne Il e sa vi e 1 Elle est bello, avec Of'
grands youx sumbres. Elle se nomme Thyra et un J OUI' ,
sans que ricn ne le nt prévoir, clio descendil au relais.
J)'où vient -olle ?... Qui est-clIc? .. . Odei ne s'en soucie. A t-il besoin d'en rien savoir? Il ~ imel.
.. JI aim e comme un
fou une Comm o qu'il no conm.ll pa s el croit l'avoir toujours
aimée. C'oslpourquoi, peut -ê tro, àson pasl:iagosur la ronte, aU
pi ed d'Orému3c, elle s'arrêta, ob6issant il. ces obscures lOis
t.!ui font qu o la graine empor tée par le venl lomb n Ler r-ain propice ct qu e le cali co d'UllO fleUl' reçoil daml un
souffl e do hI'ise 10 mesf;age d'uno antre' fl eur. Oui, co LLfj
ft-mmo de tout [omps il l'a aiméf', même avan t de la con nai Lre . 11 l'ul te'nda it. ilia fit si('nno (lùs qu'il enLe ndi t so n
nom . r ~L e'cst poul'qu oi, ivro df' fureur, \111 jom il la détendi t , co mme il est pr{\l cnrore 11 la Mfcl1(lro. Cette femmu
a sm lui LOUf; ICf; pouvoirs, m/lrn e cplui do le rendro prurAUX rio lui -même au poinL do n'of.;er l' approcher, et do
n'avdr pas voulu consent1r fl sui vre Ct lsc, qui l'en pri uit,
lorsqu o celui -ci, on so cachan t do ses !';UJurs, all ait prendre
des nouvelles des éLrangères. C,\r il y va, il y roLournp,
Cf'lse, et tout porte il croire qu'Il y rei,ourner.1... Celso
aime la musiquo. Th yra esl bonne musicitnne. Ell a fuit
pl acer un pi , no dans une lroislôme ('hambre il 1'1Iôtei d!'s
V(ly~gN
l rs.
g ll C' jou . rme chante. Celse ravi \cuuLe. Et
�LE CHATEAU n'oRiMU SE
79
l'on ne saurait dire désormais si l'ail', que le soir, devant
son frère distrait et ses sœurs moroses, il s'efforce de
retrouver en frappant du bout des doigts le lin de la
nappe familiale, est toujours du plo.in-chant grégorien?
OdeL aime ceLte femme; elle est pour lui « la sylphide
en Lourée de ses voiles » que célébra Chateaubriand. Elle
est la bien- aimée, la toujours attendue ... Thyra ... Thyra ...
En une telle conjoncture à quoi se résoudre? ... il attendre
sonner l'heure, puisqu'il en es t une pour chacun de nous.
Odet aura la siellIle. Odet au r a ::;on grain de sable: il lui.
de l'arrêter, de 10 saisir, de l'emp êcher de so perdre, de se
confondre avec tani d'autres grains de sable dans
l'immense sa.blier.
Mais de t els orages ne vont pas sans une oxtrême jeunesse de cœur. Le cœur d'Odet esL un crour de page.
Ce grand garçon au rude Lype de Cadel de Gascogne
qui vient pleurer là, en pleine nuit., sur la marche de co
vieux mur, est pris du désir fou de voir « où Rose r espire ))
ct Rur le toiL du 1'0 1ais, passer des clartés d'é Loiles.
Il parL, il va ... Il baise un peLiL mouchoir mauvo, il csL
heureux . 11 est jeune. 11 est fou !
Lo voici dans la rue Princip ale. Ait! pOllrquoi los
'harnps gardenl-ils si jalousemen L les parfums de men Lhe
poivrée ûL do r éEéda sauvage alors que saI' les demoures
se~
odur~?
des humains f10LlenL do si m a uYni
Od el approche du l'clais.
Un cliqueLis : c'esL SUl' le balcon de ~l"IC
Prinl unier, le
slore chinois donL les ppr1es r;'c nLI'('-cltoqll cnl au vent
do la nl/iL. OrieL s'imm obilise.
'l'ouL dan;; l'hôLel somhln dorniÏl' . 1,0 ('tH l' oHL vidr, le
Portail en l'es le LO'ljOIlI'S ollvo l'L. Odet sail que 10 relais
Possède ull e torrasse cL qne SUI' celle terr flzso ouvre uno
('hombre ... II sail aussi 'lue les cœurs do pages ne sonL
j lllnuÏ'l contenls, que plus OII leUl' (;èdf', plus ils oxigent.
11 enLre dall s lu OUI'. Il l'ase les murs ol mureho dans
�80
LE CHATeAU
n'oRÉMUSE
l'ombre. Sur le ciel plus clair se détache légère la b alustrade de la terrasse.
Ah! qu'aperçoit-il? .. Une femme en blanc ... et un
homme accoudés, côte à côte. L'homme fume. Sa cigarette pique la nuit commo un ver luisant.
Alors Odel s'en va; mais au sortir do la cour il so
heurte à quelqu'un qui aussi, comme un voleur, rase les
murailles el marche dans l'ombre.
- Qui va là?
- Alcide Échalasse .
- Que failes-vous par ici?
_. Et vous-même?
- Moi... je passais.
- Moi je venais ... Ah 1 je venais chercher l'inspiration ...
l'ins -pi-ra -tion ...
- Eh 1 bien, venez, ma petite calebasse.... non, mon
petil Échalasse... Venez, je vais vous la faire trouver,
moi, l'ins-pi-ra-Lionl ....Je connais un sile ... l1l1 site... Jo
vous emmène pOUl' le voir.
Odet a pris au collet le poLi!. Échalassa ct, rL'p6tunl :
« Venez, venez, je connais un sile.. un sile... )l, il
l'enLralno, ill'omporle, et sc pord avec lui dans la nuit.
CIIAPl'rnE XII
- Je le dis que c'est lui. ..
- Tu as la lêle furcie de l'ornans. Voilà ce qui arrive
quand 011 ...
- Jete dis !lue c'est lui ...
- Tu dors debout.
- Jete dis quo c'est lui: je l'ai nettement vu.
- Ehl bipn, ma petite, ne le r6pèLc [JUS. Chacun fait co
qu'il veut, ct la demoure d'un médocin no doit pas êlro
une boUc à c:m<:: ... ns.
�LE CHATEAU n'ORÉi,IUSE
8t
• - Je ne crois pas tant parler ...
- Tu ne parles pas, parce que par une miséricorde du
ciel, Mlle Poché est absente; mais si elle était ici ..•
- Mlle Poché, comme moi ...
- Ne te révolte pas. Écoute, et fais simplement ce que
je te dis. Si tu as des doutes sur ce chauffeur, garde-les
pour toi.
- Cette... cette personne m'avait demandé d'aller voir
sa tante ... J'ai jugé ne pouvoir accéder à son désir ...
- Tu as eu tort. Tu te serais distraite, ce qui t'eût
mieux valu que de te calciner le sang sur ce canapé, à
lire de mauvais livres, et tu aurais J'ait du bien il la pauvre
vieille dame.
- Merci 1 Je pense que tandis qu'ils courenL le pays à
la recherche d'une propriété que l'on ne trouvera jamais,
parce qu'clle n'cst qu'un prétexte, Lu m'enlends bien, un
prétexte ...
- Qu'est-ce quo cola peuL te raira?
- Eh 1 bien, qu'on me laissera la garde de la vieille
damo ... ct co rôlo me déplatLl ...
- Tu as agi commo Lu l'as voulu, commo tu le voux
enC01'e!
- Oui.
- Alors, no te plains pas, ot surtout, je te le répète
neoro, ne parle pas.
- Je suis une honnôte femme ... On n'a jamais rien dit
SUl' moi ...
- 11 n'aurait plus manqué quo cola 1
- Jo suis alors surprise, Yl'aiment que ... que ...
- Bh 1bion, sois surprise, mais pour l'amour du ciol, LaisLoi! ... Jo suis qlle recommander le silenco il une femme .. ,
autant vaut dire ù une pio de no point jncassor ... Cepen·
dunL, je l'en prio, pour uno fois, par oxception il la règle,
tais· loi ...
Mme l'rinLanicl' 50 mOl'dit los lèvres ot gt:0mmolu en
G
�82
LE CHATEAU D'ORtMUSE
parte sur la manière qu'ont !1l8 h~me
.de juger, do d6ci~
der des choses. Vraiment, c ost a ne flen comprendre a
leur manière de 'loir ct de penser. Diou sait si son mari
eEt sévère sur le chapitre de la morale 1Et parco que cette
Cemme ost simplement jolie, voilà qu'il prend feu, défend
~Ius,
il 5emble
qu'on l'attaque, etc., :tc., etc... ~ien
admettre que tout IUl est permIS, marne da mettre
contI e elle les plus 6pouvantables apparences .. .
Oh 1 lf3s hommes, les hommes, les hommes 1.. .
Et les l'egards que jette Mmo Printanier vors le ciel
complètent sa pensée.
Oane parlait, du reste, il Saiat-Pierro-en-Baiise, que de
colui qu'on appolait « le chauITour des dames du relais ».
Toules les f\)mroes le trouvaient à leur g1'6, lui faisaient
do l'œîl, on perdaient la tête. Et maintes « héritières »
ùes mieux dolées ot des plus cotées do la petite ville, eussent été jusqu'aux sommations rcspectueuses, plutôt quo
de no pas épouser un homme « si beau, si bien, si impertinent, aux mani.èreG si parisiennes », s'il eût consenti il
les demander.
Mais il ne les regardait pas! Les minauderIes, les potits
cris, les petits rires, loule la mimi'lue coquette des
femmes qlli veulent so Caire remarquer n'arrivaient point
à retwir, même une seconde, le regard du chauITeur dos
damos du relais sur n'importe quelle habitante de Saint.P1C1TIJ-en·Baiise.
Bim mieux, on l'avait entendu diro à Subrebic : Il Que
par ici los femmes sont donc laideB ... do vraies guenons l. .. II - Ce qui avait donné à Mme Subrebie la
migl'aine lout un jour ct faiL pleurer lu bonne.
On savait 1.>.ussi qu'Il avait déclar6 : « PlutCl. que de
fuire courir toutes ces fllIeB après l~ur
cOl'lifical d'éludes.
on ferait mieux do les conduire chez le ù nlistc : ces sou.
répugnants. »
rires sur des demts gâtées son~
I!:t du coup. quelques-unes des • h6riLibres . n'avalont
(t
�LIi: r.:IIATJ\AU D'OR~
~ lUSr:
o r,
0"
point reculé devant la dépense de faire coiller d'or, qui
leurs canines, qui leurs molaires.
Peine pel'due 1 Bien que maintenant elles osassent l'ire
à gorge déployée et ouvrir leur bouche jusqu'aux oreilles,'
« le beau chauffeur » ne tenait pas meilleur compte des
femmes de Saint-Pierre-en-Baiise, elles r estaient toujours!
1
pour lui « de vraies guenons ».
Du reste, il sorlait peu, ce chaulTeur, il paraissaiL de
mœurs rangées . Chaque ma lin il allait à la poste, en l'appOI'tait les journ:mx qu'il lisait, assis devant la porte de
l'hôtel, jambes croiséos, fumant, tout en sirotant quelque
breuvage, tandis qu'un humble esclave à deux pas lavait
l'auto.
« Quelle viel s'écriait M. Subrebie, suant, soufflant,
s'épongeant 10 tront, quelle existence 1. .. Dire que chaque
jour je me crève pOUl' gagner quelques sous ol que ce galllard touche, à ne rien faire, certainemont, des appoiutements de colonel. »
Un Jour il se risqua il demander;
- Ah 1 çà, dites-donc, combIen vous po.ye -l-on pOUl'
vous croiser les bras?
L'autre, sans sc troubler, riposta 'du Lac au tac;
- Ah 1 çà, dites-donc, depuis quand cela est-il votre
aJtalre?
Subrebie no renouvela pa3 l'expérionce.
La leclure des journaux finio, le beau chauffeur s'étirait,
bâillait, s'ébrouait, marmottait qu'il ne serait pas trop
lôt quanJ. on pourrait quiller co sale pays, où l'on s'cnnuyait à vingt francs la demi-heure. Ensuite, il faisait les
ceni paR sur la route, tandis que Mme Printanier, invisible
derrière son store, admirait Ill. coupe de son costumc gris
de Cel', l'éléJance do sa crnvale, la bonne forme de ses
chaussures, 10 brill ant de la peau de truie des ICgglOg, ct SI)
dlso.it, rÔveuse, que son mari, n un homme comme Il fnu L,
Copendant n, no possédait rien do pal·ei!.
�LE CHATEAU n'OnÉMUSE
Vers trois heures, le beau chauffeur prenait l'auto, et la
jeune dame, non pas dans la voiture, s'il vous plait, mais
à ses côtés'-: vous entendez bienl - on partait àlarecherche
de la propriété introuvable et l'on faisait des kilomètres,
des kilomètres; on allait jusqu'à la frontière d'Espagne .
- Faudra une fois que je demande à vous accompagner,
dil un jour Subrebie au chauffeur.
- Et pourquoi?
- Pour voir du pays et me rendre compte ...
- C'est ça. Et nous ommènerons aussi Mme Suhrebie,
puis la bonne, le chat, les ciJsseroles, tout le tremblement.
Comme ça, y aura pas de jaloux.
- Vous croyez quo votre paLronne no voudra pas?
- C'est moi qui ne voudrai pas 1 EsL-ce que vous croyez
que j'ai besoin de votre museau dorrières mes glaces, de
vos semellos sur mes tapis, de vos culott.es sur mes
coussins? .. A la cuisine, mon vieux, puisque vous avez
choisi do vous enrichir dans le fricotage.
- Oh 1 oh 1 jeune homme, comme vous me traitez 1. ..
Malgré tout, Subrebio no so fâchait pas d'un tel lang .. go
ot Mme Subrcbie y applaudissait. Tous doux s'accordaient
à sc répéLer qu'avec Œ des lypes de cotLe qualité » le
vieux monde avait vécu. liltle beau chauffour n'cn acquérail que plus de pres lige.
Un jour, à peu de temps de là, 'l'hyra revenait en aulomobile, cette fois seule il l'intérieur. Bile croisa sur la
roulo , loin de Saint-Pierre, M. de Portcnbeau. Bllo le
renconlrait souvent el, cha quo fois, 0110 étail frappée do
la mine sombro qu'jl lui monlrait, de sos youx féroces,
attitudo qu'il ne prenait jamais quand il venaiL au relais.
Elle jeta au chauITeur l'ol'dro d'arrêLer, cc qui fut fait.
EL Se penchant à la porlière, elle fil de la main un joli
geste d'appel.
Contre touLe aUenLe. M. de :POl' Lenhcau, loin d'y
�LE CHATEAU n'oRlhruSE
85
répondra, s'immobilisa. Oh 1 oh 1 que se passait-il.. . pourquoi cette attitude'?
Thyra était de ces femmes qui vont au-devant de la
difIiculté, la veulent voir de près pour, au besoin, mieux
la combattre.
La jeune fille descendit d'auto ct s'avança, souriante,
vers celui qui refusait do venir à elle.
Mais quoi... Est-ce bien le PorLenbeau qu'elle connaît,
ce gl'and diable à l'air féroce, au nez en bec d'rugIe, aux
yeux brillants comme des escarboucles? Pourquoi paraîtil aujourd'hui si différent de lui-môme, celui qui, si dou cement, se permettai parfois da fredonner, pendant le
temps qu'ello chantait quelque ballade ou bien un air
d'opéra?
- Comment, monsieur de Pùrtenbeau, esL-ce ainsi quo
vous avez promis de me protéger? Je vous appelle ct
VOliS no mo répondz p8S ...
- Je ne sui; pas celui quo vous croyez.
- Mor·;, monsieur, oxcusez-moi. Vous ôtes à tel point
son sosie ... Je n'ai jamais rencontr6 doux: êtres se ressemblant ainsi ... AlI fn.it, vous êtes peut-êLro ccl OdeL dont il
parle suns cesse?
- Je SL1is Odet.
EUe r6pondil, visb~emcnt
désappoinlée :
- .Te ne vous aurais jamais imaginé ainsi.
- Et comment donc m'imaginiez-vous?
volro frère me
- Faut-il vous l'avouer? En écoutan~
parlrr de vous oomme S'li cùt 6t6 de beaucoup votre
aÎn6; en l'entendant rappeler san cesse votre nom, cc
nom gracieux, charmant, cc nom de page, je m'6tais fait
de vous llne image diH6l'ente.
- Comment me voyiez-vous?
- Comment je vous voyais'? Je VOU3 prêtais absurdement le phy.,:iquo do vo,re nom, !li j'os!:) dire ... Odet ...
Odet. Comment VOllS figurez-vou!'! le premier q1\'on appela
�ain~?
86
U: CRATlIAU D'ORÉMUn
Je le vois, un pourpoint vert pré et mauve, en
haut-de-chausses, souliers à la poulaine. cheveu. longs,
toquet empanaché, jouant du luth aux pieds de quelque
châtelaine ...
- Vous avez de l'imagination .. . Et 51ms doute, madame,
vous regrettez celte image?
- Elle 6st gracieuse .. .
déçoit toujours.
- La r~alité
- On n'en peut rien dire quand on ne la connaU pas.
- Enfin, d'un mot: mn vue vous Il. déçue?
- Si vous vlJulez à touto force que je vous l'épondo,
venC1. ... montez avec moi en auto. Je vous ramènerai eL
en arrivaut là-bas, ayant fuit avec vou~
plus ample
cor.nais3ance, je dirai oui ou non à ce que vous demandez.
- Monter avec vous ... jamais 1
Quolles singulières id6es 1 Qu'l)sl-ce donc qui vous en
C\mpêchel'ail ?
Od el t endit sa canne ct montruit le chautleur qui, il
demi retourné sur son siège, fumait :
- Lui.
Thyra recula eL râp6ta :
- Lui?
- Oui.
- Pourquoi?
- Parce que... je voudro.is le voir c.hassé do votre
présence 1. ..
- Monsiour!
- Puree quo co qu'il fait , la rôlo qu'il joua est indigne
do vous.
- Mon,icurl
- Qui donc croyoz-vons tromper, vous et lui? Qu'es tco quo coLLe misérablo com6dlo et comment va-t-eUe finir;
~ jno
par le plus épouvantable dos scaniales? Vous
croyez donc. madame, l'humanll6 bi(:n avougle? Elle y
voit plus clair qu'on nc le croit. VOUII êtcs surveillée.
�LE CHATi>AU D'ORÉI\IUSE
87
épiée, déjà l'on jase, l'on glose .•. Que sera-ce quand on
aura tout découvert ... Vous pâlissez, vous devenez blême;
vos yeux s'emplissent d'épouvante ... Qu'y puis-je? On
récoll e ce que l'on sèm3 ... J'ignore les causes qui vous
font agir et n'en veux rien savoir; mais je les réprouve,
elles révoltent, elles écœurent... Tant pis si je vous parais
mal élevé, brutal et grossier. Mais ce masque d'hypocrisie
derrière loquel vous cachez vos intentions misérables, il
me faut vous l'v.rracher: il faul que vous sachiez que
tous ne sont pas vo~re
dupe. Oui, il me faut vous dire
ces choses en plein visage, parce que de même que vous
vous mettez hors la loi commune, il raul me meltre aussi
hors de ce qui est habituel, convenu POUI' 0. voir 10 courage
de vcus dire ce que vous entendez en cet insta nt... Voilà
pourquoi je n') monterai pas en auto avec vous, ni avec
lui. .. pourquoi vous ne m'avez pas vu chez vou ~ pour van s
présenter mes hommages, pourquoi vous ne me reverrpz
plus ... Cal' vous pouvez juger combien jo me possède mal
et quel pou d'empire j'ai sur moi. .. Cet homme, voyezvous, cet homme, quelque jour je lui jotterai J. la face ce
qU'li cache, jo l'en sournô~eai,
car c'est la piro hassesse.
- Mais, monsieur, à vos youx cst-ce si grave?
- En Ôlos-, 0 11S, madamo, il ne plus rcconnaltre 10 bien
du mal?
- N'auric7.-YouS pas lail comme lui?
- Non, madame. Slj'avais aimé suffisamment un êtroou
uno oauso pour me suerifbr tout entier à eot ôtre, à coLte cause
jusqu'à abd iquer mon mng, ma personnalité, j'aur,üs mis
mon idéal, l'obj et do mon culto si hauL quo jum1jf\ ne pQt
l'utteind.r'o la moindro 6elaboussure 1
- Mais onOo, monsieur, commont donc UVC7.-YOUS su?
-Commo d'autres sauront, madame ... comme bOQucouP
cl'outres sauront. Quand on bravo ouvol'Lemont l'opinion,
quand on so soucio peu du bruit que cela poul taire, quand
on semble jeler un défi il lu face du monde, il tnut
�8S
LE CHATEAU D'OnÉMUSE
s'attendre à tout. Ce que je vous crie d'autres ne vous le
diront pas, madame, mais cela ne les empêchera ni de
penser, ni d'agir.
- Oh! mon Dieu! Vous m'épouvantez ... que me conseillez-yous?
Dieux, votre conscience n'y suffit-elle
- Ah 1 grand~
pas?... Descendez en vous, réfléchissez ... N eltement vous
apparaîLra ce que vous avez b. faire; ct dussiez-vous en
avoir le cœur brisé, faites-le.
- Jamais je ne m'y résignerai.
- A votre aise, madame 1 Alors quiLtez Saint-Pierre ...
partez ... Allez plus loin, très loin, vivro votre vie de
mensonge. Partez avant que le mal ne soit plus grand, que
l'éclat De se suit produit ... Emmenez-Io, lui. .. lui ... Car
sur l'honneur, je vous le jure, il n'est plus en sécurité
ici.
- Comment. .. voulez-vous dire que vous les trahiriez?
- Eh 1 sais-je, madame, co dont j suis capable?
Nonchalamment étendu SUI' son siège, 10 chaulicul' tout
à coup se rotourna, surpris d'entenclre cetto exclamalion.
Que vit-il? La jeune mlo qui semblait supplier un hommo
à visage rude, à tête de brigand, le supplier de quoi,
pourquoi ? .. Cet homme avait une mine raou
~ he
ct (les
gesles qui paraissaient, à force de mépri:>, vouloir balayer
celle b. qui il J1 arlai t.
de sa pr~seno
Le chaulicur était peu endurant. Ces allures ne lui
convenaient guère. Tl fut. vile prêt à se môler do J'affajro
ct à cn donner un avis que nul ne lui uemandait.
Dans ce but, il sauta de son siège, avec des intentions
qu'il ne démêlait pas lui-mêmr, mais qui, à cn juge!' pal'
sa f 'çon des(rrer les poings, Icdvai('~
l 11)sêLrepacifiqu rs,
lorsque la scène se modifia si brusqucml'nt qu'il cn resta
clou6 sur place.
L'homme à tête do brigand venait d'ouvrir les bras, de
baltre l'air de ses mnins comme CrapI'u (fi pleine poitrine.
�LI: CHATEAU D'orn:MUSE
89
Maintenant c'était lui qui suppliait, comme s'il avait
un grand pardon à se faire accorder.
- Si je cOffi[Jrends rien à co qui se passe ... , marmotta
le chauITeur.
Et, comme lentement la jeune mIe ramenait vers
l' auto celui avec lequel elle venait d'avoir cet extraordinaire E'nLrelicn, force fut au chauffeur de reprendre son
rôle et sa place, quelque peu d'envie qu'il en cùt.
Rongeant son frein, il les vit monter en voilure. Il les
entendit causer à mi-voix . Alors il grogna: te Le particulier a une têle qui ne me rJviont pas ... donnons-lui une
suetle de peur. »
Et l'au Lo qui élait puissante, fila à toute vitesse, entra
dnns Saint-Picrro-en-Bai.se sans ralentir, effarant lout 10
monde, les gons devant les portes, et bien plus ceux qui
élaient au milieu do la chauss6c.
Parmi ceux-là &0 trouva une femme, une vieille femme,
Moularde ...
- Vous l'avez vu ... vous l'avez Lous vu, ~o mit-oHe à
crier, avec des gesles do désuspoir, si cela dovrait êlre'
permis 1 C'Of t de b folie, que je vous dis, ùes façons de'
l'onIer .. . Ah' nous n'avons pas fini, vous verrez.. . nous ne
fai sons mûme tiUO do corn mon or.
Mais on ne put savoir si co qu'elle disait avait rapport
à celle excès de vitesse, à celLe alluro de Luer les gens,
ou bien fi l'inùignulion rie voir le caùot d'Qrémuse avec
la jolio élr[lllgore.
ClIAP 1'fRE Xl J{
frores ont fait bien discrètemenll'ouvcr- Ma sœur, 'lO~
turo.
- Du moins ils ont pris fort peu de gibi( r.
-
I\foularde dil. ..
�Oh 1 ma. sœur, pensons ù ce quo nous a recommand6
notre aîné, méfions-nous d'elle .. •
_ 'l'out en nous méfllJ,nt d'elle, nous pouvons avouer,
ma sœur, qu'une partie de leur gibier a été porté au relais.
_ Et qu'est-ce que cotte intimit6 de notre Odet avec
ce ehaulIeur.
_ Notre frère est tout simplemmt sans doute pris de
la passiou de l'auto ... Ne croyez-vous pas que noUs
dovtions ...
_ Ma sœur, voulez-vous dire qu'il faudrait lui donner
une automobile?
_ Peut-être qu'il serait plus heureux ...
- Il est en erret, ces jour-ci, toujours en mouvement,
toujours sOUJ'ianl..
_ En revanche, C1lse est bien triste. No trouv~'s
pas qu'il vieillit... du moins qu'il semble Lenil' ù se fuire
passel' pour vieux?
_ Vous savez qu'Odet est tort occupé de sa l.oileLte ct
qu'il vien\. de commander deux costumes en même temps.
_ Une automobile, deux costumes ... Ah 1ma sœur, qu'il
va falloir raire dos économies 1
_ Ne pensons pas li nous, aimons-le .. .
- Oui, aimons-le d'auLanL pins que ... que ...
• - Que peut-fitre nous nurons il impos ,r pour Ini do
légers sacrifices.
- 01li, il. lalre un peLit sacrince pour lui.
EL les deux sœurs s'étreignirenL, puisant dans cette
fTusion un renouveau de courage, d'énergie. Si elles ne
savaienL plus où le couranL de la vie, les exigences des
nns, la fanlaisie des autres et le myslûre qu'olle devin:üt
planer aulour d'ello les omportaient, ellcs S<.l sentaient du
moins toujours appuyéos l'uno sur l'autre.
AoftL prit fin dans des chaleurs torrides. Des pluies
a}londantes sur.inrent ensuite cL septembre nmeno. la
fl'aicheur et l'exquise senteur des regains. Les premiers
�LI!: CHATEAU Il'OlltMUSE
91
champignons apparurenl et les demoiselles de portenheau
s'en firent une joie, comme elles s'étaient un jour d'été
réjouies d'entendre le premier chant de la cigale.
Celui qui n'habite pas aux champs ignore l'émotion
causée par le retour annuel des choses: première hirondelle, premier chant du rossignol... premier chant du
coucou, du loriot, de la cigale ... premier vol des palombes,
premier t'eu... chanHon du vent derrière la vitre close ...
passages des grues portant sous l'alle des glaçons... premi cr flocon de neige, -détails menus prenant grande imporlance de ce fait qu'ils donnent soudain conscience de la
marche du temps, de la venue d'une heure nouvelle,
qui sera peut-être enfm celle dont notre cœur a soif.
Les jours se firent plus courts et les soirées plus longues;
souvent la nuit surprit Celse s'attardant au relais, tandis
flu 'OdeL, pris d'une Iolle passion d'automobile, courait
encore le pays avec le c,haulIeur l phares allumés.
Chose singulière ct dont on commençait à jaser que
ceUe manière d'être à «tu et à toi» qu'avait le cadot
u'Orémuse avec le chauIYeur des dames étrangères. Ne
s'habillaient-ils pas maintenant presque de même... flt
Odot n'ôtait-il pas revenu un jour, commo Léonce, san'i
moustache si bien que l'auto passant vito on pouvait
presque les prendro l'un pour l'autre 1
- Comprenez- vous, ma sœur, le pourquoi de ces choses?
se demandaient à tour de rôle les demoiselles de Porten·
heau.
Et l'autre, inv!ll'iablemont, répondait à colle qui posait
la qu eslion :
- Non, vraimont ... Je m'y perds.
Copendant, comme depuis qu'OJet roulait en auto, ct
le nettoyago de
sous prétexte d'apprendre le d~rnoltge,
l'outo, passait de longues heures au rolais, il semblait
('onlent, olles s'on voulaient de ne point s'on réjouir. D'un
aul ro côté, plu s Odel semblait pl'endre goût à la vie,
�'92
LE CHATEAU D'ORÉMUSE
plus Celse paraissait mélancolique. Pal' quel phénomène
sing~ler
ce qui incitait le cadet à dresser la tète poussaitill'aulre à la baisser?
Le bonheur de l'un ne pouvait-il donc faire que le malheur de l'autre?
_ Je crois tout possible, murmuraient les deux sœurs.
Et volontiers elles eussent employé des formul es d'exorcisme pour libérer leurs frèr es et se libér er elles-mêmes
de cc qui pesait d'étrange, de mystérieux, de fat a l sur
Orémuse depuis celle nuit où deux dames étrangères
s'étaient arréLées au r elais, pourquoi, dans quel but?.,
On était encore à se le demander.
CHAPITRE XIV
Comme la Toussaint app ro chait, il y euL àSllinL-Pierreen-Baiise une Mission, Elle fuI. prûch6e par un per il fr anciscain, à ln parole vibrante et terrible, Peur réveiller la
foi, le zèle, arracher les cœurs au vice, il la mollesse, à
l'ind ifférence et les ram ener à Dieu, il employa toute son
éloquence. Il sut, en images saisis<antes, parler de la mort,
ceLLe mort qui saisit le faible el le Lort, cetle mOl't contre
laquelle il n'ost point d'appel et ne peut être dcmund6 de
dispense il Rome, a dil VolLaire, Il montra combien conLro
olle sont peu de chose nos eITorts; commenL ell e arrive,
ainsi qu'un larron alors que nul n'on sa it le jour,nil'hou re,
commont elle mot à néant not re œuvro, nos proj ets ct
ll'en la ssenL souvent l'ion subsister, po.s mêmo uno traco
sur la poussièro.
Pui s, longuemont, il rappela le souvenil' des d6funls ;
il raviva la douleur laisséll par leur disparition, en rouvrit
los sources, en rendit la plaio déchiranto, toute Iralche ...
ct beauco up 'do larmes Iurent versées.
Presque chaque soir au ('.répu1>cul n , 10 glal'l sunnail
�plu~
LE CHATEAU D'OllÉMUSE
93
longuement pour rappeler aux vivants ceux qui n'étaient
...
On fit, à la nuit tombée, des processions aux flambeaux:
dans le cimetière où l'on pria pour celui des paroissiens
qui mourrait le premier. Devant l'évocalion de cette
tombe ouverte, tous frémirent, comme si chacun se fût
senli désigné pal' le doigt de Dieu.
11 y eut des conversions considérées comme des miracles,
On planta à la croisée des ehemin3 un grand Christ saignant
et douloureux et longtemps on ne pul le considérer sans
prendre l'horreur du péché, cause de tant de souffrances.
Les demoiselles de Portenbeau pleurèrent abondam.
ment sur leurs parents défunts, sur leurs par e nt~
vivants, bur elles-mêmes. Elles sc sentaient une pauvre
âme falote, détaehée, désempar6e, dans un corps de
boue. li leur semblaü n'avoir de vie qu'une toute
petite Damme qu'éteindrait le moindre souffle. Elles
Re demandaient comment l'homme peul tant tenir à
une exislence si éphémère el, très effrayéos do leur propre
fragilité, à chaque instant du jour elles criaient miséricorde.
Mmo Printanier, en laquelle les différents offices
excitaient un zèle pieux, se réjouissait des bienfaits de la
mission, moins pour elle - car elle élait 301'0, sinon de ne
pas péeller, du moins de ne pécher guère - que pour
"certaines personnes )l de Saint-Piorre, dont elle reconpaissaiLles irrégularités d'existrnee ct principalement pour
cotte jeune étrangère, qui serait peut· ôlre amenée ainsi il
reconn::dtre " ses erreurs ». Volontiers elle eût aimé contribuor il ram oner dans le ùroit chemin celte dernière,
Elle Re sentait une ûmo d'apôtre, pleine de mansuétude,
d'indulgence. Et un soir d'instruction, ayant Vil la jeune
nllo verser d'abondanLc8 larmes, Mmo Printunier s'était
surprise les offrant à Dieu, ces larmes, comme ét.1nt d'uno
qualilé rare, larmes de repenlir loules pareilles il. celles
que répandit la Madeleine au pied de la Cr·oix.
�I.E CHJ.TRA.U D'ORÉMUSE
Ainai donc, non seulement chacun désirait pour soi le
bien qu'ali~
procurer cette mission, mais le désirait
aussi pour son frère, dan.> l'œil duquel il apercevait la
fameuse paille.
Et le glas sonnait toujours dans la paix. des soirs. Maintenant nul ne méconnaissait les conseils de l'horloge. Ah!
ces minutes qui passent ... ce temps qui fuit ... l'éternité
qui approche 1. ..
Pendant quelque temps, Saint-Picrrc -en-Baiisc a,l1ail
suivre la voie de la perfection. Les 6piciers se fereient
scrupule de voler sur le poids, les aubergistes de falsifier
le vin elles commerçants de : romper sur la marchandise.
Les langues atlllées flllaient hésiter devant la médisance,
à plus forte raison devant la calomnie. La bonne conduite,
l'assiduité aux offices seraient à l'ordre du j1mr. Me.is
hélas! l'esprit est prompt, la chair est faible 1. .• Combbn
cela durerait-il? Il est évident Gue le mal allait chercher
à prendre une éclatante r avanche de cos quelques minutes
de bien.
En revenant chez elles, les demoiselles de Portenbeau
sc lamentaient à ce sujet.
- Ahl si tout pouvait restor ainsi, disaient-elles".
- Mu sœu r, ce serait bien beau ...
-- Trop beau ...
Un soir, il soufflait un vent d'automne, ce vent à
l'haleine chaude qui vient du sud. Il cntra!nnit on rondes
folle9 les feuilles tombées, il les poussait h ùef; courses
rapides dons les sous-bois, au long d('s 0.116es. Il arrachait
des arbres, avec des bruits d'os bri~és,
du bois sec et. do
bl'Jnche on branche, en pr6cipitait la chute. Il d6to.chait,
avec le son mat d'un coup de caillou , les glands, les cM.taignes, les marrons d' J nde; On eGt dit qu'il mettait du
mystère duns l'ombre et, dans les sous·bois, des présences
ocult~.
Et les demoiselles de Portenbeau, l'esprit déjà
h~nté
de terreureL de l'image de ces Q,U· delà oÎl errent do.ns
�LE CHATEAU »'onl'lMU5E
95
les tortures et l'éI,.'ouvante, les âmes en peine, se selTaient
peureusement en l'emontant vers Orémuse.
Ce fut à l'une de ces minutes que lef; demoiselles de
Portenheau virent, traversant une pelouse et se dirigeant
vers leur demeure, quelqu'un, .. une femme ...
Elle glissait sur l'herbe si vite qu'elle na semblait point
l'effleurer. Elle était vêtue de blanc et, sur ses épaules,
llottait un ample voile que le vent soulevait ...
Il n'est 9as de vieux château qui n'ait une légende.
Orémuse ne manquait point à la tradition.
A intervalles éloignés on disait qu'y revenait une religieuse vêtue de blanc et que son apparition annonçait
des malheurs, des morts.
Glacées de terreur, les demoiselles de Portenbsau
restèrent clouées sur place.
- :Ma sœur 1 vous avez vu?
- J'ai vu ...
- Elle cst entrée? .. ,
- Elle est entrée ...
- Mon Dieu 1...
- Peut·être vient· elle chercher l'un de nOlls? ..
Et, da os le secrel d\! leur âme, IG5 deux eœurs 50 souve·
nant des prlèree dites « pour celui qui 10 premier m01.1rratt
après la mission » firent, éperdues, le sacrifice de leur
vie.
Soudain des voix s'élevèrent dans la maison.
Que disaienl ces voix? .. Elles avaient ces accents qu'on
prend aux heures d'alarme ... Sans doute que pour d'autres
aussi l'apparition était visible et qu'on s'en épouvantait ...
Brusquement le vestibule s'éclaira et, plus neltement.
encore, les dernoiseUes de Portenbonu aperçurent 10
femme en blanc qui, courant, s'éloignait, entratnant... Odet!
Et tous deux Lraversaienl de nouveau la pelouse et, par'
un sentier plelO d'ombre, disparaissaient dans les prolon.'
deurs du parc.
�96
LE CHATEAU D'ORÉMUSl.
Mlles Anaïs et Céline défaillaient.
- Odetl
- Rêvons -nous?
- Ma sœur, c'était bien lui! .. ~
- Que Dieu le préserve ...
_ Qu'il le prenne en pité l
Ce fut à demi mortes qu'elles arrivilrent dans l'antichambre, pour Y trouver Celse écroulé sur un coffra et qui,
se croyant seul, gémissait :
« Elle n'a pas voulu de moi ... elle n'a pas voulu de moi . »
- Celse, où est notre cadet?
L'alné se relev(l.
- Ne me le demandez pas ... je ne puis vous le dire ...
- Où est notre cadet?
_ N insistez pas, mes sœurs, l'heure est grave ... Vous
saurez tout, mais par grâce, ne m'obligez pas à parler ce
soir ...
_ Celse, nouS vous adjurons de nous dire qui est venu
10 chercher.
_ Ne l'avez-vous pas reconnue?
EU( s crièrent avec épouvante:
_ C'est ellol C'est donc elle? .. Ahl nous los avions
de mère-grand; mais nous n'aurions
entendus, ces ré ~ its
jamais pensé ôlre témoins d'une choso si oxLraordimiro ...
EL où l'ommène-t-eUe, Odet? .. C'e3t etTrayant!. ..
_ Oui, ctTrayant!. ..
- Chaquo fois qu'elle apparut à l'un dos nôtres, co fut
un signe do grand malheur 1. ..
- Mes sœurs, qui croyez-vous avoir vu?
- La religieuse ...
Celse pâlit ct murmura:
- C'pst vrai, elle ressemblait ce soir il la descriptiun
que, tout petits, on nous en fil ... rlle Olait vêtue do blanc
ct si pâle...
_ Vous dites que cc n'est pas ... olle?
�9ï
LE CHATEAU D'OnÉ~It:SE
-- Non, mes sœurs, c'csL ..
-- Nous devinons alors, crièrent- elles, prises d'un sem blable courroux. Que venait faire chez nous, sous notre
toit.. . cette créatur e?
Encore une fois, Celse répondit :
- Mes sœurs, vous saurez tout... mais, ce soir, ne
demandez rien. Plus t ard, on aura besoit; de vous; mai "
de grâce, ne m'obligez à vous rien dire ... Je souffre, no :e
voyez-vous pas? Je suis pareil à celui qui ontend au loin
le bruit di:lla bataille, et qu'on a laissé , comme un inv alide, à ia garde d'un point qui n'est pas menacé.
CHAPI'I'RE XV
Saint -Pierre-en-Baiise appriL l e lendemtlin, dès fc
mat in, avec une extrôme surprise, que le" 6lraugiJrcs '
,avaient quitté le relais la veille au soir, « sans Lam bour Ili :
trompette, sans dire ni bonjour ni bonsoir li persollllC 1) .
On en fut indigné 1... Pourquoi, après un aussi long
-séjour, s'élaient- ellcs brusquement décidées à cc d éparL?
Qu'osl-ce qui les y avaient poussées ? Mystère!. .. Muis :ou t
dans ces per s one
s , ~ n'étélit .. il pas inexplicable depuis
leur arrivée?
Grâce à la fraichcur de cette matinée d'autollllle on
}Iut - satisfaction grande - commenter cotte nouvell e
a5s;s devant la porte, en échangeant demandes cl réponses
d'un cÔlé do la rue à l'autre, tout en sc b alançan t sur u ne
chaise, posue en méchant équilibre, et en r egardant de-ci
de ·Ià, qui vonait, qui passait.
Chacun y allait de son mot, de ses commentaires.
- Suborbia a dU être ennuyé de perdre une si bonne
vache à lait ...
- Il ne perd pas. Ces personnes ont gardé leurs chambres
au relais ot ont payé la location d'a.vanco.
7
�98
LE CHATEAU D'ORtHU SE
_ Et elles s'imagin ent, les innocentes, que les Subrebi e
n'y m ettront pas du monde malgré cela? ..
_,., Qu'ils pefdron t si belle occasion d'avoir l'écu et la
monnai e?
_ Il faudI'ait ne pas le:> connalt re pOUl' croire qu'ils ne
cherche ront pas à tirer deux montur es du même sac.
. _ Quels grigouS!
_ Quels fripo~
1
Quelqu 'un fit remarq uer que de tels propos tendaie nt à
prouve r combien vite se perdaie nt les fruiLs d.e la mission.
il.. quoi les femmes r ép ondirl'nl:, rageuses de se sentir prises
en faute; qu'il ya des vérités qui par trop R'imposent et
que l'on n'hésite rai t pas il dirc devanL le Pèrc Eternel .
Ainsi le procè
~ des Subrebi e sévèrem ent se jugea.
Q\Jand on eu L sulIisum ment jeté dC3 pierres dans leur
jardin, on en revint aux éLrangères, et l'on se demand a ce
qui avait pu les décider à partir si vito.
Surpren ant CCG propos, MlJlo Printan ier, accoudée SUI'
son balcon, oourluiL do pillé ot de d6dain. Cor\'.ain~
délail!;
qu'elle savait, olle, sur le départ des étrangè res, la faisùien t
50 dire que l'une de ces porsonn es, la plus jeune,
malgrô
les larmes qu'on lui avait vu verser à l'église , Ul1X temps
de la mission, no mériLait vraimenL pas quo l'on s'occup1H
d'elle.
Du haut do son balcon, M1l10 Printan ier eûL aimé 10 (~!'i\)
à ces pauvres gens et los ongagor à considéror, comme lm
bienfait , ce qui avait pu éloignor « un Le) objet dl) scandale » de la paroisse_ Mais trop p rior nuit ...
D'ailleurs le docteur PrinLanier dM ndait les cancans .
l!Jt puis, vOyCll-V OUS, la fCI\1me du docteur harangu ant ln
foule ? •. Non, Mme Printan ier ne dira rien j Mme Printani el'
se taira cl nul ne pourra rapporte l' qu'elle a parlé dr
cela ... ni dEI bcaucoup d'autres choses ...
Dans la rue t'on continu ait il r6p61er ; « Qu'est- cc qni
a pu les décider il partir ... Qù'est- co (lui fi pu los déci-
�LE CHATE.'.U D'OR~MUSE
99
dcrL. » Et cola poussa quelqu'un, pour 50 faire le héros
du moment, :à déclarer t'.vec importance qu'il le savait,
lui !. ..
Un hOl1lme le savait 1... et ne le disait pas? .•
Vitil, devant les parles, les attitudes paresseuses furent
abDudonnées. Chacun bondit, fit cercle autour de l'homme
bien informé, lequel confessa dovoir à l'indiscrétion d'un
jeune facteur, point encore au courant des devoirs à lui
imposéS par le socret professionnel, que la veille il était
:ll'rivé il l'ad rosse dos dames du ·relais une dépôche portant cos mots: « Arrivez tous. Présence indispensable. »
Cette d6[1
~c he
avait motivé ce brusque départ.
Mais on ôtait trop nssoiITé de nouvelles pour ne paS
éprouver une décoption, de l'humeur, de n'en point!
entenùre ùuvantage. Ea maugréant l'on commença il sc
di sperser.
C'est alors qu'uno femme Insinua. qu'elle tell:l.it de lu
bonno du l'clais la suite de l'hisLoire.
Lrt suite de l'hi!ltoire? ..
L'on fit fiilonco, et le cercle so reforma pour mieux
écoutrr.
11 parait qu'au reçu do la dépêche, la jaune demoiselle
s'élait à moilié évanouie, quo la vioillo dame avait pom;sé
ùes cris, qu'on avait fait comparattro 10 chauITour et eu
avec lui uno scène que l'on pouvait diro allreuse .. _ Mals
qui Vil trop loin dépasso souvont 10 but l La conteuse, en
voulant trop prouvor; ne parvint qu'à faire rire d'elle. Ne
d\s<llL-elIo pas quo la bonne nffirmait avoir entendu la
vioillo ùamo et même la jeune dame tutoyor le chaufieur?
'c Tntoyer Jour ehaulteul' ... dos porsonnes do 00 curac.
tèro 1 Allona donc 1•.• 1)
On on fil ùes gortjes chaudes.
Soule, Mmo Printanier, qui tout entendait, remerciuit le
ciel de ce que tôt ou tarù, po.r des voies droites ou détourn6cs, se llIunifeslûL 50. Justice. Tout allait se découvrir I~ .• ,
<':01')
>
•
(\:
�100
LE CIIATEAU D'ouhIUSr.
Cependant la conteuse s'entêtait à déclarer qu'il y avait
eu entre le chauffeur et les dames grande querelle, parce
que le premier voulait partir ct que les secondes ne consentaient pas.
Mais encore on ne lui permit pas de continuer. On
connaissai t la bonne du relais pour être p eu intelligenLe;
il est probable qu'elle avait comp ris tout do travors et que
c'était pJut
ô~
1 s dames qui voulaient quitter l'hôtel SUl'
l'heuro au mili eu de la nuit et 10 chauffeur qui se refusait
à co surcroît de Lravail. Ah 1 mais ... On n'est pas des
esclaves!. .. Ce qui Iournit l'occasion do déblatérer sur les
oxigences des riches, lour peu d'égards pour le ropos do
lours serviteurs. On en prit prétexte pour rappeler ce bain,
ce fameux buin de tilleul que la vieille dame n'avait jamais
pris, mais qui lout de même alln.it rester légendaire. On
écoula quelques -unes de ces Lhûories destinées il renverser
10 viell ordre social ct il établir la société sur de nouvolles
baso~
Effrayée par cc flot de dénégations, la fOmme qui parlait finit pur se taire après avoir dit, orrenséo :
- Si tous savent les choses mi91lx que moi, ce n'est
pas la peine que j'en dise plus long 1. .•
Mais Ù poino out-elle quitté la tribune _ si tant est
qu'on puisse appeler ainsi 10 milieu d'une rue _ qu'uno
autro l'y remplaça. Celle-ci possédait d'autres détails, « el
des bons, et des inLéressants 1Ello les Lenait de Moutarde,
('lIe-mômo, vous entendoz, do Moutarde 1 Il Savait-on qui,
après la scène terriblo avec le chauffeur, la joune dame du
relais étai t 0.110 hercher, sans douto pour faire oMit' cot
hommo? .. Le cadet do Portenbeau 1...
Mi- vêtne, ello avait osé allor on couranL jusqu'il 01'6muse, commo si ce n'était pas déshonorant do courir à
celle heuro après les garçons 1 EL colui-ci, malgré son
orgueil, son éducation, ses principes, l'a suiv ie sans regarder co Cju'il1uissuit derrière lui. .. Ahl les hommes!. ..
�LI: CHATEAU D'ORÉMUSE
101
Les riches, les pauvres, c'est tout pareil devant un
cotlIIon 1. .. ricana-l-on à la ronde.
Elle poursuivit, narquoise;
- Et ilOn seulement il l'a suivie jusqu'au relais j mais ...
il est parti avec elle. Ahl il faut voir Moutarde racontant
cela ... il faut la voir, et l'entendre 1... Elle criait comme
si elle assistait à la fin du monde.
- Et les dtmoiselles de Porlenbeau, qu'est-ce qu'elles
disent?
- Moutarde prétend qu'elles $ont comme des personnes
qui viennent de recevoir un coup de massue sur la tête.
- Peut- être que le cadet finira par l'épouser, cette
étrangère?
- Moutardo le pense aussi et se signe ... car nul no sait:
si cette personne, toute jolie qu'elle est, vient du ciel ou
de l'enrer ...
- N'aurait-on pas cru qu'elle allait plutôt épouser
l'alné ... Celse?
- Elle ne peut, en tous cas, les épouser lous deux.
Cette nouvelle plaisanterie en déchaîna d'autres, qui
furent accueillies par des rires bruyants.
M ais du haut do son balcoll Mme Printanior ne riail pas;
ello soutait la vérité en marcho et s'exaltait à ln pensée
fJu'un jour très proche elle écla terait, pour la plus grande
confusion des méchants.
L'heure de midi allait enfin disporser les groupes de
causours, et les femmes s'apprêtaient à revenir chez elle,
lorsqu'un homme arriva au relais, à bicyclette, haletant
comme quelqu'un qui vient de rournir une longue course.
On reconnuL Léonce, le premier chauITeur des étran gères.
TouL do suito on lui annonça avec une joie mauvaise,
que s'il venait pOUl' reprendre sa place il arrivait trop tard,
tout le monde étaH parti.
IJ Levu lc!; lJras Ull ciel, montrait une grando surprise ...
�102
LE CHAT!:AU D'ORÉ~IUSE
Vraiment on était parti... Et on ne l'en avait pas
prévenu?
- Peut-être n'a-t-on plus besoin de vous ...
- Peut-être.
des Voyageurs ct anllOnç!3
Il ontra malgré tout il l'Hô~e
son int.ention de s'y l'eposer jusqu'au soir, peut- être jusqu'au lendemain.
A peine était-il arrivé que des g0ndarmcs à cheval
apparurent eL s'arrÛLèl'en f. à leur tour devanL le relais_
Mmo Printanier reprit aussitôt sur SOIl balcon son poste
d'observaLion; mais elle ue nota rien. Les gendarmes, qui
disaient attenùre des camarades, s'étAiont assis à une
LabIe voisine de celle de Léonce et entamaient avec lui
une converdation des plus suivie. C'est ainsi que Léonce
lut amené à dire qu'il était un ferv enl de la bécane, que,
plusieurs fois, il avaü, en pédalant, fait son Lour de France,
que nulle distance ne l'effrayait, eLc., etc. Puis il eut il
répondre à certaines questions que, lnns paraltre y prendre
grand inLérM, lui posail un des gendarmes. Comment
6LaienL l\ls pel'sonnes au servico desquelles il se Lrouvait?
Conais
~ :illeur situation do Ior~un
e?
La jeune dame
n'nvaH.-ello pas un frère? .. Que faisait ce frèro? Et
Léonco, bavnrù c,L vcrb(;Ux, pur.issant üneltullt6 do l'occIIsion dc pllrlol', déclarait n'llvoÏL' quo 110s louanges il
Mlresser aux pL'l'S Onnes qu'il servnit., - quoique s' xprimcr ainsi aujourd'hui puisso le taire passer au'{ yeux dr.::;
autres « gt'ns do mai!:ion )) pour un hommo dont les facultés
mentale!> etaient complètement alYaiblies.
- On ne ùit plus d o bien do Sl'!:I maîtres, monsiour 10
bt·jgddiùl', e\pliqua-L-il; on no doit ni me plus reconnaltro
:1\ oil' à en dire, Quoi qu'il ;asse, le maUre, c'est l'ennomi,
il fauL t ~ ro avec lui SUl' le pied do guurro ... ut d'une guerrr
Sclns merci.
De ces ronsid/1l'alions Léonce pURsa à l'tlogo Ile ln
nllchine qu'il avuiL il conduire:« une voiLure comme il l'~
�J.E CHATEAU D'OJ'.ÉlII11SE
1011
cn a pas doux sous la calotte des cieux ... si on me l'a
laisséé comme elle élroit, Mais ces choses·là, quand ça
change de main, ')1) ne sait pas ce que ça devient 1... »
Le brigr.dier ell profita pour s'informel' de ce qu'était
le chauITeur qui l'avait remplacé; ce qui amena Léonce ù
qu'il frIt de ses
déclarer avec un mépris sans pareil que, biel~
amis, il était obligé de reconnaître que cc garçoJl, a'lec sa
tête farcie d'idée nouvelles et de prétentions, n'ét.ait qu'un
diable de mécano paresseux, bon à rien, grand seigneur,
gourmand, impertinent; de ces serviteurs qui dégoûten~
les patrons et sabotent l'ouvrage. Et comme il prenait à
témoin Subrebie, Mme Subrebie et même la bonne de la
vérité de ce qu'il disait, lous, comme s'ils avaient eu des
secrets griefs contre celui dont on parlait, firent chorus'
avec Léonce.
Le brigadier sembljlit réOéchir. Il demanda si l'on p01Jvait lui faire le portrait do cet hl)rnffie. CÙ à quoi Léonco
50 prêta volontiers.
Mais la façon dont il décrivit ce chauff81 l' différait à tel
point do cc que trouvaient à en dire Subrebic,-W:"o Subrebie et même la bonne, qu'il s'éleva à r.o sujet des discus-,
sians ct qu'on ne puL jamais s'étendre. Malgré tout, on
t)LuiL arrivé il « tiror » de Léonce des l'enseignements précieux, comme, par oxomple, que la demoiselle descendue
au relais était riche, qu'clIo possédai!. une proprié lô
magnifique aux environs de Paris, plu3ieul's maisons ùan~
la capitale, CI) qui impressionna.
Subl'obie on prit occasion pour ropl'ochor encoro à sn
femme;
_ Tu vois ce quo tu me luisais faire ...
Ce qui amena Mmo Subrebie il riposLer :
_ Ça prouve que ceux qui veulent être logés dovraienb
monLrer des certiftcats, donner des références, comme les
domestiques, lorsqu'ils enLrent dans une maison. Alors
l'on saurait quelle qualité de respect on leur doit.
�LE OIATEAU n'OnÉMU SE
- Tout est à refaire dans ce vieux monde pourri, cria
Léonce, voilà ce que ça prouve.
Et Mmo Subrcbic, enchanlée d'être approuvée, comme
chaque fois qu'elle énonçait des théories avancées, répéta,
for t en train:
- Voilà ce que ça prouve!. ..
Mais le brigadier remit sur le tapis une question il
laquelle Léonce avait jusque-là négligé de répondre.
- Comment est le frère de la demoiselle et que fait-il?
- Ce qu'il faiL? 11 doit, à cette heure, coloniser cn
Argentine, répo ndit Léonce. C'est un petit monsieur gros,
court, sec, désagréable, nn de cos pince-sans-rire qui y
regardent de 'lout près et sont toujours disposés à couper
un liard non pas en quatre, mais en dix.
_. N'est-il pas, il peu près, do rfige de sa sœur?
- Ohl pour ça , non, monsieur le brigadier, je pense
qu'il complc au moins quinze ans de plus qu'olle. Ahl ne
mo parlez pAS de cet homme-là, vous mo ferioz meltro le
fou à t outes los Baslilles qui, do tous côtos, romplacent
l'ancienno, car do tous côtés, sans avoir ni tours ni crénéaux , il y en a des Bastilles, élcv6es par ces diables de
riches. No trouvoz-vous pas, Subrobie, qu'il yon a partout?
A quoi Subrobie répéLa, convaincu:
- P~rtou
... partout.
Mais Jo brigadior rovenanl au frèro de la domoisello
- la questioJl scmblaillui t enir au cœut' - demanda il
Léonce s'il élait sûr d es l'onsoignements qu'il venait de
donner, co qui amena Léonce à riposter sans se troubler:
- 11 Y a plus de vingt ans quo je suis omployé choz ces
g,ms-là : peusez à ce que j e sorais si je no les connaissais
pas.
Alor;; la con vers:üion ùevint générale. Subl'obie qui
tf'llnil à l:J. main son jOllrnal, demanda, on 10 brandissa nt,
si l'o n avait entendu parlo!' de l'arraire qui allait so jugel'
't (qui f<Jisail ùunf: le llIoment. un granù scand ale ».
�LE CHATEAV n'olltMU8E
105
Le brigadier et les gendarmes sc mirent à rire et décla'"O'lrent qu'ils espéraient que la justice sc montrerait sans
,(litié pour ceux qui tr{)ublaient ainsi l'ordre.
Léonce dit ignorer ce dont il était qucsLion; il fallut le:
lui expll({uer., tout. en fumant et en sirotant des petits
verres.
Il apprit ainsi que le jour de l'inauguration d'un comice
agricole, dam, ·.me sous-préfecture des environs de Paris,
alors que les autorités venaient de se réunir, à l'instant
même où lc président du comice - qui n'était autre quo.
le Ministre de l'Agriculturtt, - commençait un discour;;,
l'estrade officielle avait été prisc d'assaut par nnu bande
de jeunes fous hurlant: « Los plus beaux animaux, les
voilà, les voilà.!. .. A eux les primes, à eux le pompon!. .. »
Et aussitôt, avant qu'on eùt eu 10 temps de sc reconnaître,
su r les huiL reflt~
olllciels lurent piqués des drapeaux,
des fleurs artificielles, des banderillas, comme on met pour
décorer les boeufs gras, tandis que Slll' les habits noir&.
étaient déversées des poches de farine et de confetti. En
un clin d'œil la tribune prit, de ce rait, l'aspect d'un char
de carnaval.
II s'en était suivi une bagarre épouvantablo au milieu
de laquelle le président fut sérieusement atteint d'un coup
de poing r.méricain. Mais qui avait porté le coup? .. Un
ancien employé des postes révoqué pour délit de grève
accusait formellement un jeu ne châlelain des environs,
Edouard Chavet. Les camarades du jeune homme, au
contraire, déclaraient avoir vu l'ancien employé des postes
se l'uer sur Je ministre en disant:« Tu paieras pour tous!. .. »
Ce propos, le ministre aussi l'avait entendu, mais ne savait
auque ll'atlribuer. Quoi qu'il eH fût, la famillo du jeune
homme avait jugé prudent, jusqu'au moment où la lumière
serail faite, do le soustraire 0. la justice do son pays.
\( Mo is activement on le rochercha, venait de déclarer
10 bl'igaùH'l', et il est ùvident que LôL nu tard ... »
�106
LH CHATEAU U'ORRMUSC
Le brave Panùore complétait sa pensét', en mimanL le
geste d'un énergique tour de clé.
- Ce n'est pas crâne de se cacher, disait Mmo Subrebie;
s'il a porté le coup, il devr(!it ne pas faire retomber sa
faute sur ... l'employé.
- S'il ne l'a pas porté?.. . La justice esL rudement boiteuse au jour d'aujourd'hui et terriblement partiale, répondait Léonce, et il ne fait pas bon se trouver entre ses
pinces: ...
- Puis peut- être que le gars n'aimai t guère la prison
préventive , ajouta le brigadier.
- Du r este , tôt 0\1 tard on le pincera, cal' il aura l'année
prochaine à faire son service militaire.
- Comment, il es t si jeune? lU Mmo Subrebie, subitement attendrie.
- Des iùées p creill es nc peuvent vroil' qu'à des gamins,
ùit ser. tencip uscmcnt Lü nce.
Le, .iJl'igndim' mOl'dil sa moustache, r egul'da l'hori7.on et
<lécia ra d'un air do vague menace ~
- On les leur fcra passer, .io vous en réponds, on lac;
Jout' fara passor 1. ..
Léollco so mil a l'ire commo si ccLLe pensée l'enchantait.
De discussions 011 discUfsions le !.loir venait. Le jour
commençait à décroltre. On en fiL la rcmarque et Léonce
,,'6t imnt, hilill ant, annonça qu'il allait r eplU' tir ct so diriger vers Bayoune, où il ospC l'ail rencontrer ceux qu'il était
venu ehorcher au l'olais,
- Ils n'on t dOllC pas laissé d'adrc'sse?
- Qu,H1Ù OH part cn aulo on ne sait où l'on s'arrOte, il
peut so passer tant d e choses 1
- Au fait, ils auront peut- être télégr, phié à la poste.
- Si vous allioz y voir? proposa-t-o n il Luonce.
1'1 010 Subl'ebie so fùt réjouio d'un complémont d'informations, mai s Léonce riposlo, cyn ique :
- Oh 1 merci.. , Ah 1 ma foi non ... .1e suis trop conl~
�LE CHATEAU D'OnÈMU:$E
107
de pouvoir affirmer !.'ans menlir que je n'ai ni ord
~s;
ni
nouvellos el conserver ma liborté 1. ..
- On vous {laye donc vos frais de route? railla Subrü·
bie.
,
- Vous êtes encore il le demander aprè::; tout co que.
j'ai dépensé chez VOllS aujourd'hui! r6pliqua Léonce en
s'esclafIant.
- Quelluronl cria avec admiration Subrobie, en regardant le chauffeur qui s'en allait. Et dire que je cr0ve pOUl'
gagner quatre sous, et que ça vous a des uppointelllants
de colonel... que dis-je 1 de général...
- Los riches 'n'ont qu'à na pas avoir des autos, déclara
Mme Subrebie, avec une âpre jalousie, est-ce que j'en ai,
moi1 .. .
Puis, décidém enl priso d'une crise d'humeur, elle gronda ;
- Ah 1 ça, Subl'ebie, faudrait voir aussi il être servis,
nous 1. .. Faudmit l'assurer où ost la bonne ... Ah 1 celle-là
au moins-sc, elle est bien comma les aULl'0S cL si clic pouvait ...
- Ah! c'est VI".1i, la bonne ... En votre compagnie jo
l'oubliais, Messieurs ... oui, j'OUbliais la bonne ...
Et Subrebio, saluant le .. g.:ndal'mos, qui, eux aussi, la
i ol
ü purtir, courut à son
mine d6confiLe, sc di ~posa
devoiI'.
(;11.\.1' ['!'lU': À. Vi
VruilO~
Ol! oùt diL q~l'à
Colilo avuiL ûL0 laiss6e la SUl'veillanco d'un po~L
p6riUeux, à voir comment il monLu
la garde co jour:là auLour d'Cr6mnse al l'inqui6tudo <.le
ses va-el- vienL. 11 lui fallait êLre partout il. la fois eL il ne
quiLtaiL un point que pour couri!' à UII auLre.
PourLant, autour du vieux châLeau, rilm d'anormal ne
~o mbl(.iL
80 produiro, cl, sous le ciul d'un gris de plomb,
INl ll'Llvanx s'.! pOUI',;,lli\ ai 9nl COIllme d'habitudl!.
�108
LE CHATEAU n'OnÉMUSE
Malgré tout., cette journée sembla être pour Celse un
temps d'épreuve. Vers le soir, il paraissait se tranquilliser
lorsqu'en servant Je dîner, le petit valet Donatien annonça
que les gendarmes avaient passé une partie du jour au
relais, on ne savait pourquoi. A cette nouvelle Celse devint
livide et aussi bouleversé que si la maréchaussée s'était
dérangée pour lui, devenu criminel. La nuit s'annonçait
profonde. Il en fit tout à coup la remarque, s'en réjouissant comme d'un bienfait.
Il Mon frère, pensez-vous donc aller à l'aITût du blaireau?
- Il se peut.
Mesdemoiselles de Porlenbeau gémirent:
- Armez-vous d'une lanterne et laites-vous accompagner ... C'est elIrayant de penser que vous pouvez tirer
ainsi au jugé... parce que vous aurez entendu un peu do
bruit dans les feuilles.
- Vous pourriez tuer quelqu'un ... un voleur de haricots ...
- 11 n'aurait que co qu'il mériLe.
- Ohl mon frère! osL-ce vous qui parlez? Vraiment,
nous ne vous reconnaissons plu:;.
Celse Irémil. - Ainsi qu'Odet le fait pour lui-môme, Celse
on effot ne 50 reconnaiL pas. La remarque qu'il vient d'ontondro l'6nerve parce qu'elle lui prouve qu'il esL observé.
l'cu après il sortit; mais ses sœul'S pouvaient se rassurer:
s'il avait à la main une lanterne, il n'était armé quo d'un
bâLon.
Un grand trouble emplissait son âme; un immense
ehagrillio déLachaiL de eù qu'il avait uim6 jusque-là eL lUi
donnait la peur des joul's qui lui l'es Lait à passer sur III
terro.
qu'y laire ...
AmèrûmenL, il sc répétait: « EL m~intea,
qu'y J'aire? »
JI sa vuiL quo ril'n do consolant no pourrait jamaifl
l·upondre il. coLto question. ot quo là était pour lui 10 chû-
�109
timent d'avoir mis son bonheur dans un impossible rève.
'fête basse, front lourd, il suivait comme au hasard, un
sentier, oubliant peut-&tre pourquoi il était sorti.
Tout à coup, il se ressaisit. N'avaiL-ii donc à penser
qu'à lui-même? Perdait-il le souvenir d'une promesse,
taite par lui à une lemme en ces lermes : K Je réponds de
lui! Moi vivant, il n(' sera point touché il un cheveu de sa
lèto ... Je jure de le garder avec moi, près de moi tout le
,
temps qu'il raudra. l)
Ah! celle promesse, la seule qu'il pounail jamais faire,
la seule qu'il pourrait jamais lenir f. .. Car si cette femme
l'aime, peut-êlre comme un ami, elle en aime un autre
assez profondément pour avoir osé lui dire:« Puisqu'il
me faut partir, accompagnoz-moi! Failes-vous mon
défenseur et mon guide. 11 y a lrop longlemps que j'ai
peur ... que je souffre ... venez! »
Ah! co quo Celse aurait donno pOUl' qu'une tello preuve
de conflance lui eût été adressée!
IIéla!', ce n'esl pas à Celse qu'ello a été donnée, c'esl
à 80n {l'ore, cet Odet au nom do pago, co beau seignu~
emporté, violent, cet impulsif aux yeux d'escarboucle.
Sur le revers du chemin Celso s'est assit.
Il Mieux vaul qu'Odet ait été choisi. Il en serait morl de
chagrin. Moi je m'efforçerai do vivro. »
Pour 10 mOlllont Celso agonise .. . Où donc esl 10 beau
calme d'autre/ols, ce calme qui aidait ü la sérénité des
joUIs? Comment 10 retrouver après ce déchaînement de
passion qui no va peut-êtro laisser que ruines ot décombres?
- Ah 1 Thyra ... Thyra ... 'l'hyral. .. murmura-l-il.
Et il revoit los (loux yeux do la jeuno Olle, il croit
entend ['0 Jo son do sa voix ...
Ah! la pleurer sans lémoins, la pleurer à so briser le
~œur
loulo la nuit dans cc chemin solilnire, Iluelle amère
joh: 1..
�110
LE CHATEAU
n'onjMusE
:Mais t.out il coup s'entend un appel de 1rompe.
Cel
~e
tressaille comme un soldat. brusqu ement rappelé
à son dovoir.
lll:l'avance QC quelques pns, s'ufl'.}tc pour BeouLer. Tl
croit enfln percevoir un IJruiL léger, un frôlement dans un
chomin croux. Il murmure: tC Jls sont fous de monter pf\r
là.,. »
Le bruit se rapproche . CelEo fait donner par sa lanterne
un rapide jet do lumière et il voit arriver, phares éteints,
uno limousine. Léonce ost
volan l, et près de lui oont
Odot et. l'ancien chauffeur.
-- Dieu soit louél dit-il ri vec une umotion inexprimable.
On se rejoint, los mains se serro et l'ôw;ien chauffeur,
r()lui qui s'appelaillui-mC'me cc le second Léonce », déclaro
tl'l1no ',oix ûtQufïée en montr;lnt son homonyme:
- Sans lui j'étais pincé ... Noua Jl)ions dl'oi
~ nu l'ulai:j.
11 cunt imw Lri~cm
·nt : Mon signalornenL a ét\) cnvoyô
partout ... Pour venir jusqu'ici il nous a fallu user de rnse,q ...
J';, miollx tlerait d'abandonn ol' la JlILto; 'l'il yr.l n'en vout
pas domordl'o 1
Celso gravoment déclo.ra :
- Elle a raison de comptor sur llOUS.
- Jo crains de vous compromOttre inulilcmenl. ..
- Bn rouLe, n rouLo 1 ordonnl\ Odet, le moment n'ost
point de discutel'.
m, toujourl! pill'aroll 6Leints, 1I011r1ll, silen cieus glisra:ml
Jo long dos sonliol's 6tl'oits, le long des haies, l'auto fila,
ontro. dans 10 domaine d'Orérnuse, p3ssa devant los fermes
ndormics et s'arrûta devo.nt un local, qui, jadis, en ùos
temps fOl·L11U68, SOt'vaU do remise.
Colso l'n pl'iL la cler, Ica porles s'ouvrIrent. L':mLo fuL
garée. On ln luiss' il Léonce et les auLres se ùir:gôl'ent
vers 10. maison.
Mui.l Hn momlnl d'y ponôlrel', un mince filet de lumière
npparnis:;unL sous l'un des batlanls tlo la portü los orrèLn,
"u
p
,
�LE CH AT E AU D'OR ÉMUSE
. '111
- Si c'est Moutarde, nous sommes perdus! Jetez-vous
dans les massifs.
- Bah 1 Elle saura tô t ou tard .. .
- E lle ne saura rien, je ferai demain ce qu'il faudra
pour cela.
- Oh! mon Dieu, quel dér angement .. . à quoi dois·je
de vous voir si bons tous deux et tant risquer ?
Celse, comme Odet, aurait pu r épondre: u A notre
amour pour ell e... elle .. . Thyra 1. .. »
Et co fut ainsi, qu'à la question du jeune homme f il ne
fut fait aucune réponse.
Celse venait d'ouvrir la porto . Derrièr e, les demoiselles
de Portenbeau, un fl ambeau à la m ain, at t endaient, frémissantes.
- Mon frère, pouvez-vous nous expliquer ...
Celse alors pronant le fl ambeau et 10 tenant haut, mit'
l'étranger en pleine lumièr o.
- Mes IJccurs, <.l'nbord, par grace f parlons bas ... - Puis
il continua avec solonnit6 : - Cet 6Lranger e!:1 t pou l'suivi,
traqué... li risque d'être condamn6 p our un crim e qu'il n'a
pas commis ... 11 imploro de 1l0U
~ l'h ospilalit6 f accordonsla lui comme si souvenL les nôtros furent appelés à le faÎl'e
'11 tout Lemps ...
Les deux sœurs eurent le môme recul, le môme cri
d'horreur:
- Le cllUurrcul' do:; ùamos ct U l'clais 1. ..
- Mes sœurs, c'est llo!re hôte, qu'il vous sulH8e de le
voiJ'. 'l'out s'expliquera.
Alors, d'une rév6rence, eHes saluèl'üllt celui qui venait
demand er Il la vioille demeure co qu o jamais elle n'ava it.
refusé ; un asile conlro la pel'séculion.
�112
LE CHATEAU D'OREMUSE
CHAPITRE XVII
Dès lors Orémuse sembla s'isoler du reste du monde. Il s'y
passa des événements q\lÏ surprirent, comme par exemple,
Je renvoi un peu trop brusque du petit valet Donatien que
J'on croyait appelé à rester chez les Portenbeau jusqu'à son
temps de régiment, et surtout le départ de Moutarde.
u Comprenez-vous, criait la vieille femme toute en larmes
à ceux q\l'elle rencontrait sur la route le jour où elle s'en
alla, comprenez-vous qu'ils se sont réunis tous ... même les
pauvres demoiselles pour m'engager à me retirer chez moi
el prendro du ropos, moi qui les aurais voulu sorvir
jusqu'à mon dernier souffle, moi qui ne vivais que pour
ces enranLs, que j'ai vu nalLre. Ah 1 le pauvre défunL M.
de Porlenbeau et la pauvro défunte Madame, s'ils avaient
vu ce qui cc passe, ils auraient dit comme moi Q Los
enfants sont tellemen.t changés que c'est à croire qu'on los
a ensorcelés. »
On 10 crut un peu quand on apprit qu'à Orémuse on
prenaiL 10 premier chautTour qu'avaient eu les dames du
relais, non seulement pour remplacer DonaLien, mais
MouLardol
- CeL homme est donc cuisinier?
- FDul croire.
Bt chacun en son parLiculier - car onll'uimo pas énoncer
touL hauL de telles possibililés - sc disaiL dovant des fails
semblables, que Moularde n'avait pout-tilre pas tout
il fuil torL de croiro « ensorcolés» les enfants qu'elle aVl.1iL
vus naître. Un chauITeur pour faire la cuisine ... Ah 1 mes
amis ...
Une chose encore qui aUl'ait surpris davanlage, si la direcirice de la poste cûl consenti à le rév61er, c'6tait le
'Volumineux courrier que recevait la famille de Porlénbeau
�f,E CHATEAU D'ORÉMUS!!
113
depuIs le départ des dames du relais et l'empressement de
M. Odet à venir le chercher.
Chaque matin, Mlle Poché voyait se pencher au guichet
le visage aux grands traits du Cadot d'Orémuse. Une
anxiété er: adoucissait l'expression et dans ses yeux de feu
passaient des lueurs singulières.
« Pardon du déràngement que je vous cause, mademoisello. .. Vous serait-il possible do me dire s'il est arrivé
quelque chose pour nous? » demandait-il.
Milo Poché, de sa voix blanohe et morne, avec ce sourire do commaude qui, si tristement, étirait sns lèvres
blêmes, répondait que rien n'était plus facile. Et, avec une
gracieuse condescendance et des gestes mesurés, quelque
peu m6caniques, elle s'employait immédiatement au tri du
courrier. Mais il lui venait des distractions, tant lui semblait ardent et passionné, 10 regard qui, du guichet, suivait
ses mouvements.
C'est que chaque matin arrivait par le courrier, à
l'ad rosse d'Odet, une lettre toujours pareille: grande enveloppe doucoment parfumée, écriture hau laine et fière. Cet le
lettl'e élaïl évidemment, dans cc qu'il venait chercher, la
seule chose dont le Cadet d'Orémuso eût souci.
Cola sc devinait rien qu'à la façon dont il s'en saisissait,
dont il la regardait sitôt en sa possession. Ses yeux devenaient alors un peu fixes, son visage s'illuminait et il était
pris de distraclions à leI point qu'il lui arrivait de hourter
les gens pOUl' n'avoir pas noté leur présence el de s'doigner,
oubli[,nl une partie do SOIl courrier, ou bien de saluer
Mlle Poché, cc dont collo-ci souriait avoc commisération.
Que pensaiL do cetLe corrospond::mce Milo Poché à qui
MiliO Printanier avait fail les plus 6tranges communiqu'enferméo dans les limites du
calions? t~vicemn
seCl·oL profe"sionnel, elle gémissait sur la pPl'vorsité de
certaines créatures et plaignait ce Cadot d'Orémnse de
, s'êtro laissé cnvc.ùler par l'uno d'plies. Car Mllo Poché ne
8
�114
LE CHATZAU
D'ORtMUS~
conservait aucun doute sur 1« provenance de la lettre'
quotidienne. EH,; savait aussi bien que t'li elle l'avait lu, le
s sai~
au pauvro garçon entretenait
nom d9 celle qui l'adr,~
ainsi un sentiment qui n 'était autre que l'Amour, le grand
Amour, comme il n'yen a plus que dans les livres, 10
terre-à-terre de l'cxiotence, les nécessités materiello5,
empachant souvent, dans la réaliLé, cet essor do
l'&.me .
. Peut-êtro Mlle Poch6 sc disait-eUe, comme beaucoup
l'eussent dit à sa place: (f Ces femmes-là ont toutes les
chane~!
» Mais nul no l'aurait doviné. Pilffois, intention
nellemrnL ou par pur has ml, la receveuse glissaiL la lettre
sous les journaux. Odet n'o.pcrcevant qua les imprimés,
p;üissviL. li étaU, v;sit,le quo, dès lors, jusqu'au londemaln,
rien ne compterait pour lui et que dans sa vie un jour sans
lettre éLoit un jour perdu. Mais les journaux enlevés, la
lettre aIJ:>araissaiL ... Ah l r[ucHe rûtc 1
Mue Pochü, <ju'inL6rossaicnL les romans, survoilhit cotte
transformation uvee un sourire de tristesse IndulgenLù.
En possession du courrier, Odet partait la tôte haute,
la d6mnrche vi.:toricuse. II ors ville, au milieu du
chemin, il lisait sa IctlrIJ, il la r u JiD ~ liL et rion ne sembluiL
l'lUS exister pour lui que les lig-ncs qu'il av..tiL bOUS los youx.
Pds il repliait le (her papier, l'euformL\it dans son portefeuille contre SOli crou!' el remonLait v~rs
Orômuse. C'6tait
gén6r..tlcmcn t Celso q Il'il rûncontraitlo prcmier ; Coise aHe nt
depuis peu d'un mol inl.Jxplicablo, UCcouI'unL vers co qui,
chaque lw·.l in, lui ,·nto!lC{&.il lm poignard en plein crour.
1.0 viHagr do ,doul'eux et crellse d'nutunL plus quo c()lul de
son ead!'! rU;[llUldiH5Uil., il dcmHnùai~,
tremhlant : ~ VOliS
avez des nouvell es'? "
- Oui, une lùltl'e.
Parfois OdLL l'ouvrait, !\etto lelll'e, enlisait dOG paes~gc.
Pur[ois, CUfOllCO d::\JI5 CD que Htondhal appdlc « le silonco
du bonheur li • Hu'en disaiL Ii~n.
�115
On ne vous annonce r ir'n de .10Uyeo.u't
Presque toujours c'ulait la même réponse:
-- On nous adj ure ù'avoir de la patience,
- 11 est inutile de le recv mm ander,
- De ne pas nous rlécomager .
- Ohl qui tiC décourage'?
- Peut-être, à foree de sollicitations, ::u 'riveru-t-on au
résulLat déùé ...
-
-
Souhaitons· la.
- Ah 1 ou i, souhaitons- le, répétait Odet, comme un
hom me qu'un lourd fordoau écr ase et qui a::ipire à la délivrance ...
Et Cebe devinait l a raison do l'impati ence de son frère.
Ce fard eou enlevé c'ota
i~
la l'outo libre et sans dout.e
l'essor \ ers Lous hs bonheurs. Odet le Irtlssc.it entendra.
rl'ous les bonheurs 7
Et C~ilse
l'etombait SUl' lui-même, meurt.ri, blessé , doulourCl.!J'. Au contraire d'Odet, lui n'aVilit r ien à atlendre,
même plus l a possibilité de sc réjouir dl) la joie de son
frore, puisquo seule la pensée de cette joie lui urracllait le
crour,
Cc n'rst quo drTls les livres qu'on parvient du .io~r
au
lcndeml\in il considérer comme UM ivresse l'immo lat io n,
ln résignat ion, le sacrifice. Celse a vui Gl aisso mou , il' cn lui
trop de souvenirs avant d'arrivor à co d og r ~ d e pc;l'iection.
CIIA?ITRg XVII T
,
Moins abmlu, OdeL c.urait pu adouc il' à son frùro ct :).
scs sœurs une siLualion qui no scmhlaiL dovoÎl' nuit' d'Dne
mnl ière heureuse qua pour lui. MAi-;, ainsi que l a plupart
de ceux qu o la fortune semblo combler de ser; dons, Octel,
gr;s() pal' ces foveurs, hs occopt,,j t commo une ChORD due.
Le bonheur fait gouvcnL de l'homme hl m eilleur le plus
�LE CHATEAU
n'oRtMuSE
'impitoyable égoïste. - C'est ainsi qu'Odet aurait pu lir{l
à haute voix les lettres que si jalousement il cachait. Car
si on les lui adressait peut-être simplement, parce que l'on
avait pu se faire une idée de la violence de son caracLère,
ce qui rendait cette précaution nécessaire, la plupart de
ces lettres étaient collectives et s'adressaient surtout à
quelqu'un qui s:ms cesse y était nommé et dont uniquement
on se préoccupait.
« Pourrai-jo vous remercier jamais assez de ce que vous
laites Jlour mon Teddy, mes bons et excelle!lts amis, étaitil répété, en m'aidant à le soustrairo à un traitement
qu'aggrave une accusation inique? Le pauvre garçon est
si jeune 1 Je vous remercie de m'aidor à empêcher le poids
d'une folio de poser sur touto sa vio. Nous y arrivons,
'm ais comment m'acquitlerai- je onvers vous d'une telle
detto de reconnais,ance? Ma vie y suffira- t-cHe? »
A cette question Oùot se renzorgeait. Il savait, lui,
comment cette deUe serail payée. Il y pensait de nuit, do
jour ct, parce qu'il en était fou de bonheur, il lui
semblail quo son frère et ses soeurs no pouvaient que l'être
comme lui ol avoc lui.
Bientôl so lèvorait le jour où Odel amènorait il Or6muso"
toul ùe blanc vûtue, celle qui, \lM lIuit, s'était arrêtée il
Saint-PerBu~,
pareo quo cotte humble bourgarde
endormie sous lu lune à l'ombre de son clocher lui semblait
loin Je tout ol qu'ello so flattait d'y pouvoir mener à bien
de secrets desseins sans y exciler la curiosité. La pauvrO
voyageuse avait eu viLe la preuve que lCR humains sont,
partout portés à h rnéfwnco, aux tracasseries et qu'on a"
où que l'on oille, mil!es peines à se garel' de lours impor-'
luniL6s.
u Sans votre concours, roc's bons omis, disaient encore'
les lettres, sOl'ai-je parvenue à déjouer l:'lnt de malveillance? Jo ne le crois pas. D El sans c , ~se
Thyrn so plaisait
il rappeler chaque pha&o de son séjour au relais, pour en
�LE CHATEAU n'ORtMuSE
117
,revenir toujours à sa première rencontre avec le « Cadet
d'Orémuse ", alors qu'elle l'avait abordé le prenant pour
Celse. a Qu'il était donc furieux ce jour-là, cc Chevalier
au joli nom de page, et que sérait-il advenu de moi et de
tous mes secrels, si je ne m'étais immédiatemenl fiée à lui?
Et dire que c'est en voyant son dédain, sa violence, de
quelle façon il parlait en guerre ct frappait, jusqu'à
m'assourdir, sur son bonclier, que j'ai compris l'aide,l'appui,
le défenseur, bien plus, l'ami dévoué que je pouvais trouver en lui. La suite des événements m'a prouvé que je ne
m'étais point trompée. n Mais devant ces lettres au ton
badin et charmant que savent donner à leur style les
femmes de bonne éducation; devant ces lettres où les
choses semblaienl dites à demi-mol, el où le plus intéressant paraissail toujours cacM enLre les lignes; devant ces
lettres où ayant beaucoup à solliciter, beaucoup à. obtenir,
la jeune étrangère meUait toul son cœur, Odel demeurait
. ôtourdi et muet. So disant lui-môme homme de cape et
id'ôpée plutôt que de plume; écrire, et surtout écriro à. une
femmo qu'ontre toutes il voulait charmer, était pour lui
uno insurmontable difficulté. Il eût plus facilement risqué
sa vic pour cello qu'il adorait, qu'il n'aurait su, par écrit,
lui en faire la promesso. Celse y eût mieux réussi, màis
s'ôlait mis il l'écarl.
C'ôtait donc. Teddy n, le remplaçant ùo Léonce, celui que
les deux frèros appelaient en ri,ml leur prisonnier, qui
assumait la charge ùo cette corresponùance.
Malgré lout, lorsqu'Odet voyait sa propro adresso sur
l'enveloppe }Jarfumée, lersqu'illisait des phrases commo
celle-ci; « Patienco, patiwcc ... Nous viendrons à bout des
diflicult6s, nous triompherons ... II il ne pensait pas que la
jeune fille pouvait exprimer suulement son désil' de rotrouver une exislence exempte de folles inquiétudes ct de difficultés .. , il croyait y découvrir la cerlitudo que bienlôt,
dans un avenir que chu(Jue jour rendtit plus procho, 'l'hyra.
�118
LE CHATEAU O'ORÉr,IUSE
cette femme exquise, Thyra, cette créature exceptionnelle,
serait sienne €t voulait le lui faire espérer! Ah 1 comme
Orérnuse s illuminait, comme ia vio était bonne, était belle,
stail douce L.. Ce qu'il ressen t;il alors il i'eût exprimé dè
vi va voix avec fougue, emportemenl; il ne cherchait même
pas à l'éeril'o avel.: ffialadresslJ. S'ji 10 disait HU d ol, aux
arbres, à l'espace, la jeune fille n'cil dovait rien St voir,
Odot reculant peuréusoment devan L l'oHort qu'JI lui eül
fallu pour av?uer par leLtrl:l co qu'il éprouvait. - Beaucoup
d'hommes sont ainsi. Les femmos ,- su<,tout la femmo
aimée - adorenl r'opCnd!llll, sans cxCCp:iOll, les cOl'rcsponùawl"s scnLimclltnlus, y lrot t 'enl un ch:.lrroo particulier ...
Quant <:lUX demoiselles de POl'lCnÙl.)ilU, ello:; no voyaient
ncLterrlonl qu'une choso . 1'" Orûmuse on tenail (.11t;h6, n.o lo
lai,sull', sorti!' quo la Iluil, un homme que III po!i(;O rech())'chaü; un homme conlre lequel avaiL étü laneô un lll:mdat
d'<.lmf'ner, cl cul~
los faisait vivr" dans los LrO,1''I05 cL
J'('pouv,\ltlc, ..
Pui~
CI.) fut l'hiver, la vie ,lU coin du leu. la nei::,". le gol,
les frlmos. lis amenèront enfin une tiatr (iui scrnbli~
devoir
éL1'o décisivCl. DevuflllJ tl'ibunal tlo lu ",oine, l'atüire dito
du Comice agricole allait ôlru avp 1ée. Tllyra uttendalt no
jour il J'ôgaJ de celui de la liburl6 cl cn donnait r:ommo
l'Ulson Cju'à moins d'èLrc UJI mons ' rc, le véritable ogresjit'u l'
110 lais;( fO.it pas c(1l1d 1111TI(:I' un innur.rnt, 01, qu'au dcrniel'
momont il fi) tlénon.::crdt,
11 n'on fut J iUIl. 'J'oul ce que l'on put obtenir ful un !Jursi!>
pOlir sUPJlI~menL
d'inror,natiun,.
On avail cru voir lo ciel s'ouvI'ir, il sc l'CCel'mll. Cumbion
'le temp'; dUl'erait 00 sursis ... Nul ne le Huva ,t, On uvoit
beau 5e c1iI"1J quo cela v,dail I11j"11:' l'IlI'lIn jugement, il
�LE CHATEAU D'OI!ÉMUSE
semblait qu'on fftt à bouL d'endurance. Le présent se fit
lüurd, l'::.venir plein d'obs
~ uri
~és
.
Le pl'isonnicr rongeait :;on fr,in, ne tenait plus en place,
menaçaiLchaque matin de sa constituer vraiment prisonnier.
Devant celte menace, Celse et OueL r JdJ ub ,aL)IlL de vigilance ét Jes demoiselles de Porlenbeau cie te:Teur. Quelle
horrible aITaire si l'on venaiL ù sa voir que cel accusé,
partout l'echel'Ché, avait trouvé asile à Or~mu5e!
Qu'arriverait·il S'JI encourail pOl' la suite une condamnation à des
années d g prison? Faudrait·il donc le garder Lout cc
temps? La présence de cet 6iran~e
avait f.ait fuir d'Ol'é·
muse toutes les habitudes d'auLrefo;s . Autour de lJ. table
familiale, on ne s'asseyait plus qu'l'n trembl ,m L Car parfois le soir, volots b:urica lés et porte vcrr ,)uillécs, venait
y prendre place celu i que, pour l'avoil' vu en un rôle de
subalterno, ces pauvres demoiselles ne pouvaient. arri l'el' à
remet! re eu sail l'Jng.
Rnlre les deux sœurs ei les deux frères, cela entretenait
du désaccord.
Un jour elles os(:renL rliro ;
- Avant de se lan~e'
on de pareilles aventures on ne
saura it trop réfléchir.
Celse répondit avec son aulorile d'alné :
- Tuut a 6If: pesé.
- Nous ne F)nmmes plus des enfanls, ajouta Odet SUl'
lin ton qllÎ n'..tdmettait )J.JS de répliqua.
Avie7,'vouS vraiment prévu toutes les consé-
quenees?
CCI'Lainemont.
VOUfl n'on a vct. paf> ét6 f'fl'J'uyéR?
-- Non.
-- Nom; n'y avon~
l'ion vu d·olrl'ayant.
_, Hien d'I'(T, ayani, ~pmdF;
clip'uJ{1 Mairl tout on sem1>lable olTaire csL JaiL pour épouvlUltcr,
.
Les frères lHHlSSÙl'lJllL les ép~u.c
-
- .E:t
�120
LE CHATEA U D'OnÉ MU S E
- Enfb OÙ allons-nous? gémissaient-c; les , que pensezvous trouver à la fin de pareilles épreuves?
Odet regarda ses sœurs, riant de surprise. Comment,
elles n'avaient point encore compris qu'il all ait trouver.:
lui, « à la fin de tout cela ". le bonheur .. . et que cela valait
de leur part quelque sacrifice? Il ne se sou cia nullementl
de les initier à C9 qu'elles ne savaient pas. D'ailleurs, dans
leur éla t d'esprit, les projets d'Odet, puisqu'elles n'ont pas
su les deviner, )'isqu aient d'être mal accueillis. Il laissa à
Celse la tâche d'expliquer ce qu'il attendait de la vic;
mais ce pauvre alné ne so senlant pas encore la force d'una
communication de cette importance , les demoi selles de Portenb eau restèrent dans leur ignorance et leurs inquiétudes.
A Saint-Pierl'e-en-Baiiso , tout au cont r aire, il semblait
'lu e l'on commençât à avoir des soupço'ns. L'attitud e peurellse des pau vres demoiselles d'Orémuso se dérobant lorsqu'on cherchait b. leur ad r es ~ r la par ole, était faite lJour
éveiU er ces soupçons. L'heure approchai t évidemment
d'une crise.
Thyra elle- même s'en montra it anxieuso. et plus pres santes, plus suppliantes élaienl S'S leUres.
« Ah 1 gardez -lo-moi ... sauv('z-le, sauvez- le ... J 'ai la
ferme confiance que toul s'::.rrangera ; mais il y a encoro
de mauvais moment s à passer,., Ah 1 IntI> bon:, amis, quo
deviendrions-nous sans vou s 1. .. »
Co ln:J ti n-là Odet descend ait comme d'habitude pour
chercher le courrier.
A l' ~n tl' ée de Sainl-Pi erre-en- naiise ,le Dt Prinlan ier, un
journrll Il la main, paraissn ill'al.lendre.
- Que p rnflcz - vous de ceci ? fit -il en tendanl un journal.
P âliss 'w t déjà, Odet se sais.t de la reuille. Une dépêche
annonç:lit l'horrible acci denl d'automobil e dont vonuil
ù' ûlru vicli mc le Ministr e de l'Agriculture, 10 môme CJll i
inaugur,lit le Comice agri cole lol'syu.) la bnndo deR jeune,:;
gws avait plis d'assaut l'estrado .
�121
I.E CHATEAU D'ORÊMUSE
Au Dr Printanier aussi avaient dû être confiées bien des
choses, car la voix étouITée, Odet lui demanda:
- Qu'en concluez-vous?
- La mort entraîne toujours des changements.
- Vous croyez que cela pourrait être la I1n ?
- Oui.
- Que Dieu vous entendu 1
Et, trébuchant comme un homme ivro Odet s'en fut il
la poste demander le courrier.
'
Mais il out beau rogarder, attendre, ohercher sous les
journaux, ce jour-là il n'y eut pas de lettre ...
Il ne devait y en avoir ni le lendemain, ni 10 surlendemain, ni les jours suivants ...
L'aITroux accident où le ministro avait trouvé la mort
défrayait toutes les conver3utions, romp lissait les colonnes
des journaux. On en pranait occasion pour l'appelor l'aOairc
du Comice agricole, et railler la polico et ses recherches
restées inutiles.
Le prisonnier s'atTolait et d'auLant plus que dans maintes
feuilles il releva des propos dans 10 genro de ceux-ci :
( Quand on a la lâcheté do prondre les gens par surprise et
de les frapper alors qu'ils sont suns défense, il n'est pas
éLonnanL qu'on ait aussi la lâcheL6 de so dérober au châtimenl. .. » « Edouard Chavet, était-il dit autre part, si tu
n'es pas un lâche, je te somme da te montrer ...
Le jeune homme n'ét<Jlt point un lâche ot Celse ct Odet
curent, une fois de plus, bien de la peine il l'empêcher de
le prouvor.
Enlln al'l'iva uno dépêche laconique: a Esp6rons, Thym.)).
m ce fut un baume, un apaisoment pour les impa1ionces.
Mais quelques jours so passèrent encore sans nouvelle::;
ct l'on recommençait à d6scsp6ror, lorsqu'une autre
ùépêche arriva, parLant co seul mot: « Victoire 1
Victoire ? .. De ce mot magique on trouva l'explication
)l
)1
�122
LE CBATJ'.Atl D'OR~MUSE
dans un orticle marqué d'nn trnit ::m nl'ayon bleu, que
contenait un journal.
Sous la rulJrique : Un joli geste, il y était conté qU'<1prè~
de nombreusfs solli.citaLions, Mlle Cha . . . et avait pu enfin
parvenir jusqu'à Mme X, .. , la veuvp. du mil~re.
Elles
élaient restées fort longtemps encemble et l'ien de cc qUi
avait été dit, durant cet mLret.i cn, n'avait transpiré. Cependant on pouvait d'ores cl déjà affirmer que Mlle ChaveL
avait obtenu la ce~'Salion
des poursuÎLos conlre son frére
ct la grâce dl) ceux qui avaifmL été compromis en cette
afbire.
Mme À ... avait tenu il honorer la mémoire de son mari
par cc geste ùe clémence, par ce pardon.
D'autre part, il était publié une lotlre par laquelle l'employé qui, pOUl' as' ouvir une basse vengeance, avaiL fJ'appé
l'homme d'ÉLat de co coup de poing am(lti~n,
puis
avait laissé aCCUS01' le jeune ChaveL, s'avouajt enfin coupable, mflinLenonL qu'il éLait SlJr de l'impuni L6. Le journal
croy<lit pouvoir olUrmer· que n:mli d'uno forte somme
offorte en r merciemenLs pr>r Milo Chavel, ccL hom~
pas~âL
à l'éLr(1nger.
Ces nouvelles 6LaienL-elles prémaLurées ? .. Non, sans
doute, car Mllo Poché Cl'Ill ti'Net' quand, deux jours aprol,
une nouvelle d~J1êche
arrivo portant ceLte suscription;
" MonsieUl' Edouurd ChavoL, au châLeau d'Ol'6muso »
(c Envoyez Léonr,e avec aulomobile à la gare ct soye/:
Lous au relais vers trois hour(\<;. ']'u os li br\J , je viens te
c1lCrcher. Thyra. n
CIIAPJ'J'RB XX
Ah 1 ce jour 1...
Celse qui n'a voit pas dormi de la nuiL, se leva, s'orrorçant li tire:
�LE CHATJ;i\U n'ORÉMUSE
123
« Il ml sera prouvé aujourd'hui si je sais avoir de l'empi:'e sur moi-môme )), fi ,-il courageusement.
11 parai 'sait, en effet, plein d'{)nergia, tandis qu\/det;
t l'ès pâle, no ressemblait gn{'ro à Ull homme devant qui
vont s'ouvrir les portes du bonheur. Parce que le dernier
mot de cOLte corl'(spondance, la dépêcho ·qui en paraissait
la conclusion, ne lui ét,.it point adressée, il se sentait froid
au cœur, il tremblait, asseill! des plus noirs pressentiments.
11 a b.nt souhaité c.JrGvoir ... et maintenant il le redoule
il l'égal d'uno cuLastroplte,
Dans celte dép êche, 'l'hyra visibloTt, cnL n'a ppnsé qu':'.t
son frère, à cc TedtJy qu'elle aime jusqu'à la folie. ({ Je
t'emmèno ... ))
C'était une prisa de possession aprôs laquelle rien no
sembluit devoir résister, AI;f.tÏt-olle donc p1ssor comme un
de lui parler longuement,
mét60re, sans qu'il soit pos~ible
Je lui lout diro?
Odet l'évolt6 fut sur le point d'ul'ol' avec Léonoe seul
dsns J'automobile jusqu'à la guru, Pui$, PauLo survenant,
lu pOI'libre ouverte, 11 nosa plus y montc'r. N'uvait-ellc
pus écrit; « Soyez Lous il LI'oÎl, hourl!s devant 10 relais»,
sans faÎl'o d'oxccptÏ>m pour lui? Ji :;cr,ti~
au l'oluj<; comme
les autres.
ClIAP1TIŒ XXI
11 Y ful, EL 'l'hyr<l arriva, plus bello et plu..; touchante
pur III joio tondro de son rog..trd. Muis, hélas 1 cHe ne semblvÏl avoir d'youx quo pOUl' son frGro ...
Mmo Prin lanier la vit sauler de voilure pour tomber
avoc oITU! ion dans les bl'as do l'ancien chatd'Cour, 01. clio
apprit aussitôt de son m3ri toule l"llisLoiru. J.t.:llo en élait
ù s'écritr : (1 Comment il Or6musc, 011 u lnit ... on a pu
faire,., on a 086 ••• , qni l'aurait Cl'U ... qui so 8ef,üt jamais
�LE CHATEAU D'ORdMUSE
imaginé 1.. . » Elle en levait encore les bras au ciel que déjà
l'auto s'ébranlait, repartant.
' Thyra était passée ... Thyra disparaissait comme Odet
l'a redouté, ainsi qu'un météore.
Debout, immobiles, telles deux statues , les deux frères
de Portenbeau regardaient fIXement les traces de la voiture .
Tl C'est fini ... », murmura Odet dans un sanglot.
Celse l'entendit et s'éveilla comme d'un rêve.
« C'est fini 1 » répéta Odet.
Et tant de désespoir était dans sa voix, que Celse répondit aussitôt:
- Pourquoi serait-ce fini?
- Parce que je le sens, nt l'autre, la voix brisée.
LenLement, courbés tous deux, soudain vieillis, ils reprirent épaule contre épaule le chemin d 'Orémuse.
- C'est fini 1 répétait Odet.
- Je lui écrirai, disait l'autre.
En elIet, Celse écrivit. En une longue épilre, il dit à la
jeune étrangère ce qu'éprouvait pour elle Odet. 11 le fit
d'aulant mieux que sa leUre était un double cri de souffrance.
La réponse se nt attendre. Lorsqu'elle arriva, cn exceptant co qu'ello conl.onait de remerciements eL d'actions de
grâce, clle pouvait se résumer Cl coci : " Mes bons amis,
nous suivons, hôlas 1 des routes difl6rcntrs, et jo suis loin
de pouvoir partager la tranquilliLé dont vous jouissoz à
OrOmuse. Je ne m'appartiens pas assez du reste pour avoir
10 droit de penser à 111oi. J'ai cru comprendre souvent que
mon dévouement passionné pour Teddy vous surpl'enait
commo une exagération. Mais songez quo lorsqu'en deuil
de notre pèro nous eûmes à pleurer sur un nouveau cercueil, j'ôtais assez grande d6jà pour accepter, en comprenant tous les dovoirs qu'il mïmposait, Je legs suprême do
mu cMr\) morto. Ma pauvro maman agonisanto m'a fait
�LE CHATEAU n'OnÉMUSE
125
jurer de la remplacer près de mon frère - toujours, quoi
qu'il advienne. Puis-je manquer à mon serment? Je ne
m'appartiens pas. Que Dieu me pardonne si à mon attitude
vous avez pu l'un et l'autre vous méprendre, et pardonnezmoi vous aussi ... Étais-je bien moi-même lorsque j'étais
parmi YOUS ? .. Je c::,ois avoir vécu à Saint-Pierre·en-Baiise
les instants les plus angoissants de ma vie 1. ..
« Quand vous passerez devant le r elais, pensez il. celle
qui un jour s'y arrêta comme un oiseau de passage battu
par la tourmente, à celle qui ne veut pas, malgr.) tout,
être oubliée de vous. li
- Ah 1 je le disais bien, c'est fini 1 murmura Odet.
- C'est fmi... répéta son frère.
Et pour la première fois, parlant au pluriel, il ajouta '
très bas: (( Armons-nous de courage 1 li
Alors, avec le même égarement dans les yeux, ils regardèrent autour d'eux surpris; après la tempête qui a bouloversé leur âme, de retrouver Or6muso, son parc, l'horizon, les lointains, tout en place, si pareil :'1 ton jours.
f~lait·ce
feulement pour les avoir oubiérs quïls trouvaient
à ces choses cot aspecL morne et glacé?
Au loin, l'ophicléide de l'employé des contributions martelaiL en mesure un accompagnement, qui semblait destiné!
il. portel' quelque pauvre diable on terre; 10 forgoron tapait
sur son ellclume comme s'il clouait un cercueil; des charrottes passaient, cahotantes, avec des g6missemonts d'essieux.
L'horloge du vieux clocher do Sainl-Pierre-en-Baiise,
tinta lentoment dans le calma engourdissant de co jour
sans lumière. Elle semblait :- plus triste et plus lasse dire au monde que lourdo, brèvo, joyeuse ou déchirante,
il faut quo l'heure pa2se et qu'on la vive ...
FIN
�:JI'I' ,ni; 1 ilili Il. 111111 ''l'C. ill II! al' il a, 1 ~ i :.G wIl m. DI'1 Clr; iQ' n i ' i ! ~li!:f
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C~l!;diGI
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ET SON SECRET
par
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CHAPI THE PRE MIER
C'ét:üL par une bl'umeuse et mélancolique roatinée
d'automne. Un pâle soleil dorait les feuillages roussis du
Luxûmbourg-, où la chute des feuilles parsemait les allées
.de tâches jaunes ct brunes, cL la tristesse des choses qui
'se rneul',mL semblait avoir, par delà 10 jardin, endeuillé
la ville grisû et maussade.
A la fenêtre d' un pe lil appal'temunt do la rUl .~ de Vaugirard, une femme d'une cinquantuÎl10 d'o.nnées ôtait.
ôlondue sur une heise longue. La têLe enCouie dans UII
ol'e;lIol', le corps recouvert d'ulle couverture sur laq uelle
s'a llongcaicnl de longues mainsilnos ut dL) phaucs, ell e laissait
errer son regard, vif encor e, sU!' l os hau teE.> frond::l.Îsons.
DM préoccupation pénible paraissoÎL la h<lntcr :
-Ma pauvre enfant ! mur mura-t-cHe Lout à coup. Que
va-t-I3110 devenir?
~ [lt.,
Oll enLendit grincer le loquût de la porte,
A cc mo
que quoIqu'uT! ouvrait <l:,ec précaution:
_ Qu'e:>L-ce que Lu dl ~, maman?
C'élaiL une grund c, svdlo cl. brune jeun'J nUe, au teint
mal., aux: LraiLs délicaLs, aux gl'J.nd~
yeux Hoirs, profonds
cL d OllX.
La malade LourD') pén!bleme,nL la LûLo :
_ lien, ma cherie. VIOns ru omryl'J.s~
L 'l ''l'tlcieuse enffJnL s'av~ n
ç r. \, SO UCI 'JUSO, portant avec
i'ré~aulQ
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EXClUSIVITÉ HACHETIE
Extrait de la liste des
Volumes déjà parus:
CONAN DOYLE
Aventures de Sberlock Hol.
mes.
Nouvelles Aventure. de
Sberlock Holme ••
Souvenirs de Sherlock Hol·
meG.
Nouveaux Exploita de Sher.
lock Holme •.
Résurrection de Sherlock
Holme •.
Sherlock Holmes triomphe.
SAPPER
Le Capitaine Drummond.
E.-W. HORNUNG
Un Cambrioleur amateur :
Raffles.
Le Masque noir (Av~n/u"
,.
de RaUles).
Le Voleur de nuit (Derni~m
o v~ nlurfs
de Ra/f/es).
M. CONSTANTIN-WEYEr>.
Vers l'Ouest.
CHRISTIAN DE CATERS
Le Maléfice de Java.
Ln Sauterelle Améthyste.
CAMILLE PERT
La Petite Cady.
"[2]
Chaquo
Volum .
3
FR.
50
ALBERT BONNEAU
La marQue du Léopard.
Le Désert aux cent mirages.
ANDRÉ ARMANDY
le Maître du Torrent.
RUDYARD KIPLING
Contes oe l'Inde
CHARLES FOLEY
Kowa la mystérieuse.
C.-J. CUTCLIFFE HYNE
Kate Meredith.
ARTHUR MILLS
Serpent Blanc.
ARTHUR MORRISON
la griffe de Martin
Hewitt.
L'Étrange Aventun du
"Nicobar u.
L 'Heure révélatrice.
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H. G. WELLS
La Poudre rose.
J. JACQUIN ET A. FABRE
Les5crimes de M. Tapinois.
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TOU DOUZE
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." , .................................................................... i2I
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Bouvet , Marie-Louise (1869-1954)
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Le château d'Orémuse : roman
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impr.1933
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The nature or genre of the resource
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��TERRE INCONNUE
Cag-e d.êset'tc, qu'astu fuit de <ton bel
oiséau qui chantait '1
(Anaïs 8Ëo ILAS.)
-
Baron, devinez le cadeau mag.nifique que j'offl'e à mon
ms? ..
- Je croyais, madame, que vous aviez Lout faü pour
Bernard en UéCO~Jlat
pour lui ta. plus délicieuse des riancées,
c\:st -à-clire wuLes les SOUl'ces de télieités et de ùonaeur....
Los félicités, le bonheur, -c'cst parfait 1. .. L'on n'en vil
pas. J'y ajouLe du tm're à tene, c'esL !e cas uele dire 1. ..
Oevinez, barOîl, devinez?
- Vous oarez aux j unos époux une auLo ? .. .
- G !'ands dieux, on leu!' en donne irois !.. .
- Que de chevaux!... EL diI'o que tant de gens vont à
pil'u !... On fait à moins deuévolutions ...
- Allons, allons, Chel'dleJ', dflvinez? ...
- J o,.) n'aJ jamai.'i été perspicace eL j~ vou,> aY.Que humblomont. que la cthl'losUé ;8J.;hève ùe "l'tmloyel' mes Il),oy.ens. De
lJotl'e Lendresse pour votre fils, de voOtl'O OUlur, de votl'e
imaginaLion, j'aLLends toujours de l'invl'aisomblable, de l'imPossible 1•• ,
- CommenL dois-je prondre ce LLe rôpons ~? ... Je cl'ois y
voir un blâme. Vous m'avoz toujours reproché de trop gâLel'
Bernard ...
- Laissons ce vieux stl j at do <luerolles. Abl'ügez plutôt mon
supplice. Ma c'lJ'iosiLé el moi sommes SOI' le grill ...
- J'ai acheté pOllI' ,m on fils une pl' priélé ...
- Gl'Unds dieux 1... Qu'a clone J'aiL le pauYI' gru'çon pour
s'atLirel' un pal' il châtiment, qui dépasse en horreur Lout co
qlle je pouvais imagine/' ? ...
�6
TERRE INCONN UE
- Avez-vous dit en horreur ? ..
- Je l'ai dit ...
- Vous plaignez Bernard ?
- Affreusement ...
- Baron 1...
- Madam e? ..
- Moi qui m'atten dais à recevoir de vous des félicitations!. ..
- Des félicitations, alors que vous donnez à volre fils ce
qui va faire de lui le plus ennuyeux des hommes ? ..
- Je ne comprends pas ...
- En admetta nt qu'il vive sur cette proprié té, ce qui
n'est pas prouvé, il ne parlera plus que fumier, défrich ement,
phosphates, superphosphates, labour, déchaumage, que saisje ? .. Un joli avenir que vous préparez à cette ravissa nle el
si mondaine Mlle Arlette Féro!... D'ailleurs, la vie
à la campagne n'esl pas ... mais pas du tout dans les goûts de
Bernard 1. ..
- Prétend riez-vo us les connaître mieux que moi ? ..
- L'amou r materne l rend parfois mauvais juge ...
- Bernard adore la chasse: la pêche, le grand air, l'azur,
l'espace ; il sera en paradis 1. ..
- Acceptons-en l'augure. Et ce paradis , où donc esl-il
situé? ...
- Entre Biarritz el Pau ...
- Ch'constance aLLénuanle 1. .. Bernard sera toujours chez
ses voisins. Vous auriez aussi bien pu lui acheter un chalet
au bord de la mer ... une villa au pays d'Henri IV ...
- Le rhumat isme vous tracass e-t-il aujourd 'hui, baron?
Votre humeur est massacrante 1... Mon fils sanra, croyez-le,
justeme nt appréci er le don que je lui fais: cent hectare s d'un
seul tenant ...
- Cent hectares 1. .. Par ce temps de main-d 'rouvre introuvable J...
- Cent hectare s entoura nt un chll.teau ...
- Un chll.teau 1. ..
- lIistoriq ue mêmo.
- Il ne manqua il plus que cela J...
- Jeanne d'Albret, un soir, au temps des guerres do religion, s'y arrêta" . mieux y coucha ...
- Jeanne d'Albret ? ... Ma bonne madam e, nous voilà
remont ant au déluge 1. ..
�TERRE INCONNUE
7
- Non pas l... née en 1528 de Henri d'Albret, roi de la
Navarre et du Béarn, et de Marguerite, sœur de François 1er ,
fut mariée en 1548 à Antoine de Bourbon, duc de Vendôme ...
introduisit le calvinisme en ... Vous voyez, je suis trés calée grâce à mon dictionnaire.
- Ah 1 cette demeure, je ia vois d'ici 1... déclama le baron,
sans paraître autrement impressionné par ce cours d'histoire,
des murs à lézardes, des toits inaccessibles où pas un charpentier ne consent à grimper pour remettre une ardoise, des
girouettes rouillées qui grincent au moindre souffle leurs
plaintes déchirantes, des lierres envahissants, habitacle de
choueLtes, de fouines, de chats-huants et autres bêtes l ... Et
les jours d'orage, il faut avoir vu cela: des gouttières partout 1
Alors s'en suit l'affolement et des courses exécutées par tous
les habitants du château, y compris les inviLés, - s'il en est
dans cette galère, - apportant, pour parer aux averses, qui
son tub, qui s.a cuvette, qui son bain de pieds, son seau de
toilette, qui son ...
- Baron, de la prudence 1... Dans l'état d'exaltation où vous
YOUS trouvez, je prévois que vous allez tomber dans le
mauvais goût 1...
Sans noter l'interruption, le baron poursuivit, de plus en
plus animé:
- Je les connais ces habitations datant des siècles passés 1•••
Manque total de confort 1... Des vent-coulis aux portes, aux
fenêtres 1... Pas d'eau. Il faut l'aller puiser à la rivière, à
quelques IdlomOtres de là, cahin-caha, une heure aller, un
heure retour, pour en rapporter un cruchon 1... Adieu, la
douche, le bain. Lo débarbouillage devient hebdomadaire, la
crasse est à l'ordre du jour 1...
- Baron 1•••
- Je les connais, ces cheminées immenses où l'on brûle des
al'bres entiers; si l'on est rôti par devant, on l'es Le gelé par
derrière 1... « Fermez ia porLe, » est-on Loujours on train de
crier à ceux qui surviennent. La porte est fermée. C'est alors
le tirage qu'exige le feu immense, le brasier dos arbres entiers,
qui YOUS glace los reins, le dos, la nuquo, et si on le supprimo
en clouant partout des boulTeleLs, c'est la fumée, l'horriblo
fumée, et l'on risque de périr asphyxié comme renard pris au
torrier 1. ..
- Baron 1...
�TERRE INCONNUE
- Pas d'électricité 1. .. des couloirs où l'on a vance à tâtons,
des souffies violenis éteignant les bougIes 1... C'est le triomphe
dela lanterne-tempête 1... On se prend à en bénir l'inventeur !...
Ainsi peut-on avec peine braver ces vents qui pleurent, ces
vents qui mugissent! ... Et l'hi ver lugnbre dans la campagne
vide, loin de tout... les journées courtes, les nuits longues,
ce goulIre de profondeur et de silence où l'on s'enfonce avec
aux oreilles, à force de n'.e.ntrendre rien, de tels bourdonnements
qu'on en est étourdi...
- Baron, vous me faites peUl'! ...
- Madame, revendezoeshectar.es ot ce château ! ... N'alou)'dissez pas de tant de terre et de cailloux la corbeille de noces
de vos si modernes enfants 1... Bernard vous en remerciera ...
Bemal'd vous en bénÎl'a ... Bernard vous ...
- Baron,si vous ne m'avouez à l'instant être complètement
malade et ne faites ainsi appel à rr.on indulgence, je vous
affirme que do ce que vous me dites, je me fâche tout
rouge !... Comment! vous m'avez cent mille rois reproché de
faire ode mon fils un oisf~
vous avez à ce sujet débüé maintes
belles phl'ases sur les devoÏl's ÙOS hautes classes, SUI' le tort
qu'elles ont de déserter la terre, de vivre dans l'isoloment
ainsi que dans une tour d'ivoire, loin du peuplo, loin des
paysans ... et patati... et patata ... Je cherche à metLI'c en
pratique vos théories eL. .. voilà!. ..
Le bail'on, d'un geste qui lui esi coutumier en ses insLants de
perplexi1iJ, promène le bout deson Index sur l'art'tede son np,z.
- Chère madame, il est imprudent ici-bas de lout accepter
argont comptant 1... Il on est de certaines iMes belles, de
certaines idées rafles comme de ces bibolots précieux qu i
g;:.gnont à être considérés sous vitl'lnes. Toute notre admiration leur est acquise, mais leur mise en pratique on est
impossible, tant est grande JeUl' fl'agilité. Si je vous ai dit
cola on un moment d'enthousiasmo, c'ost que j'étais le joud,
d'un de ces phûnomènos de sU'l'gestion qui Cont qu'à cerlaines
heures, en politique commo en :11'1., tous nnoncont la mÎ:mo
idée 1... A écc,uLOI' cet ensemhle pariait, on pput cl'oire la
véJ'Ï.té en marche 1... Hélas j ce n'est qu'un artitle-joul'nul
ampoulé et SODOl'e qu'un las de gogos ont app!'Îs pal' OlOUI' f'L
l'épètent à l'unissoJ}. ..
-Quel aveu 1. .. Et moi qui suis sans cosso ùisposéo à cri,i I·t]
en vos diros comme à paroles ù' J~]vangile
1. ..
�TERRE INCONNUE
9
- Quelle imprudence 1••• UÉvangile est d'essence divine et
je l1e suis qu'un chétif être humain 1... En plus, il est de ces
-expériences qu'en toute sagesse il vaut mieux regarder :faire
aux autres que de réserver aux siens. D'ailleurs, Bernard
n'est pas l'homme de telles conceptions et surtout de ... leur
mise en pratique!. .. Il n'a rien du pionnier 1 du novateur, du
défricheur de terres incultes~
or, vos cent hectares doivent
êLre de celles-là. Je le vois mieux marchant sur le boulevard
que sur les sillons, en y faisant le geste auguste du semeur 1...
Je le vois mieux se couohant au peLit jour après une nuit de
fête que levé de grand maLinpoUl' s'a~ure
que le blé pousse 1•• ,
Je le vois attendanL du riel lapJuie de cailles roUes que
vous lui avez toujours promise, plutôt que cherchant à
faire face à la moindre difficulté. A qui la faute? Sinon à
cette coupable faiblesse, ne vous en déplaise, qui vous a fait
aplanit· à votre gros garçon les chemins de la vie jusqu'à Jes
lui rendre fastidIeux à force d'être faciles; jusqu'à lui persuader qu'il est un personnage d'exoeption ayant droit sans
peine, sans JuUo, sans effort, à tout ce qui vaut ici-bas la
peine de vivre 1•••
pour mon pauvre enfantl ...
- Toujours s~vèl'e
- Raillez, riez 1. .. continua le baron s'animant, Bernard aime Paris. Il y a son -cercle, ses amis, ses habiLudes,
Bernard aime le théâtre, que dis-je, tous les Lhéât.res, potits
et grands, subventionnés et auLl'es; je vous réponds, ma
chère dame, qu'il ne lroCftlora point ses bonnes soiré s pOUl'
des pantoufles et le coin du fou" fût-il de la plus antique des
cheminées ...
- Bernard se marie. Tout va changer ...
- Qui vous l'assure 1... Qui vous dit que l'aventure où
vous l'embarquez : le plus délicieux des mariages, fcra
de lui le plus délicie ux des maris ? ... Iilt vous préLendl'iez
ajouter à un loI chang menL de vie la préoccupaLion consLante quo vonL être oes conL hcctal'os, le soucis de trouvor
quI les cuiLivcra, le Lr'acas q~le
sera l'enlreLien de ce châleau,
le morLel ennui de cetto vio oénobitique, de cetto vie do
char'1reux en pleine soliLude; la terre ... les arbr1os ... 10 cir'l?
Chère madame, je 110 reconnais plus en cela voLre pel'spicacilé habituoile 1. ..
- Baron, il ne sora pas soul...
- Nous y void 1... EL qui vous assllro que sa femme
�10
TERRE
INCONNUE
accepte ra l'exil? '" Car elle aussi, la délicieuse Mlle Férol,
que vous le vouliez ou non, aura à ce momen t voix au
chapitre et voix prépond 6rante, si je ne m'y trompe !. ..
Or, j'estime qu'avec ces petites femmes aux allures de
garçon s: cheveux COUI'ts, nuque rasée, jupes aux genoux
sans le moindre souci de la d ~ cen,
- si j'ose user de ce
mot désuet, - avec l'air de décision, de savoir si parfaite menL où elles vont, dont elles arpente nt les rues et prennen t
d'assau t les trottoir s, les frappan t d'un talon vainque ur,
comme d'un argume nt sans répliqu e; j'estime , dis-je que
nous sommes en face d'nne force qui ne demand e que l'occasion
de manifes ter au grand jour sa toute-p uissanc e. Et je répète
au grand jour, car dans les ténèbre s, dans le secret des
ténèbre s, quel est celui de nous qui ne connaît toutes les
défaites ? Et devant cette force, nous, pau vres homme s,
serons 6trange ment désarm és; on nous donnera du fil à
retordre ...
- Voilà qui ne causera pas grand souci à Bernard , raiUa
la mère. Et elle ajouta avec orgueil ; il est si jeune 1...
- Heu 1 heu 1 ne vous illusionnez pas ... la trentain e
passée ...
- Si beau 1
- Un peu gras... trop douillettemenL élevé 1. .. Cela porte
à l'égoïsm e. Les femmes n'aimen t pas l'égoïsme ...
- Ta, ta, ta, votre sévériLé m'amus e et je sais ce qu'en
vaut l'aune, n'en discutons pas 1... fil-elle coquett e. Puis, le
visage durci, olle conclut neLtemenl ; Bernard saura se faire
aImer et aussi craindr o, eL surtout obéir 1... je dis bien :
o bé ir 1...
- Oh 1 oh 1. .. oh 1. .. nous 10 verrons à l'œuvre ot rira
bien qui ri ra le dernier 1. .. répondi t le baron avec une petite
toux qui, il. elle seule, étaiL uno dénégaLion.
_ Bernard tient à ses idées ...
_ Avec vous, chère amie 1. .. ArIeLLe l'en fera revenir !' ..
_ Arlette obéira ... elle oMira, vous dis-je.
_ Comme nt, déjà? .. vous voilà toule crêLée conlre celle
délicieuse enfant pour ces quelques suppositions que je vions
de me permet tre 1 Que sera-ce plus tard? Il faut soigner coLLe
tendanc e à l'émotiv ité. y céder serait, vous, une Cemme
exquise, justiner cc qu'on diL des bolles-m ères 1. ..
- El puis après lout, lis se d6brouilloronl 1... Et ce sera
�TERRE INCONNUE
11
l'afIaire, que dis-je, le devoir d'Arlette de savoir garder
son mari, l'amuser, le conquérir, l'encourager à ... à ...
- A faire de l'agriculture? n'y comptez pas. Par principe,
[es femmes en sont ennemies. Cet homme qui rentre des
champs avec de gros souliers cloutés, boueux, sentant le suif
et l'étable, cet homme portant ces vêtements de velours dont
vous ignorez certainement l'abominable odeur, cet homme qui
finit par se négliger, neplusseraser, neleurditrienquivaille! ...
- Je ne reconnais pas mon Bernard en ce triste portrait
et n'y retrouve qu'une nouvelle manifestation de votre esprit
chagrin, mon bon ami 1. .. Arlette comprendra qu'il faut que
son mari travaille, qu'il faut du blé pour laire du pain, des
veaux pour mettre à la broche, des amïs pour les omelettes,
des poulets pour les fricassées, des dindons, des canards.
La vie est si chére 1. .. Ainsi, à y parer, il emploiera des
capitaux qu'on se demande comment placer par le temps qui
court, où toutes les valeurs d6gringolent, car vraiment on ne
sail plus à quel saint so voueJ' pour ne pas perdre son avoir.
Arlette le comprendra, vous dis-je, ot ... en acceptera les
conséquences l,.,
- Par devoir si ce n'est par plaisir 1. .. La vieille morale,
ma chère damo, la vioille morale 1: .. Vous l'eussiez fait, vous,
parce que vous aviez d'admirables et longs cheveux.. . Les
cheveux courts en ont rappelé 1.. . A passer chaque semaine
chez « Figaro », la femme prend une mentalité détestable! ...
Vous n'ignorez pas que « nul ne connaît mieux que Beaumarchais
l'arL d'exciter les passions' en les amusant.. . »
- Vous tairez-vous, vilain prophète de malheur? .. Qu'avezvous aujourd'hui contre moi pOUl' me taquiner de la sorte?
QU'avez-vous rail durant votre voyago pOUl' nous rovonir
ainsi bourré d'amertune et en révolte contro legenre humain ?...
- Rien d'intéressant 1. .. Le monde est partout pareil ; les
hommes trop crédules quand ils no sont pas grotesques; les
femmes coquottos et perfldos, et d'autant plus qu'elles sonL
moins voilées; los mères toujours trop faibles, ignorantes du
mal et aussi inexpOrimentées qu'au lendemain de Jeur
baptême, la vie ne leur a rien appris; Jes flaneéos... ah 1
celles-là, par exemple ...
- Baron, je vous défends de les juger 1... Que savez-vous
d'elles, du resle? .. Tenez, vous me faliguez avec vos propos
d'alTI' ux célibataire.
�12
TERRE INCONNUE
Debout. devant la cheminée où il s'adossait, le baron eut
tin geste de protestation.
- Hé!". Hé! ... Madame, commença - t-il vivement, puis
changeant de ton, comme s'il malLl'isai t un peu d'ém.otion, il
finit: il eut sufTi d'un seul mot pour que je ne le sois ,plus 1. ..
l'appelez-vous? .. Ce mot ne fut pas dit ...
Elle eut un petit rire, un haussement d'épaules. D'un geste
précieux., elle tapota les plis de son « tea-gown )).
- Vous y pensez encore? railla-t-elle .
- J'y pense sans cesse et pour ... le regretter, répondit-il.
Sur le « bonheur du jour )), près du fauteuil où la dame
était al>sise, d'un cornet de cristal une rose s'eITeuilIa.
- Pauvre rose 1. .. soupira-t-elle.
.
- Ainsi tout finit 1... murmura le baron .
Et ce fut, entre eux, du silence.
Mme Jules Brjey, habitait depuis plus d'un quart de siècle,
un entJ;esol, rue du Faubourg-Saint-Honoré, presque en face
de l'Élysée.
Devenue veuve après quelques années de mariage, de
santé fort délicate depuis, surtout, la naissance de son fis
Bernard, elle s'était entendu recommander pal' les médecins
- elle en consultait hQauooup 1 - « de ne jamais sortir les
jours de mau vais temps, de n'être jamais dehors après le
coucher du soleil )).
Peu à peu, celle double obligation s'était muée en habitude,
et chaque soir, invariablement, à cinq heures en hivor. à six
heures en été, le coupû de gl'anele l'emise loué au mois, toujours la même voiture, menée toujours pur le même
.cocher, - la ramenait ohez elle.
Aussitôt, Vincent, le maître d'hôtel, à tête de lord anglais,
lequel avec sa femme Véronique servait Mme Briey depuis
son veuvage, voyant finir l'emploi de valet de pied qu'il
tenait aux Ileures de sortie, qlJi ttait la Jon,gue lévi~e,
eldos~
sai t l'habiL et prenai t la gardo à la porte d'en trée.
De son côté, Véronique s'empressait alltour de la table à
thé, qu'ornaient de l'argenterie, des crisLaux multicolores,
des friandises de toutes sortes eL onfin des violeltes, la fleul'
préférée de la damo du lieu.
Elle-même allssi, en llâto, avait quiLté ce qu'ello appelait
oses alTreux vô'tomenls de ville)) ot revêtu bine de ces robes
(( '1 nl6I'ÎeuI', « fiou », claires et décoratives, qU'elle vouJai L
�TEtinE
INcolnl UE
13
d'une forme toute personnelle, à traîne- à longs plis souples,
qui la parait d'une grâce un peu théâtrale.
Ainsi vêtue, prête, «fin prête, » comme disait Véronique, MJlle Briey passait au salon et s'installait dans une bel'~
gère moelleuse, à contl·a-jour, près du petit meuble ancien
Sur lequel venait d~ s'elYeuiller la roso.
Alors, distraitement, polissant un ongle ternl, elle attendait
ses habitués : lm cercle charmant, un groupe d'élection
choisi dans l'hnmensitè du monde .
La bouillotte chantait Sur la table à thé. Les lampes
s'allumaient sous les plafonniers et les abat-jour disposés
savamment pour dispenser sans dommage aux beautés finissantes, à colles résistant encore, la clarté des impitoyables
ampoules.
SUI' le drap vert des tables de bridge, cartes et jetons
attendaient prêts à la bataille.
Vincent commençait à ouvril' la porte, à la refol'mer, à
l'ouvrir encore ...
Les Élus entraient, sans que jamais le strident appel de ia
sonnette, pl'enant Vincent en défaut, ne troublât la paix du
lieu.
Et c'était l'apparition de femmes charmantes, élégantes, un
peu sur le retonr, mais le cachant si bien; d'hommes de mùme
qualilé, de même 6poque, que po sédait un égal souci d'oublior If' passage du l1?mps, de parer à ses ravages.
Dès l'abol·d, avec la poignée de main, reprenaient 10 on~
vel'SaLions de la veille. Les questions succédaienl aux queslions. Celle-ci était sur toutes ks lèvres :« Qu'av· it-on
bien pu raire depuis qu'on ne s'ètait vu? » Les ril' discrets
accueillaient les réponses plus ou moins vrais mblabl 'S, plus
ou moins fanlaisistes; les mots aigllis "s, les sailli s drôlettes
voltigeaient de-ci, de-là... C'était de la gaieté, do la belle
humour, comme la manifeslation du grand bonheur prouvé
par tous, d se retrou VOl' en ces Houx en ore une foi réunis.
Et chacun, aussitôt, de reprendre St'S ai es : son tM, son
bridJ.:f', ses jeux d"spriL.
Mince danssaclairc robe d'int ~l'ieur,cofTé
comme au temps
do sa vingtième annéo : -h veux r levés, floconneux, blancs,
comme poudrés, front cl ouvert, a croche-cœurs légers dissimulant les tempes, av c son visage' un Jl u f"it, la fralclloUl'
facUc de ses joues, ses sourcils noil's, ses yeux brillants, et
�TERRE INCONNUE
sa bouche mélancolique, on eut dit, de la mallresse de céans,
un Perronneau descendu de son cadre.
Le décor lui-même était hors du temps. Mais il appartenait, hélas, à cette époque où le goût perverti préférait à
tous les styles des meubles lourds, sans bois visibles l Je pouf,
le crapaud, le fauteuil en reps, en satin jaune, vert, rouge
:trdent, ornés de franges, de clous dorés, de « capitons». Ce
devait être vers 1895 que cet achat avait dÎt être fait ...
- Or, parlez à maman de moderniser son sulon, son appartement, vous verrez ce qu'eUe vous répondra! - disait Bernard.
En efTet, Mme Briey tenait à ce mobilier acheté lors de
son mariage, à ces tentures, portières, penLes, baldaquins,
ces tapis jetés sur d'autres tapis qlli ouataient le logis et
entretenaient toujours la même tempéraLure attiédie, délicieuse, imprégnée en toutes saisons du parfum (les violettes.
Mme Briey est fidèle à ces fauLeuils matelassés dont on se
moque, à ces canapés encombrants qu'ornent des coussins si
vieillots avec leurs dessus de broderies, de dentelles, leurs
« glands», leurs « macarons ». Elle aime ces slores, ces brisebise qui délivrent des curiosités d'en face el si bi en isolent
des laideurs de la rue. Elle tient surtout à scs bibelots, tous
rappelant un nom, évoquant une image. - Tant d'amis
charmants passèrent en son salon, qui un jour emportés par
Lout ce qui sépare, un départ, la morL ... n'y devaient plus
revenlI' ...
A retrouver ces choses fragiles, alors que, lasse de lecture,
elle laisse errer ses regards autour d'elle, Mme Briey recrée
l'ambiance des temps anciens, ressuscite des heures qui lui
semblent d'hier ...
- Ma chère dame, ce que vous faiLes est détesLable. Vous
n'agiriez pa!' autrement si vous preniez à Lâche de vous rendre
malade 1 gronde le baron Jorsqu'illa surprend en ces songeries.
Qu'elle aime ces l'eproches 1... Elle les sent venir d'un cœur
qui, elle le sait, fut toujours à elie ...
Eh oui 1 « un mot qui no fut pas prononcé " les séllura ...
Co moL, pouvait-olle le dire avec sa trislo santé, cel état
maladif qui a rondu sa vie si précaire? ... Lui aurait pu s'en
consoler ? .. Non, il est là, regreLtant, toujours fldole, si tendre,
si attentionné, et elle le sent si bien, il y sera ... jusqu'à la
fin.
�TERRE INCONNUE
15
Jusqu'à la fin? ..
Elle frissonne et se sent froid, comme lorsque la hante le
pressentiment de sa mort prochaine.
- Cher et si parfait ami, se répète-t-eile.
Elle le regarde avec tendresse.
Mais lui ne voit rien, ne veut rien voir aujourd'hui.
- Il est dans ses mauvais jours 1. .. conclut-elle.
Le baron voyagoait au loin. A coups de télégrammes, de
téléphone, vite, viLe, elle vient de le rappeler. Ne doiL-il pas
être le témoin de Bernard, no doit-il pal; assister au mariage?
Un événement de ceUe importance pourrait-il avoir lieu sans
lui? .. C'eû tété impossible ...
Souvent elle avait dit :
- Je souhaite marier Bernard ... je me sens d'âge à devenir
grand'mère ...
Peut-être, en parlant ainsi, était-elle moins convaincue de
la venue de cette vocation qu'elle no voulait le para1Lre.
Et voilà que la destinée l'a prise ail mot. L'événement survient, surprenant, inopiné, apportant son cortège d'émotions,
de préparatifs, de nouveautés, bouleversant les habitudes,
effrayant jusqu'aux intimes, qui espacent jusqu'à leurs visitos
habituelles.
- Quand on marie son fils, on a tant à faire! objecte
l'un.
- Nous n'aurons pas la cruauté de vous déranger en ce
moment...
- Après ... après la noce' s'écrie un troisième.
- Quand les violons sc sel:ont tus ...
Et voilà que depuis si longtemps qu'elle vivait hors du
monde, olle est 'ontrainte d'y faire ulle brusque rentrée, de
s'occuper des détails auxquels olle ne pensai t plus: de mot! e,
de toilottes, d'ossayages. Il lui faut harmoniser les chapeaux
du jour à son antique coiffure, ses bolles fourrures à la ligno
dOl'lllère. Elle vi vait un peu comme en rêve; la réalité la ressaisit.
Il lui est nécossaire de Cairo de nouvelles connaissances, de
traiter avec dos inconnus de graves questions d'intérêt, alors
qu'aux affaires elle n'a jamais J'ion enLendu et qu'en la moindro
discussion elle croit d6couvrir LIU blessant manquode confiance.
Elle trollvo le contact rudo et le « doux et deux font quatro >l
des questions d'urgont manquant do courtoisie.
�t6
TE!RRn INCONN-OE
En ces régions si différentes de sa vie habituelle, elle
s'avanc'e dêsemparée et si to1lalmnent ignorante de ce qui s'y
dit et de ce qui s'y fait qu'elle est prise de la crainte d'avoit'
des « mères aussi
été visée par le baron I01'.Squ'il a parl~
inexpérimentées qu'au lendemain de leur baptême ".
Et CEr ne sont pas les propos ailés de ses intimes qui l'auraient pu cuirasser d'expérience. De ces leçons, s'ils en
reçurent, et qui n'en reçoit pas? ils se monlrent volontairement oublieox. D'ailleurs, l'expérience, à quoi sert-eU1'l? .A
broyor du noir? L'humanité est-elle si méchante qu'il faille
toujours s'armer C'ontre elle? Pourquoi de parti pris considérer Jes choses avec pessimisme alors qu'il est si doux de le~
imaginer, accourant de l'avenir, diaprées, comme Jes ailes des
beaux papillons?
- Enfin, baron, quand Bernard sera marié, j'aurai. atteint
la fin de ma tâche! soupire-l-elle après un silence.
- Péuh! qui vous en répond ?La vie réserve tant de surprises r
La c·orrversation tombe, puis reprend. Il y a tant à dire SUL'
les infinis détails qu'entraine un mal'Îage ...
EUe, objecte la dépense.
Lui, r.i poste:
- Une médecine à avalerl. ..
Elle, toujours confiante, 1I1i, toujonrs sceplique, échangent
demandes et réponses. Mais ni l'un ni l'autre n'osent plu~
aborder Je sujet que fut entre enx l'achat de la propriété, de
ce château historiquo, achetés SUl' la foi de descriptions et de
photographios peut-être menteuses.
Mme Briey pensait, avec son indulgence coutumière:
- Non, vraiment, on n'aurait pas eu le triste courage d'abuser ainsi de moi 1. ..
Le baron songeait:
- JI n'y a que les timides pour avoir ainsi, tout à coup, de
cos initiatives eliarantos 1
_ Pourvu que je ne me sois pas trompée moi-même ...
poursuivait 1\1 me Briey, do plus en plus tourmentée.
_ Diou seul sai t en quoI pétrin l'on allfa fourré cetLe pau~re
femmo 1 01', ce n'esl pas Bernard qui l'ên tirera ... si mou ... si
floltanL. .. si fl5.nelll' ... conclut de son côté le baron.
Mais l'êLI'o ainsi contraints do garder secl'ète leur pensée
met entre eux comme tlfle gône. Et pour la dissiper, ils eusn~
été heureux de voir' ontrer quelques intimes.
�TERRE mCOI'HfUE
1'7
Personne ne vient.
- Non, décidément, la période que nous traversons. les
épouvante 1. .. Et sous prétexte. de me laisser à ll1e&dev{)irs de
mère, ils m'abandonnent tous 1 Il n'y a (;Jue \lons, baron, qui...
- Oh 1 moi, j'ai toujQU1'S ell toutes. les aud-aces:l .• intel'rompit-il brusquement.
- Enfin, Bernard va être heureux, c'est l'essentiel , soupire:t-elle.
- Heur.eux ... Sait-on jamais? Les hom~s
sont si bêtes 1...
Elle eut. voulu protesLer, défendre haut· et ferme son fIls. A
pas mien", parattIle Ife rien enten{!re? .•
quoi bon? Ne valit~
~.
€e sera, en tous cas, bien amusant d'être' grand'mère, de
voir trottant ici partout de gentils bébéS J. ..
- Quand cela sera, ils casseront vos chers bibelots et ...
VOliS' vous en désolerez!.. ..
- Mon Dieu 1 qu'il est donc intraitable aujourd'hui', le
pauvre vieil ami! ... Qu'a-t-il?
Elle n'osa cependant le lui demander, ni le railler de ces
nouveaux méchants propos, bien qu'ils fussent vraiment et
de plus en plus « d'un a11reux: célibatail'e )).
On ne soupire pas .en vain parce qu'une rose s'e~
effeuillée,
on ne s'abandonne pas en vain à de tendres J1etolll's vers le
passé.
II
Ils formaient un curieux ensemble, pareilloment vêLus de
toile bleue, tenues de travail diffél'enciant à peine de Lorme,
pareillement coi fiés de cheveux courts dont les mèchos s'obstinaient à 1 eLomber sur les tempes, et que, d'un pareil coup
de main, ils relevaient - effort inu tile du resto, car, aumoindre
mouvemenL, les mèches retombaient.
Anxieux, ils se Lenaient pen Ms sur l'avant d'une auto
dont le capot soulevé laissaH apercevoir les entrailles.
- Où croyez-vous que cela soit? ... disait-eUo.
- Ahl si je le savais ... gémissait-il.
- V xant tout do même! ... C'est au moins la cenL dou.
zième panne depuis notre départ de Paris 1... Joli voyago, en
Vérité 1. ..
-
Cent douzième? ... vous exagél'cz ...
Et dire que mes amies envient pout-rtre mon sorll .••
�-
18
-
TERRE INCONNUE
Pauv!'rs peti~s
1. .. Si elles savaient comme le rêve esl loin de
la réalité 1. ..
- Vous ôtes dure, Al'lette 1. ..
- Aussi, mon cher, pourquoi m'entratnez-vous en <:(:s
-régiostclaenfh?~_AC'O
quellOus SQ m m es
dans la lune 1. .. Pas un chal ... Pas une âme ... Pas une fumée,
au loin ... Ricn ... rien ...
Cette fin de journée élait magnifique. Le vent soufflai t du
midi en ra raIes chaudes. Les lointains semblaient proches,
on en distinguait jusqu'au moindre détail. Le mois d'octobre
en Béarn a des splendeurs que l'on ne retrouve nulle part, avec
ses rutilantes teintes d'aulomne, son ciel d'un bleu profond,
ses couchers de soleil éblouissants.
E.ltre doux rangées d'arbres, la route s'enfuyait, droile,
unie, sans poussière, merveilleuso piste allant de Bayonne
à Perpignan.
Et, ironie du sort, là, au hOI'cl du Cossé, pauvre chose
démontée, gisait l'auto, la « cond\·ile intérieure Il ùans Laquelle
le couple voyageait depuis Paris 1. ..
- Quello sotte idéo 1. .. Et que les hom mes se font des ilLusions sur toutes choses et plus encore sur eux-mêmes! gl'OlllmeIait la jeune femme. Quo je regrette de n'avoir pas suivi
le conseil de maman 1. ..
- Oh! voll'e mère ...
- Oui ,de n'a voir pas pris, unehonne fois,Ialimousine et Oeiel' ...
- Ahl Ogie!' ...
- Mais vous n'avez pas voulu J. ..
- Je n'aime pas Les liers ...
- Vous pr(;férez le charmant tête-à-tête que nous avons rn
ce moment ? .. Vous n'êtes pas difficile 1.,.
- Puis Ogier est l'homme de confiance de votre mère. JI
auraIt eu l'ordre de s'arrôter à chaque hureau de poste pour
envoyer des nouvelles 1••• Nous n'aurions jamain él{· ... " enfin
seuls D ...
- Solitude enviable!. .. Perclus SUI' un coin de route, ayanl
tout à envier, nH'me la l'ouloUo du boh{'mien qui l1l'apparaiL
pour t'instant le comble du confortable ...
Avec la petite clé qu'ollo avait à la main, olle vél'Îfia nn
écrou, tapola avec impatience plus loin. ici et là.
Enfin, se relevanl, le sourcil froncé, oUe s'~cria,
vraiment
courroucée ;
�TERRE INCONNUE
19
- Je pensais bien que vous n'aviez pas voulu d'Ogier parce
que vous preniez au sérieux la plaisanterie de papa; ~ Mon
chauffeur, c'est la police secrète de ma femme 1. .. » Pauvre
chère maman, qui se gênait en nous offrant Ogier 1. •. Sacri"
fiez-vous pour vos enfants 1. .. Il lui eut fallu prendre un remplaçant ou renoncer à sortir en auto, et voilà comment après
trois semaines de mariage, vous jugez votre belle-mère, Bernard 1 Cela nous promot des jours heureux 1. ..
Penaud, lui, se mit à toussoter.
- Avec Ogier et la limousine, nos bagages derrière la voilure, nos bagages avec nous enfin, c'eût été le voyage rêvé 1. ..
Au lieu de cela, vous choisissez la« conduite intérieure ...
deux places, Paùl et Virginie sous le bananier . .. les pannes ...
les bagages fllant en chemin de fer en avant ... A toutes les
gares, dépêches, téléphone, pour les ramener à grande vitesse
en arrière si l'on veut. a voi ria possibili té de changer de linge 1...
Ah! la, la, la, la, la, la, la 1... Et quand on pense que cela
s'appello « vivre sa vie » , comme le disent les romanciers, et
qu'ils laissent croire que c'est amusant et qu'il y a des imbéciles, sur la foi des traités, qui pleurent toutes leurs larmes
parce qu'ils n'ont pas l'occasion d'en faire autant 1 conclutelle, le regardant de travers.
Il toussota encore.
- Ah ça 1••• Bernard, dites quelque chose? Décidez, inventez,
trouvez, découvrez n'importe quoI... Croyez-vous que je vals
consen lir à coucher à la belle étoile? ..
- Il faudrai t. .. Il faudrait.. . bégayait-il. Et ses yeux déjà
ronds ot un peu globuleux s'al'rondissaient encoro. Il faudrait,
oui, il faudrait - et un effarement visible se peignait sur sa
face rasée, fraîche et colorée d'homme trop bien portant - il
faUdrait évidemment, il faudrait. ...
Et maintenant, il soufflait, tournait, virait sur place et se
roprenalt à considéror de très près les entrailles de la machine,
de très près, car il était très myope.
- Merci toujours du renseignementI ... Nous voilà bien
avancés 1. .. Faites ce quo vous voudrez, vous no découvrlroz
p us ou' est le mal.
- Mals sil ... Ayez de la patienco, il faudrait ... il auraiL
fallu ...
- En effet, il aurait fallu, quand on entreprend une randonnée Comme la nôtre qui ost « un embarquemont pOUl'
l)
�20
TERRE
INCONNUIl
Cythère », il aurait fallu s'assurer de quelques connaissances
en mécanique 1.. . Anons je le vois bien, le pIns simpfa est quo
je me fourre là-dassous ...
- Oh 1 ma chériè ...
- Ce n'est pas le moment de me donner des noms d'oiseaux ...
La fin do la phrase, - s'rI y en eut une, - ne dut être
entendue que des fourmis, - s'il en était, - accomplissant
le\!l's petites besognes souterraines à l'ombre de 19. voiture.
Comme une anguille, la jeune femme s'était glissée entre les
roueS et l'on ne voyait plus d'elle que deux jambes flnes gan.tées de soie « abricot )1 et deux petits souliers dont les talons
étalent très Loujs XV et les pointes agl'essives.
- Arllltte ... je suis dl3solé ... navré .. .
- Ça ne fait rien ... remettez-vous! .. .
- Qu'est-ce que vous voyez! ...
- En tapotant, j'ai fait Lomber un petit caillou ... j'enlève
aussi de la boue ... on a indignement nettoyé l'auto au garage ...
il faudra vous plaindre, y regarder ... j'huile partout et"après,
npaS t.entel'oIlIl de démarrer ... Sinon, à la grâce de 1)ieu 1... Je
vais à la prochaine gare et vous ne me voyez plu~
...
- Ohl je n'ai pas envie de rire !...
- Et moi donc 1... Croye1- bien, mon bQn ami. ..
- De grâoej ne m'appelez pas (( mon bon ami »... Je Qrois
entendre la voix de ... de mU belle-mère!.,.
Et toujours sous la voiture; la jeune femme de protoster :
- Salgnez~voJs
aux quatre veines pour mariol' vos filles! ...
Ajoutez, confianle, à la tabla do famille, le couvert d!un
inconnu, lequol aspire, on faisn~
dos youx; moul'anis, à devenir votre gendre, pour qu'il VOlIS réserve ensuite de sem~
blables ingratitudes 1. .. J o redis encoro une fois que cc que je
fais, je n'aurais pas ou à le faire si. ..
- Et moi, Lrès cMI'e, j'allègue pour ma défense quc l'on
ne pense pas il. touL et que j'êLuis ... bien excusable ... Souvene9;-VOUS de nos fiançailles ...
position où Jo mO
- ÉLoquence perdl\e 1... En la tri~o
trollve on ce moment, je ne comprends rion, n'entends rien,
ne 010 souviens de l'ion ...
Il se tut.
.
La route filait droite, parallèle à deux lignes de coteaux
�TERRE INCONN UE
21
presque d'égale hauLeur, les uns situés au nord, les autres au
midi, limitan t durant des kilomèt res, comme d'un dovbJe
rempar t, la belle vallée du Gave .
A j'extrém ité ouest de ces colliIws, au point {lÙ eU~s
6GIIlblaient sc rejoindr e à l'horizo n, le soleil dispara issait, incendiait Je paysago, meUan t des crêtes de reu au somme t des
arbres, empour prant des flotilles de peLîtes nuées mouton nant
sur le ciel d'un bleu profond.
Le spectacle était incomp arable. Le jeune homme n'y
voyait ceponda nt que la nuit approch ant, tandis que tr.afnait
en longueur cette maudite l'épa4'ation de machine .
- Avez-vous bientôL fini? risqua- t-il timidem ent.
En petite Lempêto, lui parvint la réponse :
- Croyez-vous que c'est pour mon plaisir que je reste Jà-dessous? La terre est dure... Il pleut des gouttes noires ...
Eh bien! où allez-vo us?
Brusqu ement, Bernard venait de s'éloign er en jetant ce cri
<le triomp he;
- Enfin, quoIqu'un 1. ..
Et aussitôt , ce furent des exclama tions comme au momen t
des heureuses rencontl'es, des allées et venues et Al'leLte vit
t'evenü' pré;; de la voiture non plus deux pieds, mais quatre ...
Elle roconnut les souliers lcIcajou de son épOlllL Mais à qui
([{lOC pOllvaient apparte nir les auLI'es? Dos brodequ
ins oloulés
il la mode paysann e.
Barnard somblai t exulter.
Une voix joyellso aussi lui donnait la réplique.
- Que faitos-v ous, Briey, en ces parages'? .. Je ne vous
aurai Jamais reconnu en cet aecoutr ement ...
- La panne, mon capitain e, la fâcheuse panno .. . je répare ...
- lIé, Bernard 1. .. Ne conron lez pas auwul' avec alentou r 1
cria une voix qui sembla partir du sol.
-On pado ... dit le nouveau venu.
- C'est mon chaulleul' 1...
- Votre chaulle ul'? ..
- Oui, regarde z ...
H ouL désigner sa fomme, car l'autro s'écria, sulIoqué :
- Briey, voyons 1 Qu'ost- ce que cela 'Vout dire? ..
- Rien quo de três n.ormal... mariés depuis trois semaines ...
la pleine lune de miol...
- Et vous laissez votJ'e remme ... vous consentez à la voir
�22
TERRE INCONNUE
cette voiture ? .. Mon ami, vous êtes le dernier des misérables 1
- Attrape 1 nt Arlette du fond de sa cachette.
Bernard, de son côté, protestait;
- Mon capitaine, regardez-moi! Je ne puis m'infiltrer en
un si petit espace ...
- Le fait est que vous avez enforci, mon bon, depuis que
je vous apprenais l'art d'être soldat ... là-bas au dépôt 1. . •
Vous aviez la tête dure et pas du tout l'amour dl,l métier ...
fichues aptitudes! ...
- C'est le seul souvenir que vous ayez conservé de moi ? ..
- Et aussi que vous étiez un brave type, le cœur sur la
main 1... Mais il ne faudrait pas exagérer ceLLe belle prestance 1. .. Pour le moment, « ça fait riche" ... mais l'excès en
tout esL un défaut 1...
- Attrape encore 1. .. marmotta Arlette à qui venait la.
curiosité de connaître cc capitaine qui si bien s'amusait de
son mari.
Et sa besogne finie sans doute, d'un glissement souple, d'un
brusque l'établissement, elle nt une réapparition en pleine
lumière.
Le capitaine se découvrit, regardant curieusement cet
apprenti mécanicien en bas cc abricot", cheveux en désordre
et toile bleue. Mais la métamorphoso no se fit pas attendre.
Nouveau Frégoli, Arlette quittait son déguisement, redevenait
elle-même, défroissait d'un revers de main sa courte robe de
drap beige, remeUait d'aplomb le sweater namboyant, lequel,
en ces exercices, s'était quelque peu déplacé, et rappelaiL
définitivement à l'ordre los mêches rebollos en les emprisonnant sous un petit casque en feutl'e do mômo teinte que la
robo. Puis vito, hors du sac, la mignonno glace, la boîte à
poudre, 10 bâton do ('ouge, le jou adroiL rapido do la houpotte,
du doigt passé sur les sourcils et le regard circulairo qu'elles
onL touLes, non pOUl' « demandol' Je cœur ", comme les
grandes damos de l'autrefois, mais pour quêter, d'où qu'elle
vienno - setait-co du petit ramonour de Mmo Récamlerune approbation répondanL à ceLLe question sicourto, si brève
ct d'uno tollo importanco; "ça va? ... » qu'elles savent
III nelier du l'ogard, d'un vague souriro si olles no la prononcent pas.
A cette mimique, Arlette r6ussiL Bornard la regardait avec
SOUS
�TERRE INCONNUE
23
de bons gros yeux attendris. L'inconnu manifestait une admiration violente.
Un singulier homme que ce capitaine /. .. Grand, carré
d'épaules, un visage d'ascète pâle, ravagé, des cheveux longs,
bruns et un regard magnifique. Ses yeux flambaient en cet
instant et il ne put s'empêcher de dire:
- Je n'ai vu qu'une fois une transformation aussi intéressante, aussi totale ...
Et comn.e à leur tour les yeux d'Arlette l'interrogeaient,
il expliqua:
- ... J'assisLais au brisement de la chrysalide· qui préparait
l'évasion merveilleuse du plus royal des papillons: le paon
du jour 1. ..
Sensible à ce peu banal hommage, ArlelLe eut, pour celui
qui le lui adressait, un joli sourire.
Bernard dissipa l'étrange impression causée par ce muet
langage en présentant, comme dans un salon:
- Un de mes bons amis, le capitaine Bourrache, dont je
vous ai souvent parlé ...
Arlette n'aurait su dire pourquoi elle regretta la phrase
banale et l'inutile mensonge. Jamais elle n'avait en(endu son
mari parler du capiLaine.
EL il lui parut que si entre gens du monde, ces comédies
sont monnaie courante, avec Bourrache, qui paraissait si
simple et si sincère, elles étalent blâmables.
- Oui, mon capitaine, reprenait Bernard qui aimait Infiniment se raconter, vous avez devant vous des mariés de
trois semaines ... déjà un vieux ménage!..
- Que faites-vous en ces contrées?
- Une chose peu banale! ... j'y cherche une habitation que ma
mère nous a donnée en cadeau de noce! ... Ello espéraiL que nous
ir:ons directement nous y réfugier. Nous avons musé en route •••
- Bernard, vous oubliez les pannes ...
- L'uno d'elle nous a retenus à Biarritz et.. . nous y
sommes restés /. .. Pays enchanteur ... mer si bolle 1. .. Copendant un Jour l'auto 6tant chez un spécialisto en raison d'une
de ces crises auxquelles 0110 est sujeLLe ...
- Ne pronez donc pas, Bernard, l'oITet pour la cause 1. •.
- Ne me taquinez pas, Ariette, et laissez-mol parlor. Je
disais donc que l'au Lo élait à réparo[' et ma mère ayant écriL
Une lollre presque courroucée à foree d'ôtre anxieuso, deman·
�dant si « oui ou nM)) nous étions satisfaits de ce qu'elle
nous avait oITert, nous primes un taxi et pallUmes pour ...
enfIn vrur ledit cadea.u 1. .. Comment ames-nous le trajet et
pa:r où ,passâmes-nom;, je n'en sais, ma .foi, rien 1. .. Ge que
je puis dUre, c~est
que trompé par la distance et la venue
rapide de la nuit, nous arrivâmes par -un temps aITreux, en
pleine ohsounité., -devant ·une porte fermée . .Le ,chauffeur nous
avertit que nous avions atteint le but du 'Vo~age.
Et nous
vîmes Ulle .habitatiQIl plongée dans les ténèbres, des anbres
que tordait un vent formidable, la pluie qui tombait à torvenLs. Le chauffeur frappa du hourtoir à la porte fermée, une
fois, deux fois, rtrois lois. PersQnne ,n.c répondit.
« - Hou, houp 1... mon cher, je repars pour Bianritz 1. ..
déclara.ma femme.
« Je voulus m'y opposer.
« - Hall, .houp 1. .. mon bon ami, restez si ça vous chante,
moi je refile là-bas 1. .. .Adieu, Bornard, ne manquez pas de
me donnez de vos nouvelles 1•••
• Je connais ma femme. Sans autre for.me de prooès, clIe
s.erait pal1tie, me laiss.wnt L... Je repartis avec ello ..
« Oh 1bien -être des « palaces)), tiédeur des cOl'llidors, harmonie du décor, éclatante lumière, atmo~phère
d'élégallcO 1. ..
J élIIOais je n'al apprécié les douceurs du « Confort Moderne »
CQmme ce soir-.là 1... Nous retrouvâmes nos amis en ce pal'adis 1... Dos jazz s'entendaient dlUls les salles de ,danse ... nous
diuâmes en vitesso et ce fut la iolle fôte jusqu'au matin 1... Je
vous assure qu'il nous fallait ccla pour eHace.r la vision noire ...
brr 1... j'ai encoro aux oreilles l'écho sinistre que ce lumriolr
éveilla dans la vieille maison.
- Et vous l!eCOmmencez l'c.xpérienco? .. rwUa le capitaine.
- Ille faut, soupira le mari. Ce matin, nouvelle lettre de
ma mère prouvant un état d'esprit de plus en plus courroucé,
de plus en plus anxioux 1. .. Il m'était dit, cntre autres chosos,
que maman follement inquiète, allait envoyer sos domestiques
VDlr ce qui se passait, ne pouv::mt venir elle-même... (lue
jamais eUe n'avait tant maudit sa mauvaise santé-, etc., ote .. .
Pauvre maman 1... « La mère ost agitée ... Los Brossos vague ... n
lui ai-je l'épandu omme je le lais pOUl' la taquiner 4U.lJld
elle ma gronde. Et j' i d claré à ma femme; « 11 n'y a pas à
tortiller ... liilllt allel' là-bas 1. .. )) Et... nous vo il à 1. ..
Durant ce récit dont Ar'lette sc désintéressait comme
�TERRE INCONNUE
25
<l'mle chose maintes fois entendue, la jeune femme sifflotait
un air en vogue et soi-disant pour se réchauffer, en martelait
le pas de ses petits talons sur le sol dur de la l'oute. Ses yeux
étaient indiITérents à ce qui l'entourait et son attention semblait absorbée par le rythme de la danse. Et le beau « swaetel' )) souple, ondulait, flamboyait.
Bourrache, Loujours admiratif, regardait les plis de la robe
s'ouvrir" se refermer, battre les bas « abricot ", les petits
talons frapper à coups "précipités ou bien s'attardar hésitants
comme devant une décision à prendre ...
- lIé 1 Hé 1 songeait-il, peLite mar~ée
de trois semaines,
comme vous voilà absente 1. •• L'attention s'enfuit-elle ainsi,
au loin, quand on est très' éprise l. ..
Et de son c@Lé, Arlette, consciente de l'admiration qu'elle
()xcJtait, sans avoir l'air d'y pl1endre garcle, continuait son petit
manège.
- Petite mariée de trois semaines, coquette aussi, un peu
Leaucoup ... lle1)sait encolle l'observateur.
La danseuse et lui s'amusaient.
Le soleil avait disparu dans un splendide écr.an de rayons
pCI'pendiculaiÏres projeLanL ,sur les hauteurs d'éclatants reflets,
tandis que dans la vallée tombait l'ombre.
J.<.:t Bernard, tranquillement, posément, pouŒ'Suivait un bavardage que personne n'écoulait, disait des riens, de ces mots
sanS consistance que l'on prononce pour le seul plaisir de
s'admirer soi-même. Lui aussi avait enlevé sa toilo bleue,
lui aussi se recoiffait, enlllait une pelisse fourree.
-d'un air imperiant, il fauL
- Arletto, finit-il par di~'e
l'ep/'enùre la route 1. ..
La Janse cesi'ia. Le charme Iut ) mpu.
Los yeux de BOlml'a.ollO se/ublaienL dire « Mere;! » et peut"Lre aussi, pour tant d'admiration, les youx d'A/'lette répélaienL-ils ce moL.
Ce muet langago rendit-il, lenle il venir, la réponsé à la
p l'oposi lion de Bel'I1ard?
Cc {ut Bourracho qui la fit, en demandant:
- Où allez - VOLIS, BI'iey, sans ind iscréLion? ..
- A Souille 1... Vous connaissez Souille? ..
- C'est là que j'habite ...
- 11:n voilà une de 0 s coïneÏ<"hmoos 1••• Eh bien, sommesnous loin do Souille? ...
�26
TERRE INCONNUE
- Tout près. Seriez-vous, par hasard, les fameux Parisiens
qui ont acheté la« Mésangère)) et dont l'arrivée excite les
plus ardentes curlosités? ..
- La (( Mésangère »? .. Qu'est cela ? ..
- Tout me porte à croire que c'est le nom de votre nouvelle habitation, madame. Il n'y av aiL à vendre dans le village Cju'une demeure, - comme presque partout d'ailleurs,
ce qui est à déplorer, - le château. Le paysan ne vend pas
sa terre, fait l'impossible pour conserver le toit de ses
ancêtres. Le ms de famite (( bazarde)) l'avoir familial quand
il ne le laisse pas exproprier ...
- Bernard, pourquoi ne m'avoir pas dit le nom du château
de votre mèro? ..
- Ma mère a acheté cent heclares et un château dans uno
commune de France du nom de Souille, en pays de Béarn. C'est
lout ce Cjue j'ai su; je gage qu'elle-même n'en sait pas davantage ...
- Ah 1 madame, vous allez alors vers toutes les surprises L ..
S'écria Bourrache comme pris d'une griserie subite, si cc nom
(( Le Château de la Mésangère Il vous plaît, l'habi tation plus
romantique encore vous plaira davantage l. .. Elle n'a conlre
elle que d'avoir été trop longlemps livrée à des barbares, des
passants, des indi fférents qui n'ont rien fai t pou l'elle. Si je
vous disais qu'il a été question de vendre ce bijou à des marchands de biens, qui n'en voulaient que pour utiliser les matériaux de démolition! Démolir la « Mésangère )) pour se servir
des pierres de ses vieux murs à « feuilles de fougères», alors
qu'à un quart d'heure d'ici le Gave charrie en cailloux el
sable de quoi bâlir uno capilale? .. Misérables! ... Vandales!. ..
Voilà encore une forme hypocrite et sournoise d'abolir le
passé, d'en effacer jusqu'à la trace l. .. Mais il est des choses
qui se refusent à mourir, la (( Mésangère )) est de co nombre.
Quand j'étais enfant, - poursuivil-il avec plus d'animation
encore, - j'avais fait le rêvo de ma vie d'on devonir possesseurl. .. Toute ma jeunesse, je l'ai employéo à travailler pour
acquérir cetto vieille demeure que jo rêvais do lransformor
pour moi, un jour, en la Maison du Bonheur. Ah 1 les rôvesl. ..
jeLa-L-il dans un éclat do rire déchirant. La guerre esL
arrivée ... la grande vague do lond qui a balayé la côLe pour
n'y rejetor que des cadavres ou des épaves, oL jo suis du
lIombre ...
�TERRE INCONNUE
27
Mais qui était, autour de lui, conscient du désespoir dénoncé
par cet aveu? Qui pouvait le comprendre? .. A ceux dont la
vie est douce, facile, aux rites s'accomplissant méthodiquequement sans le moindre accroc, la plainte des autres apparatt puérile et n'éveille aucun écho.
Arlette répétait;
- La « Mésangère » 1... La « Mésangère » !
Il lui semblait que ce nom opérait sur elle comme un charme
et lui donnait, ce qu'elle n'avait point éprouvé encore, la
curiosité d'aller plus avant.
- Est-ce habiLé pour le moment? fit le mari avec indilIérence.
- Par un vieux couple, les Labat. Lui, médaillé de 70,
elle ... du même âge. Ne les chassez pas, madame! ... Ils font
partie du lieu; ils en sont peul-être les dieux lares ... Ne les
olIensez pas 1. .. Depuis quand sont-ils là ? .. Peu le savont.
On a loué la maison et les locataires sont partis, reloué à
d'autres qui aussi s'en sont allés ... Ah! les pauvres demeures
qui ne sont plus à personne 1. .. Remarquez leur façade triste,
leurs vitres ternies comme des yeux qui ont trop pleuré, et
aussi ces traînées humides qui tombent noires sur les murs
comme des voiles de deuil!. .. Tous l'ont quittée, la pauvre
« Mésangère ». Les Labat, seuls y sont restés pour y entretenir une flamme de vie semblable à ce lumignon fragile clignotant devant un auLel où personne ne prie 1. .. Ils y sont restés,
habitant une bâtisse, fort laide, accotée on ne sait pourquoi
au bâtiment principaL Encore une fois, je vous en conjure,
madame, ne les chassez pas, ils en mourraient. ..
Il ponctuait ses paI'oles de grands gesLes et des flammes
passaient dans ses prunelles grises.
- Excusez-moi, mon capitaine, mais j'aimerais faire ma
seconde expérience avant ia nuit 1 Si l'auLo le permet toutefois, marmotta Bernard.
Bourrache passa la main sur son fr'ont et d'une voix brusquement assourdie, il murmura;
- A mon tour, excusez-moi, Briey, je vous retarde ... et je
l'oubliais ...
- Indiquez-nous la route, mon capitaine 1. .. La route ... la
route ...
De nou veau les prunelles s'éclairèrent, de nouveau la voix
frémissante recommença;
�211
T"ElmE INCON:NUIE
- Votre route? .. La l'oute? ... Qui peut dire l'avoir jamais
pu indiquer à quelqu'lm? .. Et qui la connaissant y a marché
sachant <Où il va, sans s'aUarder aux sollicitations qui le
retiennent à l'arrière? .. Briey, allez dev'a nt vous. A gauche,
vous trouverez un tournant, un seoond, un troisième; gar.dezvous de les prendre, vous vous égareriez!. .. Mais le quatrième
tournant prenez-le, c'est la bonne voie. Suivez-la. Elle passe
à travers champs, - vos champs 1. .. ~ elle conduit au pied
d.e la collino, elle l'abGrde, elle la monte, elle s'enfonce 'Sous
bois - vos bois!' .. Montez, montez! Voici une gri1Je tI'ès
belle. Deux sphinx en gardent l'enJ(,rée. Ou v rez la gl'iHe, elle
jettera vers vous la longue ot déchirante plainte des maisons
abandonnées. Tâchez d'en comprendre l'immense tristesse!. ..
Allez toujours: à votre gauohe, voici tr.ois plans sU}'l.erposés
que relient des escaliers de pierre; ce sont d'adorables jardins
il la française que le manque de soins a transfonnés . en
forêts!... Montez oncore . Vous avez at1Jeint J'esplanade sur
laquelle s'élève la « Mésangère ». Ne regardez point la faça<.le,
gardez cette joie pour demain au ~oleivant.
Mais saluez dans
le oouronnement de la porte l'image de ceUe qui a ·donné son
nom au domaine, qui est la fée du lieu. Vive et nne, elle se
<.létache, en saillie, comme prête à l'on volée, sur un écusson
que supportent deux amouJ'sl. .. Saluez la Mésange jolie, la
mésange, au caS<'!ue noir, aux yeux hardis, dont je vous COQwtai l'histoire quelque jour.
Arlette baLLit des mains.
- J'adore J('S histoires 1 fit-olIo.
L'auto dérnana.
Bourra he souleva son chapeau, criaRt
(( Bonne chanco ... »
Et lentoment, vel'S le « quatrième toul'J1ant », lui aussi
s'ucl! mina. Il boitait fOl't et le bras qui tenait la canne était
raide.
Bourrache est un mutilé de guerro. De ceux qui, au lendemain de la Victoire, Courl'agèro rougo, Cl'oix cie guerril avee
palmes, médaille milHait'e et Légio d'honneUl' brillant SUI'
l'l1niforme, passèront dans Jes a 'clamalions, béquillant E't
iralnant le jambe, m is tôLe hauto et regal'd droit, sous
l'Arc de Triomphe.
Que souvent la fiorté d'avoir vécu un pareil moment,
l'orgueil ct s g rades conqu is dans la tourmente, de ces dér.o-
�TERRE INCO'NNUE
29
rations achetées à si. granü prix l'avaient consOolé de sa vie
brisée, des infirmités suite de ses blessures et de tous les espoirs
qu'il avait cru pouvoir mettre en un avenir désormais impo~.
sible.
Mais plus ses souvenirs s'estompaient dans le passé, plus
semblait s'6teindr6' leur glorieux rayonnement pour ne laisser
au mu'tilé que l'amère conscience de sa situation présente.
- Une épave ... Je ne suis qu'une épave! ,.. se répétait-il.
Et le sentiment de l'inutilité peut-être, de l'immense
sacrifice consenti, imposé, le hantait, rendant de plus en plus
difficile l'effort do volonté que nécessitait en lui le maihtien
de la résignation et de la paix.
Or, voilà que tout à coup, ce soir, il subissait un nouvel et
subit assaut des ces pensées mauvaises; qu'il se s-entait 'étreint
d'un alTreux sentiment de détresse.
Qu'arrivait-il ?., Pourquoi se surprenait-il à dire avec cette
sourde colère :
« Il y a ceux qui naissent heureux et... les autres 1... 11 Y a
ceux qui, comme Briey, ont fait la guerre, invoquant le titre
libérateur de ms de veuve et de soutien de famille, il yale;;
autres, tous Jes autres! ... Coux qui sont morts là-bas ... et
ceux qui survivent comme moi. .. »
Sa démarche se fit plus loul'de et plus lente.
- Enfin, j'ai ln. gloil'e 1. .. cria-t-il on se redressant.
Mais,au fond de lui-même cles voix répondaient:
- Briey a 10 bonheur!. ..
- Bahl ... laviepassvel Diou reconna1tl'a les siens!
Et los voix traHresses encore de répondro :
- El jusque-là ?...
Alors s'apostrophant, il railla à voix haute:
- Ah! ça, garçon, esl-ce:parco quo tu as rencontré une jolie
pelite madame qui a des yeux noirs vifs et haTdis comme la
mésango ol lrenle-deux donts blanches_et bien rangées, que lu
déraissonnes de la sorte? ..
El il s'errol'ça do rirr.
La soli tude encourage à GOS soliloques.
A s'en allel' souvent déro.isonnant et sc raisonnant, l'on parvient à r'faire en soi do l'équilibre.
Boul'I'ac ho alla iL - il y parvenü'? ...
ConLent, il ne savait de quoi et plus oncore mécontent d",
lui-même, il pousuivit sa roulo on s'obligeant à chanter.
�30
TERRE INCONNUE
Pau vre chanson 1... Que cachait-elle? '"
Lui aussi suivit le chemin à travers champs.
Lui aussi prit la montée sous bois.
Et parce que passant devant la grille très belle, il la vit
ouverte tandis qu'au loin sur la façade du château se jouaient
des lumières, il sentit de nouveau tout son courage l'ahandonner ...
III
Un rayon de soleil passant au travers des fentes d'un volet
avait éveillé A l'lette.
Impatiente de voirce qui se passait au dehors et de toutes les
surprises qu'avait annoncées le Capitaine, elle s'évada du grand
lit à colonnes que des rideaux et courtines de toile de Jouy
ornaient à la mode du vieux temps.
Bas « abricot », souliers à haut lalons, robe du matin
courte et légère, la jeune femme se jugea prêle pour ce
voyage à la découverte.
La maison était silencieuse. Les corridors sentaient le
moisi. Il y faisait froid.
Arlette allait-elle renoncer à sa promenade? ...
Mais dans l'antichambre, elle retrouva sa bonne pelisse
fourrée, sa bonne pelisse d'auto, don tle col montait plus haut
que les oreilles; elle s'en enveloppa cl mettant tous ses eITorts
à tirer les lriples verrous qui fermaient l'enll'ée, elle s'élança
dehors.
Hélas, le rayon de soleil qui avait incité la jeune femme à
cette excursion matinale venait de disparaître. Une brume
grise ouatailles bois. Sous un ciel neigeux, les choses les plus
jolies prennent lriste apparence.
- BourracllC rÔve! ... En cette « Mésangère » que tanl il
admire, je ne vois, moi, rien d'intéressant 1. ..
Elle considéra les trois plans superposés, décorés au temps
jadis de jardins, reliés entre eux par lrois perrons, elle n'y
vit quebroussai11es.
Elle chercha la trouée d'où l'on découvrait la plaine el lout
au loin la montagne: un taillis s'enchevôt,'anl de clématites,
de vignes sauvages la comblait,
Elle se retourna pour admirer le couronnement tant vanté
de la porte d'entrée. Elle y vit bien deux amours soulenant
�TERRE INCONNUE
31
un écusson, sur lequel apparaissait un hiéroglyphe qui pouvait
être un oiseau. Elle n'en reconnut rien.
- Il vaudra mieux attendre pour la tournée du propriétaire
que Bourrache soit là 1... 11 nous montrera tout au travers du
prisme de son enthousiasme, ce sera plus consolant 1... Ma
pauvre belle-mè re « eu tout de même une idée saugrenue le
jour où elle nous fit ce cadeau 1. .. Qu'il fait noir, gris, triste,
froid, spleenant...
Pour la seconde fois, elle s'apprêtait à regagner sa chambre
lorsqu'un grand chien policier gris-argent, oreilles droites,
museau fin, so précipita vers elle, aboyant, gambadant.
Elle rendit au chien politesse pour politesse.
Soudain, semblanL prend un grand parti, pinçant du bout
(les dents Je bord de la bonne pelisse d'auto, le chien tira
comme s'il cherchait à entraîner la jeune femme.
Arlette se laissa entraîner.
Ainsi ils atteignirent une palissade à demi-renversée, dont
la porte n'était soutenue que par un lien d'osier et sortirent
du parc.
Ce fut alors un de ces chemins de campagne tracés au hasard
des pas, un de ces chemins qui, feutré de tige de maïs mises à
pourrir jusqu'au prochain printemps, vont se perdre dans les
champs.
Sur ce tapis campagnard, ArIeLLe s'engagea et les petits
talons y enfoncèrent aussi délibérément que sur de la
m~queto.
Dovant elle, derrière elle, si loin qu'on pouvait
VOir, il n'apparaissait ni bêtes, ni gens.
- Quand je reviendrai à Paris, je pourrai certifier, à ceux
qui le nient, que les villages se dépeuplent 1. .. DepuIs mon
arrivée, je n'ai point aperçu un spécimen des naturels du
pays! ... que les vioux Labat toutefois ...
Et elle souriait encore au souvenir des pauvres « dieux
lares » se précipitant larmoyants à ses genoux, aux genoux
de 13cl'Uard, commo on voit dans les vieilles estampes des
gueux, porteurs de pla cots, so traîner au passago des carrosses
du Roy. Les Labat aussi levaient vors les nouveaux martres
do la « M6sangère » des mains suppliantes; oux aussi imploraient une grâce, collo de ne pus être chassés du réduit quo,
depuis si longtemps, ils habitaiont. Émus de ce que Bourrache avait dit, Jes voyagours avaient fait grand accueil à la
requête: los Labat ne quitteraient point la (( Mésangère», et bien
�32
TERRE INCONNUE
et dl1ment, la promesse en serait signée, paraphée devant
notaire . Les vieux s'étaientreiirés satisfaits, tandis qu'Arlette·
considérait comme de bon augure ce sacrifico offert, dès
l'arri voe, aux di'Vinité's du foyer .
Et toujours le chien entralnait Arlette.
Des haie!>, sur lesquelles s'échevelaient des ronces chargées
de mûres, Séparaient le chemin des champs voisins. Des
néfliers au feu illage ardent jaillissaient de ce désordre, et de
place en place des hauts chataign1ers, au moindre sOl1ffle,
semaient à la ronde leurs feuilles ei leurs châtaignes.
Subitement, le chien disparu~.
- Si tu me quittes, je m'en vais) cria ArIeLLe.
Mais plus loin, il reparut.
Un mur de pierre isolait du chemin une maison, des granges,
une cour de ferme. Une barrière en marquait l'entrée ct
contre cette barrière, accroché plutôt qu'il ne s'y appuyait,
était un llOmme à l'air mortellement. triste, ail regard erran1 .
- Ici, Loup! c:·ia-t-iI.
Le chien n'obéit pas. 11 avait de nouveau pincé la bonne
pelisse d'anto et de nouveau il entraînait Arlette.
_ Comment, CapitaIne, non seulement nous habitons le
même village, mais encoro nous sommes voisins? ..
_ Madame, que vous voilà dehors de bon malin 1...
_ J'étais curieuse des merveilles par vous annoncées 1•••
Mais, à dire vrai, j'ai besoin de vos yeux pour les voir ...
_ M'est -il permis do demander comment vous avez passé
la nuit?
_ Certainement? Pourquoi celle hésitation? ...
_ L'insomnie disposo à voit' lout en noir et 10 manque de
soleil fait le resle...
.
_ C'est peut-êlre co qui m'arrive 1... j'ai mal dormi, enlendu
dans les greniers galoper des rals. J'ai eu l'impression que
des pas longeaient les corridors, que des mains frôlaient les
murs ... les boiseri es craquaient ... Puis cotle maison humide ...
ces pièces sentanL Je ronfermé .. .
_ Br'iey est impnrdonnable de n'avoi!' fait aucun eITorL
pour vous mieux recevoir dans l'habitation que VOus oITra
sa mère ...
_ Qu'aUl'aiL-il pu faire? ...
_ Je serai parti on avant, j'aur'J.ls tout arrangé, lout remls
en ordl'e, tout embolli 1... La maison par6e, f1eurio; j'y aurais
�33
TERRE INCONNUE
conduit en grand apparat la reine de mon cœur, la princesse
de mon âme ...
- Ah 1 mon pauvre monsieur, si vous saviez combien
Bernard est peu ~ Cantique des Cantiques» ...
- C'eût été cependant donner la valeur d'un délicieux souvenir à ce magnifique cadeau 1... Tandis que l'arrivée dans
cette maison glacée, sans feu, sans lumières ...
- Glacée, sans lumières, sans feu ? .. Vous ne savez donc
rien de ce qui est arrivé? ..
- J e sais que tçmte la nuit j'ai été tourmenté de ne point
vous a voir dit où ma mère et moi habitions, de ne pas m'être
offert à vous être utile! ...
- Nous n'avons eu, je vous l'affirme, besoin d'aucun
secours 1••• Tont était prévu, agencé comme une féerie 1. .•
Sinon j'y aurais remédié sur l'heure ...
- En quoi faisant? ...
- En repartant pour ... ne jamais revenir 1. ..
- C'eût été une désertion 1. ..
- Qu'aurait-il fallu faire? Bernard n'a rien de la sobriété
du chameau qui mange ct boit quand il en trouve 1. .. Il lui
faut des repas cuits à point, et bien servis. Quand à moi, le
« à la guerre comme à la guelfe ", vous savez? ... on élève si
mal les jeunes filles 1
- Parents, écoutez ce cri du cœul'!. .. Alors, madame, cela
ne m'explique pas par quel co up de baguette la cc Mésangère »
abandonnée a pu devenir un château de contes de fées? ..
- C'est toule une histoire 1. ..
Lorsqu'Arletle, ce matin-là, avait rencontré le Capitaine,
elle eut peine à le reconnaître tant il semblait hâve ct défait.
Maint enan t clIo le revoyait comme la veille, redressé, rajeuni.
Dans son regard, elle retrouvait l'étincelle d'ardente admiration qu'elle y remarquait lors de leur premièl e recontre et sa
coquetterie, consciOJlte el parfaitement organisée, recommençait à s'en <,muser.
Du bout J son soulier, elle avait pris un point d'appui sur
la lraver'se du bas Je la banière, et des deux muins sc susPendant à cello du haut, nonchalamment ponch6c en al"l'ière l
olle se balançait et semblait y prendro un plaisir extrême.
lTIt avec un potit grincement, dooile, la b(ll'l'ière allait oL
venaH.
Au-dessus du col de fourrure, les cheveux de garçon
2
�TER'RB INCONNUB
d'Arlette se dressaient avec un peu de désordre, l'omm
auraient fait les plumes d'un moineau qui vient de pilendre
son bain et n'a pas fini c;a toilette. Au vent de la balançoire
improvisée,les pans de lapelisse ~'ouvraient,sm3J
tantôt envelop paat la jeune femme, tantôt la montrant moulée .toute
mince dans sa robe d'été. Pour accélérer le balancement ou
le ralentir, dans son petit soulier, le pied se cambrait. Et, de
plus en plus admiratif, le Capitaine rega'l 'dait la jeune
femme.
- Qu'elle semble petite fille ainsi sans fard, ni poudre, ni
aucune de ces supercheries dont usent les femmes pour se
faire une beauté! se disait -il. Passe encore quand elles soot
vieilles, qu'elles ont des rides, des« pattes d'oie )), mais à
. vin/,>t ans ... quel crime 1. .. Enfin peut-être « les toutes jeunes ))
en usent-elles pOUl' qu'on les prenne au sérieux, qu'on leur
donne de l'importance, qu'on ait conscience de leur respectabilité, toutes choses qu'on leur d6nieraiL volontiers 1... Voyez
celle-ci, ce petit être fragile, qui joue comme une illleHe, ne
lui offrirait-on pas un cerceau plulôt que de croire que, mariée
depuis quinze jours, la voilà allant vers los plus grands
devoirs 1...
Et ArletLo rieuse, moqueuse, avllc un délicieux sourire qui
découvraÏl ses dents, racontait ainsi, en jouant, son arrivée à
la Mé ·angère. •
Après avoir tourné dans l'a venue, salué - comme le lui
a vait recommandé le Capitaine - les sphinx do l'entrée, la
façade de la « Mésangère )) lui 6tait apparue, éclairée.
- Bernard, on dirait qu'on nous attend?
- On le cliraiL ...
Alors, avec un grand 6lan de roconnaissance, la je\lne
femme s'était écl'Ïée ;
- Be/'llal'd, je parie que VOUf! m'avez fuit une surprise 1...
Piteusement, il dut avouer n''y avoir seulement pas songé.
D'uutres y avaient pens6 pour lui.
A l'arrél de l'auto, c'est d'abord, comme « lever de ridoau »,
les Labat criant miséricorde.
R6cit fllÏt silrlplement, salis pr6tenllon ct qui inspire à OOUl'ruche cetle pensl e attend rio :
- Aussi bonne que jolie , ...
A poine les pau vro dieux lares sont-ils l'entl'és dans la coulisse 'Ille la porte de la « M6sangere» s'ou vre à deux balLants,
�35
TlE.R·as INCONfl UB
vest.ibule éclairé et sur ce fant! de lumière, tête
blanche eL habit nQir, un superbe maUre d'hôtel, raide, immobile, tandis qu'Wl autre valQt non moins superbe, en tenue de
cb.aue~r,
se précipite au-deva nt des voya~urs
et ouvre la
POrtiève .
Arlettll eL Bernard n'osent plus descendrll.
-- Bourrache m'a-t-i l fait une farce? se demande :Bernard.
- Chez qui sommes-nous? ... peBse ArIelle.
'l'out s'explique ct ce ne sont pIns que congra' ulations et
4\:lats de Ilire.
- Vincent 1... Ogier! ... qUI! faites-vous ici?
'- Envoyé par Ma~me,
déolare le premier.
- Elnvoyé par Madame la mère de Madame! ... déclare le
8l1Qond.
mon~ratu
Fln chœur, le mén\l.ge s'éorie ;
-.. l\~Ian
va pouvoir se passer de Vincent! ...
- Maman va pouvoir se passer d'Ogier 1.,.
Elt tous de"" ajouten t avec ,une pareille irrôvél'4nce :
- <lrand die\JJt, o'est la fin du monde !...
Et les questions de succéder aux questions.
Tous pal'lent à la fois.
On finit par s'eatendl'c.
Vincent est arrivé ce jour même par l'oxpress de midi,
avec MU, Rachat , WlO personne qu'aime beaucoup M..' Briey,
une personne qui lui rend mille services et dont elle ne peut
Ife P~er
plus d'un jour. Ce qui arrache à :Bernard coUe
6lclama tion :
- Quo devi~IHtl'a
maman sans Bonnu amie '1 ...
Ogier aussi est urriv.l à midi, mais dans la limousine, en
~mpagnie
d'Augélina, la fille do oulsine do « Madame la
ère ùe Madamo », co qui arrache il. Arlette oette autre
xQlarnation ;
- Angélina ici ? .. C'est elle qui fait les gâteaux. do thé pour
aman 1
St encore le ménage de s'éorier on chœur, mai6 ceUe Cois
vec un peu d'émoi;
- Qu'est-co qui a pu occasionner pareille mobilis ation?
Oua voilà bien 1...
~n
homme plludent qui a toujour s jugé quo trop parler
\ut ", le ohaulYeur évile de ripondr o en allant garer l'auto.
'to"LIA\I cont'air e, Viaoea t, ,né bavard , exulte d'avoir l
(l
�36
TERRE INCONNUE
expliquer qu'il croit « qu'il y a eu des mots entre Madame 1
mère de Monsieur et Madame la mère de Madame, rapport
cette terre inconnue, à ce fameux cadeau de noce ... »
Et sachant jouir, en toute occasion, de l'impunité qu'o
accorde volontiers aux écarts de langage d'un vieux serviteur
il parle et d'autant plus qu'en son particulier, il n'ignore pa
que « Madame la mère de Monsieur)) et « Madame la mèr
de Madame» ne sont pas faites pour s'entendre.
Et de vrai, bien que presque du même âge, ces dames, pa
leurs idées, leur genre de vie, leur manière de juger, leu
apparence même, semblent avoir entre elles un écart d
plusieurs lustres. Alors que Mmo Briey a l'air d'une « 01
picture D, comme dirait un Anglais, alors que sa mise, s
coifJure, ses opinions sur la vie, la société, le monde daten
de la révélation qu'elle en eut, 101'S des premières années d
son mariage, Mme Férol, la mère d'ArleLte, a toujours « marché avec son temps " d'un pas délibéré.
Même aujourd'hui, les exigences ex traordinaires de l'heure
et de la mode ne la trouvent pas désarmée. Elle s'y soumet. On coupe ses cheveux. IElle a sacrifié les siens (ils
grisonnaient, le sacrifice a été (,acile). Du même coup, seS
l'oh es se sont raccourcies. Pourquoi lutter avec ce qui se
faiL ? ...
Tt:lle allssi frappe, comme sa fille, aussi alerLe qu'clle dll
reste, le trottoir d'un talon vainqueur. Elle aimeraIt encoro
la danse, fe tennis, le cheval; par peul' du ridicule, elle s'en
console avec l'auto: l'uuto de jour, de nuit, pour aller à la
porte d'à côLé comme à l'aut! e bout du monde. Elle n'a
jamais l'Lé jolie; elle s'en est toujours consolée en se SOli venant qu'elfe était a d'une tlès grande distinction ». Ainsi,
portant haut la tête, elle s'est avancée dans la vie d'un
aÎl' dominateur. Elie ai me du l'este commander &t lol'squ'elle lance un ordre, adresse un reproche, ('met un avis,
tous s'inclinent, mari, valets, proches, concierge, amis.
ennemis, hommes d'aITaircs, fournisseurs, propriéLaire même,
sachanL toute disc\;sslon vaine et trouvant plus simple dv
c~der
au promit r mot .
11 n'est qu'un êLre au monde qui osa lui tenir L6te depuIs
qu'clle a Sil parIol' : ArIelle, sa fill!', qu'elle adore, qu'il a failli.
marier parce qu'il est d'usage, à pal'Lir d'un certain âge;
possédant
de marier sa fille, parce que Bernard se pré~onLait
�TERRE INCONNUE
37
les dispositions requises; joli parti, bonne famille, situation
excellente, alliances flatteus es, elc ...
De Mme Briey, Mme Férol ne parle qu'avec pitié, en
abusant du qualiflcatL « pauvre ~ ...• Cette pauvre Mme Briey ...
ma pauvre dame ... ma pauvre amie ... D
Quant à Mme Briey, Vineenl, l'a entendu dire un jour en
parlant de Mme Férol au baron; « Cetle femme m'anéantit,
me pulvérise 1. .. » Vincent en a conclu que l'efTet produit
devait être terrible puisque« Madame» avait besoin pour
l'exprimer de mots dont on n'use pas généralement.
Partant de là, les deux belles-mères ne sympathisent guère.
C'est entre elles une sorte d'alliance que la bonne éducation
et les convenances empêl:hent dE' craquer. Rien entre elies
n'a et ne peut aire naitre l'intimité. Bien au contraire, un
S~ntime
qui n'est peut-être qu'un peu d'obscure j:}lousie los
dispose mal l'une envers l'autre. Encore une fois, Vincent le
sait ot d'habitude il en rit.
Cette fois cependant, il fait plus, il laisse entendre que de
la paix armée on a dû passer à l'escarmouche. Il en do~"
comme preuve que, d'un côté comme de l'autre, des résolulions
onl été prises dans l'incohérenc', ainsi qu'il est fait au
moment des émotions trop vives et des malentendus.
T Des ordres ont élé jetés à l'aventure, puis des contre-ordres.
oute une journée, le téléphone et le télégraphe n'ont pas
al rrôté entre le logis de Mme Briey et la rue de la Pompe où
labjle Mme Férol.
n e'n~t
risult6'ce lait exLraordmaire, que le Jour sulvanl,
se l'ètre dit, sans en avoir convenu, Mlle Rachat et
d lUCent, Angelina et Ogier se sont renl:onlr.!s, les uns descenant du train el sortant de la gare, les autres pas ant devant
Celto même gare. à cent li eues de Paris, en pays de Béarn! ...
l - J, e n'ai ou qu'à héler Ogior, que je venais de reconnaftre
qUI n'on pouvait croiro ses yeux d
me voir là, et nous
~Il,mos
arrivés ici, tous qualrJ 1... Quelle arrivée !... A
a. r Il;, loulefois, s'il y avait cu d6saceord, on s'Nait entendu
(J/lcndant Sur le mot d'ol'dl'e donné à rhacun de nOlls;
r~ao
la maison pO ll r rccovoir Monsieur et Madame. Mais
tl'avait/. .. On no savaiL où donnor do la têlo et d'aulant
us qu'on ignol'aiL qlland Monsieur eL Madame allaient
PParaîll'o , Les uns disaicnL quo ce serait demain, Moi je
o c SRaÎs do rtip6ter; « D\ns l'incorLi Lude, soyons prêts. »
~ns
fC
�38
TERRE INCONNUE
• On m'a écouté, je m'on félicite.
Quand j'ai entendu l'auto, je n'ai eu qu'à passer 'mnn
habit, le dinor d'Amgelina est prêt, Mlle Rachat donne un
aux chambres ... tout est bien , ...
darnier coup d~œil
« Mais pourquoi Monsieur et Madame restent-ils comme
pétrifiés dans ce vestibule au milieu des courants d'air? ..
poursuivait Vincent . Car il y a des couranl'S d'air dan(~
maison ell un mauvais chaufIage... et de L'humidité... cel
ne devait être jamais ouvert 1... Pauvre Madame, je lui a
entendu dire: Il Quand mes enfulnts soront jnstallés là-bas
j'irai les voir 1. .. » Il ne fallt pas le permetLre, monsieur ne l"
nard, la pauvre Madame, avec sa triste santé, ne ferait pa
deux fois le voyage.
Bernard n'écou1re rien, il est alTall1é.
- Dites donc, Vincent, vous annoncez que le diner es
pl'êt, qu'il faut s@rtill d'ici. .. Où faul-il aller ? ... où mange-t>
on?
- C'est vrai, Monsieur n'est jamais v.enu ...
Une double porte s'ouvre.
Les voyageurs ne peuvelli retenir' une eJtclamation de SUl"
p!Jise.
Des boi.qeries gris bleu encadrent des toiles représem.ant d
J)eanx seigneurs en peDl'uque et grand habil, dont le regal'd e
le sowire semblent fawe accueiL aux arri vants.
Un grand Iou brille ùa.ns une cheminée lal'go et pro:ondo
Des bougies sont allumées dans lous les coins.
E~
quel co . uve~
. t , ... Ri~n
n'y miwquo 1...
.
~ours
, ... eL ql,loll.es rtev.rs 1 Celles qu.e!
- Pas même lE~
préfère: dos lilas ... , de~
mimosas ... , des rpses 1... S'éC~I.
Arlette.
- Madame ct Madam e la mOl'e de Madame, se sonL souve
nuos quo l\laUull1e le!! aimuit 1... TouLes doux en 011
envoyé! ...
- Oh 1 ces fleurs ... oh 1 cc pUI·fum ... q' !O cela me l'ape~
Paris 1... soupir'c ArloLLe qu'une suhite nostalgilJ ahat, trt'
lasso. dons lin fauteuil.
- Je comprends Madame, on en osL loill, ici 1 MdiI
sen1 enciem;e[J1rnl Vinl'ent.
~
'l'l'OP loin 1... IllUrrTllIr!) la jeuHe fem Ille , la vio
impossible , ...
C'est cc que Madame la mrl'p de Madame li voul
«
�TERRE fNCONNUE
39
déolarer à Madame la mère de Monsieur ... Monsieur le Baron
le dit aussi ...
Bernard va et vient, regarde tout de très près, comme font
les myopes, indilTérent à ce qui se dit.
- Et cette belle nappe ct ces belles serviettes en bonnet
d'évêque, où donc les a vez-vous volées, Vincent? domande-t-il.
JI a jeté sa pelisse et se campant devant le foyer prend
maintenant à se rôtir une satisfaction extrêmo.
- Voici co qui est arrivé: Madame a envoyé ces jours-ri
Mlle Rachat acheter du linge disant « qu'il n'y a jamais trop
de tout à la campagne ». Elle a fail achlter aussi pour
apporter à Monsieur et Madame de l'argentel'ie, des conteal1x,
de la verrerie, un service de table complet!. .. J'ai mis 10
tout aux bagages et ce que j'ai eu à payer du sUI'croit! ...
Et voilà que Madame la mère de Madame a fait exactement
les mêmes gestes et a eu exactemonl la môme pensée que
Madame la mèro de Monsieur, et Ogier aussi a apporlé du
linge, un autre servIce, de l'argenterie, de la ver! crie, des couleaux! Si ces dames avaient la orain te qu'il n'yeu J ien dans la
maison, on peutles rassure l' ... Toutest en double et du beau! ...
Monsieur et Madame vont pou voir dire qu'ils sonl bien in~talés
..
Monsieur et Madame en ont jusqu'à la fin de leurs jours 1...
- De mes jours ici? protesto Arlelle que l'odeur des li1a!1,
des mimosas, dos roses, bouleverse de plus en plus. Vous
a-t-on laiSSé enlendre, Vincent, que .. . que je vais avoir à
me morfondre ma vio durant ... à la campagne. Ah 1 non,
non, mille fois non, n'y comptez pas, Hel'nard ... Il'y ('oJl\ptez
pas! ...
- DiLes donc, palabrer est fort intéressant, manger semit
mieux 1... Vous annoncez que 10 lllner d'Angelina est prrt ct
jo ne vois pas, Vincent, ce que nO\ls a \'OIIS à 1I0llS mettre ::;OUS
la dent! gronde Bernard .
-Que Monsieur se rassure, il va avoil'" e quoi sesatisfairc! ...
Madame la mèro de Monsieur m'a donn6 1'01'\ J'e d',wporler
une «inde trufTéo, tin fUet de bœuf, une {l'l'osse galantine, un
pât6 de foie gras, des gâl eaux, des petils fours, des raisins,
Iles mandarines, cles chocolats... eL Madame la mère de
Madame a donné à Ogier l'ordre d'emporler une (linlle lrulTée,
Un filet de bœuf, lino galantine, \ln pâté de foie gl'US, des
~ ' ateux,
des l'l'lits fours, des raisins, des mandul'Înes, ('CS
l:hocola 19 ...
�40
TERRE INCONNUE
- Et comme vins? questionne Bernard que celte double
énumération ne trouble pas autrement.
- Madame envoie à Monsieur une caisse du vieux bourgogne qu'il aime ...
- Ça va bien ... ça va bien ...
- Madame la mère de Madame envoie à Madame une
caisse de champagne ...
- Vous n'applau clissez pas, Arlette 7
- Peuh 1. .• du champagne ... sans amis ... à froid ... dans la
solitude !.. .
.
' - Et moi ? ..
Arlette fait une moue.
- Vous ? .. c'est le pain quotidien 1. .. lance-t-elle railleuse.
- Flatteur ou pas flatleur?
- Comme vous voudrez ...
- Nous y réfléchirons. Pour l'instant , oh 1 divin parfum,
voilà la soupe !. .. A table, madame Bernard Briey 1 A
table 1. ..
En dépliant dos deux mains sa serviette d'un geste large eL
magnifique, il s'écrie avec emphase:
- C'ost tout de même bon, la famille 1
Par cette exclamation qu'elle répète, l'appelant « le mot
de la fm », Arlette a terminé le récit fait à grands traits de
son arrivée à la Mésangère.
Lassée de la balançoi re improvisée, elle est as .;ise sur la
seule chose qui lui ait parue susceptible de servir de siège; un
timon de charrette.
La basse-cour est peuplée de volatiles et de petits animaux:
poulels, poules, canards, dindons. Un porc grugne derrière
une porte à claire-voie, des lapins sautillent dans leur caso,
\100 vache meugle dans l'étable, des pigeons roucoulent SlIr
les toits.
Fier et beau, (( Loup n, II:' chien policier, évolue en maître
dans cet arche de Noé.
Debout près d'Adette, Bourrache demeure prnsif. Parce
qu'elle a imité, pour répéter le mot de la fin >, )e parler un
peu pâtenx el toujours emphali<,\ue de Bernard, parce qu'elle
a mi mé le geste magnifique avec lequel il déplia sa serviette
en se mettant à table, le Capitaine s'émeut comme d'un
ftlne~
pr6sagc de l'irrespectueuse gaminerie • do la poLite
mari6e de trois semaines n.
(1
�TERRE INCONNUE
Il juge qu'elle est, hélas, de ces êtres fragiles, faits d'un peu
d'élourderie, de beaucoup de frivolité, auxquels on accorde
le bonheur sans leur révéler, lellr bien faire comprendre, la
valeur' du merveilleux cadeau et le souci cûnslant que l'on
doit avoir de le conserver alors qu'on le possède, ca'r rien n'est
plus fugace et changeant.
Or voici qu'à peine M me Briey le tient-elle en ses mains,
qu'elle s'en fait un jou ~ l, comme toute petite elle dut faire de
sa première poupée.
Pauvres en ,ants que n'atteint pas le sérieux de la vie, qui
vivenl loin des dures réalités, à qui l'on aplanit tontes les
roules, l'on évite les heurts et les moindres douleurs, les voilà
qui accueillent, avec les sentiments d'attente curieuse qU'eÙes
ont des cadeaux qu'elles reçoi vent, des colifichets que contient
la « Corbeille », celui auquel on va les unir for the best and
the worst, celui auquel elles appartiendront, qui sera le maître
de leur destinée et en décidera.
Combien est blâmable l'imprudence de ceux qui ne leur ont
point appris la gravité de ce « Oui Il prononcé en un jour
d'apothéose au pied d'un autel resplendiss:mt de fieurs et de
lumières, alors que Jes orgues jouent des hyJ11Bo!l de triomphe,
alors que tout apparalt rayonnant, sourires, vœux chaleureux,
félicités, septième ciel 1...
Gareau mirage des jours sans lendemains. Et si elles arrivent
les déceptions cruelles , qui pourra - t - on en rendre responsable? ..
N'est-on pas victime de ce fait que jamais autant qu'aujourd'hui le mariage ne iut une aITail'e de conventions. Le grand
souci n'est plus que l'accord des alliances, des situaUoni,
des fortunes. Quant aux cœurs, dame 1 ils s'en tireront
comme ils pourront. On n'est point ici-bas pour s'amuser. A
chacun sa chance ...
Mais cette chance, combien oublient, ou ignorent, que pour
se la rondre favo rable ils doivent y aider? Y aider en voyant
clair en soi, en s'efTol'çant de savoir où l'on va, en secondant
le hasat'd de la matrimoniale l'encontre avec son intelligence,
Son cœur, sa sensibililé, souvent même sa charité , ... Le vin
est tiré, il faut 1 boire. L"\ grande sagestie, esL, quoi qu'il en
soit, d'accepter cc qui est.
« Ah 1 peUte Madame, quelle tâche eXf]uise serait d'avoir' à
Vous guider d'une muin de douceur en ce dédale d'erreurs,
de serviludes, de conventions menteuses qu'e-t le monde /...
�TERRE INCONNUE
Le monde qui va faire de vous, comme de tant d'autres, une
banale poupée de chifTons 1 - songe le Capitaine - ce n'est
pas u Briey Bel'nard, soldat de deuxième classe ", que j'ai
connu tire-au-flanc, obLus, entêté, qui vous préservera de
cette destinée lamentable 1 Qu'a-t-il dans le cœur et l'estomac? L'amour de lui-même. C'est un bon gros garçon de
« français moyen », étroit horizon, mince cervelle, aspirations
terrc à Lerre. Il sera toujours celui qui « ne s'en faiL pas» et.
qui aura comme profession de foi ce cri venant du cœur:
« Ah 1 quelle est donc bonne la vic inutile! ... »
- Capitaine, à quoi pensez-vons? Jo vous vois tout à coup
un visage sombre.
Il ouvriL les bras et les laissa retomber en un geste de
désespoir.
- Je pense quo la vie est une mam'ln Gâteau pour les uns,
une abominable marâtre pour d'autres. Aux premiers, elle
no demandera rion et donnera tout. Aux seconds, elle ne
donnera rien et demandera tontes los immolations, tous les
sacrifices. Notre royaume n'est point de ce mondo. Je 10 sais.
Je sais aussi !Jue c'est parfoi., bien dur.
- On Il'y prut rien. Cela a toujours él(~,
énonça Arlette
d'une voix sage, avec cette phiJ'lsophie candide et tranquille
des êtres qui n'ont jamais soufTorl. Et elle eut oe petit geste,
qu'elles ont toutes, comme s'illour était suggéré, tout à coup,
pUI' une hérédité de grand'mores t d'aïeules, ayant vécu au\.
temps où les jambes no sc croisaient paR, bien plus so
cachaient sous l'ampleur dog rohes; 0110 Lira ~ur
le bord de
la sienne, si r.olll'te, Domme s'il lui ven'l.it la subito pré ccupHtion do cadler 51'S genoux qu'abritait mal la transpul'enl l'
soie des bas "1)rirol,,.
- Je sais qu'on n'y peul rien ot quo c.o1a a t.oujours éll',
qu'on fie gagn! l'Ït'Tl il ~e ca~s
r la 1ôte ('ont"e 10.; murs 1...
;\Ii \lX V<lUt. Ii réHiguel' ot, dûl-on en mO\1rir, brisol' son
('wur, son ('tro entier;), l'irl'6mrdiuhle , ... A montor co cul vai!'c
Jo Ciol; mais on souIT!'P ... commo on :llll',} soufon ~ale
fert !...
- Chacun a RC~
prinps cl 6e;; dr'coplions 1 r('pondit AJ'lollO
toujours de la mèlllp VOIX call1lr ct douce. II ne faut jamuis
jng"l' des choses SlIl' Ir;; appllruJl!'es. 'l'onoz, j'imaginais tel nn
l'ùve, cc voyage en aulomobile dans la • ronrhtilo intérieure ••
jolie ('OllltrlP U llP honhllnniùre, toule,; IllPS amies m'onviaienl .. ·
�TERRE INCONNUE
43
- Eh bien?
- Cela a été assommant, absolument incon:ortable et
tellement fatigant 1... Des pannes... des accrocs do toules
sortes .. . Bernard, qui a la vue basse, ne savait rien réparer.
A dire nai, st:S connaissances {Jn mécanique sont lerriblement
rudimentaires, bien qu'il ail en Cilla, comme en tout,
beaucoup de prétentions ... Nous étions, une fois, immobilisés
on rase campagne. Bernard ne pouvant quitter la voiture
qu'il avait il moi lié démonlée et ne savail plus remonter, il
mo fallut, dans une plaine immense, marcher plus d'une heure
pour tt'ouver de l'aide, des gens complaisants. J'y arrivai
enfin ! ... Une paire de bœufs remorqua l'auto. La nUll so
passa dans une aITreuse auberge ... Ah 1 non, je crois qu'on ne
peut faire plus mal 1. ..
« Le jour suivant, il un passago à niveau, Bernard, malgré
Je refus du ga,rde-barrière, voulait traverser à tout prix. Ils
faillirent sc colleter. En tout cas, ils se sont traités de lous
los noms d'animaux connus el inconnus.
« Là-dessus est passé en trombe, à cent vingt il l'heure, 10
rapide, sujel du litige.
« La question élait résolue; la querelle ne l'élait pas.
« - Vous voyoz, Monsieur, ce qui serait arriVé si j'avais
ouverl? ..
" - Je vois que vous êles un grossier personnage.
« - Vous, un autre 1. ..
u Je vais me plaindre à la COml)ugnie ...
,, - Qu'csl-co qui vous en empôche ... espèce de cL .. , espèce
do là ...
u Jo supl'Iiuis:
" - Bernard, jl' vous en conjure.
u _..• Jo no laisserai pas à co malolru la joie du rlel'Uier mol.
t< El ainsi de suile.
« Jo rogrelle que ce voyage n'est pas 61(> plus agl'éable.
J'aurais aim'6 cOliL'cliol1llor do ravis!!anls souvenirs pour lIles
viet ,x jours ...
,'ur \1' visage ue la jeuno femlllO so peignait uno m6lancolio
soudaine.
Le capitaino la regard,l d'un ail' sur'pris. Il la croyait ;\
cenl lieurs cie la trislesse et de la réalil6. " Fichu maladroit 1
ITlmmoLLa-l-il en per,sant à Bernard voilà ù quoi lu arrives
apl't\::; Irois semain('s 1. .. Ça promell. .. "
�TERRE INCONN UE
Et de nouveau redevenu rageur, il songea que ceux qui
n'ont su faire durant la guerre que s'embus quer, porteur s de
bdaux uniformes, derrière une formul!', pour se dérober au
danger, risquent fOl t, la paix revenue, d'agir avec la même
veulerie, le même sans-gè ne devant les menus devoirs , les
plus simples obligations de la vie quotidienne. Ils seront
toujour s ceux qui se déchargent de la corvée, ceux qui diront
aux autres: • Qu'atte ndez-vo us ? .. mais allez donc vous l'aire
tuer! .. , »
Et il frappa le sol d'un coup de talon.
- Qu'écrasez-vous, capitain e ? ..
- Un insecte nuisible ...
Et il partit d'un bruyan t éclat de rire.
Arlette ne comprit ni le geste, ni le rire et jugea qu'il était
bien dommage que le pauvre Bourrache, si bon et si obligeant,
se montrâ t par moments si fort « timbré D .
- Conséquence de la guerre sans doute 1 pensa-t -elle avec
commisération.
Tout à coup résonnèrent dans le petit chemin les appels
pressants et autorita ires d'une trompe d'auto .
• Loup • dormai t. Il sursaut a et répondi t pal' des aboIements féroces qui semèrent la panique dans la basse-cour.
A grands l'OUpS d'ailes, à grands cris, poules poulets, canards ,
dindons, se dispersèrent.
Sur le seuil de la maison, auquel on accédai t par un perron
.~
Si!~
!l~h:
~fal
~
~
~oi1.e:
~rand1
?u
visage ~ûr ei fler.
- Abel, qu'est ce tapage? gronda- t-elle.
- Ma mère 1. .. murmu ra Bourrac he craintiv ement me
feriez-vous, madame, le très grand honneur de la saluer?
Arlette se leva, prête à répondre au désir du capitaino,
quand devant la barrière la trompe résonna avec plus do
force, tandis qu'un chœur do voix alarm6es criait:
- Quelqu'un a-t-il vu Mme Briey? ..
- Me voilà 1. .. Qu'est-co qu'il y a ?
- Ahl onfin ...
Nu tête, mèches hérissées, grotesque (Ians son pyjama à
grandes raies éclatantes, l3ernard s'élance, perdant ses pantoufles dans la jonchée de tigos do maïs. L'émotion le congestionno. Sos gros yeux s'arrondissent.
- Dieu soit loué 1... Vous voilà 1... On n'a pa'! idée Je
�TERRE INCONNUE
loS
causer aux autres des émotions pareilles 1... Chère amie,
quelle raison a pu vous faire sortir si malin, sans prévenir
personne? On ne fait pas de ces choses-là ... c'est purement
aftolant...
.
- Tout le monde dormait ...
Bernard a été rejoint par une troupe bariolée : Vincen(en
pantalon blanc, tablier bleu, gilet rougo ; Angélina drapée dans
un peignoir vert ardent à revers ponceaux, Ogier on combinaison kaki porte la trompe d'auto sous son bras. Suit encore
une personne laide, sans âge, d'aspect modeste, vêtue de
noir, pauvrement, c'est Mlle Rachat, « Bonne Amie », dont
Mme Briey mère ne peut se passer.
- On n'a pas idée, je le répète, d'une pareille a venture 1. ..
En pays inconnu disparaître ainsi ... c'est insensé 1. .. contin'lait
Bernard presque larmoyant, nous sommes allés jusqu'au village, personne, ma chère, ne vous avait vue. On nous a ri
au nez et pris pour des toqués! ... Sale pays!. .. Avez-vous
déjeuné, Arlette? ... Non. Moi non plus. Je meurs de faim 1C'est
impardonnable de votre part. Rentrez tout de suite 1... Nous
avolls un courrier fou 1. .. Trois lettres de votre mère, quatre de
la mienne; une demi-douzaine de télégrammes nous ont couru
après ... dont deux de Biarritz ... les Latour et les Howel' venlent
nous entrainer en Espagne ... Madrid ... Malaga ... Gibraltar ...
Qu'en pensez-vous? ...
- C'est tentant.
- On pourrait profiter de l'auto de votre mère.
- Pauvro mamanl
- Ogier dit qu'on en peut disposer pendant huit jours 1
- Aller à Malaga, avec arrêts en cours de roule, en huit
jours? ... pauvre maman! ...
- Une fois partis, ma chère, il faudra bien aller de J'avanL...
- Mais enfin, Bernard, pendanl ce Lemps, maman que
fera - l-eHe? Elle déteste marcher ...
- Elle prendra des taxis, ma chère , ... N'ont-ils pa(été créés
pour parer à de pareilles éventualités... Décidez-vous? ...
Madrid 1... Malaga! ... Traverser toulo l'Espagne ... Cola me
sédui t énormément 1... Je n'ai aux oreilles qu'un bruit de castagnetles depuis que j'ai lu cetle dépêche ... je Ile rêve plus quo
bolél'o, fandango, sévillanes ...
Il fait claquer ses doigts, esquIsse un pas Iolâtre,l'J'perd ses
pantoufles. Tous rignt.
�Il reprend :
- No~s
allons en décider! ... Il s'\l8iL çl~ déj(;\uner d 'a,bor{ll .. ,
Mai,<; qvelle illerle., mes ;lïeux 1. .. Je VOIlS çro'y~is
renal'tie,
repartie sans moi .. , me laissant... nous laissant ...
- Voyons, Bernard .. .
- V01.j~Jn'e
ilye;?; $i sQl,1vent merw.c6, m~chante
1. .. Et ce tas
de ~etrs
de la fami,lle, qu'est.-Ge que cela ya nOPIii apor.~e
comme embêtements 1. .. Ell pl)lS, vpilà mon Capitai!1e qui me
reganle ~o travers! q1.\i semble ptpt à m'ilflpeler « pçlwe
n'Hlze~t
.e Il, comme il le fais/ül pareo que je ne SIl vaj::; p:;LS
« porter
armes D avec dans ~e petit doigt le pli réglementaire! ... C'~
vrai, vous savez, ArIelte, nous vous avons cru perdue .. .
- Nous a va\1s passé un mallYél,is mom ent, appuie Villcent.
- Arrivée d'hier, disPFlrue ce m(l,tin, cela donnait à peuser! ".
ajo'Ito Ang6linFl sur un ton de mélodrame.
- On a été ju 'qu'à vous croire Lombée ail fond de la pi~c.e
d'Elau, madame 1. .. déclare Mlle Rachat en ,=;olll'i(\nt.
- Tout est bien q\li n\1\t bien 1. .. conclut VinGenL, au\i de~
proverbes.
- D'autan t qu e ~'aIToler
ainsi pe rime à J'iqn 1. .. Ç.éclawe
Ogier, quo le danger, tant de foi~
bravé à d\) folles viteSlloS,
n'effraye plus.
- Ah 1 ça, me .[)t'enez-YO\lS tous pOUl' une pet~L
nUel. ..
lance "\rlette avec impatience .
Et c'est une voix, une seule voix, qlli lui répond, 'iÏ graye,
en appuya nt 6\.\1' ch\lque syllabe :
- Oh! oui, si po-ti-te ... pe-Li-te fille 1. ..
ArloLLe regarde le C<!,piLaine. Ce q\l'elle voit (tans les é~ l'anges
prunelles grises est cQtte fois plus q~lO
de l'fI."mÎl'o,tiQI1, une
Lendre pitié.
Ji:lJe éclato de J'Îl'o ot propose au~si
, tôL
:
- Bornard, au lieu {l'accompagner les J...atour Qt les ;lulres,
j'invite 10 Capitaine ù déjeuner. 11 nous aidera à videl' Iloll'Il
gardo~mne.
CnJlitain c, vous n'allez pas refuscl', fuire des
façons, pré~oxLc
dos chos~
1. .. Cc sera ma première l'éccptioll
à la !\1('sangÔl'e, vous en serz le premier inviLé. Ne m'a vez- VO~l
pas entendu dire que j'aime colloclionnet· d'agt'ôab!es SO\lVCHirs
pour mes vIeux jours? ... ftniL- qIIe avec un petit SOlll'Îl'O COI(ll'lice.
Le CapiLaine s'in lin a sans ropondl'Q.
- Après déjeuner, CapiLaine, vous nous iliderllz à faire la
�TERRE IN CONNUE
47
f-ameuse tournée du propriétaire. Sinon je n'arriverai jamais à
connattre, en détail, le cadeau que nous a fail ma belle-mère ...
~
Pourquoi dites-vous cela, ma chère?
- Parce que, Bernard, je ne vous vois pas arpentant cent
h ectares de terre labourée 1. ..
-- A la chasse chez des amis, j'en ai fait bien d'au tres 1
- Dans des tirés aussi ordonnés, aussi ratissés qllC le parc
Monceau 1... Je vous vois encore moins vous intéressant à des
charrues, des herses, des houes, des bêtes 1. ..
- Aussi bien qu'un autre, ma chère! ...
- Capitaine, je compte sur vous pOUl' m'aider à en faire
l'expérience.
Elle lui tend la main.
- A vos ordres, madame.
- Ah! ah! vous me défiez, Arlette? Vous verrez ce dont je
suis capable, Capitaine 1 Et D'aintenanl, ma chère., trève de
discours, allons déjeuner. Sonnez « la boble à Ceco », Ogier.
Allons, madame! '" A tout à l'heure, mon Capitaine 1. .. Filons.
Il a pris Arlette pal' le bras et l'entraîne. Dans la jonchée de
tiges de maïs, il s'en va sautiJlant, perdant, une !ois de plus, ses
pantoufles.
En tumulte, comme elle y est entrée, la bande sort de lu
basse-cour.
Lo calme y l'enart. J.Jes volatiles revienneni.
« Loup )), queue en panache, a suivi sa nouvelle amie.
!Je nouveau, appuyé à la gl'ille, Bourrache regarde le chemin.
Toujours deb0ut, l'aide, immohile sur le seuil -d e sa maison,
Mme Bourrache consirlère son fils et hoche la tôLe. Elle sait que
-ses blessures llli causent des souf[rances; mais aussi qu'autre
chose, SUI' lequel il l'esLe muet, le mine et aura bientôt raison
de lui.
Elle appelle d'ulle voix douce;
- Abel, qu'esl-ce que cos gens?
Les nouveaux propriétaires de la J'v!( ~ san g0 I'e ..
- Que 'viennent-ils la ire de nos côlés avec leurs allures de
cUl'I1aval?
- J Cl me le demande, ma mère.
- l'JaiRe li Dieu que ces gens ne nous restent pas longtemps 1
- Vos souhaits seronl exallcés, ma mère. Très vile, jo le crois.
Pauvre Mésangère 1. ..
Mmo Bou rracho se signa. Tou les les nouveautés l'eJtl'ayaienl,
�48
TERRE
INCONNUE
Depuis que la guerre lui a vait rendu son fils, si blessé, si meurtri, dIe perdait toute confiance en la vie et redoutait toujours
que le malheur ne franchisse de nouveau la porte de son logis.
IV
Fort inquiet, le baron entra ce joor-Ià dans le salon de
Mme Briey.
- Qu'est-ce qui se passe? .. mtes-vous sou1Iranie? .. Avezvous de mauvaises nouvelles? Véronique vient de m'ouvrir la
porte en tamponnant ses yeux d'un énorme mouchoir, Étant
données nos vieilles relations, je me suis cru autorisé à lui
demander, a vec mon habiiuelle courtoisie, ce qu'elle a vail.
Elle m'a répondu d'un air ierrible ce mot tranchant et brutal;
K Rien. )) Je n'ai pas insisté. Vous aussi tamponnez vos yeux,
au mépris do toute coquetterie? .. Les larmes sont donc ici à
l'état épidémique? ...
- Vincent a écrit qu'i! prolonge son séjour là-bas. Qu'i!
pronto de son voyage pOUl' allel' à Lourdes, puis visiler des
parents qui habitent Argelès, Tarbes, Bagnères ...
- C'est cola qui vous émeu t? ..
- C'est ce qui émeut VéI·oniquo. Faire ce voyage avec lui
était son plus cher désil'. Si Rachat était ici, Véronique m'aurait demandé d'aller retrouver son époux, « Madame, gémitelle, a envoyé Mlle Rachat dans ces pays pordus, celle terre
inconnue ... » Reproches ot larmes ne ce~nt
pas. Véroni(IUe
s'en prend à moi, à l'argenterie, aux assiettes ...
- Voilà qui explique l'émotivité de Véronique. Il est toujours imprudent de sépal'er, ne fut-ce quo quelques instanls,
ce quo la Providenco a uni. .. Mais vos larmes, qu'est-co qui)es
provo,!ur?
- Mmo Férol sort d'iei ...
- N'est-co point son dovoir do venir vous visiter '?
- Vous sa vez quo chaque foig qu'ollo viont. .. noul) parlons
si peu le même langage ...
Je sais surtout que vous avez une tondance malheUl'euso
à vous tourmenter pOUl' des 1 iens. Que vous a dit Mmo Férol
pour vous agiler de la sorte?
Ello m'a une fois do plus eIl termes fort diplomatiques
'llais claIrs - laissé cumprendre comhien ellc d6sapPl'ouvait
�TERRE
~NCOUE
ceL achat de proprié té et « l'orienta tion inattend ue » que ceJa
peut donner à l'existence du jeune ménage, ce « fait imprévu ~
qui n'est point entré en ligne de compte lors des arrange ments
de famille, etc ... , etc ...
" Encore, a-t-elle ajouté de sa voix sèche et coupant e dont
le ton est à lui scnl une oITense, si cette terre était située aux
portes de Paris .. . mais non, elle en est à des lieues, en un pay~
où nous n'avons, ni les uns ni les autres, nulle attache ...
- Comment avez-vo us paré ces multiples coups droits?
- En usant d'abord du vieux cliché: qu'avec les rapides ,
los autos, le téléphone, le télégrap he, la T. S. F., il n'y a. pas
do distance . En exprim ant ensuite le très grand plaisir de vQir
mon fils occupé.
- Parfait 1. .. Qu'a répondu Jo. dame?
- Qu'il eût été sage d'avoir cette préoccu pation plus Lôt.
A l'âge de Bernard , si on n'a pas déjà l'habitu de du travail,
on en accepte ra difficilement l'obligation. S'il en eût senti la
nécessité, pour ne pas manque r d'a voir son café au lait tous
les matins, c'eûL été diITérent. Mais comme il est sûr qu'à son
réveil on le lui servira crémeux, parfum é, sur un plateau
d'argen t; que pour le resto il sait ponvoir compte r, comme il
l'a toujour s fait, sur de grasses mensua lüés, il sera inutile
d'atlend re de lui autrc chose 1. .. Il faudra donc me résign erm'a-t-il été certifié - à 10 voir se contontel', non d'une Ol:CUPaLion sér'ieuse ot lucrati ve, mais de quelques vague et honorifique fonction, qui l'autori sem à mettre sur ses cartos de
visites ; « ALtaché de ceci ... de cela .. . Sécrétait'e' d'ici ou
d'ailleurs » , cc qui fait Loujonfs bien dans le paysage , gonflQ
1111 homme d'impor tance ...
- Et lui permeLs, interrom pt lestoment le Baron, d'oppoSer sans cesse à toute investigation sur ses allées ot venues,
CeL alibi ; « Je vais à mon buroau ... J'irai à mon bureau, .,
J'Hais à mon bureau ... ", 10 présent , le futur, le passé,
la conjugaison tout entière du verbe; Heuroux morloll ...
- Vous vous entendez tOllS pour êtl'O sans pitié pour mon
nlsl.., larmoy a Mmo Briey. J'ai opposé que rèvanL (Je mieux
fOur lui, j'avais tenu à lui ,'onner ceLte lerre importa nte, qui
e mottrai t on évidonco, pourrai t faire de lui un personnage
tOnsidérable, gros propri6 lairo fon ier, grand.é leveur, C( quel'\ll'un " onOn, pouvan t devenir can,Udat aux élections ... con!eiller général, député ...
�SD
TllRRE
INCONNUE
- Évidemment, ainsi comprise, l'agriculture mène à tout 1
Qu'en a dit Mme Fél'oL? Co raisonnement devait être oependant
pour lui plaire? ..
- Elle m'a répondu par une parabole ...
- Oh 1 là, là!.,. J'en suis curieux ...
- Pour s'ocouper d'agriculture il faut y être préparé, sinon
à quoi serviraient les écoles d'agriculturo : Grignon, St-Jouan,
Montpellier, les fermes-écoles? ... m'a-t-elle dit. Et elle a
tenu à me démonlrer qu'en obligeant Bernard à marcher dan"
cette voie sans avis préalable, sans même avoir ét6 consullé,
j'avais agi comme les pères Canaques.
- Les pères Canaques? .. qu'est-ce que c'est quo ça? ..
- Il paraît qu'aussitôt que leurs enfants com mencent à
marcher, ils songenl à leur apprendre à nager. Pour cela, iL,;
les emportent dans uno pirogue on pleine mer et les jetlent à
l'oau, Les petits Canaques s'on lirenl pareo Cflle, comme lous
les êlres lrès prés do la nature, ils ont un instinct de conversation cxlro1memenl d6veloppé. Mais Bernard n'ayant rien du
sauvage risque fOIll, s'il tombo dans un élément qui lui esl
totalement inconnu, do cou 101' à pic.
- Ma cbère dame, au fond, si Mmo Férol a manqué de cœul'
et de ménagemenls on vous disant ces choses, elle fait preuve
de bon sens ol jo parlage un peu sa façon do penser ...
- J'étais si persuadé d'avoir bien agi 1... s'écria Mme Briey,
éplor·'e.
- Qui vous dille conlraire? .. Allondons. VOliS oxigez, les
uns e f los nllt l'CH, LcaUCOlip Irop de ('es jeunes mari6s de trois
semailles. Vous oulJliez que Paris ne s'est pas bâti en un jour
el quI' chacun de nous a dil à son heure, la meilleure souvent
de lOllte sa. vic: u \ demain, les alTaircs sÙl'ieu!lcs! D En voS
larllles, vos tracas, jl' nc vois pas, madame, - excusoz-mo i
do cello locutiou papillaire, - do quoi fouellOl' un chat.
- Puill celte pauvro n !l'hat m'a écl'Ît do pénible choses .. '
Le h.lroll éloufTc un Mill 'ment.
- .'\11 l'a il, avant !l'allpr 1'1118 loin ct pendanl quo nous parionS
de la pr{ci,'uso " Jwnne ami[' D, cnnLez-moi SOli hisloire ct 10
pourljuui de voire attachemelll pOlit' elle. Dopuis si longtempS
que jo la voÎ!! ici je Il'ai jamais e1l la C'lIl'iosil6 do vous posor
c 'lto qUl·slion. Qlli c"L-cll ? j)'où vielll-elle? .\-t-ollo jasn:IÎ ;
r- il un eaprÎco? -l-cllc un l'oman dans sa vio? Cela nO ll;
changora de la vruimcnl rusanlo l\[mo F~rol.
�51
T.ERR!! HiÇONNUE
- R,aQhat ? ... Un.l'Olllan ? .. un CllPl1ice? P~IlN're
fJ},le!.,. Vf.ms
ne l'avez donc jA}llllis regardée? ... répond Ml)le Jll!iey qQ.e çlt~e
idée COlllmer;ce ~ égayer. Rach~t
6:!t llnej$Qléq, née d'{lvj\~re;
on ne sait où, ni commllnt ...
- Parlez-moi d'un pareil état (Jivill ...
- Recueillie Pal' l'âssistapC,B PAAblique, connflo à une ~ f,lQurrisseuse )) qui semblait flvoir J)ris à l,~che
dfj la faive mOWllr
de faim, retirée des mains de cette afTnellse femme avv.nt
d'avoir rendu le dernier soupir, elle fut lTI\se flans U11 ol:phelinat . Bien soig\lée ceHe fois, élevée clans d'excellents prijlcipes, elle y est demeurée jusq\l'à fla majollité. LO,ffiqu'eUe en
Sor4it - puisqu'à cet '!Te la règle)'ex:igeaH - elle lia.v~t
lire,
écrire, compter, cOlldre, brod~,
fa,ire un PIn} de cui&\n.o, les
confitpJ.1es, quelques giileallx, la let!sive, prop.on(HH' quatre wo~s
<t'anglais, cinq d'espagnol, faire une gamme 1...
- La science infuse! ...
- Avec à son arc ces COlldes îl'agil<ls et les guelq\les SQ\lS
que l' ssistanee lui résorvait, Rachat fut p.bandQnnée à elll'lmême. Les œuvros dont je fais partie m'ayant mise on rO~f\tiQn!l
a.vec la diveotl'ice de cet orphellnat, Rachak me fut rel/omlnandée. Elle vint chez moi, il y a unp dizaine d'anM.es; flUe
.Y revient oncone ohaquo jour, me monlrant un dévQ~lemnt
II.
toute épreu ve, m'aidant on toute occasion avec plus grC\nde
discrétion ...
- Qui n'a pas ses potits secl'eis 1... minauda le bp.ron.&i
drôlement que Mme Brioy le menaça de son éventa.il.
de la nues el
Ainsi finissaiont le plus sou venL ses c~jse
S'upaisait un état nervoux que le moinùre souci pOl!~s
ità l'o((:;lgéralion. De grands Inénagem nts auraiont éLé n~Qepsair
à
àlmo Briey. on entoul'age trop tréquemmollt n'y prenait
arde.
- J'ui su , d'autre part c pendant, que RachaLn'était point
'ans argent, reprit Mme Briey sc rassérénant peu à peu, (lU'à
Q majorité on lui en fil la révélation; mais qu'clio so rofusa
éncfgil!urll1ont à accepter la moindre somme. Je sais encore
([IJe, lllalgrt': co refus, cet argenL déposé pour oll , placé en
~on
nom, s'uugmentant des lnt6t'ôts, clle le louchora quand
~lIe
voudra ...
- Qu'est-co qlle jo <.lisais? ... Nous voilà on p!f>in J'omalll. ..
- Rachat, ÙU J'ORlo, ne parle jamais de cos choses, ne parle
lllnuis d'ello-même. Aussitôt ([u'ello :ll'l'ivo, olle s'occupe cte
'il
�52
TERRE INCONNUE
mol, de ma santé, de mes tracas. Elle prend mes commissions,
va les faire. Elle m'aide dans ma correspondance, m'évite un
tas de petits ennuis, de petites corvées surtout, que je ne pourrais imposer à Véronique .. . Depuis dix ans qu'il en est ainsi,
la pauvre Rachat m'est ,devenue indispensable ...
- Qu'elle idée avez-vous eu de vous en séparer? ... Vous êtes
toujours possédée d'une soif de sacrifice et Dieu sait si l'on vous
en est reconnaissant , ...
- Je désirais avoir sur cette propriété, l'habitation, ses
dépendances, des détails et des explications que Bernard, qui
déteste écrire, ne me donnera jamais ...
- Je vous ai toujours dit que vous n'avez pas grand'chos e
à espérer de votre ms en dehors de ce qui touche à sa satisfaction personnelle. En ce moment, et plus que jamais, il en
sera aInsI. ..
- Enfin, je sais par Mmo Férol, que nos tourteraux sont
partis pour Madrid, Malaga, Gibraltar et cela dans la limousine, accaparant le précieux Ogier 1 Trôs mécontente, elle rend
Bocnard responsable de ceLLe décision: « Jamais Arlette n'aurait osé agir, vis-à-vis d'elle, avec un pareil suns-gêne ... Celle
randonnéo est une folie. La limousine n'y résistera pas ... »
Mme Férol est donc obligée d'aller à pied. J'ai bien des soucis,
mon pauvre baron, de tous côtés il m'en arrive ...
- Allez-vous oncore "Vous rendre malade pour si peu? ...
Laissez ces enfants courir tra los mOlltes par monts et par vaux
et Mmo Férol se promener à piod. Si cela lui est trop f<lUgant, olle Mlora un taxi. Vous me disiez avoir reçu une le Ure
de Mlle Rachat. S'il n'y a pus de secret, de ces secrets que
vous gardez jalousement, puis-je en avoir connaissanee?
- Jo vais vous la lire ...
• Chère bonne Madame,
• Je tiens ma promesse et vous écris aussi vite que col ll
m'a été possihlo. Nous avons fait un oxcellent voyage. A
« peine descendus do wagon, 'nOlis avons éle dépasses pal un o
« auto qui cont nait Ogier ct Angelina, envoyés pur Mmo 1''('1'0 1
« corn mo nous avons été Cil voyés pal' vous, a vee 1 's I1Ônl~S
« instructions. Vinc, nt et moi a vons (Lu bion surpris.
.
« Il est regrettable, madamo, que ce doublo départ n'a ll
.pas cu lieu ("plus tô.~
La maison avait grand besoin d'ôtrO
�TERRE INCONN UE
53
ouverte , assainie , nettoyé e, remise en ordre . Qui donc avait
été chargé deson entretie n? . . Je n'ai rien vu de plus pitoyab le.
« Nous avons fait ce que nous avons avons pu; mais malgré
« de grands efforts et toute notre volonté , nous n'y
avons pu
« suffire.
« Enfin, nous avons couru au pills pressé qui étaÏl d'allum
er
« partout de grands feux; mais nous n'avion s pas de bois et
« long et dirricile a été de s'en procure r. Les jours sont
courls,
« la nuit tombe vite, n'lyant pas l'électri cité, ni même
à nolre
" disposit ion la moindr e lampe à huile ou à pétrole, il nous a
« fallu réquisil ionner toutes les bougies du village.
« J'ai heure sement découve rt, au fond d'un placard
obscur,
" des « trotteus es », petit bougeoi r où les bougies ou chandel les
« brûlent protégé es par un verre rond. Et vous auriez
ri,
« madam e, de nous voir, ce menu flambea u à la main
, pro« menant à Lous les courant s d'air ces malheu reuses
bougies
1( qui fumaien t
et laissaie nt tomber partout leurs larmes de
" cire.
« Nous avons heureus ement joui d'un jour de soleil
mugni« Ilque pour metLre à l'air la lilerie et décou verl daus
un ge'ef(
nier un nombre respecta ble de ces chaufTe-lits que l'on
« appelle des « moines » et pu parache ver ainsi à
coups de
« l'échaud s de charbon le séchage des coussins , sommie
rs,
« matelas , imprégn és d'humid ité.
u Vous me demand ez madam e. \9 yous
dire cc qu'il y a
\ ~o\i'It,
l'IH~bier
: 4~es
j~liB
mCl,lb1e/i ~n6i!l,
ç'ç!lt trè§
« insufflsant. TOl1lle nécessail e manque .
" ousavon scepend ant pu ornol' à souhail la chambr e de M. ei
'( Mme Briey. J'ignore s'ils ont été satis ·ails. Ils ne l'ont occupée
« qll'une nuit. 1 e lendem ain, ils reparbi enl pour Biarrilz
,
« puis pOUl' un long voyage.
« M. Bl'icy m'a dit en parlan t: « Au revoir, vous
nous
1 prendrû z quand noul'! r('viend rons.
» Mmo Briey a ajoulu
1 Uvec son ail' si genlil el son joli sOllrire
: « Ma bonne !li:)rl , 11loiselle Rachal , ne quillez plS la « M('SangiJre ll:lvunt mon
~ l'ntonI", je vous en conjure . Jo VOliS confie lout.
» Elle
'S'eloignail" elle CRI, revenue pO :lr aJoutel' : " Ah 1 j'onhliail'! ...
• nous avions in vilé , déjeune r nolre voisin le <.:apitaine Bou r• rache; vous le l'ecevl·c?. Trailf'z -le royalem ent ct excus ' z• nOns. Diles-Iu i ... qLle nOlis sommes partis ct ([ue ... qne nous
" n'avons pu faire ::lull'('ment, cela vaudl'a toutes les explica «
«
�TERRE mCONNUE
Il
tionsl ... Ajoulez-y votre amabilité, tout ce qui pourra nous
« faife Oûbner ... faites des frais ... je vous abandonne mes droits
" et devoirs de maitresse de maisonl »
« M. et Mme Briey partis avec Ogier, le plus triste a été que,
tout à coup, Vincent s'est décid6 à aller voir des parents qui
habitent le pays; qu'Angélina a déclaré profiter de son
Il voyage pOUl' aller à Lourdes. Si bien qu~
j'ai 6té seule à
« ('ocevoir le capitaine Bourraehe, prêpal'er 10 couvert, le
" déjeuner 1 Lo plus p(mible reslait encore à faire: dovoir man« gel' en tôle à lête avec cet inconnu qui est bion l'êlre le plus
" sin~uler
que j'aie jamais rencontré .
Il Quand il est arrivé et que je lui ai appl'Ïs le départ de M. et
« Mme Briey, il a paru si violemment déçu que j'ai eu l'espoir
« de le voir l'6pal'tir. Après réflexion, a-t-il jugé que ce serait
« pou aimable pOUl' moi ? .. Pauvre gal'çon, je 10 lui aurais si
« bien pardonné 1••• Finalollleul nous nous sommes attabl6s l'UI I
« en face de l'autre. Je sortais de table pOUl' aller chercher leS
a plals, il en sortait aussi m'olTl'ant de m'on 6viter la peine·
« Jo n'osais Iovo!' los yeux sur lui ot j'utais prise de fou l'ire·
" Nous ne savions que dire; or, manger en sil once et remplir
« Une saHe immonse d'un bruit de mastication est déplaisant.
« EnOn a-t-il voulu prendre en pitié, l'ennui, la gllne, le trèS
« grand embarras que je devais mal dissimuler, il a fini par
l' se monlrer plus aimable. C'ét.ait, du l'este, la fin du repas.
a Il est parti tont de suite après eL ie me suis trouvée eule il
, la Mésangère »•
• Ce malheureux officier nunc trisle sant{'. La guerre 1',1
« lai!'S6 couv(1l'l de bles~u'
cl a ga7.t'l p. JI vit:à Souille avec ~il
a mère. Co sont les « premiers volsl/1s " dl' la « Mésungére ,.
« 1. Bricy a sorvi HOUS ses ordt'es IOI'Sqlt'U était ail l'(!girnonl
u C' sl ménH' à cc souvenir C't à ceux qui s'y l'attachent que \l'
u capitaine s'rst dôridC 1
« Jo tcrlllil\ù t'n vou~
disant, madamo, que M. ct 1\[mo Uril')
« onl l'ail' Ir('s lH'ul'oux, tr s guis, trùs birl\ portants cl pleill'
a .1' ni rain.
a PermOLl '-mol dl' vons l'I'nonvel, r une rois dl' plus l'ass U'
« ranco do, elc., l'l('.
- Rétnpitulolls, !l't"nia le bal'o!l. l'oU!' challlT " la maisoO:
ils ont tt'ouv(' du hois; )lour s('rhOI' les sommil'I's ct match!'
humides, ilrs r.hauf!e-lils; pom s'érlain'I', des tl'OttC!IlSCS; ''0·
louloreullx (ml l'ail' lrès hC!ureux, 1l'ès gais, pleins d'entrain"
CI
Il
•
�'FERR'E INCON"N UE
et vous 'vous plaignez que Milo Rachat vous mande de
pénible s choses?
- Mais cette lettre ne me dit rien, compre nez-le donc,
baron 1. .. Rachat ne me parle de rien. J'aurais aimé avoir
mille détails, SUI' la maison, le pays, les cultures , l'aspect des
choses, le mobilie r; enfin l'impres sion de Rachat sur ce qu'elle
a sous les yeux; on dirait qu'elle n'a rien vu, qu'elte ne voit
rien .. . J'aimer ais savoir tout... ce qu'elle ne me dit pas l, ..
- Bien abstrai t pour une cervelle d'orphe linat. Voyons, je
vous fais une proposi tion; Voulez- vous qne j'aille là-bas,
peut-êt re arrwera i-je à vous satisfai re mieux que Rachat ?
- Comme nt vous revenez de voyage et déjà vous pensez à
reparLi r?
- Pour VOLIS plaire, madam e, que n'en ll'epl'ffil drai9- je pas?.
- Merci. Une fois loin comme Vincent , A'TIgelina, les autres,
vous imiterie z le corbeau de Noë ...
- Que vient faire ici, grands dieux, le corbeau de Noë? ...
- Happele z-vous votre histoire sainte 1 Il partit pour ne
plus revenir 1
Quelques instants plus tard, le baron arpenta it le bouleva rd.
VéLu de gris, chaussé de guêtres blanche s, il allait d'un pas
allègre, l'allure jeune. Son visage rasé, aux traits délicats ,
son rega-rd dl'oit, eX'primaient le calme et la plus parfaite
sérénité .
EL Lout en marcha nt, il songea it;
- Il est évident quo Mmo Férol, qui 'ne s'attend ait pas à
l'\trang e cadeau fait au jeune couple, luttera pour ne pas
perdl'o sa 11lIe. Il est évident que, comme c'ost à prévoir , la
très modern petit' Arlette sora d'accord avec sa mÔI' pour
ne point sc laisser enterre r dans un d6~el't.
Il est plus évident
oncore que, rebelle à tout eITort, à toute lutte, Bernard ne
demand . 'a qu'à saisir un prétext e quel qu'il soit, pour no pas
avoir à mul' l' sa vie dans cette école de patienc e, d'encluranco,
de persévé rance qu'es t la gestion, pal' soi-mêm e, d'une propriété, chos du r ste dont il est, à mon avis, totalem ent
incapab le. Alors quo doviend ront ces cent hectare s et l'espoir
qu'avai t Mmo Briey de fair de son ftls un homme occupé, un
Kl'and !lI'opI'iétaire, un gros él Vl!ur, lm conseiller g\néral , un
dôputé? Ahll s pauvres maman s, comme !'amoUT, si aveug les 1
l~e
raisonnuit Ilien ceponda nt en chercha nt à sauvel' ce garÇon de l'oisivet é dont j'al toujOUI' cu peur pour lui. Et dire
�$6
TERRE INCONNUE
qu'aujourd'hui alors que se révèlent chez des galopins de dixnellf à vingt ans un désir de travail, une soif d'arriver, de
l~usir,
de n'être plus à charge à leur famille, d'être libroo
enfin, agissant par eux-mêmes, ne dépendant plus de personne,
celui-ci a gardé la mentalité de la génération d'avant guerre,
la génération des K fils à papa n, bien pis des. fils à maman )),
g€l\6, choyé, dorloté, porté aux nues the most beautiful boy in
,ltf: woridl ... Ma pauvre amie va pouvoir revendre ses cent
hectares et son château.
« Et penser que cette propriété ferait le bonheur de tant
d'autres 1. .. Qu'elle appartiendrait, par exemple, à un de ces
petits bonshommes debrouillards, pleins d'entrain, d'activité
·,t d'initiative auxquels je pensais tout à l'heure, qu'i! y fonderait son foyer, en tireraiL un parti merveilleux et y ferait
lortune 1. .. Et quelle vie intelligente j au bon air, au grand
soleil !...
• Il est à croire, par momenLs, que le monde tourne à l'envers!
v
Devant la parLe de leur petit logis, les Labat s'entretcnaient.
LuI coupait du bois. Elle, les poings sur les hanches, le
regardait faire avec admiration.
- Comme tu es fort, Casimir 1. .. A-t-on idée de cela, à Lon
Gge l ... Tu en remontrel'ais à un jeune ...
- Femme, on fait ce qu'on peut. Qu'csL-ce qui couperait
ton bois si je ne pou vais pas? ..
- Le bon Dieu nous protè;;-c ...
Et la vieille joignit les mains.
- As-tu vu la domoiselle, ce malin?
- Elle est passéc allant à la messe, comme tous les jou/'s?
- En voilà uno qui a su vite repérer la maison du Ron
Dieu.
- Elle semble, commc nous, avoir tellemcnt bcsoin de Lui!
A cc moment, MilO Rachat apparut. Par le peLit chemin
Ceulr(' do tiges de mali, ellc rcvenait du village sorrant, d'un
air Cl'lieux, son paroissien sous son bras.
- Ce vilain temps do novembl'e ne vous a pas fuiL PCUl',
,jemoisellc?
- J'au l',lÏs micux aimé voir le beau solei f.
�TERRE INCONNUE
57
- En cette saison, l'océan nous envoie souvent ces vilaines
brumes basses ...
- Demoiselle, vous paraissez toute gelée .. . Femme, f.lis
une flambée, offre du café.
- Vous voulez bien demoiselle? .. J'osais pas l'offrir .. .
Rachat accepta.
Ainsi fit elle ample connaissance avec les vieux Labat.
Le ca fé était chaud et la flambée très claire.
Pour faire plus d'honneur à la visiteuse, Labat avait cessé
de couper son bois.
Et tous trois, assis sur des escabeaux, devant le foyer
large, se pressaient, tendant d'un même geste leurs mains à
la flamme.
- Comme cela réchauffe!. .. disait Rachat. A Paris nous
ne connaissons pas de pareilles jouissances 1
- Vous ne vous ennuyez donc pas ici, demoiselle? ..
- Oh 1 non ...
- Vous n'avez pas peur de coucher là-haut toute seule?
- De quoi aurais-je peur? ..
- On ne saiL! ... Dans ces vieilles demeures, tout est à
craindre ... les vi vants ct les morts ...
- Ta, ta, ta, demoiselle, si vous écoutez ma femme elle
1. ..
vous en débitera, des ~Ol'netcs
Rachat hoche la tête. Elle Ile l'avouera pas, muis les heures
qui lui sont pénibles sont celles de Irl nuil. Le silence, l'immol)ilité, le vide qu'elle sent autour d'elle l'oppro',se. Elle a froid
dans la mansarde où eJIe s'est ré ,ugiée. Sa couche est insuffisante. Mais quand revient le joue ces impressions s'effacent.
Blle ou b lie tOll L.
VOllS devriez vous Oll venir près do nous, demoiselle? On
s'aideraiL ...
HachaL regarde aulou l' cl 'clic,
C'est un bien humble logis. Une porle Ouvrant sm le dahol's,
une porte ouvrant Rur l'inLérieur. Uno fenêtre. L'alcôve où so
cache le lit. Ulle table sur trois pieds, le quatrième est remplacO pal' uno lige cn fOI', I)oux chaisos. Une armoire vermOUlu3. Dos étagères où r posent d s souliers nets eL brillants;
mais si tordus, si déform('s pal' l'usage. Ql1olfJuOS outils posés
conLre les murs, Des hardes s .lspenriuos, de ces vôlements
sans couleur donL il n'est plus que la tramo. Enfin la cheminée
il grand auvent. 01'1 Ir ft'u hrill , l'échalifTant et grli, les OS " [\-
�58
TERRE INCONNUE
beaux qui permettent de jouir de la bonne chaleur; le grand
luxe des pauvres gens.
- Où me logerait-on? ... se demande Rachat.
- Pas ici à coup sût', déclare Labat comme s'iJ devinait la
pensée.
- Demoiselle, tout à côlé il y a une fournière, venez la
voir, insiste la vieille. Un lait de chau:! sur les murs les rendra
blancs comme neige. Casimir vous fera cela, il est encore sl
gaillard pOUl' son âge, tandis que moi ...
Et c'est ainsi que quelques jours plus tard, Mlle Rachat
pouvait écrire à Mmo Briey:
« Je n'ai aucun mérite, chère bonne madame à prolonger
« mon Séjour àJa « Mésangère». Gardez-vous de me plaindre.
« Le grand air, l~
calme, me font grand bien. Je n'ai plus de
« ces maux d'eslomac dont je sou1Irais à Paris. Mes poumons
« se dilatenL. Je respire. EL la pensée du retoru' là-bas, au fond
« de cette troisième cour, de la rude monlée par l'escalier D,
« si sombre, me fait peur. C( VOLIS nous prendrez quand
«nous reviendrons... », m'a diL M. Bernard. - cc Je vous
« conQ.e Lout, ne vous éloignez pas avant notre reLour ... »,
« ajouta Mme Briey.
« Je me répèLe ces paroles, moins comme dos ordres précis
« et une prouve de confiance dont je suis fort touchée, que
« COlDme un prétoxte à pl'olongel' ici un Séjour qui m'enchanLe.
« J'attendrai donc, sans mérite, ce retour des heuroux voya« geurs. Cela m'est une excuse vis·à-vil:l de moj·m'me, de
« goûter avec Lant d'apaisPffienl, Lant de bien-Mt' , arH'ès
« avoir si longtemps vécu enferméo, celLe vie au grand jour, au
(( grund soleil.
:;.. cc Ah 1 quand 011 peul, pa~sel'
ainsi son exisLenco, comment
« a-l-on le conrage de s'exiler duns los villes, d'êtro « un
(( do plus» dans ces vastes casornos ù l'oll vit pnlaHsés, de
cc s'y nOUl'ir do choses re]aLf!~,
do üüt truqué, cio vin t]ui
, n'a souvont rien du raisin, de 1()gUlllOS dont la C'ulLuro o::.t
« fa voriséo pal' c1's engrais inomrn<.lules?... Ah 1si j'a vais le
« choix ...
el
« 11 faut avoir, marl;unc, t'cHtlir6 ['oLLc allllosph{lI' li(~dc
« calme ch:J.I'g(!o d'llI'.otllCH qui monlent des sou!i-hoi-;, d('~
« Lenes l;ÙJou'{~(s,
do.; landes fi Ul'iQs, C s senleut's m;u'iJ1(';
cc qu'apporloJllsqu'unollscolle bonne hdsequi arrn 111'61'oc(·;t1f
« ses vagues d ses plages, pour cOJ}('evoir mon enthotlsiusl11/'.
�TERRE lNCOW-N'UE
59 .
couchers d.e soleil, ces
« Il faut avoir vu ces magni~{}ues
merveilleux « jeux de ltlmiol'es et d'ombres sur la plaine, les
coteanx et • les admirables montagnes pour tout oublier des
soucis cle l'heure, des misères de la vie.
u Ne me plaignez pas, ma bonne madame, je vous le répète.
« Mon bien~êtr
moral est splendidement assuré et au delà ...
« 11 en est pareiIlementde mon bien- être matériel, s'il vous
« tOUl'mente.
u Les vieux Labat m'onL adoptée. Je me régale avec eux de
« garbure, de purée de citrouitIe, pain de maïs, œufs frais,
u bon lait crémeux eL d'autres mets du pays qui m'éLaient
u inconnus et me semblent exquis.
u J'ai quitté ma mansarde, donL l'isolement vous aurait fait
« fpissonner, e1l me voici insLallée de façon merveilleuse dans
« une pièce du rez-de-chaussée, dotée d'Ulle cheminée
« immenS<l <!le'v ant laquelle j'ai la béatiLude de me rôtir, avant
« de me couchel', d'une belle flambée dont j'ai été, le jour, à
« l'exemple des Labat, ramasser dans le parc les brindilles.
« Braf, chère madame, grâce à vous qui m'aval!: envÜ'yée
Il ici, qui m'avez fait f.aire ce beau voyage, je suis transfor« mée, armée de fQlfCeS nouvelles. Il me semble que désormais
« tout peut être mieux pour moi, qlle ma vie n'a été jus« qu'ioi qu'une épreuve qui touche à sa fin ...
« J'entrevois l'avenir avec plus de conflance. Rien ne
« manquo, alors que les yeux s'ouvrent et qu'on sait voir et
« admipel' au~or
de soi, les merveilles qu'y a semées le Créa« teur" pour la pIns gr'o../lde cons~at,
d~s
h,omm,es.
« Du r sto, qu'y-a-t-il do plus joli quo la « :edésangère?» ...
« C«;l n'esL pa$ un do ces hâLeaux fal'ouches où l'on poulTait
« logerunrégimont; mnisun Cas(elmenou,lm casll>ll/lignonqll'un
« grand se ignrur, dont lu mort a emporl,é le nom, nL cons« truire au temps d'Henri IV, pOil)' une chanteuse espagnole.
« Wlo dansa)!. il ravi!' ct chantait mieux oncor ; mais c'était
« un oisjl,w sauvagr, de ceux qui 11 vivent qu'en liberté. 11
« n'esl do barroaux, si dorés soionL-i ls, qui ne valent 10 gl'and
la chanteuse s' nvola ... Dopuis, dit( cspucr ... Un soi r' d'H~,
« on, triste âme on peillC', 10 gl'and seigneur la che l'che et
« l'appelle. Et lrs soiJS cl'olll'agun cette quêLe il la poul'suit
'( uvel: lin rodoublomenL de d(.scspoil' ...
« RL l'on ne sait si ce oe qUi' 1'011 ntend est le cd l'aufJu ,
J le hurlement de Ees appels ou la plainto grinçante ùes
�60
TERRE INCONNUE
girouetLes, la poussée furieuse du vent, l'efJort des arbres
qui luttent contre l'assa ut des rarales ...
« Ne trouvez-vous pas joli, madame, ce conte bleu que les
(( Labat me dirent un soir au coin du Ieu ? '" Quel est le vieux
" château qui n'a sa romantique légende 1. ..
(( Somme toute, la (( Mésangèl'e » pourrait être une délicieuse
(( habitation si elle ne ressemblait en ce moment au châtea"
" de la Helle au bois dormant après les cent ans que dura
" le sommeil de la princesse. Même désordre, même fouillis,
(( même enchevl!trement de lianes, de lierres, d'églantiers,
(( chèvrefeuilles, vignes folles, de ronces, surtout de ronces 1. ..
a Souvenez-vous de l'illustration de G 'stave Doré dans le
(( grand livre des contes de Penault ! Même désordre dans les
(( allées dont toute trace est eITacée, même désordre sur la
u façade dont les pi erres apparaissent tavelées de mousse.
« - Quel délice ce serait, me disait le vieux Labat, de
« mettre la serpe cn cette forêt, d'cmploy:Jr le cordeau ponr
«l'alignement des allées, le grattoi!' pour débarrasser les
(( murs de ces p.arasites ... » - Il ajouta mllme : K Ah, si j'en
(( avais la force, j'aime tant la vieille maison quc je ne le
" fcrais pas pour de l'argent, mais pour mon plaisiF 1. .. Il Le
a bon vieux exprime mon sentiment devant cet abandon qui
« serait vite réparable. Moi aU'isi, je me surprends à penser:
« Si j'en avait la force, quel plaisir ce serait 1. .. »
a VOliS me demandez, madame, si j'ai revu mon voisin? ..
~ Je l'ui aperyu,., de loin l,., A-Hl fein~
çlç se !jqUV~r
PQu!, n~
~I point avoir à lM parler? .. Lui étult-ii déplalsaiit dé rli.Ô
« rencontrer? .. Probablem nl m'en veut-il de ce déjeuner
(( en tllte-à-tète qui dul lui être d'un si gl'and ennui? .. Je
'( n'cn l'ltais pas l'csponsable pourtant...
.
" Excusez cette longue missi ve éGrite flans l'cspoir de vous
" distl'aire, de vous fail'e plaisi l' ...•
... La lettre partit 10 Jenrlem lin, arl'Ï va faubourg SainlHOlloré. Vinoent rovonu, ayant l'etrouv6 Véronique, ropl'is
son habit noir, son plastron blanc glaCé, ses beLl es allul'es de
plénipolentia ire, la l'l'mit à M'no Briey sur le plateau d'argent
propre à cet usage .
Le bal'on venait d'al'l'ivcr.
Suivant son hahituel!', debout, dos au foyer, soulevant tantôt un pied, tanlôt l'aulru, il oxposait s~
semelles à la douce
dtalrur de la flamme.
I(
«
�TERRE INCONNUE
61
« Courrier peu intéressant! ... marmotta Mme Briey avec
humeur - une carte de mes enfants ... naturellement! ... Tout
ce qu'on m'accorde de temps en temps! ... Quelle invenLion !...
Cinq mots, une vague image, un timbre de quatre sous, six
sous - je ne sais plus 1 - et on se croit quitte des égards dus
à la famille 1... Oh 1... - Mme Bl'iey eut un cri et leva les
bras au ciel.- Baron, savez-vous où ils sont? ... A Casablanca ... « Visitons Maroc, toujours bien, tendresses. Bernard. ))
C'est trop fort !... - et ses bras retomberenL en un geste accablé.
- Laissez vos enfants courir! ...
- Et l'auto de Mme Férol? ...
- Laissez Mme Féro! aller à pied, elle n'aura plus rien à
envier au pauvre 'monde 1. ..
- Ils n'auront tout de même pas fait traverser la mer à
la limousine? ...
- Les bateaux s'en seront chargés ...
- Qu'est-ce qui les arrêtera! ...
- Les bâteaux? ...
- Oh 1 baron, ceLLe perpétuelle plaisllnterie! ...
- Rien n'arrêtera vos j eunes mariés. Ils nous démontreront
le danger des lectures en visiLant Atlantide qu'habite Antinéa,
en assistant àlaFêtearabe, en s'attar,lanl à Marrakech S01lS les
Palmes, en poursuivant leur voyage Au pas lent des caravanes ... etc ... elc ...
- Baron, épargnez-moi 1•••
- Ils ironl au Transvaal.,. au pôle Sud ... aux antipodes ...
tout leur est possible 1... Du momont qu'ils sont ensemble, ils
empoltenl LouL avec eux el auraient bien lort de se gêner! ...
- Co sont dos vagabonds 1•••
- Laissez-les vagabonder. Ils sont jounes!. .. Cela leur
- « Plus vite
passern, - et mon grand-pèl'e aurait ajout(~:
qu e cela no nous roviondra ... ))
Inatlentive, Mmo Briey a repris l'examen de son courrier:
(( Des lettros de quille ... des prospectl s ... les Joumaux ... Ah 1
une leLLre de Rachat ... vous permeLLez, haron? ...
- Jc le <:emande, madame.
Mmo Brioy déchit'o l'on voloppe d 'ulle main norveuse.
ontenÎr
- La lollre est volumineuso . Sam; doulo v<~-Lelo
los 1'6ponses au queslionnaire que j'ai en V"oy6 à Rachat ... il y
a des choses donl je désire absolumen t II e informée .. ,
Mme Brioy commenco sa leclul'c, le papier tremble entre
�TERRE INCONNUE
ses doigts, ses sourcils se froncent, son so\\ffle s'accélère.
- Oh 1 oh! voilà des phénomènes précurseurs d 'orage! .. .
Qu'est-ce qu'il y a?
- Il Y a que Rachat devient folle ... Complètement folle 1. ..
cria Mille Briey fort impatientE:.
- Allons, bon! ... Quelle preuve en dQnne-t-elle?
~
Rachat ne répond à rien ... rien ... rien 1 do ce q1.le je h:i
domande! ...
- Cela ne saffit peul-être pas pour ...
Mme Briey s'anime de plus en plus.
- Ainsi je lui parle de son retour. Savez-vous ce qu'elle
répond? Qu'elle n'est pas prêLe à revenir . Le relour l'elTl'uye.
La troisième cour, l'escalier D lui fonl peur 1 - heureusemenL
qu'elle a mis une dizQÎne d'annéos à s'en apercevoir 1 - Après
cela, elle d'habitude, si r~se\'é,
si discrèLe pOUl' Loul ce qui
la touche, me parle d'elle, on core elle, uniquement d'elle 1... Ce séjour au grand air ... all grand solaill'enchanle .. . elle esL ravie ... le calme lui fait grand bien ... ses
poumons se dilalent ... elle respire ... son estomac se guérit ...
ses yeux se reposent ... Suil une tirade sur l'exode des campagnes .. . du courage qu'il faut pour s'exlJer dans les villes ...
des vasles casernes 01). \'on s'ontasso ... dos mel.,s frelatés que
l'on préfèro à la garbure ... de l'aromo ùos landes fleuries ... du
parfum dos lerres labourées .. . - Vous avoz jamais son Li <:ola,
baron, los Lorros labouJ'ées? .. .
Il oppose une dénégation vague.
- ... Des senteurs marinos ... de la bonne hriso qui OfOOU1'0
l'Océall ... dos admirabl s montt:\gnos ... dos joux do lumièro nt
do ]'ombre ... du r gl'el qu'ello 0. do no pou vOl l' à olle soulo
défri3hcr 10 )lurc do la Bello au bois dormant. .. du vois qu'eil
ran'asso pour on f;üro un feu immenso dovanl loquol 01If) sc
rôtit avanl do 50 couchorl ... Jamais aulrefois ollo ne serait ...
ello n'aurait 05(' nll'or en <.l'aussi étrangos détails 1. .. El pus
un mol, pus un lraltro mot de ré.ponso à Cf' quo jo demulH\el ...
C'est p:lI' trop l'Ol'l en vérÏl6 1... Il faul quo sôvoromenL jo
raJIJH'llo Rachal à f'lJo-m ~1lI0
...
« Oll, non, nO m'jnle(op~
pas, baron 1... 11 Y Il mieux 1...
Maintenanl, olle faiL de la liLLéralure ... clic ontl'ovoill'av ni!'
avec pllll; do conO"nro ... 110 se senL uI'mée do forr s nouvelles .. ·
0110 ronl 101'10 los mervoilles cie la créltlion ... quI' sai::;-jo
e)lcore? ... Cc ll'ost pas Lout: clic parle d'un ('olJlo bleu que.>
�TERRE INCONNUE
63
les Labat lui dirent un soir au coin du fou ... il Y est question
d'un grand seigneur ... d'une danseuse e::;pagnole ... des bafteaux
dorés d'une cage ... d'un soir d'été où le bel ojseau s'envola ...
De l'âme en peine du grand seigneur qui crie son désespoir
dans l'ouragan ... Follel Je vous dis qu'elle est folle 1...
- Montrez-moi cette lettre? ...
Mme Briey tend la lettre et continue à gronder:
- En vérilé, c'est exaspéranLl ... Tous me jouent le même
tour 1... Évaluez le nombre de ceux qui ont été envoyés là -bas
sans jamais m'instruire do ce qui m'intéresse? ... Mes enfants
d'abord. Ils sont l'es lés muets sur mon cadeau. C'esl à peine
si j'en ai eu un merci rlis,crel ...
-- Voilà pour eux 1...
- Angélina a fait un voyage charmant: pèlerinage à Lourdos,
deux jours à Biarritz. Sur ce thème, elle abonde en délails et
sur la « Mésangèl'e )) elle ne sait O.(l.oncel' que ceci; « Lorsqu'on
y esl, on a l'impression d'être dans la brousse où cherche la
bête féroce 1 JJ Mme FéI'ol a senti ses cheveux courls se clressel' sur sa tête 1.. .
- Charma.ü 1... Voilà pour Angélina! ...
- Vincenl a visiLé dos put'enls, des amis, on l'a fêl(', choyé,
encensé, porlé aux nues. Sur les agréments de colle tournée de
famille, il ne larit pas 1••• Queslion~SUl' la (( Mésangère ll,
son front devienl sévère, son visage se fel'me el c'est à peine
s'il jeUo du bout des lovJ'cs : « Cela no s'habitel'a jamais; c'est
pas la peinc d'y penscI'. ))
- Voilà pour Vincent 1... railla de nouveau le B~ron.
- F.t voilà pOUl' vous, mauvais plaisant 1...
r!it celte fois le baron ne pu!. esquiver un coup d'évenlail.
- Je me sauve!. .. Oui, décidément, jc m'cn vais ... les
femmes qui ontlours nel'fs me causont Loujours une ùe ces
épouvantesl ... Je vous rends La leUre de Rachat ...
- Qu'en prnscz-vous?
- lIé 1 lIé 1 Qu'il so pourrait que Mlle Rachat JJOUS causût
Uli do res joul's des sUI'prises! ...
- V01JS me donnez tOI'L, j'en suis certainc? ..
LI sc poul'1a~t
que ... qlle nous ne soyions pas sur cc sujeL
aLsol um nL d'accord ...
- Pal'lez 1••• Parlo7.1 ... Aussi bion ai - je il l'épondre ù Rachat
ct je vais le faire a vcc do la bonne oncro ...
�64
TERRE
INCONNUE
- VOUS êtes impitoyable 1.. . Il y a longtemps que je m'en
suis aperç\l... .
- Et cette fois je vais lui rappeler sans ménagement ... lui
faire entendre sans peur de la froisser .. . l'obliger à comprendre
que ... que ...
- Vous n'avez pas fait la dépense de ce voyage pour son
plaisir .. .
- Justement!. ..
- Un bienfait reproché lient souvent Hell d'orrense ...
Méfiez- vous 1. ..
- CeJa m'est égal.
- Au revoir 1. ..
Il prit congé assez délibérément, ce q\li n'était pas dans
ses habitudes.
Toute à son indignation, Mmo Bl'iey ne s'en aperçut pas.
Et il s'éloigna, monologuant:
IC Pauvre Rachat, malheureuse déshéritée, elle a un moment
de liberté qui lui donne l'impression de s'évarler d'une geôle
et la révèle à elle-même, il faul flu'on le lui empoisonne 1
Ayant toujour::i vécu dans la dépendance d'ôtres persuadés
qu'elle n'avait été créée que pour servÏl' leur 6goïsme, elle
l'oublie, il faut qu'on le lui rappelle 1. .. Elle a la possibilité
do respirer à pleins poumons cette bonne bl'ise aux senteurs
marines, de reposer sur de magnifiques couchers de soleil ses
yeux usés par dos trQ\'aux qu'il fautlivrol', au jour dit, coût.e
quo coûte, sous Il ino de mourir de faim, on 10 lui mal' hande 1...
IWo relève la tèle, goûle tout à coup le loisir do sc regal'uer
vivre, de s'<'couler penser, de muser au soleil, on coupe brutalement les ailes à ce pau vre 61an .. ,
u Ma chère amio Mmo Bricy est honne, ot ropendant, olJO,
qui ne ferail pas do mal à uno moucho, va so prèler à t:eLlo
peLilo cruaulé, On a bien raison do diro, - conclul-il dans
un grand soupir, - quo la joie de s'appal'Lenir, de dormir
toul son saoul, d'(;coulel' sonnel' 1'1I0u l'e, sans avoit' Il so hillol',
peul vl'aim nt s'appeler" plaisil' de riches »,
gt secou6 d'un JI Lit frisson Joyeux il l'idée d'éc:happol' à la
loi injuste, houroux do pensel' Il sun appartemoul do /f.u'ÇOJl
où Il sait aVOir LOutCH ses aises eL vivre de bien'ùlro, il sc
l'ond à son cerclo où l'aLLcndonl le tableau des demiors
COUI'S de change el sa quotidionno partie de dominos,
Hachat, pauvre ù6sh6ril 'e, ful ollbliée ...
�65
TERRE INCONNU E
VI
La lettre de Mme Briey arriva. Elle était ce que toute
lettre est, et ne peut qu'être, lorsqu'elle s'écrit en cet état
d'irresponsabilité momentanée qu'est la colère, auquel
s'ajoutent des nerfs exaspérés par un état maladif. La plume
outrepassa, certainement, la pensée de Mme Briey; le sens
des mots s'exagéra. Et, fort surprise, la pauvre Rachat ne
comprit rien à ce qu'elle avait commis .pour méri ter de si
vifs reproches.
Cependant ni indignation, ni révolte n'eurent, sur le
moment, raison de sa passivité habituelle. Depuis qu'elle
était au monde, elle avait toujours eu à s'incliner devant les
multiples formes que sait prendre l'autorité.
Mais tristement, elle se répétait;
" Qu'ai-je fait ?... Qu'ai-je écrit ? ... »
Et déjà elle s'accusait;
« Je suis étourdie ... si maladroite 1. .. »
A ce début, Mme Briey ajoutait une liste de questions:
" 1° Me dire l'essentiel de ce qui manque comme meubles;
batterie de cuisine, objets de toilette et cela sans omission,
s. v. p. ;
" 2° Voir avec ce M. Bourrache, qui peut bien se déranger
Pour cela puisqu'il connait mon fils et a déjeuné chez luI,
Comment il faut s'y prendre poùr remettre le parc en état.
Je vais déposer à la poste 500 francs pour los premiers Irais.
PI'ière de faire ces d6marches immédiatement ,.
« 30 Faire avec ce M. Bourrache la tournée du propriétaire.
~t savoir me dire clairement en quoi consIstent les fermes,
lour contenance, le genre de culture adopté et surtout l'état
tl'osprit des fermiers. Bon ou mauvais ? ..
Répondre ma lettre sous les yeux et dans le plus bref
u ~o
délai.
SUivaient ces quolques détails;
u Mes enfants visitent le Maroc. l l~
sont probablement
q o.bsonts pom quelques semaines. Je désire qu'ils trouvent à
~ LuI' retoul' ces améliorations terminées. Cela contribuera
k Cortalnoment à les décider à se fixo!', ou du moins à séjourq oor, à. ia CI Mésangère ).
3
�TEnllC INCONNU F.
66
;,[a santé sel'ail assez bonne. Mais j'ai tant de soucis que
cel'tainemcn t
« l'énerve menl constan t qu'ils me causent aura
,( raison, sous peu, de la millce flamme cie vie fille les m"',' « rins entretie nnent en moi, à si grand'IJ eine.
« Répond ez pal' COUI'l'icl' ... »
et lUIII,
Hachal, comme chJ.que malin, revenai t de la mo~e
cn se chuLlITaul au large foyer des Labat, vrenait son premier
déjeune r.
L-c caIé était bon, la ('ôlie dOI'ée, le lalt OrémelL\:. Le ton
anlorita iJ'e et violent de la letLI'e rendit t.out amer.
qu'y a-l-il en ce papier à voit' la trisle
- I)emoi~lf',
figurc que vous prene!. "1 •.•
Ra 'hat hauRSU leG (:paules.
- Cette llcllI'e <lu courrie r en QUI'a-l-elle 3,ppol'lé, dans
ctllle maison, oc ce qu' HOUS appelio ns au réj,;i meut dos coul'~
d caveçons 1. ..
- C'est que Casimir {'laiL ualls la cavalerie., 11 n'av;ül 1',1'
son pareil ]lour le dl'cssage Jes dIC\-aux ... Il n'yeu J.vait l';~
lin comme lui pour ...
- Oh 1 oui, insistait Ca imir so rengorgeuJlt, Illon CL1pilaine mo disait toujour s ...
- Qu'csL-r J,cuL ûlre un ca vcçou ? ... marmo tta llathal.
- Une pièce de fOI' clu'on Illlll au licol uu poulain au dressagr. Quand il ne veuL pJS obéir, quand il l'cleve trop la [l'te;
quancl il veut !ail'o des siennes, par Ul! coup. pail 1 SUI' k'
nasea,,"', on 10 rappelle à la mison! La vie on faiL de 1I11'11Ir
uvoc le:; homme s ...
t
El voilà (lue coUe ironge fl'apI) 1 achat. Jj}n quoi n'a-L-d l '
voulU
a-LoUc
Quand
lt'Le?
la
l'clev{J
a-L-ell
pas obéi? Q\lilnd
faÏJ'C' des si 'nnes pOUl' t'll'e frilppùc en plein visa::c l'OJlHIlP I~
poulain l'élif?
a\CI'
Ù Mm. Hiiry il-l-!:ll" \11'i:-; Ir droit d'agIr <IfJ l:t sOI'LI'
0 illl; \ll1t'
III
erU,Ji'\)
cL
salariéo
U1W
!,oiuL
n'ost
Itadlat
1
'
clio
Ilhligû(!. 1Ü\C1 lit l, lIl.tlgTÛ son aplHu'oncc humble , esllllll' fl~
f1bl'o; 1'110 no l'l'çoil l'Îen qll'elle nI) l'ondu Ù son loul'. M"'O Bd!')1
bonne pOUf' olle, lIltlÎl; r.OllliJil'!l1 c:
s'est tO\ljours 1lOnLI'~0
dé vOII(,n. Que de fois, pUI' l'XC'III plI"
(change H.achL~'stl1onI60
s'e . ~L clio <ltlal'd,'c plus 4u" dt'
.l31'ipy,
de Mmo
1>111' la pl'i~ro
s ,.1
"IlL'Io/l, pour des (:oJ11lT1iliSioIiS longuos ù rain', de ' IclLl'e
lIaI"
Iles
n
qu'uu(.u
pOln'.c
cnt
simplem
011
6cI'il'e, une Juclul'(J,
lll(:s Il' 'l'lnt. VOII'I, il d('plaiduiL il la pauvrr rhllle tic l'I·s~r
«
�TEnRE INCONNUE
67
seule. Ei Rachai Jemeul'a iL le sourire aux lévl'es ct non sans
mérites . Elle savait que, ce Lemps, il îaudrai t 10 retrou VOl',
que cela lui vaudrai t une nuit blanche , une péniblo nuit Je
LI avail, dan~
une chambr e sans feu, à la lueur Ulau vaiso d'une
lampe avare de lumière . Qu'illu i Iaudrai t travaill er, peuLètre jusqu'au matin, pOlU' livrer son oUI/rage :i. l'heure eL
acheter le pain quotidie n.
M'lis s'esi-on jamais soucié d'elle, faubour g SainL - Honoré ,
d'elle et de ses conditio ns d'exisLence en deltol's des 1leul'es où
elle esL là ?... AJ'l'ive-L-elle, que ce sont mille mamou rs, mais
aussi mille ca.pl'ices qui, pour être satisfai ts aussitôt , vOllL
exiS'er des OUl'ses aux quatre coins de Paris. Revieni -eHe
exlénué e; ({ Vite, prenez une tasse de thé, ma chère, un
gâteau ... et rentrez chez vous, allez vous reposer ... Il D 'jà
l'attenti on est tout enLière abso l'bée pal' les commis sions
ïaites, les d iscussio ns, l:énoxions, hésiLati ons qu'olle soulè\'cnL .
Rachat s'en va. gt la porte refermé e sur olle, qu'il pl uve,
qu'il vente, qll'il neige, nul se ne préo cupe plus do ce qll'elle
peul <..evonÏJ'. Où va-t-ell e ... Que fuit-olle 7... Est-clie dans
Ja peine où l:!jole? ... La gêne ou le bien-êL re? .. Nul
l\·J.,'t1
Pren(j l'a plus soyci ...
.
Vinconl ol Véroni Ille la jalousen t ct comme ntent clIlt'e eux
;ügremenL « Je l'ôle quo « C Lle demoiseJlo " juuc auprès de
Madam e ». Et que min 0 esl son dû auprès des riches pl'éhOndes de ce couple i rnpoJ'j,anl. Rac hat est du l'esle de CCi>
Personn es qui jou issent du naLle1ll' mais dangore ux jJl'ivl 1ège
rie !;\Îss l' les autres dans l'id 0 que, quoi qu'ollos fassenL, leul'
1:IIJOUI' Ile peut être J'émunél'.) par do l'arg"ni
. <, lWe
Il'aœepL erail pas, ma l'hi'l'o, on voit bien quo vous 110 1,1
(~ona.i8sez
]las! ... ,Jo l'olYunscrais terrible mont. Mais il. tout
IJ I'pndrc, c'est g~nlt
l. .. On ne saii quo f.lire l. .. " \10I'S,
I~ plus LI'Î!:!to souvent , l';;L, qu'on no l:.tit l'ion. Quolque s lasses
(le lhé, dus Lonnes paroles, des Jll'O 6d6s hienvei llants, do ces
• Pe,iles alL nLions " qui font cl'oil'o il. un pl'tl /l'attach ement.
C:'Ci>l Lout el c'esi pell ...
:Si, d Rachat, Mmo Bricy a souvonL JI1\ diro ave' ulle
~,)lihcon
ol'guoilleuso ; « Bonno Amio so metlJ'ai t au f011
1)(jUI' moi 1. .. ~,
J1lalgré le, apparen ces cL los ou rires, Bonne
.\Illio esL obligé do <.;onvenir qu'ollc Cl toujOUl'S él(' loiu d'èll'Q
\lflY(IC cl 0 l'oiou r ...
Ah 1 oit JeUre, '(Ill'rl! e souJèv do pensl'es alllo/'os rn
�68
TERRE INCONNUE
l'âme de la pauvre fille . Mme Briey se doute-t-elle des conséquences que peut avoir son mouvement de méchante
humeur ? ..
Déjà Rachat se demande, puisqu'il lui est révélé le peu
d'égards qu'on a pour elle, pourquoi elle reparaltrait faubourg
Saint-Honoré ? .. . Bien plus, elle cherche la raison qui pourrait l'obliger à revenir à Paris ? ... Elle ne la trouve plus. Et
la voilà qui se demande même comment et pourquoi elle a
pu y demeurer si longtemps.
Elle revoit par la pensée sa chambre de misère, plafond
bas, murs gris, une fenêtre qu'on ne peut ouvrir parce qu'elle
donne sur une cour aux senteurs exécrables. Rachat préfère
se priver d'air que d'avoir à respirer ces exhalaisons. Elle
pense à l'escalier D, à sa rampe basse, au puits d'ombre
autour duquel elle tourne, à ses degrés étroits comme ceux
d'un escalier de phare; elle pense à l'elTroi qu'elle éprouve à
le monter le soir, alol's que quelques becs falots y font, au
moindre sourfle, danser des ombres. Que de fois, Rachat a
fJ'émi se croyant guettée, attendue, poursuivie. Elle penso aux
matins pluvieux, glacés, où elle rapporte l'ou vrage, à la triste
humanité qu'au passage elle croiso et coudoie.
Non, elle Ile reparlira pas.
Alors que fera-t-elle? Elle vendra ses moubles. Et après?
Elle travaillera, et si cela so peut, au bon air, au plein soleil.
C'est un plan d'existence nouvelle que, peu à peu, eue
arréto. Demain ne sera plus ce qu'était hier. Elle se 10
promet.
A la voir tasséo, écrasée SUI' le petit escabeau, qui se doulorait de ces projets téméraires?
A quoi ressomble-t-ello av c ses épaules pointues, son air
maladif, ses bras grêles, son cou long, son visage teintO de
jaune commo pal' uno Inguél'issablo jaunisse ct ses lèvres sanS
couleur quo contracte une expression amure ? ... A uno femmo
qui rêvo à de nouvelles d sLin{)es? Non, plutôt à une opave
qu'emportora Je prochain retour du flot.
La vioille Labat la regardo et soudain s'aperçoit qu'eUO
plou l'o.
_ Vous n'avez pas do parenls, domolselle ? ...
Porsonno.
- Vous n'en avez jamaIs eu 7...
- Jamais.
�TERRE INCONN UE
69
Et les larm es redoubl ent. Est-ce en raison de la décision
~rise?
Est-ce parce qu'on ne tranche pas sans émotion les
hens qu'on a tissés soi-mêm e pendan t des années? Est-ce
parce qu'elle souffre de se sentir seule au monde? Toute la
détresse des isolés, la grande peine des abandonnés, de l'être
qu'aucun lien n'unit à d'autres êires, de celui qui est partout
l'étranger, semble peinte sur Je visage de la malheureuse, se
devine en ses réponses émouva ntes eL brèves.
Brusqu ement Rachat se lève. Elle semble grandie . Jamais
les Labat ne l'oni vue si droite: jamais ses yeux n'ont brillé
d'un tel éclat.
« Qu'est- cequi lui arrive 't' .•. se demand e la vieille,
elle quine
marchait que tête basse, Jesyeuxbaissés, la voilà toutech angéel
Et s'adress ant à Rachat , elle conseille sageme nt:
- Où allez-vous, demoisolle ? .. Ce n'est pas le mom ent do
Prendre des résolutions. Je me suis laissé dire qu'avan t de le
tUire, il fallait sept fois peser le pour et le contre ... Vous
n'avez pas eu le temps depuis l'arrivé e de la lettre ...
1 :- Je vais à la recherc he du capitain e Bourrac he, pour
Ut domand er avis ...
-- Un avis? A lui ? .. Vous tombez bien 1. .. Son esprit bat
sans cesse la bl'elique ... breloqu e 1. .. Sans compte r qu'il ost
al luné ces t emps demiers ct que la mère n'esi pas COffiOde ...
-- Qu'imp orte J. .. J 'ai à décider avec lui, de ce qui doit
tlre pour la « Mésangère )l. Apl'ès l'on velTa ...
8t 1 s Labat eurent l'extrao rdinairo surprise de l'enLcndl'O
Qnclure ;
-- Personne ne Liont à moi j je ne déponds de personn e;
ue j'aie au moins ma liber Lé •••
l!;t elle s'on alla .
.!vrais pass nt dovant la maison des Bourrac ho, fut-ce pUI'
ISil'action ou intimid ation, ello no s'y arrôta pas.
Pout-êt re n'aurait - 'llo su diro quol élan la pouss:)it, en
"anl, loin, plus loin, comme si elle eût voulu fuir 10 souveIr ~e ce lui avait été pour elle jusqu'à cc jour, de ce qu'ollo
"aIt été olle-mê me.
te sololl, dès son lover, avait eu, co jour-là, raison des
fumes matinal es. Le t mps était mervoilleux, le ciel d'un
0\1 très l'ur. Lo vent soufnai t du Nord, Jroid, soc,
foueUa nt
S nlll"fs, stimula nt 1 s énergie s, le dési(' do vivro.
�70
TERRil INCONNUE
A respirer ce vent, - présage de beau temps, - Rachat
senta it en eRe d'es forces nouvolles. De son long pas souple,
elle sortit dt) chemin feutré de tiges de maïs et s'engagea dans
li n sentier montant â travers champs.
Plus de haies, plus d'arbres, plus d'ombre. De tous côtés,
du ciel à l'infini. Au Nord, de,5 touyas ; ajoncs en fl eurs et
bruyères . Au Sud, des' labours épousant la pente molle du
'oteau et descendant avec elle jusqu'à lu pJaine. Et ee tte
plaino si beUe avoec ses cultures en damier multi colore, son
Gave rlont l'e cout's serpentait au mili eu des champs, tantôt
enfoui sous des saulaies,. tantôt reparaissant couleul'
d'émerando t c.\'lariant des reflets de soleil, sur un lit de galets.
PIlls loin que la plaine, la limitant au Sud, d'autres collines
boi sties, feuillu.es 00 paraient de toutes los teintes automnaies,
lt:t au Q:elà, ,pelhJ1:l" fières; étincelantes de neige, magique fond
de décor, tell cfules capricieusemont dentelées de la rnontagno
aprisen~
dO' ra Maladetta lointaIne, a u pic d'Anir,
vaporeuses,_ COill.(I,lO au' travers d'une ga ze.
Rachat s~l'rêt.
A quoi bon aller plus loin ? ... Trouvel'aiL'
ello rien de plus b eau que 10 panorama qu 'elle avai t sous loS
yeux ? ..
Toutefois elle fit quelques pas encore . Elle venait tI'ape;"
evoir , flnh;sant le sentiel', un chêne-tauzin , si vieux (jU'lI n'el l
J'esLail que l'écorco, si croux qu e les pâtres J'a va iont noil'ci en
s'en servant comme cheminôe. Et cepen danL il SOD sommet
s'obstin a ient à poussor, dans l'espoir tIc J everdir encO l'e
quclqtlcs branches ail feuilles r ec l'oquevi!l 6os. Au pied (~c
l'arhre, un Lanc fait d'un pl anc ho S UI' trois piquets semhlal!
avoir 6tl! planté a d'essein d'y poul'oir ad miror 10 paysage.
Rur c banc, Ra 'ha t s'ass i t. Rt les potites branches de
1';Hbl'O lui dis!? nsèrenL l'ombro parcimoniouse ri o l urs f,l!Ii ll l "
1'0 10qll cviH()eS',
,
AnlO\II' d'cI'lc, l'air vibrait do r Ltc in tons" r umelir dl' \'1 1:
qui SOIl vcnt mp!jt l'espaco n e J'L aines ho\u'es e t contraste,1
~ingl1èromf!
n t aveC d'autr '5 h eur s de la mèrnc jo Il'J) (!c !Jil'
n ' seront qllo silence,
C'ûlait deg roulem nls de ! "ains, des bOllrdnnnem ,,)\1
1
d'nviIlM, des' appols' d,' laboll roul's prcs~anl
on qu lque c l!,IJJ 11
1'a,1l1l1'0 des attelages, un rQl'gol'olltapanL SU I' S(1I1 endllmr, l ~,l
bül'!tcron engn::mL dlll' pOlir abntll'(] du l,ois, des coups 1
S UI' la l'Ot1to on r,nn(1'c'
Il'ompe d'auto rassanL n t lIle vitc~o
�TERRE INCON'N" UE
bas, ries chanson s J e
71
pâ~res
dans les saligues , au bord du
Gave: la voie- rie fj(')ut un monde. Et pou à peu la pauvre fill e
fe rmai t les yeux, éblouie de tan L do lu m'ÏèT&, pén~tre
de la
rhalcu l' chI'· biennis:mt soleil, grisée do bien-fftire. Du vague
il;' fiJida i t d~ns
' s(ln
' esp1':ÎI,
,"'mclitTél'encc r cm plaçaït l''ihquiéeucfe
el elle arrivait à se dire, insouci ante et lasse: « ! ~ quoi bon
sc lourmen ter. quaad il fait si b0-n vivre? .. '"
S'endor mit-elfu 7... QuoIque- chose de froid , d'hu mide quis" posait sur sa main, lui arraeha un légel' m'i.
Elle vit devant elle un grand chien, lequer, oreitles dl'oites,
gueule ouverte-, langue pendan te , la regardû t d'un ail'
goguena rd.
- Ici, Loup )...
Elle vit 3trSsi le capitain e Bourrac he.
Arrêté deTan1! eHe, sans qu'elle en Pl·n conscien co, il la
l'onsidé rail, oonfus de la: maussa derie qu'Hlui avait TIlontr'é e
rlurant ce d<tjcllne r, confus du soin qu'il avait mis à l'èviler
depuis. f..'avtti-t-il p einée ?... Il lui en venait un remord s. Elle
"' ll1blait dejâ rfj malheu reuse, êtr'e à LeI poinl d e celles qui
(lnt tOl ljours eu' il lutt'el' avec la mauvai se fortun c <.'t fIni,
qnoi qu'elles ras~!I'lnt,
jamais n'en triomph eront.
" Peut-on tl'iompl \er de qtlt}lqlle choso (IUand on est d'une
)"idour qui fait (la'Une femme fi n'impol'lo quel âge no :,:olllplo
Iw;, apI}araH fOUj'OlH S vicil] " sc d ·sait-il. (!;t suns piti é, il la
d,\tailh it ; • Vilaine poau, vilain leint, cheveux plats, gestc
~{:\uches
et cet aÏ!' peureux , ce maintie n <:ompass(>, cclte mise
)lilUvro, C oS souli rs défolJué s, cos gr os has noirll ...
- Ici, Loup!
- Kp Ir- dws!!o1. pas, monsi Ul' , j'ui llw los chieus ...
- ,:avez-v ons ce qu'il VOllS repro ho , madom oisoll' ? ...
I)';.j \ oi l' priR {Joss ssioll ùe mon banc.
h) monsieu r; OXcu&'"Oz-moi ... J c ~nis
dl:soléc ... j'ignol ';IÎ~
... Vous y venioz peut- tl' '? .. .
)·alc s Jeva pl'l cipilulTIll1ent.
Oui, chaqll e jouI' je m'y ll'(lI11C. l'ul' cl s journl1es
}'H11' illes je viells m'y grit:!er cie !Jj il-('tre ot ci e folles ospé~·".IH('S;
pal' rI fi ~omps
brumeu x ei noi 'fi, j'y h l'CC l~I
s mes
ItlSlnssrs, mos déceptio ns, m s rlOulnlrs ...
h 'ut-(;L l'e faisais- je do même ... lllllrmur. -c-el1r.
"'II (. l'. ponsos l'pril-el l l Cupilain e 'l , .. 81 ;lil-ello de cello:;
(11l'il pOli J:1i t )e mioux: compl' ' ndrc ? ...
�TERRE INCONNUE
Il s'amadoua:
- Mais je vous en prie, mademoiselle, reprenez volre
place, je serais désolé de vous laire fuir.
Elle consentit aussitôt et près d'elle s'excusant, en raison
de ses multiples misères, de le devoir sans y être autorisé, il
s'assit également.
« Loup » devant eux courait, aboyant comme un fou dans
les labours, faisant lever des oiselets de tous plumages.
- Que d'oiseaux 1. .. dit Rachat.
Bourrache répondit de sa voix inspirée:
- Ce doit être aujourd'hui un jour de grand passage, une
de ces dates du dernier quartier de lune marquées au calendrier des oiseaux par une main mystérieuse pour le grand
départ vers le Sud, les pays tièdes, le soleil. Déjà depuis
quelques jours tous s'y entrainaient, se réunissaient en conseil, prenaient des libérations, dIsaient adieu aux sédentaires.
Quand l'heure a sonné de partir, elles les a trouvés prêts. En
route 1... Cette nuit, à plusieurs reprises, j'ai entendu le
rauque cri de ralliement des grues et des cigognes. Elles ne
passaient point haut, ce qui est l'indice d'un rude hiver.
I( Sous l'aile elles porlent des glaçons», disent les anciens. Ils
ne se trompaient guère. Au matin, j'ai vu de grands vols do
palombes. Elles, par exemple, volaient très haut, - désespoir des chasseurs à l'affût, - et très vite, comme si 1"5
talonnaient le vent et la tempête.
- Vous ne chassez pas? ..
11 eut un rÏl'e forcé;
- Je ne puis plus. Ma vue s'altère ... mon bras pris d'ankylose, ne peut soulenir le fusil... Il me laudrait lIne armO
spéciale ... oh 1. .. ce n'est plus la peine 1. ..
- , i cela pou vail vous distraire? ..
- Hien ne me distraira. Je n' n ai plus le goftl, ni Jo temps .. ·
- Pourquoi ? ..
- Je me dIs que j'ui r spiré la mort, qu'elle s'avance verS
moi, pas à pas, un peu plus chaque jOuI· ...
'en est-il pas ainsi de chacun de nous ? ..
- J'ai respirl! les. gaz ", l'exhalation mortelle fait en moi
des ravages ... On p ut chronométrer à UIlt' minute pri'S
l'issue fatale ... je l'attends.
- N'y pens z pus.
- Comment faites-vous pour oublier ? ...
�TERRE INCONNUE
73
- Je viens à l'instant d'en découvrir la recette, fit-elle
a vec un sourire qui la transforma.
- Vite, passez-la moi, de grâce ? ..
- J e m'asseois au soleil... je regarde le paysage ...
- Et vous risquez une congestion. Méfiez-vous du soleil
béarnais 1. •. C'est un coquin 1. .. Comme le vin de Jurançon,
dont il salt si bien dorer le raisin, je vous avertis qu'il
monte à la tête! ,..
- Je m'en suis aperçue 1. •. répondit-elle en riant.
- Oh 1 Oh ! contez-moi cela?
- Il m'a inspiré l'idée d'émigrer comme les oiseaux ...
- C'est sérieux ? ..
- Très sérieux.
- Eux' au prin Lemps reviendront d'où ils sont partis ...
- Moi je ne reviendrai jamais d'où je viens ... Ilt-elle la
voix assourdie de rancunes.
- Que ferez-vous ? ..
- Je resterai dans le Midi. Partout il me faudra travailler.
Je travaillerai...
- Que laisiez-vous là-bas? ..
- Je cousais pour des magasins.
- A des prix de famine ? ..
- J'ai vécu.
- laI.
- Peu me suffit.
- CeLte passivité aide au Lriomphe des exploiteurs. Pourvu
qu'il ne meure pas de lalm, le besogneux fait sa tâche sans
mot dire ... Les autres encaissent le bénéfice. La loi du plus
forL 1. ..
- Je n'ai jamais vu si loin. J'ai toujours trouvé du travail
et touj ours u à remercier la Pl'oviden 'e de m'aider ainsi li
ne rien devoir qu'à moi-même ...
- Qu Ile séréniLé 1...
e sommes-nous pas sous l'œil de Dieu 1. .. Rien ne peut
arr! ver qu'il ne l'ordonne, abandonnons-nous ... murmurat-clle.
- lIeureux ceux qui trouvent en eux la for e cL la foi
d'agir ainsi. Quelle paix ils doivent en éprouv r, quo do conSolations ...
M content d'avoir été ra pp lé à l'ordre, a Loup D, sans
autro avis, étaiL renLré au logis
�74.
TERRE INCONNUE
Les oisooU'l! ne 10 \loy.anf plus, colllaiont,. ~oiLaent
de
nouveau sur les sillons, se rapprot:haienL du bant.
Bourrache los montra. du bout de sa caone et la, 'loix' pl'\ldente, J!OlU> 116 point les elTarouehe.u, expliqua. ;
- Ceux -nbnusii [;ont. des voyageurs. Ce som les' chanteurs
qui aprè~
MUS :l'Voir ravis' tout !téLé vont allel: charmolt
d'autres gens souS' d'autl''es cieux. Mais. leurs p.RISI jolifrs
sérénades, 106 chansons d'amour, ils nous les J:e:5Ol'yea1 pour:
leur retOUfj ;ru P'l'ïntemps, à la saison des nids
- Comment appelez-vous ces.. oiseaux ? ...
- \ 'el'd ielllf, pin~os,
lèrrots., chardonnerets, b0U'V'toils, hes ngues, fauvettes ot... j'en oublio 1... Eux aussi QIDt élu touchés
à date fixe par l'ordre de mobilisation et, COJ'\1.lllC) kl1l'&: grands
aînés, ils ont pris. le ciel. Mais que les ennuiurajt Le' vol en
cCJuorre tlt le eigogno, cet oedre de manche lent, pampoux ,
qui II O peut êtro modifié quo par Wl cata.clysme 1 hlt que Ills.
fatigu erait le vol à l'osbroulTo de la palombo, vits, vital. toujours dans l' pauvante, au JUoindJ'O! hruü se uisl:oquant pOUI
Il e jamais sou vont se reformer, cetto immensil petu qui fait
lOB malheul'cusos, tôtes baissée, dans ru pt>riJ
sc pr( ~ ciptr
qu'un !lCU t! sang-froid lcw' ùt évité ...
" Ccux-ri voyagent en dilcllan/c, en artistes, . av 0 u 1 ur
eompagnle " allant do pays en pays, commo à une parue. ue>
plaisir, s'lIr~tan
où il leur plal!, déjeunant 5111' l' hol'h' ,
buvanl au rui!lSeau, aùmirant le paysage, s'y attarùanL si 10Lemps esL teJtlp&'ol1t Il au et lc sal ,il ardenL Habit s à dé ounir Louj ur5 flu ICfU pl'OV IIde : grain peDœu, insccl'e
,('rJl1i~!N\U
ln' ll<Turriturc n'ost poOl' eux IIi rar", nÎJ chère
H'ib sont ll'f;tl'lt;; pour aujourd'hui, qu'importo demain . .AJ
l'haflU' JOUI' I§oUfnt sa peinc. JilL dc' lIOU 'Toau Iltllltilionl, M'
qU l'l'l llant , 110 lai ont mille farces, il vont li l'a"(llIlI... .b01l1!
"01 est caprlcicux, j('gcr, graCÎcu , il a.. 10 rythme (j'\IIICt
rlanSt' : en haut, \.:11 bas , à droiL!', à gn udle. LrR voilà partis
('Il IOUI'hill l' V'I'!{ l 'S lIuug-OS, 1'11 spiralos il ' nedclIC('ndcnl
pOIiI' s'ahallr dana un chaillp. A poino à tenu,
Il 'on ils
"l' THlIl t'nt il grunrls cOll(1sd'lIilcll. Qu'ont-ils vu d'efTrayanl? ...
Hi\!J1. Mais Il petite di~talc'
l'st 11 ·1 bui ~o
l pJc.' fi mlÎr H.
J'l!g';1 ) qu'av{!(' d!'! hOllsr llLacl 's ill; vUli t '0 ui,,?utf'l1 . .ALu~i
on
l'st-il lO\~
au lOI fi d' la r ou~c
1.,. Quoi :Ilnu!lanl voyagr 1. ••
Ils ont à tr:w l'I:i(~J
la montagne ... la l i ,j~tcr:m6
al, CO,Il'
hil'P tir (1. lIg(1 S ? .. A 'Jiou val L .. lJ .l'vn 1\111 ~lre,)t
�TERRE INCONli UE
75
fallait partir, ifs sont. TJartis. llleUl' fau l arriver, ifs arrivero nl,
n'ayez crainto. Ces lout petits sont magnifi ques_d'i nsoucian ce ...
- 11s vont avoir a travers er les Pyrénée s ? .. Oh 1 los
pauvret s 1.._ nt Rachat apiLoyée.
- Durant' des kilomèt res.
- Et ils réussiro nl ? , ..
- Cola leur est possible , puisque sur 10 nombre chaque
annéo jls par~ent
et toujour s il on revient, ..
- fJjou les pro·Cège.
- n taut.lo croire ...
- Diou n?aband onne jamais sa créatur e ...
- Ah 1. .. s'é.cria Bou (']'achc, avec force, nous avons Lous
bien grand booQin de. nou~
on sou vènü'.
Ce cri a ramoné Bourrac he au sentimc nL de ses nùsères ,
Tristem ent, il on enll'otie nt Rachat qui soupire de pitié .
- ... Mon bràs, je l'ai eu cassé ainsi quo l'évaule dans It's
Flandre s ... double fracLure ... os brisés .. , c'était l'amput ation.
Un bl'flve type de médeci n-majo r a dit : « N'allon s pas si
vile ... con~v8
si nous pouvon s ... )) La blessure élait très
gra vc... 011 m''a envoyé à l'aniorc . J'ai été soigné.. . fallaiL
voir comme nt t. .. Oh 1 les bravos infirmiè res, co qu'ellos s'en
!:iont dOllné, pour moi., du malI. .. Je suis sorti de l'hôpita l
frais l dïspos. Pas de chance, six lUois plus tard, c'est ma
jambe, (I.lDIl l'ArgonJ le ... CcLLr fois j'ai bion cru qu'on me
l'nlon.IÏL Jo Lombo oncorc SUl' un a.u Lre brave di;.ù>lc de
médeci n-major qui éL~.i
de la vieillc école; « Ne coupon s
qu si ne) "s nu pouvon s {nice ::lilLrcll1onl.)) On n rocousu mûs
os ;(\'oc d('s mg d'arg,cnL ... lu souduJ'o HéLé longue ... la conY;d SCl'nce aussi. .. M,üs encorc Wle fois j'ai éLé si bien lioigné
1.. ,
J 'a ',l is \lUf,) inl1rmï re qul était jolie cOlUmc un ango .. , ah 1
qU'l'llrs ont lion.: flliL du bien, ces [rillmos -Ià ... C't'st alors
qu'ull jour dans mon lit , j'ai rcçu la Légion d'Honn our. Mon
pan v!'!: p!'lit ang d'infil'JniUl'e on plcuf'aiL ... ,Ill 1 comme cHu
1,leu!'ui tl. .. Bt iollL on ploul'anL clic disait: « Uravo, sel'gent
Jloul'l'ncht', bravo 1... )) Ah 1 comme on éta.it heureux. au temps
où l'on vivait co~
hNll'cs- là 1... i\!;ùnlcn ani 'ost fini ... hl'ul'PliX les l.l0l'L· l , ..
QU't'Il Ravez-v ous?
B lll'l'ache n'o ut qu'un g~slc
vaguo ct <lésolt!,
- Qu'avez -vans f:liL p ur m6riLer 1.1 Cl'oix 7... flt aus~iLôl.
Hsli.\I't lrlt JlC)ur nI' point sel'Ge l'rolong"rcr-Lto minute pénihle ,
�76
TERRE INCONNUE
Ce qu'ils ont fait tous: mon devoir!. .. Plus tard, j'ai
respiré les gaz ...
- Je vous affirme qu'on en guérit 1... assura-t-elle dans son
grand désir de le consoler.
- Guérir ... mourir 7.. . Cela revient au même puisque je ne
suis plus bon à rien 7.. .
- Votre mère ? ...
- Elle soulYre tant de me voir tel que je suis 1... Ni le
grade, ni les décorations ne l'en consolent 1... Elle avait mis
sur moi trop d'espérance; elYectivement l'avenir s'annonçait
lacile et brjJIant... tout a été fauché, anéanti. Elle avait
j'ambition de faire de moi « quelqu'un », quelqu'un qui ne
soit plus 1 l'homme dans la rue ", the man is the street, mais
celui qui s'élève au-dessus de la Conie. Pout-~re
y sorais-je
parvenu ... ct voyez, je ne suis plus qu'une loque 1... Tout elYort
me fatigue, mon moral est détestable ... Alors, je vivote dans
ma peUte maison ...
- Vous n'avez pas de terre ? ...
- Les Bourrache d'autrefois en avaient. Mon grand-père
eut onze enCants. Il fallut à chacun sa part. On fil onze
mécontents. Pm'sonno n'en ent assez pour vivre. Presquo tous
réalisèrent lour avoir et quittèrent le village pour la ville.
D'autres s'expatrièront... Ainsi divis60, mourtrie, désunie, la
famille n'exista plus. Pour donnor à chacun son dû, on tira au
sorL. Mon père eut la maison familiale et l'enclos qui l'entoure.
C'était peu. Toutefois je l'aimais bien notre vieille maison;
mais quand j'y venais en vacances, tout à mes rôves d'ambilion ol de grandour, jamais jo n'aurais eu l'id60 de m'y Ox!.;!'.
Et voilà quo la guelTe, cn faisant de moi un invalide, U 'l
malade, m'ohli e à m'y entorrer, à m'y cacher ... Avec ma
pension, c'esl le loil, c'est le pain, c'est l'exislence assurée;
mais non la paix, le culm!' ... Et je ne cess l' de plourer la v ie
que je souhailais t le regI'et que j'on 6pl'ou Vil m consum c...
- Vous I\'avcz pas ce tCI'I l'S cl n'avez jamais d6sir(; n
a voir? ... Il Ille semble que c'est si inl're:lHant de planlor, do
somel', de voir crolLro ce que l'on sème 1. ..
- Sans la gucrre, j'aurais l'achot6 <l'autres lot!;, agrandi le
mien. J'aul'ais !uil plus peut-litre: n'ai-JI' pus rùv(~
do tra\'ailler assoz pOUl' mo rendre acquércur do la u Més<\ngllro» 1...
~on
d s cenl hectares do terre, ni des C' rmr:s; mais cie l'hahit<llion l cl son parc. J'aurais aim6 y ubril r un grand
�TERRE INCONNUE
77
bonheur 1.., J'ai toujours été, comme J'a dit de son héros, un
de nos modernes hommes de théâtre : « Tr op grand pOUl'
moi! »
- Ne pouvez-vous pas vous résigner ? .. murmura Rachat
c'est si facile 1. .. Il faut toujours y arriver ...
- Je sais que la vie est une perpétuelle adaptation et que
le plus sage est de s'incliner devant cette loi et d'accepter ce
qui survient au lieu de lutter contre. Bah, si vous saviez
comme les I·aisonnements, même les plus sages, ont peu de
priiSe sur moi!. ..
- Rien n'est per du puisque vous le reconnaissez. Un jour
viendra où, sans le conseil de personne, ces raisonnements
vous les écouterez ...
- Puis, je suis si seul...
Et encore elle répéta;
- Votre mère ? ..
- Nous nous adorons et cependant nous nous comprenons
si peu ... C'est à croire parfois que nous parlons des langues
diITérentes ... Les parents ne peuvent pas tou jours garder leui's
onfants avec eux, les élever près d'eux ... de là les divergences
d'opinions, de pensées, dt' manières de voir ... POUl' vivre dans
un certain milieu il faut y avoir des racines .. On m'a déraciné ...
n se tut.
Rachat demeure pensive, impressionnée de cette détr esso
qui crie pi tié, plus surprise de ce qu'elle s'entend répondre,
elle qui d'habitude parle si peu.
Et dans l'air les avions continuent li ronronner. Au pied
du coteau les trains passent, les autos à grand renfort de
trompes et de cLac!,son rappellent li tous que pour protéger
leur marche, il est édité un code de la Route et gare li qui
l'oublie 1. .. Les appels dans les champs se font plus rares. Le
bûcheron ne cogne plus sur son bols, le Iorgeron a dû abandonner )'onclume. C'est l'heure de midi.
Aux quatre coins do l'horizon, des cloches le carillonnent:
Le bourdon sonore de la cathédrale du canton, de très vioilles
cloches un peu fêlées d'6glises perdues dans les coteaux et los
bois, d'autres à la volx trop fraîche plutÔt criarde que l'on
devine nouv Iles venues dans La contrée; d'autres oncor,
celles-là si lointaines et si douces qu'à peine a joutent-ollos li
co concer t un murmure, uno vaguo harmonie ...
�TERnE INCO 'NUE
-
L' .\ngélus !. ..
se lève, se découvre. Appuyé SUI' ~ 1 cunne , les
yeuX baissés , jl observe une pau 'e de silence et de l'eC l1ei!lement.
Profondément émue, H.achaL le regarde et s'écri" av c plan;
- Vous êtes croyant, Capitaine?
- Que deviendrais-je si je ne l'étais pas? ..
- Et VOLIS gâchez votre vie par l'obsession de la morL?
C'est indigne de vous!. ..
- L'inconséquence est un signe de faiblesse ...
- La faiblesse n'est souvent qu'un masqUij llui caclle ulle
force d'âme n'osant se révéle;·... Et puis il If a le respect
humain. "
- Vous voyez bien q ll'au J't! 'peeL humain j ne " ...cl'Ïfie ('ion,
puisque je me monLre à vous LeI quo je suis ...
- Bien peu d'ho .• mes oseraient si simpleruf>nt [e g ste (lue
\'ous venez de fai rtJ !...
- Bien peu d'hommes sont allssi Ù \Ll'uiLs que mi 1••• Quand
on so sent rort, on fantal'ollue .. . Ah! comUle '~e banc sL
dur J. .. Cela n'u.ide pas à (ewetLre la machine on marell,'.
Cepondant il faut quo jo ron tlc. Midi sonne a1li:lsi à l'horloge
do chez nous eL ma mère n'aime pas que je sois 011 ("lard,
- Je vais avec vous ...
- VOll S pLe' à la « l\1 sangèl'e" pour lunglom p .. 't
- J usqa'au l'olour ùe M. eL l\il'ne Briey.
- EL aplès 7...
1\' r\!vi ndl'ai
1 pr '-s 7.. , iJ anÎ\CI"110 qui 1l0urru, l..li .. j
paf; à Pn ri-;. Rien ne m'y l'Hpp He, 'l'out rn '001 6loigne ...
/b revinrenL à p -Lits pas.
Le CapiLaine marchaiL pt'>nib[clllcnL 11 pl'ohéi
.~a i!
la On du
beau Lomps purct! qu'il e11 6Lui L Loujotu'S aillsi <1" nd ses Il/ rssures lui e:lusai/'nt un rodoublemont do souITrun/'Ui ...
- C'esL lin baromètro qlli nI' trompe pas ...
'.) no fut fi l'auprô' do [a b:J.l'ri 1'0, o.lors 'lue Hadl.ll ouL pd!>
.ongé du c: Ipitaino 'Iu'ello lie souvint Lout à coup de la leltre
do ~l'o
Briey, do l'il'l'iLaLion qu'ulle CH :Hait "l'ssonLi , (lu
quesLiunnaire auqllol il [allaiL "upont! (' , dOll adhésiolls qu'il
s'agissuiL d'obLonÎl' du Cr\pit· Ino, dos oxplieaLions qu' li av,lil
à lui dOllnor . .IWo s'(:tonna d'ôtrc rosLéo si 10ngtllll1pS en LêLe il
têto avee lui uL do JI'y avoÎ!' plus song6, puisqu'cl!' tùl iL 501'Li, que dan co bliL.
Boura~he
�TERlIY. l:NC01iNUE
79
-Où élOllC avui.; -je l'espriL ? ..
Allait-elle faire revenir le CalJi-taine qui déjà tra versai Lla
l'Jasse-cour, VOU!' causer de LouLes ces choses avec lui? ... Le
ret'eni'I' clehouL :lJorn qnïl ru:::3it south'il' dosa jambe ? .. . Le
mettre·en l'olard pOU[' SOll T'olias, alors que sa .mère n'aimait
pas attendre? ...
N(Yn. Qlle lui pUI'lU'ent pUt:riles, tyranni(.!ue,;, san plus de
oonsistanoe lfU'un caprice d'eruant, qu'une fan1,ai,') ie de malade
que, quoi qu'on fasse, on ne peuL arriver à S<l.Ü 'f' ire, lèS
préOccup' tions et les exigences de Mm e BrLey ,,,.
l~
e avait reLiré de sa poche la leUre çL le questionnail'o,
elle les froissa avec impatience et les y remit.
- Co: fp.li ne.s'esL pas faiL aujourd'hui se fer (lem ·u ... el
v-oilÙ
' ~OlL
1. ..
Hêsîtanto Uc avavL ()ULT'ouve·l't lu barrièrc, l'uw lument elle
b.-retel'Jna.
Cc geste n1étai't. l'ion, cel a t Iv'oilà Lout 'li si bref ne sign ifiait. pa grand chose et oependant n'(~Laie-s
pas les signe;
précurseurs de l'a>,ronoment en n .aohaL d'll:lO pel's'OnnaliLé nOIlvelle, da la bl'iStIl'c du cerole étroit où jUI;(ju'à ce jour la
pa'llvre iUle a vart évolué dans l'ellaoement, la 'o umlssioll
et m'Lout l'i",'1101'./lIICO d'olle-mème ?'"
Qu l arglllJlonL allt1ii déci dOl' Houl'l'anh à donner !;o n
l<H \5ion aux o~p!ralc;
quo fond a it SUI' lui Mme Briey, ail
sujet de la « Mésangèl'o Il '1 ...
liln ~remi[!
lieu, 10. lottre éorite à Rut!hal, cL qu . 'Ilo-c'i
dam:! UU l'rstc rlo l'lm nne lui avaiL communiqnée, l'indigna.
- li Y a cI( ~s gen!i qui se croient louL p J'ml. !... ~' cria-l·il.
Il alla pLIIS loin cL ajouta;
- M fair le valeL ct ces gens-là ? ... Jamais .
J...'alTairo s'cJIlhlaiL ('ntonduc. ,'m' cc J' fus si c(lLi'gO I'i<ju , .'n
uoun temps DOUl'ruche ne <lovail l'ovenir.
Rachat Ollt Illors l'inspiration IWlIl'euso ou maJ/Hl,lIl'eIlSC, on
n'en pouvaiL ri n nuguror, de l'appder :
oe 1l1'omi ('0 im{lression <llll'ai l, à son r t.OUI', ctécidù
llUtll- LI' J\.pn ArlcLLn 1 . ûjOIlI'JlCl', llIioux il. 86 fix e r :l lu
r ". Il me . cmillo l'uvoi!' l'IlLenduc dire, UlQIlSiOlll',
v {~sal1g
�80
TERRE INCONNUE
qu'elle aimait collectionner pour ses vieux jours de ravissants
souvenirs ... 01', quel souvenir plus joli que d'avoir laissé la
« Mésangêre » en l'état où elle était au moment de sa si courte
venue, et de la retrouver transformée, comme par une baguette
de fée; jardins fleuris, allées ratissées , parc élagué, per&pectives découvertes ...
Cet exposé partant d'une bonne intention était périlleux en
ce qu'il rappelait une déception qui avait dû Hre cruelle à en
juger par le dépit, la mauvaise humeur que put constater
Rachat, lors de ce fameux déjeuner, pris en tête à tête avec
le Capitaine.
C'est ce qui advint.
- Ah 1 Ah !... s'écria l'officier avec un mauvais rire. Cela
aussi sera certainement pour Mme Arlette un amusant souvenir 1... Quand elle sera vieille, elle pourra se gausser à son aise
de ce pauvre diable de • premier invité» qui arriva la bouche
en cœur et ses habits de fête pour trouver la maison vide .. .
l'auto, sans autre avis, ayant emporté les mattres de céans .. .
Et il prit l'air fort courroucé pour conclure;
- J'ai été, malgré tout, bon garçon de ne pas pousser plus
loin l'avent ure. Car enfin un procédé pareil s'appelle dans
toutes les langues se f ... icher du monde 1... J'aurai s eu le droit
de le relever vertement 1....
- En celte décision, Mme Briey ne fut peut-être pas pour
grand'chose ... J e la crois bonne et charmante, aimable pour
tous, désireuse de faire plaisir et de plaire .. .
- Ah 1 ouI, plaire, chercher à plaire? ... Fiez-vous-y 1...
Tout n'est avec les femmes que banali Lé ... coquetterie ... mols
sans valeur ... inflation 1
- Rappelez-vou s, monsieur, com me elle ôtait simple et
gentille, dans la basse-cour, chez vous, lorsqu'elle vous invitait ... par ce joli maLin ...
- Pourquoi chang a-t-elle d'avis ? ...
- PeuL-on savoir, d'où, tout à coup, vinl le vent qui
souraa ? ...
Le Capitaine marmolla, toujours rage ur, d'inintelligibles
choses parmi lesquelles Rachat crut distinguer quelques éplthétes sévéres ;
- Folle girouette ... mince cervelle ... grossier personnage ...
L'Image évoqulle n'en resta pas moins saisissante. Boul'J'acho
crut revoir le « joli matin »... La basse-cou r ... l'élégante vlsl-
�TERRE INCONNUE
81
leuse ... le col de fourrure, les petites mèches en pinceau qui
rappelaient « les plumes d'un moineau qui sort du bain " la
pelisse d'auto dont les pans allaient de droite et de gauche,
s'ouvrant, se refermant sur le corps gainé par la mince robe
d'été ... et le balancement complice de la barrière qu'actionnait, tantôt au ralenti, tantôt avec vitesse, un petit pied
cambré dans un mignon soulier ... et les bas a abricot .... et
la jambe nerveuse, découverte comme il est permis, jusqu'au
genou ... et cet air de jeunesse ... cette bouche rieuse ... ces
dents éblouissantes.. . et la voix, cette voix harmonieuse qui
tout à coup se voilait et devenait mélancolique pour énoncer
de petlLes déceptions ... de vagues tristesses ...
Et voilà qu'il retrouvait l'intense griserie, l'admiration violente qu'il ressentit alors 1 Voilà qu'il savourait ces impressIons, qu'il en aimait l'emprise ...
- C'est vrai ... répondit-il calmé, presque attendri, elle
étaIt gentille el simple ce matin-là ... Vous avez raison, madetnoiselle, c'était un « joli matin .... Je m'en souviens ... Peutêtre, en laisant une heureuse, pourrions-nous, du même coup,
taire un heureux sort à la « Mésangère » ? .. Toul est a/Jaire
de chance ici-bas 1... réfléchissons-y ...
Et s'appuyant fortement sur sa canne, il jeta sur ce quI
l'entourait de longs regards. .
De luI-même, après son premIer déjeuner, ne sachant peutêtre à quoi occuper son temps, le Capitaine était venu visiter
Rachat. 11 venait ainsi parfois, depuis la rencontre sous le
chêne-tauzin.
C'était une de ces matinées tièdes, comme en réserve, en ces
Contrées, la fin de décembre, où des souffles qui ne sont ni
d'hiver, ni de printemps semblent bouleverser les êtres et les
choses. La montagne était si proche qu'on aurait « pu la toucher ave..: la main », - comme disent les Béarnais, - on en
distinguait les étendues de neige, la coulée bloue des défilOs.
les taches sombres des sapins. Les dernières feuilles s'envolai ent avec des grâces de papillons. Le merle avait ce crI
a.n"leux que lui al'racho la solitude i mais auquel succéderont
On mars, quand il aura choisi sa merlette et jeté à la lourche
d'une branche les bases do son nid, les joyeux sifflements, si
moquours, si satisfaits. L'ail' était surchargé du parfum des
~ousbois, des mousses, dos fougères et déja s'oubliaient la neige
os tempe mauvais, 10 gel, tout ce qui était encore à venir.
�82
TERI'.f. INCONNl-ï:
Le 'Clfpitrulle avaIt l'Cllcontl'é Racbai sur le L J'rc- plain JOJ'maot autour <le la {( Mésallgèl'c Il conune un.c''Premièr lm'rasst'.
Un ba1ai à la main 1 onveloppéi! dans un .de CilS ,longs Lilbli-c",;
à 'ramages 'lui 1 changeait d l'habiLuel/t' t h.,nible '1 ohe
r.()Tre, unim'lie par le truvéfil fIu'el;e vennit d'aocomplir, l'He
semblait plus jeune, plus vif"~ute.
Bourrache leTemllrt'{ua.
Et ils se mircnt à. causcr nc cachant ni l"~
ni !'auL:lc I()
plaisir qU'i/R s;vaÎllnt à l:I~ retrouver ain,;i. :'>I\ns façons, ,'.1
voisins.
Devant OIIK, dt,. \!c nuaienL (·n immenEcfi dl'~/
',~
1t:S LI i.s
Lerrasses, dont hs csca1icr,.:, i(!fi b' lustre~
J\IU~"'.mb·e,
di paraissaient aam; Io.c; b~
ussaille::i. BOlJl'rach" (:xplitluuil que la
dernière suPPGT1.aiVun hassin où, Lout cll"ani,il nO{, il VII Ouude
J'ir des nénuphars; que sur 50 bards s' :rigoa.iL une ~Lu'
l~aneché
e,
aujoul'd'hui, par l'épaisseur dufcilJag,~.
Il
sa :ft quo 10 hois l'onf rmait d'étranges C OSl'S : ulle Lal)lc de
un 1)(1111' 011
pi 'rJ'e où des drtJides uvaiont o(Jc.;-t dcs sacrifi ,~;
s'l!d1angèrl'nt de aûohiranls adieux; dOi> a.rLros $'\1' lesqupH
d('s n\)ms s'C1ll relaça ient, pUfJ)éLum1L lesuuvtIIlir rl't Jnotlrs
défunl s; un ie au piod «lltluol uno (luU<; pO:l'tuil\tnc inscriplion que 0\11'11 cornpll naiL ... VesLiges l'cmonLanL (hn ... le pa,;sll,
• mpreinLes récenLes qu'avait J"Lcoavalls l' mbrt: O(lS rOuo'I~
afin quo nul ne put on violer le mysLère ...
~j
{{u lqu~
ciTo LI:! pouvent saulVer la .c .Mù,; lIIHtll'C ,la
fair !ri mer; armeh l'aux ]nal'chancJs uu Ilion". !.lUX (Iémolis'
S 'urs ccUe m,li!;,)n qui Il lin P,HIS(oo CES pierre:; ,qui onl. 1 nu
histoire!. .. conc:luL! 'lcpitain d'IUle voix nt6Innr.oli!'JlIe.
Hnr'hat y T(1)Om\iL d 'la \'oix dOlloe,
-
1é1Oo ponr 110m; né S 'l'ai.L-c
pas inl1"!1 $. Iml de LrHIl~'
former {)Ill t ha hH<l 1iun, d lu i rond ro nn peu dl' .~()n
lusLI e 7.. ·
J l' VOlIS avou 'Ill\' 0 'Ue so!'le cio voyage Ù 1.\ dénou \,(.It~
ni 'inlércs.'l rniL pallHi onn{Jmcnt .. .
COffim nL o.VllI-VOUS dit ~ ... Vou' qui
omhle!. Ri ('Itlnl '0
..,i hnrs 11u s "h', (li d{)luch "r (1 LouL ? ... QlIl·jquo f'!lMl' [I,.oot
.7 ...
VOU!;, intU1I'HRur Fla ionn m~nL
-
Comme
'VOlIS VOliS ml'prOll Z !-Iur
moi 1. ..
- Celui qlli III Jllomlcr s'nporçu:J. qU'OH Ile rmmJ1t J'lI ll/tÎ"
mie r,'mm., ·( Llli t un rude malin 1... l 'lin.-~
,l (Ilfs sl\I'L Il)L~'
vo.n Il l, ..
'Bile F;ourrt. t ilIIii ln :
(J I>r,
�TCR.RE
I~CONXUE
83
- gt pOUl' Id jolie potito Mme Arlette, queUe slIl'pl'ise ce
serait, je le rêpète .. . 11 me sèmblé ontendre ses exclamaliolJs
joyeuses ... il me sémble voir les jolis regards qU'élle promènel'a it sur toute. choses ...
Et encore l1 ne (ois Bourracho crut ,"oil' ces regar'ds, il crut
entendre ces cris de surpris!;; mal!' il compi'iL :,ul!'si où ce
mirage pou va;t j'cntl'"dn r' r, lui, pau Vl'e dr\;.;hôrité ...
~
lIé 1 garçon, sc dit-il, il no faudrait pa, ' l'y laisse l'
Plendre, te lajs~cr
JOl11il1tlt, pat' une Idée fixe, vlVlé d'elle,
trop sac,WeI' à ce b;lt tout id~al
: fairé plaisir à cetto jolie
})etite madame! .. . Tu serais imprudent comme ceux q ui 'attarrl nt à fredonner un air trop prenant, un de ces refrains
nostalgiques que l'on recommtm e Îl\dWniment lluree qu'il
tivoque un souvenir, un regret, une insaisissablo ct chère
image, parce qu'il pince le cœur, qu'il fait mal, souvent très
mal !. .. Tu as ir'op ft r 'grotte t', nc JOUé pl1.S av c les chimè" s ...
JI s'ape!' lit alor!! q-no RachaL l'obs')l'vait avec un sourire
indél1nissable eL qUtl s .' yeux, peureux lOj01'~,
savaient être
profonds et doux.
Avec sa ht'usql1cl'ie accouLumM, il .;'N" i,.\ :
- Pou l'fIlIOi diable il' versez- \'0 LIS la vio les youx b,üsstis ? .. .
Quand ils !:Il' laissent a[ eroovoit', voLIlJ visage est changé! .. .
- Si e'est U1I COmpliIl1lfnl, "e~ le
premiel' q11Q j'entends! .. .
]~L
II insi:ila rio 'Gl'illont :
- TIlh bie/l, COR travaux 1 iS 'nLl'cprCnntl3- 1IlltlS L,
,·n lu i t ouj OIlrs t'ud> s'ticC'Îu :
' ... H vt\is ch"l'chUl'
- Pat'bleu, oui, n011S los Clt.I'Opno~
lies ou riers. Par c' t 1l1pS d'hiv )' où 10 travail tH' Jl!'eS~;
I-(UÙt'l', li s'>n tI'OLlVÙ!'ll. 1 ès dèmain, jo III mots on campagne.
Avoucz (IUO pouvoit' lion !lenlolllent. VOllS « intl't'cs'Wl' passion1l6m nt ~ lI1ai~
cllCùr > a rruchel' «des xd:latio1~
joyeuses cL
Ql'fI rl~
l'adrnît"lion il. la jolie MOle .\l'Idl » 01. ne lJas en
liai HI t' ]'ocoallion fOl'ail cio l!loi l d""IlI,'1' ri S tT\uflc~
1. .. Bu
'l\'ùI1L dOlIC L .. '\.dvil'l1n ,' qne )Joll/'l'a ...
fô;t lcvunl l 'Ii bl'a~
al! ('ill, piétin: ilL ~Ul'
p'tlC", il cl'Ïa :
- Ah 1 C' 'S r IlllTIl'S, 1"fI fOllll\1 '5 eOl11T1lC lJlles font de nous
,~ i1.(,
1. ..
I.Otl! r,' qu'Iles v ulont t( , " l'Ul':; yCllX cl IW'v(r
1% il s'on <t11 l'gî tant 80t1 chail aUC'1I gui!lc c1'o.dlc'\I.
Hacliat 10 suivil du re ~a rd,
al1l\lS('O t lSoul'iunt
l'r s d'olle UllC ]1 'Lite voix. cass:o mat Inoll,a ;
�84
TERRE INCONNUE
Je VOUS le 'disais bie,n que son esprit bat la brelique
breloque ...
C'était la mère Labat qui s'avançait.
Rachat reprit son balai, finit la tâche qu'elle s'était im
posée et alla écrire à Mme Briey la bonne nouvelle.
Et le surlendemain - la poste a de ces lenteurs entre Pari
et la province 1 - la leUre chargée d'annoncer la Douvell
Cut remise à Mme Briey par le pompeux Vincent, sur le plateau d'argent affecté à cet usage.
Elle trouva la pauvre dame assise en SOIL. salon, dans 1
bergère, près du « bonheur du jour », sur lequel s'érigeai en .
dans le cornet de cristal, d'admirables roses à longues tigesl
tandis que, semées un peu partout, des violettes embau
maient.
Mmo Briey, toujourscoilYée, parée, dans un de cs teagown
si personnels, si élégants, 6tait pâle, dolente, les yeux éteints.
Elle tendit lentement sa main blanche aux doigts de laquelle
les bagues semblaient devenues trop larges, prit la lettre, la
parcourut et la laissa retombor sur ses genoux en murmuraht :
- Qu'on fasse eo quo l'on voudra, cela ne m'intéresse
plus.
Peu après le baron entra frais, pimpant, de belle humeur.
li revonait de Sologne où, Comme chaque année, il avait été
passer avec une bande de vioux amis, célihatalt'es comme lui
ou veufs depuis longtemps consolés, chez le comto Le Geai,
hommo charmant, nomrod renommé, mécèno délicat, amphytl'ion commo il ne s'cn trouvo plus, possess ur d'une demeure
princière, d'un cuisinier célèbre, d'une cavo renommée, unc
uonno quinzaino pour chassol' le gibier d'eau: oies sauvages,
canards, sarcelles, bécassines, etc ... eLc ...
De cos réunions toujours flxées aux premiers jours d'hiver,
fort rochel'chéos mais impiLoyablom nt Lriéos sur 1 volot eL
résorv60s aux m'mes pri vllégiés, do cos rOun.ions où l'on mang ait bien, buvaiL soc les grands vins de FI'ance, où l'on Mait
« entro hommes», parlant haut , riant fort, le propos libl'Of
sans Jo. contrainto qu'Impose toujours « 1'6Jément féminin "/
qui n'étall cependant point oublié ot m 1110 sans cosso romi s
SUI' 1 tapis, t non sans malice, 10 Bal'on d . 'Jarait « qu'il ro.p·
portait du contontomont pour l'9.nnOo )1 ,
- Cette euro do bion vivro ontr tiont mon bion-ûtr O
moral 1.. '
�TERRE INCONNUE
85
Pour tant que lût vrai ce délicieux état d'esprit, il fut brutalement troublé lorsqu'entrant dans le salon, le baron aperçut sa vieille amie.
Qu'était-il arrivé?.. Voilà que l'ayant laissée comme
d'habitude, il la retl'ouvait vieillie, changée, le visage amenUiSé, les jouos creuses.
Qu'avait-elle ? .. Malade ? ..
Avec anxiété il s'en informa et n'obtint que cette réponse;
- Je ne sais ce que j'aL .. peut-être de la faiblesse ... peutêtre de la tristesse ...
- Vos médecins ? ..
- J'ai peur qu'ils ne soient las de toujours devoir remettre
do l'huilo dans la lampe ...
- Ta, ta, ta, je vous soupçonne d'avoir des ennuis,c'est une maladie que ne supportent pas les femmes, - et par
Contre-coup des insomnies durant lesquelles tout apparalt noir,
Inonstrueux, Insurmontable ... Il faut vous secouer J. ..
- Me socouer? ... Ah 1 grands dieux, voulez-vous que jo
tombe en poussière ? ... Le mouvement est pOUl" moi un tel
effort qu'il y a des jours ot des jours quo je no suis sortie ...
. - Des jours que vous ne faites plus votre promonade quotldi nne? .. Et cela? ..
- Pout-être pour l'impérieuse raison qui éloigne de moi
boaucoup de mes ch l'S habitués ...
- Jo no com[ I'ends pas ...
- On a doublé le prix de locaLion de ma vo iLul'o... Sans
Ùiscussion, je l'ai suppl'imée ... J'on suis ravie du rosto, sortiI'
nl'était dovenu UllO corvée .. .
- Et vous dites quo vos « hors habitu',s Il ...
- S'éloignent, baron, ils s'éloignent. .. Cos temps cruels, on
1 dirait, ont ut raison de Jeul' magninque philosophie. La
cl'is se pl'6paralt depuis quolques temps ... D(' j au moment
tlu mariage de Bernal'd, ils v naient moins. Vous souvenozvous quo je m'on suis plainte? ... Ils riaient, ils mo taqullluiont, ils in voquaiont millos pl' ,t xtcs, qui cachaient quoi?, ..
Jo cf'oyais retrouvel' tous ces bons amis, une fois Bernard
Illuriû. Jo les convoquai m .mo à uno potite r 'te. QuolquoslInos ropl'it'untlos habitudes anciennes, nos bridgos quoLidiens.
!J'autl'os s'ox uS\:l'ont de ne plus pou voir venir aussi r('gulièl'0InOllt : do plus en plus loul' visites s'espacèrent. Et quand
Cs l'cn Outre oL loul' on dis mon rogrot, ils semblenL fuir les
�81i
explications. J'~i
TEnnE ncox .... t r.
l1mprcssion que myslérieusement iL~
se
s()nt eréë une existence nou velle ct qu'ils s'cn cacJltut. L'un
d'ellx m'a éclairé sur ses raisons qui doivent être cell s des
aull'es." Madame, me dit-il paraissant cl'uellem nt humilié d'être contraint à ('et ayeu, il ne JO'est plus possible de
rester oisif l. .. D
- Qui est-ce?. .
Elle prononça \l,l1 UOlJl à \' OLx ll'i's basse en jetanl U11 coup
rI'œil signillcatif' V \) l"S la salle à manger où souvent des.
ol'cilles se trnaient aux ('coutes.
- Lui ? ... Co n'o!!t pas possible 1. ..
- TJepuis, jo me pel'ds en con je cl mes sur ce q\,l'ij peuL {nire
Ilotre I?auvre d('serl('ur. Cerles, Ir lruv:;lil n'l'st pas une
d '('Mance. Quand: on ùsl jeunt', on a le droiL, 1)ion plus Ir
drvoi r do prenol'e sa place au soleil et do l'occuper laQol'iousOlnent el s.'il' 0 pout 1l'illammenL, si l'on veut marcher télr
hnuLl', (iCI' do sai et n'êLre l'obligé do personne. Muis quand
on a l'âg~
do Yhononlriat, celui do la 1'(lLl'aile, de celle pénible
mise à l'èc.art où il selllI..Jle dt' lous côtr.s l'on s'cnll'nd di!'e :
Allcz-vous-en, VOll!; n'êles plus bon à l'il'Il " , co doit j'lre
arnigt'ant ù'on <'lr l'f'duit à gagnel' sa vip ... El rOJllJll!,),L
l'l'ilL-on y arriver ?... )est la monlét' dl;!; jf'unes, r'est Jul'
tOIll' !... De quel ton ils Yonlr{'polldl'o ;1 la [risl!' requtolf' ,
TouLf's Ica places l;onL pl'isl's J " DI' (IUI' )f; yl'ux dl' suspirioll
d{>vis(lgt>ront-ila le lJIulhrul'f'Ux (lU 'lIHIJHlelll' 7... A (illelles
suppof;itionl'l Înr,ultallll's se li\'l'l'l'onl-ils , sur cc qu'à pu Iain'
dans lia j 'lln sse CI' w rllfi>'ilr qui t'n (" , ~ rncol'I' il du'rche!' un
g;\~nc-pai
?
M'l\r Bricy avait \.,1'1" d'unl' \'oh :!J'(!PlllP , flf'S lfJ1lrhcf; .Jf'
I1r\'I'p olllpouqlJ'uicnt 1501 "isilgl'.
- Calmez -vous p(llll' l'alllolll' dll Lil·I, vous all";G \Ol~
l "Ilfll'I' eoroplt'tcmcnl IIlHla<ll ' .. . fil :1\ n'in q 1) Il'lud t' " haroJl
Ah 1 jf' ROllftrC tUlIl 1. .. 'l'ouI. l' SL f"uJIlpU'll'lIlf').t dfOJ'gnni ·f . lf)lll ~f' pUfl 1. ...l'ai l'ill1pl'l':siClI\ qlll' tout cl'oulp p(Jur
JII(Ji (Il :lUloul' fk moi!." [rnit -1'11(' ri 'UIIf' \ oi>.. cln dl"liI'l'.
Bult 1 b3tl J hab ' ... 1'.lI'CI' qUI' \OUS j)l!r.ll'z qlf·\C'~
hahiLnl' VOliS voilà pro: on ant SUI' l'Il\ rJc~
ot'ahoJls fllllÙhl'l'"
l'l'l'nant lout, au 1ra"ifIUl' 1 dél'\nl';1 II' Il.lroll, r:lll'rdlII Il 1 il
f,dl'e PI'I'UVO d'ulW li Ill' l'll! d'(\spl'ÏL «U!', ('(!l'tN\, il 11t' possrd"il
,,111<;. fl'ahord, '.ou~
l'l'coYir7. 1l'Op cl l' wundt·, trr r r!'inclill't
1·)iI
~ . 10,. l'C'rlnln< JOu!'s, r'c-t:1Î1 il f"il' 1...
)1
�87
- Ou IID . p!ôLexte" de. fuite fit-ello FeillOU"\lant un. pâle.
SuU rire: ,
lÎll 1 vooa; rev.<rilà méchante!. ,. Çl1 va mi.euJU! .. , 0ui'f
madame ; en. VO'IlSI enlevant quelques-uns de vos habitués+, las
évGnomenLs 56' lront . chaFgés d'opé'r'Cl' UllU cc sélection )J, UIle
(( éliminali!{)lli»,.- comme on dit en langagelde.spollt,.- q:u.e
Totre cœur tl.!;u:lichaut r - si j 096 m'éxprirner ainsi., ,- -n'aur-ail> jama'g ~Ul
le aOllrage. de' faire!. .. \{ous' aimez tout:le
ilionde !...
Elle g.'eu, d.:.'funùit , Lui l'loursui v j t' :
- Coux qllr \\.(Jnl vouS! raster ne sont plus,des " habituéS",
Ul même dos .,~milecs
D, mais ·dcs I~ fidèles :»...
-
Pus- pour Hmgœmps ...
-
La nl.at)r;si~'
- Que prévoyor;,.vQuS enoore ? .. ,
- Colt dQsaql.li m'apeure, qui déjà. âloigno-d41 JlU1l C01LX
qu i ne f'QViflHdl'OHt plus'. éloigneraI les al1t-res à 'leur tourr...
QU'C!lt
' ~M
qU0 ee '!antôme-?"
- Alo~
d:<m~'".
i\I mo Briey r{)pri t, a..vec furct'. tandis q lIe sos mains pHdssai l'nt nCIIVCUlWltHlIl un petit mouchoir de d\ml lle:1.
- L'am(J8pli~It1ce
no); Chè l'09 néunions n'om plus lamêm<?,
Al'ri ,'0- t-Oll ' cyu'a.u5aitôL l'OT! Bon re à,. s'éloignor, (i)n ne. s'iwLullu plus, 1,0 'IIidg e'5't abanrlonm'. l'cl'sanne ria plus le
LCfI1fJ" , IIi· fi u[,~tle
10 canH' d s'ailseolr, de pl'llnÙC(} le.
CUl't es- ; ({o·!tlTst6t' ommo àlltl'olois 9('S soucis il la }lm'tc; 011
I·s li'" 1111' af/rù~
wi.
u }I! l IIp 'Iuoi p:n!u- t-on ?.. , D('s cn.us-~
profondes el loinlaill('s qui ont 'I~Tal
é l'etat aotuol do. nos financos, d03.,dlffir.ullù; dans le~!ju10
nouS nous débaltons, de la, néeeBSiLé do
l:H l'Cstl'l'ilIdu , Don I:/uulemcnl SUI' le supol'flu, mais aUliIii sur le
nl~c('
s ail'(,.
(!:'ost. ul1ulant 1.. , Enfin il y U (fO !lluos jours,
MllIu d" fI ... a paru exprime!' la ponsôu !lr: tous en' disanl ;
Il Un bri<tg ? <Dit l' priS' pour muÏ'insislol. pus, i}:. V0l1S tout
a\ (II IPI', jr. n 1y :lÎ- plus J l [(>, .. " 'fous COllviÏJlr nL ausslL l,
av(\(' dhl'l'ulil}n Ù'UbMd pt plus do fral1ohi'3o ensuilc, quo los
tllll1pf; "il JIlollillahmt. <lu lu vin n'MaiL plu::! III môme, que ses
('xig1nc~
on)nvnif'T,t aux )l1oind'~
d!ynr! i Romonts leur rlour IIr', :'\ul III I: ~ , ha fju o la 'ordo était t nd\lC à sc l'omprd
1I0uI' lou,.;; 'Iu'on 11 . s.n':liL comment « uullcle la bOllcl • ni
j.)i il tllf' I' ~ ((lUX hout. » , Coup sur coup, j'ai ;lpprill fJ\1
�88
TERRE INCONNUE
Mme de B... , ma contemporaine, cette femme charmante dont
vous goûtez tant la conversation, part ces jours-cl pour
New-York accompagnant « une amie, une richissime Amérlcaine qui ne peut, ni ne veut voyagor seule », auprès de
laquelle, en réalité, elle occupe 10 rôle de lectrice, de dame de
compagnie. La pauvre Mme de B ... m'a avoué en venant me
dire adieu:« Il a fallu m'y résigner, je ne pouvais plus
vivre. • Et comme d6s01ée j'objectais: « Pourquoi vous
expatrler? ... » Elle m'a répondu: « Avouez quo je ne pou"ais accepter cette position en France ... Mlle i de V ... ont
Eous-Ioué leur délicieux petit « home» et vont en provInce
partager la pauvreté d'une parente. La Générale de S... m'a
confié qu'elle avait pris chez elle dp vieilles tapisseries à
réparer. « IL n'y a plus de sot mélier, ma chère , ... La fière
Mme de St-A ... a dû se résigner, pour ne point quitter Paris
et n'être point obligée de déménager, à ollrir chezelle l'hospi taUt\') à des paying-guest. « Disons bien vile la chose en anglais
m'a-t-eUe dit, c'est plus élégant que de convenir qu'on prend
chez soi des pensionnaires .• Elle a ajouté sur le ton qu'elle
aurait pris pour me dire: « Je vais ce soir à l'Opéra 1 » : u Je
sauve la faco en disant que coux que je roçois sont de vagues
alliés 1... S'y trompera qui voudra 1. .. » Que de sacrifices, je
dis même d'immolations celareprésonto, mon pauvre baron 1. ..
Que verrons-nOUS avant la fm?.. J'estime qu'en vos réunions
de Sologno vous avi z à traitor de sujets plus aimables? ...
- J'ignorais, on ofTet, ces brusquos d6terminations qui me
semblent dériver d'une absurde panique. Je ne suis de retour
que depuis ce malin ... En tous cas, - reprit-II pour l'égayer
- si tous s'en vont, OIoi je reste ... et à vos pieds toujours 1. ..
Vous? ... Vous êtes sans cesse sur les l'OU Les , ... Du l'OS te
Il n'y a pas que mes habitués qui m'abandonnenL. Vincent ct
V ·ronique, pour d'autres raisons, me quittent aussi...
Cela devient grave ...
- J'ai commis une imprudence en envoyant Vincent à la
«)l6sang re •. 11 est allé à Lourdes chez un de ces cousins. Jl
ya séjourn6. Et l'itl6e lui esl venue d'omployer ses \')conomlos,
el il en a - à lou r, peul-êLre bien à acheter, un Immeuble
qu'i! va lransfo/'mer en pension de famille. « Madame cornl'rondra qu'il pusse à Lourdes chaque anll60 plus d'un million
d(' pèlerins. C' 'st donc pour mol un placomonl de Lout prorner ordr . Véronirluo est d mon avis, alors .... J.t.:t Il a
)1
)1
�TERRE INCONNUE
89
ajouté: " Que 11adame m'excuse, mais avec les gages que me
donne fadame et le peu de valeur du franc ... Madame pourra
convenir que je végète 1... »
fi Je n'avais pas à discuter.
Dans ma candeur naïve, je
m'étais leurrée d'un peu d'attachement, de reconnaissance
après si longtemps de vie commune, de bons traitements ...
peuh! tout ce:a ne compte pas !... Des arguments probants,
énoncés avec une froide et impitoyable logique, me l'ont
prouvé au ple:n:er mot ...
- Quand part ce couple ? ...
- Vers la fin de janvier.
- Rachat vous sera revenue ...
- Rachat?.. Ma dernière letire l'a o/Tensée. Elle a mis
fJuinze jours à me répondre, à m'annoncer que par l'entremise
de ses concierges, elle a vendu ses meubles; qu'elle a aussi
donné congé de sa chambre ... Elle no reviendra plus à Paris.
Ello se fixo dans le Midi ...
- N'a vais- je pas toujours dit que cotto personne morne,
(·/Tacéo, nous résorvait des surprises? .. Eh bien, puisqu'on ne
peut plus compter sur elle, nous aurons recours au bureau de
placement .. ,
- Ne nous prossons pas, d'ici la fin de janvior .. , nous avons
le temps 1... mUl'Jnura-t-elle très lasse.
- D'abord vos enfants vont rovenir. Leur logis n'étant pas
prêt, vous les recevrez ... cela vous sora une distraction ...
- Uno fatigue, une imJl1enso fatigup ... Et si voulez que je
vous diso toute la VÔl'ité : je ne puis plus rien supporter .. ,
Je n'on poux plus .. , j'en ai assez 1. ..
Le haron vraiment s'inquiéLa .
- Où st votl'e fils ? ..
- Aprl's le laroc, l'Algrl'ie et la Tunisie. MainLenant 10
ménagp. est en ]~gyptc
... J'ai envoyô ces jou l's-ci à une banque
dll Caire dix mille fran cs {[ui m'ont 'té demandés ...
- )t;t lors du voyag' do noce vous on avez donne? dix mllle,
Ci uane! ils sont partis pOUl' le Mal'o " vous a vez fail un nou vcl
l'nvol... maintonant un troisiùme ... ct vous supplim z votre
\'OÏlUIO ... ct vous laissez I>al'UI' votl'C vieux coupl Vincent t
V 'ronlqu', alors qu'avec une augmentation vous pouviez
peu l-Î'il'C, ..
- Je ne pouvais rion ct l'augmentation moins que )0
l'es[(>, S'ils n'ôtaienl J,arUs cl leul' ploin gl'é, j'aUl'ais dû
�TERnE INCONN UE
le,; c()flg~ie'
... Ih Mme Briey somblan t à bou~
de forc os.
- l!:nfin, qu'est -co qui se passe?
- Ri en que de très simple; l'ai dû réali ser à perte des capi1 aux pOUl' marier mon fils, en r éaliser d"aut res dans
les mêmes
conditi ons pour acheter la Mésang êre ... J'ai vend u en.core, en
J' perdant toujour s, pour envoyer ces fonds en Égypte
...
Iaint011a nt je no puis plus r ien , mon appal'te ment mème mc
dcvient très cOÏlleux ... peut-êt re vais-jc le quitter ...
- Bernard sait-il ces choses ? ...
- Qu'a-t- il hesoin de les savoir ? .. .
- :\fais cnfin il est d'une inconsé quence déplora bIe ...
- Î'\on. Il pensa simplem ent à lui, à ce voyago qui
Lml1lse ... Laisson s-Ie iou ir de la vre ...
- Lais nIls-le jnuir de la vic, <.lites-vous aujourd 'hui .. .
laissons -le jouir de sa jeunesse , disiez-v ous avantso n mariag .. .
laissC'l-moi 1<0 g".Her- ~a ns
remord s, je ne pourrai s Je gâtor tou j ours, disiez-v ous lorsqu'i l était onfa nt ... A ce sys tème, ma
pauvre am ie, V Ul en avez fait un parfait égoïste ...
- Les femm{1fij ne yal 'nt rien pour élever un garçon, en faire
1111 hOlOl1l1' ...
\ Oli S l'al-Ju assez dit? ...
I!Jpal"gl\ez-moi, j vous on prio. C'est vrai, vous m 'u \ ez
l'oll',('ill(' tant de choses que j ll n'ai point ~cOut()s
...
\ I)'~
SUif!: d('CenrJue ali jou l'ct'hli i cl ...
·1l~is.ùt
pas ... n'insiste z pus ... je S,lis 0 CI c vo us allez
ajoul,'!'. , 'a\l~1enLcr.
pus mes f eg r o L ~ . J Il IlO pou va is fLl iJ'.
parlllf,!' l' il pers nnc !ps cnnuis quo ni
causait ma tl'islc
sall1{ 1.. . J ';Ji lOUjOl/l'S CSpÔ I'" qu'ullP um 61io ration su n ien dl'nil
'1 al" I's ... Ah ) qUi"! 1<1 vic eût ·'té dirTl11'enle .... s'ùe l'Îa - L-o llt:
ll';'n li~ III'I 'e tout à cou p, comm e jo l 'II i oS)Jérl"c céll' a Hl ('1111";0 [ioJi J ... 1J;l'un n J'a pa~C1'l/is
... In clillon.'- nousut J'omel'11111, ',. d',I'Joir ,11 I~
lll oilJ ru l' de senlime nts dont J C pu h;
"lJljllI" " 'l'I 'i 11 ~i Iblpsoll \'('nil':;;ll1';rrrllol'lü; ... Nolrp l'hèreul lIiI;('
<1111',\ (it' Il 'I -b.\~
IIlOIl s' III hllnliclll ' ... ma souIn mison de
,in·p ...
\fIIlIl S, "Ibn/i, Il(' parlez pas ainsi; 01\ dira it, m;1
pu ('()rl ' ,
'ltH' YUlh pT/lez ourage, VO t S S I 1'01'[1' !'lliJonr f; ... fil-il chc!'1 Il 'il l i l 1I1aitris I'f tlllC ViVl'Il (mlotion .
,lI' 1If ' I' d ~ ; 1;('11 1'11"" , en en·cl ... ot j 'pi pOUl' )...
111',1111 !lIlllll, \011'1 1"'!HCllfl l'C, ('n voil:'t des id6
si ...
J \1 tf'r'l .Jo' n'f'n ai plllslafl ll'ct'.i'Il cl'l'[ll'cn
dr ?o l'Jlloiboll'!
-
�TERRE INCON l\'"IJE
POUl'
91
souNri. àavantage 7... J e suis au bout de la tâche, cette
(lut" du mada{;c de mon fils en a marqué la fin ~ ... Cet achaL
de la « 11 ésangèrc » m'écrase ... je m'en aperçois trop tard ...
- Rev,mùez.
- Cc n·ORt plus il moi de le faire. J e ne puis reprendre d'une
lIlain cc q\.c j'ai donné de l'autre ...
Un pénfbl'eosilence stlivit. On n'entendait pIns que la ,'espiratioll haletante de Mille. Brit y.
l"e baron S6' mit à tisonner d'tille main t remblante.
- El Mme Féro!, Ciue dit-elle de l'absence prolongée de sa
nlle? .. demalllia-t-il pour faire diversion.
- J e l'ai troo pen vue. DeuJ.Z fois je lui ai fail dire que, très
îutigu(e. je ne recevais pas. Elle n'lst plus revenue ...
- El, l'auto, est-elle pari ie rour le Cail'c? ..
- L'auto :reviene du Maroc par mer jusqu'à Gibraltar, eL de
II à Paris, comme un simple colis, dans un fourgon à bagages,
port dll ...
- Qu'est d'cvonu Ogicr ? ..
presiance et sa slIpel'be alti Lude d'amiral bri- Sa nobl~
l"nniquea1ai1.le caprice d'une vouvoCJui tient uohôLoldeprenlÏer OJ'tll' il MahJgu, Elle 1\ pouse voy'ml en hli re mari rôv6,
il' ('htlllO·clIr <lvre lequel elle IÙllIl'U jaUlais de difficultés, 10
Mfens['lIl' si cdar lui ('sL né essaire ...
- Ah' .. , Ile 1'1) Baron Ieign::lfli UII relour de joi et de bonne
IlIlnll't!l', nOIlf:; voilà clélivr6s cl' c quo M. }<'érol se plais_liL
h apprll\;!' H la petito police de ma f mme ... »
I lh! mM pauvre baron, J'jon no 111 donne plus env; de
l'ire ...
\ uu: CVI ~, 1'11 11'.' (Iél ail· 'lue \ O\IS sO\J'wil
i ~'z il voir sU I'la
" \l'~;)Ii.:r
D? ,
H,lclwl J'rH, !lit qu·eJlc ne J('1; a pas cncore. C,! capitainc
l'Hl 1111 mu il(, d"gu'J'I' ,il ne p 'ul f<lil' de ,rl'(1I1()OS marches,
Il sOlilTr'l' clo 'r:; bJellsurcs.,. 11 paJ'an CJlI'on 'il 'alTI moncer de
g l'<lTHIK 1r;Jvnux, couper cles bro\lssai I!rs ... dérou vrir une pib 'C
d' 'IIU ... IIIV' li aLlie de Diano ...
~'·i
J':.d l,lis y voil' ? .. nt-il pOllf' la l;u(llio r,
r-, I mi' tourrn!'rtrz pas. ,]e sais qu' voLro proposition
/l'l'si 'lU IHlI' le'IIlL eL (\110 VOIlS !TIl' troll'. z trop malade pn ' H'
YOllS {·10l/;'J.lf" df' P.,Hi!> ct slirtout de Tlloi eo cc lIloment ...
Elle .'if' l'f'JII fin vu':; lui LI'Ù.-; émue pt lui 1'1'('n lnt la maill
111 111'1\111111 :
�92
TERRE INCONN UE
- Et je vous en remerci e 1. •. Je suis si seule ... si abomin ablem:m t seule ... la solitude est une telle épreuve quand on se
sent très malade ... - - -- . -~_.
-
VIII
Favoris és par un lumineu x mois de janvier ne rappela nt
l'hiver que par quelque s gelée blanche s, recouvr an l, au malin,
de leur satin givré, le3 prés, le3 champs , les toits, les travaux
entrepr is à la (( Mésangèr e D s'exécu tèrent .
Libérée s des broussa illes, les terrasse s retrouv aient l'hal'mo nie de le:lrs lign,s. L3S degl'.3s, q :Ji les rl3liaient l'une à l'autre
bien que disjoint s, redevin rent praticab les. Aux quatre angles
de chacClne d'elle de gl'd.nds vases de mnbres , qu'ense velissaient des buisson s d'églan tier, reparur ent majestu eux et
dé.:orat ifs.
Le miroir d'eau de la troisièm e terrasse , débarra ssé des
d ~ trius,
des feuilles pourrie s qui le combla ient, réfléta de
nouveau des arbres, du ciel et du soleil. L:l Diane fiè re , qui
s'6rigea it sur sos bords et que l'épaisse ur des taillis rendai t
invisib! e, reparut à la lumière et put désorm lis miror dans
l'eall limpide la gdLo de son élan.
{,'l courb ) sa vante des all6es du parc se relt'ollv a et du
Château à la grille d'entrée , que gardaie nt toujour s lessphin x,
l'avenu e reprit belle apparen ce .
Lorsque IJronl vaincus dans le bois los fourrés qui en l'endaient l'accès difTicile, l'on découvr it des chênes aux troncs si
larges et si beaux quo « quatres homm es los bras tendus n'on
n'anraie nt pu faire le lOUI'», affirm it L'lbat aV<lC autant d'orgueil que si cos arbl'es lui oussent appartonu. A l'ombre de cos
géantss o retrouv èrent la piene dos Druides , 10 banc d e~ adi IIX,
tout ce qui donnait cr.Janc à t nt de l'omans , de 16g ndos.
El sur los l'udos 6col'cos purent s liro des dalrs, d s noms, d s
loltres enlaco ' s profond émont, onLaill s à la sOI'pe, ail couleau ,
cn un do ces momen ts d'illusion et de folio, commo il on ost à
l'ûg où l'on cl'oit les sermen ts élorn ls.
1!:nfin sc drossa de v nt Jes travaill eurs la noire quenoui llo du
yprôs, au pied dU<l.uel6tait cotLo dalle flue sabrait une Inscription que personno no compre nait ct qu ,du roslo, p orsonno no
pouvait liro, une ()pal~so
coucho de limon la roco uvrant,
L'ûquip e dos ou vl'iors, ayant ôté porlor plus loin son oJTort,
�TERRE INCONNUE
93
le Capitaine, Rachat et Labat, qui neles quittait pas depuis le
commencement des travaux, s'attardèrent au pied de l'arbre
funèbre, parlant à mi-voix, ainsi que dans les cimetières, et
se perdant en conjectures SUI' l'origine de ce qu'ils avaient sous
leurs yeux,
Le temps était tiède et calme. Le soleil voilé de brumes. Les
choses apparaissaient sans relief et sans ombre. Les oiseaux
se taisaient. Le silence pesant sur le bois, que nul souffle n'agitait, ' était impressionnant.
- Que peut recouvrir cette pierre? demanda le Capitaine.
- Je crois que ce sont des objets, répondit Labat.
- Comment le savez-vous?
- J'ai vu, un jour, c'était en l'an ... en l'an ... vers 1894 ou
96, l'avant -dernier de nos locataires, que rendait à moitié fou
un alTreux malheur, s'en aller vers le bois emportant des
choses dansun morceau de toile noué aux quatre coins. J'al pour
habitude de ne point épier les gens, encore moins de les questionner. Ce qu'il faisait, sans doute était-il maltre de le laire.
Il payait un loyer pour agir à sa guise. Le soir, à la nuit tombée, il rentra les mains vides. Sans me dire une parole, Il me
désigna l'endroit où il déposait une pioche et une pelle qu'il
m'avait empruntées. Je ne vis point son visage et remarquai
simplement que s s souliers et ses vêtements étaient souillés de boue.
cc Quelques jours après, passant par le bois pour me rendre
au village, je remal'quai qu'au pied du cyprès la terre était
remuée, qu'il s'y élevait comme uno petite tombe. Je me souvins alors, qu'une semaIne a 'paravant, était arrIvé un colis,
que le locataire me pria de l'aider à ouvrir. Nous en retirâmes
Un beau rectangle de marbre portant uno inscription qu'il
fixa longuemenL av c des yeux de désolation. Je me demandai à co mo
~ nt
à quoi allait servi f' c tte façon de pief'!' e de
cimetière. Je le compl'Îs quand je la vis, là, où vous la voyez
aujourd'hui. Mals pourquoi y avait-ollo Ot6 mise? '" L'inscription allait-elle me le révéler? J ne pus la comprendre et
poursuivis mon chemin sans y pensrr davantage. Chacun a ses
soucis, sans prendre en surcharge la peine et les sonels des
nutr s.
Pensif, du bout do sa canne, le Capitaine râclalt la dalle,
LUi aussi devenai Lcurieux de rel l'OU ver l'inscripllon. Lo temps
l'avaiL-ilo/TRCoJ ? ..
�l'EURE l 'CONSUE
on, Voila q l'app1l'uissalt un~
lelLl'c,
CI', nous aUl'ions vile [a dé du
- Ah! Si j e pouvais me bai~
mystère .. , avec mon couteau, je .. ,
- Donnez - m i voLre coutOHU, je m'on chsl'J;'e ~ .. ,
Déjil Rachat s'agenouillait ct do la pointe cl la hun ,lâclaIlL,
piquant, s'esc.l'Ïmant, elle arrachait chaque ' l:ttr' d. :,a ganglle eL rocitaienL il nu eeci :
P Jr ep:;ry man kilts the lhing ha lupes,
Vil silence suivit , Et Boul'rache lenLement, C !JlIllC à r,'g !'d,
Ll'adni it ;
- Parce que touJ. homme tue ce qu'il aime, .. C'(·.,;t, je ('!'ui:;,
Ulle pens '~e
d'Oscar Wilde ,
- Vous savt~z
donc l'anglais, Capitaine ? .. , <jllcst ionna
Rachai, LevanL vers lui des yeux plein d'udmil'dlion,
- J e sais mal ,;inq languos, suffisam nt touLflfo;s pOUl' entendre ct b. l'tout (: III prendre les ris de la souITrance lilI/Haine! .. ,
dOOlama-l-H avec exal LaLioJJ.
- Mais aLors (' t homme Il :'a-L-îl ('u~h6
? .. Q l'a-t-i)
enLerré ici ? ... Aurait-il cOlllmis un ' rÏJn
~ ?, .. r:"';;l iJl)(~
silJle 1. .. On l'aurail su ... balbuLia l achaL oS'l ('od.I·(·ss anl. COnU111'
fnlppée tl'hol'l'eul'.
- JI e:,L da.n, l'ordr'c mural cid; 'l'inH;s qui flchapp -nt ù la
justiel' llumainr, de~
crimes que ri n n Il ni faire découvril',
J,n (hâ:imenL n'cn ('sL qu' plus LClTible, TI le po; Ll' Cil soi SU\l~
la fOl'lM "ongcanle, Lenaillan t. " d'inccssuuLs r(lg'~t,
Il 'illap:l isabk l'''mOI'ds, Le cœul' r!(wili!',\ l' 'split obséd(I!);u' 10 SOIlV!'ni!' U Cl yui a (il.., l'on \'.1, cldaHil amh .lan.l; ;qanL pC'l'du
ju~q\l'a
goût Ùl' vivl", do 'onu Lei ([ur 1 (;Olld:IlHl1é Ù lIlorL
qui n'aspÎl'o qu" l'ox('('lIl ion de la sen 1('1](·(· ...
N(, p:n'kz pas si haut, vous JI1' faiLu. ' P 'UI'! b~t1hu
lia de nOll\I'IlU Huchai do e Llo 1Ill'/ll' voix Il'! ffl'oi, Bi Il,.
grâce, apab,·7.-vous. Pourquoi 'cllo a~il:
,t.! iol?,
.. L'ou dildi,
\,1';Jilll 'nL qUI' (,'Il':;!. vous 'lui III ('S OH eausc 1. ..
- ,\u conLad dl' GI' qui Il bOille' ". 'U d'allLl'u.:I vi ',', on s,'IIL
plus IOlJl'JCllIOlli sa l'I'oprp inf l'Lun ... "Ulll'iL Bou!'I'rlcli'
<.1\' 'C' le lIlÎ'llll' (lIlll' l'tf'/lH'lIl, J ,'Jlomlne, qui . l'ufoui sou'
'eLLo dallE! dos ohjuLs, a l'Il sans dOIiL 1'1) poil' d'alll'/{cl' S<I
SOLLfTrun!'e en s lib"ru l dl' ''l'S ler'r'ilJle' l('!TloiI1H 1]11') SOIl!. (l'S
dIOSOS, los cho, S « qui OJl~
\'11 " Il!!:) l'i1O <'5 qui b'!ltlbleJll ,t'
souv ni!', IIJri choses donl l't' ff!',l. ni IHuli 'Illil P l'i~t
un ('01 sLlnl et pilOy.lhlo "l(ll'O h!' .. ,
�TERRE INCONNUE
_ Labat, comffiClilL était Cft .homme ? .. intcl'l'olllldt
Rachat, espérant par une divorsion, ap3.Î~ol'
"<"ll'cnoscenGe 011
CapiLaine.
- Un monsieur jeune, qui selllLlaiL biltn eu louL; jolie
Hgure, beJle tenue, bonne éducation, ne ulanqua.nt ni <.J bt'allx
habits, ni J'argent, à ce qu'il semblail. Si V911S ôtes cUl'ieus'
de ceLLe lùstoire, demoiselle, il faudra questionllel' ma vieille.
Bile vous renseignera. Elle il eu trop de chagrin de ù
llui se passa pOUl' n'en avoir pas gardé la mémoiro. Tandis
que moi, avec le souci du travail et du pain à g.agnei', je lI'ai
jamais eu du tomps à donnel' aux affaires des autl'os ! ... BL
justement voilà qu'elle JlO'tlS arrive, ma d me 1... Bim hranlant.e L bien béguillante, la pHU vre 1 Elle ne troLte plu
C{)lnme olle lo vouùrait ot cependant, voyoz co quo c'est Que
la curiosité, - pourf:IUivil-il attendri, - elle vicrnt j lel' SUI' co
quo nous faisOIls son petit coup d'œil journalier! A tout â~1'
il fuut que la femme s'amuso ...
J~n
eITet, la J1l re Labat apPl'ochaiL s'uppuyalll SUI' cieUX
hâtons. Elle punIt épou ,'an Lée .lorsqu'elle vit BOUl'l'a('/lCt 1[ LI i
s'acharnait 0 clùcver le limon qui l'estait sur la dalle.
- N' Y Louclt z pas , monsieur le Capitaino , r.o serail cl U RU l'ililg !... Là-dessou'l sont cl s socrots 1. • .Œt 1"5 ecrPls, 1;' st
Slirl'(' .
-
Jt<wonLt'z- nous ce quo vous sa vez
~'UI
eù lIlonsirlll' qui a
('nlrL'fô los sianA ici, mèl'o Labat J ... nL Rachat.
- Ah IlIcmois Ue, quo rfl.u t-il en (lir ? ... C'était, l'omme dans
Jn hanson, celte chanson (lui osl vi ille commo lu monde, rl('\L,(
antOUrI"\l\. q [ s' n étaient Ve.1US Ù la a M 'sangèl'o " , un jOllr
tir fJl'inlpmps, ch nter l'amour! ... Ç:l pouvait a voir fIlli\l'unto:'Hait g>ntil, mignon, ù vous :tl'I':\chel'
Il H larml's 1Ça g'adOl'niL 1... POUL' habiler la « M"sangol'l' ", ils
1\\airnL pUHS' un hail, tl'ois, six, np Lf. Cela Il d uL dl rien,
h jPlIlH'SSO 1... 'l'l'ois , six, neuf ? ... A l'nmOlll' il Il' il ([Ill!. /'lOS
Bi longl ...
plus lu]'(I, l joun hommo rul . pp ,lé à l'al'Îs. JI
" Hi'<. Jl1oi~
nvuil tl \ ln fUJilille. Jp ('ompl'is, qu'au SOl'lÎl' du rùgililent, il
fl'Hail bel ot bien mari!) conlre 10 gr6 cio Il pa C't d maman;
(l'l'il avail rait (' qllc les « rich 'H Il • ppolJolIL un «so ltis Il pt
'lll'on ehcl'cll'lil à j'nmon r
changer d'avi'!. C'ost dUI', r;'{'hl
rru!'/ ; ni' is uinsi ya 1 monoe 1... M Il (Hutel' aux s quiLlèl nt (lvec d(·~
san{lot~.
On s'écrivit chaqn' jour. IH' qllin-
l'illq ans à eux d ux.
�96
TERRE
INCONNUE
zaine après, il revint. Je le trouvai changé. Il avait, Ici, un
pli au front, qui ne paraissa it pas rassura nt et l'on eût dit que
toute sa belle humeur il l'avait perdue en chemin .
a La petite, mainten ant, pleurait en cachett e. Quand
je l'en
grondai s elle répond ait: (( Mère Labat, mon beau temps est
fini ... je vois à l'horizon monter des nuages noirs ... » Trois mois
après, réponda nt encore à un impérie ux appel, mais regimb ant
Cerme cette fois, il reparlit . L'absen ce dura trois semaine s.
Hélas, les lettres n'arriva ient plus chaque matin ... « Mauvai s
signe , ... » pensai- je.
« Cepend ant il revint; mais rapport ant un mécont enteme
nt
quifaisa it qu'avec la petite il ne semLla it plus jamais d'accor d.
Et elle de pleurer ... de pleurer. Et tout bas, elle me confiait :
cc Je voudrai s qu'il me laisse, qu'il revienn
e avec ses parents .
l! ne veul pas l'enlend re. J'Insiste . Il laudra pourtan l qu'il y
arrive, ils seront les plus lorts ... » Et olle reprena it le triste
reCrain : " ?lion beau temps est fini... le noil' monle ...
il monte ... »
« Enfin une troisièm e fols, vers l'autom ne il fut encore
appelé à Paris. Bien à contre- cœur, il partit. Je n'étais pa
content e de cette nouvelle absence. La pauvret te attenda it
un bébé et dame, à la campag ne, loin de tout, j'avais peur, je
n'Nais pas tranquil le , ... Elle venail pleurer devant mon leu.
Je la revois en ore, el à travers ses larmes, cHe Ille disait:« Il
faut en finir, ils sont les plus Corts. Ils n'ont pas voulu de moi,
ils ne voudro nl pas de Illon enfant ... " Mainten ant la l'assure r
Mait impossihle. Pour comble de malheu r, lui n'écriva it pas.
Ce sil nec la dès spérait. Sa sanlé était loin d'Nre bonne el
('('s désolations n'étaien t pas fait s pour l'amélio rer.
(( Enfin, un boir, elle m'arriv a le visage rayonna nl :
« - Mè! 0 Labat, j'ai pris une décision. Jo vais le rojoindr
e.
1 Ah 1 vous raites hi n, madam , vouslul lorez avec eux ...
11 faul lull 'r ici-bas ... la vie est mauvai se ...
«- J'ai laissé iiI-haut toul en grand désordr o et une letlre
pour lui ... vous la lui donner z, si par hasard nous nous croisions en J'oute ...
« Elle m'embr assa, me r mercia du peu que j'avais rait
pours
cll('. Elle me dit qu' 110 descend rait à la garo, que letraln qu'eUe
allait prendl' s'y arr 'lait à neuf heures ...
« Je r marqua i qu'olle n'avait pOlir bagage qu'un peUl
saC.
1 Elle me rl'pondi t qu
là-bas ell achèter ait 10 nécessaire,
�'l'ERRE INCONN UE
97
c'êLait plus facile que ùe lratner une mane. Les riches ont
des idées souvent que le pauvre ne compre nd pas. Pourqu oi
aurais-j e discuté '1...
ce La porte se referma SUl' elle.
ce Quand Labat, revint, il me trouva en larmes.
Jamais, lui dis- jo, rien ne m'a fait plus gros cœm
«qUi' de voir cette pauvret te s'éloign er.
" 11 me gronda.
" Le rendemain, je rangeai les chambr es et durant des jours
on n'enten dit plus parler do rien.
" Mais un soir le locaLaire revinE.
« - Où est Madam e 1... Tels ftJrent ses pl'Omiel'S mots.
11 paruL à moitié fou lorsque nous lui contâm es q,u'il y
la « Mésangère
:t \'aiL plusieur s semaille s fJu'elle avait l1uitté
e.
rejoindr
le
aller
I)our
- Oil est- olle '7 ... où est-ene 7... rriait-ir désespéré. Com Ilwnt ne l'avez-Y ous pas retenue ? ..
Labat le prit do très haut:
,,- Quel droiL cn avions- nous, monsiour"? ..
,,- PourquQi ne m'avez- vous pus prévenu '7 ...
" - Nous ne savions mêmo pas votre adrcss" ...
dans la maison,
Enfin, après avoir tourné et rotun~
, [mlmo Je l'ai vu faire à un Iron dans sa cage, autrefoi s, au
1l' Dl ps jadis, à la foiro de N ouilJy, il prit son chapeau , son
dans la nuU ...
pi1rdc., sus, ouvrit la porte ct s'cn[o~a
entendr e parJpr de
rIos
ni
il
e
qllinzain
une
s
reslâme
" Nous
rirn,
ltN'. Ses
~ Un soir i[ revint. 'OtlS eùme5 peinl' à le J'econna
aprl)s
comme
usé
cr
s'él"it
rheveux avaient blanchi , son visage
rouges el gonf](ls , ('omm' dl'
!I/)[' maladie , sos yeux étaielle
1):1I1HC yeux qui nc cessont do pleurer .
,,- E:1I hion? .. fis- j trem blant .
51'S
«. Ello est mortr , répondi t-il, sanglo!a n t la tûUe dans
lll ltins.
le Il passa quelqut's jours id. fI fi( vpnir ce IU:l['bre et il y
' l'ion su de
1\1J! dessous , dallle', ('0 qu'il y a mis. Je n'au/'ui
:
mystfYrO
dl'
paroles
res
t'!
()l'ononr
vale
n'
s'il
"('s chosl)s
Mère Lahat, je' vions ù'onterr e/' ma j 'unellse, 10 m('illour
QU'OII
Il mon ilrl1f, cc qui aurait éU> pour moi le bonheu r ...
fasse de' moi d(:sorm ais rD que l'on vaud/'u, tout me devient
ill.tiifft,rent" pulsqu'cliP n't'st pius là ...
)1
�98
TERRE INCONN UE
a Je lui demand ai si 10 bail serait annulé. Il me répondiL
qu'il ne le serait pas, qu'il avait l'intenti on de revenil·.
« Les neuf années se sont écoulées. 11 n'est jamais
revenu ...
a Labat et moi nots apprîme s bientôt ce qui s'était passé.
Pour aller retrouv r son mari, la pauvret te était partie il
pied, d l'oit devant elle, suivant la route. Ne conduis ait-elle
pas à Paris 7... La malheu reuse était sans argent . Par une
inconsé quence que l'on a peine à compre llùre, l'avait-e lle
oublié à la « Mésang ère », s'était-e lle refusé à en emport er? '"
Et droit devant elle, elle marcha it à la grâce de Dieu. Qu'i n' porlait ce qui pouvait arriver, puisqu'e lle était de trop dans
ce monde.
1 Or cc qui arriva, le voici: épuisér,
mouran t de faligue
et de faim, elle s'anêta dans un petit village des Landes, devanl
une auLerge , el demand a à y coucher . On y consent it. Durant
la nuit elle mil au monde une petite fille. Puis au~sitûl
la fièvre la prit. Nul nr sc chargea d'aller ch l'l'cher un médecin.
Le lendem ain tout était fini.
• Comme elle n'avait sur l'lie ni ar'gent, ni pièce d'identi lé,
après une brève cnqucle on l'enlerr a au cimelie re du village.
La pelile ' ut confié à l'Asslsla nce publiqu e, m la croix se fil
sllr celle alTaire. Tout en Iut oublié.
- Comme nt s'app laienlc slocata ires? ... demand a Bourrache.
- Oh 1 moi, vous savez, les noms! ... cria la vieille Labat,
c'est à peine si je me souvien s du mien 1. .. Bit bion, vous me
croirez ou vous ne /11e croirez pas ... j'ai toujour s dé persuad ée
que rien n'aurail pu les sépar '1', ces d ux-là, si clic avail eu uï\
peu plus do patienc e. Mais elle avail son Ol'gu ·il aussi cl de
so senlir CIl trop, lTIal vue par co pèr'o cl celle mère, rejetéc,
maudile , poul-ilLre, parce IU'cllc Irur avail pris leur fils, la
faisait lrop soulTl'Îr ...
Le n'leil 'lail fini.
L'ilnpl'cssioll pénible laisséo par cc drame assomb rissait les
"isaK ·S.
Bourrac h , qui s'onl lail du bout de sa canne à dégag l' la
J1lorre, vonail d'y d(!couvl'Ïr doux nouvell es loUres: Il. R. II
10 montra il Hachal.
.
- Mes initiales 1... 1'6pondit-ello.
- Votro Jlrénom ? ...
�TERnE INCO'lNUE
-
Hélène.
Joli... harmonieux ... Pourquoi ne me l'avez-vous jamais
ùi~
? ...
- Pourquoi vous l'aurais-je dit ? ...
- C'est vrai, pourquoi? ... fit-il en riant. Et à hauie voix, il
répéta: Hélene .. . Hélène .. .
Entendant Bourrache, la mère Labat brusquement s'écria ;
- LJélene ! ... C'était le nom ... de la dame !... Ah! qu'elle
m'a fait deuil, la pau vre, qu'elle m'a faiL deuil! .. .
Et la vieille fut secouée de sanglots.
Rachat se rapprocha d'elle et lui serrant les mains dit, pri 'e
da pitie;
-Allons, allons, mère Labat ... mère Labat ... calmez-vous ' ...
Ces simples Jl10ts curent un résultal inattendu .
Lrs sanglots de Id vieille cessèrent. Elle sembl écoutel' on
ne savajt quoi. Pour mieux entendre, elle imposa d uremcnl il
tous lesilence et les yeux agralld is d'épou vante, elle demanda,
d'une voix qu'assouI'clissait l'elYroi ;
- Qui a p u·lù? ... Je viens d'entendre la voix de la mOi'Le ! ...
C'éLait sa voix, vou -; dis- je, c'étail sa voix! .. .
- C'est moi qui vous parle, mère LabaL .. .
- Ah 1 d emoiselle, vous avez comme clic une voix de
Jouceur· ... eL comme elle aussi des yeux de bonté ... Ci) n'lst
pas 10. premièr'e fois que je le reconnais ...
- Viens- L'en ... lu l'adules 1... C'esl toujours comme ça
quand lu parles II op. 'ru le sais cL toujours lu recommellCes ! ...
gronda Luhal.
- Pel mdl 'Z . Une quesLiun encore, tH le Capitaine.
C localaiJ'Q, qu'esl-il devenu ?...
- 11 s' sl rernaI'Îé qu'on n dill ...
- Ella pelile ?...
- J e n'en s:ds l'iI.:n ...
- Et la morte ? ...
- Elle est l'estée au cimetière de cc villag'. Elle ne d il
pas être oublié . La tombe esl entrett'nue. A la ToussaInt
dernière, elle 6ln il encore couverle de fleurs ...
- Allons, allons, tu as aSHez fait la pie Jacasse. Viens-t'en,
le ùis-k, viens-l' n ...
MOro Labal o!Jl'il.
L couple s'ûlùignn. Elle marchait avec peine, s'aidan.t-dis
d.eux bâlons. Labat la sout nait.
~
.
,\ t·
~
'')
.
�100
TERRE INCONN UE
Cahin, caha, ils s'éloignèrenL.
- Voilà deux vieux qui ont découve rt le secret du bonheul'. .. fit pensive ment Rachat .
Bourrac he aussi les regarda it.
- Avoir eu pendan t toute sa vic un compag non de l'ou te;
avoir toujour s été du même pas sur le même chemin , se
soutena nt J'un l'autre; vieillir ensemb le dans la paix, l'entent e,
c'est un bien b eau rêve 1. .. murmu ra-t-ell e.
Bourrac he allait prendre le propos en riant et raillant ,
a vec son exubéra nce habitue Ue. Il ne l'osa.
Une extraor dinaire lumière transfig urait Rachat , la faisaiL
~utre
que toujour s. Ah 1 qu'elle était différen te aujourd 'hui,
'lue lors de Jour premièr e rencont re sur le banc onsoleillé, a1l
pied du chêne-t auzin 1. .. Qu'étai t-il survenu ? .. II continu ai 1.
il !'e>bserver curieuse ment. Leurs yeux sc rencont rèrent.
EU
lui sourit.
C'esL vrai qu'elle avait un regard de bonté cL aussi un
sourire de douceu r; mère Labat, en véritê, savait bien voil'
les choses. Bourrac he en épl'oU va une émotion qu'il aurai L
eu, peuL-êt re, grande surpl'i. e à analyse r.
Un peu de vent s'610va . Délivré dos lianes qlli avaienL si
longtem ps ligott6 ses hl'an 'bes, 1 cyprès s'agita rt cr flil.
tommo un lointain bruit de houle.
IJons, imiLons les Labat, rentron s; ilL Rachal .
QIIO dirioz-v ous, CapiLaine, si je VOliS in viLais
à pUl'taVPl'
mOIl modeste dpjounc (·?:. ajouta- t-elle sur un ton cio fralldit' camara<Ùlrie.
fi ne dit ni oui, ni non ...
Uno maligne Lentation hd vonait; la tentaLion de faÏl'c
un
xpiH'icneo. Voulait -il s'ussur l' d'uno chose qu'il soup1 onnait ct puis pru ct donL il était désireu
x d'avoit' la C('I'liturJo ?...
JI'LanL un coup d'œil li la l'ondo, de sa voix la plus ll'iOlIl pliante', il clairon na:
NOliS aVOllS LouL do m r.~e
l'udem nt tmvaillO 1. .. La
1 \J~sng(l'e.
l'st digne flujouru 'hui fi roc voir Mmo n 'l'fia l'II
Briey 1..
L' ITet rut immérliaL.
l'achat no répolldiL l'i 'JI. no oxpress ion d'ennui, do sOld'fra,nc pell - -tre, rontl'lic tn son visage, lui fil l'oLrouver c L
OlSpcct inquiet, pOUl eux qui Ill. faisait uppllle)' pur 10 baron
�TERRE INCONNUE
101
" l'âme en peine» et le portait à ajouter « qu'à l'exemple
de Lucile de Chatea ubriand, Rachat était déplacée sur
ceHe terre», et n y r Jprésentait qu'cc une production superflue ».
La voix blanche, les yeux éteints, elle murmura;
- C'est vrai. .. j'oubliais!. .,
Et Bourral:he radieux, baLlanl des mains, constatant la
métamorphose, faillil à son habitude crier tout haut ce
qu'il se disait tout bas: « Jalouse, elle est jalouse 1... Et
quand on est jalouso ... Ah! Ah 1 il n'y a pas de t'umée sans
feu ... »
Elle attl'illua cette crise d'hilarité à la joie ressentie de
cetle visite prochaine el no renouvela point l'invitation .. ,
Le bal'on s'etait-il montré bon prophète quand il annonçait
à sa vieille amie: « Celte demoiselle Rachat nous réserve des
sllrprises ... »
IX
L"s travaux élaient finis. Le vent do mars et le soleil
« plus haut" cou vi'aienl les pruneliers sauvages de fleureLLes
blanches; les coudriers agi laient leurs chalons, - passementerie légère, - les hêncs montraient de gros boul;geoos. Le
prinl emps s'avançait à grands pas, verdissaiL les penLP~,
meltail SUI' les laillis des tl:intes veloutées où se relrouvail,
en molange, loute la gammo des bronzes, des ors et des
violots. L'ail' étail grisant d'un parfum de sove nouvelle.
Cependanl, de jour en jour, l' sprit de Rachal se faisaiL
plus inqUiet. Elle cnLt· voyai L sa Lâche terminée. L'.heuro dc
l'arrivée do .à-l mo 130rnurd Bricy aUuiL on sonnor la fin.
Rachat n'aurail plus que laire à la « Mésllngêro •. Il lui faudnl.Îl s'on eloigncr'. Voilà que celte pensée IUli brisuit il! cœw:...
Qu'était deve.lu ce beau ru ve rj'insoucianc) cl d'oubli,
sorle de trèvo délicious donl elle avait Jou i durant des
semaines? Vcrs quoi allait-elle alors, fOlte cl confianle,
croyanl cn lu vio loul ho up, mettant 'n 0110 de fols espoirs '1
Qu'étaiont ces chilleulix 'n Espagne qu'échafauùait son
imagination, 'cs clt:,Leuux nHlt'veilleux, subitement ocroulés?"
E;L-ce P l'ce qu'olle n'oso plus gC le précisei', parce qu'olle
en craint la ruine ce('laine quo, pou à pou, 8111' son visage
rep J'uissent ces stigmates lJu'y U si IOllgLemps marque
�102
~·Qrl
TERRE INCONN UE
la malcha nce: ces yeux peureux qui fuient le regard, ce
sourire contrai nt aux lèvres éti rées, ce teint jauni par la
perpétu elle inquiétu de du pain à gagner et surtout cette
voix sourde qui ne cherche point à se faii'e entendr ,' , certaine
d'avanc e que nul ne sera disposû à l'('coute l', Débris,
épave, va-l-ell e de nouveau , seùle au monde, se retrouv er
sur la mer mauvai se, alors que quelque s jours de paix, de
calme, lui ont fait croire à la possibil ité d'un abri, dans un
havre tranquil le et sûr."
Bourrac he ressent- il le contre- coup Jo l'état d'esprit
de sa voisine ? Le tm vail intense et passion nant qui vient
de se termine r, après avoil' donné lieu à une collabo ration
qui n'a plus sa raison d'être, Bourrac he s'apert; oit-il à quel
point la pl'ésence de Rachat lui est né 'essaire ?
11 s'était habitué à ,'oir, à toules les heures « Mademo iselle
Ilélènr », mainten ant enrage- t-il de ne plus savoir en trouver
10 prélext a ? Et dans l'isolem ent et l'inac tion, la r ,!ulilé des
maux, d es trisLes reliqua b que lui a laissés la guerre, s'exaspùre ct il s'cn alTec lo DVOC de moins en moins de résigna tion,
- Que diable a Milo lIélène ? ... Où se cache-t -elle ? ...
Mère Labat, on ne la voit plus?".
- Notre demoise lle ne se cache pas, mais je crois bien
qu'elle a une de ces choses qui Ile guérisse nt pas facilement. ..
- Eh quoi donc ? ...
- On a falIt et tant troublé la tl'unquilli té de ces bois qui
Il ont tant \'U, qu'il lui sel'a tombé dessus quelque
méchan te
inOuence ...
- Qu'ent!d~\' OUS pal' Ip, mèl'(j Labat '? ..
- IWo aura SUl' ell tin sorl, mOllsiou l' 10 Capi 1ain , un
...
-
Ta, la, ta, viC'illo comrnè r , lu l'ndolos d
pllls on
la demoiR 110 s'ennuie , elle
p['('pUI'O quulqno dépal't. Hion no la loti nt ici.
Domain 0110
sera aillours . 1>'ailleuJ s '110 il a plus loin. L'an pro huin l.l
'('l'la Il Ut-Otl'!' Ù l'nult 0 !l()ut ùu lllonde. Les
tommos aillll'nl
o changC'monL ...
Ni l'lino ni l'aull'O de l'OS réponso s no réconfo rtèront Jo
!]ueslionnollJ'.
1)0 slln eût·.., lu fIlèro do DOUl'I'..lcl!o songoai t :
1Jll1S 1...
l'l'pli'lUI t LalHü,
�TEIIRE INCONNUE
103
- J 'a vais espéré pOUl' Abel, dans le présent et surtout
l'a\·enir, en la bonne influence de cette demoiselle Rachat.
Va-t-il fa lloir y renoneer? Que deviendra mon pauHe fils,
si je viens à manquer ? ..
Un matin, le facteur remit à Rachat cette dépêche:
« Madame Briey décédée . »
Ce fut comme Un d o ces coups de foudr e quI modifient
urusquement l'éta t de l'atmosphère.
H élène, éperdue, courut annoncer la nouvelle à son volsin.
L e capilailll d0joun;.tit, se rvi pal' sa mère . La maison
était en ordre. Tou t y ét J it prop re , net, reluisant ct prouvait
il q ue l point Mme Bourrache éLait bonne ménagère .
A la maîtresse-poutre de la cuisine, ét aiem suspendus les
lards et jambons de l'abondanle « provision )) . Les poules
picoraient dans la basse-co ur. « Loup» dormait all soleil.
L'ensemb le él ait paisible et calme. Rachat eu t tout à coup
la visi on de J'escalier D, de la ch amb re qu'elle avait
occupée si longtc' mp s, elle chambre sans ai r el sans lL.mièrc.
Elle so sentiL fr émi r.
Bourrache lut la dépêclle el s'écria, la voix âpro el mauva ise :
- Voil:'! qui va r em llre en question le sort de la " Mésangô re • !. ..
- II. moins q i1e M. Briey ne garde ce lle propriéLé en souveni r de sa more !... déclara Mmo Bourrache. Qu'en
pensez-vo t.s , mademoiselle H élène ? ..
Ruchat sortit de sa r éserve ordinail'e pour afflrmer:
- Ce sont là des considéraLi ons qui ne poseront guère
pour M. Briry ! a Faire du sentim enL " osL co qu'il r aille le plus
au mondo. Tod sera remis en venle.
Cetle sonl en ·0 tomba clans le silenc('.
Mmo Boul'l'a Il l1I urmura:
_ Chaeun es t maltre de· cc qui lui appartlOnt.
Succ6tlan L à celte déprchc, il yeu t l'obliga toire envoi des
condoléances .
Ilacha L reçu, en 60h ange des sienn es, un moL de remerciement de la jeune l\lme Bri y. J\l'leLL la pri a it, on outre, • si
pc n'MaiL l,as abuser de :;u comp laisance., de resler à la
« .Mésang'lrc " j UoCju'a u LI mps où l'on auruit staLué sur le sort
do celte propriéL(> ...
�104
TERRE INCONNUE
Bourrache reçut un mot plus long dans lequel, « av.ec sa
gratitude POl'" la bonno sympathie en la pénible circonslance »,
Bernard annonçait sa visite prochaine.
(( - Je ne croi; pas, ajoutait- il, qu'ArleUe pourra
m'accompagner. RappeLés brusquement du Caire, nous
avons pris le moyen le plus rapide ; l'a vion. L'expérience
n'a point réussi à ma femmo, eUe a été malacletoul le temps
<lu 'Voyage et l'ost encore . Moi-même j'en ai soulle t. Les
descentes rapides, alors que l'avion semble piquer du nez
et que l'on ne voit plus devant soi que le vide, les virages
brusqués, sont des ~ensatio
auxquelles il laudra, é'iidemment, s'Ilabituer ... si l'on veut être de son temps. « S'adapter"
est la ~rande
quostion aujoul'd'hui. ..•
La lettre avait un post-scriptum.
" VOici ma nouvelle adj'esse ;
« Bernard Bricy,
«
Sous-dire teur de la S. P. E. T. A.
u A v"nue Victor Hugo. »
- De tlUoi peut-i 1 être sous-directeur? s'écria Bourrache.
Qu' st-ce que ceLlo alrairo qui n"cessite un toi d 6ploir ment 1 e maJ usellies ?," J'ai pe u de onnan e en ce SousDire 'Lori Ilot moins encoro on co réous 1•••
- M, B.'ley ne s'y occupel'a pas hl.it jou!'s 1...
- Pourquoi 7...
- Pal'co qu'il ne connan corn mo l'ôgle quo son bon plaisirl ...
Le rnatin, ou al,er à son bur 'au le g nera , plutôl que do 1;0
gêner, il env '1'1'0. sa démission 1
Ils on rmmL.
> ,
- Pauvr Mmo lh'ioy, ropl'il Hachal avec lrise~
c'cslla vic uim il , que Cl'é 'nt ces temps troublés, qui aUI'a
eu raison do sa (l'agilité, La pauvl'e f'mme n'ôtnit pas [oik
pour la luLl . Ha santé 1110 l'epr 'sentait tOUjours ln Oamm('
d'un ciorj.{o qu'agIte ll! moindre sou.Oo ... 1.0 sourn, coLte fois,
aura été trop torl. ..
- . on fils Nait-il ~entilp,Ur
·lIe? ..
S'il désirult 4u lque chose il dev nait suppliant el tonul'e.
S'il n'avait bC!loin do l'ion, il restait indifTérl'nl. Jarnlus je !Je
lui ai vu 'onsontir au moindre 110rt pour fairo plaisir Ù Ra
mèro.
�TERRE INCON'NUE
'105
Et elle en donna ce' exemple:
- Parlois, Mme Briey apportait au programme de ses
?éCeptions quelques changements. Des séances de musique
remplaçaient le traditionnel bridge. C'était alors des jours de
gala. Vincont et V tJronique paraissaient plus majestueux,
plus gourmés .que jamais. Mme Briey ajoutait à S:1 coiffure
un léger diadème dont les diamants resplendissaiont dans la
,n eige de seS cheveux. Elle mettait sa plus jolie robe et taisait
à son flls un devoir d'être là•
• Service commandoS 1••• gémissait-il, s'étirant, bâillant,
harassé, jet'tnt des regards nostalgiques vers la pOI'œ par
laquellei1 cQL aimé s'évader.
« Je L't'n prie, Bernard, consens à rester, !ais-moi ce
plaisir et de bon cœur 1... suppliait-eUE'.
c Jamais il n'aecorda à sa mère la satis'action d'accepter
gentiment co qu'il n } cessait d'appeler « l'abominable C01''vée ».
« TouLefois il ne faisait point mauvais visage aux arl'iYaIlts.
Eux lui fa isaiont fêto. Les hommes l'appelaient « mon gros »,
les vieilles dames « mon peLit n, C<l qui m'a iOl ljOUl'S
amusée. Et Mme Briey so grisait de l'encens que l'on
brûlai L on l'honnour de son ms.
« Le baron dit, un jo t. devant moi, à un dos habitués:
II n'ost rncoro ru bon ni mau vais; mais il viendr a un temps
QÙ il sora pire. lJ a fail des éludes sans succès. Il a pass >
'Iles x Imens bêlement. 11 n'esl capable de rien. 1l fe a le
désespoi r do sa mère. Il mangera tout c qu'el'lo allra. Ma
pauvre amie ne saul'a 50 défendre el sera fort à plaindre ...
" J Il ne sais co qu'ajo uta son inlcJ'lo 'llleul'. Le baron y
~'6pondil
:
c - Eh oui, il clonn confianco pareo qu'il st bien habillé.
11 foul qu'un hommo soil lrès mal lourné pour quo les
meilleurs lailleurs de Pal'isn'en puissent lÏrol'ql101<l'e chose 1. ..
Molloz-lui un bourgOl'on SUI' Jo dos et vous VOlTez s'il en
'Cn remontro à un « ou venier li pOUl' la t1égain 1... 9u reste,
il pl'ontl parfois autant de so'nsà so mal tonir', à se donner
l'air canaille, quo d'aulros s'efiorccnt à pUl'uilro «distingués ».
C"esl un genro quo lui ct ses • copains M ont mis à lu
modo.
« Tou lofois, rogardez-los à l' Op(:rn, au bal, clans les salons:
àc plasLrorl blanc, l'habil de coupe impeccable, 10 visage
�106
TERRE INCONN UE
glabre, l'altitud e compas sée, ils jeUent de la poudre aux
yeux. Ils sont haulain s et impassi bles à souhail ; dans un
cortège de mariage , les demoise lles d'honne u r en perdent
toutes la t te ...
« Que youlez- VOU3, poursui vait avec tristesse le baron ,
Bernard , comme ses pareils, a été lâché trop jeune et...
Dieu sait où 1. .. « Dis- moi qui tu hantes, je te dirai ce que
tu ... deviens 1. .. »
(( Toujou rs comme eux, il n'a jama is fait rien de bon, rien
d'utile. E.t la « Cète » coûte cher!. .. Et qui paiera la casse,
la (( doulour euse» ? ..
- Le baron raisonn ait jusle, répliqu a Bounac he, au
fond, ici-bas, comme à la guerre : « Ce sont toujour s les
mêmes qui se fonl tuer. » Ce sont les meilleu rs qui succomben l. ..
Ce jour-là, comme dans un besoin de ne plus se quiltel',
d'échan ger <.les idées avcc confiance, de l'appele l' des souvenirs, Rachat et le Capitain e éta ient a1l,'s jusq u'a u chênetauzin, là-haut , sur la crêle de la lande,
Et libér és u'on ne savait quelle gène, peut- être d'avoir
découv ert, en l'événem ent surven u un in 6puisab I sujet de
convers ation, ils s'étaion t assis SUl' le peliL b'l11c,
Jamais cc han c n'avaiL été plus onsoleillé, Les feuill es
recroqu<:yilIéCs du \ ipi! arbl'o n'y proJeLaiont mf'me plu s
leur oIllbre; dcs houl'goons cnLr'ou vel'ts, qu'ou euL dit
lourr<ls d'oual' l'OS', les rom pl aça ient. Une <lbJouissantc
coucho de neige recouvr ait la JIlonLag n '. La pltino déjà
verdissa il. SuivanL patiomm ent l ' vu-ct- viont <.les bœuCs ot
dc la charrue , des lahoure urs ommcn picnt à prépul' l' de
llouv<:lIes semaille s,
Au Nord, c'6lait la land mervoillells(' qu ùes ajoncs
fleuri transror maient en un immense c hamp d'or, Doucemellt, on cul dit IHU'('ss/'usemont, tournHn t, viranl, SUl' JI'
f'Ïrl d'un hll'II prorond , des avions la survola i nt.
Et ]Icu à " r u, ft·!) pr011ll'lH'Ul'S sentaien l ('n eux s'(lpaisi l'
l'in( Xpl imnhlc qui Il'!; a vail LOllf'lnrntés l'PS dCl'nil'l's jours,
Ils retrouv aient la paix, Que s'éLait- il pHSS(' pour qu'apl'l s
leur avoir l'té ravie, l'lIe revint ainsi comme une b6n~di('1iOIl ....
Qu'il CaiL hon vivI" aujourù 'hui 1... s'éCJ'ia Dourrarh ,1 Ill-r,tl" ('st-('u p'lI Cl' que' J'ai appris cc matin qu e
�TEnnE I NCONNUE
107
~rme
Bernard Briey VOUS encourageait à ne point encore
nous quitter 1. ..
- Ce n'est qu'un su rsis . Il faudr a y arriver ...
- Pou rquoi ? ..
- J 'y serai fore 'e.
- Rien ne vous y forc e ...
- L a « Mésangere » ne me sera pas tou jours conservée ...
- Si j'élais l'iche, je l'achèlerais pour vous !... fit-il
galamment en saluant d'un geste superbe .
- Comme le grand seigneur nt pour la danseuse espagnole 1... elit-olle s'animant un pou, hélas! je ne sais
ni danser, ni chanter ...
- Voulez-vous dire que jo serais, comme lui, volé ? ..
- Et cela ?"
.
- Vous ne chercheriez peut-èt l'e, comme elle, qu'à reprenclre
vot re lilJerlé? ..
- Oh 1 Qu'en ferais- je? ..
110urrache battit des mains.
- Puisqu'il ell est ainsi, vous yiendroz chez nous .
- J o no puis êtro à charge à porsonne.
l! so releva, oublianl que le banc était dur, que d'habitude
ceUo dureté aggra vail ses misères, qu'il en étail chaque
foi" gémissant .
Vous, à chal'ge à quelq u' un ?.. protesta-t-il,
HCtiV,), bonne el
chal'll1ante omme j 'ai appris à vous
'o:Jlla!Lre ? .. lHa m 1'0 vous adore d'abord, cl je vous
ulTirme qu' il n'est pas facilo do so fair e adorer par 0110 1. ..
l ous tra vuillorons tous lrois au bien commun ...
gl, fI' 'missanl d'enthousiasme, il dépeignit la vic qu'ils
,(UI'aient : un yie toule de dOtll't'ul' ayant pour baso l'entento
et J,I pa ix.
Lachal ne répond'\Îl rien. ~cs
youx regardaien t clans J le
vid l' , Y voyait-ollo, s'é haCa udanL do 1I0U venu, lèS baux
"hû[raux on J ~sJlnbC
7... 8e souycnuiL .. ellc a ussi de les avoir
Vus s'écl'o ule l' los Hu(' bant do consLrllclÎon fragile ?...
Capitain, IIL-ollo li 'un voix su p pl ianle, jo no
~lIi,
qll'uno cnfanl cie ]'Ass isLanec .. . Vous no S,lVCZ l'i n de
Illoi. J n'cn sais l'ien llloi-mt'llIl' .. ,
- m moi que su is- je '1 ... Un JlJulilli de guorro ... pi 0
!'lIrol'l .. un gr,md LI .:iSl' l'e la \ i ' ! .. . 1\ c pou voz- vous a VOi l'
pili!. '1 ...
�108
TERRE INCONN UE
Elle ne r6ponda it pas.
Il poursui vit :
- Je ne sais qui a écrit: (C La vie est courte et ennuyeu se,
elle se passe toute à désirer .» Pour le temps qui m'est
encore accordé ici-bas, ce que je désire est un peu loB bonheur 1. .• Ce bonheu r, je ne le vois qu'en vous, Hélene,
ropouss eriez- vous un pauvre diable qui a été consolé de
toutes ses misères lorsqu'i l apprit à vous aimer? ..
Les coudes aux genoux, la tête dans ses mains, elle murmurait :
- Du bonheu r ... du bonhou r ... Mon Dio\!, s ' rait-ce possible ? ...
Quand elle releva la tête, ses y\}UX, agrandi s par 1 emotion ,
brillaie nt d'une lueur mystéri euse; ses yeux parlaien t pour olle.
Était-c e une premièr e victoire '1 ...
- Allons l'otrou\ er la maman , fil Bourrac he rel>ronant
courage , vous soupere z avec nou,;, c'ost moi qu i vous
invite, c'est une invÏl:lli on qui ne ressomb le en rien à cellr,
toule de gascon, que vous me fites l'autre jour, méchan te 1. ..
Enti'e la poire et le fromage , nous soumet trons nos dOrnêU's
à la maman , VOliS velTez avt-c quelle joi t quelle rapiditi
elle débroui llera l'écheve au ...
Lentem ent ils revinre nt. La gène, )a grandog onosOl1 lulail,
ontre eux, revenue .
Quand il fut près d'arl'ivo r, Bourrac he roprit comme s'il
r('pétaiL UIW Jcro Il :
-- Oui, Je:; vieux L.bat onL dl'cou vort)o socml du bl1l1hC'UI' 1•.. Avoir' pour la vil1 un compag non de JouLo.
allor du
même pas sur le mt~e
chomin , 50 SOULonanl l'un, l'autre,
vieillir ons rnble dans la paix ... "est un beau r3vo 1. .. Vous
SOlVenC1.-~
de celle qlli 10 disait ? ..
Oui. ..
Le r{'p6lt'r ail-elle ? ...
- Av('c Loul son eœul'!. .. flt-olll1 dans un S()Urn~.
Je Il'Im demand e pas davanta ge 1. .. Ça va hien!. .. Toul \"iI
bien 1. .. Vi vu la Frullco 1. ..
Bt pris de Colie, il onlova SOli chapoau , 10 lança e/\ l'uir el
sanf! plus do soutien il partit, agitant les hra
~ , br ndi8san t 5:\
t'an ne, rl!)l6tnnt :
- Allons vito 1 diro.) la maman 1. .. ù ln maman qni l.I
tant besoin, Ile aussi, d'un pou de honheu r ...
�TERUE INCONNUE
109
Hé1i!ne le suivait, tremblante, pleurant à chaudo larmes.
Et quand Mme Bourrache les vit arriver elle ne sut, en
vérité, si elle devait rire avec son fils qui montrait une joio
l'xubêmnte, ou pleurer avec Rachat qu'elle voyait fort émue.
:;VIais le cœur des mamans a de ces divinations. D'une voix
Lendre et douce, que peut-être nul ne lui avait jamais entendue, elle demanda:
- Qu'y a -t-il, mes enfants ?,.
- Maman, vous avez raison de dire (( mes onfanLs »,
cria Bourrache plus effervescent que jamais. Je vous
amène une fille 1... Adoptez-la, aimez-la comme vous m'aimez ! ... Hélène consent à devenir ma femme, la femme du
tristo mutilé que je suis 1.. . Imaginez ma vie désormais J ...
. 1a vie qui n'était que regreLs, déceptions, désvspoil' et qui
ne va plus être qu'un grand, qu'un long bonheur 1... Entro
vous, maman et olle, que puis- je regrettor, que puis-je désiJ'or, n'aurai-je pus louLes les joios J.,.
La mère ne r pondit rien. ::ion visage si dur, si sévère d'haLude, s'éclaira. Elle tendit les bras vers Rachat, mu .r murant
l'e doux appel qui semblait monter du plus profond de son
cœur;
- Hélène, ma DUe.
EL coatre sa poitrine vint s'abalLro l'abandonnée. Ah 1
['éLreinle de ces deux malheureuses, victimes de lu vi 1... La
III ''l'e qui avail la nt sou(Yert dans son amour pour son nIs,
qui avait tout sucrin, d'ollC-llli!me pour en arrive!' à ceLL
l'onformité d'idées el d'halJiLlldes, de goûls et d'existenco qui
[Jjoute, à l'affe 'Lion, le bonhoul' tIe 50 cOlUprendru; Rachat,
['urph line dédaignée, n':~yat
jamail:l connu la douceur d'un
fIlOt alYecLuoux. d'un geslo de tendresse, ay nt été pOlir Lous,
l'elle donL on ne se soucie, 'elle qll'on trni le avec indifturence,
il. vec dédain, la malheur use sans toyel', san~
famillo ({\Ii,
malade" comme asile l hôpital, ('OOllno nn la Morgue petll"lI' , l' mphiLhéiltre ... « Production superfluo 1. .. » almuL une
Cois do plus ropét6 le baron a voc sa philosophie souri an le.
Et dovanl l'imprcdsionnant mutisme do coLLo étreinte,
devant l'émotion poignanLe do cos femmes qui semblaient
enfin se relr uvor après un grand naufrage, Bourrache H
Sen lait gagn l' par les humes.
Il/ulla premier' ù rop l'ondl'u son sang-froi 1 :
- Hél nt', je le disais que la maman ne meUrait pasJong-
�110
TEnRE
1iCO~NUE
Lemps à débrouiller l'écheveau 1... C'lst fait 1... 8mbrassonsnous 1... La vie est belle 1.. .
Puis ayant, tout à fait, retrouvé sa belle humeur, il conclul:
- Maman, j'ai invité Hélène à dîner avec nous 1. .. VOliS le
voulez bien ? .. . donnez-lui à manger. Ne la laissez plus nous
quiller! .. ,
Toutes deux se prirent à sourire (" marmottèrent, du même
cœur et avec une pareille indulgence, ces mots qui semblaient ne rien signifier:
- Quel g-rand enfanl !...
Mome lis inoubliables, émois, minules délicieuses, dont le
~OlVe1r
embaume toule la vie 1. ..
x
A Corce <.!'éJ:u,uel' les bois (te la IC :\lé6anrère ", - l'excès en
tout esl un d(üul, -l'entrée en était dev nue forL aisée.
PI'ontant de l'aubaine, un soir, à l'heure empourprée d'un
men edleux cr~pusle,
une visiteuse d'un !lOU veuil genre,
pleine de m' jc:;t(, et (lot e d'une famille nombl'ouse, une ll'Ilie
de haule ol'Igimc - (Yorkshit'o sùlcctionnôlJ pc igrec) s'introduisit ~o\
s h futa ie, escorLée de huil pOl' 'cl ·t!\, qllelles
en lire-bouchon, groins 6pat~s,
nez l'oses.
Salis ooute esp(!rail-elle trouver dans les mousses cl 1<>5
lapis ue feuittes tombées au dernier automn , des rênes, des
glands et (.es châtaignes oubliés par la main des hommes
·t initier ses 1 ejolons aux I,assiollnanls délices d' la glandée.
El! dut blCn J\l~er
cl Caire richo provendo car, sourde il
tout appel et d 'jouanl loule recherche, elle demclIl'u dans le
bois jusqu'au malin.
biS on rovenanl de la mosse, Hachat s'aperçul d'un
di'sastro. Ali pied (i1l cyprès la lene NaiL lahoUl'{e, la ri Ile
déplac 'e ct 'e qU'l'ile d vùit l'ecouvrÎl' gisait sali, piétin(',
dispersé de tout côLt"s.
Hachat s'.u'J't'La, conlemplant avee consternation la calastrophe. luis ol' n'cul qu'une id6e : sauvel' ces d6bl'is d'une
prolanuLion nouvelle, les dOrob l' à tous les yeux, à toules les
cul'Ïositl's.
Bnlevant sa jal'JueLL clio l'étendit à Lerre ol pieusement y
dOposa ce qu' 110 pul roLI'ouY l'.
�'fERRE INCONNUE
111
Le paquet n'était point gl'OS, n'était point lourd.
- Cela pèse bien peu, des souvenirs 1. .. songeait-elle.
Elle emporta le Lout à la « Mésangère». Elle y fut rejoinie par
mère Labat qui, toujours, rôdait de-ci de-là.
Les tristes trouvailles furent déposées sur la table de la
salle à manger.
Et tandis que les beaux seigneurs, en perruque et habits de
cour semblaient, toujours souriants, se hausser dans leur cadr~
pour mieux voir ce qui sur,enait; tandis que, près d'elle,
mains jointes, mère Labat prononçait d'incohérentes paroles
qui, peut-être, étaient une prière, peut-être une incantation
destinée à conjurer le mauvais sorL, Rachat en fiL l'inventaire.
C'était des objets de layctte aux rubans bleus ou roses à
peine décolorés: mignonnes brassières, bonnichons pomponnés
de laveurs, chaussons coquets.
- Pauvres peUtes choses 1... murmurait Rachat, flue
d'espoir, do Len 11'esse, on metiaiL à vous préparer 1. ..
Bt les ( oi). ts ellfiHs ans les chaussons, elle s'amusait à les
faire COUl'ir sur la table; elle coiITaiL son poing des bonnichons,
elle en défroissait les rubans, ou bien lenant les brassières, à
bout de bl'as, elle les examinait attendrie,
- A coudre, à broder, à surjeter de mignonnes dantelles/
à préparer le petit trousseau, la jr une dame pa::sait le moilleur de son Lemps 1. •. racontait mèr'c Labal.
- Et rien n'a été utilisé 1...
- Qui sai t co qu'esL devenue la petite? ... Est-clle morte?..
Qui s'en e3L tourmonLé ? ...
Et c'était encorc un colTret capitonné do volours pâle, évontré par la tOI'l'iblo mâchoire. Il :l vait sans doute contenu de
ces l'iens qui n'ont ( e valour que celle prêtée par les sentiments : /leurs séchées, dont on retrouvaiL au fond du coITrot
les poussières; photog'l'aph,ies piquées, jaunies, fragments ùe
loUres donL l'encre 6Lait devenue blancho ; bijoux si modestes,
bijoux de petit fille, nu métal LOJ'du, aux pierres desserties,
tous frappés du sceall de la dont redouLable. Et encore des
flacons brisés Il urant la girof16e; un livl'e cie po{)sios, Corné
aux pagos pr6f6I'ées, d'autres livres, de piété coux-là , pleins
d'images rappelant dos dates dont on aimo le souvonlr l
première communion, mar'iage, souhaits de tôLe. Parmi ces
objets un rang de perles , rosées et régulières dont le fil n'était
�112
THRRB INCONNUE
point rompu, dont le fermoir paraissait inLact, a vaU êchapp&
au désastre. Et.. pareillemellt Rachat retrouvait, comme s'il
venait d'être perdu, un mouchoir qui semblait t'roiss(i, pétri
par une main nerveuse et d'un blanc si transparent qu'on l'eut
dit encore umide de }aMnes. Et d'autres objets; de l()f~
gants ue Suède, un bouquet de corsage, un éventail de plumes
blanches, un bracelet- montre mal'quant, peut-être, unO' heureque l'on S'OUhaitan sauver de "oubl i.
- Pauvres ehoses 1. .. répéLait Rachat. Tout un roman t_
- Unf.' dcroec histoire qui a mal fini, demoiselle,
Le reg:aJ'd absenL-, d'une main disil'aiLe, Hachat dépl~ait
les objets, les replaçait, Posés ainsi sur la table, ils faisaient
'!onger à des pièces à conviction, des prouves accusatrices,
quelquc tragiqne scène de Cour d'assisC5,
Cette impJt'SSlon BoulTache dut 1 ~prouvel'
car, pré-venl1 par
Labat do l'événement survf:nu, il entra dan la salle à manget'
l'l négli,::cant tout salut, il S'éCI'ia ;
- Est-eo th, Hélène co que Y<1as avez r trou.·ô ? .. Pourquoi cet 1ta~ge?
,.' Chel'cheri z- V011S ,i. Iaire condamner le
coupabl ?, ..
Ce dernier mot. ut'racha à mùro Labat une pro tost<lUOO
co urroucée:
- li n'y a cu dp coupable que le~
ex igences d'une famile~
sa r-.iÎsons, sa volonl!", monsieur 10 capItaine. Los pauvr
\';1 se murie comme ça v nt. LeI; ri hes a pèse l'argent, les
INôl'onces, la parcnt.é, toulos les horbes cie la :-;aiot-Jean. Le
(' WUI" n'y est, au ant di,'p, pour ri n. On le laisse de côté, on
le [l'uiLe comme Ull Jl tlU VI'(~
tau qui ne sail taire quo d
h, tises .. ,
Pas tf')\ljOUI
.~,
m r IJ bat 1... di IIOllcemrnl Rachat.
- 1\ f1uel ;lg-o r' ut -on avoiI' Ra Iibel'lé ? .. La flIs lllait
IOn jour. N'avait-il pas le droit ('agil'ù sa h"li.,o? .. , f)'il n'et
pouvait trI' ainsi pourquoi s'cngag- r, pou l'quoi rai l'e des prl>mos.')o!; flU'il ,avait /1 [lOllvoir t(!nit' ? .. C' ~t
piLoyabl' 1...
!-l os tout ce combat ilH seraient peu\.- lro m:oro ici, f· U
(ieux, I.runqllill '1;, ft lIrvUX, los IHW Vl'OS amoul' 'UlL Ils aUfHieJlt
yioilli. lA fiHe 801'nit marié. On 1 s vorrait. faisant sauler-su
IOIlI'll g(>noux cl jolili fi Lit orants. Cc semit 10 bouh Uy sur
la lo!'r, u lif"lt de cl'la (TU'est-il arrivo ? .. C ' tourments,
ces rlll5;lcror,ls le!! ont on duits aux cirntiàro 1... De' vios
sa -ri 1\ ' , i pour/'{ roi? .. ,
�TERRB INCONNUE
113
- Nous' n'm'ons pas à nous le demander, mère Labat,
l'obéissance aux parents est une chose indiscutable, respectable ...
- La jeune damp aussi était respectable. On l'a traitée, ah 1 je le sais, moi! - comme si elle ne l'était pas 1... C'est
avec des menteries qu'on attire le malheur.
Tant de véhémence n'éclaircissait I·ien. Ni Rachat, nI le
capitaine n'y pl'ataient grande attention. Ils no s'éiaient pas
vus depuis la veille et avaient mieux à se dire.
"ils semblaient examiner les objets posés SUl' la table, ell
réalité ils n'avaient de regards, lui que pOli l' elle, elle que pOUl'
lui. 115 ffil souriaient, causaient à voix basse, l'esprit ailleurs.
Tout à coup retenLil'enl ces mots venant d l1 dehors ;
- J'aurai leur peau! ... Ils le payeront es brigands 1. .. Si
demain les voi, ins ne les meitent pas ;\ l'ombre, je m'en
charge 1...
Et 1'0 g<1, congestionné, {'n fureur, Labat uppuruL.
Le capitaine montI·u do l'impatience.
- 'llaisE;oz-vOUS, LabaL. Si demain il arrivail quelque chose
à ces b'Les, n vous en rendrait rcsponl'abl uL M. Briey aussI,
par-dessus le marché ...
- C'est que, mon caplLaine ...
- Nous avons ouv IlL le~ bois, à nou . do le l' fernH'r. Le
mal. est feiU; j'eutc à J réparer. Bt pl)1lJ' commencer, HM no,
VOUS devl'i zIai r disparaill'e ces cho~e!'.
C'est pénible à voÎl· ...
tout e 'lui rappelle !a Tl\OI'L mo fait 10 al 1. ..
Ocpuis la ~'uer
- J vais ch l'dl 'l'un ('artun, une I·ai~sl'
...
FlUo tilt longur. il !'odescrnd re, n trou vanl l'ÏrrÎ Ù . n gr~.
J.Jnfln 0110 avisa, dans un coin (10 gr niel', UllO malleLte en
l'cau de veau nOI Lann(!o, à fort sorMlr', Illii avait dû souIIont voyager au lemps jadis, sur l'imporiale des « diligences n.
"rioll1pllalemont, elle la rnl>pol'lail, lorsqu , UI'rivée il miescalier, e1l s>' porçut qu'arrôiu devant la porio du vesLlhulr, ollverto à dùla baLLanLs, 6tait lIne :lIJto splelldido el un
Imposant chauŒcuJ' - casqueit blnr che Lcache-poussiore'lui allait et v nait allpr's do la voitutl', avec Uil air d'indiltérenc .
BlIc pâlit en son uut que l'auto avait J.I ut-être Rmené
td:llle Bri y. El- un scnLirn nl qu'dlo n'out f(uèr le temps d'analys01', m ia qui lui lut Infiniment dUmgréabl , lui mit . une
~n(:
d. IIOng IIU \'isagc.
�114
'fERRE INCONl\ UE
Quand elle pénétra dans la salle à manger , le couple Labat
en était sorti.
Gras, !rais, la nU l.j ue rouge, Bernard Briey regarda it de
lrès près, en raison de sa myopie , les objets échappé s à la
voracité des pourcea ux.
- Vous êtes seul, monsieu r ? ... demand a Rachat .
Bernard aussitôt se releva.
- Oui, p.ladem oiselle. J'ai laissé ma !emme à Biarritz 1
Elle y a des amis charma nts. Elle a pr(léré leur société ail
tête-à-t ête conjuga l' ... Du reste elle m'en veut de ce que jl'
suis dlcidl' à vendre la " Mésang ère » ct , pOUl' cette ra ison, el
e
pré ère n'y p lus levenir ! ... CI A quoi bon m e créer, d",;
regrets !... » objecle -t-eHe. - Ma r ~ me
est une sentime ntale. Jo croyais avtir épou,é une femllle gaie, une r mm
ayant un caractè re un peu « ohé 1... ohé 1. .. D. Il faut en
,'evenir, elle OPPOS!; à tout une « tête» (!· entr
~ emnt.
ou~
venons de laire un vuyage splendid e pt ruinwx , avec de~
amis iélicieux , de;Cern mas ex.[u ses. C'et it un h'lS m[ !fiOUl ([U~
d'accol11l LI' une pal'cil ie randonn "o dans t.le telles conditio ns.
Tous nous ' nvi lienl ; tous nous Ll'ailaie at d'h Jur ' ux mortel ,
de veinnad s, Arll'tll' seule fa isait une mine long ue ... longur
...
Un mallfi impatie nll', j'ai d'mand é: « Ennn, qu'I'st-c e qUO
vous avez ? .. » ~av('z-ous
(~e
qu'elle m'a lépondu ? .. u Ah 1
je SUiS lasse de r.etlc vie ('e muuvem ent. Je préPI' rais être
:1
la • MI"sang-èl'c " avec Rachat ct le Capitain l', à arrange r l'C
bijou de vi 'i1'o maison l't les jolies vieilles choses I!u'elle
contien t ct quo je n"11 fail qu'vntrc voir'.,
• Puis, cHf' s'afTecle beaucou p de la morl ,'e maman . Eile
nous repruch e de ne )'avoi ' (Joint as~l!'Z
aim(o('...
enfin ce n~
sonl de la part de celle pauvro ArIelle que des 1~r6miadlJs
assolflm antes !... Non, jamais Je n'aurais pu croiro cclII
d' lie 1...
- Alors, malgrO co qu'ell dit Mme nril'Y, vous êtes lIéclM
à vendle la • Ml'sanKl'l'c » ? ..
- Volre mô ,e élail si heurous e de vous donner colte pro'
, pri6tO 1 appuio Rachat .
- Que voulc1.- vous 11111' j'en fasse ? ... Ma pauvro J1lôfe
avait une façon de eompr'e ndre l'existen ee qlli n'est pas J~
mienno 1 Ponsez- vous que je vais v l' nir m'ensl1volir ici 7.·'
Ma lemmo nc désirc, pour Il' momen t, que ia vic de enmpag n'i
Mais comme la glrout'tL e tourne à lous los vllnlll, ello pou
�TERRE
INCONNUE
115
changer d'avis. Ne serait-c e que pour le malin plaisir de
s'aband onner à son charma ntespri tde contrad iction. Si demain
j'annonç ais que je viens ici finir mon existenc e, elle modifie rait aussitôt sa manière de voir.
- Vous en êtes là, Briey? ..
- Peuh 1 c'est de si mince importa nce.
- Vous tro Ivez ? ..
- J e n'en (ais qu'à ma tête. Elle n'en Cait qu'à la sienne.
'l'out le monde est content 1. ..
- ~l' ne
Férol doit être désolée de ... de ... , risque timideIllent Jùu 11'll.
- Ah 1 par exemple si elle se permet tait de s'immis cer
d:lfIs les alTail'es de mon ménage ... de s'interp oser enLre ma
kmme ct moi. .. ellc verrait de quel bois le me chaufTe /. .•
{ait Bernard pris Je colère.
- Ah 1 pns aussi indilTér l'nt que vous le pl étendez , mon
garçon /. .. Voilà une oeil " indigna tion qui le PI·OU\-C ... ct en
dit long ..
Éddcm ment, il ya des hauls et des bas, cela d6pend
cie l'humeu r ct de l'heure. Cc r1u'il Y a de certain, c'est qu'auLrefois, en m'nage , il n'y avait qu'ulle volont', ct de la soumission u la fem me doit obc·issance à son mari », la villillr
formule . ,\ uJoUl'(l'hui, il y a deux éneq., ies en pr(·sencl'. >::li
elles sont on ho n accord , ça va /. .. :;i l'Iles rivalise nt : orage,
cyr/one , hOl11bardement, tornark s et. .. j'en pa!>sl' 1. .. Tel!:sl
le mC!nage modern e. C' ,~t même très drôle, cL tres inatLen du
cOlllm !'(·sullal. Le tout est de s'y habiLuel', de ne pas
perdre l'c'Iull.h re, de « s'adapt er {'Olllme aux voyagrs en
aVIOn 1... 1';11 toute nouveau t6 il y a une mise au point n6cessai!'l' , cinqu,ll lte lieues rie mauvai s chemin à franchir ,
aprùs ... l'on s'y fnit/. ..
J(. n'en suis gucre convain cu 1. .. raille lloul'l'ache.
- Lai ssons 'es quesLions. Nous sommes placùs à d s pôles
~i difTulenls !iue nous ne sel'ions jamais du ITH'mO avis.
ConL~nt·7.
pllltiJt ilia ruriosit 6. ContinuC'z à m'expli quer, 1110n
capitain e, d'où \ ienl cc que je vois Sil l' la lable? .. Le nt de
!lerles esl Joli, l'éven Lail f t coquet, mais le reste ...
Bourrac he l'acoule cc qui l'st arrivé. Rachat fait rapidelitent di ' pamitre , dans la III ulloLlC' , ce qu'elle aurait voulu
U(jrober n Loul!'s les curiosit ùs ol s'en veut ùe n'y ôlre point
~al'Yenu
plus tuL
)1
�TERRE INCON:-IUE
-
Atend~
1...
s'écrie Berna:I'ci,
attendez 1. .. Qu'est-ce
que le baron rn'à raconté au sUjet de la « Mésangère ? .. Une
histoire lama:rtinienne, romantique ell diable, arrivée à un
)J
de ses camarades de régiments ? .. Une sorte de suicide moral
après lequel, anéanti, pieds cL poings liés, cet homme sc
livra à sa famille, avec laquelle illJtaH en querelle pour un
sot mariage qu'il avait fait, bravant toutes les volontés,
cassant l(JS vitres. Ce mariag(J a mal tourné. La Jeune .femme
er;t morte ùans des cÏl'constancec; dramliqu.'~
Il a rendu lùs
siens responsables de cette mort. Le baron m'a raconté cela.
Malheureusement je ne l'écoutais que d'une oreille - ave<.:
lui je n'écOute jamais qu'ainsi, il est lent, il est long, il est
ùiJtus 1 - parlois même l'oreille prôtéc ost peu complaisante
et reçoit mat la commuuication. C'est ce qui ùut arriver
pour ce récit 1. .• Puis j'ai tant de chosC!S en têto depuis que
l'on m'a bombarM SOlJs-lrÎl'ecteul' d,.. la 1::). P . E. T. A ...
- Excusez-moi si je vOIr interromps. Que signiflent ("cs
cinq lettres ? ..
- SOCIété pOUl' exploitatwn des terrains abandarinfs. Connaissez-pM? .. P:lS entendu ImrlCl'? ... Aliaire ('pal nte, moU
'apitarne, beaucoup il gagner 1. .. Voici le thbrne : Le paysan
abandonne ses champs; 11 les 1ais~e
en friche; il s'en va vi He
en ville. D~
sénateurs, des députés ont 6t' pr06scntis pour
Iaire passer, li la Chambre et au Génat, une loi permettant,
qu'après un cortain temps, If~s tcrrrs (lui Ile sont pas ('ultivé s puissent, r01ll' 'n punit' leut· jJ l"Op l'ié lai l'l' , dcvf:'ntt' unI:
causc d'oxpl'opl'iation forcé!'. é sur ~a
tl?tT " le paysan esl
th" right than il/ the right place, il doit y l' ster; il doit lu
travaille". Chacun i;OIl mNier at tout ma .. 'h ra bioll. JI es f
JI \ pour' faire du bl(), fJu'il 10 S 'Jl1l' ; pour planter des choux.
/{u'illes plante; pour faire POUSSC'I' cl 'S haricots, 4u'i! les
("<'colle j ot facile sera de résoudre 10 problèmo de la vic
chère 1 HI, du haut on Las de l'él"lwll(l, nOlis nOLIs ('roisn~
tous los bru , Bi, du hall L 011 nuS d( ['('('(1('llc, no Ill: d('~ertOlIS
lous noL,·ù de voit', qu'advionul'u-l-il 7...
He/·ntJrd Bricy "st Slip rh do rcn (·t de sinc('riLô, on s' xpriJll3nt ailll'li. Ill! ônorm(!rnont ('ng-raissé cl l'on dimH, qU'('/I
prenant d la gr,üss " il (l pl'Ïs unC' extl'hno irnportnn e. JI
aspire sef! propres parolos; il SOITO lef! lèvres pour ll1 itlu":
dira. Url. ami du su ln )'0 U prél"lIdu, un jour, qll'il. digait·
à m,veille; que, lorS(IU'il s'cxprirnuil uv c cOllviction, a
�TERRE
INCONNUE
H7
l'exomp le de « Un Tel. de la Coméd ie-Fran çaise,« il trouvait des accenLs qui soulève raient le monde 1 II Dopuis, tou]ours, il s'en souvien t et ce magnifi quo loviep qu'il se sail
tenir on main, il vient de le metLre au service de la S. P. E.
T. A.
- Nos rêves sont immens es 1. .. poursui t-il. Gdce à
nous, la France n'aura pas un pouco de Lerrain inoccup é !. ..
Tout ce qui ne sera pas tra vaille par ceux qui 10 doi vent, le
~era
pour nous. Meme les I"is ot relais de l'Oc an et de
fleu ves, meme les Landes, ces immens es landes qui vont des
Pyrénée s à Bordeau x, même des landes de Bretagn e ..•
- Grands dieux, que ferez-vo us des KOl'I'igans ? ..
- Toujour s plaisant el original , ce cher capitain e, raille
Bernard qui senL Lomber son Moquence et ses eITots comme un
ballon qui se dégonfle. Vous n'y croyez pas? ..
- Oh 1 pas du Lout...
- Et cela, s'il vous pl ait ? ..
- Parce que je n'ai jamais aimé les pUl'adoxcs rI. cru aux
ulopies.
- Merci, mon capilain e, je vous l'ct l'ouve commo quand
vous me lllonacic7, du Consoil (' e guerre, parco que j'éloign ais
d'ull oixièJl1!' de rnillimùtl'o l'ongle de mon peLil doigt de la
l'olltul'e du panLalon 1...
Les deux homme s so meUanL à rire, mais d'un rire {ail
(lui, on le die,liL, montre lesdenl s.
- Combie n vous tlllnne- L-on COlUlllO appoinl ernents , dans
celle aIT,tire mirobol anlc ? ...
- Elle est à pein!' lando, rien n'esL Mcitlé. Ja Ruis de
bonne f;ourcr flvoir, eOlOme sous-din 'ctel1r, un fixo dl'
soixant a mill(' franes, autanL SUI' Il's !lIT iI'l)5 quo je forai rôus
fiir 1... I1 faul aujourd 'hui de l'urgent pOUl' vivre.
Vous aUrf'7, des !rais "J\ol'nH's ? ...
Qui veuL la lin veuL les moyens . n'uilleu rs 108 rais mo
Re l'ont r('mhours{'s el cela mo suru nf" vss til'l', .l'aurai boallI:OU]I Ù vnyagl'l '. vez-vou s vu llHl nouvell\ ' VOitUl'O 7... UIlI'
splcndo ur, 1I11l' Itolls I{oy('f' de cpnl miIlI' hillels quo J'ai CIlt'
"Vl'C l'aba is, [HIl'CO qu' 'Ile a vai l roulé Il .ux ceuts
kilomèt res ...
,l 'ai f'IT]1loy(~
malgl'û loul, à l'ct achat, layresq uo totalil6 dr
Cc que j'ai LI'O\lVÛ dans " 10 bas dn hune li d(' la puuvre
Inaman 1... ,l'ai l!'ans(or lllé ainsi celto monnaio dOl'm,mte on
e:pocos roulante s, capital que j'csporo non seulomt 'nt r6cup6-
�118
TEnnE INCONNUE
rer, mais doubler en un an 1. .. L'argent c'est comme los
animaux féroces dont on peul tirer un parti excellent si on
sait les dresser et se dl'esser soi-même à n'avoir nulle crainte
de leurs crocs, de leurs gri lIes, de leu l's l'l!gissements, il 'faul
les asservir "" Expériences passionnantes 1. ..
- Mme Briey approuve? ...
- Elle a une peur atroce qu'un de ces matins, je ne sois
dévoré ... et eUe aussi par-dessus le marché ' ...
Férol ?.. rapp olle malicieusement Rachat.
- Et Mm~
- Ma belle-mèl'o ? .. c'est la grande épo uvante ! ... D'accor,1
avec son époux, parce quo je les priais r(' « acheter» l'appartement que je convoile, de m'en faire l'avan ce , ello a serr',
sescapilaux, replié ses valolll's; elle a prétendu Il'uvoir plus
l, sou; elle n'a plus d'aulo, Ile va toujours à piod; elle
porte des robes d'il y '1 lrois a ,11:; , mon beau- pèl'e est vêl u
comme un pelil pauvl·e. Us ont hallgé de lo.;is. Ils ont peUl"
flue JO les ruine.
vous dire vrai, jo no les vois que
lrès peu. 11 me nchenlla frousso; alors qu" pour réuss ir Il
afTa ire il faul payer d'audace, aller d' l'a ,'anl, s'habi lu ' f a' x
risques, danser SUI' la corde rait! ... jou or 10 lout pOUl' 10
lout...
- Et s'oxposor un h oau soi r à couche l' au déjlôl.
Halle- làl ... Mauvais propos, capilaine. 'L'O l chons vilu
<.lu hoiR ' ... Et, d' gl'ûce, ne r <,ommen ':oz pHS dc ', plaisanlories
li ·mblnbles, c' 'st ainsi qu'on affior"c la guignl' !.. ,
- Alol's, encore un o foi s, VOliS ' les cl . cidé à vondre la
• Mésang' r »? ... la maisoll, 1'5 hois , l' nclos? ..
J e ne cl 'mand e quo cola. J')l l 's ferme' 6galel11 C' nt, sinon
nous Il erons un 10tissCIll n l? ...
- Vous vouclri('z lotir un bit'fI qui n'csl pas more 11\
cenl Ill' 'lUI es d'un s 'u l tenant?".
J o l's pl'opose à la S. l'. K '1'. A'I pOUl' Y fail'o de.,
lIsinps, UIlC lt(· Oll vl'Îèrc."
tai s vos el'n! '5 son t en pleillo v,lIour f ...
'l'anl mi pux pour clics 1. ..
- Cc ne sonl pas dcs. terres ah:.tndonn6cs »; VOllS n'êtes pns
dans les ('onditions J quis 's? ...
II l'st (("(Je 1 ciol <.l·s ae 'ollll11odcl11 nls, A Loul l'ùglt',
il y Il clOR l' cl'pLiol1s."
- L sslalusd volroSoci '· L(·? ...
- Larges Il'CS ltll'gC!l, comrn nos id(·c,.; !...
�TERRE INCONNUE
119
- Et vous allez empoisonner de hautes cheminées Cumantes
notre admirable paysage ? ..
-:- Oh! ces considéf<ition- n'existent pas pour moi 1.. . Les
eXIgences de nolre vie moderne ne nous permlLtent pas de
nous embarrasser a"'idées et de Cait qui sont des non- valeurs .. .
Du d.eux pour l'ent, voilà l'agriculture 1... C'est du trente,
d~
. cmquanlc pOlll' cent qu'il nous Caut 1... Des murs, de
vlelllcs tcrrasses, des toits, un parc, de l'entretien, plTlI! ...
Argent mal cmployu et pour obtenir quoi? ... De l'inconfort,
lu vio dans un d6srl t, la solitudel ... Merci, j'en ai soupé.
Mieux vaut un pttit but d'apI artement u eau chaude, eau
froido\ tJectricil6, chaulTago c ntraJ, T. S. F. " aux environs
de l'Etoile' ... Cola, et la Rolls à la pOl te,« cela... c'est
Paris/ ...•
Ime Briey ne ...
- Cc qu'el 'e pC'nse VOliS intéresse donc bien, mon capiI.Jino? ... J(, vous J'ai di:j. dit; plenez le contre-pied exact de
~e
que if> Ilonse moi-mf'me cf, \'ous serez dans la "{-rilé ...
Quel domm:lgel..,
Pourquoi? ...
Parce que c'cst aU rlstant ...
lI'est-ce qui est aU f'Ïstllnl?
Co qu'on voil, co qu'on cnlend, cc qui arri\re, ro qu'oU
gll.chr', ('0 qu'on d"truit romml' à pJaisil'f ...
Olt 1 01. 1 VOliS on étrs elltoro fi VOl:S atLl'islor pOlir co q1li
/iIiITient, co qlli ne survient paf, la ... ·c CJlli l'asse? ... Co If ' i
Ol'altl'isl(', moi, c'est quo je meurs do Ca :m ot que, sans reprodl!', VOliS Il m 'olTl'ez liell, ma vonne R acJnl. A voz- VOus
(fI:('lqul' chose à me donn"I' il mUI:gr,' ct à boire?
H (l('hat eut ccl ail' alal m(', qu'a tOlite dOlllund t.! sOlllblablo
OPPO!; Ilt en pl' O1i(')' lieu ks l11aÎtrr'l'scs do maison.
- Je v,lÏs rn'oll occuper ...
Elle "\',1 \ '(' l'S lu pOIL , IIIjlOI tant JI' Inallotl e.
_ Et JO vous en prio, - f.crn,ml Ju rolient,
qu ~o soIt
fait en vite"se, d'abord pal' pitié pOlir mon estomac qui crie
t IIllillf', pu is purce quo je n'ai pas uno minute à pcrdre: ce
((uej'ai à fai ,'I ' d'ici ee soiresl ITIOMtI'UOIIX.
Oll'c;t-cv? ...
Mrllntenont que J'ai visit(: la u l\Iésangèrc »...
Vmll! "ppclez celn visi lOI''?" rail!e JJOllrrach .
_ OuI. OUS DI'avez dit cc qu';l fallait pour lcs C l'mes i j'al
�120
TERRE INCONNUE
vu pour les bois, l'avenue, la maison, cela me suffit. J'ai à faire·
un match de golf à Pau sur les links de Billères ... net rou ver,
en revenant à Biarritz, une bande 'lui pique,oique aux roines
de Bidache et m'y attend ...
- Aujourd'hui c'(sl donc lIne journée perdue pour les
afTaires? .. remarque le capitaine.
- Pas du tout. Je suis à la « Mésangère", je puis m'occuper
de Souille. Jo vais au golC, je puis m'occuper de Bdlères, voire
aussi de Pau; je vais à Bidache, je m'occuperai de Bidaohe.
Voilà mon sysL me, ma méthod e de travail. TouL mener de
front. Le « fronL unique" puiSq'l'il l'ut de mode d'eu parler.
Hél èno et Bourrache échangrot un regard, hochent la tête,
répriment un sourire.
Hélène s'esL éloignée.
Bernard ofTro avoc son plus aimable sourire;
- Puisque cetLe bonne RachaL va me dOnLler à manger,
partagez mon casse-croûle, mon capilaine? ...
- Non, merci. MilO Rachat n'ayant. pr!'Sonne pour raider,
aura assez à laire, sans qu'encore, J'y ajouLe 1..
cola est dit. d'un ton rogue qui, ù lui soul,aerait une
leçon dcsLin éo à p!'Ollvor à Bernard quo la familiarité dont il
1150 av c Ha chat. semble dl>plaisanLe. B l'nard Gompl'0ndra-L il ? ..
- Bi('n assez do mal 7... r'p t e Bernard intorloqué, n'osl·llo pas habiluée à besogner sans aido? ...
- Plus mainLcnnnt.
- Que so pass'·-L-il? ..
MilO lIélùne consenL à m' ,pousor.
- Ohl hl Ah ! Ah 1on voilà uncnouvollo J. .. A.qu nd.IaDoce?
Bienlôt.
J I' n sa is si je dois VOtlS félici lor? ...
- J']L ('ola ? ...
l'arLo flllO Il' Jfllu'inge dovj('nL do 1I0S jour/; lu pllls singuliùr" dl~s
avont Ires, Ir~ plus cocatlso des insliLutioolll ..• Ce l'lC
,>ollL plu!!, nl!' conjoinls, qUll quiproquos 1. Vl ud~vUles
1. .•
Ll'S nul ur · dI'umulilfllClS, los rornanci el'S les plus .imaginutih
;unl dépa 'st'·s par ln réalité 1...
OIIS vons van lez, mon 'hor 1. .. Et "nr-Ilo Ull 10 m reM
VOliS b IISph · mc7. 1. •.
- Il n'y a pus longtomps quo jo Iillis nHlri6. Eh bi D, ~l
c'~Ltli.
à l'chirl)...
m
�TElUtE I;NCONNUE
121
- Vous le referiez l,., Et puis, assez depasc et ,de -vantardise ... vous le referiez, vous dis- je!. ..
- Ce n'est par sûr... réplique Bernard avec suifu!afice.
- Gracieux pour Mme Adette ...
-Non. Elle pense de même!. ..
- Qu'est-ce qui en résultera? ..
- Peut-être un gentil pelil ùivorce .un <ùl ,ces quatre
matins. On s'en menace parfois, Puis, à travers bout, oomme
on est ennemi du changement, ça ramène la paix .. ,
- Pauvre peli Le Jemme 1. .. Si vous le voulez bIen, parl'ODS
d'autres choses, je finirais par vous donner des coups de
poing!. ..
Bourrache semble devenu très nerveux,
- J'aime mieux me déc1a/'er JlO!'S de comoat que de fcwil'e
brutalités pour b/'utalités à mon ancien che!l. .. répond l'autre
avec lIne courtoisie qui s'exagère el se moque.
Rachat revint, rapportant IIne omoletle, du bem/Te, du
~
sali isson, du {rom age el un bouteille du fameuOl[ vin, cnvoy,
ourant le fameux voyage de noce par les deux bollcs-mère,;.
- Bravo 1. .. Merveilleux!. .. Lucullus déjeune choz Lucullus/..,
Bernard s'aUable.
- Allons, mon capitaine, un verre de co "iollx bourgogne ') ...
Lo capitaine l'eCus '.
- Un cigaro, alors?
Nouvoau refuR.
Bernard no so décourago pas. 11 est en veine d:umaliL'~
Lc voi là qui s'écrje :
propos, ma bonne Rachat, vous épousez le capitaine ? ...
CongraLuJolions 1. .. Félicitations 1. .. Alais, JO crois deVOir vous
aV'I'Lir: s'jJ est avec sa fomme aussj sévtlr~
qJ'il L'éLail uvee
~es
homm q, il vous fauùra marchel' d/'oiL 1.., Et quand il
dira: u Par flle à gauche 1 ", g,ll'de7.-VOIIS de Lourner on sens
conLI'aire, ce serait ln peloLon cl 'exéCution 1. .. Pas commod( ,
Uourruche , ...
,.' ,~api/'nlo
La plalsanter'io est. p~u
goûLé . Rachat sourit vaguement.
; 'Iaj~
clic Jetto au capl tOIll O un long /'ogal'd de reproc-he. 11 lui
ce sceptiquo, Il Bernard
I)st pnihlo de voir livr'cs, à R e rn~l'd
qui se fail un jeu ùo pal'uiLro ne ]"jon l'CSpoct ", les plus chers
Hec/'I'Ls de son crou".
Uno la lSl! de ('afé. /1 vor,'c de bon ArroJ.gnIlC. Et Bel'uard
so doc lure saLisfai t :
�122
'fERRE INCONNUE
Deos gracias! ... Me voilà lesté.
Il recule sa chaise. Il s'iustalle. Il allume un cigare. On
dirait que ce qu'il a à faire de « montrueux », d'ici le soir,
est complètement oublié.
Puis, tout à coup, il a un souvenir et déû1are :
- A présant que je ne soulTre plu s de la faim, je vais
lâcher de rassembler mes souvenirs, de fail'e 1.: n efIort de
mémoire pour répéter ce que le baron m'a dit SUI' la l'omanliquo histoire qui s'est passée ici.
Et Rachat attend oppressée. Elle sait qu e ce suj et ne peul
êlre que tdstesse et soufIrances ; il lui parait douloureux
d'enlendre elte voix, blagueuse et dure, on na rrer les d é! tai ls,
su r ce ton de persiflage .
Beroa rd raconte qu e le Baron t son am i fuisaient leur
se rvice mililair à 1'... t comme « tous les jeunes g ns
élégants» a vaient un e u chambre en ville" . L buron possé dait, ce qlli ét ait dans ses goûts et ses idées , ce qui a'l rait pu
passel' aux yeux de q uelqu es limol'\Js , po ur être u plci ns de
dangors ». Pal' contre, son a mi occupait uoo ch a mbre chez
uno personne de Lout repos, veuve de fon ctionn '!il'e , laqu Ilo
élail dan l'obllgalion, pour a ugm enter de ma igres revenus ,
do lou er \10 0 parti e de son appartement. Colle da me ava it
un nll o joli e, dou ' C, bi en 6levée , bonne mu sicienne, chanlant
uv c bea t conp de go ût ct de cha rrn , du Botrol, d '5 vi eill es
chansons de Frune , de nt J'UOf' ava it comm e l'oi rain ce tte
plainle fi '·s 'ij p {~ r \c : " 'ag déserll', qu 'as- tu fait de ton bel
isea u qui hantait ? »
1.'ami du ha ron n'l ol'a it la Iltusiq u oL tout P rticuli ôl'crn cnL
e 'H rom ane . Il dcmand iL:\ l'enl nclrc sans cesse. C'éL:üt
un garçon raisonn a bl!' ct ra ng{', un homm e d'i nt6l'i cur Il qui
pa s(~!',
dan!! h' ca lm ' d' un petit sa lon lout
l '5 so iJ' ée~
iuLim e, à (:rOIlLer la jeun e flil e '1lanL l' t la rn l'e !a il' d l' la
rnU Riqu l', pla isa im t mi l' ux qu o [ , nr6 , 1 s sall -s d t' dans(l
ct tout c' qui pouvait rl'IJ([['(' • r lâtre Il la p titt' ville do
ga rn ison.
L bur n, sur sa <1 <'111.11101', fut on voy':' 'n Algol"I'ie, Qu and
il ro revinl, son t l' rnps On i c \ rut p OIJI' app re nd l'e qu o la ml' I'('
fi la joli/' elnn te us
-tait 1ll 0 1' t ' ; qu o son a n, arado avail
(' pous6 la Jotme 0110 contre 1 grl' de Il''S par nls el qu o CCll X t'Î oxas pûr,',g chcrcJHlÎ Ill, pUI' lous [ '5 moy( Il '1, ft fair' rompre le
rn .\l'ingl' , l'cnl a 'h r do nulliLé.
-
�TERRE INCONN UE
123
mari.és étaient venus s'install er à la cc Més::mgère ».
l:es jeun~
LUI compta it y faire de J'agricu lture, y vivre modeste ment, sc
suffi.re. Il. eu.t fallu pour cela des avances . 01', les pal ents
avalCnt Impitoy ableme nt coupé les vivres. Pour payer un
un loyer, cUltiv, l' des tenes, se nourrir, s'habill er, il faut de
Le jeune, homme en prit où il en trouva, chez les
l'argen~.
professIOnnels de J usure. La tranquil lité, achetée à ce prix,
n 'e·; t qu'une du rée épMmè re, Bientôt s'(chelo nnèrenl les
formida bles. Pour éviter des ennuis plus grands,
éch~anl:es
J.lis<ant sa femme à la « l\lésang ère» Je j('une homme fut
ohligé d'Implo rer de s(·s parents aide ct assislan ce,
Ah! l'hum iliation de ces démarc hes' l'horreu l' d'avoir à
."c.out l' de s,mglan ls reproch es; j'impo's sibilit où il était de
faire compre nd le que sa pellle lIclène étuit délicieu se, sa
famille des plus honorab les; qu'on sr mépren ait, SUI' elle ct
' 'Intriga ntes,
Sil r sa mère, 10l'iiCjll'on les traitait 1 d'enjôle uses,
d'aycn t lll'ièlcs ., Quel dése 'poil' lorsqu'i l supplia il les siens de
l'ûce\'oi r sa temme, dc l'accuril1ir', de J'aider, lui, à sc créor
lino ,jltualio n ct qll'il s'entend ait l'épondr e; « Quo lorsqu'o n
porte son nom, on n'cp ouse pas n'impor te qui, ct ne peul
prendre comJlJO gagne-p ain n'impor tl' quoi 1.. ,» Le jOlll'
où il avoua qu'il aUail Nre f,ère de famille espéran t enfin
lin peu do clélllonce ct de pitié, indigna tions ct colèrcs,
tout fut pOllssé à toI point, que n' ût été le souvoni r do
la prtite (U'laissée, - qu'JI 110 nevait plus retrollv er, lH'ruant cOJllplotoJ11cnl la têtl', il eût étl! bien près d'on
nuir ...
_ Pauvre diable 1. .. Quand on fait cIe ces CO'lpS, il faul
f!tro assuré de /1' Ire plus ('n tutelle, ni (J la morci d'aucun ,
/)u resto, laissol' vivre, jusqu'à plus do vingt ans, un garçon
les hl' s croÎ!il's, d[lns la plus onLièr dépenda nco, no lui pr('nom, qU~.1
parant COIJlIIIC' Hvenir, JHU':O qu'il POI'tl' un h~au
possibil ité d'un beau mariage , est plus q~ une ails'Irt/h l',
130urrache, Quand II a eu p('rdu sa
linO cluauté 1. .. d~c1ar
..
.
Il'mm!', qu 'cst-JI dcveulI? .. ,
__ On l'u 1't'Jnl1l'Î" à la nllo d'un mdustl'I('I, Jellne personn o
longtem ps. POUl' luor en
llls convoit l' il'nt depuis
( • I",r Il 'lre
l'Il 6 ,1'J li' es t 'JO t e· d ans
•
1
IUl .. "
pouvait avoir de sontlf~1a
co CJu'd
lui
les f.(lïlndl's alT:lÎrcs, il l'st cIovonu lIupel'tu rbahle, muet, Ull')
po,'·
son cornp~e
\'J'ail' machine s à chilTl'cs. Il a 3I11ass(l, p~UI'
la
Enlln
cnfa1lts,
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s unnd, unlJ
�124
T.ElU\E INCONNUE
guerre est arrivée. Une des premières balles allemandes a
été, pou~
lui la libél'ation, peut-être 1. ..
- Ce camar<.lde du baron, commenl s'appelait-il ? ..
Rachat est devenue livide. A-t-elle le pressentiment de ce
qui va être dit? .. L'éprouve-t-eHe uepuis la découverte dos
pénibles trouvailles? ..
- lltmri de . .. de... allendez, loujours ma dé aillanle
mémoire ... J'y suis; Remi de Tournebelle J. ..
Héléne a un brusque l'ecu\. Elle semble prêle à défaillir. Ce
nom, eUe l'aUendait. Il la frappe on plein cœur.
- C'est le nom de mon père, murmure-l-eHe d'une ..... oix
éteinLc.
- Mais, au fait, oili, - s'écrie Dernard, - où ai-jo donc
la tôle ? .. Le bal'on m'a dil en eITet qu Tournebelie était le
nom de ... de voll'e père ct H élèno Rachal celui tle volre
mère. Elle esl morle en vous donnanl 10 jour. Jo l'ai su pal'
mon nolaire ...
Rachal élend le bras comme si elle voulail e np&cher Bernard
d conlinuer; mais il n'a l'ion vu, ne comprend rien et poursuil
j /npertul'babJc.
- Il parail ffi.Jrnc, mU cho!' demoiselle, que vous a \ cz
dlOz ce notaire drs fonds assez con~idérabls.
lIol/ri do Tournebolle, omcior dc l'ésel'v , a donc ôté (1lP. aux pr miers Jours
dl' la guorro. Et dans son le Lam nt, vous oLen nom mIle j il
\'OUS luissu l:l parl (j'cnfant à lafluelle vous avez droit. II pnl'i
Huil riche, ceLLe parl n' sl poinl ù dl!daigner. Volre futur
JOad me diL un Jour quo «son l'ove avait, éL(, rrachotel' la
• Mésangt·l' Il, Cc' r'l'Ve vou' allez pouvoir le ré:ùisor. J'ai laiss(,
duns un gurage, la farn 'U 'U "conduite inlérieuro • fi li U()IJ~
a fail 1I0US l'cll'OUyel', /lion CapiL.liuu .1, moi, VOliS allez IJOUvoir la lui olTr·il' ...
- Le uolaül' s:tÎL pUl'faill'11lonl qlll' Jf' n'lIrcppI.crlli ripo dl~
('l'li. qui ont l'l'Il(HISsé ma Jf\l'l'(·l. .. l'.ien 1 e 1110 fl)rfl ouliLiror le,
('in'unslalwt's qui onL 'ulraln(' sa mOl'l ut ont (oL(, les caU.iOI> dl;
fIIun abando/l.,.
- Tournl'lJl"lle lit' vous a J,Imni uhandonnôl'!. .. TI 'cL tOIl
jou/'s oecupt'! ,J<. VOliS. Il a Nil vieU me do (:il'cons\,~S.
plus
imp('ril'useR que cc qu'uurall voulu son c' ur,
comlUt'
le !lonl plll'fois [PB rils()1~
qui fonl ".",il·. - LON Tourn -bulll:
Il'('lllirlll p ,( 0 qu'I)Il peuL up/lpler, riches!. .. Or III vio qu'ils
11INl!uuuL étaÎL mondaint oL disp 'IHJiollSO, 0110 abso IJIliL t()uLws
�TRRltE INCONN VE
125
Il'Il dil,1J 6'llibiIités, Et il Y avait à solder Jes fameuse s
('chéances, - j'espère pour vous quc YOUS ignorez à qllel
on
dlilTl'c les intérêts composés et autres monten t quand
l'ntl'e dans la voie des emprun ts ef de l'usure 1- U était done
dB' ID?Uet à bien ce remaria ge, la prudenc e ordonna it
urO'en~
de r'tIre taire If) Cl'éanciers d'Henrr .. ,
Conven tions odieuses 1.. , Calculs qui rl'œure ni! .. ,
- C'est le monde .. , c'est la vie, ma chtre demoise lle! .. ,
qui puisse l'XCUscr un père,
- !l n'est pas de considéI~.lL
du
d,. lUl/lSer colle /}'ll'il saiL être son C'T![antpaS5f'l", al1X yeux
tous, pOtJ1' un I7lfant sans nom, une pupille de l'Assista nce .. ,
- C'est vous qui av'z empêch é la l'éparati on, A voLI'c
majorit é tout eût été al'rangé. Le nrfaire vous a mise an
c'ourtmt <1~ co qui avaiL Né prévu pUUI' vous, Vous y aVlZ
/'("pondu par ce que ,'OU5 l'éponr!cz en ct' momont, On était en
plrine guorro : Tournobcllc avait été tué; les vie(Jx Toul'J1 'hello n' xi taicmt plus; la v/'uve n'avait J'ien à y voir; le
J10laira ne pcuvait He montt'''I' ptu;; royalist e qtlt.' 1(' !'oi ; 1t"l
là, Ge ne peut c'll'c une l'(\parat ioll
('hoses en l50nt re~M!O'
llIorall" 'lui vous e<;t ollt'rte, Je l'nvolle, - laul (;t] qui c:t de
lle,
('el o/'(Jre est irrépara blr" - mais une 1'{'paJ'atroll maL'riG
h('lI" l'n sommo, dans tll'l:l l:onditiO'/1s pnrfailt'I1l1:lJ1L aCCef)lubJes,
Y avez tlroi!. pouvan t !lidur, il la
qllt' "'Jtl~
r't d'autan t pJtI~
lungll(" à cicutriil' " hi('JI des blp!lsurel'l, Enfin, JiIJl'l:' il vomI!".
j'atrlrmo , - et Je /'IIJlNC' là ce que m'a dit III IJOluÎrt',
Cc ql~
rH'm.;lnt (IlIO Jcl!( pHrIaitt'5 r('! .• tinns (fui onL tonjuul's ('XiSlt'
('n (fUclqur sort . Ù
('lIll'!' ma more (lt vou,'! III 'ail tori~;:f'J\,
vos rntérNs ont
qllr
c'est
,
len,yoi r r-. Ut" eomJtlllllieatioll
en 01'<1('(', entre le:; mflills
t~
IOlijOUf S Nf: nUU vega J'dct , lou~
d'Un
fI'un hOl/!1W1 en (Jui vous pOlJvtJY. avoÎl' pJeine eonO nec,
Iwnlfnt· 'rlli ll'nUl'nd 'fUll Jo jour où vousÎl'cz lui l'éclnm r volr(!
vous trin liez, c'eRllû cos de 10 rili!'I'. Vous
;.voi". flum'IU vou~
r ot aussi vers
('P(HISII1, la c<lpitaim', V{lIiS allez vors Je bonheu
d vous
étai~
pèro
voLr
d
r!('sir
LI'
vnirti,
d
lC
dc 1I0UI'ù/W
CC('pü:z CC qu'il VOUS;I 1<liss6
l'(.ndre I,!"urcusf', RlI"li '{'z-Ir,
(lU lieudc la mnne/ire;
: r., sa va/olltll; hOIlOfrl. sn m~oire
l'I~/Cr.t
CI' spr;t r1us clrrdit'n , Vous BeJ'('Z ainsi dans 10 Vrai,
s'inclinant f!CV(1l1t Ral'tlaf , lui Pi'enant la main eL la
l'ui~,
pO\ll'SuiviL, t ri'S hommo du llIonde:
hai, anl t Blrn~d
_ .Mar l'moise1le, JO no puis ouhlier flua ma rn ro vous
aimait, qu., VOliS a \"Oz 6té pOUl' elle l'amio la plus d~you(Îc
�126
TERRE INCONNUE
Soyez heureuse! ... Avec regret, je suis obligé de vous qui lier,
excusez- moi, - il regarda sa montl'e, - je suis déjà en retard.
Tous mes vœux de bonheur, mon capüaille 1•••
Et Bernard, consc;ent qu'il venait d'etre « bien dans le
ton, bien dans la note, irès à la page»; s'éloigna, de plus en
plus imporLant, rejoindre la Rolls et son chaulIeur vêtu de
»Ianc.
Après son départ, un silence de mort régna dans la pièce,
où restaient, en tête à tête, Rachat et le capiLaine.
Raide, immobile, Rachat regardait par la fenêtre et :longeait
que Bourrache l'avaiL aimée, l'avait voulue alors qu'elle
n'avait rien . AUJourd'hui elle pouvait réaliser le grand l'Ove
du mutilé, acheler la « l\lésangère JI, en faire pour lui la
maison du bonheur, allait-e 'le hésiter? .. Cet argenl déposé
à son nom, co III me l'ordonna son père, avait-elle le droit de
le refuser? .. Bernard, pour une fois, jugeait bien lorsqu'il
disait: « Co n'ost qu'uno réparation matérielle », ne l'ouL-elle
cepondanL créer du bonheur, - suprême baume guérissanl
les peines morales, - e-L racheLol' le passé? .. JI
bel, parlez-moi, sortez do ce mutismo. J'ai soit c.l'entunore votre voix, Que dites-vous do ce qui nous arrivo?
- Hél ne, pour Lout avouer, cela m'lJllpOI'Le peu. Jo sais
quo je vous aIme ot que je vous aimerai toujOUl's. ~oyez
il
moi, prèS c.le moi, avec moi ... le l'es le me laiss IIH,hlIl'reJll 1...
Quo l'ion ne nous sépare, tel est mon vœu le plus ch '1' l",
moins quo ... touLufois ... flL-il se redressunt, YOUS n'uyc7.
aujourd'hUI d'autl'cs d(!sirs, d'auLros ambitIOns .. ,
Jo JO doutais, à l'expr ssion do voLro visage, que, sans
piLié pOli l' mon si grand trouble, vous allioz me Crapp l'III'
moLs douloul'oux ... Pou l'quoi mo pad!.,r do la sorLo? ... 1 'a V('Z
vous pas appris:i 1111' connuÎLl'o 7...
savoz-vous plus qu'un
pOli de Joi ' n'u (! lai 1'6 ma vic qu depuis quo nous HOUS somJT1US
r 'nconLl'('s; fluO depuis quo votro m( ~ l" me pl'il dans scs hra'
on m'appolanL sa rllle; quo depuis quo je vous ai ln , tous cl ux, \
uv c lout Illon creu!', ma " onnuissunco, cOlllmo Oll ail11t1
quand on u toujours 6tC, !'\ Olll dans la vi , peu!'cux dcs aulrc(
de leur indiIT6renc '? .. Ah, si vous savioz co fill'OSt. 10 viti'
quo l'on sent auLour d soi quand fi n'a pas de fumi!lp, ql1'ou
n' sl d nullo PUI't, quand null aLlacho no vous altir' d'un
c6LO ou d'un 'Hltr ,fIu l'on est partout l' 'trangol', l'inLI'w!? ..
ue do rois me suis-je dit: " Jo puis mourir, nul no )IlO
�THIlRE INCONNUE
'127
pIeurl'~,
nul.'a,~)
serré ma main à l'heure suprême et pour
la dermere fOlS! ~)'al
seule dans les rues comme J'Y ai toujours
été!. .. » A~!
J al ta~
souITertl. .. Vous m'avez guérie des
aITreux vertIges que 1 Isolement donne' vous m'avez consolée
de tout ce qui m'a manqué depuis que je suis au monde; VOliS
m'avez rappelée à la vie, car je me sentais IDomir 1... Bt
yous me rejeteriez à l'aITreuse misère qu'a été ma jeunesse? ,.
Que peut m'être ce qui a été déposé chez le notaire, si vous
ne voulez pas le partager avec moi ? ..
Elle s'écroule sanglotant, les deux bras sur la table, la tête
sur ses bras.
Le capitaine se releva si violemment qu'il fit tomber sa
chaise.
- Où aJlez- vous ? .. cria Rachat épouvanLée, me quitteriezvous déjà ? ..
Le capitaine haletait.
- Je ne puis vous voir pleurer ainsi l.. . J e vais, dehors,
respirer 1 Je n'on puis plus, j'éLouITe, touL m'écI'ase, je souITre l. ..
Je vais retrouveI' maman.
Il s 'éloigna, puis revint, appolant :
- lIélène 1 Hélèno l. ..
IlIa reLrouva Comme il l'avait laisslle, les bras sur la table,
toujou ['s plouranL.
lIélène, ne voulez-vous pas m'accompagner ? ..
- Mon ami, pal'donnez-moi, il me faut êLre seule, je I~e
suis plus m fLresso de mes penscles, cie ma volon Lé. Je ne saIs
ni co qu je veux, ni co que je dois faire 1. .. Je vais cherc1lcl'
mèro LuuaL, il faut qu'clIo mo pade do ma mère, qu'ello me
diso cc qu'ollo saiL d'olle. 11 faut qu'olle me la [usse connu'Ure,
qu'eH' Ille la renclo vi~nLe
... Alors, pcu.L-ôr~
ontedrai~
je
ulle volx, la voix qui mo dIra: accepte, oublle, SOIS heureuse ....
Bt c' 'st vcrs vous, Illon très chol' ami, vors vous que j'irai...
'" '"'"
Bourrache n'out pus trop à atLendl'e.
VCI'S la nn du JOUI', une admirablo soirée de printemps, ua
uépusculo l'ose, des parfums de muguets et de lilas, dei
cb.ants de l'ossignols, un oup légor fut frappé à la pOI'Le.
M. m D Bourrache diL:
�1::!8
'reRRE 1I\CONNU.e
-
Mon ftIs, c'est le bonheul' 1." Va, vile, lui ouvl'ir :",
Hélène cuira.
Elle ITedit rien, mais à Dùurrache. dans un gosted'nbandlll\,
elle lendit ses deux mains. Ses youx r ayonnaionl..
Il so saisit de ces mains tendues ct les baisa.
- J'ai compris; j'accepte, murmura-t-elle, et je viens
\ ~rs
V<1U5 ... pOUl' toujours! ...
GL dans 1:0 silence gros d'émotion qlû suivit cos paroles, la
voix de Mm. Bourracho s' "leva, solennelf :
contient de~
épI' UVElS, elle sait avoir do doucrs
- Si la ~ic
/l'',anches, Mes chers cufants, Dieu soil béni. ..
FIN
80 1-!!0. -
C-OJIUIlIl.. Imprlmerf (I\I(,ft;
�
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Bouvet , Marie-Louise (1869-1954)
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Terre inconnue : roman
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Ed. de la "Mode Nationale"
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impr. 1929
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Collection Fama ; 200
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