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MÉMOIRE
POUR
M. G1ROUD, propriétaire, tant en son nom personnel qu’en
qualité de gérant de la Société Giroud et Cie;
CONTRE
MM. JO Z IA N et S A U R E T , associés en participation, pour
l'exploitation des droits cédés au sieur JO Z IA N par le sieur
PEZERAT.
Quoique les détails d’un procès soient toujours arides, la lecture de ce Mémoire
offrira peut-être quelqu’intérêt : on y verra les aberrations étranges de la
juridiction arbitrale, cette institution si vantée en théorie, mais quelquefois
si défectueuse en pratique.
F A IT S .
En 1838, les progrès de l’ industrie houillère décidèrent M. Giroud à entre
prendre l’exploitation de la mine des Barthes située dans l’arrondissement de
Brioude, département de la Haute-Loire. La concession de cette mine avait été
faite à M. Sadourny, par ordonnance royale du 11 février 1829 : M. Giroud, réun
à un autre capitaliste, acheta cette concession, reprit les travaux, ouvrit des
puits et organisa l’extraction de la houille sur une grande échelle : plus tard, les
besoins toujours croissants de l’exploitation l’obligèrent d’appeler à lui de nouveaux
�capitaux. II fonda alors une société qui, restreinte à. un très petit nombre d’ac
tionnaires, fut moins une commandite qu’une famille dont il était le représentant
et le mandataire.
Vers le môme temps, une autre Société se formait à Paris, sous les auspices
d’ un sieur Pézerat ingénieur, pour la fabrication de l’asphalte granitique, sub
stance qui s’extrait de la houille, et qui s’emploie au dallage des rez-de-chaussées.
M. Pezerat, voulant s’approvisionner de houille, s’adressa aux copropriétaires de
la mÿie des Barthes, et fit avec eux, le 30 novembre 1838, un marché qui devait
*
être le texte d’ une multitude de chicanes.
Ce marché portait que MM. Giroud et Chevalier, copropriétaires de la mine ,
s’engageaient à livrer par chaque mois à M. Pezerat la quantité de 10,000 hecto
litres de houille; que la livraison serait faite quotidiennement dans une quantité
proportionnelle ; qu’une partie de cette houille était destinée à fabriquer du gou
dron; qu’une autre partie devait être transformée en co k e ; que MM. Giroud et
Chevalier fourniraient le terrain et l’eau nécessaires pour cette manipulation ;
qu’ils s’obligeaient également à faire transporter au bord de l’A llier, à leurs frais
et sur le terrain qu’ils fourniraient, tous les produits do la compagnie Pezerat, et
même les charbons en nature, s’il lui convenait de ne pas les manipuler; que ce
marché durerait quinze ans, à partir du 1*' mars 1839 ; qu’il pourrait être porté
jusqu’à 600,000 hectolitres par an; que les charbons houillers seraient fournis dans
une proportion de moitié gros, moitié menu, au prix de 90 centimes l’hectolitre;
qu’enfin, en cas de contestations, elles seraient jugées à Paris et non ailleurs { ex
cepté celles qui par leur nature ne pourraient se décider que dans la localité ) par
un tribunal arbitral composé de trois membres, dont deux seraient choisis par les
parties, ou , à leur défaut, par le président du tribunal de commerce, et le troi
sième par les deux arbitres désignés, sinon par le tribunal de commerce du lieu
où serait portée la contestation ; que la décision serait en dernier ressort ; enfin,
les parties déclaraient faire élection de domicile à Paris, savoir : M. Pezerat au
siège de la Compagnie, quai de Jemmapes, 190, et MM. Chevalier et Giroud, dans
la demeure de ce dernier.
Les livraisons do houille devaient commencer au mois de mars 1839; mais la
Compagnie Pezerat n’avait pu parvenir à accréditer l’asphalte granitique; elle
manquait d’argent; elle ne payait pas même le loyer des lieux qu’elle occupait.
Comment aurait-elle payé l’énorme quantité de houille qui devait lui être livrée ?
I.'exécution du marché lui était évidemment impossible; d’ailleurs, ne fabriquant
pas d’asphalte, elle n’avait plus besoin de houille. Les propriétaires de la mine
considérèrent donc ce marché comme non avenu.
Mais M. Peierat avait pour conseil un praticien consommé qui vit une affaire i»
exploiter dans ce marché que la compagnie Pezerat ne pouvait pas exécuter.
�M. Pezerat renonçait à faire de l’asphalte, mais qu’importe? Ne pouvait-il pa
spéculer sur la houille ? l’argent lui manquait pour payer les livraisons ; ne pou
vait-il pas revendre la marchandise, avant môme qu’elle ne lui fût livrée? 11
résolut donc de céder son marché, et il traita d’abord avec un sieur Bravard, à
qui il donna une procuration pour se faire livrer la houille. Mais, le 29 mai
1830, il révoqua cette procuration et signifia la révocation à MM. Giroud et
Chevalier en leur déclarant que son nouveau mandataire était un sieur Jozian,
demeurant à Pont-du-Château, prés Clermont (Puy-de-Dôme.)
M. Jozian, quoiqu’il fût maire de sa commune, n’était guère plus solvable
que M. Pezerat D’ailleurs, ce titre de mandataire déguisait celui de cessionnaire.
Or, MM. Giroud et Chevalier ne voulaient pas avoir affaire à des agioteurs.
Ils avaient traité avec la Compagnie d’asphalte granitique, qui achetait des
houilles, non pour les revendre, mais pour les convertir, soit en goudron,
soit en coke ; ils crurent avoir droit d’exiger ou que cette Compagnie exécutât
elle-même ses engagements, ou que, si elle tombait en déconfiture, le marché
tombât avec elle. Cette déconfiture n’étant pas encore publique, il fallait la
constater. A cet effet, MM. Giroud et Chevalier firent sommation à M. Pezerat,
le 5 juillet 1839, de prendre livraison de 10,000 hectolitres do charbon, et de
fournir, en môme temps, une traite de 9,000 fr. acceptées par son banquier.
Le premier point n’aurait pas été difficile, mais, le second était impossible.
M. Pezerat ne répondit pas. MM. Giroud et Chevalier l’assignèrent alors en paie
ment des 9,000 fr., moins pour obtenir une condamnation illusoire que pour
constater, par cette condamnation même, l’insolvabilité de M. Pezerat, et la
nécessité de résilier le marché.
Cette condamnation, qui paraissait inévitable, fut cependant éludée par l’ha
bileté du praticien qui dirigeait M. Pezerat. Il demanda d’abord une remise,
puis le renvoi devant des arbitres-juges; MM. Giroud et Chevalier consentirent
à ce renvoi et nommèrent pour arbitres, d’abord M. Ilobert, avoué, et ensuite
M. Venant, ancien agrée près le tribunal de commerce.
Ainsi M. Pezerat avait gagné du temps. Mais que dirait-il pour sa defense devant
les arbitres? Il avait acheté la houille, pouvait-il la payer? Pouvait-il tirer de
sa caisse 9,000 fr. par mois pendant quinze ans? Ni M. Pezerat, ni M. Jozian
n’étaient capables d’exécuter cette condition. Cependant leur conseil ne voulait pas
que le marché fût annullé. Il imagina donc un système fort commode pour un
acheteur qui ne peut pas payer. C’était de dire que le vendeur ne voulait pas
livrer, d’accuser au lieu de se défendre, et de demander, au lieu do houille, des
doinmages-intérôts. Pour marcher dans cette carrière nouvelle il fallait beaucoup
d’audace et d’astuce, MM. Pezerat et Jozian ne furent pas au-dessous du rôle qu’on
leur faisait jouer.
houille devait être livrée sur le carreau de la mine et transportée ensuite
�sur les bords de l’ Allier. MM. Pezerat et Jozian prétendirent qu’elle devait être
livrée au bord de l’Allier, et dans le cas seulement où cette rivière serait navi
gable. C’était une invention gratuite, car rien de semblable n’avait été convenu.
Ils ajoutèrent que les 10,000 hectolitres qu’on les sommait de recevoir n’existaient
pas sur la houillère. A l’appui de ces allégations mensongères, ils présentèrent
requête à M. le président du tribunal de Brioude, et lui demandèrent une exper
tise. Si jamais demande dut être contradictoire, c ’était celle-là, mais les demandeurs
ne voulaient pas être contredits, et le juge qui répondit à la requête ne s’aperçut
pas qu’ on surprenait sa religion en lui faisant faire, par ordonnance ce qu’il ne
pouvait faire que par jugement. Ce fut un notaire qui reçut la mission de vérifier
l’état de la rivière et les produits de la mine. Mais, comme cela entrait fort peu
dans les fonctions du notariat, il s’adjoignit des experts et des témoins, ou plutôt
il accepta le cortège qui lui avait été préparé d’avance. Tous ces individus, arri
vant aux Barthes, déclarèrent qu’ils venaient inspecter la mine et sonder la
rivière. M. Chevalier, qui se trouvait sur les lieux, répondit qu'il s’opposait à
cette visite domiciliaire, qu’il défendait à ses employés do s’y prêter, qu’il offrait
de livrer tout ce qu’il devait, mais qu’il repoussait l’inquisition qu’on voulait
faire, comme une mesure illégale et odieuse. Cependant le notaire dressa un
procès-verbal, dans lequel il déclara que la rivière n’était pas navigable, et que,
s’étant promené sur la houillère avec sa compagnie et un marinier, qui avait bien
voulu remplir le rôle honorable d’indicateur, ils n’avaient trouvé en évidence
qu’une quantité de 4,090 hectolitre 50 litres de houille (1).
MM. Pezerat et Jozian cherchaient ainsi à dissimuler la véritable question que
soulevait la déconfiture de la Société d’asphalte granitique. Cette déconfiture était
devenue flagrante. Le matériel de cette Société avait été saisi pour les loyers. II
avait été vendu publiquement les 7 novembre 1839 et jours suivants, parM. David,
commissaire-priseur. La dissolution de cette Société avait été prononcée par déli
bération de l’assemblée générale, en date du 16 janvier 1840, et des liquidateurs
avaient été nommés. Dans ces circonstances, la question n’était pas de savoir si
l’Allier était navigable, ou s’il y avait du charbon dans la mine des Barthes, mais
do savoir s’il y avait des fonds dans la caisse de cette Société dissoute, et s i, par
elle-même ou par son cessionnaire, elle serait en mesure de réaliser, dans les ter
mes du marché, une acquisition qui n’allait pas à moins de 1,800,000 hectolitres
de houille, moyennant 1,620,000 fr. La négative était évidente. En conséquence,
un tribunal arbitral ayant été nommé,MM. Giroud et Chevalier demandèrent la ré
siliation du marché, faute par l’acheteur de pouvoir l’exécuter.
Tandis que cette grave question s’agitait à Paris devant les arbitres que les par
( I ) A la suite do c e p ro c è s-v e rb a l, ¡1 p a ra ît q u e M . Jozian lit som m ation d e liv rer les ch arb o n s.
On offrit la livraison, m ais, a lo rs, il p ré te n d it qtfe le ch arb o n n 'é ta it p as rc c c v a b le . Avec celto
som m ation il av ait offert une tra ite do 9 ,0 0 0 fr. qui n'é ta it p a s & o rd re .
�ties avaient choisis, M. Jozian continuait ses ruses de praticien. Il emprunta
9,000 fr. pour faire des ofïres réelles, et il réclama la livraison de 10,000 hectolitres
de charbon. Il savait bien que ses offres seraient refusées et qu’aucune livraison
ne pouvait être faite quand l’existence du marché était mise en question, mais il
cherchait un prétexte pour demander des dommages-intérêts ; et il commença dès
lors à dire assez ouvertement que ce qu’il voulait qu’on lui livrât, ce n’était pas de
de la houille, mais de l’argent. Il forma don c, devant le tribunal de commerce de
llrioude, au nom de M. Pézerat une demande en paiement de 50,000 fr. d’indem
nité. Il obtint môme, par défaut, des jugements qui paraissaient lui donner gain
de cause ; mais, sur l’appel, la cour royale de Riom décida que les parties ayant
soumis leur différend à des arbitres qu’elles avaient choisis et qui avaient accepté
leur mission, tout autre tribunal était incompétent.
Les arbitres nommés étaient MM. Gibert, Venant et Girard, anciens agréés près
le tribunal de commerce de Paris. La principale question posée devant eux consis
tait à savoir si le marché serait résolu, soit pour inexécution, soit pour incapacité
résultant de la déconfiture de l’acheteur. Les arbitres reconnurent que la Société
d’asphalte granitique étant dissoute, et représentée par des liquidateurs, la décon
fiture était complète ; cependant ils voulurent bien admettre les procédures faites
à Brioude, au nom de M. I’ezerat, comme témoignage de son désir d’exécuter le
marché ; mais ils décidèrent que dans l’état d’insolvabilité où il se trouvait, il de
vait une garantie spéciale aux propriétaires de la mine, pour que ce u x -ci, obligés
de donner plus d’activité à l’extraction, ne fussent pas exposés à perdre le fruit
de leurs travaux. En conséquence, ils ordonnèrent que le marché serait exécuté,
mais à deux conditions : la première, que les charbons livrés seraient payés comp
tant et en espèces, au lieu d’être réglés par une traite ; la seconde, que M. Pezerat
et ses liquidateurs seraient tenus de fournir caution pour le paiement des livrai
sons à faire, jusqu’à concurrence de 54,000 fr. Cette sentence, rendue le 17 juin
1840 , fut déposée le 18, et toutes les parties consentirent à son exécution.
Jusqu’alors, M. Jozian n’avait agi que comme mandataire de M. Pezerat. Il était
cependant cessionnaire ; mais le droit cédé étant litigieux, l’ habile conseil de
M. Jozian l’avait empêché de signifier la cession. Quand on vit le procès jugé, on
devint plus hardi, on signifia le transport ; mais on eut soin que l’acte n’énonçât
aucun prix. C’était une dernière précaution contre le retrait litigieux. En même
temps, M. Jozian fit signifier un acte par lequel deux négociants se portaient cau
tions dans les termes de la sentence arbitrale.
C’était le 22 février 1841 que cette dernière formalité était accomplie. MM. Giroud et Chevalier étaient dès longtemps en mesure de faire les livraisons de
houille, et si M. Jozian eut été un acheteur de bonne foi, désireux d’avoir la mar
chandise, et capable de la payer, aucune difficulté ne pouvait plus s’élever. Mais
M. Jozian, guidé par le praticien dont on a parlé, voulait toute autre chose que de
�la houille; il spéculait sur l’importunité d’un procès pour des hommes occupés
d’ une grande entreprise ; il était témoin de l’industrie déployée à la mine des liartlies et de la prospérité naissante de cet établissement; il médita de lever un im
pôt sur cette prospérité ou de la troubler par un nouveau débat. En conséquence,
il se mit à relire le marché ; il y trouva cette phrase : Que le charbon serait fourni
dans une proportion de moitié gros, moitié menu. Il déclara aussitôt qu’il ne rece
vrait comme gros charbon que celui dont les morceaux auraient un diamètre de
p lusse 20 centimètres. Et dès le 21 février 1841, il demanda des arbitres pour vi
der cette nouvelle contestation.
Les précédents arbitres furent donc constitués de nouveau, et M. Giroud se pré
senta devant eu x , tant en son nom que comme représentant désormais M. Cheva
lier, qui lui avait cédé son droit dans la mine. M. Jozian parut, de son côté, assisté
de son conseil, et armé de conclusions par lesquels il réclamait, à son ordinaire,
u n e énorme quantité de dommages-intérêts. Ce n’était pas sérieux, mais plusieurs
questions plus graves furent soulevées dans cet arbitrage. On examina notamment
si un marché contenant des obligations respectives pouvait être cédé. L'affirma
tive fut jugée en faveur de M. Jozian. Il faut respecter cette décision. Mais la ques
tion la plus importante était de savoir comment devait s’interpréter l’obligation de
livrer moitié gros, moitié menu.
Sur ce point, les arbitres, ainsi qu’ils l’ont reconnu depuis, s’égarèrent complè
tement. Ils créèrent cinq catégories de charbon : le perat, dont les morceaux de
vaient avoir 32 centimètres au moins de diamètre, en tous sens ; le rondelet, de
16 centimètres ; le grenat ou gaillette, de 10 centimètres; la petite gaillette, audessous de 10 centimètres ; et le poussier. Ils prirent les trois premières catégories
pour en composer le gros charbon, et formèrent le menu avec les deux autres.
Cela posé, ils décidèrent que la moitié livrable en gros charbon devrait compren
dre un tiers de perat, un tiers de rondelet, et un tiers de grenat ou gaillette ; et
que l’autre moitié, faisant le menu, comprendrait, deux dixièmes de petite gail
lette, et huit dixièmes de poussier. Enfin, ayant remarqué que chaque catégorie
pouvait se subdiviser en diverses grosseurs, ils imposèrent au vendeur l’obligation
de livrer non-seulement toutes les catégories, mais encore toutes les grosseurs
possibles de chaque catégorie. Telle fut la sentence qui fut rendue le 24 mai 18 4 1 ,
et déposée le lendemain.
Or, cette sentence était inexécutable; les arbitres avaient indiqué des grosseurs
de charbon qui ne se trouvaient, ni dans la mine des Barthes, ni dans aucune mine
de charbon. Aussi M. Jozian triomphait, car avec la meilleure volonté de livrer
sa marchandise, M. Giroud ne ¡pouvait livrer ni des grosseurs que la mine ne
produisait pas, ni cet assortiment complet qui aurait exigé que chaque morceau
de charbon fut choisi à la main. M. Jozian put donc se flatter d’avoir son adver
saire à sa merci ; et ce fût alors qu’il se vanta que cette mino de houille serait pour
�lui une mine d’or. M. Giroud chercha dans la loi un remède à l’erreur des arbitres;
il forma opposition à l’ordonnance d’exequatur. Cette opposition fut soumise au
tribunal civil de Paris, puis à la Cour royale; mais quelque injuste que fut la sen- •
ten ce, le fond ne pouvait pas ôtre révisé, et il fut décidé que la forme était
régulière.
M. Jozian et son conseil se hâtèrent d'exploiter cette sentence dont ils savaient
bien que l’exécution était impossible. En conséquence et par acte des 14 octobre
et 17 novembre 1842, il provoquèrent un nouvel arbitrage pour faire condamner
M. Giroud à lui payer ces dommages-intérêts qui étaient lebut do tous leurs désirs,
ils ne parlaient môme plus de houille, c’était de l’argent qu’ils réclamaient sans
mise en demeure préalable, tant l’impossibilité de livrer, d’après la sentence,
était évidente à leur yeux. Cependant, ils se ravisèrent et comprirent que pour
la form e, ils devaient avoir l’air de demander de la houille. En conséquence, ils
firent dresser, le 5 décem bre, un procès-verbal qui avait pour but de constater
quô M. Giroud ne pouvait pas livrer. Mais ce procès-verbal servit au contraire à
démontrer qu’il pouvait livrer, si ses adversaires voulaient être de bonne foi. En
effet, M. Giroud offrit de mettre à leur disposition tout le charbon extrait, s’élevant
à 30,000 hectolitres et tout celui qu’on allait extraire, tel qu’il sortirait de la
mine. On ne pouvait pas exiger plus. Mais M. Jozian se retrancha dans la
sentence, et déclara qu’il exigeait les grosseurs et les catégories qu’elle indi
quait. On retourna donc devant les arbitres, et M. Jozian demanda modestement
20,000 francs de dommages-intérêts parce que M. Giroud n’avait pas liv ré ,
et 500 francs par jour s’il ne livrait pas à l’avenir.
Cependant, les arbitres avaient reconnu l’erreur dans laquelle ils étaient tombés,
ils désiraient la réparer, mais ils étaient retenus par la crainte de se déjuger.
M. Giroud démontrait qu’on l’avait condamné à l’impossible ; il soutenait qu’ une
telle condamnation ne pouvait avoir l’autorité de chose ju gée, surtout devant un
taibunal revêtu des pouvoirs d’amiable compositeur ; M. Jozian soutenait au
contraire qu’ il y avait chose jugée, et que possible ou non la condamnation devait
être maintenue. Les arbitres voyaient avec douleur qu’ils avaient donné des armes
à la mauvaise foi; ils résolurent de les lui oter, mais n’osant pas détruire euxmêmes leur sentence, ils imaginèrent d’obtenir de M. Jozian qu’il y renonçât. Ils
l’appelèrent auprès d’eux avec son conseil; ce qui fut arrêté dans cette conférence
intime, M. Giroud l’ ignore; mais le 2 juin 1843, M. Jozian lui fit signifier des
conclusions par lesquelles se désistant tout à coup des demandes qu’il avait
soutenues jusqu’alors avoc une infiéxiblo opiniâtreté, il réduisait à plus de moitié
le diamètre du gros charbon et consentait à le recevoir tel qu’il serait extrait et
sans catégorie.
Quatre jours après cette signification, le 6 juin 1843, les arbitres rendirent leur
nouvelle sentence. Elle était conform e, comme on le pense b ie n , aux dernières
�conclusions de M. Jozian. Les arbitres fesaient disparaître les grosseurs surna
turelles et les catégories qu’ils avaient imposées; ils accordèrent même ù
ML Giroud la faculté de livrer au-dessous des grosseurs convenues en diminuant
le prix. Ils décidèrent que les livraisons de 10,000 hectolitres par mois seraient
faites jour par jo u r, à raison de 333 hectolitres chaque jo u r ; ils déclarèrent
que jusqu’alors M. Giroud n’ayant pas été en retard de livrer, ne devait aucune
indemnité ; ils firent défense à M. Jozian de vendre du charbon sur le terrain
de M. Giroud. Enfin, cette nouvelle sentence était favorable à Si. Giroud sur
toutes les questions principales ; elle ne lui fut contraire que sur la question des
dépens. M. Giroud gagnant son procès fut néanmoins condamné aux frais de
l’arbitrage. C’était une injustice d’autant plus révoltante que les frais étaient
considérables; mais il fallait sans doute que M. Giroud expiât l’erreur de la
sentence précédente, et M. Jozian avait probablement mis cette condition au
désistement que les arbitres lui avaient demandé.
Cette dernière sentence aurait dû terminer toutes les difficultés. Si M. Jozian
voulait de la_houille, M. Giroud était en mesure de le satisfaire, car ce n’était plus
l’impossible qui lui était prescrit Mais la mauvaise foi du prétendu acheteur de
charbon allait reparaître plus éclatante que jamais : à peine les livraisons étaient
commencées quo M. Jozian annonça un quatrième procès. Il avait prétendu,
en 1840, que l’Aliier n’était pas navigable : en 1841, que le charbon n’était pas
moitié gros, moitié menu; en 1842, que l’impossible était passé en force de chose
jugée; en 1843, il revient &l’Allier et critique non plus la rivière, mais le port qu’il
prétend n’ôtre pas assez élevé ni assez sûr pour y déposer son charbon. C’était
une contestation pitoyable, comme on va le voir.
MM. Giroud et Chevalier étaient propriétaires d’un terrain de 5 3 ares 20 cent.,
situé sur le bord de l’Allier. Ils avaient acheté ce terrain pour s’assurer un
débouché sur la rivière, qui malgré les inégalités de son cou rs, était cependant
l’unique véhicule à l’aide duquel les marchandises pouvaient sortir du pays. Le
terrain avait été choisi dans lo lieu le plus avantageux, c’est-à-dire, le pins
voisin de la mino et en môme temps le plus élevé au-dessus du niveau ordinaire
des eaux do la rivière. Tel était le port des Barthes lorsque M. Pézerat fit avec
MM. Giroud et Chevalier lo marché du 20 novembre 1838. L’article 3 de ce marché
était ainsi conçu : MM. Chevalier et Giroud s’obligent à faire transporter à leurs
frais au bord de l’AUier à leur port et sur le terrain qu’ils fourniront tous les
produits de la compagnie I’ézerat et môme les charbons on nature, s’il lui
convient de ne pas les manipuler.
Ainsi doux choses étaient promises à M. Pézerat : 1° le transport de ses produits
ou de ses charbons en nature, depuis le carreau de la mine jusqu’au bord de
l’ Allier; 2” l’abandon d’une place dans les 53 ares 20 centiares formant le port des
Barthcs. Cette place devait ótre donné dans le port ; elle ne devait donc pas êtro
�plus élevée ni plus sûre que le port lui-même; le terrain serait livré tel qu’il était,
avec ses inconvénients et ses avantages que M. I'ézerat connaissait mieux que
personne, car il était ingénieur civil, il avait vu les lieux, et il en avait dressé le
plan.
Mais aucun port n’est l’abri des inondations,, surtout sur les bords de l’Allier
que,la voisinage des montagnes expose à des crues extraordinaires. M. Jozian s’est
donc avisé de prétendre que le port des Barthes n’était pas convenable, parce qu’il
pouvait être atteint par les grosses eaux; il a allégué, comme un second grief,
que le terrain était, un gravier couvert de sable et de cailloux. Sous ses deux
prétextes, il a refusé de recevoir le charbon,qui lui était offert et dont une partie
lui était déjà livrée.
Ces prétextes n’avaient rien de sérieux. Ce n’étaient ni les grosses eaux, ni le
gravier qui effrayaient M. Jozian ; mais pour prendre livraison, il lui fallait de
de l’argent; or, il n’en avait pas, et il était aux expédients pour s’en procurer.
Après avoir emprunté à la maison Marche et Comitis, de Clermont, il s’était adressé
ùM. Sauret, banquier à Riom ; celui-ci n’avait voulu lui ouvrir sa bourse qu’à
condition de toucher, outre l’intérêt de ses avances, la moitié des bénéfices qui
seraient faits sur la revente du charbon ; mais le prix d’achat étant assez élevé, ces
bénéfices réduits à moitié n’avaient plus-d’attrait pour M. Jozian, et il préférait
de beaucoup ce qui était d’ailleurs son idée fixe, continuer une guerre de chicanes,
pour obtenir ou de l’erreur des juges, ou de la fatigue de ses adversaires, les dommages-intérêts qu’il rêvait depuis si longtemps.
Il faut avouer que ce goût de M. Jozian pour la procédure était justifié par
l’adresse merveilleuse qu’il y déployait. On a déjà vu comment il savait se procu
rer des expertises favorables, en les faisant ordonner sur requête et sans contra
diction. Il employa ici le même procédé en l’assaisonnant d’un mensonge. 11 ex
posa à M. le, président du. tribunal civil d’ Issoire que M. Giroud avait été condamné,
pas sentence arbitrale à. lui livrer une quantité considérable de charbon, et que ta
sentence portait, cntr’aulres dispositions, que la houille ou le charbon de. terre
serait déposé sur un port convenable; en conséquence, il priait M. le président de
commettre son notaire pour constater que le port des Barthes n’était pas conve
nable.
Or, cette disposition ne se trouvait pas dans la sentence; elle ne pouvait même
pas s’y trouver, car la convention du 30 novembre 1838, désignait le port des
llarthes comme celui dans lequel les marchandises devaient être déposés. Telle
était la loi des parties; le port des.Barthes était accepté tel qu’il était; sa conve
nance ne pouvait donc plus être discutée.
Mais M. Jozian ayant fait cette addition à la sentence arbitrale, surprit à la reli
gion du magistrat une ordonnance par laquelle Gourcy, notaire à Jumeaux, était
�commis pour vérifier si le port des Barthes était convenable. Le notaire-expert sç
rendit sur les lieux le 29 août 1843, avec trois individus auxquels il donna la qua
lité de témoins indicateurs. Il aurait été plus exact de dire que c’étaient des
témoins indiqués par M. Jozian. Il fit la description du port des Barthes , et cons
tata notamment que la partie livrée àM. Jozian était élevée de 1 mètre 433 milli
mètres au-dessus du niveau des eaux de l’Allier. Une autre partie était élevée de
1 mètre 973 millimètres ; mais le notaire reconnut que c’était au moyen d’ un
remblar exécuté par la Société Giroud et Cie pour y déposer son propre charbon.
Or, ce que la Société faisait pour abriter ses marchandises, M. Jozian pouvait le
faire pour les siennes; personne ne l’en empêchait; mais M. Giroud n’était pas
tenu de lui construire un terrain artificiel, quand il n’avait promis qu’ un empla
cement sur le sol naturel. Le notaire-expert ajouta que le sol était un gravier
couvert dp Sable et de cailloux ; c’est assez l’ordinaire au bord des rivières ; ce
pendant les témoins indicateurs prétendirent qu’il n’en était pas de même dans
les autres ports, comme si la nature eût réservé le sable et le gravier pour le seul
port des Barthes. Quoi qu’il en soit, M. Jozian devait prendre ce port tel qu’il
était, et s’en accommoder, car M. Giroud ne lui devait pas un pouce de terre
ailleurs.
M. Giroud voulut toutefois prouver sa bonne volonté, et éviter, s’il était possible,
une nouvelle discussion. Il avait des ouvriers occupés à niveler le terrain du port ;
il offrit de faire niveler et même remblayer, par eux, l’emplacement que M. Jozian
choisirait ; il déclara, de plus, qu’il mettait tout le port à la disposition de
M. Jozian, pour que celui-ci indiquât lui-même l’emplacement qui lui convenait.
Enfin il réitéra l’offre de livrer tout le charbon qu’il pouvait devoir d’après les
termes de la dernière sentence arbitrale.
Mais M. Jozian voulait plaider, c ’était un parti pris; en conséquence, il repoussa
toutes les offres qui lui étaient faites, et fit déclarer par le notaire-expert et les
témoins indicateurs que le port des Barthes n’était pas convenable, parce que la
rivière était torrentueuse, et qu’en 1837 ou 1838, s’étant élevée très haut, elle avait
emporté quelques charbons déposés sur ses bords. Le procès-verbal contenant
cette prétendue expertise fut signifié àM. Giroud le 5 septembre 1843, avec assi
gnation devant le tribunal do commerce d’Issoire pour se voir condamner : 1 “ à
10,000 fr. de dommages-intérêts, faute do fournir un port convenable; 2" à payer
500 fr. par jo u r , faute do livrer les charbons qu’il avait constamment offerts ;
3° à faire cette livraison sur le port, prétention injuste et nouvelle qui avait pour
objet de rendre la livraison impossible.
A peine cette demande fut formée que M. Jozian déclara s’en désister, pour
substituer à la juridiction du tribunal de commerce un arbitrage local. Jusqu’alors
les arbitres des parties avaient été d’anciens agréés près le tribunal de commerce
de Paris, car c’était à Paris que tous les procès devaient être jugés; les parties
�n’avaient excepté de ce principe général que les contestations q u i, par leur
nature, ne pourraient se décider que dans la localité. Cette exception fut une
bonne fortune pour M. Jozian ; il résolut d’en faire la règle, et d’appliquer la ju
ridiction locale à toutes les contestations quelconques entre lui et M. Giroud. Il
crut que, dans son propre pays, l’esprit de coterie soutiendrait le compatriote,
et proscrirait l’étranger. Il savait que certains habitants n’avaient pas vu sans
envie un homme venu de Paris pour exploiter leurs mines. Avec des arbitres im
bus de tels sentiments, il pourrait tout oser, tout demander, tout obtenir. L’ar' bitrage local était donc l’instrument le plus favorable à ses projets. On va voir
quel usage il en sut faire.
Il commença par déclarer qu’ il choisissait pour son arbitre M. Gourcy, notaire ¡1
Jumeaux. M. Gourcy était le rédacteur do la prétendue expertise du 29 août;
M. Gourcy avait déclaré comme expert que le port des Barthes n’était pas conve
nable, et M. Gourcy était nommé arbitre pour décider comme juge si le port des
Barthes était convenable. Certes, l’opinion d’un tel juge n’était pas douteuse, et
si jamais un arbitre dut se récuser, c’était M. Gourcy. Il ne se récusa pas ; il
accepta la nomination, et donna ainsi la mesure de son impartialité, soit comme
expert, soit comme juge. On put dès-lors pressentir le caractère de cet arbitrage
local que M. Jozian cherchait à constituer.
M. Giroud cependant ne voulait pas de nouveau procès ; il écrivit de Paris- à son
mandataire, que pour rassurer M. Jozian sur la sécurité du port des Barthes, il
offrait de placer les charbons de M. Jozian derrière ceux de la Société Giroud et Cie;
ainsi les eaux de l’Allier atteindraient ceux-ci avant d’arriver à ceux-là ; j e re
pète. dit-il dans sa lettre du 15 septembre 1843, ce que j'ai eu l'honneur de vous
dire et de dire à M. Jozian lui-même: que j e placerais nos charbons devant les
siens; je suis toujours prêt à le livrer quand il voudra, et à lui donner la place la
plus sûre et la plus convenable de notre port.
Mais M. Jozian tenait à plaider devant ces juges-experts dont la décision était
connue d’avance; il fit adjoindre deux collègues à M. Gourcy, et M. Giroud fut
sommé de comparaître devant ce tribunal arbitral. Quelque simple que dut être
le débat, M. Giroud ne crut pas devoir accepter de tels juges; il soutint que le
tribunal d’Issoirc, qui les avait nommés, n’était compétent ni à raison du domicile
du défendeur, puisque M. Giroud était domicilié à Paris, ni à raison de la situation
des biens, puisque la mine des Barthes appartenait à l’arrondissement do Brioude.
cependant le tribunal d’Issoire se déclara compétent ; mais la décision fut réformée
par arrêt de la cour royale do lliom du 21 février 1844 .
Cet échec aurait découragé tout autre que M. Jozian. Car enfin pourquoi plai
der? que voulait-il? du charbon? tout celui de la mine lui était offert. Un port?
celui des Barthes était le seul qu’on lui eut promis. Une place convenable dans ce
�port? on lui offrait celle qu’il choisirait, fût-elle la meilleure, fût-elle occupée
déjà par d’autres charbons. Quel était donc son intérêt à guerroyer? que deman
dait-il encore, s’il était de bonne foi? Son intérêt, il faut le dire, était le même
qu i, depuis 1840, lui faisait entasser procès sur procès. En achetant les droits
de M. l’ezerat, il avait cru prendre M. Giroud au dépourvu, il s’était flatté
que la mine ne produirait pas 10,000 hectolitres par m ois, et qu’une in
demnité lui serait offerte à la place du charbon qu’on ne pourrait pas lui
livrer. Mais il s’était trompé ; M. Giroud prenant le marché au sérieux avait
fait percer un nouveau puits qui avait doublé le produit de la mine, et ce n’était
pas seulement 10,000 hectolitres, mais 30 à 40,000, qui étaient extraits chaque
mois. M. Jozian se voyait donc obligé d’exécuter lui-même ce marché qu’il avait
cru inexécutable. Mais 10,000 hectolitres de charbon par mois étaient une charge
beaucoup trop lourde pour lui ; il lui était aussi difficile de les payer que de les
placer. En conséquence, il ne craignait rien tant que d’être forcé de prendre
livraison, et il plaidait, comme on l’a vu, sur la grosseur des charbons, sur la
convenance du p o rt, sur l’état de la rivière, sur tout enfin. Il recommença donc à
ürioude la procédure annullée à Issoire ; mais ce ne fut plus M. Gourcy qu’il
choisit pour son arbitre ; il lui préféra M. Dorival, géomètre et épicier à Souxillanges ; et pourtant M. Gourcy lui avait montré assez de dévouement ; mais il crut
que M. Dorival ferait encore mieux. Il fit nommer un second arbitre par le tribu
nal daBrioude; et il allait faire nommer le troisième, lorsque M. Giroud, impa
tienté de toutes ces procédures, fatigué des assignations qu’on ne cessait de lui
adresser aux Barthes, quoique son domicile fut à Paris, invoqua de nouveau l’au
torité de la cour royale pour faire cesser ces procédures et annuller ces assigna
tions. Mais la cour décida que les assignations étaient valables, et M. Giroud,
voyant qu’il ne pouvait éviter un nouveau procès, se résigna à le subir.
La jurisprudence qui annulle les clauses compromissoires était déjà établie par
de nombreux arrêts. M. Giroud aurait pu s’en emparer, et demander que le procès
qui lui était fait fût porté devant ses juges naturels. Mais ce procès n’en était pas
un. M. Giroud offrait à M. Jozian tel emplacement que celui-ci voudrait choisir
dans tout le port des Barthes ; aucune difficulté ne semblait possible. M. Giroud
consentit donc à un arbitrage, sur la demande de M. Jozian, mais il mit pour
condition que l’un des arbitres serait M. Auguste Lamothe, ancien exploitant de
charbons et propriétaire très honorable, membre du conseil général do la HauteIvoire , demeurant à son château do Frugères, aussi indépendant par son carac
tère que par sa fortune.
Un tel arbitre ne convenait pas à M. Jozian; mais l’ éconduire n’était pas chose
facile. M. Jozian y parvint cependant, à l’aide de procédés qui méritent d’être si
gnalés.
M. Lamothe ayant accepté sa mission, devait so réunir avec M. Dorival pour
�nommer un troisième arbitre. Il sollicita plusieurs rendez-vous à cet effet, mais
on lui répondit que M. Dorival était malade. Un mois s’écoula ainsi, et M. Lamothe
se trouvait obligé de faire une absence de dix jours pour un voyage à Paris, lorsqu’ il
reçut une sommation de comparaître, le 18 octobre, dans une auberge ou caba
ret de la commune de Jumeaux, à l’effet d’y procéder avec M. Dorival à la nomi
nation du troisième arbitre, ce qui était la première opération de l’arbitrage.
Quoique surpris du lieu choisi pour cette réunion, et de la forme dans laquelle ce
rendez-vous était donné, M. Lamothe s’empressa'd’écrire à M. Veyrincs, agréé de
M. Jozian, pour faire connaître son empêchement, mais on n’en tint compte ; et
M. Lamothe n’ayant pas comparu dans le cabaret de Jumeaux, AI. Jozian fit dres
ser procès-verbal contre lu i, non par le maître du cabaret, mais par M. Gourcy
notaire, qui se trouvait toujours prêt à verbaliser en faveur de M. Jozian, quoiqu’ il
n’eût aucune qualité, n’étant plus arbitre, pour se mêler do l’arbitrage.
M. Giroud protesta contre ce procès-verbal et invita les arbitres à se rendre, le
U novembre, à la mine des Barthes, où ils trouveraient un lieu de réunion conve
nable et à portée des objets litigieux. M. Jozian répondit que son arbitre, M. Do
rival, entendait élire domicile dans le cabaret de Jumeaux, et qu’il n’irait pas
ailleurs. En effet, M. Jozian fit dresser par le même M. Gourcy un second procèsverbal constatant que, le U novembre, M. Dorival, au lieu de se rendre aux Bar
thes, était venu à Jumeaux ; et de suite il présenta une requête pour faire nommer
un autre arbitre à la place de M. Lamothe qu’il fallait, disait-il considérer comme
démissionnaire, puisqu’ il n’avait pas paru au cabaret où l’attendait son collègue.
Cette ridicule requête fat rejettée, et les deux arbitres trouvèrent enfin le moyen
de se réunir, mais ils ne purent tomber d ’accord sur le choix d’un troisième ar
bitre , et ce fut le tribunal de commerce qui nomma d’abord M. Denis Bertrand,
et à son refus, M. Couguet avocat à Brioude. M. Couguet passait pour l’un des
conseils de M. Jozian M. Giroud attaqua sa nomination, mais elle fut confirmée
par la cour royale de Riom , et le tribunal arbitral se trouva composé de MM. Lamotho, Dorival et Couguet.
Quand des arbitres sont constitués, il est d’usage qu’ils s’entendent entre eux
pour fixer le jou ret le lieu de leurs séances : s’ilsne parviennent pas à s’entendre,
on se réunit chez le plus âgé. Ces règles de la politesse la plus vulgaire ne furent
pas observées vis à vis de M. Lamothe, arbitro nommé par M. Giroud. Les deux
autres arbitres décidèrent entre eux que le tribunal arbitral se réunirait dans
l’étude do M. Veyrines agréé de M. Jozian. C’était un lieu plus décent que le caba
ret de Jumeaux, mais peut-être n’était-il pas plus convenable, car M. Veyrines
était le mandataire de l’ une des parties. Dans tous les ca s , M. Lamothe aurait dû
être consulté ; mais scs collègues, se voyant deux contre u n , crurent appa
remment que tout leur était permis, et, oubliant que M. Lamothe était leur ég a l,
lui firent signifier par huissier l ’ o r d r e qu’ils lui donnaient de se trouver, le
'5 mai 18Zi5, dans l’étude do M. Veyrines. M. Lamothe s’y rendit, mais ce fut pour
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se démettre de ses fonctions d'arbitre. Pouvait-il en effet les exercer avec indépen
dance et dignité en présence de la coalition de ses deux collègues qui, par le lieu
et la forme brutale de leur convocation n’indiquaient que trop que leur parti était
pris d’avance? MM. Dorival et Couguet comprirent le sens de cette démission, et
ils prièrent M. Lamothe de vouloir bien, en les quittant, leur signer un certificat
de probité. M. Lamothe n’eut garde de leur refuser cette satisfaction, et sa démis
sion fut rédigée en ces termes par ses deux collègues : Purdevant nous ( Dorival et
Couguet ) est comparu M. Auguste Lamotlie, lequel nous a dit qu’il lui était impos
sible d’accepter la mission d'arbitre qui lui avait été conférée, se trouvant en cc
moment fortement engagé dans des opérations très conséquentes ; qu'il en était
d'autant plus fdclié qu’on lui avait donné pour collègues deux messieurs qu'il esti
mait beaucoup, et dont il connaissait l'honneur et la probité, et a signé. M. Lamothe signa et se retira. Le tribunal arbitral se trouva donc réduit à ces deux
messieurs que M. Lamothe eslimait beaucoup.
Cependant M. Giroud n’avait consenti à ce dernier arbitrage qu’à condition que
M. Lamothe serait arbitre, et M. Lamothe était éconduit; les deux messieurs aux
quels il avait légué son estime pouvaient en être dignes, mais leurs débuts dans
l’exercice de leurs fonctions n’inspiraient aucune confiance à M. Giroud. Quelque
mince que fût la contestation, M. Giroud craignait de se voir jugé par des hommes
qui n’avaient respecté ni leur collègue, ni leur propre caractère; il n’avait jamais vu
deux arbitres faire sommation à un troisième, et lui demander ensuite une attesta
tion de probité ! 11 se rappelait le lieu étrange que ces deux arbitres avaient choisi
pour y placer leur siège d é ju g é , et il n'attendait rien de bon d’une sentence qui
serait rendue ou dans une taverne, ou dans le cabinet de ses adversaires. Il con
sulta ses amis; leur avis fut qu’ il devait user du droit que la loi lui donnait de
récuser cette juridiction suspecte, et de réclamer la protection de ses j uges natu
rels. D’ailleurs c’était le moyen de mettre un terme à toutes les chicanes du sieur
Jozian. Audacieuses devant des arbitres, elles seraient timides en présence des
magistrats. M. Giroud forma donc une demande en nullité de la clause compromissoire contenue dans le marché du 30 novembre 1838. Cette demande, pour
être régulière, dut être intentée non seulement contre MM. Jozian et Sauret, mais
encore contre M. Pezerat avec qui le marché avait été fait. Elle fut portée devant
le tribunal civil de Paris, lieu du domicile contractuel de toutes les parties, et du
domicile réel de l’un des défendeurs.
MM. Jozian et Sauret avaient pour conseil à Paris cet habile praticien dont on a
déjà parlé. Aussi toutes les ressources de la chicane furent employées par eux pour
empêcher le jugement de cette demande. Ils prétendirent d’abord que l’assignation
qu'ils avaient reçue était nulle pour vice de forme. Ils attaquèrent ensuite la com
pétence du tribunal. Un jugement rendu par la 5* chambre du tribunal de la Seine,
le 2 décembre 18/i 5 , déclara l’assignation régulière et le tribunal compétent.
MM. Jozian et Sauret interjetèrent appel, et par cette tactique, ils sont parvenus à
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suspendre jusqu’à présent l’annulation de la clause compromissoire qui, d’après |
la loi et la jurisprudence, ne peut souffrir aucune difficulté sérieuse.
Mais si la nullité de cette clause est évidente, on demandera peut-être quel
avantage il peut y avoir pour MM. Jozian et Sauret à différer un jugement qu’ils
ne peuvent pas éviter. C’est ici le dernier trait de cette affaire. On ne connaîtrait
pas les adversaires de M. Glroud sans ce qui reste à raconter.
La demande en nullité de la clause compromissoire avait été signifiée à MM. Jo- »
zian et Sauret le 29 mai 1845. Le même jour, MM. Jozian et Sauret se présentent \
devant le président du tribunal de commerce de Brioude, et lui demandent la no
mination d’ un arbitre pour remplacer M. Lamothe. Le président qui ignore que
la clause compromissoire est attaquée, nomme M. Sabattier-Gasquet, charpentier
en bateaux. MM. Jozian et Sauret signifient cette nomination à M. Giroud, mais au
lieu de faire cette signification à son domicile, ils la font aux Barthes, en parlant
à son préposé, pour qu’elle lui reste inconnue pendant quelques jours. Cette
signification est suivie de deux autres au même lieu ; mais celles-ci méritent une
attention particulière. Ce ne sont plus MM. Jozian et Sauret, les adversaires de
M. Giroud, qui lui adressent un huissier, ce sont MM. Dorival, Couguet et SabattierGasquet, qui se posent comme ses juges, et qui, à l’exemple des prêteurs romains,
lui envoient l’appariteur pour le traîner à leur tribunal.
Quand la copie de ces exploits parvint àM. Giroud, il croyait rêver en les lisant,
tant il lui semblait singulier de se voir interpellé, provoqué et saisi pour ainsi dire
corps à corps par des gens qui avaient la prétention de le juger. Était-ce donc
avec M. Dorival qu’il avait un procès? Devait-il quelque chose à M. Couguet?
Avait-il jamais vu M. Sabattier-Gasquet? De quel droit ces messieurs le pour
suivaient-ils? Eussent-ils été ses juges, qu’une justice aussi acharnée aurait eu
quelque chose d’effrayant Cependant, comme ils pouvaient ignorer que M. Giroud
avait demandé la nullité de la clause compromissoire, sur laquelle reposait leur
prétendu pouvoir, il leur fit dénoncer cette demande en leur rendant, comme cela
était naturel, exploit pour exploit. Il leur déclara en même temps qu’il protestait
contre leur qualité d’arbitres et contre toute opération d’arbitrage ; puisque le
compromis était attaqué, c’était une question préjudiciellequi devait être examinée
avant tout. Cetto protestation fut signifiée à chacun des arbitres les 11, 12 et 15
juillet 1845.
Nonobstant cette protestation, les prétendus arbitres se réunissent le 18 juillet,
et décident que M. Giroud serait sommé de se présenter devant eux. Qu’ils aient
pouvoir ou non, ils jugeront. M. Jozian triomphait. Qu’avait-il à désirer de mieux
qu’ un adversaire qui no pouvait pas se défendre et un tribunal qui voulait absolu
ment juger 1 C’était le cas de demander tout, puisqu’on no serait contredit sur
r>cn. m . Jozian était trop habile pour ne pas profiter de cette circonstance. Jus-
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qu’alors il n’avait demandé qu’ une place pour déposer ses charbons, il prétendait
que celle qu’ on lui offrait n’était pas convenable, la question était donc réduite â
quelques mètres de terrain, et en supposant que M. Jozian fut fondé à refuser la
place qui lui était offerte, tout ce qu’ il pouvait réclamer était une indemnité
égale à la location d’une place meilleure. Le procès en lui-même était donc
chétif et misérable, mais M. Jozian va lui donner tout à coup des proportions
irigantesques. Ce ne sont plus quelques mètres de terrain qu’il lui faut, c’est la
fortune entière de M. Giroud qu’il va demander, c ’est sa personne, c’est toute la
raine des Barthes qu’il faut lui livrer. Il se présente,, en effet, devant les trois
hommes, qu’il a érigés en juges, et voici la série des nouvelles demandes qu’il a le
courage de leur adresser: Il veut d’abord 30,0Q0 fr., une fois payés; c ’est, d it-il,
pour l’indemniser notamment du cautionnement d e 54,000 fr., que M; Pezerata
été condamné à fournir par la sentence arbitrale du 17 juin 1840; mais ces 30,000 fr.
ne lui suffisent paa^ il: veut de plus une rentq de 48,000 fr. par an, qui lui sera
servie pendant quinze ans, ce qui donnerait un chiffre de 720,000 fr. Ces préten
tions insensées sont déguisées, il est vrai, sous des.formes hypocrites; ce n’est pas
une rente pure et simple que JU. Jozian demande, c ’est l’exécution du marché,
pourvu qu’on l’exicute à sa manière ; il veut bien prendre les charbons, pourvu
que la livraison soit faite sur le bord de l’Allier( à deux kilomètres du lieu convenu,
Sinon le marché sera résolu , et on-lui paiera autant de fois 40 cen t qu’on aurait
dû lui livrer d’hectolitres de charbon, ce qui veut dire qu’au lieu de vendre à
M. Jozian 120,000 hectolitres de charbon, moyennant 108,000 fr., qu’il n’aurait pas
pu payer, on lui servira tous les ans une rente de 4,800.000 cen t ou 48,000 fr.,
ce qui lui sera beaucoup plus agréable.
Quand M, Giroud apprit que les prétendus arbitres s’étaient constitués en
tribunal, il crut devoir leur signifier uno nouvelle protostation par exploit d’huis
sier du 19 août 1845. II leur disait dans cet: acte que- s'il pouvait convenir «
M. Jozian de plaider sans adversaire, il ne pouvait convenir à■des hommes hono
rables de s’associer à cette tactique, et de condamner aveuglement celui qui, con
testant leur compétente devant: un autre tribunal, ne pouvait pas- se défendre
devant eux.
Ce langage ne fut pas compris, et, malgré l’appel fait à leur honneur,, les trow
prétendus arbitres se réunirent le 29 août, pour procédera un simulacre de juge
ment. La protestation de M. Giroud fut réitérée devant eux par son avocat, et
inscrite en ces termes dans le procès-verbal : loquet a dit qu'il se présente unique
ment pour réitérer les protestations qu’il nous a fait signifier; qu'il persiste il sou
tenir que la clause compromissoire étant par lui arguée de nullité, et l'a/fairc étant
indiquée devant la cinquitme chambre du tribunal de la Seine au samedi, 30 du
courant, nous n’aoions, quant à présent, ni caractère ni pouvoir pour te juger.
Toutes ces protestations furent inutiles; MM. Jozian et Sauret voulaient une sen
�tence, ils en obtinrent deux, l’une sur la question de sursis, l’autre sur la question
de fonds.
Ces deux sentences méditent d’être lues. La première porte la date du 29 août
1845. Elle décide que M. Giroud n’a pas droit d’attaquer la clause compromissoire,
qu’en conséquence, la demande en nullité qu’il a formée devant le tribunal de la
Seine doit être rejetée. Ainsi, cette demande qui est soumise aux magistrats de
Paris, la voilà jugée à Brioude par MM. Dorival, Côuguet et Sabatticr-Gasquet. Et
par quels motifs est-elle rejetée ? M. Dorival et ses collègues prétendent-ils ap
prouver les clauses compromissiores, malgré l’unanimité des arrêts qui les pros
crivent? Non, ils les condamnent en principe, mais ils refusent à M. Giroud le
bénéfice de ce principe, et ils déclarent qu’il doit avoir pour juges MM. Dorival,
Couguet et Sabattier-Gasquet, par la raison notamment qu’il n’a pas voulu d’eux
pour juges, et qu’il a contesté leur nomination devant la Cour royale de lliom.
« Attendu, dit la sentence, qu’il a appelé des ordonnances qui ont nommé
» MM. Sabattier-Gasquet et Couguet. » Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que le
fait était complètement faux en ce qui concernait M. Sabattier-Gasquet, qui n’était
pas même ¡nommé lorsque M. Giroud avait demandé la nullité de la clause com
promissoire; mais le fait fut-il vrai, il serait assez bizarre qu’ un juge devint
compétent par cela seul qu’on a contesté sa compétence.
Mais si cette première sentence est bizarre, la seconde, il faut bien le dire, est
révoltante. M. Jozian demandait, comme on l’a v u , 750,000 francs d’indemnités,
c était un rêve, une dérision, une extravagance. M. Dorival et ses collègues
prennent cette demande au sérieux , mais ils la trouvent pourtant un peu exagérée,
et dans leur équité profonde, iis arbitrent l’indemnité à la somme modeste de
066,000 francs, payable dans les termes de la demande, savoir : 26,000 francs de
suite et le surplus en cas de résolution du marché, et par annuités de 36,000 francs
pendant quinze ans.:1Après cette décision, il ne leur restait plus qu’à prononcer
la résolution du marché; ils la prononcent, et ils déclarent le marché résolu de
plein droit si les livraisons de charbon sont interrompues pendant quinze jours ,
soit par suite de refus de Giroud et consorts, soit à raison de difficultés nouvelles ,
provenant de leur fait. Enfin, ils év.'tcnt de dire si les livraisons doivent se faire
sur le carreau do la m ine, comme le voulait le m arché, ou sur le bord de la
rivière, comme le demandaient MM. Jozian et consorts; ils se contentent d’ordonner
qu elles auront lieu dans les conditions de ta sentence arbitrale du 6 juin 1843 et
du marché verbal du 30 nobembre 1838. Par cette réticence, ils laissent subsister
la difficulté; et commô on doit s’attendre que MM. Giroud et Consorts ne voudront
pas livrer sur le bord de l’Alliér, à deux kilomètres de leur mine, Cette combi
naison perfide réserve à MM. Jozian et Sauret un prétexte tout prêt pour dire que
la résolution est opérée par le fait de M. Giroud et que l’indemnité de 566,000 fr.
leur est acquise. Telle est cette sentence, qu’on pourrait traduire par ces mots:
a m' ne tlcs Uarthes est adjugée à MM. Jozian et Sauret.
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Une circonstance particulière augmentait l’audace de cette décision. Pendant
qu'elle s’élaborait à Brioude, M. Giroud pressait l’audience à Paris pour plaider
sur la nullité de la clause compromissolre. La cause fut retenue aux audiences
des 17 et 24 septembre, mais n’ayant pu venir en ordre utile, elle fut remise par
le tribunal avec injonction que toutes choses demeureraient en état. Cette injonction
prononcée contradictoirement avec MM. Jozian et Sauret ne fut pas attaquée par eux;
Elle les obligeait donc de cesser toute poursuite devant les prétendus arbitres. Elle
obligeait les arbitres eux-mêmes dont elle suspendait le mandat, mais ceux-ci
n’en tinrent pas compte, quoique M. Giroud leur eut fait notifier par deux fois
la décision du tribunal. Ils cherchèrent seulement à l’éluder en donnant à leur
sentence la date du 15 septembre quoiqu’elle n’ait été déposée que le 8 octobre
suivant.
M. Giroud se pourvut immédiatement devant le tribunal civil de Brioude par
voie d’opposition à l’ordonnance d’exéquatur. Le fonds de la prétendue sentence
n e pouvait pas être révisé, mais la forme était aussi vicieuse que le fonds. Plusieurs
moyens de nullité se présentaient ; le premier résultait de la nullité de la clause
compromissoire qui était la base du prétendu arbitrage. Mais cette nullité était
demandée devant le tribunal de la Seine, et la même question entre les mêmes
parties ne pouvait pas être soumise à deux tribunaux différents. Il fallait donc
que le tribunal de Brioude suspendit son jugement jusqu’à ce que le tribunal do
la Seine, saisi avant lu i, eut prononcé. M. Giroud avait conclu dans ce sens, et il
fut fort étonné d’apprendre que le tribunal de Brioude , mal informé des faits,
ou cédant à quelque prévention involontaire, avait prononcé sur le fonds et
décidé non seulement que la prétendue sentence arbitrale était régulière, mais
encore qu’il y avait lieu à l’exécution provisoire du jugem ent
Ainsi, la main qui dirigeait M. Jozian avait si bien conduit les procédures,
qu’ une contestation insignifiante sur la convenance d’ un coin de terre aurait fini
par produire une créance de 566,000 fr. payable par provision 1
Appel de ce jugement est interjetté devant la Cour royale de Biom, et avant
tout, des défenses d’exécuter sont réclamés de sa justice.
D ISC U S SIO N .
Quand on a parcouru les actes de cette cause, on est étonné de toutes les
procédures qui ont eu lieu et on se demande ce que cela signifie. Est-il vrai,
comme le dit M. Jozian, quo M. Giroud ait vendu ce qu’ il no peut pas livrer?
Est-il vrai, comme le dit M. Giroud, que M. Jozian ait acheté ce qu’il ne peut
pas payer?
La mine des Barthes produit chaque annéo 300,000 hectolitres do charbon. Elle
pourrait produire beaucoup plus, mais on no parle que de son état actuel.
�li’extraction se fait par trois puits. I/un de ces puits a été percé par les ordres
de M. Giroud, et n’a pas coûté moins de 150,000 fr. M. Giroud a fait cette
dépense en vue du marché qu’il venait de conclure avec M. Pezerat et pour mettre
la production au niveau de tous les besoins. Ce marché lui assurait un débouché
de 120,000 hectolitres par année ; chaque jour amenait de nouveaux consomma
teurs; il n’a donc pas hésité à faire des frais qui étaient couverts d’avance par la
certitude des bénéfices.
Il pouvait donc livrer. Dira-t-on qu’il n’a pas voulu ? mais pourquoi donc extraitil du charbon? n’est-ce pas pour le vendre ? n’est-co pas là son industrie, sa
profession, son occupation, son existence ? à qui persuadera-t-on qu’ un marchand
refuse de vendre sa marchandise?
On alléguera peut-être que le prix de 90 cent, par hectolitre ne lui parait pas
assez avantageux, mais il déclare au contraire que ce prix est excellent ; il offre
de prouver que ce prix lui assure un bénéfice très raisonnable. Si donc il peut
livrer, s’ il a intérêt à livrer, on ne peut pas supposer qu’il refuse de livrer.
Dira-t-on qu’il a refusé en 1840 et en 1841 ? mais son refus avait un motif
légitime que la justice a reconnu. En 1840, M. Pezerat était tombé en déconfiture.
M. Giroud devait-il livrer son charbon quand il courait le risque de n’être pas
payé? Les arbitres, auxquels cette question a été soumise, l’ont résolue en sa
faveur par leur sentence du 17 juin 1840 ; ils ont astreint M. Pezerat à donner
caution. Cette caution s’est fait attendre longtemps. Est-ce la faute de M. Giroud,
et peut-on lui reprocher de n’avoir pas livré sans caution quand les arbitres ont
jugé qu’il ne devait livrer que sur caution?
Mais pourquoi n’a-t’ il pas livré en 1841? parce que M. Jozian, interprétant le
marché à sa guise, ne voulait accepter comme gros charbon que celui qui ne
passerait pas dans un anneau de 20 centimètres de diamètre. Cette prétention
de M. Jozian était-elle fondée ? il faut bien reconnaître qu’elle ne l’était pas,
quoiqu’elle ait été accueillie d’abord et môme dépassée par la sentence arbitrale
du 24 mai 1841 ; mais cette sentence a été rétractée par celle du 6 juin 1843Les arbitres ont reconnu l’erreur dans laquelle ils étaient tombés ; ils ont réduit
eux-mêmes les grosseurs impossibles qu’ils avaient d abord adoptées; ils ont forcé
M. Jozian à abandonner et l’exception de chose jugée dans laquelle il se retran
chait, et la grosseur de 20 centimètros qu’il réclamait. Cependant M. Giroud
avait refusé de livrer le gros charbon tel que M. Jozian l’exigeait. Avait-il tort
de repousser une exigence qui a été proclamé injuste ?
On arrive ainsi jusqu’au milieu do l'année 1843. Demandera-t-on pourquoi
M. Giroud n’a pas livré depuis cette époque? mais c ’est alors que M. Jozian s aviso
de vouloir changer le lieu de la livraison. Elle devait se faire sur le carreau de
la mine ; M. Jozian veut qu’elle se fasse à deux kilomètres plus lo in , sur le bord
�— 'JO —
de l’ Allier ; il prétend en outre que le port des Barthes ne lui convient pas, et
que si M. Giroud ne lui en donne pas un autre, il a droit, non pas de s’en procurer
un aux frais de M. Giroud, mais de refuser les livraisons qu’on lui offre et
d’accuser M. Giroud de ne pas vouloir livrer.
Or, ces nouvelles prétentions de M. Jozian sont-elles plus raisonnables que les
anciennes? Où doit-on lui livrer le charbon ? sur le carreau de la mine. La loi et la
convention sont d’accord à cet égard. La loi veut que la marchandise se livre au
lieu où elle était au moment de la vente. (Art. 1600 du Code civil.) Tout corps cer
tain doitêtre livré au lieu où il se trouve. (Art. 1247 et 1264.) La convention main
tient cette disposition de la loi ; voici en effet comment les parties se sont expri
mées : « Comme cette houille est destinée en partie à fabriquer du goudron, à
• extraire d’autres produits, et à être aussi, en partie, transformée en cok e,
» MM. Chevalier et Giroud seront tenus de fournir à M. Pezerat, d’après la dési» gnation qu’il en fera, le terrain nécessaire pour la construction des appareils ;
» et ce, sur L’emplacement même de l'exploitation, dans la partie la plus voisine
» de l’extraction, sans toutefois que cela puisse entraver ladite exploitation. Ils
» fourniront aussi l’eau nécessaire à la condensation des produits bitumineux
» prise à l’orifice du puits, plus le terrain pour l’établissement des magasins dont
» M. Pezerat aurait besoin. MM. Chevalier et Giroud s’obligent à faire,transporter
» à leurs frais, au bord de l’Allier, à leur port et sur le terrain qu’ils fourniront,
» tous les produits de la compagnie (Pezerat), et même les charbons en nature,
» s’il lui convenait de ne pas les manipuler. »
Cette convention impose aux vendeurs l’obligation de fournir aux acheteurs
deux terrains ; l’u n , sur l’emplacement même de l’exploitation ; l’autre, sur le
bord de l’Allier. Pourquoi ces deux terrains ? Le premier est destiné à la manipu
lation du charbon, l’autre à son exportation. Sur le premier, le charbon sera tra
vaillé pour être converti en coke ; sur le second, il sera déposé pour être embar
qué. Mais avant que l’acheteur s’empare de la marchandise pour la travailler, il
faut qu’il en prenne livraison. Où donc lui sera-t-elle livrée? où recevra-t-il les
333 hectolitres qui doivent lui être mesurés chaque jou r? il no peut les recevoir
que sur le carreau de la mine, puisque c’est là qu’il doit les manipuler. Dira-t-on
que le vendeur est tenu de transporter les charbons manipulés ou non sur les
bords do l’Allier? c’est une obligation particulière distincte de la livraison. 11 ré
sulte des termes mêmes de la convention, que lorsque la marchandise sera ainsi
transportée, elle appartiendra déjà à l’acheteur, elle sera devenue sa chose,
elle aura pu être transformée par son travail, elle lui aura donc été livrée aupa
ravant. Où donc aura-t-elle été livrée, si ce n’ost sur le carreau de la mine?
La livraison et le transport des marchandises sont deux opérations fort diffé
rentes. Qu’ une marchandise livrée soit transportée ensuite aux frais du vendeur,
qui prête à l’acquéreur ses voitures ou ses wagons, cela est tout simplo; mais .quo
�— 21 —
la livraison d’ une forte partie de charbon puisse se faire ailleurs que sur le lieu
môme de l’extraction, c’est ce que personne ne pourrait comprendre. Pour livrer
tous les jours 333 hectolitres de charbon, moitié gros, moitié menu, il faut tomber
d’accord sur la qualité et sur la mesure. Peut-on choisir la qualité ailleurs que sur
la mine? peut-on faire voyager 333 hectolitres sans:les avoir mesurés? ou bien
faudra-t-il les mesurer deux fois, d’abord à la mine et ensuite au port? faudra-t-il
faire cette double opération tous les jours, et cela pendant quinze années de suite?
Telle n’a pu être l’intention des parties ; il faut donc reconnaître que soit que l’on
consulte la l o i , la convention ou le bon sens, c ’est sur la mine que les charbons
doivent être livrés. Aussi, dans une lettre écrite huit jours avant la conclusion du
marché, M. Pezerat s’exprimait ainsi : « J’ai l’honneur de vous envoyer l’indica» tion du terrain choisi par moi aux m in a des Darlhes; je n’ai pas jugé conve» nable do changer la première indication que je vous avais adressée. » Et cette
lettre était accompagnée d’un plan descriptif où le terrain se trouvait en effet
choisi et marqué par M. Pezerat sur le carreau de la mine.
' ’
Mais comment M. Jozian a-t-il pu prétendre que le. charbon devait être livré
ailleurs? ne se souvient-il plus de l’usage qu’il voulait faire lui-même du terrain
choisi par M. Pezerat? il voulait en faire non-seulement:un atelier pour y mani
puler son charbon, mais encore une boutique pour l’y vendre.> M. Giroud s’est
plaint de cet abus, qui a été réprimé, par la sentence arbitrale du G juin 1863,
dont voici la disposition : Faisons défense au sieur Jozian de vendre et débiter sur
le carreau de la mine, ou sur les terrains qui lui seront fournis "par tes sieitrs
Giroud et Chevalier, en exécution de la convention, les charbons que ces derniers
devront lui livrer. Pour vendre sa marchandise, il fallait d’abord qu’elle lui eut été
livrée. Or, dans quel endroit voulait-il la vendre? sur le carreau de la mine. C’était
donc là qu’il l’avait reçue.
Pour terminer sur ce point, on ajoutera que plusieurs livraisons ont été faites ii
M. Jozian sur le carreau de la mine, notamment le 11 et 12 août 1843. Il les a
acceptées; et s’ il a changé tout-à-coup d’idée, que ce soit caprice, ou spéculation,
ou besoin de chicaner, ou impuissance de payer, lo fait n’en subsiste pas moins.
C’est donc à la mine que le charbon devait être livré. La convention est évi»
dente, et M. Jozian lui-même l’a reconnu. M. Giroud a donc raison de vouloir
livrer sur le carreau de la mine ; 11 est dans son droit ; et si M. Jozian ne prend
pas livraison, ce n’est pas la faute de M. Giroud.
Mais, dit-on, M. Giroud doit fournir un emplacement sur les bords de l’Allier
pour y déposer les marchandises do M. Jozian. Or, la livraison de cet emplacement
sur le bord de l’Allier, et la livraison du charbon sur lo carreau de la mino', sont
une seule et même chose. Si donc M. Giroud n’a pas fourni un terrain sur le bord
de 1 eau, on aura droit de dire qu’il refuse de livrer à la mine.
�— 22 —
Cela n’est pas sérieux. L’obligation do livrer le charbon et l’obligation de fournir
u n l i e u d’embarquement, sont deux choses distinctes et Indépendantes l’une de
l’autre. Lors môme que M. Giroud n’aurait pas pu fournir à M. Jozian un terrain
sur les bords de l’Allier, cela n’empêchait pasM. Jozian de prendre livraison, et
même d’embarquer sa marchandise. La place ne manque pas le long de la rivière,
et rien n’était plus facile que d’y obtenir la jouissance de quelques mètres de
terrain aux frais do M. Giroud. Cette jouissance aurait coûté peut-être 1 fr. le
mètre (ou 10,000 fr. l’hectare) ; c ’était une centaine de francs au plus que M. Jo
zian aurait pu réclamer à titre d’indemnité.
Mais est-il vrai quo M. Giroud ait refusé lo terrain qu’il devait fournir au bord
de l’ Allier ? Lo 29 août 1843, M. Jozian a fait dresser un procès-verbal par
M. Gourcy, notaire, hommo qui lui a montré un dévouement sans bornes. Voici la
déclaration do M. Giroud , constatée par M. Gourcy : « Qu’il Ignoro le motif pour
« lequel M. Jozian n’a pas continué à prendre les livraisons qu’ il avait cornmen» céos lo 11 de ce m ois....; qu'il offre do lui livrer dès demain la quantité de chari» bon qu’il peut lui devoir...; que quant il l’emplacement nécessaire pour placer
»
»
«
»
»
«
n
»
les charbons dont M. Jozian doit prendre livraison, M. Giroud lui offre la partie
du port qui appartient à la Société des llarthes, qu'il voudra choisir, à côté des
charbons qui ont déjà été déposés par ladito Société... ; quo M. Giroud no peut lui
fournir d’autro emplacement que celui dont 11 sa sert pour lo dépôt du charlion
des Barthes ; que do l’avis do tous les exploitants du bassin, lo port actuel est le
plus élevé de tous les terrains qui se trouvent lo long de l’AllIer; qu’il réitère
l’offre qu’il a faite au sieur Jozian de recommencer les livraisons des domain, et
rie lui fournir lu partie du )>ort la plus convenable pour y déposer les char-
» bons..,. »
Ainsi M. Giroud mettait lo port des llarthes à la disposition de M. Jozian ; il lui
donnait à choisir dans touto l’enceinte du port la place qui lui conviendrait le
plus. Devait-Il autro chose7 était II obligé de fournir une place ailleurs que sur
son propre terrain? Voici les termes de la convention: VW. Giroud et Chevalitr
s'obligent à faire transjiorter à leur port et sur te terrain qu'ils fourniront tous les
vroiluits de ta comjxignie l'ezerat. C’est donc au port des llarthes que les produits
doivent être transportés : c’est là que le terrain doit Ctre fourni.
il plaît aujourd’hui à M. Jozian de prétendre que le port des llarthes n’est pa*
«'ontenable. Mais il est tel qu’ il était au moment de cette convention. Si le fond
du »ol se compose de u tile ou de gravier, cela n’est pas nouveau ; si la rive n'est
élevée que d'un métro et demi au-desmis du Ilot, l'élévation était la mémo quand
les partira ont traités. On fournit à M. Joilan ce qu'on a promu & M. P w era t.
ul plus ni moin». Il est vrai que M. Jozian a m i d'un cnil jaloux certains tra\aiix rxécuU-i par ta Société dos Marthe*, pour ethauw er le terrain où elle dépow
«4 charbons: mal* qui cm pM iall M. Jojian de faire rem blayer. de ton c ô t* .
�1’emplaccinent qu’il choisirait? On lui fournit le terrain, c’est à lui (le s’y installer
et d’y protéger sa marchandise. Une rivière est un voisin toujours dangereux. Le
port des Barthcs n’est pas plus que tout autre à l’abri des inondations (1 ). M. l’ezerat le savait, et cependant il n’a demandé qu’ une place dans ce port. Cette place
a été constamment offerte, M. Jozian ne peut exiger davantage.
Cependant M. Giroud a fait offrir à M. Jozian, et lui offre encoro de placer ses
charbons sur la partie remblayée, et derrière les charbons de la Société des Jlartlies. Ainsi los marchandises do la Société serviraient do rempart aux marchandi
ses de M. Jozian, et celles-ci no seraient atteintes par les eaux que lorsque celleslà auraient disparu. Certes, il était impossible do montrer plus do complaisance,
plus do bonno fol, plus do bonno volonté.
Comment donc M. Giroud peut-il ôtro accusé do no pas vouloir livrer les char
bons qu’il a vendus? 11 n’exploite quo pour vendre et livrer; il trouve un notable
bénéficodanslo prix do 90 centimes par hectolitre ; ce n’est qu’en livrant qu’il peut
réaliser ce bénéfice ; il a d’ailleurs dépensé 150,000 francs pour augmenter l’ex
traction et satisfalro à toutes los exigences do la consommation, comment refuse
rait-il do livrer? S’il a refusé en 1840, c'est quo l’achotour était en déconfiture ;
s’ il a refusé en 1841-1843 c’est quo M. Jozian exigeait dos grosseurs exhorbltantes
et impossibles, enfin s’ il n’a pas livré dopuis 1843, c ’est que M. Jozian prétendait
d’un côté quo la livraison devait étro faito au port, ot d’ un autro côté qu’ollo 110
pouvait pas y ôtro falto parco quo lo port n’était pas convenable ; ainsi M. Giroud
pouvant et voulant livrer, M. Jozian l’on a constamment empôché.
' M. Giroud aurait pu, à l'exemple do son adversaire, accumuler les procèsverbaux pour constater ses offres do livrer ; mais la quantité do charton produite
par la mlno était un Tait do notoriété publlquo; Les sentences arbitrales do 1840,
1841 et 1843, décidaient quo M. Giroud n’avait jamais été on retard do livrer, ot
M. Jozian était forcé do reconnaître quo depuis 1843, les livraisons lui auraient
été faites s’ il avait voulu les recevoir. M. Giroud peut cependant invoquer deux
procès-verbaux, l’un du 29 août 1843, dressé à la requéto de M. Jozian ; l'autre du
20 novembre 1845, dressé à la requéto do M. Giroud lul-méme. Lo premier dont
on a déjà parlé constate quo les livraisons avalent été commencées sur lo carreau
do la mlno, et quo M. Joxlan les ayant interrompues sous prétexte qu’elles devaient
ôtro faites sur lo port, M. Giroud a déclaré être prêt à livrer à la mlno lorsque
'I. Joxlan so présenterait pour recevoir. Lo second procès-verbal constate qu’ il
existait, tant sur la mlno qu'au port des liarthes, la quanti té do 50,000 hectolitres
(I , Il (virJ), en »Un, <pM le 4 ao«tabre 1813, un* cru* Mtraonfcuiir« a tu l»eu. C««l u»
luqtHl Irt mrUWurtpofli toc* n p o ih . TwWfo«« il o'y • p*« «u d* perte*. Ton! *•
d*» drui
Uiirt I M. Joiùo » M *jxrj»4.
�—
m
—
de houilles; qu’en outre, l’extraction quotidienne produisait 1000 hectolitres;que
la totalité de ces houilles a été m ise, par M. Giroud, à la disposition de Al. Jozian,
que-M. Giroud a offert de lui livrer, jou r par jo u r , 333 hectolitres, ou s’il l’aimait
m ieux, de livrer r sans désemparer et en travaillant jour et nuit, la quantité de
10,000 hectolitres, ou même une quantité supérieure; mais que M. Jozian n’a ré
pondu à ces offres que par de nouvelles chicanes, qu’il a prétendu notamment que
le notaire, rédacteur du procès-verbal, n’avait pas qualité parce qu’il était en
présence d’un notaire plus ancien !que M. Jozian avait amené ; qu’il a ajouté
qu’ayant apporté de l’argent pour payer 10,000 hectolitres, il voulait que cette
quantité lui fut mesurée dans une journée, ce qui était physiquement impossi
ble. Ainsi toutes les fois que M. Giroud a voulu livrer, M. Jozian a inventé des pré
t e x t e s pour ne pas recevoir.
!
La mauvaise volonté n’est donc pas du côté de M. Giroud. Cependant depuis six
ans on ne peut parvenir à exécuter le marché. Quelle en est la cause ? Comment
M. Jozian a-t-il toujours un prétexté tout prêt pour refuser les charbons qui lui
sont offerts? Il les refuse en 1840 parce'que l’Allier n’est pas navigable, il les re
fuse en 1841 parce que le gros charbon n’a pas 20 centimètres de diamètre, il les
refuse en 1843 parce qu’ils lui sont livrés sur la m ine, il les refuse en 1845 parce
qu’il veut 10,000 hectolitres en un instant. Chacun de ces refus est accompagné
d’une ou de plusieurs assignations dont la conclusion est qu’au lieu de charbon,
c’est de l’argent qu’ il faut lui donner. Qu^est-ce que cela signifie ? C’est que
M. Jozian n’est pas un acheteur sérieux, mais un spéculateur qui achète du char
bon pour avoir des dommages intérêts’, "et qui fait des procès pour extorquer des
sacrifices. Le marché même que M. Jozian s’est fait céder constate ce calcul se
cre t Ce marché comprend une énorme quantité de houille. Il CQnvenait à la
Société Pezerat, qui ayant entrepris de convertir la houille en asphalte, avait
intérêtà assurer son approvisionnement. Mais M. Jozian ne fabrique pas l’asphalte.
Que ferait-il donc de 10,000 hectolitres de houille qui lui seraient livrés tous le?
mois pendant quinze ans? 11 revendra en détail, dit-on. Mais quel est le détaillant
qui s’approvisionne quinze ans d’avance? D’ailleurs cette revente est-elle bien as
surée ? Quand on a demandé au sieur Jozian quels ôtaient ses acheteurs, il n’a
pas pu en nommer un seul. Enfin, il ne suffit pas d’acheter, il faut payer. Or pour
payer 9,000 francs par m ois, pendant quinze ans, même avec la chance de reven
dre, 11 faut avoir des capitaux disponibles. La fortune de M. Jozian est nulle ; au
lieu de capitaux, il a des dettes, et s’il exhibe quelquefois de l’argent dans les
procès-verbaux qu’il fait dresser, c’est l’argent d’autrui qui lui a été prêté à gros
in térêts soitpar MM. Marche et Comitis, de Clermont, soit par M. Sauret, de Uioni.
Ainsi M. Jozian est accablé par le marché Pezerat. Il ne peut ni payer, ni placer
la marchandise. Faut-il s’étonner qu’il refuse de la recevoir. ? Faut-il demander
par le fait de qui les livraisons n’ont pas lieu ? Ne faut-il pas au contraire admirer
les ressources prodigieuses de M. Jozian et de sesconseils, no doit-on pas envier
/
�leur imagination si habile, à trouver des motifs pour ne pas accepter le charbon,
aujourd’hui parce que la rivière est haute, demain parce que le port est bas,
ensuite parce que le charbon est petit, puis parce que la journée n’est pas assez
grande pour livrer 10,000 hectolitres à la fois? Ne doit-on pas enfin s’étonner de
l’audace avec laquelle ils accusent M. Giroud de ne pas vouloir livrer, eux qui ont
épuisé tous les prétextes pour éluder les livraisons?
Les positions sont donc rétablies, et désormais on ne parviendra plus à induiro
la justice en erreur sur le caractère général de cette affaire. Ii y a d’un côté une
mine de houille, largement exploitée, fécondée par des capitaux importants, et
versant chaque année, sur le sol, 300,000 hectolitres de marchandises. A la tète
de l’exploitation est un homme laborieux, loyal, intelligent, qui ne demande qu’à
vendre les produite que l’extraction accumule. Cet homme a promis de livrer une
partie considérable de houille. 11 s’est mis en mesure d’exécuter son engagement,
il offre, depuis plusieurs années, délivrer ce qu’il a promis. Mais de l’autre côté
se trouve une spéculation organisée entre un homme d’affaires, un industriel et
un banquier. Ces trois individus ont racheté le marché Pezerat, non pour l’exé
cuter, mais pour l’exploiter. Ils ne veulent pas de houille, et toutes les fois qu’on
leur en offre, ils ont des motif particuliers pour la refuser, mais ces refus qui ex
poseraient des acheteurs vulgaires à payer des dommages-intérêts, leur servent
de prétexte pour en demander. Ils veulent de l’argent et ils prétendent qu’on les
indemnise, parce qu’on ne leur livre pas ce qu’ils refusent de recevoir.
Les intentions des deux parties étant bien connues, on comprend parfaitement
que le marché Pezerat soit resté jusqu’à présent sans exécution, et, qu’au lieu
d’échanger de la houille contre de l’argent, les parties n’aient échangé que des
procès. Mais on comprend aussi que ces procès aient dû fatiguer M. Giroud, et
qu’il ait voulu y mettre un terme. C’est pour en tarir la source qu’il a demandé la
nullité de la clause compromissoire contenue dans le marché du 30 novembre 1838.
Il lui a semblé qu’un tribunal composé de magistrats imposerait plus à M. Jozian
qu’ un tribunal composé de trois arbitres, dans lesquels AI. Joziàn'croirait posséuer une voix, deux voix, et quelquefois trois voix.
Hr
Or M. (¡iroud va établir 1“, qu’en attaquant cette clause, il ne peut être accusé ni
de légèreté, ni d’infidélité à ses engagements; T que cetteclause estnulle aux yeux
de la loi ; 3° que lanullité n’a pas été couverte par l’exécution antérieure; h° quela
demande en nullité a dû être portée devant lé tribunal de laSeine; 5°qu’en présence
de cette demande les prétendus arbitres devaient surseoir à ^arbitrage ; 6° que >
dans tous les cas, le tribunal de Brioude devait surseoir à statuer sur l’opposition
à l’ordonnance d’exequatur; 7" qu’en supposant même cetto clause légitim e, les
arbitres ont excédé leurs pouvoirs en prononçant sur des questions qui ne leur
étaient pas valablement soumises; 8” qu'ils ont prononcé après que les délais de
�Tarbitrage étaient expirés; 9° qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner l’exécution pro
visoire du jugement qui a été rendu.
i"
P r o p o s itio n .
M. Giroud, en attaquant la clause compromissoire, ne peut être accusé , ni de
légèreté, ni d'infidélité à ses engagements.
Un honnête homme n’use pas toujours de son droit. M. Giroud le sait et il l’a
prouvé par sa conduite. Il voyait la jurisprudence proscrire unanimement les
clauses compromissoires ; le signal avait été donné par la Cour suprême, et toutes
les Cours du royaume y avaient répondu : il pouvait donc dès le principe, refuser
de compromettre et forcer M. Jozian à plaider devant leurs juges naturels. Mais il
n’a pas voulu invoquer le droit que la jurisprudence lui donnait, il a accepté des
arbitres ; et en vertu des pouvoirs qu’il leur a conférés, MM. Venant, Gibert et
Girard, anciens agréés prèsletribunal de commerce de Paris, ont statué trois fois
sur ses discussions avec M. Jozian. Cependant, lorsqu’ il leur conférait pour la
troisième fois la mission de le ju g er, il n’ avait pas lieu d'être satisfait de leur pré
cédente décision, car ils l’avaient condamné à livrer des grosseurs impossibles, et
M. Jozian, armé de cette sentence, réclamait déjà des indemnités énormes. M. Gi
roud , victime de cette erreur, ne réclama pourtant pas d’autres ju ges, et il com
promit de nouveau devant eux, persuadé que s’ils n’étaient pas infaillibles, ils n’en
étaient pas moins honorables et consciencieux.
Ces trois compromis prouvent assez que M. Giroud voulait rester fidèle à la con
vention qu’ il avait faite, quoique cette convention fût illégale. Mais ce n'est pas
tout. Après avoir plaidé à Paris, M. Jozian veut plaider à lirioude. 11 chicane sur
la convenance du port des Barthes, et il propose un arbitrage local. M. Giroud ne
voulait pas de procès, et il ne comprenait pas qu’ un procès fût possible, quand il
disait à M. Jozian : Choisissez dans le port des Barthes la meilleure place et prenezla. Cependant M. Jozian voulait un arbitrage local, et il proposa d’abord M. Gourcy
son notaire, et ensuite M. Dorival son géométre. Que fait M. Giroud? Il nomme
M. I.amothe de Frugières , homme honorable et indépendant. U respectait donc
toujours sa convention.
Mais s’il s’est à la fin adressé ii la lo i, s’ il a voulu revenir à ses juges naturels ,
est-ce par caprice, par légèreté, ou, comme on le dit, pour éviter une juste Con
damnation? Il suffît de rappeler les faits pour absoudre M. Giroud de tous ces re
proches. Quel a donc été le caractère de cet arbitrage local sollicité par M. Jozian?
Dès le début il s’est annoncé par la nomination de M. Gourcy. M. Gourcy avait
déclaré comme expert que le port dos Barthes n’était pas convenable; c’ e~t
M. Gourcy que M. Jozian chois/t pour prononcer comme arbitre .sur la même ques
�— 27 —
tion. Kt M. Gourcy ne se récuse pas; au contraire, il accepte. Voilà donc les
arbitres que !\I. Jozian va choisir. Voilà la délicatesse qui existe dans celui qui
nomme et dans ceux qui sont nommés. Il faut à M. Jozian des juges dont l’opi
nion soit connue d’avance. A défaut de M. Gourcy, M. Jozian nomme M. Dorival,
épicier-géomètre. Il va sans dire que M. Dorival pense comme M. Gourcy. Aussi,
de quelle manière commence-t-il ses fonctions? Il devait s’entendre avec M. Lamothe pour nommer un troisième arbitre ; mais M. Lamothe ayant été choisi par
M. Giroud, M. Dorival voit en lui non pas un collègue, mais un adversaire, et il le
fait sommer par huissier de se trouver dans une auberge de la commune de Ju
meaux pour s’entendre avec lui. Pourquoi à Jumeaux ? M. Lamothe demeure au
château de Frugières, M. Dorival demeure à Souxillanges (1) ; n’était-il pas plus
convenable que l’ un des arbitres se rendît chez l’autre, pour conférer sur le choix
du troisième ? ¡Mais Jumeaux est la résidence de M. Gourcy ; M. Gourcy sera dans
l’auberge, il s’imposera comme troisième arbitre, si M. Lamothe vient ; et s'il ne
vient pas, M. Gourcy dressera procès-verbal. M. Lamothe a été absent ; d’ailleurs
il n’aurait pas voulu faire descendre la justice arbitrale dans une auberge :
M. Gourcy dresse donc son procès-verbal. Plus tard, M. Dorival et M. Lamothe se
réunissent. Ils ne s’accordent pas, ce qui n’a rien d’étonnant d’après la manière
dont M. Dorival avait entamé la correspondance. Le troisième arbitre est donc
nommé par le président du tribunal de comm erce, sur la présentation de M. Jo
zian. Quel est-il ? C'est d’abord un négociant qui ne croit pas devoir accepter.
C’est ensuite M. Couguet, jeune avocat qui accepte. La profession de M. Couguet
semblait être une garantie de son impartialité, sa nomination même était une rai
son de plus pour y croire ; M. Giroud fut donc péniblement affecté de voir qu’a
vant l’ouverture des débats, la division existait dans le tribunal arbitral, et y
formait d’avance une majorité composée de MM. Dorival et Couguet, et une mino
rité composée de M. Lamothe. Cette majorité ne cherchait pas même à se dissi
muler , elle débutait de la façon la plus brutale. MM. Dorival et Couguet faisaient
sommation à leur collègue et aux parties de se trouver devant leur tribunal; et ce
tribunal, ils déclaraient l’établir non plus dans une auberge, mais dans le cabinet
de M. Veyrines, agréé à Brioude et conseil de M. Jozian. Était-ce là de l’impartia
lité? était-ce môme de la convenance? Depuis quand avait-on vu des juges envoyer
des huissiers à leurs collègues? des juges assigner à leur requête? des juges
s’asseoir au foyer d’ une des parties ? Cette attitude prise par MM. Couguet et Do
rival effraya M. Lamothe et lui fit donner sa démission. C’est alors que M. Giroud,
usant d’un droit que la loi lui donnait, déclara que, puisque M. Lamothe se reti
rait, il demandait à êtrejugé par des magistrats, juges naturels de toutes contes
tations. fttait-ce légèreté, ca p rice, ou mauvaise foi de sa part? Non certes ; mais
I
(I) Soiiùllangt's «si h 8 lieues de la mine des lUrllws M. Jozian allait l>icn loin pour cherclior un arbitre.
�il voulait des ju g es, et il ne pouvait voir que des adversaires dans ces deux
arbitres qui, avant tout débat, se constituaient en m ajorité, proclamant leur
opinion par leur conduite hostile et partiale. La suite a prouvé que ces deux ar
bitres n’étaient en effet que les instruments aveugles des volontés de M. Jozian. On
les a vus, bravant tous les principes et toutes les considérations, se faire
juges de leurs propres pouvoirs, déclarer valable la clause illégale dont la nullité
était demandée devant un autre tribunal, s’imposer à M. Giroud, l’assigner eu xmêmes pour comparaître devant eux, le juger par défaut malgré ses protetations ,
et le condamner sans l’entendre à 566,000 fr. de dommages-intérêts ! Une sentence
aussi scandaleuse justifie assez'la répugnance que ses auteurs avaient inspirée à
M. Giroud. Une juridiction qui porte do tels fruits est elle-même ju gée; et désor
mais personne né peut blâmer M. Giroud de n’avoir pas voulu livrer sa fortune à
l ’omnipotence de MAI. Dorival et Couguet.
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P r o p o s it io n .
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M.
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La clause compromissoire est illégale et nulle.
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Cette question a été si souvent jugée depuis dix ans que, c’est perdre le temps
que la discuter encore. Ilsufütde lire les arrêts qui ont été rendus, et d’entendre
ceux qui se rendent chaque jour. Quand la jurisprudence est aussi complette, aussi
unanime,' aussi persévérante, son autorité vaut celle de la loi.
Kaut-il citer les arrêts ? Tout le monde les connaît, et leur nombre s’accroît
incessamment On rappélera seulement, par leur date, trois décisions rendues ii
la Cour de cassation, les 10 juillet 1843, 21 février 1844 et 2 décembre 1844. (Jour
nal du Palais, tome II, 1843, page 235, tome I, 1844, page 596 et tome II, 1844,
page 567). Le dernier de ces arrêts ayant, après cassation, renvoyé la question
devant la Cour royale d’Orléans, cette cour s’est réunie en audience solennelle ;
la question a été de nouveau considérée sous toutes ses faces, et la clause com pro
missoire s’est vue définitivement condamner par arrêt du 5 avril 1845. (Journal du
Palais, tome I, 1845, page 536).
Cette jurisprudence est fondée sur le texte et sur l’esprit de l’art. 1006 du Code
de procédure civile. Cet article veut que le compromis désigne les objets en litige
et le nom des arbitres à peine de nullité. Pourquoi ces énonciations? Est-ce pour
la forme qu’elles sont imposées à peine do nullité? Cette peine serait bien sévère
si le législateur n’avait en vue que la perfection de l’acte et sa régularité exté
rieure; mais il se propose un but plus important, c’est une garantie qu’il veut
établir contre la légèreté et l’ irréflexion. On renonce volontiers à ses juges natu
rels quand on n’a j^as de procès; on ne sait pas alors combien la position élevée
du magistrat, son institution publique, son impartialité notoire, son habitude à
�— 29 —
distribuer la justice, inspirent de confiance au plaideur honnête et opprimé ; on
ne sait pas combien il y a de sécurité pour le bon droit dans les formes mêmes de
là justice ordinaire, dans la publicité des plaidoiries, dans la signification des
conclusions, dans la solennité des jugements; on ne comprend tout cela que lors
qu’on a le malheur d’être appelé sur le terrain funeste des procès; mais tant que
cet accident n’est pas arrivé, la justice magistrale et publique apparaît de loin
comme une importune, à laquelle il faut se soustraire, et substituer, le cas
échéant, une justice domestique et bourgeoise. C’est ainsi que les clauses com promissoires se glissent dans les actes, et que les parties abandonnent d’avance
une institution dont elles ne comprennent pas l’utilité. Et, pourtant, quoi déplus
nécessaire qu’un bon juge ? quoi de plus rare, en dehors de la magistrature? où
trouver des hommes qui réunissent l’ indépendance du caractère au sentiment du
devoir, la science du droit au tact des affaires, le respect des principes aux tolé
rances de l’équité? où trouver des hommes qui soient dignes de prononcer sur le
sort de toutes les familles, de toutes les propriétés, de toutes les existences? Ces
hommes siègent dans les tribunaux ; une longue et religieuse éducation les a pré
parés à ce grand ministère ; et la justice qu’ils rendent chaque jour complette leur
initiation, et achève de les former à son image: C’est ainsi que la société pourvoit
à l’établissement de cette institution sur laquelle tout repose, et sans laquelle la
société elle-même ne subsisterait pas. Mais pour que cette institution ne fut pas
un vain nom, il fallait empêcher que, par des clauses irréfléchies et des formules
de style, on ne lui en substituât une autre. L’art. 1006 du Code de procédure a été
fait dans ce but. Il ne prohibe pas la juridiction arbitrale, il permet, au contraire,
de l’établir en désertant la justice ordinaire, mais il veut qu’une détermination
aussi grave ne soit prise qu’avec prudence et réflexion. Il ne suffira donc pas de
convenir que, le cas échéant, on sera jugé par des arbitres ; cette promesse vague
et banale n’obligera pas, il faudra nommer les arbitres, et désigner le point liti
gieux qui leur sera soumis. Alors, la liberté d’abandonner ses juges naturels ne
sera exercée qu’en connaissance de cause. On saura quels hommes on leur préfère,
et quels intérêts on soustrait à leur vigilance. Le compromis désignera les objets
en litige et le nom des arbitres, à peine de nullité.
Pour éluder cette loi salutaire, on a imaginé de dire qu’une clause compromissoire n’était pas un compromis; mais où donc est la différence? Un compromis est
un contrat par lequel on renonce à la justice publique pour lui substituer une
justice privée. Qu’est-ce qu’ une clause compromissoire? c’est la même chose, ou
ce n’est rien. C’est, dit-on, la promesse de faire un compromis ; mais si cette pro
messe a pour effet d’intervertir la juridiction, c ’est un compromis ; si non, quel
sera son effet? d’obliger à des dommages-intérêts? mais des dommages-intérêts
supposent un préjudice, et il serait assez difficile de prouver qu’ il y a préjudice
dans la préférence donnée aux juges publics sur des juges privés.
D'ailleurs, ki loi ne veut pas être éludée. Si la clause compromissoire énonce le
4I
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nom des arbitres et les objets en litige, elle est légale et obligatoire quelque nom
qu'on lui donne. Si elle ne contient pas ces énonciations, elle est illégale et nulle.
Or, une stipulation nulle ne produit pas d’action en dommages-intérêts, car ce
serait un moyen de la rendre valable. La loi ne veut pas qu’on renonce indéfini
ment à ses juges naturels. Elle ne permet la juridiction arbitrale que par exception
et dans de certaines limites ; ou ces limites sont observées, et dans ce cas la stipu
lation subsiste, et le tribunal arbitral s’élève sur les ruines de la juridiction 01 dinaire, ou elles ne sont pas observées, et alors il n’y a rien, pas même une action
en dommages-intérêts.
On dit qu’une clause compromissoire qui ne contient pas le nom des arbitres
n'est pas contraires, aux bonnes mœurs. Peut-être n’est-elle pas immorale, mais
il suffit qu’elle soit illégale. Les prohibitions de la loi n’ont pas seulement les
bonnes mœurs pour objet ; elles s’occupent aussi de prévenir les dangers résul
tants des actes irréfléchis. C’est ainsi que la loi défend les donations sous signa
ture privée, les procurations générales d’aliéner, les clauses de voie parée; la
convention par laquelle un débiteur dispense son créancier des formes de la procé
dure en cas d’expropriation, n’est pas non plus contraire aux bonnes mœurs, elle
paraît même favorable au premier aspect, car elle a pour objet d’éviter des frais
au créancier et du scandale au débiteur ; mais la loi la défend, car, sous cette
apparence, elle voit le suicide de la propriété. Il en est de même des clauses compromissoires qui ne contiennent pas les énonciations que la loi exige.
On objecte enfin que ces clauses vagues et indéterminées sont permises dans le
contrat d’assurance et dans le contrat de société ; mais s’agit-il ici d’un de ces
contrats? non; il s’agit d'une vente. Les contrats d’assurance et de société ont
leurs lois particulières et leurs tribunaux exceptionnels ; mais tout ce qui n’est pan
dans l’exception reste dans le droit commun.
Or, le droit commun, c’est la juridiction publique à laquelle on ne peut se sous
traire qu'aux conditions prescrites par l’art. 1006 du Code de procédure. Ces con
ditions sont la sauve-garde des droits les plus sacrés qui, sans cette précaution de
la loi, se trouveraient, par imprévoyance, livrés à tous les dangers d’ une juridic
tion privée, souvent aveugle, quelquefois partiale, et soumise aux plus fâcheuses
influences. La cause de M. Giroud en offre un exemple frappant. Il est condamné
par des arbitres à 566,000 fr. de dommages-intérêts, pour n’avoir pas livré à son
adversaire un emplacement de quelques mètres qu’il ne lui devait pas, et que
celui-ci pouvait dans tous les cas se procurer ailleurs à très peu de frais. Cette
décision monstrueuse est accompagnée des formes les plus étranges, usurpation
de pouvoirs, coalition de deux arbitres contre le troisième, sommations faites aux
parties par le juge lui-même, désignation d’ un lieu inconvenant ou suspect, enfin,
précipitation et acharnement tels, que, malgré la demande en nullité de la clause
compromissoire, ces juges sans qualité, condamnent sans entendre, tant ils sont
�— 31 —
impatients d’accomplir leur tâche. De tels abus justifient assez les précautions dé
la loi et les décisions do la jurisprudence. Si cette jurisprudence n’existait pas, il
faudrait l’inventer pour le procès actuel.
:i'
p r o p o s itio n .
Im nullité de la clause compromissoire n'a pas été couverte par l’éxécution
antérieure.
La nullité d’une clause compromissoire qui ne désigne ni le litige ni les arbitres,
n’empêche pas les parties de faire un compromis contenant cette désignation ;
alors le compromis est valable, quoique la clause compromissoire soit nulle. La
juridiction arbitrale est alors établie pour l’objet et devant les juges désignés au
compromis ; mais pour tout autre litige qui pourrait exister dans l’avenir, la
juridiction ordinaire conserve son empire. C’est ainsi, que par trois fois, la
juridiction arbitrale a été acceptée par MM. Giroud et Jozian. Les arbitres étaient
désignés, les parties ont consenti ù plaider devant eux. C’était un consentement
libre et réfléchi ; la loi était satisfaite.
Mais ce qu’on ¡.fait spontanément une ou plusieurs fois, est-on obligé de le
faire toujours? non; car la liberté consiste précisément à pouvoir faire ou ne pas
faire. On comprend d'ailleurs que la volonté change quand les circonstances sont
changées. M. Giroud a pu compromettre pour plaider à Paris devant des hommes
qu'il savait être honorables quoiqu’ils ne fussent pas infaillibles, mais quand il s’est
agi de plaider ailleurs et devant d’autres hommes, il a pu sans inconséquence,
préférer ses juges naturels.
On prétend que toutes les nullités des actes sont couvertes par 1exécution. C’est
dire en d’autres termes que tous les actes vicieux peuvent être ratifies. Or, cette
proposition n’est pas vraie. Il y a des actes qu'on ne peut pas ratifier; il y a des
nullités qu’on ne peut pas couvrir; l'art. 1339 du Code civil en donne un exemple,
line donation sous seing privé ne peut pas être ratifiée; une clause compromissoire
peut-elle l'être si elle ne remplit pas les conditions vwilus par l’art. 100G du
Code de procédure ? C’est ce qu’il faut examiner.
On a déjà dit qu’elle pouvait être convertie en un compromis qui désignant le
litige et nommant les arbitres constitue un arbitrage régulier. En ce cas la clause
sera ratifiée et deviendra obligatoire pour la contestation particulière qui est
soumise aux arbitres désignés. Mais sera-t’elle ratifiée pour l’avenir en ce sens
que désormais les parties soient obligées de plaider devant un tribunal arbitral
quoiqu’il n’y ait ni arbitres ni litige désignés? non, certes, car la prohibition de
loi subsiste. Si la loi défend de faire un pareil contrat, elle defend évidemment
�V*
-
32 -
de le ratifier, la ratification équivaut à la convention, l’ une n’est pas pluspermise
que l’autre.
Il ne suffit pas qu’une obligation soit exécutée volontairement pour être ratifiée;
il faut, d’après l’art. 1,338, que l’exécution volontaire intervienne après l’époque
à laquelle l'otiligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée. Il y a donc
une époque où la ratification est impossible. Et en effet, tant qu’une incapacité
subsiste, l’incapable de contracter est incapable de ratifier : une femme m ariée,
un mineur ne peuvent, pendant le mariage ou la minorité, ratifier ies obligations
nulles qu’ils ont contractées. O r, l’incapacité de faire un acte que la loi défend,
estune incapacité perpétuelle. Ainsi la prohibition établie par l’art. 100G s’oppose
perpétuellement à la ratification d’une clause compromissoire qui ne contient pas
le nom des arbitres et l’objet en litige ; car les parties étant toujours incapables
de faire cette convention sont toujours incapable de la ratifier. La ratification
se trouverait infectée du même vice que la convention elle-même.
Mais, dira-t-on, si la clause compromissoire n’a pas pu être ratifiée pour l’avenir,
elle a pu être convertie en un compromis valable. O r, ce compromis existe.
M. Giroud l’a consenti et il ne peut s’en départir. C’est ce qu’ il faut examiner.
Est-il vrai qu’il existe un compromis, en vertu duquel JIM. Dorival, Couguet,
et Sabattier-C.asquet avaient été constitués arbitres-juges entre MM. Jozian et
Giroud? non, ce compromis n’existe pas; M. Giroud n’a jamais consenti it être
jugé par MM. Dorival, Couguet, et Sabattier-Gasquet. Il avait consenti à être
jugé par MM. Dorival, Couguet et Lamothe. Cela est vrai, mais M. Lamothe s’étant
retiré, ce consentement est devenu inutile. Dira-t-on que si M. Giroud avait
consenti à être jugé par M. Lamothe, il avait consenti à être jugé par tout autre?
non sans doute, car la confiance qu’ un arbitre inspire est toute personnelle.
Dira-t-on que lorsqu’ un arbitre désigné par le compromis n’accepte pas ses
fonctions, on peut s’adresser au j uge pour en faire nommer un autre ? cela est vrai
quand l’arbitrage est forcé; cela est faux quand l’arbitrage est volontaire. L’arbi
trage cesserait d’être volontaire si le choix des arbitres ne l’étaitpas. Dira-t-on enfin,
que M. Giroud était forcé de se soumettre à un arbitrage en vertu de la clause
compromissoire? ce serait supposer que cette clause était légale et obligatoire,
tandis que le contraire est démontré.
line dernière objection, à laquelle M. Giroud ne s’attendait guères, est celle de
la chose jugée. M. Jozian prétend que la clause compromissoire a été déclarée
valable, si non par un j u g e m e n t spécial, au moins par l’ensemble des jugement«
et arrêts intervenus entre les parties. Ces jugements et arrêts ne sont quo trop
nombreux, grâce à M. Jozian; mais dans le nombre, il no s’en trouve pas un seul
qui ait statué sur cette question, car cette question n’avait jamais été posée.
Or, une question qui n’a pas été posée peut-elle avoir été jugée? Une question
�qui n'est jugée par aucune décision qui lui soit spéciale peut-elle être jugée par
un ensemble de décisions qui lui sont étrangères? on parle cependant de chose
jugée. La chose jugée n’a lieu, dit l’art. 1351, qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet
du jugement ; il faut que la chose demandée soit la mêm e, et que la demande soit
fondée sur la même cause. Il faut donc, à plus forte raison, que la question ait été
posée; il n’y a donc pas de chose jugée sur une contestation qui n’a jamais été
soulevée.
Tout ce qu’on peut dire , c’est que pendant un certain temps les deux parties
ont été d’accord pour soumettre leurs différends à des arbitres. Des compromis
ont été faits et des jugements et arrêts ont été rendus soit pour nommer les
arbitres du consentement des parties, soit pour renvoyer devant les arbitres déjà
nommés. C'est ainsi par exemple que pendant la durée du premier arbitrage,
M. Jozian ayant formé devant le tribunal de commerce de Brioude une demande
en paiement de 50,000 fr. de dommages-intérêts, la cour royale de Riom décida
que cette demande devait être renvoyée devant le tribunal arbitral que les parties
avaient constitué et qui était actuellement saisi de leur différend. Mais la cour
royale de Riom n’a pas statué sur la nullité de la clause compromissoire, car
cette nullité n’avait pas été demandée.
«•
Plus tard, M. Giroud fut assigné en nommination d’arbitres devant le tribunal;
d’ Issoire. Il déclina la compétence de ce tribunal ; la cour royale de Riom
accueillit ce déclinatoire et renvoya la cause devant les juges qui devaient en
connaître. En résultait-il que la clause compromissoire était déclarée valable?
Enfin M. Giroud attaqua la nomination de deux arbitres, savoir : d’un M. Allézard
qui depuis a refusé sa mission, et deM. Couguet. Etait-ce pour nullité de la clause
compromissoire? non; c’était pour des motifs tout différents, que l a cour de Riom
a rejettes. Rien n’a donc été jugé sur la nullité de l a clause compromissoire.
Dira-t-on que la nomination de ces deux arbitres a été reconnue valable? cela est
vrai, mais deux arbitres ne suffisaient pas pour composer le tribunal arbitral ; o r ,
la troisième place ayant été donnée à M. Lamothe, M. Lamothe s est retiré; le
tribunal n’était donc pas complet, il n ’ e x i s t a i t donc pas de compromis désignant
trois arbitres qui acceptassent leur mission ; la clause compromissoire n’était
donc pas encore convertie en compromis, elle pouvait donc être attaquée.
Qu’on reproche à M. Giroud d’avoir critiqué à tort la nomination de M. Allezard
et de M. Couguet, ce reproche est juste, puisque M. Giroud a succombé; qu’on
l’accuse d'avoir voulu traîner l’arbitrage en longueur, ce reproche, quoique in
juste, a pu lui être adressé dans l’ignorance des faits ; mais qu’on prétende que
cas contestations incidentes ont eu la vertu de consacrer la validité d’une clause
dont la nullité n’était pas demandée, c’est ce qu’ il est impossible d’admettre.
•I est très vrai que M. Giroud ne s’est décidé que fort tard à invoquer la loi qui
5
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lui permettait de redemander ses juges naturels. Il est très vrai qu’il a respecté sa
convention, quoique illégale, jusqu’à la dernière extrémité. Il est très vrai qu’il
ne l’a contestée que lorsqu’il l’a vue devenir, dans les mains de M. Jozian, un ins
trument de fraude et d’iniquité; qu’en résulte-t-il? que cette clause a subsisté du
consentement des parties, tant qu’elle n’a pas été attaquée ; mais l’adhésion qu’elle
a reçue pour le passé, l’a-t-elle rendue valable pour l’avenir? non, car cette clause
contraire aux prohibitions de la loi n’était pas susceptible de ratification.
H faut donc reconnaître que la nullité n’a pas été couverte.
4 e P r o p o s it io n .
La demande en nullité a dû ftre portée devant le tribunal de la Seine.
L e tribunal de la Seine saisi de cette demande, s’est déclaré compétent par ju
gement du 2 décembre 18/|5. M. Jozian a interjetté appel, mais cet appel n’a pour
objet que de gagner du temps. M. Jozian voudrait que la justice prit pour le servir
deux allures différentes, qu’elle fut lente à Paris et précipitée à niom. Il sait bien
que la clause compromissoire doit être annullée, la jurisprudence ne lui laisse pas
le moindre doute., mais il retarde autant que possible cette décision inévitable, qui
sapera par sa base l’œuvre laborieuse de MM. üorival, Couguet et Sabattier-Gasquet! il voudrait que cette œuvre, amnistiée parle tribunal de lirioude, fut con
sacrée par la Cour royale de Kiom, avant de tomber à Paris sous le marteau de la
jurisprudence. En attendant sa chute, il posséderait un titre provisoire qu’il exé
cuterait, certes, sans rémission et sans quartier ; et quand il aurait encaissé,
M. G i r o u d pourrait obtenir des arrêts, mais non des restitutions.
En conséquence, M. Jozian décline la compétence du tribunal de la Seine ; mais
cette exception est repoussée par la loi, par la convention et par les conclusions
même de M. Jozian.
La loi veut que, lorsqu’il y a plusieurs défendeurs, la demande soit portée de
vant le tribunal du domicile de l’un d’eux, au choix du demandeur. (Art. 59 du
Code de procédure civile).
Il y a plusieurs défendeurs; car le marché du 30 novembre 1838 ayant été fait
avec M. Pezerat, il a fallu assigner M. Pezerat avec M. Jozian, son cessionnaire, pour
faire prononcer contre l’un et l’autre la nullité de la clause contenue dans
ce marché. lia môme fallu assigner les liquidateurs de M. Pezerat, pour procéder
régulièrement. Or, M. Pezerat et scs liquidateurs sont domiciliés à Paris. C’était un
premier motif pour saisir le tribunal de la Seine.
M. Jozian prétend quo M. Pezerat ne devrait pas être assigné parce qu’ il a cédé
son marché ; mais M. Jozian sc figure apparemment qu’ un marché qui contient des
�engagements réciproques peut se transmettre de main en main, sans laisser trace
de son passage. C’est manquer à la fois de mémoire et de réflexion. M. Jozian
devrait se souvenir que cette question a été agitée en 1840, et résolue par la sen
tence arbitrale du 17 ju in , qui a décidé que M. Pezerat devrait fournir un caution
nement de 54,000 fr. pour garantie du paiement de la houille, quoiqu’il déclarât
avoir cédé son marché. II. Jozian ne devrait pas oublier que cette décision a été
confirmée par la sentence arbitrale du 24 mai 1841, qui prononce queM. Pezerat
avait pu céder son marché, sauf l’accomplissement de la condition qui lui était
imposée par la sentence précédente, c ’est-à-dire en restant garant et en donnant
caution. D’ailleurs, si M. Jozian avait pris la peine de réfléchir sur la nature du
droit qu’il avait acheté, il aurait compris que M. Pezerat, étant obligé envers
M. Giroud, comme M. Giroud envers M. Pezerat, la cession faite par l’ un ne pou
vait pas le dégager envers l’autre, car si un créancier peut cédër sa créance, un
débiteur ne peut pas céder son obligation. Ainsi le marché' du 30 novembre 183!)
continue d’être obligatoire pour M. Pezerat. Il fallait donc appeler ,M. Pezerat
quand on demandait la nullité d’une des clauses de ce marché.
Quand même.M. Pezerat n’aurait pas été mis en cause, M. Jozian, son cessionnaire, n’aurait pu récuser la juridiction du tribunal de la Seine. Un cessionnaire
est tenu de toutes les obligations de son cédant ; il n’a pas plus de droit que lui.
Or, si le marché n’eut pas été cédé, le tribunal de la Seine était seul compétent.
Les deux parties contractantes étaient domiciliées à Paris, elles y avaient fait
élection de domicile, elles devaient y plaider en ,cas de contestation. Cette cir
constance avait pu n’être pas étrangère à la conclusion du marché. MM. Giroud
et Chevalier, domiciliés à Paris, avaient pu traiter plus volontiers avec M. Pezerat,
parce qu’il habitait la même ville, et qu’en cas de difficulté, c ’était à Paris qu’elle
se viderait. M. Pezerat a cédé son droit, mais a-t-il pu diminuer le droit de
.M. Giroud? a-t-il pu, par cette cession, obliger M. Giroud ù quitter son domicile
pour aller plaider devant un tribunal éloigné ? Le cessionnaire demeure à Brioude ;
il pouvait demeurer à Brest ou à Perpignan, M. Giroud sera-t-il obligé de l’y sui
vre? non, assurément; la convention n’est pas changée par la cession. Il n’y a
qu’ un nom mis à la place d’ un autre nom ; mais le contrat subsiste d’ailleurs dans
toutes ses dispositions.
M. Jozian l’a bien compris, car il a consenti à plaider devant le tribunal de la
Seine. Avant d’opposer le déclinatoire, il a prétendu que l’assignation qu’il avait
reçue était nulle pour n’avoir pas été remise à son domicile réel. C’était même le
chef principal de ses conclusions ; le déclinatoire ne venait qu’après, et comme
moyen subsidiaire. Il consentait donc à plaider sur la nullité de l’exploit devant le
tribunal de la Seine, et par là même, il reconnaissait la compétence de ce tri
bunal.
***! déclinatoire, qui n’a pas même été proposé in limine litin, n'est donc qu’ une1
�chicane imaginée pour retarder l’annullation de la clause compromissoire.
M. Jozian agit en tacticien. Il a surpris une condamnation inique ; il voudrait
qu’elle devint définitive à Riom, avant d’être renversée à Paris.
)
.»* P r o p o s it io n .
Il y avait lieu de surseoir à l'arbitrage, tant que la clause compromissoire n’avait
pas été jugée.
Aussitôt que la demande en nullité de cette clause eut été formée, M. Giroud la
aux prétendus arbitres. Que devaienWls faire? Cette clause était la base
de leurs pouvoirs. Si elle était nulle, ils n’étaient pas juges. Devaient-ils néanmoins
juger avant que cette clause fut reconnue valable? le pouvaient-ils?
d én on ça
En droit, ils ne le pouvaient pas, et en conscience, ils ne le devaient pas. Ils ne
pouvaient pas juger sans compromis. Or, la clause compromissoire était attaquée,
non-seulement au moment où ils se réunissaient pour juger, mais encore au mo
ment où l’ un d’eux, M. Sabattier-Gasquet, était nommé. Cette clause attaquée
était-elle cependant exécutoire par provision? Elle ne l’était pas entre les parties,
car l’exécution provisoire est un droit exceptionnel, c ’est le privilège de l’acte
authentique. Il ne s’agissait que d’une convention verbale. Or, une convention
verbale ne peut pas être exécutée lorsqu’elle est attaquée, à moins que le tribunal
saisi de la demande en nullité n’en ait ordonné l’exécution en cas d’urgence. Hors
ce cas la demande en nullité suspend l’exécution de l’acte; la raison en est simple.
li’exécutioQ des conventions ne peut être que volontaire ou forcée. L’exécution
volontaire n’a lieu que par la volonté de celui qui exécute; l’exécution forcée n'a
lieu que par le mandat de justice. Or, ce mandat n’est accordé qu’aux actes no
tariés ou aux jugements. Ainsi, la clause compromissoire n’étant pas notariée, il
suffisait qu’elle fut attaquée, pour que son exécution fut suspendue entre les par
ties ; mais à plus forte raison était-elle suspendue à l’égard des tiers. M. Jozian ne
pouvait pas déléguer à des tiers des pouvoirs qu’il n’avait pas. Les jugements euxmêmes ne sont exécutoires à l’égard des tiers que lorsqu’ils sont passés en force de
chose jugée. Les conventions n’existent pour les tiers que lorsqu’elles sont recon
nues par les deux parties; mais s’il y a contestation, il y a doute pour les tiers,
et quels que soient les droits réciproques des parties, les tiers ne peuvent que
s’abstenir.
Il fallait un compromis pour conférer à des tiers la qualité d’arbitres. Cet acte
indispensable existait-t-il? L'une des parties disait oui, Tautre disait non. Le procès
était pendant, et la nullité du prétendu compromis était prononcée d’ avance par
la jurisprudence. En cet état, ce qui apparaissait aux tiers c’étaient deux préten
tions contraires dont le jugement n’appartenait qu'au tribunal qui en était saisi.
�— 37 —
C’ était un débat dans lequel les tiers devaient rester neutres et attendre la décision
de la justice.
On remarquera d’ailleurs que la demande en nullité de la clause compromissoire
avait précédé la constitution du prétendu tribunal arbitral. C’est le 29 mai 1845
que cette demande fut signifiée à M. Jozian. Or le troisième arbitre a été nommé
le môme jo u r, sur la requête de M. Jozian , deux heures après cette significatidn.
Cet arbitre n’a accepté sa nomination que le 13 juin 1845. Les trois prétendus
arbitres n’avaient pas encore siégé, lorsque M. Giroud leur a fait dénoncer la
demande en nullité de la clause compromissoire, par exploit du 15 juillet 1845.
Enfin M. Giroud a constamment protesté contre ces hommes qui voulaient juger
quand leur qualité de juges était contestée.
il est de principe que les questions de compétence et de juridiction doivent être
résolues avant toutes les autres. Chaque procès a son juge qui lui est donné
par la loi; il faut savoir si on est devant ce juge avant d’exposer le procès. Quel
était le tribunal compétent entre M. Giroud et M. Jozian? Suivant M. Giroud c’é
tait la magistrature ordinaire ; suivant M. Jozian, c’étaient des arbitres. Il fallait
que cette question fut décidée avant tout autre débat. Or cette question était sou
mise au tribunal de Paris, et ne pouvait être soumise qu’à lui. Les prétendus
arbitres ne pouvaient prononcer sur leur propre compétence. Ils ne pouvaient pas
être juges de la clause compromissoire, car cette clause étant la source de leurs
pouvoirs, si elle n’était pas valable, ils n’avaient pas de pouvoirs. Ils se trouvaient
dans la même position que des arbitres forcés, en matière de société, lorsque
l’ une des parties demande non pas la dissolution de lasociété, mais la nullité même
de l’acte social. Dans ce cas, la jurisprudence a constamment décidé que les ar
bitres sont incompétents, ca r, dit M. Pardessus : il ne s'agit plus de l’exécution de
l’acte de société, mais bien de son existence. (Cours de dr. comm., tom. 4, pag. 70.)
Cette jurisprudence a été consacrée par de nombreux arrêts. On citera notam
ment un arrôt de la cour de Trêves, du 5 février 1810. (Joum , du Palais, 1" tom.
de 1811, pag. 46.) Et un arrêt de la Cour de cassation du 30 novembre 1821
( môme recueil, tom. 2 de 1826. pag. 20 ). En un mot, des arbitres ne peuvent
prononcer sur la nullité du compromis ; car pour prononcer, il faut d’abord qu’ils
soient arbitres, et pour qu’ ils soient arbitres, 11 faut que le compromis soit valable.
Mais d’un autre côté, ils ne peuvent juger quand leur compétence est contestée,
car le déclinatoire est essentiellement préjudiciel. Or il n’y a pas de déclinatoire
plus absolu que celui qui consiste à nier la juridiction. Les arbitres dont la juri
diction était niée devaient donc s’arrêter, et attendre que la question eût été réso
lue par le tribunal qui en était saisi.
Ces vérités ne sont pas seulement des maximes de procédure ; ce sont des ga
ranties nécessaires au droit de défense ; ce sont des institutions fondamentales
sans lesquelles l’autorité judiciaire, et tous les intérêts qu’elle abrite seraient
�exposés à de continuelles surprises. Que peut faire un citoyen appelé devant un
juge dont il conteste le caractère? Il oppose l’ incompétence. Toute autre défense
lui est impossible. Plaidera-t-il sa cause ? mais ce serait accepter la juridiction !
Se laisserait-il juger par défaut? mais ce serait donner raison à son adversaire !
Il n’a donc que le déclinatoire à opposer. Mais comme sa position lui interdit
toute autre défense, elle interdit aussi tout autre jugement. Le juge dont la com
pétence est attaquée ne peut pas juger le fonds. Comment le connaîtrait-il? par
les déclarations seules du demandeur, car le défendeur est réduit au silence. La
fortune d’une partie serait donc à la merci de l’autre, et la justice , frappant en
aveugle, ne serait plus qu’un instrument d’intrigue et de spoliation. Il faut donc
qu’elle s’arrête, quand son pouvoir est contesté. Il faut que la juridiction soit cer
taine pour que le débat puisse être contradictoire.
Il n’est pas nécessaire d’être jurisconsulte pour comprendre ces vérités. On voit
tous les jours des arbitres étrangers à la science du droit, porter à cet égard la
susceptibilité beaucoup plus loin. Par cela seul qu’ils ne sont pas acceptés par
toutes les parties, ils refusent de siéger. Un homme délicat n’ambitionne pas la
redoutable fonction de juger ses semblables ; mais quand elle lui est déférée, il ne
se contente pas d’examiner si son mandat est conforme aux lois de la procédure ;
il veut quelque chose de plus, il a besoin pour sa propre dignité de la confiance
de tous ceux qu’il doit ju g er, et si l’un d’eux la lui refuse, il se retire. Mais on
voit rarement des arbitres qui s’imposent, qui citent les parties devant leur propre
tribunal, et qui les jugent, malgré les protestations qui leur sont signifiées.
MM. Dorival, Couguet et Sabattier-Gasquet étaient décidés à juger M. Giroud. A
la bonne heure ! mais au moins devaient-ils attendre que leur compétence fût re
connue. Ce n’était pas seulement la delicatesse qui le voulait ainsi, c’était la loi.
ils n’étaient pas juges de la clause compromissoire, car ayant besoin d’un com
promis pour ju ger, ils ne pouvaient pas créer eux-mêmes la source de leur pou
voir. C’est pourtant ce qu’ils ont fait. Ils n’ont pas voulu attendre ; ils étaient
pressés. Ils ont donc rendu, le 29 août 18/i5, une sentence qui a déclaré que la
clause compromissoire était valable ; et quinze jours après, sans débat, sans con
tradiction , M. Giroud protestant qu’il ne pouvait se défendre, ils l’ont condamné
à 506,000 fr. de dommages-intérêts.
Pour excuser leur précipitation, on dit que leurs pouvoirs étaient près d’expi
rer , parce qu’il y avait bientôt trois mois qu’ils étaient nommés. Singulière excuse
pour des arbitres consciencieux l N’était-il pas mieux de ne pas ju g er, que de ju
ger sans entendre ? Mais s’ils tenaient à juger, ils pouvaient être tranquilles. Leur
caractère étant contesté, leurs pouvoirs étaient suspendus ; le délai de l’arbi
trage ne courait pas, quand les fonctions de l’arbitrage étaient paralysées. Dans
tous les cas, leur nomination eût été renouvelée. Mais quels juges que ceux qui
renversent l’ordre des juridictions, qui décident les questions qui ne leur sont pas
�— 39 —
soumises, qui condamnent les .absents à des dommages énormes, sur la foi d’ un
adversaire, le tout parce qu’ils veulent ju ger, et que leurs pouvoirs sont prè*
d’expirer !
Ils devaient donc surseoir. Ils le devaient en droit et en conscience.
P r o p o s itio n .
Dans tous les cas le tribunal <le Brioude devait surseoir à statuer sur l'opposition
à l'ordonnance iCexquatur.
Il est de principe que la même contestation entre les mêmes parties ne peut pas
être portée devant deux tribunaux différents. Ce principe est établi dans l ’intérêt
des parties qui ont assez d’un seul procès, et dans l’intérêt de la justice elle-même
qui pourrait se trouver compromise par deux décisions opposées. Si donc il arrive
que deux tribunaux soient saisis du même procès, la loi donne la préférence à ce
lui qui a été saisi le premier, le second est obligé de renvoyer la cause; et s’il
voulait la retenir, il y aurait conflit et nécessité d’un règlement de juges.
Il y a procès entre MM. Giroud et Jozian sur la validité de la clause compromis
soire. Ce procès a été porté devant le tribunal de la Seine, le 29 mai 1845. Ce tri
bunal s’est déclaré compétent par jugement du 2 décembre suivant; et malgré
l’appel interjeté pour gagner du tem ps, la compétence est évidente. Or la même
question se présente devant le tribunal de Brioude, sur l’opposition à l’ordonnance
d’exequatur. Il s’agit encore de la validité de la clause compromissoire. C’est
le même procès, entre les mêmes parties : une seule différence existe. A Paris, la
nullité de la clause est demandée par action principale. A Brioude, elle est de
mandée par voie incidente et avec d’autres moyens, pour arriver à l’annulation
de la sentence arbitrale.
Cette différence doit-elle faire fléchir le principe? Le procès sur la clause
compromissoire n’est-il pas exactement le même? Qu’importe que l’action soit
principale ou incidente? Le point litigieux n'est-il pas identique? Peut-il être
discuté autrement à liriotide qu’à Paris ? Qu’importe que la cause de Brioude pré
sente d’autres objets à juger? Cet entourage de questions différentes empêche-t-il
que la question particulière de la clause compromissoire ne soit la même à Paris
et à Brioude? Et si cette question était jugée parles deux tribunaux, n’y auraitil pas lieu de craindre l’inconvénient que la loi a voulu éviter? Il suffit d’indiquer
ces considérations : elles démontrent assez que les deux tribunaux ne peuvent
pas rester concurremment saisis du différend relatif à la validité de la clause
compromissoire.
Le tribunal de la Seine ayant été saisi le premier, il est évident que la compé-
�' *
— 40 —
f]0
^ i
tence lui appartient Mais elle ne lui appartient que sur cette question, la seule
qui soit portée devant lui. Le tribunal de Brioude était juge de l’opposition à
l'ordonnance d’exequatur, c ’était une contestation spéciale qui ne devait pas lui
être enlevée. Que devait-il donc faire? Renvoyer le jugement de la clause com promissoire, mais garder le jugement de la sentence arbitrale, etcomme|le sort de
la première pouvait influer sur le sort de la seconde, il devait surseoir à statuer.
Le tribunal de Brioude a rejeté le sursis. On cherche dans son jugement le motif
de ce rejet et on n’en trouve d’autre que cette, phrase étrange : « Attendu que tes
» parties de Vemieres (M. Giroud) ne produisent aucun acte, aucun exploit, ni
» procédure qui justifient celte articulation (l’existence du procès devant le tri» bunal de la Seine). » Ainsi le principe n’est pas méconnu, mais le fait a été nié;
M. Jozian a nié l’existence du procès pendant à Paris, et cette dénégation a déter
m i n é le tribunal de Brioude ii rejeter le sursis, et à passer outre.
M. Giroud devait sans doute justifier l’existence de la demande formée par lui
à Paris. Mais cette demande n’avait-elle pas été d’abord signifiée à M. Jozian ?
M. Jozian n’avait-il pas constitué avoué et plaidé sur cette demande? N’avait-il
pas même perdu son procès sur la compétence et interjeté appel devant la Cour
royale de Paris? De plus, cette demande avait été dénoncée aux arbitres. Elle
était rappelée dans le dire fait devant eux le 29 août 1845. On indiquait même
dans ce dire le jour et la chambre où cette demande devait être ju g é e , et
M. Jozian, dans sa réponse, n’avait pas contesté le fait. Comment donc a-t-il pu
le nier devant le tribunal de Brioude ? Et quelle est la moralité d’un homme qui se
permet de pareilles dénégations?
Dans tous les ca s, le fait de la litispendance est aujourd’hui constant, et l'excep
tion que le tribunal de Brioude a rejetée se reproduit devant la Cour royale deKiom. Il s’agit toujours de savoir si la demande en nullité de la clause compromissoire peut être jugée à la fois par deux tribunaux différents. La loi s’y oppose ;
elle veut que le premier tribunal reste saisi, et que le second se déssaisisse; en
cas de conflit, elle ordonne qu’ une juridiction supérieure interpose son autorité
pour statuer sur la compétence et pour prévenir la contrariété d’arrêts. Mais ce
cas ne se présentera pas. La Cour de Itiom reconnaîtra qu’elle doit surseoir à statuer
sur la sentence arbitrale, jusqu’à ce que la Cour de Paris ait statué sur la clause
compromissoire.
9* H ropoM ition.
En supposant que ta clause compromissoire fût valable, les arbitres ont excédé
leur pouvoir en prononçant sur des questions qui ne pouvaient pas leur être
ioumises.
Cette clause porte : « Qu’en cas de difficultés ou contestations au sujet des pré-
�» sentes conventions (le marché du 30 novembre 1838), elles seront jugées à Pa»ris et non ailleurs, à l’exception cependant de celles qui, par leur nature, ne
» pourraient se décider que dans la localité, par un tribunal arbitral, etc. »
Ainsi, c’est à Paris et non ailleurs, que toutes les contestations doivent être
jugées. Sont exceptées seulement les contestations qui ne pourraient se décider que
sur les lieux. Telle est la loi que les contractants se sont imposée.
Si cette clause ôtait obligatoire, si elle établissait un arbitrage forcé, cet arbi
trage ne pourrait avoir lieu que dans les termes où il est stipulé. C’est donc à Pa
ris et non ailleurs que devrait être établi le tribunal arbitral pour toutes les con
testations en général, et ce ne serait que par exception, et pour des questions
de localité que des arbitres pourraient être nommés à Brioude.
M. .Tozian demeure aux environs de Brioude; il aime les procès, et trouve fort
commode de plaider chez lui ; mais ses convenances ne peuvent nuire aux droits
de ses adversaires. Il voudrait faire croire que toutes les contestations quelcon
ques entre M. Giroud et lui sont des questions de localité. Il s’efforce de substituer
l ’exception à la règle et de transporter toute la juridiction à Brioude. Mais cette
tentative ne peut pas réussir. La convention est précise. On sait bien ce qu’il faut
entendre par des questions de localité. Ce sont les questions qui ne peuvent être
jugées que par l’inspection des lieux. Que M. Jozian fasse nommer des arbitres
à Brioude pour cette nature de questions, c ’est son droit ; mais toutes les ques
tions qui peuvent être jugées sans voir les lieux, et notamment toutes celles quj
tiennent à l’interprétation du contrat, à son étendue, à ses limites, à sa
résiliation, doivent être jugées à Paris et non ailleurs. Les arbitres de Brioude
n'ont aucun caractère, aucune qualité, aucun mandat pour s’en mêler.
Par exemple, si M. Giroud avait promis à M. Jozian de lui procurer un port con
venable pour déposer ses charbons, la question de savoir si le port est convenable
serait une de ces questions réservées à l’arbitrage exceptionnel de Brioude; car,
pour la décider, il faudrait voir les lieux. Mais si M. Giroud n’a promis qu’ un ter
rain tel quel, dans le port des Barthes, la question de savoir s’il doit un terrain
hors de ce port est une question d’interprétation qui ne peut être jugée qu’àParis.
Il en est de même de la question de savoir si M. Giroud doit livrer sur le carreau
de la mine ou sur le port. C’est encore l’interprétation du contrat II en est de
même, à plus forte raison, de la question de savoir si le refus de livrer sur le port
peut être assimilé à un refus absolu de livrer, et s’ il peut en résulter, soit la rési
liation du contrat, soit les monstrueuses condamnations prononcées par MM. Dorival et consorts.
Ceci entendu, quelles sont donc les questions que M. Jozian a soumises à ses arbi
tres de Brioude? on va les examiner suivant l’ordre et dans les termes où elles sont
posées par le point de droit de la sentence arbitrale.
�I ” Q u e stio n .
« üoit-on allouer des dommages-intérêts à Jozian et Sauret pour réparation du
> » préjudice à eux causé par le refus d’exécuter ta convention du 30 novembre
» 1838, depuis le jou r fixé par la sentence arbitrale du 6 juin 1843, pour la
» première livraison de charb on jusqu'au jou r que fixera ta présente sentence? »
Est-ce là une question locale? o u i, dira-t-on, car le refus d’exécuter la con
vention consiste à n’avoir pas fourni un port convenable. Or, la convenance du
port est une question qui ne peut se décider que par la vue des lieux. Mais avant
cette question, il y en aune autre, qui est celle de savoir si la convention oblige
M. Giroud à fournir un port convenable. M. Giroud soutient qu’il n’a pas fait cette
promesse vague et générale d’un port convenable, mais qu’il a promis un empla
cement dans le port qui lui appartient. Or, ayant mis la totalité de ce port à la
disposition de M. Jozian, il prétend qu’il a exécuté la convention. M. Jozian pré
tend le contraire; à la bonne heure; mais quel sera leur j'uge? c ’est une question
d’interprétation du contrat : c’est donc à Paris seulement qu’elle peut être j'ugée;
M. Jozian devait donc provoquer l’arbitrage à Paris, sauf à renvoyer devant le
tribunal exceptionnel de Brioude s’il s’élevait une question locale, comme celle de
la convenance du port, en supposant que les arbitres de Paris, interprètes de la
convention, lui eussent donné gain de cause.
V Q u e s tio n .
» Doit-on ordonner ijue dans te délai de quinzaine tes défendeurs seront tenus de
• commencer les livraisons ordonnées par la sentence du 6 juin 1843? »
C’est là, sans contredit, une question générale et non une question locale.
:t' Q u e s t i o n .
« Doit-on accorder des dommages-intéréts pour chaque jou r de retard? »
Même observation.
4 * Q u e stio n .
« Doit-on ordonner que le temps fixé pour ta durée du marché ne commencera
» à courir que du jou r de la première livraison ? »
Cette question est une des plus graves quiaiont pu être soulevées touchant l’in
terprétation de la convention. La durée du marché est fixée à 15 années à partir
�— 43 —
du 1" mars 1839. M. Jozian a demandé que le point de départ des 16 années fut
reporté à la première livraison qui suivrait la sentence. Ainsi au lieu d’expirer
en 1854, le marché devrait subsister jusqu’en 1860 environ. Que cette prétention
fut ou non fondée, il n’importe ; mais était-ce là une question'locale? Fallait-il
examiner les lieux pour la résoudre? Au contraire, n’était-ce pas essentiellement
une de ces contestations générales qui, d’après la convention, devraient-être jugées
à Paris et non ailleurs?
»* Q u e stio n .
a Doit-on, à défaut par les défendeurs, d'avoir commencé les livraisons dans un délai
n de quinzaine, comme aussi, dans te cas où, après avoir été commencées, elles
»
»
«
»
»
n
»
seraient interrompues pendant cinq jours consécutifs, après quinze jours d'interruption arrivée, soit par suite du refus des défendeurs, soit à cause de
difficultés provenant de leur fa it, ordonner la résolution de la convention du
30 novembre 1838, sans qu'il soit besoin d'autre jugement, et condamner tes défendeurs à des dommages-intéréts égaux en somme au chiffre d'iceux, calculés
à raison de 30 centimes par hectolitre pendant le temps restant à courir du
traité, à partir du refus de livraison ou de Cinterruption. »
Cette longue question n’est assurément pas de celles qui ne peuvent se décider
que dans la localité. Il s’agit d’ajouter à la convention une clause pénale en vertu
de laquelle M. Jozian, sous prétexte qu’on ne lui livre pas ce qu’ il refuse de rece
voir, pourra un jour exiger, au lieu de charbon, 540,000 francs de dommagesintérêts. Il s’agit de rendre M. Jozian maître de prononcer lui-même la résolution
du marché, quand il voudra, sans jugement, et sur la simple allégation d’une de
ces difficultés qu’il est si habile à faire naître. Il s’agit enfin de créer une disposi
tion réglementaire qui mette M. Giroud à la discrétion de M. Jozian. Mais quelques
iniquités que cette question renferme, pouvait-elle être soumise aux arbitres de
Hrioude? S’il y avait lieu d’introduire dans la convention une clause exhorbitante
qui n’y était pas, pouvait-on dire que c’était là une question de localité? NOn cer
tes. C’était donc à Paris qu’il fallait chercher les juges de cette question.
D’autres questions du môme genre avaient été soulevées par les conclusions de
M. Jozian. Il demandait par exemple une indemnité pour le cautionnement de
54,000 francs que M. Pezerat avait été obligé de fournir. Cette prétention dérai
sonnable n’a été ni admise ni rejetée par les arbitres de Brioude, mais elle n’en
était pas moins soumise à leur examen , quoiqu’elle fut évidemment du nombre
de celles qui d’après la convention devaient être jugées à Paris et non ailleurs.
Une sentence arbitrale est nulle quand les arbitres ont jugé sans compromis ou
hors des termes du compromis. Us n’apparait ici d’autro compromis que la clause
�— 44
—
compromissoire stipulée dans la convention du 20 novembre 1838. Ou cette clause
est nulle, et alors il n’y a pas de compromis, ou elle est valable, et alors il y a un
compromis qui établit deux arbitrages, l’ un à Paris pour toutes les questions gé
nérales, l’autre à Brioude pour les questions de localité. Le premier sera le tribunal
ordinaire et commun des parties, le second sera le tribunal d’exception. L’un de ces
tribunaux ne peut pas juger las questions attribuées à l’autre ; le juge d’exception
surtout doit s’abstenir des cas réservés aux juges ordinaires. Qu’ont fait les arbi
tres de Brioude? Ils ont jugé des questions générales. Y étaient-ils autorisés par
le compromis ? Non. Ils ont donc jugé hors des termes du compromis.
On prétend qu’ils y étaient autorisés par la sentence arbitrale du 6 juin 1843.
Il est vrai que les arbitres qui ont rendu cette sentence y ont inséré une dispo
sition ainsi conçue : Disons qu'à défaut, par Giroud et Cie, de livrer dans le délai
ci-dessus ("de quinzaine), les charbotis dont il s'agit dans les term es, facultatifs de
la présente sentence (relativement aux grosseurs), ils seront tenus, envers le sieur
Jozian, à des dommages-intéréts sur la quotité desquels nous renvoyons tes parties
à se faire juger dans la localité ; les renvoyons également à se faire juger dans la
localité sur les autres chefs de conclusions dépendant de ces dommages-intéréts. »
Cette disposition assez étrange a-t-elle pour effet de détruire l’économie de la
clause compromissoire, et de conférer aux arbitres de Brioude des pouvoirs que les
parties ne leur avaient pas donnés ? Ce serait un compromis d’un nouveau genre;
Mais il faut réduire cette disposition à sa juste valeur, c’est-à-dire à une déclara
tion d’incompétence. Un juge peut se déclarer incompétent, mais il ne peut pas
déclarer la compétence d’un autre ju g e , il renvoie la cause devant qui de droit
devant les juges qui doivent en connaître ; mais il ne l’attribue pas à tel ou tel
tribunal. La cour de cassation est la seule qui délégué la juridiction, mais c ’est
une prérogative qui n'appartient qu’à elle. Un juge ordinaire prononce sur les
demandes qui lui sont soumises, mais il ne donne pas de consultations, et il ne fait
pas de règlements. Lorsque la sentence du 6 juin 1845 a été rendue, ni M. Jozian,
ni M. Giroud n’avaient demandé le renvoi devant les juges de la localité. M. Giroud
offrait de livrer le charbon que la mine produirait, M. Jozian demandait des gros
seurs impossibles,sinon des dommages-interêts. Les arbitres ont fixé les grosseurs;
ils ont dit que M. Giroud serait tenu de livrer à peine de dommages-intérôts; et
s’ils ont ajouté que la quotité de ces dommages, et les questions qui s’y ratta
chaient, devaient être Jugées dans la localité, c ’est une opinion qu’ ils ont expri
mée, mais ce n’est pas un jugement qu’ ils ont rendu, car ils ne pouvaient pas,
d’oflice, transporter ainsi la juridiction.
Au surplus, de quelles questions leur sentence parle-t-elle? Des questions rela
tives à la quotité des dommages-intéréts et des questions qui s'y rattachent. Mais
les arbitres do Brioude ont statué sur des questions beaucoup plus graves. La
question de prolongation du marché jusqu’en 1800, ne touche ni de près, ni do loin,
�h la quotité des dommagcs-intéréts. La question de résiliation faute d’interruption
des livraisons pendant cinq ou quinze jours, est une question fondamentale, qui
n’a pas p u , sous prétexte de son peu d’importance, être enlevée aux arbitres de
Paris pour être attribuée aux juges exceptionnels de la localité. U est évident que
M. Jozian veut attirer toutes les questions dans son pays pour les faire juger par
ces arbitres qui lui montrent tant de dévouement. Mais il ne peut pas diviser la
clause compromissoire : l’invoquer pour établir un arbitrage , et la méconnaître
quand il s’agit du lieu de l’arbitrage et de la compétence des arbitres.
S' P r o p o s it io n .
Les arbitres ont prononcé après que les délais de l'arbitrage étaient expirés.
L’art. 1007 du code de procédure porte que si le compromis ne fixe pas de délai,
ia mission des arbitres ne dure que trois mois du jour du compromis.
11 s’agit de savoir ce qu’on doit entendre par ces mots : du jou r du compromis.
Quand 11 existe un compromis régulier, désignant les arbitres et le litige, la date
est fixée par l’acte ; mais quand il n’existe qu’un compromis irrégulier, en vertu
duquel des arbitres sont nommés plus tard, cette nomination formant le complé
ment du compromis, c’est du jour de cette nomination que le compromis existe,
si toutefois sa nullité n’est pas prononcée.
C’est le 29 mai 1845 qu’a été nommé M. Sabattier-Gasquet. MM. Dorival et Couguet avaient été nommés beaucoup plutôt. C’est le 13 juin suivant qu’il a déclaré
accepter sa nomination. Ainsi le compromis, en le supposant valable, a existé dès
le 29 mai 1845, ou au plus tard le 13 juin. La mission des arbitres ne durant que
trois mois du jour du compromis, elle devait expirer soit le 29 août, soit le 13 sep
tembre au plus tard.
La sentence arbitrale porte la date du 15 septembre 1845, et encore les arbitres
l’ont-ils antidatée, car ils ne l’ont déposée que le 8 octobre ; mais en admettant
cette date du 15 septembre, elle serait tardive, les pouvoirs étaient expirés depuis
deux jours, la qualité des arbitres s’était évanouie, ils n’étaient plus que de sim
ples particuliers, avocats, épiciers ou charpentiers. La sentence serait donc ren
due sans compromis, elle serait radicalement nulle.
Mais à plus forte raison faut-il la déclarer nulle, si elle n’a été rendue qu’au
mois d’octobre. Or, c ’est ce qui résulte d’abord de la date de l’enregistrement et
du dépôt C’est le 8 octobre qu’elle a été déposée ; mais si elle était rendue depuis
•e 15 septembre, pourquoi donc les arbitres auraient-ils tardé pendant vingt-trois
jours à )a déposer? Le délai pour l’enregistrement n’était que do vingt jours, com
�ment croire que les arbitres aient ainsi voulu exposer les parties à payer un double
droit, s’ils avaientpu déposer plus tôt? Ce n’est pas tout, tandis que M. Jozian pres
sait la décision des arbitres, M. Giroud suivait à Paris, sur la demande en nullité
delà clause compromissoire, et le 17 septembre, ce tribunalayant remis la cause,
M. Giroud demanda et obtint qu’il fut dit par le jugement de remise que toutes
choses demeureraient en état, c’est-à-dire, que l’instance arbitrale serait suspen
due. Huit jours plus tard une nouvelle remise fut prononcée avec la même injonc
tion. M. Giroud s’empressa de notifier aux arbitres ces deux décisions qui arrê
taient l’ardeur de leur zèle. Quelle fut leur réponse ? aucune. Mais si la sentence
avait été rendue le 15 septembre, il était tout simple de répondre à M. Giroud que
la sentence étant rendue, il n’y avait plus rien à suspendre. Il était naturel au moins
de déposer immédiatement cette sentence qui, après avoir été sjgnée, ne devait
pas rester plus de trois jours entre les mains des arbitres; mais elle n’était pas
rendue le 15 septembre, elle ne pouvait donc pas être déposée.
On dira peut-être que, si les arbitres avaient antidaté leur sentence, ils lui
auraient donné la date du 13 septembre, qui rentrait dans le délai du compromis,
et non celle du 15 septembre, qui excédait ce délai. Mais la fraude est presque
toujours accompagnée de désordre et de précipitation ; elle ne pense pas à. tout.
Il est probable qu’en datant leur sentence du 15 septembre, les arbitres n’ont
songé qu’aux sommations de suspendre qui leur avaient été signifiées les 19 et 2G
septembre; Us ont voulu seulement que leur sentence parut antérieure ù. ces som
mations. Ils n’auront pas pensé au délai de trois mois qui mettait fin à leurs pou
voirs. Ils ont commis un autre oubli fort grave. La loi veut qu’en matière d’arbi
trage, la partie défaillante ait un délai de dix jou rs, pour remettre ses mémoires
et pièces; ce délai doit être augmenté d’ un jour par trois myriamètres, quand le
défaillant ne demeure pas sur les lieux, il était donc de vingt-sopt jours pour
M. Giroud, domicilié à Paris. Une sommation lui avait été faite le 1 " septembre
18i5 pour faire courir ce délai; c’était donc le 28 septembre seulement que les ar
bitres pouvaient juger ; mais d’un autre côté, leurs pouvoirs expiraient le 13. Us
étaient donc dans une impasse, obligés de juger avant le 13, et ne pouvant juger
avant le 28. La difficulté était sérieuse; mais qu’importait à M. Dorival et à ses
collègues? les impossibilités légales ne les arrêtent pas; ils ne s’occupent ni do
leurs pouvoirs, ni de leurs devoirs; ilsjugent quand ils veulent, ils donnent à leur
sentence la date qu’il leur platt, et Ils la déposent quand il leur convient. Il
était juste quedans une œuvre aussi monstrueuse, le vice de la forme égalât l’ ini
quité du fonds.
Objectera-t-on que les pouvoirs des arbitres étaient suspendus par la demande*
en nullité de la clause compromissoire, et que le délai de l’arbitrage avait cessé
de courir? Mais alors les arbitres ne devaient pas ju ger; leur sentence est donc
nulle ou comme prématurée, si les délais étaient suspendus, ou comme tardive
si les délais avaient continué à courir.
�«• P r o p o s itio n .
i:
II n’y avait pas lieu à exécution provisoire du jugement.
Si l’on est étonné que le tribunal de Brioude ait consacré une pareille sentence
on est stupéfait qu’il ait ordonné l’exécution provisoire nonobstant appel. En
principe général, l’appel est suspensif ; l’exécution nonobstant appel est donc
une exception qui n’existe que dans certains cas dont l’art. 135 du Code de pro
cédure contient l'énumération. On cherche parmi les dispositions de cet article
quelle est celle que le tribunal de Brioude a voulu appliquer ; mais il est impos
sible de la découvrir; le jugement ne l’indique pas; il donne seulement pour
motif les nombreux procès qui ont existé entre les parties, ce qui démontre, sui
vant le tribunal, la mauvaise volonté de Giroud, son désir de dénier toute juridic
tion, et d'éloigner l'exécution du marché du 30 novembre 1838. Ces,motifs sont
aussi dénués de vérité que de légalité. Ce n’est pas M. Giroud qui a cherché cons
tamment à éluder l’exécution du marché. Au contraire il a intérêt a ce que ce mar
ché s’exécute, il y trouve un bénéfice important, et il a fait des dépenses considé
rables pour réaliser ce bénéfice. On ne veut pas apparemment lui reprocher d’avoir
exigé une caution quand l’acheteur était tombé en déconfiture; c’était son droit, et
ce droit a été reconnu d’abord par les juges que les parties ont choisi, et ensuite
par les adversaires eux-mêmes. Mais aussitôt que cette caution lui a été fournie, il
a offert de livrer, et il a réclamé constamment et avec instance l’éxécution du mar
ché. Pourquoi donc le marché n’a-t-il pas’été exécuté? Parce que M. Jozian ne vou
lait pas de charbon ; parce qu’il avait voulu faire une spéculation aux dépens de
M. Giroud parce qu’en achetant les droits de M. Pezerat; il s’était flatté que
M. Giroud, pris au dépourvu, serait embarrassé pour livrer l’énorme quantité
de houille qu’il avait vendue; mais quand il a vu que la livraison était offerte, il
s’est jeté dans des chicanes sans fin , et c’est alors qu’il a voulu exiger d’abord que
l’Allier fut navigable, ensuite que le charbon eut une certaine grosseur, puis qu’il
fut livré au port, puis que le port atteignit une certaine élévation, et enfin que
10,000 hectolitres lui fussent mesurés en un jo u r; et mille autres prétextes à
l’aide desquels il s’est toujours dispensé de recevoir la marchandise et de la
payer. Et c’est M. Jozian qui accuse M. Giroud de ne pas vouloir exécuter le mar
ché du 30 novembre 1838 ! Un seul article de ce marché a été contesté par
M. Giroud : c’est la clause compromissoire. Mais quoique cette clause fut illégale
et nulle, M. Giroud l’a respectée tant qu’il a cru qu’elle serait observée loyale
ment Mais quand il a vu qu’on voulait abuser de cette clause, et (pie sous pré
texte d’instituer un arbitrage local, on entreprenait de le livrer au jugement de
trois hommes empreints do toutes les passions de ses adversaires, il s’y est
refusé, il a invoqué la loi, il a demandé des juges naturels, il s’est réfugié aux
�pieds de la magistrature. C’est là cette mauvaise volonté qu’on lui reproche et ce
désir de dénier toute juridiction. Mais pouvait-il accepter la juridiction de
M. Gourcy qui avant d’être nommé arbitre avait émis son opinion comme expert
choisi par M. Jozian? Pouvait-il accepter la juridiction de MM. Dorival et Couguet
qui s’étaient séparés de leur coarbitre M. Lamothe, parce que celui-ci n’avait
voulu siéger ni dans une taverne, ni dans le cabinet de l’agréé de M. Jozian?
Pouvait-il accepter la juridiction de M. Sabattier-Gasquet que M. Jozian avait fait
nommer arbitre, le jour même où il avait reçu la demande en nullité de la
clause compromissoire? M. Giroud pouvait-il avoir confiance dans ces trois
hommes qui avant de le juger le faisaient sommer par huissier! qui ne com
prenaient pas qu’un arbitre dont on conteste la qualité, doit avoir la pudeur de
s’abstenir provisoirement! qui décidés à tout, obéissant à toutes les injonctions
d’ uno partie, et bravant toutes les protestations de l’autre, ne se sont inquiétés ni
de la validité du compromis, ni de sa durée, ni de la lo i, ni des form es, ni de
la ju stice, ni de l’équité, pour passer outre au jugement d’un absent qu’ils
ont condamné sans qu’il pût se défendre, à un chiffre fabuleux de dommagesintérêts! Non, M. Giroud n’a pas voulu accepter leur juridiction. Et ce n’est n
par caprice, ni parlégéreté qu’à l’aspect de cette commission menaçante, il a
demandé à être conduit devant ses juges naturels.
Il y est aujourd’hui, et ses regards s’élèvent avec confiance et bonheur vers
cette magistrature noble et calme, instituée par la loi et environnée de la vénéra
tion du pays. Là se trouvent des hommes dignes en effet de juger les autres hom
mes. Là régnent l’impartialité, la prudence, l’amour de la justice, le respect de la
lo i, la conscience du devoir. Là sont réunis l'élévation du cœur, la supériorité des
études et la hauteur de la position sociale. Là se rencontre enfin la sauvegarde de
tous les droits, la publicité. Quel est le tribunal arbitral qui puisse se comparer,
pour les garanties, au moindre des tribunaux civils? quel est l’arbitre qui oublie
en jugeant, le nom de la partie qui l’a nommé? quel est le plaideur qui ne tremble
pas quand il songe que sa fortune dépend d’ un débat obscur entre trois hommes,
dont l’un est presque toujours son adversaire secret? Cependant la juridiction ar
bitrale fait illusion. On l’aime de loin, on la stipule d’avance, et on exclut
la magistrature quand on n’en a pas besoin. Mais qu’un procès éclate, et on ne
tarde pas à se repentir. Alors apparaissent les inconvénients de cette justice privée
qu’on a préférée sans la connaître. Cependant tous les arbitrages n’offrent pas les
mêmes abus, toutes les sentences ne ressemblent pas à celles qui a condamné
M. Giroijd.
M. Giroud supplie les magfstrats, dont il veut restef le justiciable, d’annuler et
cette clause compromissoire, dont en a fait un si déplorable usage, et cette sen
tence, dont sa ruine serait la conséquence. Il les supplie de remettre les parties
dans le même état qu’avant ce funeste arbitrage, et do ramener le débat à sa sim
�— 49 —
plicité originaire. Alors il s’agira seulement de juger si quelques mètres de terrain
que M. Giroud doit fournir à M. Jozian, pour déposer ses charbons, doivent être
pris dans le port des Barthes ou dans un autre port. Voilà, en effet, tout le pro
cès; voilà la source du demi-million octroyé à M. Jozian !
PIJON,
AVOCAT.
P A RI S IM P D E E M A RC A UG ET R UE B IC H ER 1 2
�
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Title
A name given to the resource
Factums Godemel
Relation
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/files/factum-remarquables/BCU_Factums_G0301_0007.jpg
Description
An account of the resource
<a href="/exhibits/show/factums/thesaurus">En savoir plus sur les factums</a>
Text
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
[Factum. Giroud. 1846?]
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pijon
Subject
The topic of the resource
transport fluvial
charbon
arbitrages
mines
asphalte
banqueroute
tribunal de commerce
ports
banquiers
génie civil
experts
jugement arbitral
marchandises
Description
An account of the resource
Titre complet : Mémoire pour monsieur Giroud, propriétaire, tant en son nom personnel qu'en qualité de gérant de la société Giroud et Compagnie ; contre messieurs Jozian et Sauret, associés en participation, pour l'exploitation des droits cédés au sieur Jozian par le sieur Pezerat.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie de E. Marc-Aurel (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
Circa 1846
1838-1846
1830-1848 : Monarchie de Juillet
Type
The nature or genre of the resource
text
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
49 p.
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
BCU_Factums_G3005
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Université Clermont Auvergne
Cour d'Appel de Riom, Collection Godemel
Language
A language of the resource
fre
Relation
A related resource
BCU_Factums_G3006
BCU_Factums_G3007
vignette : https://bibliotheque-virtuelle.bu.uca.fr/files/thumbnails/6/53622/BCU_Factums_G3005.jpg
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Sainte-Florine (43185)
Pont-du-Château (63284)
Jumeaux (63182)
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
arbitrages
asphalte
banqueroute
banquiers
charbon
experts
génie civil
jugement arbitral
marchandises
Mines
ports
transport fluvial
tribunal de commerce